Ils sont environ 800, hommes et femmes, à se réunir régulièrement

Transcription

Ils sont environ 800, hommes et femmes, à se réunir régulièrement
francs-maçons
Leur véritable influence
à Rennes
Ils sont environ 800, hommes et femmes, à
se réunir régulièrement dans l’un des trois
temples de l’agglomération rennaise. Bien
implantés, les francs-maçons travaillent
sur des questions sociales, spirituelles ou
philosophiques. On les dit très influents dans
la capitale bretonne, eux démentent toute
tendance au réseautage et à l’affairisme.
Par Nicolas Legendre
[email protected]
(Photos Romain Joly)
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Le Mensuel/juillet-août 2009
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«I
ls sont copainscopains. C’est un
des réseaux qui
tiennent Rennes.
Dans les milieux
d’affaires et judiciaires, ça en est rempli ! » Le propos
émane d’un ancien élu de la région
rennaise. Dans le collimateur de sa diatribe : les francs-maçons. Lui tient à préciser qu’il ne l’est pas. « Je ne rentrerai
pas dans ce système ! » Un conseiller
municipal d’une commune de l’agglomération dément en bloc ces supputations. « C’est un fantasme. Je connais
très bien le réseau et je n’ai jamais vu
de collusion entre les différentes organisations. » Le quadragénaire nous fait
savoir, à demi-mot, qu’il appartient à la
franc-maçonnerie.
La simple évocation du terme « francmaçon » provoque, çà et là, des réactions enflammées. Les théories du
complot, à Rennes comme ailleurs,
continuent de s’épanouir dans le terreau du supposé affairisme politicoéconomico-judiciairo-maçonnique.
Certains interlocuteurs affirment détenir « beaucoup d’informations », mais
ne livrent que des rumeurs locales sans
preuves et, bien souvent, sans fondement. Certains avouent tout simplement leur méconnaissance du sujet.
D’autres, enfin, insistent sur l’aspect
positif du travail des « frères », leur
contribution à la défense des valeurs
républicaines ainsi que leur attachement à la tolérance et à la laïcité.
C’est un fait : les francs-maçons bretons
sont plus connus pour leur discrétion
tié à la Grande loge de France en 1975.
Il se rend plusieurs fois par mois au
temple de Saint-Jacques-de-la-Lande.
Pour lui, « il y a des a priori et des préjugés parce que les gens ne savent pas
ce qu’est la franc-maçonnerie. Si on
entretient notre propre légende, si on
ne parle pas, les fantasmes vont continuer. » Et d’ajouter, dans un rire : « On
n’est pas au Ku Klux Klan ! »
Rôle diffus
L’agglomération rennaise compte environ 800 francs-maçons, répartis dans
six obédiences principales : le Grand
Orient (GO), la Grande loge de France
(GLF), la Grande loge nationale française (GLNF), le Droit humain (DH), la
Grande loge féminine de France (GLFF)
et la Grande loge traditionnelle et
symbolique Opéra (GLTSO). Pas forcément évident d’entrer en contact avec
elles… Mais toutes ont pignon sur rue.
Le temple du 24, rue Thiers, construit
en 1907 dans le centre-ville de Rennes,
est le siège local du GO. Plus au nord,
rue de l’Hôtel-Dieu, les membres de
la GLNF se réunissent dans un bâtiment acheté en 2001. Auparavant, ils
louaient le temple du GO pour leurs
réunions. La GLF faisait de même
jusqu’à ce que l’obédience acquière
une ancienne école vendue par la mairie de Saint-Jacques-de-la-Lande, près
de l’aéroport. Les locaux ont été inaugurés en 2002, après réaménagement
et agrandissement.
et leur républicanisme que pour leurs
frasques. Les loges maçonniques s’apparentent à des associations comme les
autres. Dans lesquelles, parfois, certains
profitent de leur appartenance pour
faire fructifier leur capital relationnel.
Depuis quelques années, la francmaçonnerie veut couper court aux
accusations en ouvrant les portes de
ses temples. Elle communique dans
la presse et organise des réunions
publiques. Il s’agit, selon Camille Binder,
membre breton du Conseil de l’ordre
et grand trésorier du Grand Orient de
France, de « faire comprendre ce que
l’on est et d’essayer de tordre le cou à
un certain nombre de fantasmes. On
ne cultive plus le secret et la discrétion
comme ça a pu se faire à une certaine
époque. » Pierre-Henri Morin a été ini-
« On n’est pas au
Ku Klux Klan ! »
Pierre-Henri Morin, franc-maçon
Plusieurs loges sont en activité au
sein de chaque obédience. Elles rassemblent, en moyenne, entre 20 et
40 maçons. Certaines sont mixtes,
d’autres exclusivement masculines
ou féminines (lire p.12). Elles se réunissent environ deux fois par mois.
Baptisées « tenues », les assemblées
sont bien entendu réservées aux initiés, se déroulent à huis clos et suivent des rites très particuliers, plus ou
moins complexes. Lorsqu’on évoque
cet aspect avec les francs-maçons, souvent les regards s’éclairent. La voix se
fait solennelle, parfois grave. « A un
moment, on quitte le monde profane »,
affirme Camille Binder.
Si le rite varie, les loges partagent
cependant quelques caractéristiques
immuables. L’obligation, pour chaque
« frère », de porter un tablier maçonnique. L’impossibilité, pour les jeunes
recrues, de prendre la parole durant
leur phase d’initiation, qui peut durer
plus d’un an. Ou encore l’interdiction
de couper la parole lors d’une tenue. En
loge, quand quelqu’un parle, on se tait.
Les assemblées travaillent sur des
grands thèmes proposés chaque année
par les instances nationales des obédiences. Au DH ou au GO, qui n’imposent pas de référence à un Dieu ou à
l’immortalité de l’âme, il peut s’agir de
« l’école », « la laïcité » ou « la protection
sociale ». L’adhésion à la GLNF ou à la
GLF implique, à l’inverse, de croire en
un principe créateur, un « grand architecte de l’univers ». Les travaux s’orientent donc davantage vers la spiritualité,
la métaphysique et la construction de
soi. Tous les ans, les ateliers envoient
un écrit au siège de leur obédience, qui
rédige une synthèse nationale. Une fois
lue et approuvée, celle-ci peut être diffusée à l’extérieur.
Difficile de mesurer l’influence exacte
de ces réflexions sur les sphères sociales
et politiques. Leur rôle s’avère très diffus. Pourtant, le but est clair : « améliorer » l’individu et, pour certaines obédiences, la société dans son ensemble.
Initiée en 1973 à Rennes, Marie-Christine Galliou est membre du conseil
d’administration du Droit humain.
Cette éducatrice à la retraite parle
d’« utilité » maçonnique. « Je crois que
notre travail n’est pas vain. Nous défendons des valeurs. Au Droit humain, on
tient à être en prise sur le monde. »
Après le « discours du Latran », prononcé par Nicolas Sarkozy en décembre
2007, le Grand Orient avait vivement
réagi, dénonçant une atteinte aux principes de laïcité.
Dans la capitale bretonne, un certain
nombre de personnages politiques
avouent sans complexe leur intérêt
pour la chose maçonnique. Mais la
franc-maçonnerie, à l’évidence, n’est
plus aussi impliquée dans la vie locale
que durant la Troisième République. Si
influence il y a, celle-ci s’avère moins
« spectaculaire » (lire p.14).
définition
Pas toujours évident de définir la
franc-maçonnerie… Même dans
les dictionnaires encyclopédiques,
les formules ne s’avèrent pas
très claires : « Société mondiale
fermée, dont les membres, qui
se reconnaissent à des signes,
en possèdent seuls les secrets
sous serment. »
Mais quelle en est l’utilité ?
« Faire progresser la société par
l’homme grâce à des travaux de
réflexion, répondent certains
frères. La franc-maçonnerie sert
à trois choses : forger son temple
intérieur, se développer et donner
l’envie d’améliorer l’humanité. »
D’autres pensent que, pour la
définir, il faut « d’abord préciser
ce qu’elle n’est pas : une secte ».
Il n’existe en effet aucun dogme
ou gourou. « Il est beaucoup plus
facile d’en sortir que d’y entrer,
contrairement à une secte »,
argumentent beaucoup de frères
et sœurs rennais.
La date officielle retenue pour la
fondation de la maçonnerie est
1717. On dénombre aujourd’hui
environ 140 000 membres
en France.
La Grande loge nationale
française (GLNF), revendique
le fait d’être la seule obédience
française reconnue par la
Grande loge unie d’Angleterre.
Au niveau national, le grand
maître actuel, François Stifani,
n’hésite pas à critiquer les
orientations du « concurrent »,
le Grand Orient (GO). A Rennes,
la GLNF a longtemps été
hébergée dans les locaux du
GO, rue Thiers, avant d’acquérir
son propre temple en 2001, rue
de l’Hôtel Dieu.
« Pas de ça chez nous »
A en croire certains, « toutes les catégories sociales » sont représentées dans
les loges rennaises. Il semble néanmoins que les ateliers attirent une
majorité de représentants des classes
moyennes et sup érieures . Le
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francs-maçons
Leur véritable influence à Rennes
maçon-type ? « Un homme de 40
ans, fonctionnaire, cadre ou de profession libérale », nous dit-on. Un temps
surreprésentés au GO, les enseignants y
seraient maintenant moins nombreux.
« C’est beaucoup plus ouvert qu’il y
a vingt ou trente ans, affirme Camille
Binder. Il y a encore beaucoup d’en-
L’affairisme ? Le sujet agace ou fait
sourire les francs-maçons. Au choix.
Tous évoquent les unes de la presse
nationale, qui étale régulièrement des
histoires politico-maçonniques en
quadrichromie. Dernièrement, « Les
francs-maçons de Sarkozy »… Qu’en
est-il à Rennes ? « Pas de ça chez nous »,
« Je crois que notre travail n’est pas
vain. Nous défendons des valeurs »
Marie-Christine Galliou, franc-maçonne
repères
Rites ou folklore ?
Dans la représentation populaire,
franc-maçonnerie rime
forcément avec mystère… Un
mystère savamment entretenu
où le cérémonial est pour
beaucoup. Tabliers, épées,
cordes nouées, fil à plomb…
Pour Camille Binder, membre
du Grand Orient rennais, « cela
a du sens dans un endroit, à un
moment donné ». « Certaines
obédiences peuvent tomber dans
le folklore », reconnaît un frère.
Outre les symboles, toutes les
loges travaillent selon un rite
précis. « Le rite donne la modalité
initiatique. Il permet de vous
positionner le mieux possible pour
que vous puissiez vous épanouir
en maçonnerie », affirme Christian
Denis, grand maître provincial de
la Grande loge nationale française
en Bretagne.
Et là, il faut s’accrocher… Rite
écossais rectifié, rite français, rite
français moderne… D’ailleurs,
le « moderne » est le plus ancien.
On s’y perd…
On reproche souvent aux
francs-maçons d’entretenir le
mystère en conservant ces rites
et leur multiplicité. « Chacun
a pourtant un rôle et un
fonctionnement propres. » Selon
les rites, les loges n’ouvriront pas
les séances de la même manière,
la parole sera distribuée
différemment… Leur niveau
de complexité s’adapte plus ou
moins à des thèmes de réflexion.
Le rite français, plus abordable,
correspond souvent mieux à
l’étude de questions sociales.
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seignants, mais ils ne sont pas majoritaires. » N’importe qui peut postuler,
en envoyant une lettre à l’obédience
de son choix. Mais le mode de recrutement principal, par parrainage, ne
facilite pas forcément la mixité sociale.
Pour certains, il favoriserait plutôt les
réseaux et l’affairisme maçonnique.
répondent en chœur les principaux
concernés. Les « fraternelles », ces réunions informelles de francs-maçons
regroupés par corporations ou intérêts
communs, ne font pas beaucoup parler d’elles dans la capitale bretonne. La
discrétion n’implique pas l’inactivité…
Mais force est de constater qu’à l’in-
verse de la côte d’Azur ou de la région
parisienne, aucune sanction judiciaire
n’est venue infirmer la bonne foi affichée des frères et sœurs rennais.
« Quelqu’un qui veut faire des affaires
et tisser des réseaux n’a pas besoin
d’entrer en maçonnerie », af f irme
Christian Denis, 53 ans, cadre commercial et grand maître provincial de
la GLNF en Bretagne. Son obédience,
régulièrement dénigrée pour la tendance au réseautage de certains frères
au niveau national, serait absolument
« clean » à l’échelon local… « Nous faisons attention à qui nous recevons,
mais nous ne sommes pas exempts
de tomber sur des brebis galeuses. Il
nous appartient dans ce cas de faire le
nécessaire. » L’actuel vénérable de La
Parfaite union, la plus ancienne loge
du Grand Orient à Rennes, tient un
discours semblable : « Quelqu’un qui
vient chez nous pour y trouver du profit, il est déçu. »
Mixité des loges
Hommes-femmes, l’épineuse question
Rennes n’héberge qu’une seule obédience mixte, contre cinq exclusivement masculines ou
féminines. Mais la situation pourrait changer, si le Grand Orient décide d’accepter les femmes.
P
armi les six obédiences maçonniques présentes à
Rennes, une seule accepte d’initier des hommes
et des femmes. Il s’agit du Droit humain, dont la
mixité constitue un des chevaux de bataille depuis sa
création en 1893. Les autres sont exclusivement masculines (Grand Orient, Grande loge nationale française,
Grande loge de France, Grande loge traditionnelle et
symbolique Opéra) ou féminines (Grande loge féminine
de France).
Très contestée, cette stricte séparation des sexes ne
contribue pas à améliorer l’image de la franc-maçonnerie. Certains dénoncent « une pratique rétrograde » au
sein d’une institution qui se veut moderne et tolérante.
« La question de la mixité n’agite pas du tout nos loges.
Nous acceptons tout à fait l’existence de loges féminines,
explique Christian Denis, grand maître provincial de la
GLNF. La société établit la femme comme étant l’égale de
l’homme, et c’est tout à fait normal. Mais il faut accepter
que certaines réflexions puissent n’être menées que par
des hommes ou que par des femmes. »
Big-bang
Il en va tout autrement au Grand Orient (GO). A Rennes,
cette obédience exclusivement masculine fut précurseur
en sont temps. Dès 1936, lors d’une consultation informelle, elle se prononce en faveur de la mixité. A l’époque,
cela débouche sur la reconnaissance d’une obédience
mixte, le Droit humain… mais pas sur l’ouverture du
GO aux femmes.
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La Rennaise Marie-Christine Galliou est membre du conseil d’administration
national du Droit humain, seule obédience mixte présente dans la capitale
bretonne : « Nous travaillons pour l’égalité absolue des droits. »
Depuis quelque temps, le débat s’est réinvité au menu des
discussions. La mixité fait partie des questions posées à
toutes les loges du GO cette année. Selon un franc-maçon
rennais, les frères de la capitale bretonne auraient répondu
« 50% pour, 50% contre ». Un vote national sera organisé lors du prochain « convent », l’assemblée générale
du GO, en septembre 2009. En cas d’ouverture à la gent
féminine, l’obédience pourrait connaître un véritable bigbang… « Ce ne serait pas si révolutionnaire que ça, affirme
Camille Binder, membre breton du Conseil de l’ordre du
GO. C’est extrêmement compliqué de comprendre le sens
de ces positionnements de l’extérieur. Je conçois que cela
peut paraître incompréhensible… »
Les obédiences rennaises
Qui fait quoi ?
Six obédiences maçonniques sont présentes dans l’agglomération rennaise.
Mixité, rite, politique, religion… Ces « courants » ne partagent pas tous
les mêmes conceptions, ni le même fonctionnement.
De gauche à droite : les
temples de la GLNF et du
GO, à Rennes, et celui de
la GLF, à Saint-Jacquesde-la-Lande. Malgré les
différences qui séparent
les obédiences, tous
les lieux de réunions
ont en commun un
foisonnement de
symboles. En francmaçonnerie, "tout est
symbole", se plaisent
à répéter les frères.
D'où l'œil, les équerres,
cordes nouées et autres
plafonds représentant la
voûte céleste.
Le Grand Orient (GO)
Avec 45 000 frères en France et 300 à Rennes,
c’est l’obédience la plus représentée. Pour adhérer au Grand Orient, il est inutile de reconnaître
l’existence d’un « principe supérieur » (appelé
aussi « grand architecte », il peut parfois s’apparenter à Dieu). Exclusivement masculin, le GO
est également connu comme le « courant » s’intéressant le plus aux questions sociales. Pour ses
membres, la spiritualité s’assimile à un « combat
entre l’esprit et l’instinct ». Plus l’esprit gagne
du terrain, « plus on progresse », affirment ses
membres.
Il compte quatre loges à Rennes : Tradition et
progrès, Gaïa, Confluence et La Parfaite union.
Les frères se rassemblent dans le temple du 24,
rue Thiers, construit en 1907.
L’attachement à la laïcité et aux valeurs républicaines ainsi que la forte proportion, à une
époque, d’enseignants et de fonctionnaires
dans les rangs du GO, lui ont valu d’être classé
à gauche.
La Grande loge
nationale française (GLNF)
La deuxième obédience française en termes d’effectifs, avec environ 40 000 membres, dont 180 à
Rennes. Hébergée jusqu’en 2002 dans les locaux
du Grand Orient, elle dispose désormais d’un édifice dédié, rue de l’Hôtel-Dieu à Rennes.
Pour y entrer, il est impératif de croire en l’exis-
tence d’un principe supérieur (ou « grand architecte »). Obédience particulièrement « spiritualistes », la GLNF ne s’intéresse pas, lors de ses
réunions, aux questions sociales ou sociétales.
A Rennes, elle compte six loges : Duguesclin, Harmonie universelle, Kalédonia, Gwenn ha du, York
et Brocéliande. La GLNF est traditionnellement
étiquetée à droite.
Le Droit humain (DH)
Seule obédience représentée à travers le monde
entier, le Droit humain possède une grande spécificité : c’est une obédience mixte.
Comme la GLF ou la GLNF, cette loge se base sur
l’adoption d’un « principe supérieur » mais elle
traite des questions sociales, comme le GO. A
Rennes, deux loges, nommées Initiation et Brocéliande, regroupent une centaine de membres
dont environ deux tiers de femmes et un tiers
d’hommes.
culines, se réunissent dans le temple de SaintJacques-de-la-Lande, situé dans une ancienne
école réaménagée.
Beaucoup moins « sociale » que le GO, la GLF s’intéresse en priorité aux questions philosophiques,
symboliques et spirituelles.
La Grande loge
féminine de France (GLFF)
Créée en 1945, la Grande loge féminine de France
revendique un mot d’ordre (« Connais-toi toimême ») et deux principes : tolérance et laïcité. En
plus d’être une obédience strictement féminine,
elle possède une originalité : les adhérentes portent, outre les traditionnels gants et tablier, une
longue robe noire.
A Rennes, deux loges de la GLFF seraient actuellement en activité. Leurs membres n’ont pas
répondu à nos sollicitations.
La Grande loge de France (GLF)
La Grande loge traditionnelle et
symbolique Opéra (GLTSO)
Malgré leur nom très proche, la Grande loge n’est
pas apparentée à la Grande loge nationale française. Il existe entre elles certaines différences
fondamentales dans le fonctionnement comme
dans la « philosophie ». Elles conservent toutefois un point commun important. Il faut, pour y
appartenir, reconnaître l’existence d’un « principe supérieur ».
Les quatre loges rennaises, strictement mas-
Issue d’une scission avec la GLNF en 1958, la
Grande loge traditionnelle et symbolique Opéra
exclut les discussions politiques et « sociales » de
ses assemblées. Contrairement au GO ou au DH,
elle n’a pas vocation à intervenir dans le débat
public. Ses membres travaillent principalement
sur des sujets d’ordre spirituel ou philosophique.
Exclusivement masculine, elle compte une seule
loge dans la capitale bretonne.
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francs-maçons
Leur véritable influence à Rennes
Franc-maçonnerie et politique locale
L’entente cordiale
Ouvertement politisés durant la Troisième
République, les francs-maçons rennais ne
s’impliquent plus, officiellement, dans les
affaires locales. Ce qui n’empêche pas certains
décideurs d’afficher leur intérêt pour le travail
et les valeurs maçonniques.
1
893. L a toute jeune Troisième
République élit ses députés. C’est
l’époque des francs-maçons laïcards,
des « hussards bleus »* républicains.
Au niveau national, le Grand Orient
(GO) dicte des consignes de vote. A Rennes, la
loge invite le candidat qu’elle a décidé de soutenir à venir s’exprimer au temple. Il s’agit de Jules
Maniez, créateur du premier groupe socialiste
rennais en 1876.
religieux/laïcs et droite/gauche a rendu les prises
de position moins péremptoires. Aux questions
franco-françaises se sont substituées des interrogations globales, mondialisées. Hors du coup, les
francs-maçons ? « Le monde a beaucoup changé.
Ce n’est plus si facile de traiter les grandes questions sociales », affirme Daniel Kerjan, membre
du GO rennais depuis 1972. Un élu de l’agglomération, franc-maçon souhaitant rester anonyme,
va dans le même sens : « La démocratisation du
savoir augmente le niveau de compréhension des choses. Ce qui était
élitiste l’est moins. »
Le copinage en coulisse ?
Depuis le début du XXe siècle, la laïcité est
un des chevaux de bataille du Grand Orient
de France. Certaines déclarations récentes
du président Sarkozy ont ravivé les ardeurs
de l’obédience. Son implication, et celle de
la franc-maçonnerie en général, dans les
débats locaux, semble moins évidente.
Les temps ont changé. Depuis la seconde moitié du XXe siècle, ce genre de pratique a disparu.
Ni Daniel Delaveau, ni Karim Boudjema, n’ont
été officiellement portés aux nues par la francmaçonnerie locale avant les municipales… Il
semble que les maçons se soient « repliés sur
leurs loges ». Les problématiques politiques se
sont complexifiées. La dilution des oppositions
14
Malgré ces évolutions, les travaux
maçonniques continuent, sinon
d’influencer directement la vie
politique locale, du moins d’intéresser un certain nombre de décideurs. L’ancien maire de Rennes
Edmond Hervé, désormais sénateur, évoque sa « proximité philosophique » avec le GO. Il a
toujours refusé, au nom de
la liberté de conscience, de
répondre à la question « Etesvous franc-maçon ? » Dans
la capitale bretonne, beaucoup de rumeurs font de lui
un « frère ». Les sources les
mieux informées affirment qu’il ne l’a jamais été.
« A mon grand regret ! », plaisante un « frère »
rennais. Jeanine Huon, vice-présidente (PS) du
conseil général d’Ille-et-Vilaine, affirme que
« toute institution qui peut enrichir la réflexion
sur des grands sujets de société mérite de trouver sa place sur le territoire ». Elle précise qu’elle
n’est pas franc-maçonne. Bruno Chavannat, leader (UMP) du groupe d’opposition rennais, « ne
dispose pas de beaucoup de lumières sur le
sujet. Mais j’ai du respect pour les valeurs qu’elle
porte ». Aux extrémités du spectre politique, on
ne s’empresse pas non plus de vilipender « l’institution secrète ». Cédric Abdilla, premier secrétaire du Front national dans le département,
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s’interroge : « Pourquoi se cacher si on n’a rien à
cacher ? » Mais il précise qu’« au niveau local, [il]
ne constate pas leur influence. Si cela existe, c’est
infime ». Même Adsav, le parti indépendantiste et
nationaliste breton, dont certains membres n’hésitent pas à critiquer vertement la franc-maçonnerie, affiche une position officielle plutôt modérée. « Un franc-maçon est libre d'adhérer à Adsav,
du moment qu'il respecte ses camarades catholiques et autres. Quand elle accepte les identités, la franc-maçonnerie ne dérange pas Adsav »,
affirme son président, Frédérig ar Bouder.
A Rennes, comme dans la majeure par tie
des villes françaises, les obédiences maçonniques sont considérées comme des associations lambda. La coutume veut que le maire
reçoive les grands maîtres nationaux lors de leurs
déplacements en province. Ce fut le cas en avril.
« Les valeurs
que vous défendez
sont aussi les
nôtres »
Daniel Delaveau, maire de Rennes
Daniel Delaveau a accueilli Pierre Lambicchi, du
GO, dans le grand salon de l’hôtel de ville. « Les
valeurs que vous défendez sont aussi les nôtres »,
a indiqué le maire de Rennes. Au premier rang de
l’assistance se trouvait Jean-Yves Le Drian, président (PS) de la région Bretagne. En façade, donc,
c’est l’entente cordiale. Et le copinage en coulisse ? Certains interlocuteurs affirment que « ce
n’est pas en conseil municipal que se décident
les choses, mais dans les loges ! » Aucune preuve
ne vient étayer cette idée. Celle-ci tient, selon les
principaux concernés, élus, francs-maçons ou
non, du « fantasme » et de la « rumeur ».
*Daniel Kerjan, Rennes : Les francs-maçons du Grand Orient de
France. 1748-1998 : 250 ans dans la ville, Presses universitaires
de Rennes, 2005
Edmond Hervé
« Il ne faut pas survaloriser
Maire de Rennes pendant
31 ans, désormais sénateur,
Edmond Hervé affiche un
intérêt certain pour la pensée
et la « méthode » maçonnique.
Pour lui, il s’agit d’un courant
philosophique comme un
autre. Il affirme ne pas croire
en l’existence d’un groupe de
pression franc-maçon à Rennes.
Le Mensuel de Rennes : Vous avez écrit la préface du livre de Daniel Kerjan sur l’histoire des
francs-maçons du Grand Orient à Rennes. Pour
quelle raison ?
Edmond Hervé : « En 1995, j’ai souhaité qu’il y ait
une nouvelle édition de L’Histoire de Rennes. La
dernière datait du début des années 70. A côté de
ce livre d’histoire globale, je trouvais important
qu’il puisse y avoir des livres historiques spécialisés sur différentes composantes. C’est ainsi que
Daniel Kerjan est venu me voir pour me dire qu’il
avait rédigé un ouvrage sur le Grand Orient et me
proposer d’en écrire la préface... J’ai immédiatement acquiescé, au nom de l’histoire de la ville,
du respect de l’édition et du pluralisme. »
Dans cette préface, vous parlez en termes plutôt flatteurs de la présence du GO à Rennes…
La franc-maçonnerie a-t-elle joué un rôle
important dans la ville ?
« Elle a eu des influences, mais je ne suis pas
en mesure de les quantifier. Il faut dire que
même lorsque des francs-maçons appartiennent à une obédience identique, ils peuvent
avoir des expressions politiques extrêmement
diverses. Je pense qu’il ne faut pas survaloriser
leur influence. »
Il ne faut pas non plus la sous-valoriser…
« Non, mais je ne crois pas à une unité maçonnique comme groupe de pression. »
Lorsque vous étiez maire, avez-vous été sollicités
directement par des obédiences maçonniques
pour intervenir sur telle ou telle question ?
« Jamais. Je n’ai jamais rencontré ce genre de
chose. Mais je suis sensible à la franc-maçonnerie comme mouvement de recherche, de pensée
et d’expression. »
Vous avez été ministre et député. Vous êtes
maintenant sénateur. Avez-vous constaté une
influence plus forte de la franc-maçonnerie à
Paris qu’à Rennes ?
leur influence »
« Nous sommes dans une République pluraliste. Il est important que les différentes philosophies
puissent s’exprimer, y compris dans une ville telle que Rennes. »
« Jamais. Je n’ai jamais entendu
quelqu’un s’exprimer dans une
assemblée politique au nom de
la franc-maçonnerie, ou parce
qu’il était franc-maçon. »
« Faire partie de la franc-maçonnerie
n’est pas un acte coupable »
Ce genre d’influence s’exprime plutôt en coulisse… « Je n’ai jamais été confronté à ce genre de
choses. Alors, qu’il y ait des réseaux… La France
est un pays de réseaux ! Vous avez des réseaux
des anciens élèves, ou de l’inspection des
finances… »
La ville de Rennes, Rennes Métropole, le conseil
général et le conseil régional sont aux mains du PS.
N’est-ce pas un terreau idéal pour une obédience
comme le Grand Orient, étiquetée à gauche ?
« A partir du moment où vous avez un terreau de
liberté et d’esprit critique, il est évident que l’expression est plus facile que dans une ville crispée
et conservatrice…
C’est la rencontre, à la fin des années 60 et au
début des années 70 des courants laïc et catholique social, qui a eu le plus d’influence politique
dans cette ville. Cela a été fondateur. »
Le courant laïc a été en partie porté par la
franc-maçonnerie…
« Oui, oui… Mais je pense que dans la sphère
sociale laïque, l’influence intellectuelle des
francs-maçons devait être nettement supérieure
à leur présence physique. Cette approche laïque
a été très largement portée par une très grande
majorité de gens qui n’étaient pas maçons. »
L’image sulfureuse que l’on prête à la francmaçonnerie est-elle justifiée, selon vous ?
« Ce sont des fantasmes. Il est important de ne
parler que de ce que l’on connaît. On leur a reproché d’être secrets, mais il ne faut pas oublier
qu’ils ont eu à subir la vindicte de nombreux gouvernements. On a colporté sur eux des choses
inadmissibles et scandaleuses. »
Vous devez savoir que certaines rumeurs, à
Rennes, font de vous un franc-maçon…
(Il rit) « Je n’ai jamais répondu à cette question.
Parce que je ne souhaite pas que ma réponse soit
interprétée. Faire partie de la franc-maçonnerie
n’est pas un acte coupable. Ne pas en faire partie
n’est pas une situation critiquable. »
Le Mensuel/juillet-août 2009
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francs-maçons
Leur véritable influence à Rennes
Daniel Kerjan
Franc-maçon du Grand Orient
Frère de l’être
Prof de maths à la retraite, franc-maçon depuis 37 ans,
Daniel Kerjan fait partie des « anciens » du Grand Orient
à Rennes. Pour lui, revendiquer son appartenance est
un moyen de mieux faire connaître l’institution.
L
a photo date de 1994. A l’époque,
elle a fait la une d’un hebdomadaire national. On y voit un cortège
de francs-maçons lors d’une grande
manifestation en faveur de la laïcité.
Les « frères » du Grand Orient protestent contre
une loi qui prévoit de déplafonner les subventions à l’enseignement privé. Chose rare, ils défilent pour l’occasion en habits maçonniques. Au
premier plan, en tablier jaune et vert, deuxième
en partant de la gauche : Daniel Kerjan.
Professeur de mathématiques à la retraite, initié
au GO rennais en 1972, il fait partie des francsmaçons qui revendiquent leur appartenance, l’assument en public. Parce qu’il considère qu’il n'a
pas à se cacher. Parce qu’il ne risquait « absolument rien » en s’affirmant comme tel dans sa profession et, aussi, parce qu’il croit nécessaire de
sortir de l’ombre pour tarir les « fantasmes » qui
collent aux basques de « l’institution secrète ».
« S’il y a un domaine où il est difficile de faire
changer l’opinion des gens, c’est bien la francmaçonnerie. C’est une institution complexe,
variée et multiforme. »
Et l’influence sociopolitique de la franc-maçonnerie ? « On est écoutés… Ou alors on fait mine
de nous écouter », sourit-il. Dans ce domaine,
ses préoccupations correspondent à celle de son
obédience : laïcité et défense des valeurs républicaines. Daniel Kerjean a été « choqué » par le
discours de Nicolas Sarkozy au Latran, fin 2007.
Le président y affirmait que « l’instituteur ne
pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur ».
Lui qui a enseigné dans le même lycée public
pendant trente ans, au Rheu, ne goûte pas vraiment ce genre de déclarations. Pourtant, il est
« La franc-maçonnerie est une réflexion permanente sur la société. Elle permet de s’exprimer et d’écouter les autres...
Son influence, aujourd’hui, est moins spectaculaire qu’elle ne l’a été. »
la Grande loge nationale française et à la Grande
loge de France, le GO n’impose pas de croire en
un « grand architecte de l’univers ». Voilà qui lui
convient bien. Dans une boutade dont on ne sait
trop s’il faut la prendre pour argent comptant, il
affirme que « le dernier refuge de la poésie, ce
sont les mathématiques. »
Pas accroc du rite
Il est entré en franc-maçonnerie « pour voir ce
que c’était. Parce que c’était intéressant ». Après
avoir assisté à une conférence
publique d’un grand maître
national du GO, il décide d’envoyer sa candidature.
Comme la quasi-totalité de ses
« frères » et « sœurs », il évoque
l’importance de la solennité
des assemblées, l’aspect « initiatique » qui semble
tant plaire aux francs-maçons. Si bien qu’on a parfois l’impression que leur démarche se rapproche
de la religion, du dogme. Lui n’est pas un accroc
« On est écoutés… Ou alors
on fait mine de nous écouter
« tombé dans un bénitier » quand il était petit.
Son père, gendarme, était catholique. Mais il n’a
pas suivi la voie. Quand on lui demande s’il croit
en Dieu, il répond : « En quoi ? » Contrairement à
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du rite et du symbolisme à tout-va. « Certains
tiennent beaucoup au décor, pas moi. Le rituel
est toujours intéressant, car c’est un mode de
conduite, mais il ne faut pas tomber dans le travers rituelique… Je n’y vais pas pour ça. »
Sa barbe blanche lui donne des airs de vieux
sage. Sa grande taille et sa « gueule » d’acteurgrand-père font penser à un Sean Connery armoricain. Dans la discussion, sa gestuelle rapide
tient plus de la fougue juvénile que de la sénilité.
Il réfléchit vite.
A bientôt 70 ans, Daniel Kerjan s’est reconverti en
historien. En 2005, il a publié Rennes : les francsmaçons du Grand Orient de France. 1748-1998 :
250 ans dans la ville. Il y a travaillé sept ans. Son
projet d’ouvrage en cours de rédaction abordera les tout débuts du GO en France. Il passe
son temps entre Mordelles, où il vit, et Paris, où
il épluche quelques milliers de pages d’archives.
Son port d’attache spirituel se situe à Rennes,
du côté du 24, rue Thiers, siège historique du Go
dans la capitale bretonne.