Pessah 2012
Transcription
Pessah 2012
Rencontre d'un autre type ou immersion théologique culinaire dans l'univers kascher. Thomas Morin Le Cuisinier Nomade fusionne son savoir aux règles culinaires «Talmudistes», afin d'honorer Le Grand Rabbin de France : Joseph Haïm Sitruk Pessah 2012 La fin de la saison d'hiver 2012 à Courchevel approche. L'hôtel quatre étoiles des trois vallées s'est désempli, les derniers clients disparaissent pendant que les flocons d'avril se dissipent doucement sous un soleil de printemps. Ça sent bon la ligne d'arrivée et les vacances méritées ! Il ne reste plus que trois semaines à finir tout en douceur et c'est le départ vers de nouveaux horizons, avec en perspective un séjour au Sénégal, suivi d'un petit tour de France, d'amis en amis. Vendredi 30 mars, 11h17 du matin, je suis au milieu d'une petite improvisation de sauce à base de corail d'oursin pour agrémenter une huître en gelée de pomme verte, quand le directeur de l'hôtel se pointe en cuisine et m'entreprend verbalement sur le coin du piano. Engoncé dans son complet VRP, étriqué, bon marché qu'il protège par quelques pas chassés furtifs, le monsieur évite le va-et-vient des cuisiniers en action. Le précieux commence à me diluer quelques phrases mielleuses sorties de son esprit comptable. - « Thomas, vous n'êtes pas sans savoir que nous recevons un groupe pour les trois dernières semaines de l'ouverture de l'hôtel ? »- « Si un peu… Quand arrivent-ils ? - «Bien, je vous mets donc au courant puisque personne ne vous a transmis l'info ». - « J'apprécie, ça peut aider !» - « En effet, un groupe de 80 personnes de confession juive arrive après demain et loue l'entièreté de l'établissement. Ils viennent célébrer une de leurs plus importantes fêtes religieuses « Pessah ».Vous savez sans aucun doute, chef, que ces clients ont des habitudes et pratiques quelque peu à part... Je dirai même plus : peu orthodoxe...» Me dit-il tout en laissant échapper une sorte de ricanement grinçant n'amusant que lui. - « Si si, je suis un peu sans savoir mon cher Jean Claude », lui lachai-je abruptement, pressé d'en entendre plus. - « J'ai déjà été confronté dans le cadre privé à la préparation de la cuisine cascher », sans lui dire que ce fut simplement à l'occasion d'une soirée de Chabat organisée par la famille de mon pote Benjamin . J'ai, en tout et pour tout, contribué à couper quelques légumes pour la confection de « kémias » (petites salades de chabat que l'on qualifierait de tapas avant le repas) - « Vous allez voir », me dit il, « ce n'est pas tout à fait ce que vous avez pu rencontrer auparavant... » - « A votre ton, mon cher ami, je ne saurai en douter » lui dis je, le sourire franc ! - « Je compte sur vous pour gérer un peu tout ça ? » - « vous comptez sur moi pour gérer carrément tout ça plutôt ! Non? » « Alors comptez sur moi ! Ma spécialité se trouve être l'adaptation ! » - « Ah! Au fait » dit-il, « Le Grand Rabbin de France sera présent pour les fêtes de Pessah. Ce sont ses fils, Isaac et Élie Sitruk, qui sont les organisateurs du séjour . Je ne vous rappelle pas que ce sont des clients VIP à soigner ? » - «Heu, non ne me le rappelez pas, inutile ! » « Bonne journée chef ! » - « Hum Hum » Le jour suivant... En rentrant dans la cuisine, il règne une ambiance effervescente digne d'une tente de quarantaine pour épidémie virale où s'affaire des gens en combinaison intégrale, armés de chalumeaux et de rouleaux d'aluminium. Ils arborent tous des lunettes, un petit chapeau rond appelé Kippa et de chaque côté des oreilles, tombe une sorte de « dredloks » appelée «péoths » venant parfaire un visage fort bien fourni en poils de barbe. En jetant un coup d'œil version grand angle sur la cuisine, je peux voir que tous les éléments, plan de travail, fourneau, four etc... ont été recouverts par une couche démesurée d'aluminium. Ok pourquoi pas... Jérémy, Chomer dans son travail de nétoyage des légumes Mais c'est alors que j'aperçois un de ces drôles d'individus attaquer au chalumeau de "compet", un bac gastro en aluminium tout neuf. Quand le métal atteignit la couleur rouge, je me suis demandé si j'allais intervenir. Ma curiosité me retint un instant. Je ne suis intervenu en urgence, mais que trop tard, lorsque l'étrange personne a fait de même avec la résistance de la friteuse, qu'il fit péter la minute suivante. Pourquoi faisait-il ça ??? - « Monsieur, vous venez de cramer une résistance à plus de 600 €, y avait-il une raison particulière ou vous lui en vouliez juste personnellement ? » - « Ah, vous êtes le chef ? » - « Accessoirement et vous ? » - « Je suis le spécialiste de la « casherout », en fait je désinfecte, stérilise et caschérise le lieu de préparation de la nourriture » « Nous avons des règles draconiennes et uniques en leur genre. Je vais vous faire part de quelques-unes d'entre elles : tout d'abord, sachez que vous serez accompagné constamment en cuisine par une personne de Dieu que l'on appelle un « chomer ». Il sera là pour nettoyer les quelques légumes autorisés, mais aussi pour allumer tous les fours, les gaz dont vous auriez besoin pour cuisiner. C'est lui qui mettra les viandes et poissons ou le pain à cuire, qui posera une poêle sur le feu. C'est lui encore qui ouvrira, versera l'éventuel vin dont vous auriez besoin pour cuisiner. Ce ne sont que quelques basics mais vous aurez l'occasion d'en discuter et d'être aiguiller tout au long de ce séjour pour la réalisation de tous les repas du matin au soir. » - « Voici Illan et Jérémy, vos deux chomers, (étudiants dans l'enseignement de la Torah, se destinant à devenir rabbin). Je vous laisse avec eux, mon travail est maintenant terminé. Bon courage! » Autant j'ai encore du mal à assimiler l'entrée en matière avec ces drôles d'envahisseurs branchés alu et pyrotechnique, autant notre rencontre avec les « chomers » étudiants de Dieu, me parut tout de suite beaucoup plus détendue et ouverte. L'humour est venu se mêler à l'ambiance, rendant notre prise de contact et le début de notre collaboration légère et enrichissante. La journée débute sous le signe de la curiosité. Ding Ding, round d'observation. Jérémy m'explique quelques rudiments et me répète quelques interdits survolés par le premier « E.T.» rencontré. Tout d'abord la règle la plus importante à respecter en cuisine casher est certainement celle-ci : les personnes de confession juive ne mélangent jamais la viande ni le poisson avec des produits laitiers, tel que crème, lait, beurre, fromage, yoghourt, etc... On oublie donc les petites sauces crémeuses... Le chef va devoir faire appel à son adaptabilité et son ingéniosité pour déployer des trésors culinaires. Ces produits-ci sont autorisés lors de menus dit « halavi » ou menu de lait. Les plats sont confectionnés dans un local et avec du matériel prévus uniquement à cet effet. Les mets sont servis dans une vaisselle adaptée dite « de lait ». Les mélanges des préparations, les planches et couteaux ne doivent en aucun cas transiter dans un environnement de cuisine bassari. Les viandes utilisées ne proviennent que de Menu halavi : Crème de celeri aux cèpes et poires, huile de truffe, copeaux de parmesan et graines de pavots. Menu bassari : Salade de roquette au confit de canard et pamplemousse frais, sauce blanche au cumin. L'envie de faire découvrir aux représentants de ce peuple une cuisine originale sortie de leurs habitudes culinaires, tout en respectant scrupuleusement les codes du cascher. Mais toujours, quoi qu'il en soit, avec l'intention de faire plaisir aux convives. Les premiers préparatifs se mettent en place et nous démarrons notre marathon de production avec un staff de 5 gars. Les chomers principalement occupés à nettoyer avec soin ou plutôt obsession, les légumes, herbes et fruits à la brosse à ongles, au pec citron et à la douchette à 3 bars de pression, enfournent ou jettent dans les poêles chaudes ce que les cuisiniers « goys » leurs demandent. Nous nous mettons en jambe comme ça pendant quelques jours, s'exprimant de plus en plus devant une clientèle appréciant cette nouvelle cuisine. Recettes revisitées de Tchoutchouka, Bouricasse, Dafina, séduisent, convainquent et laissent sous le charme. Les séminaristes religieux nous attendent au tournant pour la grande fête qui arrive. Ça y est ! Le week-end d'examen en cuisine kascher instinctive moderne commence. Pour une entrée en matière dans le vif du bêtes à sabots fendus et ruminantes. Seulement les parties antérieures sont utilisées. Jamais celles de derrière. Elles sont abattues et inspectées sous leurs moindres aspects afin d'y vérifier l'apparition de parasites quelconques. La traçabilité du produit est scrupuleuse et ne doit en aucun cas quitter la surveillance des autorités religieuses jusqu'à son arrivée en cuisine. Les poissons consommés ne peuvent être qu'avec peau, écailles et nageoires. Viandes et poissons ne peuvent être mélangés. Les crustacés et mollusques sont totalement prohibés. En découvrant les règles les unes après les autres, constatant le réaménagement de notre cuisine « traditionnelle » peu adaptée, je décidais pour l'occasion de baptiser cette nouvelle base : le laboratoire de cuisine kascher instinctive. Je ne pouvais contenir tout de même cette forte impression d'aventure grandissante, qui je suis sûr allait mettre à rude épreuve mes aptitudes et tous mes sens de chef cuisinier nomade. Mon « kho lanta culinaire » commençait ! Un nouveau défi, une nouvelle aventure à relever pour le chef Thomas Morin. le challenge résidant sur la touche personnelle à apporter à cette cuisine rituelle ancestrale. sujet, c'est réussi ! Nous enchainons « Chabat » et « Pessah » dans la foulée. Une prouesse pour des profanes « goys » en « cashrout » initiés depuis seulement quelques jours ! Le Grand Rabbin Sitruk arrive à Courchevel aujourd'hui, la pression monte d'un cran, il faut le surprendre et le satisfaire ! C'est surtout pour ça que je fais ce métier ! Pour les rencontres, la connaissance et le voyage. Je prends du plaisir lorsque mes convives en prennent avec ma cuisine. Qu'y a t-il de plus à propos qu'un repas autour d'une table pour échanger ? Discussion avec le grand rabbin et son épouse Le jour est arrivé. La fête fut un moment de joie qui emplit le groupe d'un bien-être voluptueux. Notre prestation a été exécutée dans une ambiance professionnelle, sur un rythme endiablé, mais toujours dans la bonne humeur. Chacun savait ce qu'il avait à faire et le fit jusqu'au bout, en donnant le meilleur de soi. Ce qui nous a motivé ? L'attitude des convives ! La facilité que ce peuple a de véhiculer un sentiment de bonté, d'amitié qui aurait presque pu nous laisser croire que nous étions de la famille. Chacun d'entre nous a ressenti cet état d'esprit empli de respect pour la vie et les gens. On avait juste envie de leur faire plaisir... Nous avons tous vécu, à leur contact, une tranche de vie surprenante et découvert un peuple riche de par leur culture, la dévotion à leur croyance et une foi inébranlable. Lors de son séjour, j'ai eu l'honneur d'échanger à plusieurs reprises avec le Grand Rabbin de France, Joseph Haïm Sitruk. En bon athé que je suis, j'ai discuté librement avec lui dans le respect, mais sans protocole religieux ni tabou. Malgré de multiples désaccords de croyance et philosophique que nous avons pris soins de garder sagement pour nous, nous avons parlé de choses simples et nous nous sommes amusés de la vie. Je ne suis pas prêt d'oublier cette expérience culinaire qui m'a transporté dans un autre univers à ma porte, que je ne soupçonai nullement. Ma vie professionelle ne tarit jamais de surprises et ne m'épargne aucun nouveau défi ! Je me rappellerai longtemps de ce sage à l'aura chaude qui ne me laissa pas indifférent. M. Le Grand Rabbin, vous et les vôtres, m'avez donné envie de connaître mieux vos coutumes. Un jour prochain, je visiterai les terres de vos ancêtres et qui sait, peut être pourrions-nous poursuivre notre discussion autour d'un plat cascher de mon imagination... Thomas Morin Le Cuisinier Nomade VIDEO: http://www.youtube.com/watch? v=S2HsVmdPVas&feature=BFa&list=PLAAAA107750782776