La raison doitelle abolir toute croyance ?

Transcription

La raison doitelle abolir toute croyance ?
La raison doit­elle abolir toute croyance ?
Etude du sujet
Que recouvre l'idée selon laquelle la raison « devrait » abolir toute croyance ?
Dans « devrait » il peut y avoir plusieurs idées : une idée de « chronologie » (le progrès de la raison va­t­il probablement abolir toute croyance ?). Une question de logique intérieure (lorsque la raison progresse, la croyance est­elle abolie ?). Une question de fonction, voire de mission de la raison : faut­il, dans la mesure du possible, abolir les croyances ? Pourquoi ? N'y a­t­il pas là une prétention de la raison qu'il faudrait examiner de près ? Une question de possibilité aussi (en est­elle capable ?)
Cette question renvoie au terme « toute ». Le progrès de la raison peut­il remplacer par un savoir l'ensemble des croyance ? Certains objets de croyance n'échappent­ils pas presque par définition au domaine du savoir ? Faut­il alors renoncer à tout discours sur de tels objets (Dieu par exemple) ? Et d'ailleurs n'y at­il pas des croyances raisonnables, un usage raisonnable des croyances par opposition à un usage déraisonnable, donc une absence de contradiction entre raison et croyance ? Mais alors qu'est­ce qu'une croyance raisonnable ou un rapport raisonnable à ses propres croyances et à celles des autres ?
Enfin il y a la question particulière de la science, à laquelle il faudra faire un sort, en évitant l'approche naïve qui confondrait purement et simplement progrès de la raison et progrès des sciences. Il sera donc bon de présenter le rapport entre science et croyance comme un aspect particulier de la question, voire de s'interroger ensuite sur les rapports entre progrès des sciences et progrès de la raison.
Dernière distinction : la croyance est un certain discours qui porte sur quelque chose, mais c'est aussi un certain type de rapport entretenu par une pensée avec un contenu de pensée. De quoi s'agit­il dans le sujet ? Sans doute des deux. Autrement dit, il y a un versant objectif et un versant subjectif du sujet. Le versant objectif se formulerait par exemple ainsi : « la raison doit­elle dénoncer comme fausses les opinions et les croyances ? » Le versant subjectif : s'efforcer de suivre la raison, est­ce renoncer en moi à tout ce à quoi je ne puis que croire ? Faut­il extirper hors de soi, au nom de la raison, toute croyance, voire toute opinion ?
Première idée de plan
On pourrait consacrer une première partie à l'analyse de cette double dimension du sujet.
1) Enoncer la distinction
2) Exemple de première approche « objective » de la question : l'exemple des rapports religions/science.
a. Un exemple : le récit de la Genèse (création du monde) « réfuté » par la science.
b. Question sur la capacité de la raison à abolir la croyance. Les croyances sont liées aux désirs humains. On peut donc prévoir la résistance des croyances, voire la crispation autour des croyances, non sans violence éventuellement.
c. La croyance se situe­t­elle sur le même plan que la raison ? Sur notre exemple, le récit de la Genèse est une invitation à méditer sur la place de l'homme dans l'univers, sur l'étendue et la forme de sa responsabilité. Si le récit biblique doit être lu symboliquement, en quoi le « récit » scientifique le contredit­il ? Et plus profondément, n'y a­t­il pas ici la trace d'une distinction à opérer entre deux types d'exigence de vérité ?
3) Dimension subjective : de l'opinion à la raison
a. Se soumettre à la raison, soumettre ses propres pensées à la critique de la raison est un progrès dans l'autonomie, la capacité à penser par soi­même. La réflexion (le projet philosophique même) voit dans ce retour sur nos croyances dirigé par la raison, une véritable force d'émancipation (voir la caverne de Platon).
b. Cela doit­il avoir pour effet d'abolir toute croyance ? N'y a­t­il pas des croyances raisonnables ? L'important n'est­il pas d'entretenir un rapport raisonnable avec nos propres croyances, et de réfléchir à ce que serait entretenir un rapport raisonnable avec les croyances des autres ?
c. Tout progrès de la raison est ambigu. Le progrès de la science est­il un progrès de la raison ? Est­il même un progrès de la science en chacun ? Nous prenons les discours scientifiques comme des oracles, nous ne pouvons que les croire. Et le progrès de la science n'a visiblement pas rendu les hommes plus « raisonnables »...
Au bout du compte : un vrai problème, dont on ne pourra examiner que quelques aspects.
Remarques
Cette « première partie » est déjà bien riche, et pourtant elle ne fait qu'esquisser des directions d'analyse. On pourrait l'« exploser » en trois parties réelles, en se contentant d'approfondir un peu chaque aspect au fur et à mesure. Mais vous mesurerez que si l'on s'oblige à mettre ses pensées en ordre, et à réfléchir à ce qu'il y a derrière une première idée qui nous vient, on trouve la plupart du temps de quoi créer des sous­parties, qui suggèrent d'autres idées et d'autres exigences de mise au point. Seul ce travail donnera à votre devoir un vrai contenu véritablement produit par votre effort de réflexion, qui est au fond un effort pour mesurer l'ampleur et la richesse d'une question.
Une idée de « deuxième partie » : revenir sur le texte de Bachelard1 (qui concerne visiblement l'aspect « subjectif » du sujet). Cette partie pourrait commencer ainsi : « En ce qui concerne l'aspect subjectif de la question, on pourrait examiner par exemple la relation entre la croyance et ce que Bachelard appelle « l'esprit scientifique ». Bachelard oppose en effet, etc. » Cette lecture (avec rappel du texte, rapport à notre sujet, mise en perspective, éventuellement grâce au texte de Nietzsche p. 112) ne suffit absolument pas à « répondre » à notre question, mais représente une étude partielle parfaitement pertinente, et qui demande à être quelque peu développée, à la taille d'une « partie » entière.
Exemple de début d'introduction (il manque l'annonce des deuxième et troisième parties)
Il est courant d'opposer la raison aux croyances. On a pu penser par exemple que le progrès de la raison, et particulièrement le progrès des sciences, mettrait à mal les croyances religieuses, et sortirait l'humanité de cet état dans lequel on n'a, sur la réalité du monde, que des croyances, faute de véritable savoir. On sait pourtant que le progrès des sciences n'a pas détruit les religions. On peut se demander dans quelle mesure le progrès de la raison peut prétendre substituer le savoir aux croyances, dans quelle mesure les résultats des sciences contredisent les croyances, dans quelle mesure le progrès des sciences représente bien un progrès de la raison... Toutes questions que nous tâcherons d'aborder à partir de la question unique : « La raison doit­elle abolir toute croyance ? » Cette question est d'autant plus complexe qu'elle a, nous le verrons, une dimension objective et une dimension subjective dont les enjeux ne se confondent pas...
1
« La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose absolument à l'opinion. S'il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent l'opinion ; de sorte que l'opinion a, en droit, toujours tort. L'opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l'opinion : il faut d'abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. » Bachelard, La formation de l'esprit scientifique.

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