la pré-prostitution sur internet à Madagascar

Transcription

la pré-prostitution sur internet à Madagascar
La pré-prostitution
sur internet à Madagascar
Contexte socio culturel, facteurs personnels et risque
prostitutionnel à Madagascar : le cas de la pratique
pré-prostitutionnelle sur internet chez les mineurs
d’Antananarivo et de Nosy Be
Cette publication a été réalisée avec le soutien financier de l’Agence Française de
Développement, l’Union européenne, Australian Aid et AIRFRANCE. Le contenu de
cette publication relève de la seule responsabilité d’ECPAT France et ne reflète pas
nécessairement la position de ses bailleurs.
Equipe sociale d’ECPAT France Madagascar
Editeur : ECPAT France Madagascar
www.ecpat-france.org
SOMMAIRE
INTRODUCTION
Méthodologie et population d’étude
2
Développement des Présupposés
• Enfants, mineurs... des termes à préciser
• Prostitution enfantine et pratique pré-prostitutionnelle
• Facteurs indépendants et dépendants
5
Résultats
• Identité personnelle et familiale
• Scolarisation
• Situation familiale des personnes enquêtées
• Utilisation d’internet des mineurs interrogés
• Les personnes recherchées sur internet
• Les rencontres physiques
• Demandes des personnes et rapports sexuels
• Photos et vidéos
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DISCUSSION
• Représentation de la prostitution chez les jeunes
• La période de l’adolescence et les pairs
• Le cadre familial et le suivi des mineurs
• Familles défaillantes et démission parentale
• Société de consommation et hypersexualisation
• Image du corps, corps virtuel
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CONCLUSION
27
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22
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INTRODUCTION
« L’amour, les relations et le sexe en ligne sont des effets positifs
d’une communication virtuelle très évoluée entre les jeunes. Dans
une certaine mesure, il s’agit simplement d’une version moderne
des «petits jeux sexuels » innocents et axés sur la découverte.
Mais compte tenu de l’accessibilité, de la facilité d’utilisation et de
l’anonymat des nouvelles technologies, certains jeunes se sentiront
facilement attirés ou séduits par un comportement sexuel à risque
susceptible de déboucher sur du sexe payant, qu’il s’agisse d’un choix
délibéré ou non 1 ». Ainsi, il existe des mineurs, aussi jeunes que des
collégiens, qui ont des relations sexuelles avec contrepartie ; activités
non assimilées par ces derniers à de la prostitution, mais plutôt à de la
«débrouille » : le troc sexuel constituant un moyen rapide d’acquérir
certains biens 2. C’est ce qu’on appelle la pré-prostitution.
La question de la pré-prostitution, si elle est encore méconnue du
grand public et peu documentée, semble se développer aussi vite que
les réseaux de téléphonie mobile et d’internet et inquiète de plus en
plus le corps enseignants et les acteurs du social. Elle a été identifiée
dans les années 2000 en Europe et semble être déjà bien implantée
à Madagascar.
Dans le domaine de la protection de l’enfance, on parle, pour les
mineurs, de victimes car il est inconcevable que des enfants choisissent
sciemment la prostitution comme activité génératrice de revenus. Le
phénomène de la pré-prostitution est surprenant, incompréhensible
et le terme de victime pose souvent question. C’est dans ce contexte
qu’une étude sur les facteurs de risque et d’entrée dans la prostitution
1 Child Focus, Sur la corde raide, p.8
2 Rapport d’information, commission des lois constitutionnelles, de la législation et de L’administration générale de la république, en conclusion des
travaux d’une Mission d’information sur la prostitution en France, 2011
2
par internet prend tout son sens : étudier la démarche de ces jeunes,
analyser leurs pratiques afin de comprendre le phénomène et leur
redonner un statut de victime à part entière. Car la question reste
toujours la même : quels sont les facteurs qui motivent un nombre
croissant de jeunes filles mineures à entrer dans une pratique préprostitutionnelle par internet à Madagascar?
3
Méthodologie et population d’étude
La méthodologie détaillée de la collecte des données est présentée
dans l’article dédié à la méthodologie utilisée dans la recherche . En
résumé, l’analyse se base sur deux enquêtes menées simultanément
à Antananarivo et Nosy Be, et utilisant un même questionnaire mais
des enquêteurs différents.
Le questionnaire visant les mineurs victimes de pré-prostitution a
été soumis à 131 personnes âgées de 14 à 22 ans sur les deux sites
d’action d’ECPAT France : Antananarivo (37 personnes) et Nosy
Be (94 personnes). Parmi ces 131 personnes, 50 étaient majeures
au moment de l’enquête. Les personnes suivantes ont donc été
supprimées de la base de données :
• 19 ans : 19
• 20 ans : 18
• 21 ans : 13
Il reste, pour l’analyse qui suit 81 individus âgés de 14 à 18 ans. (65,9%
à Nosy Be : 34,1% à Tananarive).
L’étude des données a été faite après nettoyage de la base de données,
sur le logiciel Sphinx.
4
Développement des présupposés
Enfants, mineurs…des termes à préciser
Un enfant est défini par la Convention Internationale relative aux
Droits de l’Enfant (CIDE) comme « […] tout être humain âgé de
moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu
de la législation qui lui est applicable1 ». Le terme enfant englobe
donc la petite enfance, l’enfance et l’adolescence. A Madagascar, dans
le milieu de la protection des enfants en situation de prostitution, il
est préférable d’utiliser le terme de mineur car dans les mentalités,
l’enfant est un être pré-pubère ; l’adolescent étant déjà un mini adulte.
Or, s’il existe une forte adhésion sociale à lutter contre l’exploitation
sexuelle des enfants pour les enfants pré-pubères, la prostitution ou
le tourisme sexuel impliquant des adolescents, particulièrement des
jeunes filles ayant un corps de femme sont largement banalisés et
acceptés.
Prostitution enfantine et pratique pré-prostitutionnelle
La prostitution enfantine est définie comme l’utilisation d’une personne
de moins de 18 ans « pour des activités sexuelles, en échange d’une
rémunération ou de toute autre forme de rétribution2 ». C’est une
transaction commerciale au cours de laquelle l’enfant est soumis à la
disposition d’une tierce personne pour assouvir ses désirs sexuels.
La pré-prostitution pourrait être considérée comme une phase
d’introduction à une prostitution régulière, lors de laquelle le mineur
s’engage dans une pratique prostitutionnelle sans la nommer ni la
reconnaitre. La pré-prostitution est caractérisée par le fait que « la plupart
des jeunes ne reconnaissent pas ce troc sexuel comme de la prostitution
mais le considère comme une forme de « débrouille » momentanée et
1 Convention relative aux Droits de l’Enfant, Assemblée Générale des
Nations Unies, 20 novembre 1989.
2 Protocole facultatif à la Convention des Droits de l’Enfant, 2000.
5
sans conséquences. Or, ces pratiques ne sont pas sans risque et peuvent
mener insidieusement à la prostitution comme en attestent nombre
de prostituées adultes dont l’activité prostitutionnelle a débuté
alors qu’elles étaient mineures. Ces conduites pré-prostitutionnelles
constituent parfois le premier pas d’une spirale infernale dont il est
difficile de se dégager » (Josse, 2013).
Facteurs indépendants et dépendants
La prostitution des mineurs est multifactorielle, aucune règle ne peut
être dressée car dans la ‘liste’ des facteurs favorisants, chaque individu
possède un profil propre, provenant de sa personnalité, de son histoire
familiale, des rencontres et des liens tissés dans son environnement,
des expériences vécues, des ‘traumas’ endurés, du regard social porté
sur l’enfance, de la tolérance portée à la prostitution des mineurs…
Ces facteurs, qui diffèrent avec l’âge, sont de plusieurs ordres.Werner,
psychologue américaine, par exemple, en compte trois :
• les caractéristiques biologiques, psychologiques et socioaffectives de l’enfant (santé, tempérament, estime de soi, niveau de
développement).
• les caractéristiques de l’environnement familial, des parents,
des relations parents-enfants (discipline, soutien apporté, lien de
confiance…).
• les caractéristiques de l’environnement social (ressources
disponibles, soutien social…).
On parle aussi de facteurs indépendants et de facteurs dépendants.
Les facteurs indépendants regroupent tous les facteurs qui sont
externes à l’enfant, c’est-à-dire, son environnement social, les
pressions extérieures qui favorisent ou permettent la prostitution
enfantine alors que les facteurs dépendants sont ceux qui dépendent
de l’histoire de l’enfant.
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Résultats
Identité personnelle et familiale
L’échantillon de 81 mineures est composé de 67 jeunes filles et 14
garçons, âgés de 14 à 18 ans inclus. L’âge moyen de l’échantillon est
de 16,7 ans.
Une seule mineure a déclaré être mariée, certainement de manière
traditionnelle puisqu’elle avait 17 ans. Les autres sont célibataires et
pour la plupart sans enfant (98,8%). 6% des jeunes filles a déclaré
être ou avoir déjà été enceinte. Une seule sur quatre ayant déclaré
avoir d’enfant, les autres étaient peut-être enceintes lors de l’enquête
mais le questionnaire n’a pas permis de vérifier cette hypothèse.
Alternativement, il est possible que ces grossesses se soient soldées
par une fausse-couche ou un avortement, mais que les enquêtées
aient préféré ne pas s’exprimer à ce propos.
56,8% des mineurs vivaient dans leur famille nucléaire, contre 11,1%
dans une famille recomposée, 23,4% dans une famille composée
que d’un adulte (séparée, monoparentale) et 8,6% sans parents. La
taille des familles était de 4,5 personnes en moyenne (entre 1 et 8
personnes), avec en moyenne 3,38 enfants par famille (entre 1 et 9).
Les réponses données concernant le travail exercé par les parents ou
tuteurs ne permettent pas une analyse pertinente et aucune tendance
spécifique n’a pu être relevée. Par contre, contrairement aux autres
études menées par ECPAT1, l’analyse des réponses concernant les
personnes ressources et celles en charge des dépenses familiales est
intéressante. Dans cette étude-ci, seuls 2,5% des mineurs interrogés
ont déclaré être la personne ressource et celle qui gère les dépenses.
Les parents, pour la majeure partie, assumaient leurs responsabilités.
Les pères en tant que personnes ressources (65,4%), les mères
(69,1%), comme personnes en charge des dépenses.A titre d’exemple,
1 Ex article profil jeune + étude prostitution Tananarive
7
les jeunes victimes de prostitution par internet interrogées par
ECPAT étaient bien plus impliquées dans l’apport de ressources à la
maison (35,3%).
Les problèmes rencontrés par ces mineurs dans le cadre familial sont
nombreux. Tout comme les jeunes attestant recourir à la prostitution
par internet, l’argent reste le problème principal (32,1%, contre 53,3%
chez les victimes). Les mineurs ont également mentionné les conflits
avec les parents ou beaux-parents (17,7%), la cohésion familiale
défaillante (7,4%), leurs sorties et comportements à la maison (3,7%),
les tâches ménagères (3,7%). Malgré ces difficultés, la perception des
jeunes concernant leur cadre familial reste bonne (71,6%).
Scolarisation
Tous les jeunes de l’échantillon étaient scolarisés, ce qui est normal
puisque l’enquête s’est déroulée dans des établissements publiques
et privés d’Antananarivo et de Nosy Be. 66,7% d’entre eux étaient au
lycée, 32,1% au collège. 74,1% des mineurs disaient être motivés par
leurs études.
8
Situation familiale des personnes enquêtées
Afin de connaître le profil des jeunes en situation de pré-prostitution,
il était nécessaire de connaître certains aspects de leur vie, notamment
leur mode de vie au sein de leur communauté paire, leurs envies,
leurs utilisation des nouvelles technologies, penchant pour la mode,
leur vie amicale et affective. Ainsi, 98,8% des mineurs déclarent avoir
des amis qu’ils ont rencontré à l’école (71,6%) ou dans leur quartier
(37,0%). 4,9% d’entre eux mentionnent un ami d’enfance, 2,5% des
amis rencontrés sur internet et 1 jeune évoque un(e) ami(e) dans la
prostitution.
Les relations amicales étaient très bonnes (4,9%) ou bonnes (92,6%),
parfois mauvaise (2,5%), et les jeunes communiquaient régulièrement
entre eux. Les moyens qu’ils utilisent étaient variés et intéressants
à examiner : les jeunes mentionnaient en premier lieu le téléphone
comme moyen de communication. Internet arrive en second choix,
avec plus de la moitié des jeunes qui utilisaient Facebook. Les relations
directes ne concernaient que 22,2% des réponses, ce qui est peu
quand on sait que 71,6% des jeunes se voyaient à l’école.
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Les jeunes, dès le collège, sortent ; ils ont déclaré se rendre notamment
à des concerts (87,7%) et fréquenter les karaokés (79,0%). Ces
divertissements se font essentiellement entre amis (84%), parfois avec
un membre de la famille (12,3%) ou leur copain(ine) (7,4%). Il reste à
noter que 6.1% d’entre eux sortent au karaoké seul(e)s ou dès qu’ils
sont invités. Cela en fait des jeunes potentiellement à risques.
La mode tient une place spéciale chez les jeunes. Dans cette étude,
75,3% des répondants s’habillaient de manière sexy ou avec des
vêtements qui décrirait ce style (montrer ses formes’, ‘mini-jupe’ par
exemple). 24,7% suivaient la ‘tendance actuelle’ alors que seulement
12,3% déclaraient avoir un style ‘classique’. Quand la question de la
tendance vestimentaire est posée plus directement, 70,4% des mineurs
déclaraient la suivre, 3,7% aimeraient être à la mode mais avaient un
pouvoir d’achat limité et 22,2% ne la suivaient pas ou rarement.
Utilisation d’internet des mineurs interrogés
Les jeunes avaient tous accès aux nouvelles technologies. 92,6%
déclaraient avoir un téléphone portable et parmi ces jeunes, 93,3%
avaient accès à internet de leur téléphone.
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L’utilisation d’internet était commune à tous les jeunes depuis qu’ils
ont, en moyenne, 15,07 ans, l’âge le plus jeune pour débuter étant 11
ans.
Les motifs d’utilisation d’internet étaient nombreux. Facebook (46%)
venait en tête mais les résultats ne donnaient pas d’indication sur ce
qu’y faisaient les mineurs. Par contre, on apprend grâce aux autres
réponses que les jeunes utilisaient internet pour communiquer
(30,9%), principalement avec leurs amis (72%) ou utiliser des
applications permettant la communication téléphonique ou de chat
(Skype, Whatsapp, Viber, Messenger). Une partie d’entre eux (17,3%)
a reconnu s’y rendre pour faire des rencontres : des amis, des petits
amis, des étrangers. Et le reste de l’échantillon énonçait se connecter
pour suivre les nouveautés, dont la mode et autres divertissements.
Les jeunes avaient accès à internet dans des cybers (48,1%), à la
maison (46,9%), à l’école (12,3%). 22,2% des mineurs utilisaient leur
téléphone. Ajouté aux 14,8% de jeunes qui déclaraient y avoir accès
n’importe où, cela fait 37,0% de l’échantillon qui peut se connecter
n’importe quand et n’importe où.
Les sites les plus utilisés par l’échantillon étaient les sites généraux,
tels que Facebook (58,0%), les moteurs de recherches (37%), tels que
Google et Yahoo, les applications et les sites de discussions (13,6%)
et enfin les sites de rencontre (8,9%). Les mineurs effectuaient
leurs rencontres à travers plusieurs sites : des sites qui publient des
petites annonces, des sites de rencontres généraux, tels que Badoo,
jerencontre.com ou Eurochallenge) et des sites spécifiquement dédiés
aux jeunes (RencontreAdo).
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Il est intéressant de noter que les sites de rencontre pour les
adolescents s’adresse à des jeunes de 13 à 25 ans, donc mêlent
mineurs et majeurs. Ils sont gratuits et ventent une inscription
rapide qui permet d’accéder à toutes les options du site sans aucune
restriction. Cela signifie qu’avec une simple inscription, le mineur peut
posséder une messagerie privée, un forum, des chats et un système
de recherche performant « permettant de trouver l’amour ou
simplement de se faire des amis ».
Le cas de Facebook mérite une attention particulière car 98,8% des
jeunes l’utilisaient et seuls 33 jeunes allaient sur d’autres sites que
Facebook pour communiquer. Ces derniers utilisaient leurs emails
(24,2%), Skype (24,2%) ou des chats (18,2%).
Tous les sites de communication possèdent des paramètres de
confidentialité permettant d’accepter les personnes extérieures à
avoir accès à nos données, et à entrer en contact directement avec
nous. Seuls 30,9% des jeunes disaient savoir gérer les paramètres de
confidentialité. Il faut également souligner que, par exemple, 84% des
jeunes utilisaient Facebook sans aucun contrôle parental.
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Les personnes recherchées sur internet
Après ces questions d’ordre général, les enquêtés ont accepté de
répondre à des questions plus personnelles. 63% d’entre eux ont
admis rechercher des petits amis grâce au net. Pour ce faire, les 74
mineurs qui ont répondu à la question, utilisent des sites ou des
applications, tels que Facebook (58,1%), Gmail (6,8%) ou Skype (6,8%)
mais également des sites de rencontre (21,6%). Plus de dix sites de
rencontre ont été listés, sans qu’aucun ne soit réellement privilégié
par les jeunes.
Les critères posés pour la recherche sont multiples. On retrouve le
critère de l’âge (22,4%), la possession d’argent (11,5), la nationalité
(15,3% dont 67,9% des Vazahas), ainsi que des critères physiques
(9,8%) et de personnalité (4,4%). Certains jeunes n’avaient pas de
critères préétablis (11,5%) et d’autres acceptaient tout (2,2%). Il reste
à noter que deux jeunes étaient à la recherche d’une star, d’un artiste.
Les rencontres physiques
75,3% des mineurs rencontraient physiquement les personnes avec
qui ils étaient virtuellement entrés en contact. Parmi les personnes
qui ont répondu positivement, 13,1% ont répondu oui sous conditions
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(sans les préciser) et 6,6% ont précisé seulement quand les personnes
les intéressent. Ces rencontres avaient lieu dans divers endroits qu’on
a classés en endroits publics fermés (48%), tels que les restaurants, les
bars, les boites de nuit, en lieux publics ouverts (15%), tels que la rue,
l’école, la plage et les lieux privés (25%), tels que les chambres d’hôtel,
les maisons personnelles des mineurs ou des personnes rencontrées.
42% des jeunes ont déclaré avoir été trompé sur le profil de la
personne rencontrée virtuellement lors de la rencontre physique. Et
27,2% ont évoqué le fait que le mensonge portait sur l’âge (12,3%
n’ont pas répondu à la question).
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Demandes des personnes et rapports sexuels
Les demandes étaient majoritairement des photos (39,5%), qui
sont couplées dans 85,6% des cas d’une rencontre et dans 72,4%
des cas d’un rapport sexuel avec contrepartie. Les autres réponses
concernaient soit le mode de relation, soit des informations sur le
mineur.
Les mineurs n’ont pas spontanément commenté leurs réponses aux
demandes de rapport sexuel (6%). Pourtant lorsque la question leur a
été franchement posée, aucun des jeunes n’a répondu négativement.
1 des jeunes (1,2%) a répondu que c’était un secret, 6 n’ont pas désiré
répondre (7,4%). 55,6% ont répondu positivement et tous les autres
(35,8%) ont dit « pas encore », ce qui laisse sous-entendre que cela n’a
pas encore eu lieu mais que le passage à l’acte est envisagé. Pourtant,
tous ces jeunes ont dit accepter de rencontrer physiquement leurs
interlocuteurs et 31% d’entre eux d’échanger des photos.
La question de la contrepartie lors de l’échange sexuel a été
posée de deux manières différentes. Tout d’abord, il a été demandé
15
aux mineurs s’ils recevaient une contrepartie en échange d’un rapport
sexuel suite à un contact virtuel. Cette question nous permettait de
savoir si le mineur était en situation de prostitution et le regard qu’il
pose sur sa pratique. Puis, un peu plus tard dans le questionnaire, il
leur était demandé s’ils leur arrivaient d’avoir des rapports sexuels
sans contrepartie, et dans quel cas.
A la première question, 49 mineurs ont répondu, soit 60,5% de
l’échantillon total. 86% d’entre eux ont admis recevoir quelque chose
de la part de la personne avec qui ils ont eu un rapport sexuel. La
nature de l’échange varie d’un jeune à l’autre. 13 réponses différentes
ont été données, qu’on a regroupées comme suit :
16
A la seconde question, seuls 47 jeunes ont répondu à la question, soit
58,0% de l’échantillon. 61,7% d’entre eux ont admis ne pas avoir de
rapports sexuels sans contrepartie. 12,8% ont répondu positivement,
19,1% ont répondu positivement avec comme condition que la
personne leur plaise. Un des jeunes a précisé que le rapport était
gratuit avec son petit ami, un autre avec des clients fixes et un dernier
a mentionné ‘s’il y a compromis’. Les relations et liens noués entre les
mineurs interrogés et leurs interlocuteurs virtuels sont complexes.
Eux-mêmes utilisent différents termes pour qualifier leurs relations :
Les termes sont bien sur traduits du malgache, exceptés les deux
mots, « takalo » et « mirevy », qui étaient laissés tel quels dans la base
de données. Cette profusion de dénomination démontre, d’une part,
l’énorme variété de mots dont le malgache dispose pour décrire des
actes qui s’apparentent de près ou de loin à la prostitution et d’autre
part la difficulté à différencier ces termes, en tout cas en langue
française qui possède une vision assez linéaire du phénomène.
Les jeunes considéraient avant tout leurs relations comme de l’échange
17
(41,9%) ; l’échange de quelque chose – argent ou objet – contre une
photo, un rapport sexuel ou autres pratiques sexuelles. Les autres les
nomment ‘relations’ (18,6%) qui a parfois été précisé sous ces termes
‘relation entre deux personnes’ ou ‘relation personnelle’. 11,6% des
jeunes ont utilisé un terme lié à la prostitution (‘prostitution’, ‘client’)
mais dans ce sous-groupe, un seul jeune a clairement mentionné le
mot « prostitution ». Les autres ont parlé de ‘clients fixes’. Pour tous
les autres mineurs, leurs pratiques sexuelles s’apparentent plus à
quelque chose d’indescriptible (9,3%), de la frime, de l’infidélité ou de
la drague (2,3%). 1 jeune a décrit sa pratique avec le terme ‘amour’.
Photos et vidéos
Photos et vidéos circulent largement sur internet.Avec les téléphones
portables et la 3G, il est maintenant de plus en plus facile de prendre
de photos de tout, n’importe où et n’importe quand. Les chiffres
sont parlants : 87,7% des jeunes envoient des photos d’eux par
internet. Une partie d’entre eux (65,7%), échangent ces images avec
leurs amis, ou avec une autre personne qu’ils connaissaient (mais
depuis combien de temps ?), mais pas tous. 21,4% ont déclaré ne pas
connaitre nécessairement la personne d’envoi et 12,9% disent ne pas
la connaître.
33,3% des jeunes qui envoient des photos par internet admettent
envoyer des photos d’eux en sous-vêtement. 29,2% d’entre eux ne
connaissent pas forcément la personne qui réceptionne la photo et
16,7% ont déjà été victimes de chantage suite à l’envoi de leurs photos.
La demande permettant de faire cesser le chantage était de l’argent,
un rapport sexuel ou de montrer la photo au petit ami de la mineure.
Enfin, 3,7% des jeunes ont admis avoir eu des rapports sexuels filmés.
18
Discussion
Selon Evelyne Josse, psychologue belge, qui s’est penchée sur la
question de la pré-prostitution, le phénomène implique des jeunes,
filles et garçons, qui « vendent leur corps de diverses manières à
des adolescents qu’ils fréquentent ou à des hommes racolés dans
des lieux de sortie ou sur Internet. Ils monnayent des photographies
de leurs zones érogènes ainsi que des vidéos de stripteases ou
de masturbations, réalisées le plus souvent avec leur téléphone
portable ou leur ordinateur. Ils tarifient également des baisers, des
attouchements, des fellations, voire des rapports sexuels1 ». Elle
indique que ce phénomène est apparu dans le monde occidental au
début des années 2000. Depuis, il n’a cessé de se développer et il est
aisé de croire qu’il touche maintenant la plus grande partie du monde,
dont Madagascar.
Représentation de la prostitution chez les jeunes
Les études menées sur la prostitution des mineurs montrent que
même si les jeunes des milieux socio-économiques défavorisés
sont plus à risque, ce phénomène touche toutes les couches de la
société. Certains jeunes s’engagent dans la prostitution pour des
raisons diverses mais une partie d’entre eux ne reconnaissent pas
leur pratique comme telle car leur vision de la ‘prostituée’ est très
stéréotypée, liée à la prostitution de survie.
Les représentations des jeunes vis-à-vis de la prostitution sont très
ancrées socialement et culturellement. Les malgaches mineurs et
majeurs perçoivent avant tout la prostitution comme une pratique
de survie qui répond à des codes ou des stéréotypes précis, tels
qu’être ‘sur le trottoir’, la pauvreté, un code vestimentaire particulier,
des quartiers d’Antananarivo ou de Nosy Be déterminés, etc. Un
des indicateurs flagrant sont les termes utilisés pour décrire la
prostitution et « (…) celles qui s’y livrent, communément appelées «
1 Josse, 2013
19
mpivaro-tena » - « qui vendent leur corps » ou « mpampanofa-tena »
- « qui mettent leur corps en location2 » . Elles ont la réputation d’être
des filles faciles, ouvertes à toute proposition, désignées par le mot
« oui » (comme acceptant n’importe quelle suggestion), insensibles
physiquement et moralement, car pouvant tout supporter « tsy vaky
atonta » - « qui ne se casse pas en tombant ». Vulgairement, elles
sont également appelées « daba lôka ou sipa gôka » - « récipient ou
femme trouée3 ».
Cette description ne correspond absolument pas à la vision que les
mineurs de cette étude ont de leurs pratiques sur internet, qu’ils
nomment « échanges », « takalo » ou « mirevy ». Ce dernier terme,
qui signifie frime et qui rappelle le mot français « rêve » indique, selon
une étude menée par Groupe Développement en 2012 que « les
jeunes qui l’utilisent se projettent dans un univers utopique et aspirent
à une approche plus moderne et à la mode du loisir, se référant donc
à des éléments mercantiles et ostentatoires. Souvent utilisé comme
décrivant un plaisir (sexuel ou alcoolique) dans le langage populaire, il
rappelle un certain comportement ou état d’âme des jeunes à suivre
absolument s’ils veulent se montrer jeunes4 » . En s’appropriant
cette valeur, les jeunes filles se donneraient alors tous les moyens
nécessaires pour accéder à « une situation hors du réel, imaginaire,
utopique mais qui, du fait de l’utilisation du mot en français même, a
trait à un mode de vie étranger, occidental qui revêt le paradigme de
la modernité (…), basé sur un mode de vie glamour (…)»5 .
Ainsi, ces mineurs en situation de prostitution par internet ne se
définissent pas comme tels car ils ne s’identifient pas avec les femmes
ou les hommes qui ‘font le trottoir’, en partie parce que leur mode
de vie ne s’assimile pas à celui des populations des quartiers les plus
défavorisés, parce qu’ils sont encore scolarisés, qu’ils n’appartiennent
pas aux familles les plus déstructurées, les plus maltraitantes, etc. Leur
pratique sur le net, qui reste néanmoins de la prostitution, leur paraît
2
3
4
5
Razafimandimby, 2012
Razafimandimby, 2012
Razafimandimby, 2012
Razafimandimby, 2012
20
‘normale’, ‘de leur temps’ puisqu’elle est vécue et partagée avec leurs
pairs.
La période de l’adolescence et les pairs
Parmi les éléments susceptibles d’entrer en jeu dans les conduites
à risques, est la capacité des mineurs à résister ou au contraire à se
laisser influencer par son entourage, ses ‘pairs’. « La construction de sa
propre identité va de pair avec un remaniement de la perception que le
jeune a du monde. Le jeune s’affranchit sans le vouloir nécessairement
des références parentales pour adopter fréquemment ceux de la
‘bande’ avant d’avoir son propre référentiel lié à des expériences de vie
singulière6 » . L’influence des pairs mène les jeunes, comme le démontre
cette étude à s’habiller à la mode, ‘suivre les dernières tendances’, à
être ‘accros’ à leur téléphone, à être connectés à internet pour y
communiquer et y rencontrer de nouveaux ‘amis’. Elle peut également
mener, parfois, à la prise de comportements à risque. Les attitudes
pré-prostitutionnelles, particulièrement celles sur internet pourraient
possiblement être expliquées par cette pression non consciente des
pairs. Les jeunes attirés par les biens de consommation, la technologie,
la mode vont s’intégrer à des groupes de jeunes partageant ces mêmes
intérêts et vont peu à peu adopter des comportements similaires
pour acquérir ces objets. « Leur modèle de confluence fait ainsi
référence au processus de facilitation selon lequel les caractéristiques
individuelles des jeunes sont les plus grandes prédicatrices du
développement de comportements antisociaux. (…) Selon ce modèle,
les relations sociales ne peuvent expliquer à elles seules l’apparition de
problématiques comportementales mais peuvent par contre faciliter
leur amplification en plaçant les jeunes dans des situations fréquentes
d’influence négative et d’encouragements aux comportements
déviants7. En matière de sexualité, les amis peuvent également servir
de modèles et d’agents facilitants. Ils peuvent procurer des conseils
et une marche à suivre, offrir leur approbation et donner accès à des
contextes où les relations sexuelles peuvent être initiées. Parce que
les adolescents démontrent un niveau de conformité particulièrement
6 Leclère, 2007
7 Dumoulin-Charrette, 2007
21
élevé à l’influence de leurs pairs, les normes véhiculées dans leur
groupe d’amis influenceront considérablement leurs choix sexuels.
C’est ainsi que certains jeunes peuvent être menés à accepter sur
Facebook des ‘amis’ dont l’identité leur est inconnue ou bien même
à avoir des relations sexuelles en échange de téléphones portables,
d’habits à la mode, voir même en contrepartie d’une soirée offerte,
passée au karaoké.
Le cadre familial et le suivi des mineurs
Il semble que le phénomène d’influence négative ou d’influence par
les pairs soit limité dans les familles où les parents sont impliqués dans
l’éducation de leurs enfants. Ceux dont les parents imposent des règles
claires et posent un jugement sur leurs amitiés ont moins tendance
à choisir d’adopter des comportements sexuels à risque que ceux
dont les parents adoptent des pratiques parentales déficitaires8. Dans
cette étude, on a noté que 85,2% des parents ne contrôlent pas les
activités de leurs enfants sur internet. Que ce soit par la mise en place
de logiciels de surveillance, de règles et cadre d’utilisation d’internet
ou de discussions avec leurs enfants. Pourtant le contrôle parental
permet de réduire les risques car les mineurs évaluent souvent mal la
portée de leurs comportements sur internet.
Familles défaillantes et démission parentale
La question de la famille comme facteur de prostitution a largement
été documentée. Dans un contexte de prostitution de survie,
Ausloos (2004) explique que les conséquences des défaillances
parentales entraînent un processus d’autonomisation forcée qui peut
être préjudiciable pour l’adolescent. Ainsi, dans les familles où les
maltraitances et/ou négligences sont le lot quotidien, « l’enfant en
arrivera vite à penser qu’il peut aussi bien se passer de ses parents,
qu’il a le droit de décider pour lui-même de ses actions, que ses
parents n’ont pas à lui imposer des règles ou à le contrôler ». On
trouve là un terrain favorable à une série de comportements déviants,
quand ce n’est pas l’entourage direct du jeune qui encourage l’entrée
dans la prostitution.
8 Boislard, 2010
22
Les jeunes dont il est question dans cette étude ne sont pas
nécessairement issus de familles déstructurées et ne sont pas
ressorties d’informations sur d’éventuelles maltraitances subies.
43,2% des jeunes vivent dans des familles monoparentales, séparées
ou recomposées mais 70,6% d’entre eux considèrent positivement
leurs relations familiales.
Société de consommation et hypersexualisation
Malgré l’extrême pauvreté de Madagascar, la mondialisation n’a
pas empêché le développement d’une société de consommation à
outrance qui touche toutes les classes de la société. Bien entendu,
les classes les plus aisées, peu nombreuses mais extrêmement riches
bénéficient, en plus des biens de consommation, de services qui leur
donnent accès au savoir et à la culture ainsi qu’à l’amélioration de leurs
conditions de vie. Les populations les plus vulnérables n’ont, quant à
elles, accès qu’à une prolifération de biens de consommation, souvent
de mauvaise qualité. Elles ont ainsi l’illusion d’être partie intégrante
de la société. « (…) Les objets sont aujourd’hui des marqueurs
identitaires en tant qu’ils sont des vecteurs d’existence. Les objets sont
devenus les garants de la forme particulière d’identité que l’humain
de ce monde nouveau doit se donner à lui-même : une identité
radicalement autonome, c’est-à-dire hors de toute appartenance. Ils
sont aujourd’hui chargés de montrer d’existence de leur porteur.
Il y a aujourd’hui, entre l’objet et son porteur, une intimité de type
organique, un rapport de continuité»1. L’accumulation des biens de
consommation devient ainsi un passeport illusoire pour le bonheur,
qui va mécaniquement frustrer ceux qui n’ont pas accès pleinement
à cette consommation et qui va générer des pratiques délinquantes
ou déviantes, pour pouvoir acheter à tout prix et avoir accès au rêve
consumériste, synonyme de réussite. Ainsi, être propriétaire d’objets
est synonyme de réussite personnelle et sociale. Montrer que l’on
possède est devenu essentiel. La marchandisation (tout s’achète et
tout se vend) du monde fait oublier l’humain au profit du plaisir que
procure l’acte de consommer et les échelles de valeur traditionnelles
ont éclaté sous la pression de l’individualisme ambiant.
1 Gaillard, 2007
23
En parallèle à cette surconsommation, se développe, depuis le début
des années 2000 le concept d’hypersexualisation de la société, un
phénomène qui décrit la surenchère de la sexualité qui envahit tous
les aspects du quotidien avec notamment des références à la sexualité
omniprésentes dans l’espace public : à la télévision, à la radio, sur
Internet, dans les objets achetés, les attitudes et comportements des
pairs1. La société impose ainsi, et ce, dès le plus jeune âge, des modèles
comportementaux différents selon les sexes, modèles exploités au
maximum pour vendre et faire de l’argent. Ainsi, les femmes qui ont
souvent une apparence très jeune sont « utilisées pour leur apparence
physique. Très peu vêtues, elles sont souvent représentées dans des
postures passives, sexuellement explicites ou encore de soumission.
Cette représentation de la femme comme objet de beauté et de
jouissance est ainsi utilisée pour vendre des films, des chansons,
des vidéoclips, des livres, des magazines, des produits de beauté, des
produits nettoyants, des parfums, (…), des voitures, etc.2
Cette ambiance visuelle et sonore a tendance à provoquer, selon
Lucie Poirier et Joane Garon du Centre d’Aide et de Lutte contre les
Agressions à Caractère Sexuel, une sexualisation précoce des enfants,
qui développent alors des attitudes et des comportements sexués
ne correspondant pas à leur stade de développement psychologique
et sexuel. Les mineurs étant dans une période de construction de
leur identité, ils sont particulièrement touchés par le phénomène de
l’hypersexualisation. « À un âge où les jeunes se questionnent sur leur
apparence, leur orientation sexuelle, leur sexualité, ils deviennent alors
plus sensibles aux modèles que leur offre le monde des adultes. Or ce
monde les incite à jouer la carte de la sexualité pour se valoriser et
obtenir du pouvoir3 » . Cette mise en exergue de l’apparence physique
et de la séduction comme mode de rapport à l’autre comportent des
risques pour les jeunes, qu’ils soient de sexe féminin ou masculin. Les
filles deviendraient vulnérables à une formation identitaire centrée
sur l’image et à l’acquisition d’un savoir-faire sexuel précoce dans le
1 Poirier, Garon, 2009
2 Poirier, Garon, 2009
3 Poirier, Garon, 2009
24
cadre des rapports hommes-femmes4, ce qui favoriserait des conduites
déviantes. Selon une recherche faite aux Etats Unis5, les jeunes filles
pourraient participer à certaines pratiques sexuelles, non pas parce
qu’elles le désirent réellement, mais pour répondre aux demandes
des autres, pour être acceptées ou être dans la norme6. Marie-Hélène
Gagné de l’Université de Laval l’exprime en ces mots : « À l’ère où l’on
trouve tout le matériel pornographique imaginable, et plus encore dans
Internet, où les modèles d’identification fournis aux filles ressemblent
à des Barbie habillées au sex-shop et où les magazines destinés aux
adolescentes les « éduquent » à amener leur petit ami au septième
ciel, on ne devrait pas s’étonner de la vulnérabilité des adolescentes
en matière de sexualité.[…] Désirant avant tout plaire et être aimées,
très préoccupées par les fantaisies et les exigences sexuelles de leurs
[petits amis], elles en oublient leurs propres besoins, désirs et limites».
Ainsi, à peine initiées à la vie sexuelle, les filles se forgent déjà une
idée de la sexualité, de l’amour centrés sur la consommation7 et de
la culture du « tout, tout de suite ». Dans une société où le corps est
banalisé, instrumentalisé, les injonctions médiatiques et commerciales
promouvant à l’infini des pratiques sexuelles marchandes seraient
autant de facteurs de risque de glissement dans la prostitution. Le
corps serait devenu un instrument permettant de se procurer des
biens matériels sans que cela ne dérange, ni le jeune, ni sa famille, ni
la communauté.
Image du corps, corps virtuel
Le corps prend donc de l’importance, particulièrement chez les jeunes
filles qui portent une attention démesurée à leur image, à la beauté. La
banalisation médiatique de la sexualité, la complaisance des télé-réalités,
même à Madagascar, la mode vestimentaire provocante qu’on leur
propose, l’engouement culturel pour la chanson (karaoké), notamment
par les stars des clips auxquelles les filles s’identifient, (…) tout concourt
à rendre les filles soucieuses dès le plus jeune âge de leur apparence et
de la séduction qu’elles opèrent. Un problème téléguidé par les médias,
4
5
6
7
Bouchard, 2007
Impett, Schooler, Tolman, 2007
Poirier, Garon, 2009
Comité aviseur, 2007
25
la publicité, la société de consommation qui risque de devenir important
si on ne prend pas les moyens de freiner son expansion8.
Aujourd’hui, en 2016, les jeunes ont de plus en plus, une identité réelle,
accompagnée d’une identité virtuelle. « Il y a l’être au monde, avec le
poids du corps, le poids du regard de l’autre, celui de la naissance, de
notre appartenance à des codes choisis ou subis, l’épaisseur mécanique
de notre mouvement au sein de ce monde. Et il y a les images de
nous sur la toile, contrôlées ou non, les informations, les discussions
auxquelles nous participons avec des gens que nous n’avons jamais
vus, les Meetic, Tinder, Twitter, Pinterest, Facebook… ». Cette vie
virtuelle peut être riche, originale, intense, permettre ce que le corps
réel n’ose pas faire. Cette deuxième identité permet une multitude
de représentation de soi, « une infinie déformation de soi, une infinie
société du spectacle immédiat, et une irrévocable, dans le pire des cas,
perte de soi. (…) Les enfants d’aujourd’hui sont des digital natives.
Ils sont nés dans ces technologies, le concept de leur existence et de
leur identité n’existe pas sans elles. (…) [Leur] véritable identité est
sur internet et non dans la vie réelle, donc le corps réel est moins
important »9. C’est ainsi que ce corps, en même temps sexualisé et
banalisé peut devenir un outil pour satisfaire ses ‘caprices’.
8 Comité aviseur, 2007
9 Berest, 2014
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Conclusion
« La liberté sexuelle, la désintrication de la sexualité et de l’amour,
la banalisation de la pornographie, la marchandisation du sexe, la
popularisation de l’internet, la défaillance de la protection assurée
par l’entourage parental sont quelques-uns des facteurs favorisant le
passage à l’acte prostitutionnel sur internet »1.
Les nouvelles technologies de l’information et de la communication
font maintenant partie de l’univers des jeunes. Il n’est donc pas
surprenant qu’ils explorent la sexualité dans le monde virtuel et cette
expérience, peut être en soi un nouveau comportement d’adolescent
du XXIème siècle. L’amour, les relations affectives et le sexe en ligne
sont dans la suite logique de la création d’identités virtuelles et de
correspondances en ligne entre les jeunes qui retrouvent ainsi leurs
pairs. Car Internet, c’est une autre façon de tisser des liens avec une
identité virtuelle créée, montée de toute pièce par ces jeunes.
Mais étant donné l’accessibilité et l’anonymat de l’internet, le manque
de contrôle parental, il existe également des conséquences négatives
mal appréhendées par les jeunes qui n’ont pas été éduqués à
l’utilisation d’internet et qui n’y reconnaissent pas toujours les risques
encourus. Les forums, les chats, les réseaux sociaux, lieux de cyberdrague peuvent leur faire croiser des camarades de leur âge qui ne
sont pas forcément des princes/ses charmant(s) mais aussi attirer les
prédateurs sexuels.
Enfin, ce monde virtuel, ou tout paraît accessible et facile, lieu de rêve
et de fantasme ; mêlé à une société qui entretient la surconsommation
chez les jeunes et qui valorise une sexualité débridée les place face à
un autre danger, celui de la prostitution.Tous les jeunes interrogés dans
cette étude avaient clairement, au moment de l’enquête, des pratiques
prostitutionnelles même si eux ne le percevaient pas de cette manière.
1 Evelyne Josse
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Si on considère que les facteurs de risque pré-prostitutionnel (…)
ne mèneront pas systématiquement à une situation de prostitution
régulière, mais qu’ils se retrouveront systématiquement présents
au regard du parcours des personnes prostituées, majeurs comme
mineurs 2, on peut donc se demander, pour conclure, quels sont les
facteurs de risque et de protection qui permettent aux jeunes en
situation de pré-prostitution, tels que décrits plus haut d’abandonner
cette pratique ou au contraire de la poursuivre.
2 O’deye, Joseph, 2006
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