Editions Hatier © Hatier 1 Introduction1 L`étymologie du terme
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Editions Hatier © Hatier 1 Introduction1 L`étymologie du terme
Editions Hatier Introduction1 L’étymologie du terme “ passions ” – patior, souffrir, supporter – fait référence à une passivité de l’individu passionné. Dans la même perspective, on dira qu’un joueur est asservi à la passion du jeu, qu’un amoureux est aveuglé, qu’un jaloux ne s’appartient plus… Toute notre personne est envahie, “ dévorée ” par la passion. Pourtant, lorsque nous devons nous définir, dans un curriculum vitæ par exemple, on nous demande quelles sont nos passions. C’est là le signe que nos passions caractérisent notre identité, et qu’on est capable de les diriger, de les exploiter : on est d’autant plus “ performant ” que notre travail nous passionne. Les passions ne semblent donc pas nécessairement être un obstacle qui empêche d’agir ou de penser. D’où le problème : les passions sont-elles conciliables avec l’accomplissement de notre devoir, voire favorables à la moralité ou, au contraire, faut-il les éradiquer pour pouvoir faire notre devoir ? 1. Les titres en gras servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie. 1. Non, les passions ne nous empêchent pas de faire notre devoir A. Les passions peuvent être sans rapport avec les exigences morales Le langage courant fait souvent référence aux passions pour désigner un vif intérêt porté à un objet. On peut être passionné de sport, de cinéma… En ce sens, la passion n’entrave en aucun cas la vie sociale, professionnelle, affective. Au contraire, la passion permet des échanges, crée une complicité entre ceux qu’elle anime de la même manière. Plus encore, l’amoureux travaille à maintenir la vivacité de sa passion, pour pouvoir prolonger la satisfaction qu’il en retire. Ainsi, les passions, bien loin de nous empêcher de faire notre devoir, semblent moralement neutres, voire même nous disposent favorablement vis-à-vis des autres. Par le plaisir qu’elles procurent, elles empêchent tout ressentiment face à la vie. B. Les passions, quand elles ne sont pas excessives, contribuent à la vertu comprise comme recherche du bonheur Peut-on alors aller jusqu’à dire que les passions sont favorables à l’accomplissement de notre devoir ? Si l’on définit, avec Descartes, les passions comme des pensées que l’âme ne peut pas diriger – parce qu’elles sont provoquées par le corps –, il faut alors reconnaître que nous sommes amenés à confondre nos passions avec notre volonté. Sous l’emprise de la passion, on croit que l’on agit et que l’on choisit librement, alors qu’en réalité on ne connaît pas la cause qui nous pousse à agir de telle façon, à nous emporter contre telle personne, à aimer telle autre… Dans ces cas-là, nous ne nous posons généralement même pas la question de la raison de nos actions, parce que la satisfaction de nos passions nous procure du plaisir. Cependant, si les excès de la passion peuvent être nuisibles, il ne s’agit pas pour autant de les éradiquer, car elles sont “ presque toutes bonnes ” (Descartes, Correspondance avec Elisabeth), elles sont le contenu même de la vie. Lorsque les excès des passions nous mettent en contradiction avec nous-mêmes ou avec les autres, lorsque l’on ne se reconnaît plus et que l’on néglige les autres au profit du seul objet de notre passion, alors il suffit d’agir sur nos passions pour les régler, simplement. Pour effectuer cette maîtrise, la volonté est nécessaire, mais non suffisante : elle doit être éclairée par le jugement qui évalue l’objet de la passion, en estimant l’utilité de l’action à laquelle la passion peut nous pousser, et le contentement provoqué par les conséquences de cette action. J’aurai raison de céder à la peur, et donc de fuir, lorsqu’un combat s’annonce perdu d’avance, mais si j’ai des chances de pouvoir gagner, la fuite me fera éprouver un sentiment de lâcheté et des remords. Ainsi, une évaluation correcte de l’utilité véritable de l’objet de notre passion (ici, la peur et la fuite qu’elle provoquerait) permet de ne pas se laisser aller à ce que la passion nous pousse à faire d’excessif (ici, la fuite pusillanime ou la témérité). L’entendement doit en juger, pour éclairer la volonté qui nous rendra maître de notre passion. C’est la raison, le jugement qui définissent ce qu’est pour nous le bonheur, c’est-à-dire notre contentement maximal. La vertu, pour Descartes, réside dans la recherche du bonheur. Faire son devoir, c’est alors s’efforcer de vouloir faire ce que notre entendement juge être le meilleur et le plus satisfaisant pour nous. Les passions ne sont donc pas un obstacle à l’accomplissement de notre devoir : il faut simplement les utiliser à bon escient afin d’être heureux. Cependant, la conception courante que nous avons du devoir ne l’assimile pas à la recherche du bonheur tel que chacun le conçoit, mais bien plutôt à un impératif strict et universel : il faut faire son devoir parce qu’il faut le faire. Quelle que soit l’instance qui nous dicte notre devoir – la conscience morale, la société, la religion… –, le devoir est ressenti comme un ordre catégorique, sans que l’on prenne en compte les attentes de l’individu. Le devoir ne dit pas : “ Tu ne mentiras point, sauf dans les cas suivants… ”, mais “ Tu ne mentiras point ! ” Dans ces conditions, peut-on encore soutenir que les passions ne nous empêchent pas de faire notre devoir ? C. Les passions ne nous empêchent pas d’agir conformément au devoir © Hatier 1 Editions Hatier Si la passion exacerbée nous rend sourd à toutes les injonctions extérieures à elle, qu’elles proviennent de notre conscience, d’autrui, ou même des lois – comme en témoignent les crimes dits “ passionnels ” –, il reste que la passion peut parfois nous pousser à agir conformément à ce que dicte le devoir. Ainsi, un commerçant cupide peut rendre correctement la monnaie, mais simplement pour conserver sa clientèle, un homme orgueilleux peut aider un nécessiteux, mais pour se faire admirer ou par amour-propre, un politicien ambitieux peut être honnête, mais son but est de se maintenir au pouvoir… Certes, l’intention ici ne sera pas morale, on n’agira pas par respect du devoir, mais la satisfaction de notre passion coïncidera avec ce qu’exige le devoir. Transition Si donc les passions peuvent contribuer à notre bonheur et nous faire agir conformément au devoir, il faut pourtant, d’une part, examiner si le bonheur du passionné n’est pas un bonheur illusoire, dans la mesure où le véritable passionné paraît aveuglé par sa passion, et distinguer, d’autre part, l’action faite “ par devoir ” de l’action faite “ conformément au devoir ” (Kant). L’accomplissement du devoir “ bien compris ” n’est-il pas rendu impossible par les passions ? 2. Oui, les passions nous empêchent de faire notre devoir A. Le passionné ne peut faire son devoir car il ne le “ voit ” pas La passion, la haine ou l’amour par exemple, lorsqu’elle est à son comble, est exclusive et obsédante. L’amoureux n’est plus capable d’éprouver d’autre sentiment, ne ressent plus aucun autre désir ou intérêt. La passion a sur lui les effets d’une lentille déformante : il ne voit et ne prend en compte que ce qui a trait à l’objet de son amour. Sa passion l’empêche donc de faire son devoir et d’agir moralement, non pas parce qu’il veut agir immoralement ou faire le mal délibérément, mais parce qu’il s’illusionne sur ce qu’est le devoir. Son amour est son seul impératif. Les passions aveuglent le jugement, et nous empêchent par là de connaître notre devoir : que nous ne puissions pas faire alors notre devoir n’en est qu’une conséquence logique. B. Les passions se substituent à la volonté : elles nous empêchent de faire notre devoir quand bien même on le voudrait Le passionné, comme certains fous, a cependant des instants de lucidité. C’est pourquoi Phèdre se considère comme un “ monstre ” (Racine, Phèdre) lorsqu’elle est consciente de ne pouvoir renoncer à son amour pour Hippolyte, son beau-fils : elle peut reconnaître qu’elle transgresse ici les lois de la morale et de la nature. Elle voudrait faire son devoir, elle reconnaît que sa passion est coupable, mais sa volonté est impuissante. Phèdre subit sa passion, celle-ci agissant en quelque sorte à sa place. Ici, la passion nous empêche de faire notre devoir (Phèdre doit respecter l’interdiction de l’inceste), alors même que l’on sait ce qu’il nous faudrait faire. Transition Les passions, en faussant notre jugement et en inhibant notre volonté semblent donc nous ôter notre liberté : si nous n’accomplissons pas notre devoir, c’est parce que nous ne sommes pas libres de le faire (donc pas responsables). Mais l’impuissance invoquée par le passionné n’est-elle pas une fausse excuse à laquelle il recourt précisément parce qu’il se sait coupable de choisir de céder à ses passions ? 3. Si les passions sont contraires au devoir moral, les passions peuvent cependant avoir un sens du point de vue de la raison que dicte ce devoir A. Les passions sont contraires au devoir moral Notre devoir nous est dicté par notre raison : c’est ce qui lui confère son caractère universel et catégorique, c’està-dire indépendant des circonstances et des inclinations de chacun. Faire son devoir consiste donc à se déterminer uniquement en fonction des injonctions de la loi morale rationnelle, en renonçant à tous les intérêts particuliers. Or le passionné n’agit précisément qu’en fonction de ses intérêts particuliers : il instrumentalise autrui (l’orgueilleux ne cherche qu’à se faire admirer, le joueur n’envisage les autres que comme des prêteurs potentiels…). Le devoir nous commandant d’agir de telle sorte qu’autrui soit traité “ toujours comme une fin [comme un être autonome] et jamais simplement comme un moyen ” (Kant), les passions sont donc bien contraires au devoir moral. B. C’est le sujet lui-même qui s’empêche de faire son devoir en choisissant de céder à sa passion En tant que telle, la passion est “ une gangrène pour la raison pratique ” (Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique), raison qui nous dicte le devoir. Mais la passion n’est pas pour autant une maladie que l’on subirait simplement, qui nous empêcherait de faire notre devoir à la manière d’une maladie qui nous empêche de nous lever. Si le passionné est comparable à un malade, il est alors “ un malade qui ne veut pas être guéri ” (ibid.). En © Hatier 2 Editions Hatier effet, si les passions sont des “ inclinations devenues constantes qu’on ne peut pas ou difficilement maîtriser ” (ibid.), et nous empêchent alors de vouloir librement, c’est parce notre libre arbitre a choisi de céder à une inclination, à un intérêt sensible particulier, plutôt que d’obéir au devoir moral, c’est-à-dire à un principe d’action universel rationnel. Ainsi, l’aliénation de la passion prend source dans un libre choix du sujet : il sait toujours où est son devoir – la “ voix ” de sa conscience morale le lui dit –, mais son libre arbitre a choisi de ne pas vouloir le suivre. C’est en quelque sorte volontairement que le passionné perd sa volonté. Les passions sont donc “ toutes mauvaises ” (ibid.), parce qu’elles sont contraires aux injonctions du devoir, mais surtout parce qu’elles suppriment la volonté même de faire notre devoir. C. Bien que contraires au devoir moral, les passions peuvent “ malgré elles ” satisfaire les exigences du devoir Si céder à ses passions est bien contraire à l’accomplissement de notre devoir, il reste que des passions comme l’envie, l’ambition ou l’amour-propre peuvent nous pousser à la rivalité, et ainsi à vouloir que nos qualités dépassent celles des autres. Les passions sont en ce sens un stimulant pour le développement de nos talents, et pour le progrès en général. Les passions sont condamnables de manière évidente à l’échelle de l’individu, mais elles peuvent jouer un rôle dans la réalisation du devoir et de la moralité à l’échelle de l’humanité. En effet, dans l’Histoire tout se passe “ comme si ” (Kant) les conflits passionnels étaient les moyens dont se sert la Nature pour contraindre les hommes à désirer ce que le devoir les oblige à vouloir. L’“ insociable sociabilité des hommes ” (Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique) pousse les hommes à instaurer la paix et des États justes : c’est là la condition de leur survie. Les passions réalisent donc indirectement les fins du devoir. Conclusion Ainsi, les passions semblent conciliables avec la vertu, si tant est que l’on définisse la vertu par la recherche du bonheur. Cependant le bonheur auquel nous fait parvenir la passion s’avère être un bonheur illusoire, car l’exclusivité de la passion nous fait nous méprendre sur la véritable valeur de l’objet de notre passion. Une fois “ pris ” par la passion, il est difficile, voire impossible de nous détacher de cet unique centre d’intérêt : nous ne pouvons plus faire notre devoir, qui exige que l’on agisse de manière désintéressée. Mais c’est pourtant librement que nous choisissons de céder à l’inclination qui deviendra passion. Il ne s’agit pas de faire des passions une force active indépendante de nous ; à proprement parler, ce ne sont pas nos passions qui nous empêchent de faire notre devoir, mais le moi sensible en nous qui refuse de se soumettre au moi rationnel. S’il y a un rapport de force entre les passions et le devoir, il ne se résout pas pour autant de manière mécanique : la liberté du libre arbitre est maîtresse de la solution du conflit. Ouvertures LECTURES – Descartes, Les Passions de l’âme, Gallimard, coll. “ Idées ”. – Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, Vrin. © Hatier 3