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Séance 3 : Première expérience de la guerre et premiers doutes Texte 1 A l’enthousiasme de la mobilisation à Auxonne ont succédé les longues chevauchées en Alsace dans la chaleur étouffante du mois d’août 1914. Dans cet extrait de ses « Souvenirs de guerre », Jean Richard de Soultrait relate l’un de ses premiers contacts avec l’ennemi alors que son régiment est en reconnaissance. 5 10 15 20 25 12 août 1914 Nous marchons au trot par quatre en colonne serrée !.... A un détour de la route nous entendons des sifflements aigus par dessus nos têtes. Nous avons été repérés et ce sont les obus qui passent pour aller éclater dans un bois à une cinquantaine de mètres. A mon grand étonnement, aucun ordre ne vient pour passer à une formation dispersée... Les chevaux font des écarts en entendant ces sifflements aigus. Je pousse un soupir de soulagement après avoir dépassé la zone dangereuse. Je suis de plus en plus surpris quand je vois que nous marchons toujours par quatre, même sur les crêtes les plus découvertes. Le 2ème peloton commandé par le sous-lieutenant Henriet est en pointe d'avant-garde. Vers les 16 heures, comme nous pénétrons dans un bois toujours en formation serrée, des coups de feu retentissent tout à coup espacés puis soudain un feu nourri de mousqueterie1. Le 2ème peloton revient bride abattue2 en désordre. Deux ou trois chevaux sans cavaliers rentrent dans le bois plus ou moins ensanglantés. Tout ceci avec la rapidité de l'éclair ; puis, je vois le commandant Pied qui a fait demi-tour et qui passe près de moi suivi du capitaine Boisse au grand galop dans une bousculade innommable. Je suis le mouvement et voilà le demi-régiment dans une fuite éperdue. Derrière une crête, on ralentit le mouvement et les escadrons mêlés se reforment. Nous voyons passer un cavalier du 2ème peloton. Un camarade l'aide à le tenir sur son cheval. Il est livide et a la cuisse percée. On me raconte que ce dernier était en éclaireur avec le dénommé Muletier (cousin d'Henriet) qui est resté sur le carreau3 criblé de balles. […] À l'avis de tous, c'est une simple petite patrouille d'infanterie qui a mis nos deux escadrons en déroute. Il serait facile d'envoyer des patrouilles pour se rendre compte et de se former au combat à pied. Peut-être il y aurait-il un coup à faire ? Mais non le Commandant Pied trouve que c'en est assez pour aujourd'hui et nous rentrons au cantonnement à la tuilerie de Foussemagne. J'ai la rage dans l'âme !...... Texte 2 Dans cet extrait du roman de Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit (1932), le narrateur, Bardamu, après s’être laissé séduire par une parade militaire, s’engage sur un coup de tête dans l’armée. Il se retrouve en tant que cavalier confronté aux dures réalités de la guerre. Au-dessus de nos têtes, à deux millimètres, à un millimètre peut-être des tempes, venaient vibrer l’un derrière l’autre ces longs fils d’acier tentants que tracent les balles qui veulent vous tuer, dans l’air chaud d’été. Jamais je ne m’étais senti aussi inutile parmi toutes ces balles et les lumières de ce soleil. Une immense, universelle moquerie. [...] Je me pensais aussi (derrière un arbre) que j’aurais bien voulu le voir ici moi, 5 1 Décharge de mousquets ou de fusils qui tirent en même temps. À bride abattue : très rapidement, à toute vitesse 3 Rester sur le carreau : être tué ou blessé après un combat 2 le Déroulède4 dont on m’avait tant parlé, m’expliquer comment qu’il faisait, lui, quand il prenait une balle en plein bidon5. Ces Allemands accroupis sur la route, têtus et tirailleurs, tiraient mal, mais ils semblaient avoir des balles à en revendre, des pleins magasins sans doute. La guerre décidément, n'était pas terminée ! Notre colonel, il faut dire ce qui est, manifestait une bravoure stupéfiante ! Il se promenait au beau milieu de la chaussée et puis de long en large parmi les trajectoires aussi simplement que s'il avait attendu un ami sur le quai de la gare, un peu impatient seulement. […] Le vent s'était levé, brutal, de chaque côté des talus, les peupliers mêlaient leurs rafales de feuilles aux petits bruits secs qui venaient de là-bas sur nous. Ces soldats inconnus nous rataient sans cesse, mais tout en nous entourant de mille morts, on s'en trouvait comme habillés. Je n'osais plus remuer. Ce colonel c'était donc un monstre ! A présent, j'en étais assuré, pire qu'un chien, il n'imaginait pas son trépas6 ! Je conçus en même temps qu'il devait y en avoir beaucoup des comme lui dans notre armée, des braves, et puis tout autant sans doute dans l'armée d'en face. Qui savait combien ? Un, deux, plusieurs millions peut-être en tout ? Dès lors ma frousse devint panique. Avec des êtres semblables, cette imbécillité infernale pouvait continuer indéfiniment... Pourquoi s'arrêteraient-ils? Jamais, je n'avais senti plus implacable la sentence 7 des hommes et des choses. Serais-je donc le seul lâche sur la terre ? pensais-je. Et avec effroi !... Perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu’aux cheveux ? 10 15 20 25 http://www.ebooksgratuits.com/pdf/celine_voyage_au_bout_de_la_nuit.pdf Illustration de Jacques Tardi pour Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline 4 Ecrivain et homme politique français (1846-1914) revendiquant un patriotisme nationaliste et revanchard. 5 Bidon : ventre 6 Trépas : mort 7 Sentence : jugement, verdict Questions 1. Qui est l’auteur du texte ? Texte 1 Texte 2 2. Qui est le narrateur ? 3. Quand le texte a-t-il été écrit ou édité ? 4. Quels sont les sens sollicités par ce récit ? Justifiez votre réponse. 5. Comment le narrateur montre-t-il la puissance destructrice de la guerre ? 6. Quelle est l’attitude du narrateur pendant le combat ? Quel sentiment domine chez lui ? 7. Relevez dans le texte les expressions qui décrivent les actions des officiers. Que ressent le narrateur à leur égard ? 8. Relevez dans le texte les expressions familières. Que constatez-vous ? Pourquoi ce langage est-il plus présent chez Céline ? 9. Sous la forme d’une réponse construite, précisez quelle vision a chaque auteur de la guerre et par quels procédés il l’exprime.