Ils sont environ 800, hommes et femmes, à se réunir régulièrement
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Ils sont environ 800, hommes et femmes, à se réunir régulièrement
francs-maçons Leur véritable influence à Rennes Ils sont environ 800, hommes et femmes, à se réunir régulièrement dans l’un des trois temples de l’agglomération rennaise. Bien implantés, les francs-maçons travaillent sur des questions sociales, spirituelles ou philosophiques. On les dit très influents dans la capitale bretonne, eux démentent toute tendance au réseautage et à l’affairisme. Par Nicolas Legendre [email protected] (Photos Romain Joly) 10 Le Mensuel/juillet-août 2009 www.lemensuelderennes.fr «I ls sont copainscopains. C’est un des réseaux qui tiennent Rennes. Dans les milieux d’affaires et judiciaires, ça en est rempli ! » Le propos émane d’un ancien élu de la région rennaise. Dans le collimateur de sa diatribe : les francs-maçons. Lui tient à préciser qu’il ne l’est pas. « Je ne rentrerai pas dans ce système ! » Un conseiller municipal d’une commune de l’agglomération dément en bloc ces supputations. « C’est un fantasme. Je connais très bien le réseau et je n’ai jamais vu de collusion entre les différentes organisations. » Le quadragénaire nous fait savoir, à demi-mot, qu’il appartient à la franc-maçonnerie. La simple évocation du terme « francmaçon » provoque, çà et là, des réactions enflammées. Les théories du complot, à Rennes comme ailleurs, continuent de s’épanouir dans le terreau du supposé affairisme politicoéconomico-judiciairo-maçonnique. Certains interlocuteurs affirment détenir « beaucoup d’informations », mais ne livrent que des rumeurs locales sans preuves et, bien souvent, sans fondement. Certains avouent tout simplement leur méconnaissance du sujet. D’autres, enfin, insistent sur l’aspect positif du travail des « frères », leur contribution à la défense des valeurs républicaines ainsi que leur attachement à la tolérance et à la laïcité. C’est un fait : les francs-maçons bretons sont plus connus pour leur discrétion tié à la Grande loge de France en 1975. Il se rend plusieurs fois par mois au temple de Saint-Jacques-de-la-Lande. Pour lui, « il y a des a priori et des préjugés parce que les gens ne savent pas ce qu’est la franc-maçonnerie. Si on entretient notre propre légende, si on ne parle pas, les fantasmes vont continuer. » Et d’ajouter, dans un rire : « On n’est pas au Ku Klux Klan ! » Rôle diffus L’agglomération rennaise compte environ 800 francs-maçons, répartis dans six obédiences principales : le Grand Orient (GO), la Grande loge de France (GLF), la Grande loge nationale française (GLNF), le Droit humain (DH), la Grande loge féminine de France (GLFF) et la Grande loge traditionnelle et symbolique Opéra (GLTSO). Pas forcément évident d’entrer en contact avec elles… Mais toutes ont pignon sur rue. Le temple du 24, rue Thiers, construit en 1907 dans le centre-ville de Rennes, est le siège local du GO. Plus au nord, rue de l’Hôtel-Dieu, les membres de la GLNF se réunissent dans un bâtiment acheté en 2001. Auparavant, ils louaient le temple du GO pour leurs réunions. La GLF faisait de même jusqu’à ce que l’obédience acquière une ancienne école vendue par la mairie de Saint-Jacques-de-la-Lande, près de l’aéroport. Les locaux ont été inaugurés en 2002, après réaménagement et agrandissement. et leur républicanisme que pour leurs frasques. Les loges maçonniques s’apparentent à des associations comme les autres. Dans lesquelles, parfois, certains profitent de leur appartenance pour faire fructifier leur capital relationnel. Depuis quelques années, la francmaçonnerie veut couper court aux accusations en ouvrant les portes de ses temples. Elle communique dans la presse et organise des réunions publiques. Il s’agit, selon Camille Binder, membre breton du Conseil de l’ordre et grand trésorier du Grand Orient de France, de « faire comprendre ce que l’on est et d’essayer de tordre le cou à un certain nombre de fantasmes. On ne cultive plus le secret et la discrétion comme ça a pu se faire à une certaine époque. » Pierre-Henri Morin a été ini- « On n’est pas au Ku Klux Klan ! » Pierre-Henri Morin, franc-maçon Plusieurs loges sont en activité au sein de chaque obédience. Elles rassemblent, en moyenne, entre 20 et 40 maçons. Certaines sont mixtes, d’autres exclusivement masculines ou féminines (lire p.12). Elles se réunissent environ deux fois par mois. Baptisées « tenues », les assemblées sont bien entendu réservées aux initiés, se déroulent à huis clos et suivent des rites très particuliers, plus ou moins complexes. Lorsqu’on évoque cet aspect avec les francs-maçons, souvent les regards s’éclairent. La voix se fait solennelle, parfois grave. « A un moment, on quitte le monde profane », affirme Camille Binder. Si le rite varie, les loges partagent cependant quelques caractéristiques immuables. L’obligation, pour chaque « frère », de porter un tablier maçonnique. L’impossibilité, pour les jeunes recrues, de prendre la parole durant leur phase d’initiation, qui peut durer plus d’un an. Ou encore l’interdiction de couper la parole lors d’une tenue. En loge, quand quelqu’un parle, on se tait. Les assemblées travaillent sur des grands thèmes proposés chaque année par les instances nationales des obédiences. Au DH ou au GO, qui n’imposent pas de référence à un Dieu ou à l’immortalité de l’âme, il peut s’agir de « l’école », « la laïcité » ou « la protection sociale ». L’adhésion à la GLNF ou à la GLF implique, à l’inverse, de croire en un principe créateur, un « grand architecte de l’univers ». Les travaux s’orientent donc davantage vers la spiritualité, la métaphysique et la construction de soi. Tous les ans, les ateliers envoient un écrit au siège de leur obédience, qui rédige une synthèse nationale. Une fois lue et approuvée, celle-ci peut être diffusée à l’extérieur. Difficile de mesurer l’influence exacte de ces réflexions sur les sphères sociales et politiques. Leur rôle s’avère très diffus. Pourtant, le but est clair : « améliorer » l’individu et, pour certaines obédiences, la société dans son ensemble. Initiée en 1973 à Rennes, Marie-Christine Galliou est membre du conseil d’administration du Droit humain. Cette éducatrice à la retraite parle d’« utilité » maçonnique. « Je crois que notre travail n’est pas vain. Nous défendons des valeurs. Au Droit humain, on tient à être en prise sur le monde. » Après le « discours du Latran », prononcé par Nicolas Sarkozy en décembre 2007, le Grand Orient avait vivement réagi, dénonçant une atteinte aux principes de laïcité. Dans la capitale bretonne, un certain nombre de personnages politiques avouent sans complexe leur intérêt pour la chose maçonnique. Mais la franc-maçonnerie, à l’évidence, n’est plus aussi impliquée dans la vie locale que durant la Troisième République. Si influence il y a, celle-ci s’avère moins « spectaculaire » (lire p.14). définition Pas toujours évident de définir la franc-maçonnerie… Même dans les dictionnaires encyclopédiques, les formules ne s’avèrent pas très claires : « Société mondiale fermée, dont les membres, qui se reconnaissent à des signes, en possèdent seuls les secrets sous serment. » Mais quelle en est l’utilité ? « Faire progresser la société par l’homme grâce à des travaux de réflexion, répondent certains frères. La franc-maçonnerie sert à trois choses : forger son temple intérieur, se développer et donner l’envie d’améliorer l’humanité. » D’autres pensent que, pour la définir, il faut « d’abord préciser ce qu’elle n’est pas : une secte ». Il n’existe en effet aucun dogme ou gourou. « Il est beaucoup plus facile d’en sortir que d’y entrer, contrairement à une secte », argumentent beaucoup de frères et sœurs rennais. La date officielle retenue pour la fondation de la maçonnerie est 1717. On dénombre aujourd’hui environ 140 000 membres en France. La Grande loge nationale française (GLNF), revendique le fait d’être la seule obédience française reconnue par la Grande loge unie d’Angleterre. Au niveau national, le grand maître actuel, François Stifani, n’hésite pas à critiquer les orientations du « concurrent », le Grand Orient (GO). A Rennes, la GLNF a longtemps été hébergée dans les locaux du GO, rue Thiers, avant d’acquérir son propre temple en 2001, rue de l’Hôtel Dieu. « Pas de ça chez nous » A en croire certains, « toutes les catégories sociales » sont représentées dans les loges rennaises. Il semble néanmoins que les ateliers attirent une majorité de représentants des classes moyennes et sup érieures . Le Le Mensuel/juillet-août 2009 www.lemensuelderennes.fr 11 francs-maçons Leur véritable influence à Rennes maçon-type ? « Un homme de 40 ans, fonctionnaire, cadre ou de profession libérale », nous dit-on. Un temps surreprésentés au GO, les enseignants y seraient maintenant moins nombreux. « C’est beaucoup plus ouvert qu’il y a vingt ou trente ans, affirme Camille Binder. Il y a encore beaucoup d’en- L’affairisme ? Le sujet agace ou fait sourire les francs-maçons. Au choix. Tous évoquent les unes de la presse nationale, qui étale régulièrement des histoires politico-maçonniques en quadrichromie. Dernièrement, « Les francs-maçons de Sarkozy »… Qu’en est-il à Rennes ? « Pas de ça chez nous », « Je crois que notre travail n’est pas vain. Nous défendons des valeurs » Marie-Christine Galliou, franc-maçonne repères Rites ou folklore ? Dans la représentation populaire, franc-maçonnerie rime forcément avec mystère… Un mystère savamment entretenu où le cérémonial est pour beaucoup. Tabliers, épées, cordes nouées, fil à plomb… Pour Camille Binder, membre du Grand Orient rennais, « cela a du sens dans un endroit, à un moment donné ». « Certaines obédiences peuvent tomber dans le folklore », reconnaît un frère. Outre les symboles, toutes les loges travaillent selon un rite précis. « Le rite donne la modalité initiatique. Il permet de vous positionner le mieux possible pour que vous puissiez vous épanouir en maçonnerie », affirme Christian Denis, grand maître provincial de la Grande loge nationale française en Bretagne. Et là, il faut s’accrocher… Rite écossais rectifié, rite français, rite français moderne… D’ailleurs, le « moderne » est le plus ancien. On s’y perd… On reproche souvent aux francs-maçons d’entretenir le mystère en conservant ces rites et leur multiplicité. « Chacun a pourtant un rôle et un fonctionnement propres. » Selon les rites, les loges n’ouvriront pas les séances de la même manière, la parole sera distribuée différemment… Leur niveau de complexité s’adapte plus ou moins à des thèmes de réflexion. Le rite français, plus abordable, correspond souvent mieux à l’étude de questions sociales. 12 seignants, mais ils ne sont pas majoritaires. » N’importe qui peut postuler, en envoyant une lettre à l’obédience de son choix. Mais le mode de recrutement principal, par parrainage, ne facilite pas forcément la mixité sociale. Pour certains, il favoriserait plutôt les réseaux et l’affairisme maçonnique. répondent en chœur les principaux concernés. Les « fraternelles », ces réunions informelles de francs-maçons regroupés par corporations ou intérêts communs, ne font pas beaucoup parler d’elles dans la capitale bretonne. La discrétion n’implique pas l’inactivité… Mais force est de constater qu’à l’in- verse de la côte d’Azur ou de la région parisienne, aucune sanction judiciaire n’est venue infirmer la bonne foi affichée des frères et sœurs rennais. « Quelqu’un qui veut faire des affaires et tisser des réseaux n’a pas besoin d’entrer en maçonnerie », af f irme Christian Denis, 53 ans, cadre commercial et grand maître provincial de la GLNF en Bretagne. Son obédience, régulièrement dénigrée pour la tendance au réseautage de certains frères au niveau national, serait absolument « clean » à l’échelon local… « Nous faisons attention à qui nous recevons, mais nous ne sommes pas exempts de tomber sur des brebis galeuses. Il nous appartient dans ce cas de faire le nécessaire. » L’actuel vénérable de La Parfaite union, la plus ancienne loge du Grand Orient à Rennes, tient un discours semblable : « Quelqu’un qui vient chez nous pour y trouver du profit, il est déçu. » Mixité des loges Hommes-femmes, l’épineuse question Rennes n’héberge qu’une seule obédience mixte, contre cinq exclusivement masculines ou féminines. Mais la situation pourrait changer, si le Grand Orient décide d’accepter les femmes. P armi les six obédiences maçonniques présentes à Rennes, une seule accepte d’initier des hommes et des femmes. Il s’agit du Droit humain, dont la mixité constitue un des chevaux de bataille depuis sa création en 1893. Les autres sont exclusivement masculines (Grand Orient, Grande loge nationale française, Grande loge de France, Grande loge traditionnelle et symbolique Opéra) ou féminines (Grande loge féminine de France). Très contestée, cette stricte séparation des sexes ne contribue pas à améliorer l’image de la franc-maçonnerie. Certains dénoncent « une pratique rétrograde » au sein d’une institution qui se veut moderne et tolérante. « La question de la mixité n’agite pas du tout nos loges. Nous acceptons tout à fait l’existence de loges féminines, explique Christian Denis, grand maître provincial de la GLNF. La société établit la femme comme étant l’égale de l’homme, et c’est tout à fait normal. Mais il faut accepter que certaines réflexions puissent n’être menées que par des hommes ou que par des femmes. » Big-bang Il en va tout autrement au Grand Orient (GO). A Rennes, cette obédience exclusivement masculine fut précurseur en sont temps. Dès 1936, lors d’une consultation informelle, elle se prononce en faveur de la mixité. A l’époque, cela débouche sur la reconnaissance d’une obédience mixte, le Droit humain… mais pas sur l’ouverture du GO aux femmes. Le Mensuel/juillet-août 2009 www.lemensuelderennes.fr La Rennaise Marie-Christine Galliou est membre du conseil d’administration national du Droit humain, seule obédience mixte présente dans la capitale bretonne : « Nous travaillons pour l’égalité absolue des droits. » Depuis quelque temps, le débat s’est réinvité au menu des discussions. La mixité fait partie des questions posées à toutes les loges du GO cette année. Selon un franc-maçon rennais, les frères de la capitale bretonne auraient répondu « 50% pour, 50% contre ». Un vote national sera organisé lors du prochain « convent », l’assemblée générale du GO, en septembre 2009. En cas d’ouverture à la gent féminine, l’obédience pourrait connaître un véritable bigbang… « Ce ne serait pas si révolutionnaire que ça, affirme Camille Binder, membre breton du Conseil de l’ordre du GO. C’est extrêmement compliqué de comprendre le sens de ces positionnements de l’extérieur. Je conçois que cela peut paraître incompréhensible… » Les obédiences rennaises Qui fait quoi ? Six obédiences maçonniques sont présentes dans l’agglomération rennaise. Mixité, rite, politique, religion… Ces « courants » ne partagent pas tous les mêmes conceptions, ni le même fonctionnement. De gauche à droite : les temples de la GLNF et du GO, à Rennes, et celui de la GLF, à Saint-Jacquesde-la-Lande. Malgré les différences qui séparent les obédiences, tous les lieux de réunions ont en commun un foisonnement de symboles. En francmaçonnerie, "tout est symbole", se plaisent à répéter les frères. D'où l'œil, les équerres, cordes nouées et autres plafonds représentant la voûte céleste. Le Grand Orient (GO) Avec 45 000 frères en France et 300 à Rennes, c’est l’obédience la plus représentée. Pour adhérer au Grand Orient, il est inutile de reconnaître l’existence d’un « principe supérieur » (appelé aussi « grand architecte », il peut parfois s’apparenter à Dieu). Exclusivement masculin, le GO est également connu comme le « courant » s’intéressant le plus aux questions sociales. Pour ses membres, la spiritualité s’assimile à un « combat entre l’esprit et l’instinct ». Plus l’esprit gagne du terrain, « plus on progresse », affirment ses membres. Il compte quatre loges à Rennes : Tradition et progrès, Gaïa, Confluence et La Parfaite union. Les frères se rassemblent dans le temple du 24, rue Thiers, construit en 1907. L’attachement à la laïcité et aux valeurs républicaines ainsi que la forte proportion, à une époque, d’enseignants et de fonctionnaires dans les rangs du GO, lui ont valu d’être classé à gauche. La Grande loge nationale française (GLNF) La deuxième obédience française en termes d’effectifs, avec environ 40 000 membres, dont 180 à Rennes. Hébergée jusqu’en 2002 dans les locaux du Grand Orient, elle dispose désormais d’un édifice dédié, rue de l’Hôtel-Dieu à Rennes. Pour y entrer, il est impératif de croire en l’exis- tence d’un principe supérieur (ou « grand architecte »). Obédience particulièrement « spiritualistes », la GLNF ne s’intéresse pas, lors de ses réunions, aux questions sociales ou sociétales. A Rennes, elle compte six loges : Duguesclin, Harmonie universelle, Kalédonia, Gwenn ha du, York et Brocéliande. La GLNF est traditionnellement étiquetée à droite. Le Droit humain (DH) Seule obédience représentée à travers le monde entier, le Droit humain possède une grande spécificité : c’est une obédience mixte. Comme la GLF ou la GLNF, cette loge se base sur l’adoption d’un « principe supérieur » mais elle traite des questions sociales, comme le GO. A Rennes, deux loges, nommées Initiation et Brocéliande, regroupent une centaine de membres dont environ deux tiers de femmes et un tiers d’hommes. culines, se réunissent dans le temple de SaintJacques-de-la-Lande, situé dans une ancienne école réaménagée. Beaucoup moins « sociale » que le GO, la GLF s’intéresse en priorité aux questions philosophiques, symboliques et spirituelles. La Grande loge féminine de France (GLFF) Créée en 1945, la Grande loge féminine de France revendique un mot d’ordre (« Connais-toi toimême ») et deux principes : tolérance et laïcité. En plus d’être une obédience strictement féminine, elle possède une originalité : les adhérentes portent, outre les traditionnels gants et tablier, une longue robe noire. A Rennes, deux loges de la GLFF seraient actuellement en activité. Leurs membres n’ont pas répondu à nos sollicitations. La Grande loge de France (GLF) La Grande loge traditionnelle et symbolique Opéra (GLTSO) Malgré leur nom très proche, la Grande loge n’est pas apparentée à la Grande loge nationale française. Il existe entre elles certaines différences fondamentales dans le fonctionnement comme dans la « philosophie ». Elles conservent toutefois un point commun important. Il faut, pour y appartenir, reconnaître l’existence d’un « principe supérieur ». Les quatre loges rennaises, strictement mas- Issue d’une scission avec la GLNF en 1958, la Grande loge traditionnelle et symbolique Opéra exclut les discussions politiques et « sociales » de ses assemblées. Contrairement au GO ou au DH, elle n’a pas vocation à intervenir dans le débat public. Ses membres travaillent principalement sur des sujets d’ordre spirituel ou philosophique. Exclusivement masculine, elle compte une seule loge dans la capitale bretonne. Le Mensuel/juillet-août 2009 www.lemensuelderennes.fr 13 francs-maçons Leur véritable influence à Rennes Franc-maçonnerie et politique locale L’entente cordiale Ouvertement politisés durant la Troisième République, les francs-maçons rennais ne s’impliquent plus, officiellement, dans les affaires locales. Ce qui n’empêche pas certains décideurs d’afficher leur intérêt pour le travail et les valeurs maçonniques. 1 893. L a toute jeune Troisième République élit ses députés. C’est l’époque des francs-maçons laïcards, des « hussards bleus »* républicains. Au niveau national, le Grand Orient (GO) dicte des consignes de vote. A Rennes, la loge invite le candidat qu’elle a décidé de soutenir à venir s’exprimer au temple. Il s’agit de Jules Maniez, créateur du premier groupe socialiste rennais en 1876. religieux/laïcs et droite/gauche a rendu les prises de position moins péremptoires. Aux questions franco-françaises se sont substituées des interrogations globales, mondialisées. Hors du coup, les francs-maçons ? « Le monde a beaucoup changé. Ce n’est plus si facile de traiter les grandes questions sociales », affirme Daniel Kerjan, membre du GO rennais depuis 1972. Un élu de l’agglomération, franc-maçon souhaitant rester anonyme, va dans le même sens : « La démocratisation du savoir augmente le niveau de compréhension des choses. Ce qui était élitiste l’est moins. » Le copinage en coulisse ? Depuis le début du XXe siècle, la laïcité est un des chevaux de bataille du Grand Orient de France. Certaines déclarations récentes du président Sarkozy ont ravivé les ardeurs de l’obédience. Son implication, et celle de la franc-maçonnerie en général, dans les débats locaux, semble moins évidente. Les temps ont changé. Depuis la seconde moitié du XXe siècle, ce genre de pratique a disparu. Ni Daniel Delaveau, ni Karim Boudjema, n’ont été officiellement portés aux nues par la francmaçonnerie locale avant les municipales… Il semble que les maçons se soient « repliés sur leurs loges ». Les problématiques politiques se sont complexifiées. La dilution des oppositions 14 Malgré ces évolutions, les travaux maçonniques continuent, sinon d’influencer directement la vie politique locale, du moins d’intéresser un certain nombre de décideurs. L’ancien maire de Rennes Edmond Hervé, désormais sénateur, évoque sa « proximité philosophique » avec le GO. Il a toujours refusé, au nom de la liberté de conscience, de répondre à la question « Etesvous franc-maçon ? » Dans la capitale bretonne, beaucoup de rumeurs font de lui un « frère ». Les sources les mieux informées affirment qu’il ne l’a jamais été. « A mon grand regret ! », plaisante un « frère » rennais. Jeanine Huon, vice-présidente (PS) du conseil général d’Ille-et-Vilaine, affirme que « toute institution qui peut enrichir la réflexion sur des grands sujets de société mérite de trouver sa place sur le territoire ». Elle précise qu’elle n’est pas franc-maçonne. Bruno Chavannat, leader (UMP) du groupe d’opposition rennais, « ne dispose pas de beaucoup de lumières sur le sujet. Mais j’ai du respect pour les valeurs qu’elle porte ». Aux extrémités du spectre politique, on ne s’empresse pas non plus de vilipender « l’institution secrète ». Cédric Abdilla, premier secrétaire du Front national dans le département, Le Mensuel/juillet-août 2009 www.lemensuelderennes.fr s’interroge : « Pourquoi se cacher si on n’a rien à cacher ? » Mais il précise qu’« au niveau local, [il] ne constate pas leur influence. Si cela existe, c’est infime ». Même Adsav, le parti indépendantiste et nationaliste breton, dont certains membres n’hésitent pas à critiquer vertement la franc-maçonnerie, affiche une position officielle plutôt modérée. « Un franc-maçon est libre d'adhérer à Adsav, du moment qu'il respecte ses camarades catholiques et autres. Quand elle accepte les identités, la franc-maçonnerie ne dérange pas Adsav », affirme son président, Frédérig ar Bouder. A Rennes, comme dans la majeure par tie des villes françaises, les obédiences maçonniques sont considérées comme des associations lambda. La coutume veut que le maire reçoive les grands maîtres nationaux lors de leurs déplacements en province. Ce fut le cas en avril. « Les valeurs que vous défendez sont aussi les nôtres » Daniel Delaveau, maire de Rennes Daniel Delaveau a accueilli Pierre Lambicchi, du GO, dans le grand salon de l’hôtel de ville. « Les valeurs que vous défendez sont aussi les nôtres », a indiqué le maire de Rennes. Au premier rang de l’assistance se trouvait Jean-Yves Le Drian, président (PS) de la région Bretagne. En façade, donc, c’est l’entente cordiale. Et le copinage en coulisse ? Certains interlocuteurs affirment que « ce n’est pas en conseil municipal que se décident les choses, mais dans les loges ! » Aucune preuve ne vient étayer cette idée. Celle-ci tient, selon les principaux concernés, élus, francs-maçons ou non, du « fantasme » et de la « rumeur ». *Daniel Kerjan, Rennes : Les francs-maçons du Grand Orient de France. 1748-1998 : 250 ans dans la ville, Presses universitaires de Rennes, 2005 Edmond Hervé « Il ne faut pas survaloriser Maire de Rennes pendant 31 ans, désormais sénateur, Edmond Hervé affiche un intérêt certain pour la pensée et la « méthode » maçonnique. Pour lui, il s’agit d’un courant philosophique comme un autre. Il affirme ne pas croire en l’existence d’un groupe de pression franc-maçon à Rennes. Le Mensuel de Rennes : Vous avez écrit la préface du livre de Daniel Kerjan sur l’histoire des francs-maçons du Grand Orient à Rennes. Pour quelle raison ? Edmond Hervé : « En 1995, j’ai souhaité qu’il y ait une nouvelle édition de L’Histoire de Rennes. La dernière datait du début des années 70. A côté de ce livre d’histoire globale, je trouvais important qu’il puisse y avoir des livres historiques spécialisés sur différentes composantes. C’est ainsi que Daniel Kerjan est venu me voir pour me dire qu’il avait rédigé un ouvrage sur le Grand Orient et me proposer d’en écrire la préface... J’ai immédiatement acquiescé, au nom de l’histoire de la ville, du respect de l’édition et du pluralisme. » Dans cette préface, vous parlez en termes plutôt flatteurs de la présence du GO à Rennes… La franc-maçonnerie a-t-elle joué un rôle important dans la ville ? « Elle a eu des influences, mais je ne suis pas en mesure de les quantifier. Il faut dire que même lorsque des francs-maçons appartiennent à une obédience identique, ils peuvent avoir des expressions politiques extrêmement diverses. Je pense qu’il ne faut pas survaloriser leur influence. » Il ne faut pas non plus la sous-valoriser… « Non, mais je ne crois pas à une unité maçonnique comme groupe de pression. » Lorsque vous étiez maire, avez-vous été sollicités directement par des obédiences maçonniques pour intervenir sur telle ou telle question ? « Jamais. Je n’ai jamais rencontré ce genre de chose. Mais je suis sensible à la franc-maçonnerie comme mouvement de recherche, de pensée et d’expression. » Vous avez été ministre et député. Vous êtes maintenant sénateur. Avez-vous constaté une influence plus forte de la franc-maçonnerie à Paris qu’à Rennes ? leur influence » « Nous sommes dans une République pluraliste. Il est important que les différentes philosophies puissent s’exprimer, y compris dans une ville telle que Rennes. » « Jamais. Je n’ai jamais entendu quelqu’un s’exprimer dans une assemblée politique au nom de la franc-maçonnerie, ou parce qu’il était franc-maçon. » « Faire partie de la franc-maçonnerie n’est pas un acte coupable » Ce genre d’influence s’exprime plutôt en coulisse… « Je n’ai jamais été confronté à ce genre de choses. Alors, qu’il y ait des réseaux… La France est un pays de réseaux ! Vous avez des réseaux des anciens élèves, ou de l’inspection des finances… » La ville de Rennes, Rennes Métropole, le conseil général et le conseil régional sont aux mains du PS. N’est-ce pas un terreau idéal pour une obédience comme le Grand Orient, étiquetée à gauche ? « A partir du moment où vous avez un terreau de liberté et d’esprit critique, il est évident que l’expression est plus facile que dans une ville crispée et conservatrice… C’est la rencontre, à la fin des années 60 et au début des années 70 des courants laïc et catholique social, qui a eu le plus d’influence politique dans cette ville. Cela a été fondateur. » Le courant laïc a été en partie porté par la franc-maçonnerie… « Oui, oui… Mais je pense que dans la sphère sociale laïque, l’influence intellectuelle des francs-maçons devait être nettement supérieure à leur présence physique. Cette approche laïque a été très largement portée par une très grande majorité de gens qui n’étaient pas maçons. » L’image sulfureuse que l’on prête à la francmaçonnerie est-elle justifiée, selon vous ? « Ce sont des fantasmes. Il est important de ne parler que de ce que l’on connaît. On leur a reproché d’être secrets, mais il ne faut pas oublier qu’ils ont eu à subir la vindicte de nombreux gouvernements. On a colporté sur eux des choses inadmissibles et scandaleuses. » Vous devez savoir que certaines rumeurs, à Rennes, font de vous un franc-maçon… (Il rit) « Je n’ai jamais répondu à cette question. Parce que je ne souhaite pas que ma réponse soit interprétée. Faire partie de la franc-maçonnerie n’est pas un acte coupable. Ne pas en faire partie n’est pas une situation critiquable. » Le Mensuel/juillet-août 2009 www.lemensuelderennes.fr 15 francs-maçons Leur véritable influence à Rennes Daniel Kerjan Franc-maçon du Grand Orient Frère de l’être Prof de maths à la retraite, franc-maçon depuis 37 ans, Daniel Kerjan fait partie des « anciens » du Grand Orient à Rennes. Pour lui, revendiquer son appartenance est un moyen de mieux faire connaître l’institution. L a photo date de 1994. A l’époque, elle a fait la une d’un hebdomadaire national. On y voit un cortège de francs-maçons lors d’une grande manifestation en faveur de la laïcité. Les « frères » du Grand Orient protestent contre une loi qui prévoit de déplafonner les subventions à l’enseignement privé. Chose rare, ils défilent pour l’occasion en habits maçonniques. Au premier plan, en tablier jaune et vert, deuxième en partant de la gauche : Daniel Kerjan. Professeur de mathématiques à la retraite, initié au GO rennais en 1972, il fait partie des francsmaçons qui revendiquent leur appartenance, l’assument en public. Parce qu’il considère qu’il n'a pas à se cacher. Parce qu’il ne risquait « absolument rien » en s’affirmant comme tel dans sa profession et, aussi, parce qu’il croit nécessaire de sortir de l’ombre pour tarir les « fantasmes » qui collent aux basques de « l’institution secrète ». « S’il y a un domaine où il est difficile de faire changer l’opinion des gens, c’est bien la francmaçonnerie. C’est une institution complexe, variée et multiforme. » Et l’influence sociopolitique de la franc-maçonnerie ? « On est écoutés… Ou alors on fait mine de nous écouter », sourit-il. Dans ce domaine, ses préoccupations correspondent à celle de son obédience : laïcité et défense des valeurs républicaines. Daniel Kerjean a été « choqué » par le discours de Nicolas Sarkozy au Latran, fin 2007. Le président y affirmait que « l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur ». Lui qui a enseigné dans le même lycée public pendant trente ans, au Rheu, ne goûte pas vraiment ce genre de déclarations. Pourtant, il est « La franc-maçonnerie est une réflexion permanente sur la société. Elle permet de s’exprimer et d’écouter les autres... Son influence, aujourd’hui, est moins spectaculaire qu’elle ne l’a été. » la Grande loge nationale française et à la Grande loge de France, le GO n’impose pas de croire en un « grand architecte de l’univers ». Voilà qui lui convient bien. Dans une boutade dont on ne sait trop s’il faut la prendre pour argent comptant, il affirme que « le dernier refuge de la poésie, ce sont les mathématiques. » Pas accroc du rite Il est entré en franc-maçonnerie « pour voir ce que c’était. Parce que c’était intéressant ». Après avoir assisté à une conférence publique d’un grand maître national du GO, il décide d’envoyer sa candidature. Comme la quasi-totalité de ses « frères » et « sœurs », il évoque l’importance de la solennité des assemblées, l’aspect « initiatique » qui semble tant plaire aux francs-maçons. Si bien qu’on a parfois l’impression que leur démarche se rapproche de la religion, du dogme. Lui n’est pas un accroc « On est écoutés… Ou alors on fait mine de nous écouter « tombé dans un bénitier » quand il était petit. Son père, gendarme, était catholique. Mais il n’a pas suivi la voie. Quand on lui demande s’il croit en Dieu, il répond : « En quoi ? » Contrairement à 16 Le Mensuel/juillet-août 2009 » www.lemensuelderennes.fr du rite et du symbolisme à tout-va. « Certains tiennent beaucoup au décor, pas moi. Le rituel est toujours intéressant, car c’est un mode de conduite, mais il ne faut pas tomber dans le travers rituelique… Je n’y vais pas pour ça. » Sa barbe blanche lui donne des airs de vieux sage. Sa grande taille et sa « gueule » d’acteurgrand-père font penser à un Sean Connery armoricain. Dans la discussion, sa gestuelle rapide tient plus de la fougue juvénile que de la sénilité. Il réfléchit vite. A bientôt 70 ans, Daniel Kerjan s’est reconverti en historien. En 2005, il a publié Rennes : les francsmaçons du Grand Orient de France. 1748-1998 : 250 ans dans la ville. Il y a travaillé sept ans. Son projet d’ouvrage en cours de rédaction abordera les tout débuts du GO en France. Il passe son temps entre Mordelles, où il vit, et Paris, où il épluche quelques milliers de pages d’archives. Son port d’attache spirituel se situe à Rennes, du côté du 24, rue Thiers, siège historique du Go dans la capitale bretonne.