Une ville, c`est d`abord une entreprise de spectacles et de
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Une ville, c`est d`abord une entreprise de spectacles et de
Média lent 007 2014 LE MAGAZINE QUI RALENTIT L’ACTUALITÉ Les du RUGBY’ZNESS « Une ville, c’est d’abord une entreprise de spectacles et de services » Jean de Legge Média lent Passes croisées Plaisante affaire en ces temps de Tournoi des Six nations et d’approche déjà bruyante des prochaines élections municipales que de regarder, avec lenteur, se croiser des regards. D’un côté, celui posé sur le rugby d’aujourd’hui qui, en une génération, est passé du cassoulet aux droits télés survitaminés, des citrons sucés à la mi-temps au business échevelé et des joueurs taillés comme des bouteilles de Perrier à des athlètes se préparant à jouer Rollerball. De l’autre, notre rapport au local, au territoire, que décrypte Jean de Legge, le psychosociologue spécialiste des collectivités territoriales. Ses analyses montrent que nous sommes animés d’un désir de proximité, d’identité, d’histoire locale face à un État central perçu désormais comme lointain et jugé impotent. D’un côté, une évolution qui va du local et tend vers le global, de l’autre une rentrée dans le terroir et le municipal. La carte (de crédit) et le territoire (hexagonal). D’un côté, on déracine, de l’autre, on rempote. La métaphore fleure bon le terroir, le gras, le sol en ces temps de révolutions numériques d’ailleurs parfaitement compatibles avec ce double mouvement. Forces centrifuges et forces centripètes, simultanées et nullement contradictoires qui disent un pays qui se cherche. Et cela donne une bien intéressante photographie de la France d’aujourd’hui, telles d’incertaines rencontres entre Raymond Depardon et Max Guazzini. Le réalisateur de Journal de France et le fondateur de NRJ, ancien président de Stade Français. X AV I E R D E L A C R O I X Directeur de la publication F É V R I E R 2 0 1 4 – AU FAIT ENQUETE SUR UNE ACCELERATION DE L’ÉPICERIE À LA WORLD COMPANY 8 DES QUESTIONS EN MASSE 24 LE RUGBY TAILLE PATRON 36 ENQUÊTE P I E R R E B A L L E S T E R ILLUSTRATION P R I S C I L L E D E P I N A Y AU FAIT – F É V R I E R 2 0 1 4 F É V R I E R 2 0 1 4 – AU FAIT 6 Le sport qui a sauté Elles s’appelaient Hagetmau, Montchanin, Rodez, Bourg-en-Bresse, Oloron. Ces villes dont les noms évoquent le pays profond et la bonne chère appartenaient à l’élite du rugby national. C’était l’époque où les tableaux des résultats des 80 clubs du championnat mangeaient trois bonnes minutes dans l’émission dominicale Stade 2. Où les dirigeants recomptaient les billets de cinquante francs avant de les glisser dans l’enveloppe à destination des joueurs. Où les sélectionnés en équipe d’Angleterre payaient le maillot qu’ils auraient l’honneur de porter le samedi suivant. C’était en 1991. Il y a une éternité. Avec des taux de croissance à la chinoise, le rugby d’aujourd’hui a explosé tous les compteurs : nombre de spectateurs et de pratiquants, audiences TV, volume des rentrées commerciales, niveau de salaires, budgets des clubs. Jusqu’à faire de la France la première place de « capitalisation rugbystique » du monde, et de son championnat la compétition la plus relevée de la planète. « À ma connaissance, il n’existe pas une discipline sportive d’envergure qui se soit développée aussi AU FAIT – F É V R I E R 2 0 1 4 SEUL SPORT À POUVOIR RIVALISER AVEC LE FOOTBALL, LE RUGBY S’EST AUSSI APPROCHÉ DE TOUT CE QU’IL EXÈCRE CHEZ SON COUSIN rapidement. En quinze ans, nous sommes passés de l’amateurisme marron à une gestion de grande entreprise(1) », constate Marc Lièvremont, sélectionneur de l’équipe de France jusqu’en 2011 après un passé de joueur international. (1) Dans son livre Cadrages & Débordements Ed. De la Martinière, 2012. un siècle Cette ascension météorique s’explique de bien des façons. Il y a l’avènement du professionnalisme, sous la poussée d’une poignée de quadras emmenés par Serge Blanco, qui fut un joueur d’exception avant de devenir un dirigeant et un homme d’affaires à l’égale et dévorante ambition. Sous leur influence, la promotion du produit rugby auprès des diffuseurs TV, de partenaires commerciaux et d’investisseurs de premier plan a été une réussite. Il faut retenir aussi la « spectacularisation » du jeu et de ses à-côtés initiée notamment par le visionnaire Max Guazzini, longtemps président du club du Stade Français. La réussite de la Coupe du monde organisée en France en 2007, les coups d’éclat à répétition de l’équipe nationale, la médiatisation du feuilleton que constitue le championnat élite ont constitué autant de vitrines attractives pour un sport en phase avec son époque. Enfin, le rugby a su mettre en avant ses « valeurs » à un moment où l’image du football de France sortait en lambeaux d’une catastrophique campagne de Coupe du monde en 2010. Mais si aujourd’hui le sport à quinze est le seul à pouvoir prétendre rivaliser – à distance encore respectable – avec le football, il est aussi celui qui s’est le plus approché de tout ce qu’il a toujours exécré chez son cousin à ballon rond. Avec l’argent en abondance sont arrivés ou se sont exacerbés les problèmes des riches : l’égoïsme, l’avidité, les luttes de pouvoir, la dégradation des rapports humains comme des comportements, l’endettement des clubs, le mercantilisme, la folie des grandeurs, l’obligation de résultats et les cadences infernales des matchs. Une situation qui a déteint sur la pelouse, où un jeu d’une intensité encore jamais atteinte, pratiqué à fréquence déraisonnable, place les joueurs, victimes et consentants en même temps, devant le risque de la blessure et la tentation du recours aux substances interdites pour se maintenir ou revenir au niveau requis. Pour la première fois, des dirigeants reconnaissent à mi-voix que leur formule magique s’enraye. Combien de temps le rugby pourra-t-il encore revendiquer d’être ce « sport de voyous pratiqué par des gentlemen » ? F É V R I E R 2 0 1 4 – AU FAIT 18 nouveau Grand Chelem, les Bleus de Jacques Fouroux (Sella, Berbizier, Mesnel, Dubroca, Ondarts) ne s’inclinent qu’en finale. Mais le pays retient la demi-finale homérique gagnée contre l’Australie (30-24) au prix d’un essai signé Blanco dans les arrêts de jeu. 1991. Putschs, trahisons, manœuvres… Pendant des mois, la guerre de succession entre Ferrassiens et réformateurs tourne au marathon électoral façon Ubu roi. La victoire de l’homme du compromis, Bernard Lapasset, ne sera entérinée qu’un an plus tard. Dans ce contexte, le Grand Chelem manqué d’un rien par l’équipe de France tient du miracle. Serge Blanco a entamé sa reconversion en ouvrant un centre de thalasso à Hendaye. Il fait ses adieux aux Bleus au terme d’une Coupe du monde que la France quitte sans éclat et dispute son dernier match officiel avec Biarritz en juin 1992, battu en finale du championnat par Toulon. 5676 jours et 279 matchs avec le BO, sacrée fidélité ! 1995. Le grand chambardement, partout. En Coupe du monde d’abord, dont la AU FAIT – F É V R I E R 2 0 1 4 troisième édition a lieu dans le pays « arc-en-ciel ». Nelson Mandela remet le trophée Webb Ellis – du nom de « l’inventeur » du rugby- au capitaine sud-africain, le blanc François Pienaar. La fin de l’amateurisme obligatoire ensuite, signée par l’International Board sous la pression des nations de l’Hémisphère sud. La création d’une Coupe d’Europe des clubs, dont Toulouse s’adjuge la première édition l’année suivante. Blanco continue à courir… sur console. Il donne son nom à un jeu vidéo. Il devient surtout président du Biarritz Olympique, et entre comme consultant sur Canal+. 1998. Après trois ans de résistance, la FFR consent à la création d’un organisme en charge de la gestion du rugby professionnel. Palmarès, charisme, reconversion, Serge Blanco est ainsi élu premier président de la Ligue nationale du rugby (LNR). Période faste pour la première saison des Bleus au Stade de France avec un second Grand Chelem de rang. À l’automne, le french flair signe un retentissant succès face aux All Blacks (43-31) en demi-finale. Mais la Coupe du monde échoit à l’Australie (25-12). 2005. Où s’arrêtera le ballon ovale ? La FFR inaugure son centre national à Marcoussis (Essonne). Rayon rugby-spectacle, l’homme du moment est Max Guazzini. Après le calendrier des Dieux du Stade, après les pom-pom girls, le patron du Stade Français impose le rose comme couleur de maillot et « exporte » le match Stade Français - Toulouse au Stade de France. Bilan : 79 502 spectateurs, record mondial pour un match de championnat. Le président réélu de la LNR aussi voit la vie en rose, Biarritz est champion de France contre le Stade Français, puis en 2006 face à Toulouse. Aucun titre n’échappe au trio entre 1994 et 2008. 2008. La Coupe du monde 2007 en France a été réussie. Stades remplis à 97 %, vague d’inscriptions dans les clubs, 32 millions de bénéfice. Seul couac, le XV de France, modeste quatrième en dépit d’un nouvel exploit contre les All Blacks. Sur quoi les chemins des deux fortes têtes du rugby tricolore divergent. Lapasset part à Londres présider la Fédération internationale, Blanco abandonne la LNR et retrouve son Biarritz et ses affaires. Le calme revient dans les couloirs de la Fédération. 2014. Le rugby pro pèse désormais 356 millions (chiffre 2012), à quoi vont s’ajouter les millions supplémentaires promis par Canal+ pour diffuser le Top 14, le championnat le plus relevé au monde. La FFR recense 450 000 licenciés. Nouvelle-Zélande - France (8-7), finale de la Coupe du monde 2011, a réuni 18 millions de téléspectateurs à 11 heures du matin. Sur cette vague porteuse, Pierre Camou, réélu à la tête de la FFR, charge son nouveau vice-président Serge Blanco du projet de Grand stade (82 000 places à Ris-Orangis). Mais les premiers orages éclatent. Les audiences TV stagnent, les stades sont moins garnis, le déficit des clubs pro se creuse, le projet Grand stade divise. L’argent du rugby a aiguisé les appétits et échauffé les esprits. Manoeuvres aux allures de putsch vis-à-vis des instances, menaces et dérapages verbaux, pression du résultat aux dépens du spectacle. À ce jeu qui rapproche toujours plus le rugby du football, Serge Blanco ne passe pas son tour. Il est vrai que son BO, bon dernier du Top 14, est menacé de relégation comme de faillite. LIGUE - FÉDÉRATION Quinze ans de mésentente cordiale Depuis près de cent ans, la Fédération française de rugby, association à but non lucratif, a délégation du ministre des Sports pour gérer et promouvoir sa discipline, ses aujourd’hui 441 000 joueurs licenciés et 1800 clubs. Elle organise les compétitions, nationales et régionales, et procède aux sélections correspondantes. Trois gros postes alimentent son budget, supérieur à cent millions : les licences des joueurs, les subventions publiques et les opérations commerciales. Aux 22 millions de droits TV versés par France Télévisions s’ajoute l’apport des partenaires, notamment le cinq majeur (GMF, Société Générale, Orange, Adidas et BMW), soit 15 millions. Avec les recettes au stade, le XV de France fournit les deux tiers des ressources fédérales. Placée sous sa tutelle, la Ligue nationale administre le secteur professionnel. Elle négocie les droits de télévision et de partenariat des trente clubs de l’élite (le Top 14 et les seize équipes de la division inférieure) et des 900 joueurs qu’ils emploient. Le fruit de la vente de billets des phases finales du championnat lui revient. Dès 2014-2015, du fait du nouvel accord passé avec Canal+, le chiffre d’affaires de la LNR excédera celui de la maison mère. 70 % de ces rentrées sont reversés aux clubs. Malgré le décret de 1995, la Fédération a mis trois ans avant de déléguer ses pouvoirs. Depuis l’origine, les intérêts des deux instances divergent ou se concurrencent à peu près sur tout : partenaires commerciaux, calendrier des compétitions, gestion des joueurs. Elles sont pourtant condamnées à coopérer. D’autant que sur leurs querelles picrocholines se greffent les ambitions des nouveaux argentiers des grands clubs, qui se verraient bien prendre les commandes d’un ensemble qui pèse plus du quart du chiffre d’affaires du rugby mondial. F É V R I E R 2 0 1 4 – AU FAIT 24 ] srueuoj te ueJ [ [ Jeu et joueurs ] SNOITSEUNE Q SED DES QUESTIONS EN ESSAM MASSE Dans le temps où les budgets des clubs professionnels doublaient de volume, soit lors de la dernière décennie, pour aller vite, les joueurs de l’élite ont pris dix kilos de masse musculaire. Conséquence logique de l’évolution d’un sport qui, pour n’être pas olympique, n’en applique pas moins la doctrine de Coubertin, plus vite, plus haut, plus fort. Mais il n’y a pas que ça. La quadrature de l’ovale, n’importe quel amateur du Top 14 vous le dira, consiste à rendre compatibles des exigences incompatibles. L’intensité des matchs, la pression des enjeux, l’augmentation de la durée du temps de jeu effectif comme de la violence des impacts nécessiteraient en théorie un temps de repos de plus en plus long pour les joueurs. Or entre compétitions nationales et rendez-vous interna- AU FAIT – F É V R I E R 2 0 1 4 F É V R I E R 2 0 1 4 – AU FAIT 26 tionaux, le calendrier d’une saison est toujours plus fourni. Comme le constate joliment Patrick Wolff, vice-président de la Ligue, « on veut verser un litre et demi dans une bouteille d’un litre ». Et les intérêts divergents des instances remettent, année après année, le dossier aux calendes grecques. Dans quel autre sport voit-on programmée une journée de championnat un jour de match international ? En l’espace d’une vingtaine d’années, l’impressionnante évolution physiologique des joueurs de haut niveau a accouché d’une génération d’athlètes musculeux et endurants. Les outils contemporains – sophistication des techniques d’entraînement, apport technologique, programme nutritionnel, compétence des staffs – suffisent-ils pour expliquer cette transformation ? Le rugby n’échappe pas à la problématique du dopage. Sans revenir aux années 30, comme cette image du Petit Journal montrant des joueurs du XV de France s’abreuvant à un tonnelet de vin des Corbières avant de se frotter aux Irlan- AU FAIT – F É V R I E R 2 0 1 4 dais à Belfast, le rugby a toujours entretenu un rapport épicurien au sport. La bonne franquette, la fameuse « troisième mi-temps » et le festif font partie de son bagage, quitte à ce que cet excédent fût, parfois, trop visible. LE MAXITON D’AMÉDÉE DOMENECH AVANT DE JOUER L’AFRIQUE DU SUD, EN 1961 Il paraît difficile d’imaginer dans ces conditions que certains adeptes du confit d’oie, du pichet de rouge et de la ripaille aient alors eu recours au doping comme on l’appelait à l’époque. « J’ai la conviction à 200 % qu’ils étaient pratiquement tous sous amphétamines », assure pourtant le docteur Jean-Pierre de Mondenard. L’affirmation peut paraître brutale. Le rugby bruit de rumeurs mais celles-ci ne concernent que l’international : les Sud-Africains vainqueurs de « leur » Coupe du monde en 1995, les Anglais bodybuildés triomphant en 2003 en Australie. Dans sa biographie (non traduite), le capitaine sud-africain François Pienaar a révélé avoir eu recours aux amphétamines durant sa carrière. Il reste que de Mondenard, grande autorité médicale de l’anti dopage en France, médecin en traumatologie du sport, ancien médecin du Tour de France, a emmagasiné une expérience inégalée. En trente-cinq ans de recherches, il a produit autant de livres sur la thématique. Sur quoi reposent ses certitudes ? « Sur des témoignages de joueurs disséminés au fil du temps, commence-t-il. D’Amédée Domenech, qui explique qu’il avait pris du Maxiton pour un France-Afrique du Sud de 1961 à la thèse de pharmacie rédigée par le Toulousain Christian Bimes, qui n’était pas encore président de la Fédération de tennis, en passant par d’autres confessions données isolément, telles que celle de Jacques Fouroux, parlant de Captagon (un dérivé d’amphétamines) pendant le Grand Chelem 1977, ou encore Jean-Pierre Elissalde dernièrement, sans oublier Serge Simon, joueur, médecin et… consommateur luimême, qui parle d’une généralisation du Captagon dans les années 80. » N’en jetez plus ! Mais Mondenard est lancé. « En fait, le sport de haut niveau de ces années-là était amphétaminé comme l’était le monde politique, estudiantin… » L’ARBRE GÉNÉALOGIQUE DES AMPHÉTAMINES Tous ces dérivés d’amphétamines étaient-ils considérés comme des produits interdits, au regard de la loi sportive ? « Bien sûr, depuis le début ! Il faut savoir que si les premiers contrôles anti dopage en France apparaissent en 1965, ils sont focalisés sur le cyclisme à 90 %. Le premier contrôle digne de ce nom dans le rugby remonte à janvier 1978 lors d’un match CASG-Clamart. Mais jusqu’à la fin des années 90, ils étaient rarissimes et ne recherchaient qu’une catégorie limitée de stimulants. » « Maillot jaune » des années 60, le Maxiton a passé le relais au Captagon des années 80, lequel, au gré des progrès de la détection antidopage, a multiplié « l’arbre généalogique » des amphétamines, dont sa branche très prisée qu’est l’éphédrine. Mais la sève n’en finit pas de monter pour donner naissance à d’autres dérivés connus, méthylhexa- POUR VERSER « UN LITRE ET DEMI DANS UNE BOUTEILLE D’UN LITRE », LE RUGBY PARAIT S’ETRE MIS A DE DROLES DE FIOLES namine, oxilofrène, octopamine. Une course sans fin que ne traduisent pas forcément les résultats de la lutte anti dopage. L’historique du dopage du rugby en France n’est en effet pas très épais. Son premier cas le plus reten- F É V R I E R 2 0 1 4 – AU FAIT 62 Jean de Legge « Une ville, c’est d’abord une entreprise de spectacles et de services » ENTRETIEN P A T R I C K B L A I N - X A V I E R D E L A C R O I X PHOTO M A R C C H A U M E I L 66 ... pouvoirs économiques, politiques, culturels et académiques. Ceux-ci constituent une raison oligarchique dominante et inattaquable car elle se présente comme une alliance des responsables au service d’intérêts communs. Il y a tellement de gens qui vont mal que la collectivité est un lieu de soins et de prise en charge des difficultés, se transformant ainsi en un vaste patronage dont les bonnes intentions sont soutenues par le dévouement des élus et des associations. Se dessinent dès lors les enjeux suivants : organiser la croyance, l’appartenance et la confiance dans une collectivité proposée à la fois comme une identité constituante et un projet. On l’a bien vu au moment de la primaire socialiste à Marseille, le débat a porté sur l’identité marseillaise des candidats : qui était le plus marseillais pour porter un projet marseillais ? » Le terme de « territoire » fait désormais florès. Mais qu’est-ce qui définit le territoire ? « Le territoire ne peut pas être défini parce qu’il dépend de l’échelle de ce dont on parle. Et cette échelle varie en fonction des sujets. C’est cette souplesse qui explique que la notion de territoire soit aussi populaire. En fait le territoire est un espace adaptable au sujet à traiter et aux coopérations à construire. Ce qui compte, c’est la nature des échanges et des flux et, dans ce cadre, les limites administratives sont un découpage parmi d’autres et souvent un frein politique aux projets et aux dynamiques de développement. Il ne peut d’ailleurs y avoir de bonnes frontières. La vraie question, c’est être capable de travailler en réseau avec les acteurs et collectivités impliqués. Concernant la réalité contemporaine des découpages administratifs, les plus pertinents sont sans doute l’intercommunalité et la région. Le département, comme structure politique reposant sur les cantons, n’a plus grand sens et pourrait être transformé en établissement public gestion- AU FAIT – F É V R I E R 2 0 1 4 « IL Y A TELLEMENT DE GENS QUI VONT MAL QUE LA COLLECTIVITÉ SE TRANSFORME EN UN VASTE PATRONAGE DONT LES BONNES INTENTIONS SONT SOUTENUES PAR LE DÉVOUEMENT DES ÉLUS ET DES ASSOCIATIONS » naire des affaires sociales. Sa disparition comme entité administrativo-politique est une question de courage politique et… de temps. Cela dit, la France n’est pas un territoire homogène et le rôle des départements n’est pas le même dans le Cantal et en région parisienne ou dans le Rhône. En réalité, il y a des territoires de projet qui doivent primer sur les territoires administratifs. Le cas de Rennes et Nantes est particulièrement symptomatique de villes qui travaillent en réseau et, de ce fait, induisent des dynamiques régionales. Le développement des territoires est lié aux articulations entre les grandes métropoles économiques et les régions. Les régions qui se développent sont celles qui ont des grandes métropoles et un réseau de villes moyennes. » Pourquoi le territoire est-il toujours en quête d’une histoire distinctive ? « Pour créer un consensus, il faut expulser les contradictions sociales du territoire ; il n’y a donc plus des ouvriers et des patrons, des patrons nuls et des ouvriers licenciés ; il y a un territoire qui doit se moderniser. Le local présente cette caractéristique intéressante d’être le laboratoire politique de la dépolitisation, il s’agit d’expulser les conflits d’intérêts dans la construction de consensus instrumentalisant les identités locales. C’est pourquoi chaque collectivité exhume des références historiques permettant de réécrire une histoire locale utile. La demande identitaire est plus forte que jamais, la nation et l’État ayant affaibli leur offre. La déshérence des croyances nationales rend nécessaires des alternatives identitaires porteuses de positivité. La collectivité est obligée de se présenter comme un espace communautaire avec ses fondements historiques et culturels, ce qui nécessite d’inventer un esprit des lieux et de noyer les contradictions sociales dans l’assomption glorieuse de l’histoire locale. Tout communicant sélectionne dans l’histoire d’une ville les événements montrant que cette ville est progressiste, conviviale, travailleuse, festive. La collectivité devient un corps mystique, les gens passent mais le territoire est éternel. L’histoire locale sert de bagage de psychologie collective dont l’objectif est de donner confiance aux habitants : ceux-ci sont protégés parce que le territoire vient de loin et ira loin, le territoire porte en lui-même des valeurs de réussite. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que certaines villes ont été obligées – parce que c’était la réalité historique – de faire leur histoire coloniale. Je pense notamment à Nantes et au mémorial de l’esclavage qui est en ville, ce qui permet aux habitants, y compris ceux issus de l’Afrique noire, de s’inscrire dans l’histoire nantaise. Il en est de même pour d’autres villes qui ont su traiter des histoires des immigrations plus récentes et des relégations dans les quartiers d’habitat social, ... F É V R I E R 2 0 1 4 – AU FAIT Vous avez aimé Au fait ? p é s c i e a r f l e f O Vous appréciez ses sujets, l’absence totale de publicité ? 100 % de nos ressources dépendent de vous. 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Parce que l’essence même du métier de journaliste est de chercher à voir ce qui est derrière l’apparence, que cette quête n’est aujourd’hui pas satisfaisante avec une investigation oscillant entre des enquêtes trop brèves dans la presse et des livres trop longs de journalistes. En particulier dans un univers largement déserté par un politique impotent et dominé par un économique impudent. Parce qu’un ancien monde est à l’évidence en train de disparaître et qu’un autre émerge, il est urgent de laisser de la place à une analyse longue, choisie, qui puisse proposer un autre regard sur l’alternative : parole impuissante, décision impossible. Parce que l’on a besoin de temps lent, de temps long, de temps apaisé qui refuse un suivisme supposé attendu par des lecteurs-internauteszappeurs. Pour ces raisons, le magazine que vous avez entre les mains propose de creuser le réel et de donner la parole à des gens qui nous suggèrent de le regarder autrement. Deux sujets seulement, une longue enquête travaillée, écrite, charpentée, d’une part ; un entretien qui laisse l’interlocuteur approfondir sa pensée, d’autre part. D’un côté le regard qui perce, de l’autre le regard qui porte. Le choix délibéré et clair d’une totale absence de publicité. Tout cela pour permettre au lecteur de re-prendre son temps. Se poser mieux pour regarder les choses, les comprendre et vous proposer de scruter avec lenteur un monde qui voudrait nous faire croire qu’il va plus vite que le monde d’hier alors que l’on ne fait que regarder plus mal le monde d’aujourd’hui. La rédaction Directeur de la publication Xavier Delacroix Rédacteur en chef Patrick Blain Directeur artistique Laurent Villemont Comité éditorial Lucas Delattre Bernard Poulet Bernard Raudin-Dupac Ont collaboré à ce numéro : Pierre Ballester (dossier), Priscille Dépinay (illustration), DR et Julien Poupart/Sport Attitudes (photos enquête), Marc Chaumeil (photos entretien) Mise en page Iségoria Communication, www.isegoriacom.fr Gestion des ventes au numéro À Juste Titres Julien Tessier Tél. : 04 88 15 12 42 Service Abonnés Abopress 19, rue de l’Industrie - BP 90053 67402 Illkirch Cedex Tél. : 03 88 66 11 20 [email protected] Photogravure Le Sphinx 93100 Montreuil-sous-Bois Impression Les Presses de Bretagne 35577 Cesson-Sévigné Tél. : 02 99 26 55 00 www.pressesdebretagne.com via ECB Development 92100 Boulogne-Billancourt Tél. : 01 46 03 53 13 [email protected] Au Fait 28, rue du Faubourg-Poissonnière 75010 Paris www.au-fait.fr 01 42 46 97 57 [email protected] Au Fait est édité par BWC 38, rue des Mathurins 75008 Paris SAS au capital de 209 500 euros SIREN 753 995 737 RCS Paris Dépôt légal à parution. N° ISSN : 2267 - 0750 N° Commission paritaire : 0618 K 91846 Au Fait est imprimé sur un papier de création certifié FSC® fabriqué par Arjowiggins Creative Papers et distribué par Antalis (Conqueror Bamboo Natural White 300 g) et sur Munken Print White AU FAIT – F É V R I E R 2 0 1 4 Ce numéro comporte un encart abonnement de 2 pages dans les exemplaires destinés à la France métropolitaine RUGBY’ZNESS Que va faire le rugby français des 355 millions que Canal+ s’est engagé à lui verser pour cinq ans ? Se payer une campagne de communication pour continuer à mettre en avant ses « valeurs » ? À l’heure de la « big money », rien de ce que le deuxième sport national - en termes d’audience - dénonçait dans le football ne lui est plus épargné. Luttes de pouvoir, tentatives de putsch, rapports humains exécrables, OPA sur les joueurs, clubs surendettés, dopage... Cette plongée dans l’ovale qui serait passée sans transition du XIXe au XXIe siècle est aussi l’occasion de mettre en lumière la trajectoire personnelle de Serge Blanco, joueur emblématique devenu « gros pardessus » de premier plan. JEAN DE LEGGE Psycho-sociologue Les Français se défient toujours plus de l’échelon national et disent trouver dans leur ville une rassurante proximité. La question est posée : à quoi va ressembler demain notre organisation territoriale ? Pourquoi veut-on être de quelque part et qu’est-ce que cela signifie dans nos rapports aux élus locaux ? En quoi la révolution numérique modifie-t-elle la vision de la ville ? Jean de Legge a pendant plus de vingt ans ausculté ce rapport très particulier des Français avec leur territoire, devenu ce qu’il appelle le « laboratoire politique de la dépolitisation ». I SI SB BNN : : 9977 9 - 1 0 --9922990000- -0 05 0- 7- 2 L 16920 - 7 - F: 7,90 - RD