Entretien avec Joseph Wajsblat, déporté survivant d`Auschwitz
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Entretien avec Joseph Wajsblat, déporté survivant d`Auschwitz
Entretien avec Joseph Wajsblat, déporté survivant d’Auschwitz Pendant près de 50 ans, Joseph Wasjblat, rescapé de la chambre à gaz n°4 d’Auschwitz-Birkenau, garda le silence sur une histoire unique et exceptionnelle. Juif polonais, issu d’une famille très religieuse, il fut enfermé à 11 ans dans le ghetto de Lodz, puis déporté à Auschwitz à l’âge de 15 ans. Il perdit ainsi la quasi-totalité de sa famille : seuls 3 membres survécurent à la déportation (sur plus de 90 personnes). Doté d’un instinct de survie sans doute hors du commun, il put échapper à plusieurs sélections, et vécut également (fait unique dans l’histoire de la Shoah) la sélection interrompue d’octobre 1944 : en effet, un soir d’octobre, Joseph est poussé, avec un groupe de 500 à 600 Juifs dans la chambre à gaz du crématoire 4. Cette fois-ci, Joseph sait que c’est la fin. La porte se referme... puis s’ouvre de nouveau, laissant sortir une cinquantaine de jeunes déportés, dont Joseph Wasjblat. Il apprendra par la suite que c’est sur l’ordre de Mengele (le médecin-chef du camp d’Auschwitz), furieux de n’avoir pas été là au moment de la décision de la sélection, que la porte de la chambre à gaz se réouvrit ce jour là. Joseph ira ensuite travailler dans une usine-bagne du nord de l’Allemagne jusqu’à la Libération. De retour à Paris grâce à l’aide d’un soldat américain qui souhaite l’emmener avec lui aux Etats-Unis, Joseph Wasjblat sera finalement adopté par une famille parisienne, et s’installera définitivement en France. Il ira combattre au sein de l’armée israélienne en 1948 puis exercera le métier de coupeur à Paris. Par la suite, il rencontrera Rachel Frojman, avec qui il bâtira une solide entreprise de prêt à porter féminin. Il parviendra également à fonder une famille, puisque 3 filles naîtront de son union avec Rachel. Joseph Wasjblat a longtemps tu son expérience du ghetto de Lodz et d’Auschwitz, tant il ne parvenait pas à trouver les mots pouvant exprimer son indicible souffrance. Grâce à l’aide d’un ancien journaliste du Figaro, M. Gilles Lambert, il parvint à livrer son témoignage, publié aujourd’hui dans la collection de poche « J’ai lu » sous le titre « Le témoin imprévu ». Un livre illustré tiré de ce précédent ouvrage vient également d’être publié aux éditions TR (« Jo Wasjblat, l’enfant de la chambre à gaz »). Joseph Wasjblat a accepté de répondre à nos questions . CIDEM : Joseph Wasjblat, vous avez publié des livres, vous allez témoigner dans des collèges et lycées, vous accompagnez chaque année des voyages à Auschwitz... Pourquoi, selon vous, est-il si important de témoigner ? J. W. : Il n’y a que 2% des anciens déportés qui retournent à Auschwitz. La plupart d’entre eux ne peuvent pas y retourner tant le traumatisme est énorme. La dernière fois, j’ai dû faire une émission de radio. On devait être cinq, mais finalement, on s’est retrouvé à quatre. J’appelle la femme de mon ami Albert qui m’explique qu’il ne viendra pas : la nuit, il tremble, suffoque, il crie parfois... ils sont beaucoup à être traumatisés. On n’est pas nombreux à pouvoir le faire. En tout, je connais quatre ou cinq hommes qui le font, mais aussi deux femmes. Je fais 10 voyages par an. L’année dernière, j’ai emmené 50 élèves en 8 fois. Pour moi c’est un devoir. Si je devais évoquer les raisons qui me poussent à témoigner, j’en verrais trois essentiellement : - La première raison, c’est que j’ai perdu 95 % de ma famille dans les camps. - La deuxième raison découle de cette histoire : j’avais un copain dans le ghetto de Lodz, nous avions grandi ensemble. Le jour, on travaillait, et la nuit on sortait ensemble, on volait tout ce qu’on pouvait, on démolissait les palissades, on volait du bois, du charbon pour se chauffer... on partageait tout... tout le temps. Quand je suis arrivé à Auschwitz, huit jours après lui, je l’ai retrouvé. Il était avec son petit frère de 13 ans et demi..il a échappé à la première sélection..ce furent de vraies retrouvailles...on agissait comme dans le ghetto, on était les premiers à avoir la soupe et le pain. Plusieurs fois, on a réussi à se faufiler dans un autre block, pour avoir d’autres rations...on partageait tout, on faisait ça ensemble..et un jour, il y eût une sélection, on lui a pris son petit frère, et la nuit, un camion est venu les chercher pour aller dans la chambre à gaz..quand on lui prit son petit frère, il me dit : « Jo, il n’a pas de père, j’ai toujours été un père pour lui, je ne peux pas le laisser y aller tout seul., dans la chambre à gaz...mais Haim, nous on a peut-être une chance de partir travailler en Allemagne ! ...oui, je sais, mais je peux pas.. ». J’ai essayé de le raisonner, mais il n’y avait rien à faire..à la fin, il m’a repoussé de force en me disant qu’il ne se laisserait pas dicter sa conduite..il est parti voir des responsables du block en leur demandant de le laisser rentrer pour rejoindre son frère. Il est parti avec son frère..et quand il est parti, à l’époque, c’était comme une moitié de moi-même qui partait, ça m’a fait beaucoup souffrir...en plus, il ne m’avait pas dit au revoir, il ne m’a pas embrassé..et maintenant, chaque fois que je vais à Auschwitz, je repense à lui, et je ne peux pas l’oublier... - La troisième raison, c’est pour l’Histoire. Si les anciens déportés ne font pas ce travail, qui le fera ? C’est donc un devoir. Quand on est pieu, c’est une des plus grandes Mitsvoth. Et si on n’est pas pieu, c’est un devoir..Aussi longtemps que je pourrai le faire, je le ferai. CIDEM : Vous avez été déporté à Auschwitz à l’âge de 15 ans...Comment vit-on cela, en tant qu’adolescent ? Comment cette expérience a-t-elle orienté votre vie ensuite ? J. W. : A 11 ans déjà, j’étais enfermé..J’ai donc été enfermé de 11 à 16 ans...A 11 ans, j’ai perdu mon père. Il avait 38 ans..toute la responsabilité reposait sur moi à la maison, je m’occupais de tout. Ma mère décéda en 1943, j’étais donc seul avec mon frère et ma soeur..je me suis occupé de tout. J’ai tout appris tout seul, par la force des choses...j’ai tout appris en observant, avec les critiques qu’on me faisait aussi..je ne m’en fâchais pas...je n’ai pas eu de jeunesse. C’était très dur de réapprendre à vivre, surtout au début...j’ai eu beaucoup de chance..d’autres déportés (de France), étaient seuls, moi j’ai trouvé une famille adoptive...et tout de suite, je voulais avancer dans ma vie, apprendre un métier, et fonder une famille..j’ai trouvé une femme là où je travaillais comme coupeur..c’était la fille d’un fournisseur..Mon patron a parlé avec les parents..J’ai ainsi fait la connaissance de Rachel..je suis sorti 2 ans avec elle puis on s’est marié..tout ce que je voulais faire, je le faisais très vite..je voulais avancer, j’avais pas le temps de m’occuper du passé, je voulais pas, on voulait pas parler..Et puis on entendait des choses très dures, comme celles-ci : « si tu t’en es sorti, c’est que c’était pas si horrible... ». Puis un jour, j’ai rencontré Gilles Lambert grâce à Léo Gazi, on a mis 10 ans pour sortir le livre.. Nous, on est le dernier maillon de la chaîne, si on le fait pas, qui le fera ? c’est un devoir... beaucoup ne peuvent pas le faire. CIDEM : Quel message voulez-vous adresser aux jeunes d’aujourd’hui ? J. W. Il faut faire très attention, être très vigilant, ne pas baisser la tête, ne pas se laisser faire, faire face, toujours...on voit malheureusement des choses horribles, en Afrique..etc. Etre toujours vigilant.. Parfois, c’est vrai que je repense à mon enfance. C’est terrible, parce que la dernière fois que j’ai été à Auschwitz, je me suis dit que c’était mieux que mes parents soient morts dans le ghetto de Lodz, plutôt qu’à Birkenau. Aujourd’hui, il y a peu de déportés capables de faire ce travail de mémoire. Je ne sais pas trop comment expliquer le fait que je puisse le faire. Je crois beaucoup au destin en fait. J’ai échappé tant de fois à la mort, alors que beaucoup d’amis proches sont déjà partis. J’attends mon tour, mais j’espère qu’il viendra le plus tard possible. Joseph Wajsblat vient de publier un livre « Le témoin imprévu - Jo, 15 ans, survivant de la chambre à gaz d’Auschwitz »