la gazette cournot - ACDD - Augustin Cournot Doctoral Days
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LA GAZETTE COURNOT Numéro 48 : Novembre 2009 ISSN 1760-6462 Méthodes et techniques du XXIe siècle L'État, la Science Il faut investir, toujours plus, dans la science, parce que la science est salvatrice des PIB décroissants. Elle permet de maintenir l'illusion d'un progrès qui a pourtant cessé d'être un leitmotiv social pour beaucoup d'entre nous. Investir dans la science, pour sauver la planète, notre âme et celle du voisin. Faire des programmes dans un bureau pour que des gens qui n'ont jamais manipulé une pipette ou publié un article puissent avoir le sentiment de la mission accomplie. En pourcentage du PIB, tiens. Est-ce une coïncidence que tant l'Église du XVIe siècle que la Science en ce début de XXIe se fasse critique des Érasme de ce monde et de leurs éloges de la Folie? La Science, institution (religieuse?) qui nous fait croire qu'on trouve alors qu'on ne fait que chercher sans cesse. La théorie de la gravité est-elle vraie? Bien sûr, chercher. Chercher un bêta qui est vrai alors qu'on sait que la mathématique n'a aucune prétention à dire que le monde est 1 ou 0 sinon à l'intérieur de ses propres frontières. La mathématique n'est pas la science du nombre. Elle est, dans une certaine mesure, "hors du monde". Quel amalgame avons-nous créé? Quelle monstrueuse invention se targue de faire dire aux chiffres ce que l'Homme seul peut exprimer, par sa poésie, sa prose et sa magie? Penser le réel en petites rationalités médiocres et en venir à des modèles incroyables de prédiction d'un réel, qui ne disent rien hors de ce qu'on veut entendre, mais qui ont, au moins, l'avantage d'être beaux, et simples. Ah, comme Popper a neigé sur ces esprits technicistes... Mais depuis quand la beauté est-elle chose simple, mesdames, messieurs? Le plus navrant est d'avoir perdu ces notions d'esthétique, de morale ; de philosophie. Le Ph.D., philosophiæ doctor... on devrait avoir franchement honte d'attribuer ainsi des titres de philosophie à des hordes d'idempensants. Avoir la peste : être fou, ce sont des états qui cadrent mal avec la vision optimale du monde. Des paradigmes qui n'ont plus la cote. Balayer l'éther, le christianisme et la chance, d'un grand coup de balai microinformatique. Go Stata Go! Pire qu'un supporter de foot ; du moins, aussi irrationnel. N'y a-t-il pas vertu à écrire n'importe quoi, à chercher n'importe quoi, à soutenir n'importe quoi. Comme s'il importait qu'importe quelque chose pour que l'on cesse d'avoir la flemme de se lever, de se poser entre la chaise et l'écran, et d'écrire encore des inepties pour se convaincre que ce que l'on fait est du moindre intérêt pour quiconque à l'extérieur de limites socioculturelles bien précises. Bien dictées et édictées par la Science. Quelle est donc cette vocation nombriliste qui nous porte à Économie | Gestion | Sciences | Technologies | Société Financé par l’École Doctorale Augustin-Cournot La suite, page 4 -- Méthodes et techniques Un éditorial signé Alain Noël, professeur à HEC Montréal et rédacteur en chef invité Jdemande ’ai un peu hésité à accepter cette d’écrire un éditorial pour La Gazette Cournot car je ne comprenais pas vraiment ce qui était attendu de moi. Quel était l’objet de ce numéro ? Jeter un éclairage sur quelques approches possiblement nouvelles ? Soulever une polémique ? De fait, j’ignore encore au moment d’écrire ces lignes ce qui est vraiment attendu de moi. Que veut-on savoir? Que veut-on apprendre ? Que puis-je apporter? Qui dois-je convaincre ? En matière de méthodes, les débats deviennent vite stériles surtout si on ne comprend pas la question. Par ailleurs, refuser revenait à reconnaître que les débats de méthode sont inutiles et je ne voulais certes pas balayer cette question sous le tapis. Le choix d’une méthode est trop important pour se faire comprendre, pour savoir avec qui échanger, pour apprendre de ses erreurs, pour jouer notre rôle d’appréciation de la connaissance produite et à produire et pour éviter de juger de choses que l’on ne comprend pas. Je n’ai jamais revendiqué un statut de grand chercheur, encore moins celui d’un philosophe des sciences. Par ailleurs j’ai cherché à développer et à protéger celui d’être un expert, plus précisément un expert en stratégie et en gestion internationale. Pour moi cela signifiait de pouvoir comprendre et expliquer le plus simplement possible des raisonnements, des fonctionnements, des phénomènes ou des organisations complexes en matière de stratégie et de gestion internationale. Cela m’imposait aussi de devoir trouver les meilleurs diagnostics, les meilleures explications et solutions aux problèmes que l’on me soumettait. En contrepartie, ayant été reconnu comme ! ? expert sur ces questions, j’ai toujours été craintif de me tromper ou pis encore, de tromper les autres, malgré moi ! Que faire pour convaincre les autres, et soimême lorsqu’on se couche le soir, que l’on n’est pas dans l’erreur ? Je maîtrise mal toutes les subtilités de la philosophie des sciences, de la gnoséologie ou de l’épistémologie (j’ai cependant une grande admiration pour les Grawitz, Popper, Burrell et Morgan ou Kuhn que je ne réussis pas à bien maîtriser) mais j’ai peu à peu appris par expérience que tout ne se découvre pas de la même façon. Tôt en carrière, j’ai enseigné les mathématiques et mes premières expériences de recherche ont reposé sur la magie des données perforées sur cartes et soumises au «puissant ordinateur IBM 8K (!)» de mon institution. J’ai alors découvert le plaisir et la magie du traitement par divers programmes informatisés, l’esthétique des SPSS, SAS et autres logiciels de traitements paramétriques ou non paramétriques produisant des nu a g e s d e p o i n t s s o u m i s à interprétation. Je voue toujours une grande admiration à un de mes professeurs de statistiques, Robert Latour, qui se faisait un devoir de nous apprendre comment comprendre ces nuages de points. J’ai aussi vite découvert les risques de tirer de belles conclusions sur des données mal comprises mais traitées avec de plus en plus de sophistication. C’est un échec de recherche, quelques années plus tard, qui m’a sensibilisé à l’importance de la question de recherche. L’impossibilité de valider (accepter ou rejeter) mes hypothèses après avoir travaillé d’arrache pied à construire, selon les règles de l’Art, un questionnaire exceptionnellement riche et une base de données de quelques centaines de répondants, m’a ouvert la porte à devoir explorer les causes de mon échec. Je ne pouvais pas répondre à ma question et faire la contribution qui me rendrait célèbre (j’ai déjà eu ce rêve). ? Je me voyais aussi perdre la face auprès des bailleurs qui avaient généreusement financé cette étude. À force de revenir en arrière pour comprendre les causes de l’échec et de traiter mes données dans tous les sens pour y trouver une signification, j’ai découvert que je n’avais pas, malgré toutes ces années passées à lire des centaines de références, posé la bonne question. En fait les données m’ont livré un autre message que celui attendu et la nouvelle question induite par ces données m’annonçait en même temps que je ne pouvais plus utiliser les mêmes outils pourtant si réconfortants quand tout va bien. Si tout va jamais bien en recherche ! Bref les mauvais résultats à une question inutile avaient néanmoins généré une bonne question tout en m’obligeant à devoir l’explorer différemment. Pour moi, l’induction venait de prendre la place de la déduction dans mes méthodes de recherche. J’avais déjà réalisé avec beaucoup d’angoisse des recherches plus cliniques : mon doctorat s’était réalisé sous la direction du professeur qui a le plus marqué ma carrière et sans doute celle de milliers d’étudiants et de managers : Manfred Kets de Vries aujourd’hui à l’Insead. Sans jamais chercher à faire de moi un «pychanalyste» comme lui, il m’a accompagné dans la recherche de l’interprétation la plus juste et la plus convaincante de phénomènes complexes, et à trouver des réponses La suite, page 6 -- Salle de rédaction Rédacteur en chef Francis Gosselin [email protected] Directeur éditorial René Carraz [email protected] Directeur adjoint et webmestre Jean-Philippe Atzenhoffer [email protected] Étalonnage grammatical Adeline Welter [email protected] Alexis Zimmer Nanotechnologue Benoît Chalvignac Attaché culturel Correspondants ? Nima Fallah (Téhéran) Audrey Castells (Sydney) La Gazette Cournot est mise en page par Francis Gosselin 002 Le contenu de la Gazette ne représente que les idées de ses contributeurs et n'engage en aucun cas l'ED Augustin-Cournot, la FSEG, l'UdS, ou toute autre organisation qui la soutien, moralement ou financièrement. ÉDITO Contributions spéciales Rédacteur en chef invité Ce mois-ci, la Gazette Cournot vous propose d'accueillir en ses pages un rédacteur invité. Coup d'état monté par le rédacteur en chef luimême - sorte d'hara kiri de l'autorité éditoriale - c'est néanmoins avec un immense plaisir et une grande humilité que nous accueillons le professeur Alain Noël. Président fondateur de l'AIMS et membre-fondateur de la Strategic Management Society de Londres, anciennement directeur du prestigieux programme de MBA d'HEC Montréal, il a enseigné tant en France (INSEAD, UdS) qu'au Canada. Administrateur du World Trade Center de Montréal de 1996 à 2001, et de l'Ordre des Administrateurs Agréés du Québec de 1997 à 2002, il a aussi siégé au conseil d'administration de nombreuses entreprises. Fort de sa vaste expérience d'administrateur de sociétés, de pédagogue et de chercheur, il nous livre sa vision des choses dans un éditorial exclusif. Il a participé à la relecture des textes, et nous a guidé - ne serait-ce que par le biais du séminaire Méthodes qualitatives de recherche qu'il dispense à ceux qui le veulent bien, à cheval entre le Québec et la France. Nous remercions M. Noël de sa dévotion et de son soutien, sachant que cette expérience concluante sera à coup sûr répétée. Claude Diebolt Directeur du Bureau d'Économie Théorique et Appliquée (BETA), directeur de recherche CNRS, présidentfondateur de l'Association française de Cliométrie et rédacteur en chef de la revue Cliométrica, Claude Diebolt se passe presque d'introduction formelle. Ce mois-ci, "l'homme qui rédige plus vite que son ombre" nous propose un retour sur les origines de la cliométrie : elle-même une science... historique! Et puis... que la force! Andrea Zenker works as researcher at Fraunhofer ISI, Competence Center Policy and Regions. Her main research activities deal with analyses, strategies and initiatives in regional innovation, as well as with methodological questions. She is also involved in German-French innovation topics. She obtained her Ph.D. from the University of Strasbourg in 2007. Before studying geography and modern languages, Andrea worked as technical assistant in forest tree breeding which shaped her fondness for outdoor activities and botanical issues. Jonathan Lorange-Millette Philosophe-photographe, Jonathan est candidat au doctorat en science politique à l’Université d’Ottawa. Sa thèse de doctorat porte sur le rôle de l’imagination dans la formation des théories en sciences sociales. Il nous propose une réflexion inédite sur l'immixtion méthodologique entre biologie et sciences sociales, qui n'échappe vraisemblablement pas au problème de l'intentionnalité. Elisabeth Baier Elisabeth works in the Competence Centre for Politics and Regions at the Fraunhofer ISI in Karlsruhe. A Ph.D. student in Strasbourg, she works on regional innovation research, innovation and creativity, multinational enterprises in regional systems of innovation and innovation policies. When not writing for us, she spends her time snowboard ing, discovering different shades of white. Pascal Koeberlé Contributeur épisodique, Pascal nous rejoint ce mois-ci en signant un texte qui nous interroge sur les discours légitimés par l'usage de la statistique. Doctorant à l'Université de Strasbourg (CESAG), il prépare une thèse sur les origines conversationnelles du changement organisationnel. Il est aussi un pianiste talentueux et un cycliste passionné. Propos Novembre 2009 UNE [EDITORIAL] L'État, la Science 002 [ÉDITORIAL] Méthodes et techniques 004 [OPINION] Les dérives d'une 005 [PROFIL] Elinor Ostrom - Nobel 2009 008 [INTERVIEW] Bernard Ancori, instrumentalisation statistique Vice-président Sciences en Société de l'Université de Strasbourg 010 [DOSSIER SPÉCIAL] Science and design : 012 [PROSE] La méthode, ah oui. 013 [LITTÉRATURE] Bruno Latour, 2009 014 [PROFIL] Harold Varmus 015 [RAPPORT] La cliométrie au 21e siècle 016 [RAPPORT] Science biologique et 018 [PUBLICITÉ] Call : ACDD 2010 019 [CALENDES STRASBOURGEOISES] a fruitful and visionary coalescence sciences sociales, mêmes enjeux? CONTRIBUTIONS The Intelligent Design Zoo Presents : The "Empty" Cage This cage is empty... for now. Since God created eve rything by just "placing" it on Earth, we are welcoming Him to cre ate another creature by just magic ally "putting" it in this cage. We look for ward to seeing what He comes up with. Et pourquoi pas? Pour certains théoriciens de "l'anarchisme méthodologique", on peut dire, paraphant Feyerabend, que "tout est bon". Le problème est qu'une telle position mène à certaines dérives, à d'inutiles débats. Comme celui, persistant aux États-Unis, entre "créationnistes" et biologistes, physiciens et géographes, ces derniers "croyant" à l'évolution par sélection naturelle. Darwin aurait-il erré? En quoi les tests d'ADN "prouvent"-ils que nous descendons du singe? À suivre... 003 Les dérives d’une instrumentalisation statistique Comment nier qu’une vague de suicides caractérise France Telecom (FT). Cette vague existe, ne serait-ce que comparativement à la situation antérieure de l’entreprise. Ce changement remarqué ne manque pas de faire une différence (dans les médias, dans l’entreprise, dans d’autres entreprises, dans la gazette Cournot, dans les conversations de ma grand-mère le dimanche après-midi…). N’est-ce pas pourtant pour nier cette existence que le président de la commission de déontologie de la société française de statistique, René Padieu, choisit de mettre en perspective le cas particulier de France Telecom avec la moyenne nationale ? Quelle pertinence méthodologique y at-il dans ce choix ? Pourquoi la part des suicides chez FT dans la population totale des suicidés est-elle soudainement devenue significative ? Par quel raccourci admet-il que les réalités sociales s’additionnent comme les réalités matérielles ? En quelques sortes, pourquoi réduit-il le suicide au décès qui en résulte ? Certains suicides n’ont-ils pas, dans certaines circonstances, une importance sociale accrue, du fait même de la significativité de ces circonstances ? Ainsi M. Padieu nous délivre son diagnostic : un salarié de FT se L'État, la Science (suite et fin) vouloir convaincre ceux qui sont gagnés d'avance, sans avoir à dépasser le cadre de l'endoctrinement académique pour reproduire ad nauseam des schémas en soutenant qu'il y a là quelque chose qui témoigne du dépassement de soi par l'homme moderne. Si l'on cessait de s'enfermer dans une technicité dégradant l'esprit humain, si l'on sortait le calcul de l'interprétation du monde, qu'obtiendrait-on? Moins de publications, certes, et ensuite? À quoi bon investir tant de fric, tant d'énergie, tant de cervelle et d'années d'études, à chercher dans une botte de foin des futilités dont l'impertinence n'a de rivale que la prétention de ceux et celles qui pratiquent cet art du vrai sans jamais pouvoir nous dire combien nous avons erré, et combien nous errerons encore? Macroéconométricosociologicotechnicol ogistes, que faites-vous demain? Aurezvous encore faim : cela correspond-t-il à vos 'intérêts rationnels' ? Et si vous ne mangiez pas, que diriez-vous de votre optimisation de ressources? Quelle place accorderiez-vous alors aux idées, aux envies, aux biais qui sont les vôtres et qui vous ont fait choisir une science plutôt qu'une autre, un champ d'étude plutôt qu'un autre, une conception du monde aussi étroite (plutôt qu'une autre) : "après tout, un homme seul ou même un groupe influent ne peuvent pas tout faire en même temps, et il vaut mieux qu'ils 004 suicide aussi souvent que les autres ; c’est donc nor mal (ou conforme à la moyenne). Notons que ce diagnostic écarte les tentatives de suicides, qui seraient donc moins qu’anecdotiques. Un diagnostic aussi distordu laisse penser à une fin tordue. Le pronostic réel est-il à ce point inavouable, si la priorité consiste à traquer un coupable, plutôt qu’à prévenir la récidive. La question fondamentale est-elle celle de mesurer le degré de responsabilité de FT en tant que machine complexe et/ou de tel ou tel manager en tant qu’individualité isolée ? N’est-elle pas plutôt de comprendre, de l’intérieur, comment l’entreprise peut échouer dans son rôle d’agent de socialisation, et comment cet échec pénalise sa propre performance ? ⊗ (PK) adoptent une théorie qui les intéresse, plutôt qu'une théorie qui les ennuie" (Feyerabend, 1975, p.41). Est-ce donc ça, ô Science moderne : une bande de pervers polymorphes (c'est Freud, pas moi), de matérialistes opportunistes qui fuient l'ennui ? Qui cherchent le plaisir, le beau et le salaire mensuel dans des élans éperdus de simplicité (ou de simplisme) ? On reconnaît là les relents de rationalisme qui assaillent jusqu'à cet éditorial. Délire Pourquoi ne pas faire prêtre (ou prêtresse) de votre corps et de votre esprit, un chaman dans une tribu indonésienne. Le billet, à portée de main et de compte bancaire : hop, CDG-CGK. On balance tout : bureau, chaise, macbook, bagnole, danettes, claquettes et tutti quanti, Finito de Cordoba peut rhabiller son taureau, le départ est annoncé. La Meteotek catalane dont les bruits ingénieux, volontaires et créatifs nous parviennent comme un bruit de fond, nous qui dans nos tanières chauffées au mazout font valoir que le monde est plus vrai ici qu'entre la Llobregat et la Besos. Que voyez-vous donc de la Serra de Collserola sinon une étendue infinie, sur laquelle des géographes ont exigé qu'on pose des bornes : des mètres et des litres, des règles pour maximiser toujours la fiction rationnelle qu'ils ont construite. Entre les Anciens et les Modernes, n'avezvous pas peur que ne vous pue au nez cette Science putride qui s'auto-détruit à force d'impertinence? Partez à l'aventure, chers amis, voyez le monde tel qu'il est au lieu d'en chercher les fondements entre deux colonnes de chiffres créés par d'autres. Qui sait, peutêtre cela rendra-t-il plus utiles ces actes mondains et éperdus tentant de chercher un vrai dans une infinité incompréhensible. Nous aurions au moins l'avantage d'avoir choisi l'exil face à l'État, seul rempart contre les assauts répétés des dogmatiques. La Science, l'État : quel avenir pour un dogme et un rempart, sinon celui d'exiler enfin la prétentieuse dans son coin malicieux, de la pointer du doigt comme l'événement spontané, paradigmatique (oui!) qu'elle aura pu être, et désigner la liberté épistémique comme nouveau mode d'organisation de la quête il crie, il pleure, il ignore et s'hexagone. sans plus reluire il s'invente des oracles humaine. Laisser place au vaudou et au n'importe quoi, les instituer s'il le faut, voilà le mot d'ordre d'une société émancipée de ses docteurs de vérité, de ses fiers à bras de l'inintelligible intellectuel, de ses philosophestechniciens. "Les allemands sont fiers de leur haute stature et de leur compétence en magie", disait Érasme, en 1509. Et vous, de quoi êtes-vous fiers? ⊗ (FG) ÉDITO Elinor Ostrom – Prix Nobel d'économie 2009 Elinor Ostrom en compagnie de Buzz Holling lors de l'édition 2007 de la Resilience conference à Stockholm Photo: J. Lokrantz/Azote Née à Los Angeles en 1933, Elinor Ostrom est actuellement professeure de sciences politiques à l'université d'Indiana (Arizona). Récompensée pour ses travaux sur la gouvernance des ressources et des biens communs, elle reçoit le Prix Nobel d'économie 2009 en compagnie d'Oliver Williamson. Première femme à obtenir une telle distinction, E.Ostrom est connue pour avoir étudié les circonstances et les arrangements institutionnels qui permettent une gestion soutenable des ressources communes telles que les forêts, les pêcheries, les champs de pétrole, etc. La théorie microéconomique classique prédit la surexploitation des ressources communes, parfois même jusqu'à l'épuisement, en particulier en situation de libre accès. Deux solutions sont généralement envisagées pour remédier à cette tragédie des communs. La première est la privatisation. A travers la création d'un droit de propriété sur une partie de la ressource (généralement sous forme de quota), la privatisation doit inciter les acteurs à préserver la part qui leur est confiée. La deuxième solution réside dans la régulation de l'exploitation par l'État, via des réglementations limitant la capacité d'extraction par les acteurs ou l'interdiction pure et simple d'accéder à la ressource. Si les illustrations empiriques de la tragédie des communs ne manquent pas, E.Olstrom nous fait observer que toutes les ressources communes ne sont pas pour autant condamnées à l'extinction, et ce malgré l'absence de régulation étatique. Dans certaines situations, des communautés d'acteurs ont réussi à créer des arrangements « institutionnels » permettant une gestion soutenable à long terme. Ces institutions, généralement non formelles, peuvent prendre des formes très diverses en fonction des particularités des ressources et de l'environnement économique auquel les acteurs sont confrontés. Il s'agit bien souvent de normes sociales définissant le comportement d'exploitation de manière totalement décentralisée. Par exemple, une communauté de pêcheurs peut se coordonner sur un niveau global d'extraction de poisson optimal si chaque pêcheur accepte de restreindre ses efforts ou son matériel d'exploitation. Pour éviter que cet arrangement ne vole en éclats à cause de pêcheurs qui ne respecteraient pas cet accord, les pêcheurs souhaitant PROFIL favoriser la coopération peuvent individuellement décider de punir les non-coopérateurs. Ainsi, à côté de la création de droits de propriété et de la régulation directe par l'État, Elinor Ostrom montre qu'une gestion soutenable décentralisée des ressources communes est possible au niveau des communautés d'acteurs concernés. Le principal enseignement à tirer de ses travaux est que si les pouvoirs publics souhaitent intervenir dans la gestion d'une ressource commune, ils doivent faire attention à ne pas détruire les arrangements mis en place par les acteurs lorsque ceux-ci sont efficaces. Dans certaines situations, il est préférable de favoriser un environnement propice à l'émergence et au soutien de la coopération sur des niveaux d'exploitation soutenables, plutôt que d'intervenir directement par la réglementation ou la création de droits de propriété. ⊗ (JPA) Le prix Nobel est attribué dans 6 "disciplines" : physique, chimie, médecine, littérature, paix et économie. Chaque récipiendaire reçoit, des mains du Roi (le cas échéant, Carl XVI Gustaf) : un diplôme, une médaille, et un chèque de 10 millions de couronnes suédoises, soit environ 1 million d'euros. En fait, Alfred Nobel n'avait pas prévu l'attribution d'un prix d'économie. La famille Nobel contemporaine nie toujours aux économistes ce privilège. En conséquence, celuici est défrayé par la Riksbank (Banque de Suède) et n'existe que depuis 1968 (alors que les premiers Nobel ont été décernés en 1901). On accepte toutefois que le prix soit décerné en même temps que les Nobel officiels. Notons que la médaille, d'un diamètre de 66 mm, est constituée de 200g. d'or 18 carats plaqué en or de 24 carats. Un cadeau qui, selon le site www.goldintomoney.com, vaut environ 2500 $US. 005 Méthodes et techniques (suite) aux questions qui me préoccupaient. Mais comment faire une carrière académique, même il y a déjà vingt ans au Canada, avec l’absence de mesures et de techniques reconnues pour fins de publication par la communauté scientifique à laquelle j’aspirais d’appartenir ? Fallait-il changer de communauté et accepter de ne pas être un homme de science, un chercheur ? C’est sans doute à ce moment que j’ai J’ai [...] découvert les risques de tirer de belles conclusions sur des données mal comprises mais traitées avec de plus en plus de sophistication. commencé à réclamer plus le statut d’expert que de chercheur. Je n’avais sans doute pas le courage de la polémique. Il m’a fallu constater la peine, les affres et les angoisses de mes étudiants pour me repencher sur le cas de la méthode, des méthodes ! Comment découvrir – surtout lorsque pour certaines questions il n’y a pas vraiment de recherches antérieures assez précises pour établir des hypothèses crédibles et utiles? Comment intégrer ses connaissances ? Comment convaincre les autres ? Je voyais tous ces étudiants tordre leurs questions pour entrer dans un moule préétabli. J’en voyais certains se lancer dans des démarches qui ne pourraient jamais convaincre quiconque mais qui avaient l’attrait de l’esthétisme et d’autres se lancer dans des débats épistémologiques épuisants, ne permettant vraiment non plus de répondre clairement à la question qui, au départ, les avait peut être intéressés. Les débats auxquels j’assistais et qui ont eu cours une grande partie de ma carrière opposaient faussement deux clans, quantitatifs et qualitatifs laissant supposer que les quantitatifs étaient porteurs de peu de pertinence alors que les autres étaient qualitatifs par incapacité de compter, et ceteris paribus par manque de rigueur. Que la quête de vérité au lieu de la connaissance peut être inutile ! Il est vrai que les textes des qualitatifs se justifiaient souvent plus d’une posture épistémologique donnée sans égard à une démonstration rigoureuse alors que les quantitatifs ne perdaient ni de temps, ni de lignes précieuses dans un article, à faire cette réflexion, portés par la rigidité – fausse rigueur – de leurs technicités. Une tour de Babel, un monde de sourds ! Un monde où la technique l’emportait trop souvent sur LA question, mais où la démonstration (tant chez les dits qualitatifs que chez les dits 006 quantitatifs) manquait souvent de la transparence requise pour convaincre. J’ai malgré tout penché, dans ma carrière et avec mes étudiants, vers les recherches dites qualitatives car je me suis intéressé à des questions que je ne pouvais pas comprendre avec les techniques de mesure et de traitement de données de mes premières années de carrière. J’étais aussi conscient des limites d’une démarche clinique où le potentiel de conviction est difficile lorsque les étapes de traitement et de raisonnement ne sont pas explicites. Je savais aussi que les systèmes d’évolution en carrière laissent peu de place aux publications plus inductives tout en devant reconnaître que de nombreuses recherches qualitatives ne me convainquaient nullement de leurs conclusions, alors que plusieurs études quantitatives me semblaient manquer de pertinence ou d’utilité sociale ou scientifique. C’est un peu la question que soulèvent Pascal Koeberlé et Francis Gosselin, chacun à leur façon, au sein de ce numéro. Dans mon travail de direction d’étudiants, j’ai cherché à relativiser avec eux ce que représente un premier projet de recherche d’une durée de 2 ou 3 ans sur une vie active de 35 à 40 ans. La vie de chercheur doit se construire, comme la connaissance, par ajouts à la marge. J’ai donc toujours fortement insisté pour que la méthode choisie soit au service de la question, sous contrainte des données disponibles et des budgets financiers mais surtout temporels de mes étudiants. Je ne crois pas que l’on naisse chercheur ou expert mais qu’on le devient par accumulation rigoureuse d’expérience, par compagnonnage, et le partage non seulement de nos découvertes mais des moyens mis en œuvre pour en garantir la validité. J’ai toujours mis en garde mes étudiants qui voulaient réaliser en si peu de temps (3 années au doctorat filent plus vite que l’on pense) un projet qui demanderait une vie de travail. Je les ai aussi mis en garde de voir la technicité l’emporter au détriment de la précision de la question, condition essentielle pour pouvoir continuer par la suite à creuser plus à fond le développement sans fin de la connaissance dans un domaine qui nous passionne. A cet égard je me suis éloigné des thèses par cumul d’articles : il arrive trop souvent que l’on cumule les réflexions techniques sans égard à l’importance de la question bien que dans l’ensemble, la connaissance s’accumule à la marge. Je ne sais que dire spécifiquement des techniques du 21è siècle : pourquoi marquer le passage de millénaire par l’émergence de nouvelles techniques ? Je n’en vois pas l’intérêt ! L’expérience par exemple n’a pas de temporalité et les outils de traitement et d’analyse d’informations sur de multiples sujets se raffinent de jour en jour depuis longtemps et le chercheur qui veut faire un travail convaincant doit professionnellement se tenir à la fine pointe des outils de son métier. Dans une étude bien construite, la recension des recherches antérieures sert non seulement à établir l’évolution des découvertes réalisées, des concepts et des théories ayant été proposés, mais aussi celle des outils des travailleurs de la connaissance. S’il est important de bien comprendre l’évolution de la connaissance accumulée sur notre question, je me suis toujours méfié du recours trop étendu à des concepts pas toujours utiles pour répondre à nos q u e s t i o n s . Je m e m é f i e d e l’intellectualisme au détriment de l’intelligence. Toute bonne méthode repose selon moi au départ sur l’identification la plus précise des problèmes connus pour voir en quoi le nôtre est différent puis sur la sélection de l’outil le plus approprié pour y faire face. Un plombier serait mal venu de réparer une fuite avec les outils de l’électricien. C’est la même chose dans la production et la diffusion des connaissances : à chaque problème correspond un outil. La méthode n’est donc pas seulement question d’outils mais du choix du bon outil, et de son utilisation avec dextérité, le tout pour produire des connaissances avec expertise. Comme dans toute activité humaine, la manipulation des Je ne crois pas que l’on naisse chercheur ou expert mais qu’on le devient par accumulation rigoureuse d’expérience, par compagnonnage, et le partage non seulement de nos découvertes mais des moyens mis en œuvre pour en garantir la validité. outils de recherche se fait par corps de métier, et tout comme la construction d’une maison requiert l’apport de plusieurs métiers, il en va de même pour la recherche et la production de connaissance. L’homme des cavernes de Benoît Chalvignac disposait sans doute de moins d’outils qu’aujourd’hui pour construire son habitat mais posons l’hypothèse que les maisons actuelles représentent plus de complexité pour s’adapter à nos diverses règles sociales etc. Une méthode ne peut pas être universelle pour toutes les questions ni pour construire l’édifice de la connaissance: au contraire elles doivent ÉDITO pouvoir se compléter en contribuant dans leurs limites à la L’entrevue de Bernard Ancori remet aussi les questions de solution de problèmes qui permettent leur utilisation. Les curiosité et de rigueur au cœur des débats. La méthode et la grands chercheurs que j’ai croisé ont rarement été sectaires technique sont des outils pour comprendre, pour calibrer la mais plutôt curieux de l’apport des autres, tout en sachant connaissance, pour identifier les limites d’application de nos proclamer leurs limites et celles de leurs apports. En expertises. L’article de René Carraz sur Harold Varnus nous contrepartie ces mêmes personnes ont généralement, malgré rappelle quant à lui que le chercheur ne connait pas l’ouverture qu’elles ont su démontrer, évité de «toucher à tout» nécessairement sa question en début de carrière (ou en début même si, au fil des ans, elles ont parfois migré vers de nouvelles de thèse) et que le temps est nécessaire pour devenir ce que techniques, toujours parce que ces chercheurs avaient changé l’on sera (et pour préciser la question à laquelle on peut la nature de leurs questions. vraiment répondre après trois ans de thèse). En ce sens il La méthode est à la recherche ce que veulent être aujourd’hui devrait encourager les jeunes chercheurs à ne pas vouloir, les règles de gouvernance pour les conseils d’administration : encore une fois, tout réaliser dans leur thèse. Il ne faut pas se des mécanismes de transparence permettant d’évaluer et de fixer des objectifs irréalistes, ne pas vouloir régler maintenant calibrer la production de connaissance. Dans ce numéro tous les problèmes du monde, et considérer que la thèse est Pascal Koeberlé ouvre un débat sur une observation statistique une étape pour apprendre comment apprendre, comment convaincre, sur quoi faire porter ses dans le cadre des tristes suicides énergies et ses questions. à France Telecom. En face à Que la quête de vérité au lieu de la face, la rencontre entre lui et le C’est encore ici que la méthode, connaissance peut être inutile ! Il est statisticien René Padieu pourvu qu’elle soit synonyme de vrai que les textes des qualitatifs se pourrait s’avérer vaine car les rigueur, prend toute son importance. justifiaient souvent plus d’une deux parties ne posent pas la Ce témoignage nous laisse cependant posture épistémologique donnée même question, l’un parlant comprendre aussi que la science est sans égard à une démonstration d’un phénomène (suicides) qui action : il faut travailler avec d’autres et rigoureuse alors que les quantitatifs n’est pas statistiquement hors gérer des ressources. Rappelons que ne perdaient ni de temps, ni de norme alors que le second pour le doctorant la principale soulève la pertinence sociale de lignes précieuses dans un article, à ressource à gérer est son temps. Il est ses conclusions. Or le débat que faire cette réflexion, portés par la limité et il justifie une fois de plus la Koeberlé aurait dû soulever est nécessité de se donner un plan de rigidité – fausse rigueur – de leurs celui de la pertinence de la travail, des objectifs à atteindre et des technicités. moyenne en statistiques, pour limites sur sa quête de perfection dans mesurer une vague, une tous les aspects de sa recherche. Le accélération de suicides et non un simple taux d’incidence jeune chercheur doit accepter qu’il aura toute une vie pour sans égard au rythme de ceux-ci dans l’espace temps en régler le sort de l’humanité et il découvrira vite, en prenant référence. De fait on nous demande quelle est la plus conscience du temps qui passe, que seuls les petits ajouts importante des questions : celle de la moyenne observée pour rigoureux à la connaissance peuvent faire évoluer l’humanité recadrer un débat ou celle de la signification d’une possible ou à défaut, espérons-le, le chercheur lui-même. accélération de cas de suicides ? Faute de connaître leurs Je termine avec les réflexions que nous propose Francis données et les processus de leur traitement par Padieu ou Gosselin. Si la technicité ne doit pas être une fin en soi, je ne la Koeberlé, on ne peut pas vraiment débattre ni de la relative pense pas dégradante pour l’intelligence de l’Homme. vérité, ni de la justesse des conclusions ou positions de l’un ou «Intelligere» veut dire comprendre et il n’y a pas de connaissance de l’autre. Je ne sais pas qui a raison mais lorsque les questions possible sans technique pour la développer et la relativiser. posées ne sont pas les mêmes, les discussions ne peuvent que Tant le scientifique que le philosophe se doivent de repousser dériver et ce n’est pas un problème de méthode. les frontières de la connaissance partagée. Le titre de Le texte de Chalvignac pose la question du mode Philosophiae Doctor que donnent les universités à leurs diplômés d’apprentissage : comment apprenait l’homme des cavernes et indique que science et philosophie ne sont pas en opposition. comment apprend l’homme moderne ? Est-ce une question Philosophe, le chercheur expérimenté a compris qu’on ne importante ? Serions-nous surpris de découvrir que l’homme peut pas seul repousser une armée mais qu’il vaut mieux être moderne apprend différemment car l’accumulation de quelques soldats. Le chercheur, philosophe, accepte ses propres connaissances de l’humanité est plus grande et la complexité limites et de se poser des questions à la fois importantes et des problèmes sans doute aussi ? Est-il possible de savoir modestes qu’il peut résoudre. La société, souvent à travers comment l’homme des cavernes apprenait ? Serait-ce l’État, lui donne cette opportunité d’un travail dont les produits vraiment utile ? sont moins palpables que ceux de l’artisan mais qui doivent L’article de Claude Diebolt illustre bien les enjeux du choix aussi être à la portée de ses limites, de ses moyens, de ses d’un bon choix d’outil pour obtenir par une méthode équipes et au service d’une ambition clairement formulée, rigoureuse des conclusions calibrées. En se questionnant sur la d’un problème à résoudre en se donnant les meilleurs moyens nature des questions que l’histoire économique pose, sur la d’y arriver. La science comme la philosophie ne sont pas nature des données soumises à l’analyse, on peut comprendre impertinentes ou plus pertinentes l’une que l’autre : ce sont les l’intérêt de divers traitements statistiques des théories proposées hommes qui peuvent développer, par manque de rigueur, ces au fil du temps par des économistes. Contrairement à la travers. Le philosophe comprend aussi qu’il est vain de vouloir question de l’homme des cavernes, le caractère bien structuré tout comprendre ! des hypothèses et modèles économiques permet une analyse Tout compte fait, peut-être n’ai-je pas encore compris la que ne permettrait pas (sous réserve de ma méconnaissance de question ? Un éditeur invité de la Gazette devait peut-être ces techniques) l’étude évolutive par exemple d’une grande soulever une plus grande polémique ? J’ai décidé de ne pas entreprise complexe dont la succession de décisions ne répond pousser plus loin celles déjà présentes dans quelques uns des pas toujours à la logique d’un développement théorique textes présentés pour privilégier un témoignage visant à rendre comme en économie. L’appel à la triangulation le lecteur à la fois plus curieux, plus tolérant, plus rigoureux, méthodologique illustre aussi dans son texte l’importance que moins inquiet mais plus soucieux des limites des méthodes qui la méthode apporte à produire de la connaissance avec lui permettront de répondre, avec conviction, à ses questions. rigueur. Le texte de Diebolt remet enfin en perspective le fait Comme en matière de recherche la transparence est de que la connaissance progresse par boucles successives et que le rigueur, je me devais a minima de décrire mon parcours de futur en soi n’est pas que demain. réflexion, ma chaîne argumentaire, pour vous permettre, le cas échéant, de poursuivre le débat. ⊗ (AN) ÉDITO 007 Pour une science lucide : de la co-construction au vagabondage Un entretien avec Bernard Ancori Directeur de l'Institut de Recherches Interdisciplinaires sur les Sciences et la Technologie (IRIST) Vice-Président Science en Société de l'Université de Strasbourg Épistémologue, anthropologue, économiste. La Gazette Cournot (GC) : Vous occupez depuis quelques années maintenant deux postes qui vous donnent une perspective à la fois de penseur et de praticien. Pouvez-vous en relater l'évolution? Bernard Ancori (BA) : Depuis la lointaine époque de mon doctorat d'Etat en sciences économiques, cette discipline me semble s'être centrée sur une perspective (trop) technique, oubliant ou minorant les apports de l'analyse conceptuelle, de l'histoire et de la philosophie, pourtant indispensables à une bonne compréhension de notre monde. C'est pourquoi j'ai réorienté mes propres recherches et mon enseignement vers l'épistémologie, la sociologie, ainsi que l'anthropologie des sciences et des techniques, toutes disciplines qui correspondaient mieux, par ailleurs, à ma prise de fonction (en 1997) en tant que responsable du GERSULP (Groupe d'Etudes et de Recherces sur la Sciences de l'ULP, créé par le premier président de cette université, au début des années 1970) , puis (en 2000) de l'IRIST dont le GERSULP est aujourd'hui l'une des trois équipes constitutrices. La publication en mars 2003 d'un rapport de recherche collectif, "Economies fondées sur la connaissance et nouveaux espaces d'expertise. La place et le rôle de l'Université", que j'avais codirigé avec Patrick Cohendet, le financement récurrent de laboratoires inscrits dans le temps long de recherches sans résultat prévisible permet au chercheur de pratiquer une forme de vagabondage intellectuel qui est une condition sine qua non de la découverte de nouveaux espaces cognitifs a probablement contribué à susciter la création d'une vice-présidence "Sciences et société" dans l'équipe dirigée par Alain Beretz, dernier président de l'ULP, ainsi que sa reconduction, par le même Alain Beretz, à l'Université de Strasbourg, aujourd'hui premier président de cette université unique, mais ceci sous un intitulé légèrement différent et plus conforme à l'esprit de cette viceprésidence "Sciences en société". Nous avons voulu marquer par là l'esprit de co-construction des connaissances entre milieu académique et milieux non académiques (notamment certaines associations) que nous voulions promouvoir dans une perspective globale d'insertion dynamique de l'Université dans la Cité — et réciproquement. GC : Si la science est effectivement de plus en plus en société, certains expriment malgré tout des craintes face à certaines technologies : OGM, nanotechnologies, nucléaire. Croyez-vous cette angoisse fondée? BA : La part prise aujourd'hui par les sciences et les technologies dans nos vies quotidiennes mène à une attitude ambivalente chez nos concitoyens : fascination pour la science et pour ses héros, d'une part, mais aussi angoisse devant certaines retombées technologiques des sciences, d'autre part. L'un des objectifs de la viceprésidence "Sciences en société" est de relativiser à la fois fascination et angoisse en inventant des procédures permettant à nos concitoyens qui ne sont pas des scientifiques professionnels de participer néanmoins à certains processus de construction des connaissances — la 008 fameuse co-construction dont je parlais plus haut. Associer des non scientifiques aux démarches même de création de connaissances, et non se contenter de leur exposer les produits de cette création, me paraît propre à les rendre sensibles aux limites auxquelles se heurtent ces démarches (relativiser la fascination) tout en rendant la réalité des sciences plus familière (relativiser l'angoisse). Parmi les procédures qui s'inscrivent dans cette optique, je citerais volontiers la réalisation de forums hybrides (lieux de débats et de construction conjointe du sens par des scientifiques et des non scientifiques à propos de thèmes sociotechniques controversés : OGM, nonotechnologies, ondes électromagnétiques, etc.) dans l'enceinte même de l'Université, ainsi que le copilotage de recherches par des laboratoires académiques et par certaines associations à buts non lucratif (notamment, mais non uniquement, sur des maladies orphelines). GC : Vous ne partagez donc pas l'avis du philosophe des sciences Paul Feyerabend selon lequel la Science et une idéologie au même titre que les autres et que, en conséquence, nous devons parvenir à une séparation de la Science et de l'État. BA : J'ai beaucoup lu Paul Feyerabend, dont la pensée est extrêmement stimulante — de par son brin de provocation. Il touche un point sensible de la philosophie des sciences : en dépit de tous nos efforts intellectuels pour donner des critères proprement épistémologiques de justification d'un énoncé scientifique — donc pour démarquer les énoncés scientifiques d'autres types d'énoncés, les premiers relevant de la connaissance (épistémé) et les seconds des représentations de l'opinion (doxa) — nous sommes toujours contraints de mêler de tels critères à des considérations d'ordre sociologique ou historique : toute vérité scientifique reconnue comme telle nous apparaît comme un mixte de véritécorrespondance (entre l'énoncé et son référent extralinguistique) et de vérité-consensus (entre pairs). D'où une tendance récente à mêler les voix des épistémologues et des philosophes des sciences à celles des sociologues, des historiens, des politologues, des économistes, etc. dans l'analyse des pratiques et des résultats observables de scientifiques en chair et en os, ancrés dans la réalité de leur espace et de leur temps. Mais cela ne signifie pas qu'il faille suivre P. Feyerabend dans son relativisme radical. Ce relativisme-là me paraît personnellement intenable, INTERVIEW ne serait-ce qu'au nom des capacités prédictives propres aux sciences — je ne suis pas prêt à accorder le même crédit à une cartomancienne et à un scientifique, fût-il météorologue ou…économiste. Quant à séparer la science de l'Etat, c'est là une tout autre question. Pour moi, les connaissances scientifiques constituent essentiellement un bien public, non seulement parce qu'elles sont le plus souvent obtenues grâce à des financements publics, mais aussi parce qu'elles ont doublement affaire à l'universel : dans leurs quêtes de lois générales, dans leurs applications concrètes. Que serait une science séparée de l'Etat ? Qui porterait ce vaste projet ? Des individus isolés ? Cela n'a guère de sens pour les technosciences d'aujourd'hui. Des intérêts privés ? Quid alors de la recherche fondamentale, désintéressée, curieuse de connaître pour connaître ? GC : Comme vous l'avez relevé, on a observé au cours des dernières décennies l'émergence de nouvelles approches dans l'abord des sciences par les sciences humaines. Quel sont les conséquences de ce surcroît d'intérêt? BA : Plutôt que d'un surcroît d'intérêt, je crois qu'il faut parler d'une redécouverte et d'une reconnaissance mutuelles des sciences de la nature (expression que je préfère à celle de "sciences exactes") et des sciences humaines et sociales. Ceci car les enjeux actuels sont de plus en plus multifacettes, donc pluridisciplinaires — pensez aux enjeux environnementaux ou sanitaires. On voit donc interagir biologistes, chimistes, physiciens, sociologues, psychologues, etc., de manière de plus en plus fréquente qu'auparavant. Cela ne signifie pas — bien au contraire — que cette pluridisciplinarité doive s'accompagner d'un effacement des connaissances et compétences strictement disciplinaires. C'est exactement l'inverse : pas de pluridisciplarité réussie sans des ancrages disciplinaires forts ! Néanmoins, le risque lié à un éventuel privilège politique — au sens de la politique scientifique — donné aux enjeux de ce type est de ne plus concevoir la recherche scientifique que comme une série d'alliances provisoires de scientifiques de diverses disciplines, des sortes d'assemblages éphémères construits à l'occasion de chaque tentative de résolution de problème. D'abord, parce que la recherche ne se réduit pas à résoudre des problèmes bien formés, mais consiste également (surtout ?) à problématiser, c'est-à-dire à poser des questions que l'on essaie ensuite de traduire sous une forme qui puisse recevoir une réponse scientifique. Ensuite, parce que l'on risque ainsi d'oublier cet élément fondamental pour l'efficace de la recherche qu'est la durée nécessaire à la construction d'une culture collective — la culture de laboratoire, ingrédient essentiel de la réussite d'une recherche qui est toujours collective, même si ses résultats font parfois l'objet d'appropriations individuelles. Enfin, parce que l'on crée ainsi un vivier de chercheurs précaires, courant toute leur vie de contrat de recherche en contrat de recherche, ce qui, allié à une certaine modicité des revenus des chercheurs, n'est pas de nature à attirer des jeunes générations aujourd'hui plus enclines que les générations passées à privilégier cet aspect des choses dans leurs choix professionnels. GC : Sans chercher à faire polémique, vous êtes donc d'avis que les orientations actuelles des politiques de recherche, en France et ailleurs, ne vont pas nécessairement toujours dans la bonne direction? BA : Une chose est certaine : nous sommes allés beaucoup trop loin aujourd'hui dans la prépondérance donnée aux financements de recherches finalisées par INTERVIEW rapport aux financements récurrents — les dotations dites "de base" — des laboratoires. La question n'est pas seulement ici de financer davantage de "projets blancs" par rapports aux projets ciblés a priori par l'Agence Nationale de la Recherche : "blancs" ou "ciblés", ces projets mènent à ces assemblages précaires dont je parlais plus haut, avec toutes leurs conséquences. A l'inverse, le financement récurrent de laboratoires inscrits dans le temps long de recherches sans résultat prévisible permet au chercheur de pratiquer une forme de vagabondage intellectuel qui est une condition sine qua non de la découverte de nouveaux espaces cognitifs. Il arrive que ce type de vagabondage produise des résultats positifs, en termes de retombées technologiques et scientifiques, sans Confrontée à la maladie du court-noué, maladie viticole virale sans traitement possible, l'équipe de l'Inra de Colmar s'est mise en quête de solutions. Courte histoire d'une co-construction (par Jean Masson, président de l'Inra) "La vigne [...] est [...] constituée de deux éléments : un porte-greffe sur lequel on greffe le cépage, et l'on ne fait du vin qu'avec le cépage. Donc l'idée toute simple était d'essayer d'arrêter la maladie au niveau porte-greffe. Pour résoudre cette question, nous souhaitions développer une approche impliquant des porte-greffes transgéniques. [...]. Tout va bien. [...] On va vers la filière avec une solution. On est en 1999, et là rien ne va plus, tout le monde est contre les OGM. [...] Les partenaires nous quittent fort légitimement et on se retrouve bloqués. L'idée est d'initier une démarche de relation 'science et société' [...]. L'exercice consistait à déterminer quelles seraient les conditions d'acceptation d'une nouvelle expérience de porte-greffe transgénique pour protéger la vigne contre cette maladie. [...] Le challenge était de traiter des objectifs du projet et de répondre aux questions auxquelles nous n'avions pas encore répondu, au sens de la recherche. [...] Nous avons abouti à une co-construction d'un protocole expérimental, très épais, mais co-construit, avec tout le monde. Nous avons présenté un dossier à la commission du génie biomoléculaire, qui a donné son accord pour l'expérimentation. Le ministre de l'Agriculture aussi. Jamais nous n'avons demandé aux membres du comité de suivi de se prononcer sur l'intérêt de faire l'essai. [...] Comme nous avons dû coconstruire l'expérimentation ensemble, nous avons tous utilisé le même langage [...], et ainsi trouvé un relégitimisation du chercheur dans l'enceinte représentée par le comité de suivi." tiré d'ALIX, ANCORI & PETIT (2008), Sciences en société au XXIe siècle, CNRS Éditions., p. 214-215 commune mesure avec ce que l'on peut attendre d'une recherche par trop finalisée ou encadrée a priori. Pensez à un scientifique comme Alan Turing, initialement attaché à résoudre d'obscurs problèmes de logique, ce qui le mena finalement à déchiffrer le principal système de codage utilisé par l'armée allemande lors de la seconde guerre mondiale, contribuant ainsi à l'heureuse isue de celle-ci, et, plus généralement, à être considéré comme l'un des pères de l'informatique théorique moderne. Croyez-vous qu'Alan Turing débutant aurait bénéficié d'un financement quelconque de type ANR ? Sur la base de ses premiers travaux, il n'aurait même que très peu de chance d'entrer aujourd'hui à l'Université. Le problème, particulier à la France, est que la plupart de nos décideurs politiques ne sont pas des universitaires, mais de hauts fonctionnaires issus des grandes écoles. Ils ne sont donc guère familiers des réalités de l'activité de recherche, souvent confondue par eux avec (et réduite à) une activité de résolution de problèmes. ⊗ (FG) 009 Dossier spécial : Science and design – a fruitful and visionary coalescence How are scientific results generated and presented to the world? Usually, scientists and researchers first of all address their community. Starting from a problem or research question, they formulate hypotheses and assumptions, collect information and generate data, apply scientific methods to treat those data and finally gain statements about the verification or falsifications about hypotheses and assumptions initially formulated. But what happens afterwards, how are these findings communicated to the scientific community and the broader public? Often, the presentation of results generated by scientific researchers is subordinate to their desire to detect and explore things, but it is a precondition to diffuse their findings, to initiate scientific discussions, to gain reputation and raise public awareness for their subject and the advances. For designers, this last step is a constituent part of their interest as well as interactions and mutual influences between science and design is a hotly debated subject among designers. Gui Bonsiepe, a leading German design theoretician has summarized this antagonism in a very precise way, pointing at the (conceptual) designability view of the designer and the recognisability view of the scientist: „Der Entwerfer beobachtet die Welt aus der Perspektive der Entwerfbarkeit, der Wissenschaftler hingegen betrachtet die Welt aus der Perspektive der Erkennbarkeit.“ This citation has been a starting point for a series of seminars at the Karlsruhe University of Arts and Design for “Envisioning knowledge”, under the supervision of Professor Tania Prill, Professor Laurent Lacour and PD Dr. Martin Schulz. It was driven by the idea to fuel the ongoing debate among designers who aim at establishing design as scientific discipline and enhance a scientific dialogue among designers (intra-disciplinary) but also with scientists (inter-disciplinary) to explore interdependencies between design and science in greater detail. Design can help to present scientific findings in a way that those findings can be illustrated and hence "Design should leave its role as a mere helper, since it has far more to offer [...] experiences made by designers are valuable and useful for scientists" - Pr. Tania Prill contribute to the reception by the public addressed. Communication takes place through pictures. But increasing interaction between science and design instead of a mere coexistence can have an enormous additional potential to develop and present results and to 010 Photo (video) Annabel Angus: Superposition of Arnold Schwarzenegger, Pumping Iron, 1977 and Francis Bacon: Study of Pope Innozenz X (1650) by Diego Velazquez, 1953 get in interaction with the receptors. It was exactly the goal of the seminar series to show that at the interface between science and design can occur more: reflection of own work, further intellectual stimulation through interaction and communication between designer/artist and scientist. At the core of the seminar were presentations of PhD students works with the support of a design or art project, realized by seminar participants. The seminar showed that interactions between scientists and designers can be crucial for the success and startingpoint of a mutual fruitful work. Often, scientists have a skeptic attitude towards design work in the startingphase of the collaboration, but during the course of work, prejudices generally vanish and are replaced by a stimulating working atmosphere. Ongoing approaches aim to develop a design methodology and to establish design as a scientific discipline itself, in order to foster a scientific dialogue between the very young discipline of design and rather “traditional” sciences which contributes to further develop both fields. Communication design for instance – i.e. communication through and with pictures - has more to offer than just helping the researcher to DOSSIER (Left) Photo (video) Annabel Angus : Superposition of Arnold Scharzenegger : Conan, 1984 and Leonardo da Vinci: Mona Lisa, 1502/1503 (Right) Photo (video) Annabel Angus : Superposition of Arnold Schwarzenegger: Portrait by Robert Mapplethorpe (mirrored), 1976 and Richard Hamilton: "Just what is it that makes today´s homes so different, so appealing?" 1956 visualize his or her work. “Design should leave its role as a mere helper, since it has far more to offer”, says Tania Prill, adding that “experiences made by designers are valuable and useful for scientists”. Experience gained by the work of designers, or different approaches towards the subject might lead to mutual knowledge gains and can be useful for the researcher as well. A very prominent example for innovative and mutually gainful/ profitable science-design interfacing is medical imaging: With technical progress, images gain importance in detecting illnesses, in finding appropriate remedies or in the support of surgeries. In other cases, it adds an additional channel of communication: communication through pictures. The results from co-operative projects between designers and scientists are depending on the degree of freedom, the resources, the discipline and the intensity of communication between scientist and designer. An example of the works of the seminar "Envisioning Knowledge" is the visualization of the topic “Gelebtes Lebenswerk - Die postmoderne Autoplastik des Arnold Schwarzenegger” – “Living Life’s work – the postmodern autoplasty of Arnold Schwarzenegger”, the title of a PhD thesis of a researcher, who participated in the project. During the course of the seminar the designer and artist Annabel Angus from Karlsruhe visualised the topic in form of a video. In the video images of Arnold Schwarzenegger and art, historical data are composed and brought into connection. They show that the production of the autoplasty has obviously parallels to high-class pictures in art history, with different origins and dating back several centuries. The amalgamation of art and life as an imperative paradigm was one of the questions in the doctoral work. The pictures above are taken from Annabel Angus' video. In other cases, the graphical presentation of scientific results may have to follow more conventional forms, when for instance combining long text passages, results of statistical data treatment and diagrams in a very comprehensive but nevertheless new and creative form. The work on the right has been prepared by designers and scientists from the Fraunhofer Institute for Systems DOSSIER and Innovation Research in Karlsruhe for a scientific conference. Again, the core objective is the effort to catch the reader's eye with a symbolic presentation of measuring. Additionally, it is considered essential here to hold intense interactions and exchanges between scientist and designer in order for both participating sides to use and develop existing overlappings between the scientific and the design-oriented work for the benefit of a successful, creative and fruitful final result. On the one hand, the designer is supported in producing an attractive and pleasant representation of research findings (and hence contributes to increase the research's reception) when having thorough information on the core ideas of the research, as well as on type and objective of the research and on the target group to be addressed. On the other hand, the consideration of and focus on aspects of visual communication can help the researcher to (re-)structure his/her ideas and statements and to reflect about designated associations. All in all, design in this respect can contribute to "give science a serious and modern face" states Jeanette Braun, to "make science aesthetic", in order to induce associations and to guide the unconscious process of perceiving and processing the scientific message. Art and science with their mutual influences have a long history. The history between design and a multitude of scientific disciplines intensified during the Bauhaus period, when science started to influence design strongly. Further cooperation and joint projects could promote further coalescence and might be visionary for the development of various scientific disciplines. ⊗ (AZ & EB) 011 La méthode, ah oui. La méthode pour bien dormir, c'est de prendre un cachet, celui qui va bien pour dormir. Bien sûr, cette méthode était déjà connue au vieux XXème siècle, mais on peut penser qu'elle a été bien améliorée déjà en une dizaine d'années. L'autre technique, c'est de s'auto-observer. Comme ce n'est pas directement accessible aux laborieux êtres humains de notre siècle, nous devons avoir recours à des outils, qui nous observent et nous transmettent ensuite leurs observations. Nous avons ainsi à notre disposition un certain nombre de systèmes qui enregistrent nos cycles de sommeil, leur composition et leur durée, et nous permettent de mieux connaître nos propres caractéristiques de dormeurs. A l'aide de ces informations nous pouvons établir des horaires de coucher et de lever cohérents avec nos diverses horloges internes pour mieux dormir, et ainsi être mieux éveillés et finalement plus heureux. Bien sûr, si l'on a toujours du mal à trouver le sommeil malgré ces précieuses recommandations, il nous faudra songer à supprimer de nos habitudes diurnes la prise d'excitants comme le café, le thé noir, la nicotine ou l'alcool et d'une façon plus générale, toutes les drogues qui sont connues pour avoir un effet délétère sur un certain nombre de choses dont le sommeil. Il n'y a cependant rien de nouveau méthodologiquement là-dedans. Mais comment faisait donc l'être sans méthode, voué à s'adapter sans comprendre, soumis au seul mécanisme des forces biologiques, que notre ancêtre des cavernes était? Lui était-il donc plus aisé qu'à nous de se coucher avec le soleil et d'ouvrirç l'œila aux premiers rayons? Et de dormir au moment même où les dangers f u r t i f s menaçaient? Certes, la lumière directe du soleil réveille sec... mais au fin fond d'une grotte? Et la nuit on n'y voit goutte, même équipé d'une torche, ce qui est peu propice aux activités conscientes... mais de là à dormir... S'il s'était agi d'un impératif évolutionoïde, est-ce alors la seule transfor mation fulgurante certes - de notre mode de vie qui nous a jeté dans la nuit blanche, le sommeil agité et la grasse matinée, contre nature? Dans ce cas la méthode, révolutionnaire, pour bien dormir, serait donc de rejoindre nos caver nes, grottes et autres porosités de roches et d'y oublier méthodes, techniques et aphorismes pseudo-scientifiques pour nous concentrer sur la seule activité indiquée par la sagesse: la pêche à la truite. ⊗ (BC) 012 PROSE Sur le culte moderne des dieux faitiches Un texte de Bruno Latour (La Découverte) La collection “Les Empêcheurs de penser en rond”, qui a quitté depuis peu les éditions du Seuil pour rejoindre celles de La Découverte, réédite, dans une version augmentée d’une section et quelque peu retouchée, l’ouvrage de Bruno Latour, publié pour la première fois en 1996 : Sur le culte contemporain des Dieux faitiches. Belle surprise éditoriale puisque cet écrit est suivi d’Iconoclash, texte jusqu’alors inédit en français et qui fut publié la première fois, en anglais, pour introduire le catalogue d’une exposition du même nom2. Ces deux essais ici réunis trouvent à s’articuler autour de deux gestes « réflexes » qu’ils, en en démontant les rouages, en en soulevant les contradictions, en en déployant les effets néfastes et les conséquences aporétiques, tentent de suspendre : « la critique de la croyance ; la croyance dans la critique ». Nous ne pourrons nous attarder ici cependant, et encore de façon très liminaire, qu’à la suspension du premier de ces gestes, « la critique de la croyance », et à la présentation du premier de ces deux textes, Sur le culte contemporain des Dieux faitiches. Dans ce texte, Bruno Latour prolonge son projet de constituer une anthropologie symétrique et positive des sociétés occidentales. C’est à dire, de faire subir à tout les pans de nos sociétés le même traitement que l’on a fait subir aux sociétés qui nous étaient étrangères, et ce sans préjuger, implicitement ou non, d’une quelconque supériorité de celle-ci sur les autres. Mais si énoncé de la sorte le projet ne semble pas marqué d’une profonde originalité, son exploration est des plus surprenantes, tant elle est contrainte de s’attaquer à, et de débusquer, tout ce qui dans nos savoirs reconduit tacitement cette prétendue supériorité et qui se refuse ainsi à toute véritable enquête symétrique. L’un des bastions qui résiste le plus ferme à cette symétrisassion est celui composé par les savoirs scientifiques. Car s’il y a un lieu où l’on se refuse encore à considérer ses productions comme des productions locales, situées et par là même relatives (mais au sens noble de “qui implique des relations” et ne débouchant donc pas sur le verdict du “tout se vaut”), c’est bien celui des sciences. Et en effet, qui irait en toute bonne foi mettre en doute le caractère universel, et donc non situé, des lois de la gravitation, de la Bruno Latour tente de se frayer un chemin entre ces oppositions que l'on pourrait résumer sous cette forme paradoxale : "les faits sont réels et construits". structure en double hélice de l’ADN, de la différence “naturelle” des sexes, ou encore de la rotondité de la terre ? C’est ici que deviennent singulières et donc éminemment importantes les thèses de Bruno Latour. Refusant de se cantonner dans l’un des camps retranchés de la “guerre des sciences” – constructivisme ou réalisme, les “faits” scientifiques sont-ils construits ou bien réels ? -, Bruno Latour tente de se frayer un chemin entre ces oppositions, chemin que l’on pourrait résumer sous cette forme paradoxale : « les faits sont réels et construits ». C’est sur une proposition relevant également du paradoxe, que s’ouvre Sur le culte contemporain des Dieux faitiches : ce qui caractériserait notre “modernité” est l’impossibilité dans laquelle nous nous trouvons de comprendre, d’un même élan LITTÉRATURE Bruno Latour Philosophe et sociologue des sciences, Bruno Latour est professeur et directeur scientifique à Sciences Po Paris. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur l'anthropologie du monde moderne, notamment La science en action ; L'espoir de Pandore, pour une version réaliste de l'activité scientifique ou encore Politique de la nature. et sans contradiction, qu’une réalité est d’emblée construite et autonome. Incompréhension, lorsque sur le front de la colonisation, abordant « les côtes de la Négritie, quelque part en Guinée, (…) les portugais couverts d’amulettes de la Vierge et des saints » rencontrèrent ces Nègres qui à la question « “Avez-vous fabriqué de vos mains ces idoles de pierre, d’argile et de bois que vous honorez ?” répondirent sans hésiter que oui. Et que, sommés de répondre à la deuxième question : “ces idoles de pierre, d’argile et de bois sont-elles de vraies divinités ?”, les Nègres répondirent avec la plus grande innocence que oui, bien sûr, sans quoi ils ne les auraient pas fabriquées de leurs mains ! ». On ne peut pourtant pas affirmer en même temps qu’on fabrique ces idoles et qu’elles sont de vraies divinités. Il faut choisir, on ne peut maintenir cette affirmation qu’à être fou ou bien loin « de la pleine et entière humanité ». C’est donc à partir de cette incompréhension, à partir de cette incapacité à comprendre ce qui devint alors un paradoxe, que Bruno Latour va déplier ce qu’il nous en coûte de ne vouloir prendre au sérieux la proposition de ces Nègres (mais aussi et peut-être surtout ce qui leur en a coûté), et ce que nous pouvons gagner à la considérer pleinement et de quelle manière elle éclaire certains points aveugles de notre modernité. C’est à cet effet notamment, qu’il forge le néologisme faitiche, afin de renouer avec l’ambivalence du fait, qui dit en même temps “ce qui est” et l’artificialité de cet “être”. Si bien qu’au long du parcours que nous propose Bruno Latour, un certain nombre de « Grands Partages » vacillent : Culture(ou société) et Nature, Sujet et objet, Intériorité et Extériorité, Croyance et Savoir,… l’opérateur “croyance” distribuant de part et d’autre de ces dichotomies “ce qui est” et ce qui n’est qu’artifice, croyance ou subjectivité. C’est à cette étrange distribution que Bruno Latour va s’attaquer par la discussion serrée de cette notion de croyance et du couple fétiche/fait qui l’accompagne. Cette mise en branle de la charpente de la maison “occident”, si tant est que cela a un sens de la nommer ainsi, produit des effets surprenants qui ne manquent pas de renouveler notre appréhension des mondes et de bousculer quelque peu les certitudes enfouies de certaines de nos évidences. Mais dans le même temps, de poser aussi de nouveaux problèmes, qui loin d’être négligeables sont peut-être insuffisamment traités par Bruno Latour, problèmes relatifs à ce que l’on peut entendre par politique (avec l’entrée en scène des non-humains), par critique (celle-ci ne révélant plus de déterminations cachées) et par émancipation (une émancipation de l’attachement et du lien). Bonne lecture. ⊗ (AZ) 013 Harold Varmus Portrait d'un encyclopédiste du XXe siècle Faire un numéro sur la science sans parler d'Harold Varmus serait pour le moins un oubli majeur. Grand scientifique de notre temps, ses travaux sur le cancer ont été récompensés d'un Nobel de Médecine en 1989. En dépit des centaines de lauréats du prestigieux prix, tous leurs écrits biographiques ne procurent assurément pas autant de plaisir : les savants ne font pas toujours de grands auteurs. Ce n’est pas le cas de Varmus, dont l'ouvrage est très bien écrit et plaisant à lire. Cela vient certainement du parcours tortueux qui a amené ce personnage à la recherche. D'abord étudiant en lettres (il entre aux cycles supérieurs de Harvard en 1962), chronique d'un poète devenu Nobel de médecine... Son autobiographie est divisée en trois parties : son cheminement vers la science, la science en action, puis la gestion. Son parcours fut lent, il prit son temps pour étudier différents horizons. Ses premiers amours furent la littérature anglaise et la poésie. Quand il dut choisir quelle serait sa spécialité pour ses années de Master, il postula pour des études en journalisme, littérature anglaise et médecine. Il fut accepté avec une bourse pour étudier la littérature à Harvard et fut rejeté par les écoles de médecine. Son destin aurait pu être scellé, mais cette voie ne lui plaisait pas, en décrivant cette période il nous confie : « J’avais des difficultés à me lever le matin et je manquais souvent des classes » ; ce vide le poussa à se remettre en cause. Il retourna à une passion certainement héritée de son père (luimême médecin), la médecine. Il fut refusé à Harvard où le recruteur le trouva trop immature, ce faisant il lui conseilla de s’engager dans l’armée à fin de mûrir. Heureusement, l’université de Columbia lui offrit sa chance. Pourtant ses hésitations étaient encore grandes, il passa de la psychiatrie, à la médecine générale tout en flirtant avec les maladies tropicales. Il n’arrivait pas à choisir. Ce fut finalement la guerre du Vietnam qui fixa son destin. Opposant farouche à cette invasion, il ne voulait pas en faire partie, pourtant les médecins pouvaient être enrôlés dans l’armée. Pour éviter cela, il choisit de faire deux ans de recherche au sein du prestigieux National Institut of Health (NIH). Cette expérience lui permit enfin 014 de trouver sa voie. Il Né en 1939, père de deux ferait de la recherche en enfants, Harold Varmus se biologie moléculaire. « rend au travail à bicyclette. Après de nombreuses Prix Nobel de Médecine en années d’ambivalence 1989 pour ses travaux sur et d’indécision – la l e s m é c a n i s m e s d e du cancer, l o n g u e p é r i o d e compréhension nommé président par B. d’adolescence que ce Clinton, de 1993 à 2000, de pays permet me servit la National Health Fundation positivement - j’étais (NIH). Il est depuis président prêt à me diriger du Memorial Sloan-Kettering clairement dans une Cancer Center à New York. direction, même si ce n’était pas la médecine ou la littérature » C’est le début de la deuxième partie de l’œuvre. A trente ans il s'intéresse à l’influence des virus sur l’apparition du cancer. Il ne serait pas médecin. Pour ce faire, il partit sur la côte ouest où il fut accueilli dans le laboratoire du Pr. Bishop, avec qui il partagea le prix Nobel, à l’université de Californie. Dans cette partie, nous avons la chance d’avoir une explication de première main sur des concepts fondamentaux : DNA, RNA, mécanismes rétroviraux. L’écriture est technique, mais elle reste cependant très claire. Mais le plus important est ailleurs. En lisant ces lignes, pour citer Bruno Latour, nous découvrons la science en action. On voit l’importance du travail en équipe, la notion de controverse scientifique, la construction de communautés, le rôle du financement et du politique. Du savant au politique, il n’y a qu’un pas qu’il franchit en 1993 à l’invitation de Bill Clinton. Il dirigea pendant 6 ans le plus important institut de recherche public américain, la NIH. Il présida à la plus grande augmentation budgétaire de cet institut. Dans la section sur son rôle politique, on découvre les arcanes de la politique américaine de la recherche : comment les budgets sont décidés, l’influence du politique sur les secteurs de recherche, etc. Après la science en action, nous voyons la genèse des politiques scientifiques, politique et science étant fortement liées. Ce livre approche, par ailleurs, de nombreux sujets : les cellules souches, les problèmes d’accès au soin, l’influence d’internet sur les publications scientifiques. Sur ce dernier point, il milite farouchement pour l’émergence de publications ‘open source’, il veut ainsi ramener le pouvoir de décision à la communauté scientifique et favoriser la libre circulation des connaissances, ce qui n’est plus accompli par les éditeurs scientifiques selon lui. Harold Varmus nous montre comment la science peut être pratiquée au sens large, alliant science et société. Il est par ailleurs un chantre du doute, de la nécessité de laisser du temps au temps pour choisir son mode d’action. Il continue ainsi sur la voie de l’éclectisme. Il est maintenant conseiller de l’administration Obama pour la science et la technologie, lorsqu'il ne lit pas de la poésie. ⊗ (RC) PROFIL La cliométrie au 21ème siècle : retour vers le futur ! Depuis son origine, d’aucuns estiment, en France notamment, que la cliométrie est mourante, voire même qu’elle a vécu avant même d’avoir pu prendre son envol. Cette considération est assurément fausse. L’attribution du Prix Nobel d’économie à Robert Fogel et Douglass North, en 1993, pour avoir renouvelé la recherche en histoire économique par l’application de la théorie économique et des méthodes quantitatives aux changements économiques et institutionnels a indiscutablement consacré l’avènement de la discipline. La récente tenue, à Edinbourg, du 6ème Congrès mondial de Cliométrie (17-20 juillet 2008) est un autre exemple significatif d’une recherche tout à la fois innovante, dynamique et néanmoins ancrée dans une longue tradition. Mais comment l’aventure cliométrique a-t-elle débuté ? Répondre à cette interrogation est sans doute l’ambition première du récent livre, édité en 2008 par John Lyons, Louis Cain et Samuel Williamson. Après une introduction rédigée sous la forme d’une histoire de la cliométrie, l’ouvrage présente une succession d’interviews, une sorte d’histoire orale Les raisons du succès de la discipline sont certes liées à la vogue de l’économétrie, mais aussi à la réaction de défense d’une catégorie professionnelle menacée, celle des enseignantschercheurs en histoire économique. avec les figures emblématiques, surtout américaines ou anglosaxonnes, de la discipline (Moses Abramovitz, Paul David, Lance Davis, Richard Easterlin, Stanley Engerman, Robert Fogel, Jonathan Hughes, John Meyer, Peter Temin, etc.). En fait, la lecture de l’ouvrage montre clairement que les contours de la cliométrie se sont forgés avant même que la discipline ne naisse officiellement aux Etats-Unis ! Les héritages sont nombreux. Où et par qui commencer est difficile à établir, voire impossible à déterminer. Au risque d’oublier l’un ou l’autre des protagonistes, il apparaît toutefois que la dette à l’encontre de l’Ecole historique allemande est énorme. Quant aux Instituts de conjoncture et notamment le National Bureau of Economic Research (NBER), ils auront été, après la Première Guerre mondiale, les véhicules pour l’affirmation du quantitatif en sciences sociales et plus précisément les initiateurs d’une comptabilité de la croissance. Pensons également à la création de l’Econometric Society, en 1930, avec son projet, à travers la revue Econometrica (1933), de concilier la théorie, l’histoire et les statistiques. Si l’influence de Kuznets a été fondamentale OutreAtlantique, il est évident que grâce à son rayonnement scientifique mais aussi financier, les travaux de Deane et Cole en Grande-Bretagne, de Hoffmann en Allemagne ou de Toutain en France ont pu se développer pour représenter aujourd’hui les fondements de la cliométrie européenne. Pour Lyons, Cain et Williamson, l’aventure cliométrique débute véritablement en 1957 à Williamstown avec la conférence Research in Income and Wealth initiée par Fabriquant, Lebergott et Gerschenkron et consacrée aux Trends in the American Economy in the Nineteenth Century. Le manifeste de Conrad et Meyer en 1957 Economic Theory, Statistical Inference, and Economic History, puis l’article du Journal of Political Economy de 1958, marquent une seconde étape essentielle. La première réunion de la société de cliométrie américaine est organisée par Davis, Hughes et Reiter à Purdue en 1960. Intitulée Conference on the Application of Economic Theory and Quantitative Methods to the Study of Problems of Economic History, cette conférence est devenue progressivement la Cliometrics Conference RAPPORT que nous connaissons aujourd’hui et qui est organisée sous l’égide de la Cliometric Society américaine, fondée en 1983. Quant aux thèmes fondateurs de la cliométrie, il faut mentionner l’impact des chemins de fer sur la croissance américaine, l’esclavage comme institution économique rentable ainsi que les causes et le coût de la guerre de Sécession. Les raisons du succès de la discipline sont certes liées à la vogue de l’économétrie, mais aussi à la réaction de défense d’une catégorie professionnelle menacée, celle des enseignants-chercheurs en histoire économique. Notons ici que l’influence de Samuelson et ses Foundations of Economic Analysis (1947) aura été considérable, principalement avec le passage de l’après seconde guerre mondiale vers la production de modèles mathématisés en économie. Rappelons également que le premier survey consacré à la cliométrie, Econometric Studies of History, a été rédigé par Wright et discuté par David en 1971. En 1973, Temin édite un ouvrage collectif consacré à la new economic history. Dès 1975, Van der Wee et Klep publient, dans les Recherches Economiques de Louvain, un état des savoirs, largement méconnu, en termes d’histoire économique quantitative européenne. Crafts, en 1987, livrera un autre survey, publié dans le Journal of Applied Econometrics. Enfin, nous n’oublions pas l’ouvrage de McCloskey de 1987 Econometric History, l’état des savoirs de Goldin de 1995 dans le Journal of Economic Perspectives, le meeting de 1997 de l’American Economic Association Cliometrics after 40 Years et les articles récents de Costa, Demeulemeester et Diebolt (2007) et Carlos (à paraître en 2010) dans Cliometrica. Avec le 21ème siècle, deux revues Explorations in Economic Cliométrie, voyages temporels... Claude Diebolt, Emmett Brown, même combat? History (Elsevier) et Cliometrica (Springer), soutenues notamment par la Cliometric Society américaine, affichent, plus que jamais, pour ambition première de pérenniser les acquis du passé tout en stimulant les recherches cliométriques à venir, celles menées dans le cadre de modèles hypothético-déductifs (contrefactuels mais pas exclusivement) conjugués avec des analyses historiques, statistiques et économétriques rigoureuses, appuyées sur des données organisées systématiquement. Ces principes méthodologiques représentent avec la nouvelle économie institutionnelle et la discussion de la multiplicité des représentations erronées de l’histoire économique (mythes, falsifications, déformations, négations ou omissions) une somme importante de ce que la cliométrie a, pour l’heure, apporté aux chercheurs en sciences humaines et sociales en général et aux historiens de l’économie en particulier. ⊗ (CD) 015 Science biologique et sciences sociales : mêmes enjeux épistémologiques? L’avènement de la neurologie moderne, alliée à la montée en puissance de la recherche épigénétique, permettent de croire que la science biologique sera ultimement en mesure d’être une interlocutrice d’importance dans les débats théoriques en sciences sociales et humaines. Si l’axe de pénétration de ces approches biologiques semble se réaliser dans le champ traditionnellement occupé par la psychologie, rien n’indique que le progrès, ou l’empiètement selon certains, se limitera à ce champ. Il nous apparaît donc à propos de mener une réflexion comparative visant à mettre en relation les enjeux épistémologiques de deux sciences qui semblent être, bien que de façon limitée, toujours plus intégrées. De façon assez intéressante, un examen de la réflexion philosophique concernant la biologie révèle un bon nombre de ressemblances avec les questionnements effectués au sein de la philosophie des sciences sociales. D’une manière générale, l’individualisme méthodologique est identifiable au réductionnisme génétique tout comme la sociologie macroscopique (incluant le fonctionnalisme) est analogue à la sélection de groupe et multiniveaux. Il ne s’agit pas de prétendre que ces débats sont mutuellement réductibles, mais qu’il y a un nombre impressionnant de similitudes entre les deux. Cela dit, il est nécessaire d’apporter d’emblée une précision : alors que le corpus théorique de la biologie gravite presque intégralement autour de diverses conceptions de la théorie darwinienne, il serait grossier de croire qu’il puisse exister une telle homogénéité théorique du côté des sciences sociales et ce n’est pas ce dont il est question ici. Cela dit, plusieurs questions épistémologiques sont apparentées, et bon nombre des paramètres des débats entre les divers modèles théoriques sont transcendants et posent un type d’argumentation semblable. La similitude la plus évidente provient d’une équivalence remarquable entre les concepts et catégories analytiques qui en découlent. En d’autres mots, plusieurs relations causales et explicatives se fonderaient sur une même compréhension des mécanismes et des référents d’intelligibilité qui les sous-tendent. Par exemple, la science politique considère généralement que l’État et les institutions au sens large ont comme objectif de se perpétuer, de se maintenir dans le temps. De là, il devient facile de poser le concept d’homéostasie tel qu’utilisé en sciences biologiques comme une équivalence conceptuelle qui, conséquemment, dépasse les horizons disciplinaires. Évidemment, pour accepter une telle proposition, il faut accepter de donner une valeur, au moins minimale au systémisme en général et à la théorie des systèmes en particulier. Cela dit, le problème de l’équilibre et son corolaire principal que l’on trouve dans le problème de 016 l’explication du changement, prend sens pour les chercheurs dans des concepts qui font foi non seulement d’une ressemblance au niveau des un examen de la réflexion philosophique concernant la biologie révèle un bon nombre de ressemblances avec les questionnements effectués au sein de la philosophie des sciences sociales. problèmes, mais aussi de la manière dont sont envisagés ces problèmes. À bien y penser, il n’y a ici rien de surprenant dans le fait que des problématiques semblables au niveau de la forme engendrent un appareillage conceptuel analogue. Cela dit, trop souvent les limites posées par les œillères disciplinaires ont empêché un échange philosophique constructif à propos de ces enjeux. L’étude du changement, de l’évolution, a notamment comme objet d’expliquer l’existence de traits ou d’attributs spécifiques. Ainsi, qu’il s’agisse d’un trait propre à une espèce, ou plus simplement d’une particularité culturelle qui distingue une société ou un régime politique d’un autre, répondre à la question des origines de ce trait se résume souvent à en expliciter la fonction. Évidemment, il existe d’autres parallèles intéressants à faire au sujet du caractère analogue des approches dont il est ici question, mais le fonctionnalisme est le principal, et le plus évident des points de rencontre des modèles théoriques qui nous concernent. Cela dit, le fonctionnalisme ne trouve plus autant preneur tant au sein des théories sociologiques et des sciences sociales en général qu’en biologie pour plusieurs raisons qu’il s’agit maintenant d’expliciter. Finalement, il faut ici insister sur le fait que le fonctionnalisme est toujours le mode explicatif dominant en biologie. Cela nous permettra de tenter une réponse – très partielle – à propos de la question de la similitude des enjeux théoriques entre les sciences sociales et la biologie et notamment de la valeur des transferts théoriques envisageables entre ces champs. La thèse holiste-fonctionnaliste et le problème de l’intentionnalité Le rejet du fonctionnalisme par la plupart des chercheurs en sciences sociales repose sur le fait que même si l’on peut expliquer un phénomène par ses fins, de façon téléologique, il faut aussi être en mesure de fournir une description des mécanismes responsables de son existence. Réussir à saisir l’utilité d’une institution par l’entremise de sa finalité et du besoin auquel elle répond est insuffisant, RAPPORT voire généralement aisé. Or, les causes finales ne sont pas satisfaisantes. Lorsque les théories inspirées des choix rationnels ont pris le pas sur leur contrepartie fonctionnaliste au début des années ‘80, les arguments en leur faveur mettaient en valeur le fait qu’elles étaient capables d’expliquer « comment » un acteur prenait ses décisions et non pas uniquement en fonction de quel besoin il les prenait. Ces théories ne se limitaient pas à dire que cet acteur était destiné à poursuivre une fin particulière simplement parce qu’il était en quelque sorte « conçu » par et pour cette finalité. Même si les théories des choix rationnels ont un caractère autoréalisateur, elles admettent la possibilité d’une prise de décision consciente, ce qui est généralement exclu des modèles fonctionnalistes et qui introduit le problème persistant et peut-être même redondant de l’intentionnalité. Ainsi, si le fonctionnalisme amène souvent l’élaboration de raisonnements circulaires et se fonde fréquemment sur une causalité à rebours, il ne permet pas d’expliquer de façon convaincante la notion de choix, mais seulement de supposer une défectuosité du système lorsque ce choix s’avère ne pas être optimal en vertu de la finalité du dit système. Aussi, la part de liberté que l’on accorde à l’homme, l’idée même qu’il est possible d’effectuer un choix, ne saurait être qu’un rapport causal aléatoire dénué de toute forme de décision consciente. En ce sens, la distinction reste : les sciences sociales, au regard de la science et de cette grande science naturelle, reste la science du choix, de l’intentionnel, ce qui la distingue indéniablement des ambitions nomologiques et prédictives de ces dernières. Le problème de l’intentionnalité et celui de l’individuation biologique au sein de l’espèce humaine sont liés. Puisque l’intentionnalité ne peut généralement pas être attribuée à un groupe, mais seulement à des individus au sens commun du terme, l’adoption d’une conception de la société comme un organisme est incompatible avec la notion même d’intentionnalité. Ainsi, bien qu’il faille admettre qu’il existe une autoréflexivité des individus et des institutions, dans la Le problème de l’intentionnalité et celui de l’individuation biologique au sein de l’espèce humaine sont liés. Puisque l’intentionnalité ne peut généralement pas être attribuée à un groupe, mais seulement à des individus au sens commun du terme, l’adoption d’une conception de la société comme un organisme est incompatible avec la notion même d’intentionnalité. mesure où ces dernières sont produites et maintenues par des individus; cela implique la possibilité d’une pensée intentionnelle au moins capable de satisfaire à la notion de croyance. Cette question est donc celle de l’effectivité des idées, de la possibilité de leur réalisation sans que cette réalisation soit simplement le fait d’une longue chaîne causale remontant aux règles fondamentales de l’ordre de l’univers. La possibilité d’effectuer un choix ayant un impact sur le monde en tant qu’acte libre RAPPORT Selon la "Uncyclopedia", la gravité est un leurre qui mérite, au même titre que la sélection naturelle, d'être révisé. On y développe la théorie dite de la Chute Intelligente, où un "Tireur intelligent" est chargé de tirer tout ce qui bouge vers le bas. Pour plus de détails : http://tr.im/CMMi En ce qui concerne la "fausseté" de la théorie de la gravité, on consultera sinon l'excellent article (!) du célèbre physicien Ellery Schempp (connu pour avoir fait attester de l'inconstitutionalité de la lecture de la bible en classe par la Cour Suprême américaine), "Warning, Gravity is "Only a Theory" : http://tr.im/CMNS revient, encore une fois, à la remise en question des ambitions déterministes de certains chercheurs et ce déterminisme s’avère être une menace patente au concept de libre arbitre. Comme l’a montré Alasdair MacIntyre, le déterminisme plus ou moins strict du fonctionnalisme exclut d’emblée l’existence du libre arbitre et évacue du coup la pertinence de toute réflexion éthique. Aussi, comme l’ont indiqué les penseurs de la théorie critique, la réflexion sociale ne saurait être complètement détachée des intérêts et des enjeux sociaux et est ainsi imprégnée d’un aspect normatif indéniable. Rejeter l’intentionnalité revient à mettre de côté bon nombre des activités philosophiques et sociologiques des êtres humains et à nier une forme d’individuation sur laquelle est basée la presque totalité de nos institutions politiques et judiciaires. Il est donc à propos de se demander si cet isomorphisme théorique, et conséquemment la possibilité des transferts théoriques interdisciplinaires qu’il implique, reste possible ou même souhaitable. Cela dit, si la science répond d’abord et avant tout d’un impératif d’intelligibilité validé par l’expérience intersubjective, rien n’indique qu’il soit impossible de rapporter les catégories analytiques proposées par la science à un imaginaire global. Peut-être qu’ultimement, Kant avait vu juste au sujet de l’universalité des catégories de la raison et que la question du “Qu’est-ce que je peux connaître?” reste du même ordre dans toutes les déclinaisons disciplinaires. Mais qu’en est-il de cette vieille notion de la philosophie analytique, de ce problème de l’intentionnalité, de ce contrôle conscient de la matière sur la matière? ⊗ (JLM) 017 Call for papers Augustin-Cournot Doctoral Days 2010 Strasbourg (France) from April 7th-9th What? Timeline The Augustin-Cournot Doctoral Days is an event dedicated to the promotion of excellence in doctoral research. The forum allows Ph.D. candidates to present their work to peers and to obtain feedback from senior and junior researchers in their field. We are looking for high quality research papers in the fields of economics, management finance and science studies. Three "ACDD Best Paper Awards" will be granted at the end of the three day forum. Interested Ph.D. Candidates are expected to submit an abstract before Dec. 20th 2009. Dec. 20th 2009 : Deadline for abstract submission Jan. 15th 2010 : Acceptance notification Feb 1st 2010 : Deadline for payment March 1st 2010 : Deadline for full paper submission April 7-8-9th 2010 : ACDDs @ University of Strasbourg Guidelines Abstract should be no longer than 300 words, and be accompanied by a list of maximum 6 keywords and a short biography of the presenter (50 words). Full papers should not exceed 6000 words. They should be sent in PDF format, using a Times 11pt. font at 1.5 spacing. Papers are accepted in the following fields : economics, management, finance, science studies. The conference is reserved to candidates not affiliated to the AugustinCournot Doctoral School. Participation fee is 60€. All material should be submitted to [email protected] From April 7th to April 9th 2010 ; University of Strasbourg @ PEGE, 61 av. de la Forêt-Noire, 67085 Strasbourg, France Visit us @ acdd.cournot.org or write to : [email protected] 018 PUBLICITÉ LA GAZETTE COURNOT Séminaire Cournot (14h00, salle Ehud) Paul Pezanis-Christou Information quality and behavior in multi-unit high-bid auctions Séminaire du LaRGE (10h30, salle Ehud) Damien Broussole (Source unknown) An exploratory note on the impact of yield management strategies on the consumer price index in toll highways Décembre 2009 - La pauvreté dans l’abondance* Janvier 2010 - Fièvres de la santé Séminaire ACOSE (17h30, salle de réunion du Bat. B) Edmond Passe (CESAG) La gestion de crise par improvisation Séminaire de l'IRIST (18h00, salle Table ronde, MISHA) David Aubin (Université Pierre et Marie Curie) Le laboratoire de la Nature : les montagnes et la science du XIXe siècle Soutenance de thèse : Charlotte le Chapelain (BETA) Salle 205 (PEGE), 14h30 Sous la direction de R. Ege et C. Diebolt Rapporteurs : J. Bourdon, J-L. Demeulemeester, R.D.S. Ferreira, J-N. Rieucau Allocation des talents : Essai sur la contribution de l'éducation à la croissance Nouvelle charte des thèses L'Université de Strasbourg a adopté une nouvelle charte des thèses le 22 septembre dernier. Si le contenu est sensiblement le même par rapport à la version précédente, l'Université, dans son journal interne l'Actu, insiste sur certains points marquants de la nouvelle charte : la réaffirmation du caractère professionnel de la thèse, le doctorant est reconnu comme un chercheur à part entière ; la préoccupation de trouver un financement pour le plus grand nombre possible de doctorants sans autre activité professionnelle ; l’assurance d’un véritable suivi de la thèse en instaurant un bilan à mi-parcours afin d’aider le doctorant à s’auto-évaluer et de créer un moment d’échange avec le directeur de thèse ; le rappel de la durée de référence de la préparation de la thèse, trois ans à temps complet. (Des prolongations peuvent être accordées en cas de situations particulières). Suspendre la lune au pin – la décrocher pour mieux la contempler CALENDRIER - T. Hokuchi Date de tombée de la Gazette Cournot #49 La pauvreté dans l'abondance* Ne manquez pas notre interview exclusive (c'est une surprise!) Envoyez vos commentaires et contributions à [email protected] Soutenance de thèse : Carine Heitz (BETA) Amphi Commun (PEGE), 14h00 Sous la direction de S. Spaeter et S. Glatron Rapporteurs : P. Bontems, F. Vinet, J. Humbert et L. Pfister La perception du risque de coulées boueuses : Analyse sociogéographique et apports à l'économie comportementale Soutenance de thèse : Shaneera Boolell Gunesh (LaRGE) Salle Ehud, 11h00 Sous la direction de Maxime Merli Rapporteurs : P. Roger, JF Gajewski, H.R. Le Montatgner, H. Alexandre L'investisseur individuel : biais de comportement et gestion de portefeuille Séminaire ACOSE (17h30, salle de réunion du Bat. B) Mialissoa Rahetlah (CESAG) Le concept d'effectuation 06 13 17 20 21 27 30 01 décembre Écrire. C’est encore possible. Calendes strasbourgeoises 019 LA GAZETTE CONTACT 61 avenue de la Forêt-Noire, Bureau 148 (Rédaction) 67000 Strasbourg, France Dépôt légal* Imprimerie et reprographie Direction des affaires logistiques intérieures Université de Strasbourg Dépôt légal au 4ème trimestre [email protected]