Moliere livret pedagogique
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Moliere livret pedagogique
Dossier pédagogique Lire Molière avec la collection x x À paraître le 4 janvier 2007 Les titres Molière déjà parus ner le goût de lire au collège et au Une collection innovante pour don lycée ! Déjà 20 titres disponibles ! Sortie le 31 janvier ISBN : 313-3–09–107066–3 et 15 titres à paraître. www.carresclassiques.com 107066_Couverture.indd 2-3 &:BDNKTB=U\U[[X: Découvrez le film en avant-première ! 22/11/06 20:11:40 en avant-première ! Découvrez Vous êtes professeur de Lettres ou documentaliste au collège ou au lycée, nous vous invitons à découvrir le film événement de Laurent Tirard en avant-première dans les villes suivantes : Aix-Marseille Amiens Bayonne Bordeaux Brest Clermont-Ferrand Dijon Grenoble La Rochelle Le Mans Lille Lyon Montpellier Nancy Nantes Nice Orléans Paris Poitiers Rennes Rouen Strasbourg Toulouse Tours Avant-premières gratuites, réservées aux enseignants et aux documentalistes. Rendez-vous sur le site www.carresclassiques.com pour consulter la date de l’avant-première dans votre académie : dimanche 21 janvier (matin) ou mardi 23 janvier (soirée). Inscription obligatoire. x Pour en savoir plus sur le film : www.moliere-lefilm.com ent TiLaur U JE ns votre da rd ra O ! RS C se clas U CON Laurent Tirard dans votre classe ! Vous pourrez rencontrer le réalisateur Laurent Tirard, en participant du 8 janvier au 27 février 2007 à notre grand jeu-concours « Molière en classe »* ! À gagner également : des livres, des affiches du film… Rendez-vous sur www.carresclassiques.com pour plus de détails. * Jeu organisé par Nathan, maison d’édition de SEJER, SA au capital de 26.602.500 €, dont le siège social est au 30 Place d’Italie, 75702 Paris, RCS Paris B 393 291 042, organisé du 8 janvier au 27 février 2007 inclus, réservé à la France Métropolitaine. Modalités du jeu et règlement complet accessible sur www.carresclassiques.com. 107066_Couverture.indd 4-5 22/11/06 20:12:19 Un film de Laurent Tirard Scénario : Laurent Tirard et Grégoire Vigneron Produit par Fidélité – Olivier Delbosc – Marc Missonnier En association avec Virtual Films et Wild Bunch En co-production avec France 3 cinéma et France 2 cinéma Avec la participation de Canal + et TPS Star Distribué par Wild Bunch Distribution Ventes internationales Wild Bunch www. carresclassiques.com 107066_Interieur.indd 1 22/11/06 19:55:29 • Réalisation .................................... • Interprétation ............................... Laurent Tirard Romain Duris (Molière) ........................................................ Fabrice Luchini (Jourdain) ........................................................ Laura Morante (Elmire) ........................................................ Edouard Baer (Dorante) ........................................................ Ludivine Sagnier (Célimène) Fanny Valette (Henriette) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Gonzague Requillart (Valère) ........................................................ ........................................................ Philippe du Janerand (M. Bonnefoy) ........................................................ Gilian Petrovski (Thomas) ........................................................ Sophie-Charlotte Husson (Madeleine Béjart) • Scénario, adaptation et dialogues ........................................................ Laurent Tirard Grégoire Vigneron • Décors Françoise Dupertuis ..... .......................................... • Costumes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pierre-Jean Larroque Dossier pédagogique Nathan Présentation : Cécile de Cazanove et Sophie Pailloux Maquette : Laurence Ningre Photos : Jean-Marie Leroy © Fidélité films 2006 Dessins : Pierre-Jean Larroque Édition : Marion Noesser/Marie-Hélène Tournadre 2 • © Nathan, 2006. ISBN 313-3-09-107066-3 Imprimé en FRANCE par CLERC 107066_Interieur.indd 2 22/11/06 19:55:36 ien avant d’être élevé au rang de génie sous le nom de Molière, celui qui n’est encore que Jean-Baptiste Poquelin connaît des débuts difficiles. Excellent comédien, mais s’évertuant à jouer des tragédies pour lesquelles il n’a aucun talent, il survit tant bien que mal avec sa modeste troupe, jusqu’au jour où il est jeté en prison pour dettes. C’est alors qu’un certain Monsieur Jourdain, riche commerçant, fait au jeune acteur une offre qu’il ne peut refuser : en échange du rachat de ses créances, Molière doit lui enseigner l’art de la comédie. Jourdain en a besoin pour éblouir Célimène, une jeune précieuse qui tient salon et pour laquelle il a écrit une pièce. La situation est d’autant plus complexe que la femme de Jourdain, Elmire, ne doit rien découvrir. Molière est donc introduit chez Jourdain comme précepteur religieux de leur plus jeune fille. Éloigné de sa troupe, confronté à un homme peu doué pour les arts et obligé de jouer une comédie dans laquelle chaque situation quotidienne se transforme en piège, Molière ne rêve que de fuir. Mais au sein de cette maison bourgeoise, c’est une autre vie qu’il découvre. Observateur et vif, il perce vite à jour les secrets de chacun et surprend l’amour secret qu’Henriette, la fille de Jourdain, entretient avec le modeste Valère. Molière comprend aussi le double jeu de Dorante, noble aussi beau parleur que désargenté qui escroque Jourdain en lui promettant son entremise auprès de Célimène. Ce que Molière remarque le plus, néanmoins, c’est le charme d’Elmire, son esprit et sa désespérance d’épouse. Peu à peu, au mépris du danger, Molière la séduit, se révèle à elle, et vit une histoire d’amour interdite qui marquera sa vie pour toujours. Les choses s’accélèrent lorsque Dorante, plus que jamais décidé à s’accaparer la fortune de Jourdain, intrigue pour marier son fils à Henriette. Pour sauver Elmire et sa fille, mais aussi Jourdain malgré lui, Molière va imaginer un stratagème que seul le plus grand des auteurs pouvait mettre sur pied. Au bout de l’aventure, il y aura un départ, une rupture, un drame qui le hantera éternellement et lui donnera la force de faire rire de ce qui fait pleurer et d’écrire sur la vie comme personne d’autre ne saura jamais le faire… • 3 107066_Interieur.indd 3 22/11/06 19:55:38 L T Laurent Tirard a 39 ans. Il a fait des études de cinéma à New York University, a été lecteur de scénarios pour Warner Bros à Los Angeles, puis journaliste à Studio Magazine pendant six années. C’est pour ce magazine qu’il a créé la rubrique « Leçons de cinéma » : des interviews des plus grands réalisateurs de cinéma (Scorcese, Almodovar, Allen, Kusturica, Lynch, Godard, Burton…) en les interrogeant principalement sur leur manière de travailler, la direction d’acteurs, les techniques utilisées, etc. Il a ensuite travaillé sept ans comme scénariste (télévision et cinéma) et a réalisé deux courts-métrages, De source sûre (1999) et Demain est un autre jour (2000), avant de s’attaquer à son premier long-métrage, Mensonges et trahisons, et plus si affinités, sorti en septembre 2004. Molière est son second film. 4 • 107066_Interieur.indd 4 22/11/06 19:55:47 M À vingt-deux ans, Jean-Baptiste Poquelin, alias Molière, rêve encore d’être un grand tragédien. Mais le public et sa troupe de l’Illustre-Théâtre le préfèrent en farceur. Criblé de dettes, il est jeté en prison. Quand on retrouve sa trace, quelques mois plus tard, il est parti en province avec l’IllustreThéâtre. Ce seront douze années de voyage et de tournées, avant un retour triomphal à Paris en 1658. Mais que s’est-il passé à sa sortie de prison ? Les historiens l’ignorent. Laurent Tirard a imaginé sa rencontre avec des individus qui deviendront les personnages de ses grandes comédies. Ainsi, c’est un certain Monsieur Jourdain qui rembourse ses dettes ; introduit dans le château de son bienfaiteur, le jeune dramaturge devra se déguiser en… Tartuffe, puis affronter Elmire, l’épouse de Jourdain, dont il deviendra l’amant… Comment cette expérience transformera-t-elle son existence ? M - Madeleine Béjart, Catherine de Brie, Gros René et tous les comédiens de l’Illustre-Théâtre sont unanimes : Molière n’est pas fait pour jouer la tragédie. Madeleine, son amante, le supplie d’y renoncer. Les huissiers accablent la troupe, la faillite est là, Molière est en prison pour dettes. Rien n’y fait. Le chef de la troupe s’obstine jusqu’au jour où… Les compagnons de Molière sauront-ils le convaincre de suivre sa véritable vocation ? • 5 107066_Interieur.indd 5 22/11/06 19:55:53 M J Monsieur Jourdain rêve de savoir peindre, danser et ferrailler, de composer une pièce, d’écrire d’élégants billets doux, de faire la révérence, de parler galamment, en un mot de faire oublier qu’il est marchand. Il voudrait unir sa fille à un comte, ou même à un duc, être l’ami d’un noble bien introduit à la Cour. Et surtout, il aimerait tant séduire Célimène la précieuse ! Mais il découvre que celle-ci le méprise, que sa fille Henriette est malheureuse, que son « ami » Dorante le dupe et… que sa femme le trompe avec Molière-Tartuffe. Ce Jourdain-là est-il le même que le Bourgeois de Molière ? E Dans le film, la séduisante Madame Jourdain se prénomme Elmire. Exaspérée par les fantaisies de son mari, irritée de se voir imposer un conducteur d’âmes en la personne de Molière-Tartuffe, elle sera néanmoins séduite par les talents d’écrivain qu’elle découvrira chez notre héros dramaturge. C’est elle qui, au cours de leur aventure éphémère, lui permettra de prendre conscience de son vrai génie : la comédie. Comment persuadera-t-elle le jeune homme de suivre sa voie ? 6 • 107066_Interieur.indd 6 22/11/06 19:56:02 D Noble mais sans fortune, Dorante doit sauver les apparences dans les salons mondains et surtout auprès de Célimène, qu’il courtise assidûment. Cet intrigant sans scrupule flatte Monsieur Jourdain, le trompe, lui ment, le vole, cherche à marier son fils à la fille du riche Bourgeois, accepte de renoncer à cette union pour 30 000 livres, et se résout même à introduire son « ami » dans le salon de Célimène, au risque d’y perdre sa réputation de galant homme. Mais à trompeur, trompeur et demi ? C « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour », soupire Monsieur Jourdain. Célimène a certes de beaux yeux mais surtout une langue de vipère. Malheur à ceux qu’elle épingle par des formules brillantes et assassines, telle l’héroïne du Misanthrope, à qui elle emprunte ses traits. Personne n’en sort indemne et Monsieur Jourdain semble la victime toute désignée de sa raillerie et de sa causticité. Cette « jolie vache déguisée en fleur » achèvera-t-elle le bourgeois amoureux à coups de métaphores précieuses ? • 7 107066_Interieur.indd 7 22/11/06 19:56:12 V H Difficile d’être la fille de Monsieur Jourdain et d’échapper à ses desseins : son père a décidé de la marier à Thomas, fils du noble Dorante. Mais, de son côté, la jeune fille est éprise de Valère. Elle en est réduite à recevoir des billets doux en cachette dans le parc et à faire passer son soupirant pour un professeur de chant. Plus difficile encore de devenir le gendre de Monsieur Jourdain quand on n’est pas noble. Valère en fait la cruelle expérience. Henriette et Valère – Lucile et Cléonte dans Le Bourgeois gentilhomme – forment le couple traditionnel des amoureux contrariés par l’autorité paternelle. Molière parviendra-t-il à secourir le jeune couple ? 8 • 107066_Interieur.indd 8 22/11/06 19:56:22 T Thomas est un jeune homme aux idées fort modernes : au grand effroi de son père Dorante, il veut travailler, dans le commerce de surcroît. Il a étudié le droit du négoce et c’est un adepte du « libéralisme économique » bien avant l’heure : les lois françaises sont trop strictes à son goût et il sait comment les contourner pour accroître le profit ! Il propose même de délocaliser ses manufactures en Espagne. « Et pourquoi pas en Chine ? », lui répond son père, abasourdi par tant d’audace… Jourdain laissera-t-il un tel personnage épouser sa fille ? M B L’homme de confiance de Monsieur Jourdain se voit confier une mission délicate et secrète : trouver un auteur capable de transmettre les arts de la scène et du spectacle à son maître, afin de séduire Célimène. Il est ensuite chargé de rédiger les articles du contrat qui lie Molière à son hôte, le tout, bien sûr, à l’insu de Madame Jourdain. À quelle occasion ce notaire va-t-il révéler ses talents de comédien ? • 9 107066_Interieur.indd 9 22/11/06 19:56:27 M La légende Molière De Molière, il ne reste ni manuscrit ni correspondance. Très tôt sa biographie s’est effacée derrière la légende. Alfred Simon en cite une : « Un paysan [serait] venu à Paris, conduisant une charrette pleine de manuscrits de Molière. Renvoyé de bureau en bureau par les fonctionnaires des ministères qui se déclaraient incompétents, le manant et sa charrette sont repartis le soir même pour disparaître à jamais. » La vie de Molière présente donc des zones d’ombre. L’une d’entre elles sert de point de départ au film. 10 • 107066_Interieur.indd 10 22/11/06 19:56:35 1643 : Molière a 21 ans En 1643, l’Illustre-Théâtre naît de la rencontre de Jean-Baptiste Poquelin, qui prend alors le nom de Molière, et de la famille Béjart. Au début de l’année 1644, la troupe présente au public des tragédies. Échec sur échec. Les comptes font apparaître un déficit considérable. Les chandelles dont on ne peut se passer pour éclairer la scène coûtent une fortune… qui part en fumée ! Le public boude cette nouvelle compagnie. Molière se retrouve en prison pour dettes, poursuivi par un blanchisseur et un fournisseur de chandelles. Les spectacles reprennent à sa sortie de prison. Hélas ! La situation se dégrade très rapidement et, à l’automne 1645, l’Illustre-Théâtre cesse d’exister. 1645 : Molière disparaît ! « Malheureusement, on ne sait absolument pas ce que devint après ceci notre héros. Il fut comme effacé de la surface de la terre et on ne le vit plus à Paris. Pendant toute une année, il ne donna pas signe de vie… » (Mikhaïl Boulgakov, Le Roman de Monsieur de Molière, 1933). Pour certains, Molière serait allé en Italie avec le duc de Guise mais rien n’est moins sûr. Une certitude toutefois : pendant l’été 1646, « un pauvre convoi avait quitté Paris par le faubourg Saint-Germain et avait pris la direction du sud de la France. » L’Illustre-Théâtre commence alors une tournée en province qui durera douze années. • 11 107066_Interieur.indd 11 22/11/06 19:56:44 1658 : l’avènement du génie comique À son retour à Paris, en 1658, la troupe de l’Illustre-Théâtre s’est enrichie de nouveaux acteurs de talent et jouit d’une bonne renommée ; elle gagne la protection du Prince de Conti puis de Monsieur, frère du Roi. Molière, pendant ses années en province, a écrit des farces qui ont fait rire des salles entières. Il n’a pas pour autant renoncé à la tragédie et c’est une pièce de Corneille, Nicomède, qu’il présente le 24 octobre 1658 dans la salle du Vieux Louvre, en présence de Louis XIV. Les applaudissements sont maigres. Molière achève la représentation par une farce, qui remporte, elle, un franc succès. Les dés en sont jetés : une carrière d’auteur et d’acteur de comédie s’ouvre avec Les Précieuses Ridicules (1659). Elle s’achèvera en 1673 avec Le Malade Imaginaire. 12 • 107066_Interieur.indd 12 22/11/06 19:56:48 La trouvaille du film « En lisant les biographies, nous sommes tombés sur le passage qui parle de la disparition de Molière en 1645… Nous avions envie de profiter de cette brèche dans sa vie. » (Laurent Tirard) Mais le film ne se contente pas de combler un vide biographique : « Molière a opéré son passage d’acteur à auteur. Son humanité nous a beaucoup parlé, et particulièrement son drame intime : avoir ce talent qu’il ne reconnaissait pas au début (comédien) et avoir envie d’un autre talent (tragédien), pour lequel il n’était pas fait. Cette frustration lui a finalement permis d’aller puiser de la profondeur dans la tragédie, qu’il a introduite dans la comédie. » (Laurent Tirard) Le film mêle subtilement des figures qui deviendront les personnages de l’œuvre de Molière : M. Jourdain est aussi Orgon, celui du Tartuffe, et un peu Arnolphe, le barbon dupé de L’École des femmes. Le réalisateur multiplie les clins d’œil en introduisant les formules qui font la saveur des textes de Molière (« Le petit chat est mort »). Il reprend des situations connues : comme Orgon, Jourdain se retrouve sous une table pour confondre Tartuffe l’imposteur. Le spectateur est emporté dans un tourbillon où il devient à la fois difficile et délicieux de démêler le vrai du faux, le théâtre de la réalité, l’œuvre de la vie. Le film double le « drame intime » d’une rencontre amoureuse qui amènera Molière à reconnaître son véritable talent : Elmire. – Eh bien ! Jouez des comédies qui explorent l’âme humaine. Molière . – Ce genre de comédie n’existe pas. Elmire. – Alors inventez-le ! • 13 107066_Interieur.indd 13 22/11/06 19:56:55 ‘ du entrée e en scène cène e oourgeois g Devant la Cour Le 14 octobre 1670, au château de Chambord, Molière présente devant le roi et la Cour une nouvelle création, Le Bourgeois gentilhomme. Cette comédie-ballet remporte un succès immédiat : « En vérité, aurait déclaré Louis XIV à Molière, vous n’avez rien fait qui m’ait plus diverti, et votre pièce est excellente. » La troupe du Roi a déployé tout son talent : Armande Béjart tient le rôle de Lucile ; le jeune La Grange joue Cléonte. Plus étonnant pour nous, mais dans la tradition théâtrale de l’époque, Hubert joue le maître de musique aux actes I et II, et… Madame Jourdain dans la suite de la pièce ! Molière incarne Monsieur Jourdain et Lully apparaît, en mufti, pendant la cérémonie turque qui clôt la représentation. 14 • 107066_Interieur.indd 14 22/11/06 19:57:01 Historique de la pièce Le Théâtre du Palais-Royal Inaugurée en 1641 par Richelieu, cette salle est la mieux aménagée de Paris. La scène est vaste (35 m x 17 m) et permet ainsi aux ballets de présenter avec faste les danses qui ponctuent la pièce. Les représentations du «Bourgeois gentilhomme» font salle comble… À Paris La pièce est reprise à Paris, au Théâtre du Palais-Royal, dès le 23 novembre 1670. Le public est varié : au parterre s’installe, debout, une foule peu fortunée et souvent très agitée. Les loges, installées dans des galeries sur les côtés de la salle, accueillent un public élégant mais souvent bavard. Certains jeunes aristocrates achètent, à chers deniers, des chaises ou des banquettes sur les côtés de la scène. Leur présence diminue l’espace des acteurs et perturbe régulièrement les spectacles : il arrive en effet que l’on prenne l’arrivée tardive d’un spectateur pour l’entrée d’un acteur ! Parfois aussi, des querelles éclatent entre le parterre à l’esprit moqueur et ces jeunes seigneurs enrubannés qui se pavanent sur scène. Les représentations sont souvent interrompues et reprennent quand le calme se fait, au cri de « Place au théâtre ! » • 15 107066_Interieur.indd 15 22/11/06 19:57:13 1 Molière auteur 16 • 107066_Interieur.indd 16 22/11/06 19:57:22 2 Molière comédien • 17 107066_Interieur.indd 17 22/11/06 19:57:31 3 Molière metteur en scène 18 • 107066_Interieur.indd 18 22/11/06 19:57:36 Analyse des 3 images Molière ou le théâtre incarné Le film de Laurent Tirard, par sa fiction, conduit le spectateur à pénétrer dans les coulisses de la création théâtrale. Molière (Romain Duris) y apparaît comme l’incarnation même du théâtre, dans tous ses aspects. x Chaque photo du film saisit un moment particulier. 1 1658 : Molière essaie en vain d’écrire une comédie pour Monsieur, frère du roi, et ne parvient toujours pas à renoncer à écrire et jouer des tragédies. Il s’agit d’une étape clé, celle où l’expérience vécue va devenir, par l’écriture, texte de théâtre, étape douloureuse, comme le signifient à la fois l’expression du personnage et le désordre qui règne autour de lui. Dans le retrait du monde que lui offre la nuit, Molière passe de la vie vécue à cette autre vie recréée. 2 1645 : Molière a séduit Elmire. Sa chambre devient la scène où il mime pour la flash jeune femme, spectatrice, les attitudes courtisanes de M. Jourdain, sorte back de chien docile. Il y révèle ses talents d’acteur comique, lui qui ne rêve encore que de jouer des tragédies. Cette scène représente un moment fondamental du parcours de Molière : la prise de conscience des pouvoirs du rire et la naissance d’un nouveau genre de comédie, à la fois satirique et subversif. 3 1659 : La grande carrière de Molière commence, avec la représentation des Précieuses ridicules. Cette photo consacre l’apothéose du spectacle théâtral lui-même. De l’autre côté du rideau, Molière, l’homme, le créateur, le metteur en scène, s’efface derrière le monde qu’il a fait naître. Sous les feux de la scène, s’animent pour un public royal les figures de sa vie et les projections de son imagination. Le jeu d’ombres chinoises suggère cette frontière incertaine entre réalité et illusion qui constitue le pouvoir même du théâtre. • 19 107066_Interieur.indd 19 22/11/06 19:57:40 LE BOURGEOIS GENTILHOMME (1670) Acte II, scène 4 (extrait) Monsieur Jourdain. – Au reste, il faut que je vous fasse une confidence. Je suis amoureux d’une personne de grande qualité, et je souhaiterais que vous m’aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser tomber à ses pieds. Maître de philosophie. – Fort bien. Monsieur Jourdain. – Cela sera galant, oui. Maître de philosophie. – Sans doute. Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire ? Monsieur Jourdain. – Non, non, point de vers. Maître de philosophie. – Vous ne voulez que de la prose ? Monsieur Jourdain. – Non, je ne veux ni prose ni vers. Maître de philosophie. – Il faut bien que ce soit l’un, ou l’autre. z-moi i ? quand je dis : « Nicole, apporte “mesQuopantoufl es, et me donnez mon bonnet de nuit », c’est de la prose ? ” 20 • 107066_Interieur.indd 20 22/11/06 19:57:44 Monsieur Jourdain. – Pourquoi ? Maître de philosophie. – Par la raison, Monsieur, qu’il n’y a pour s’exprimer que la prose, ou les vers. Monsieur Jourdain. – Il n’y a que la prose ou les vers ? Maître de philosophie. – Non, Monsieur : tout ce qui n’est point prose est vers ; et tout ce qui n’est point vers est prose. Monsieur Jourdain. – Et comme l’on parle qu’est-ce que c’est donc que cela ? Maître de philosophie. – De la prose. Monsieur Jourdain. – Quoi ? quand je dis : « Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me don- nez mon bonnet de nuit », c’est de la prose ? Maître de philosophie. – Oui, Monsieur. Monsieur Jourdain. – Par ma foi ! Il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un billet : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour ; mais je voudrais que cela fût mis d’une manière galante, que cela fût tourné gentiment. Maître de philosophie. – Mettre que les feux de ses yeux réduisent votre cœur en cendres ; que vous souffrez nuit et jour pour elle les violences d’un… Monsieur Jourdain. – Non, non, non, je ne veux point tout cela ; je ne veux que ce que je vous ai dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. Maître de philosophie. – Il faut bien étendre un peu la chose. Monsieur Jourdain. – Non, vous dis-je, je ne veux que ces seules paroles-là dans le billet ; mais tournées à la mode, bien arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on les peut mettre. Maître de philosophie. – On les peut mettre premièrement comme vous avez dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. Ou bien : D’amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux. Ou bien : Vos yeux beaux d’amour me font, belle Marquise, mourir. Ou bien : Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d’amour me font. Ou bien : Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d’amour. Monsieur Jourdain. – Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure ? Maître de philosophie. – Celle que vous avez dite : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. Monsieur Jourdain. – Cependant je n’ai point étudié, et j’ai fait cela tout du premier coup. Je vous remercie de tout mon coeur, et vous prie de venir demain de bonne heure. • 21 107066_Interieur.indd 21 22/11/06 19:57:51 MOLIÈRE (2007) Scénario (extrait) Int. jour — Maison Jourdain, salon Jourdain. – Dorante est là qui m’attend, porteur d’un présent pour ma douce Célimène. Mais je souhaite y joindre un mot bien tourné pour parfaire l’entreprise. Molière. – (Résigné) Et que voulez-vous lui dire ? Jourdain. – Je voudrais lui dire : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. Mais je voudrais que cela fût mis d’une manière galante. Molière réfléchit. Molière. – Eh bien vous pourriez lui dire par exemple que les feux de ses yeux réduisent votre cœur en cendres, que... Jourdain. – Non, non, non. Je ne veux pas cela. Je ne veux que les mots que je vous ai dits : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. Mais je me demande s’il n’y a pas une autre façon de les tourner. Molière. – (Affligé) Eh bien, on peut les mettre comme vous avez dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. Ou bien : D’amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux. Ou bien : Vos beaux yeux d’amour me font, belle Marquise, mourir. Ou bien : Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d’amour me font. Ou bien : Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d’amour. Jourdain. – Mais laquelle est la meilleure ? Molière. – Celle que vous avez dite : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. Jourdain. – Incroyable ! Et elle m’est venue du premier coup ! Molière est accablé. 22 • 107066_Interieur.indd 22 22/11/06 19:57:52 our me font. d’am vos beaux yeux, belle Marquise, “OuMobienurir: Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d’amour.” • 23 107066_Interieur.indd 23 22/11/06 19:58:03 Analyse des 2 extraits Comment écrire un billet doux ? Telle est la question que se pose M. Jourdain, amoureux fou d’une marquise, Dorimène/Célimène, dont les noms se font écho. Il demande conseil au Maître de philosophie dans la pièce et à Molière dans le film. Tous deux suggèrent d’écrire le billet doux en termes imagés, qui plairont à la belle précieuse : « les feux de ses yeux réduisent votre cœur en cendres ». Métaphores, hyperboles, emphase, le langage amoureux respire la préciosité en cette dernière moitié du XVIIe siècle. M. Jourdain, lui, préfère une autre hyperbole, plus éculée, celle de l’amour fatal : « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour » et il n’en démord pas. Ses conseillers, dans la comédie comme dans le film, en sont réduits à proposer des variations acrobatiques autour de ces mots. Molière, un double du Maître de philosophie ? Les deux personnages sont au service de M. Jourdain, l’un pour lui enseigner la philosophie, l’autre pour lui apprendre à être acteur et à écrire. Le Maître de philosophie acquiesce à tout ce que dit M. Jourdain : « Oui, monsieur », « Je n’y manquerai pas ». Il ne laisse échapper aucun mouvement d’humeur, aucune trace d’impatience car il est à son service ! Molière, par contre, manifeste une affliction grandissante au cours 24 • 107066_Interieur.indd 24 22/11/06 19:58:10 de la scène. Les gros plans sur le visage de Romain Duris soulignent le dépit de celui qui n’est pas écouté et qui se heurte à une obstination qui voisine au caprice. Le Maître de philosophie est un personnage secondaire. Dans le film, l’épaisseur psychologique de Molière se construit peu à peu, au gré de ses confrontations avec M. Jourdain. Les métamorphoses de M. Jourdain La scène fait rire, au théâtre comme au cinéma, c’est indéniable. La phrase du billet, déclinée sous toutes les formes possibles, répétée mécaniquement et de plus en plus vite, finit par être tellement déformée qu’elle confine au non-sens. Les distorsions syntaxiques culminent dans le dernier avatar : « Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d’amour . » La chute de la scène est un exact retour au point de départ : M. Jourdain se félicite de ce qu’il croit être son talent naturel. Cependant, toute une partie du dialogue de la pièce a disparu dans le film : les répliques, très célèbres, sur « prose et vers ». Il est vrai que l’urgence est plus grande : « Dorante est là qui m’attend, porteur d’un présent pour ma douce Célimène ». Cette suppression correspond à une inflexion du caractère de M. Jourdain, plus naïf que ridicule dans le film. • 25 107066_Interieur.indd 25 22/11/06 19:58:18 : L T G V Boulgakov. Nous avons trouvé les autres un peu froides, plus factuelles : elles fermaient les portes plus qu’elles ne les ouvraient à la fiction. GV Ce qui nous a frappés, c’est son caractère, la personnalité qui se dessinait au fil de nos lectures. Molière se trouvait à nos yeux dépoussiéré. Il apparaissait comme un personnage vivant, romanesque, entreprenant. C’était un vrai héros comme on les aime : à la fois fort et faible, courageux et couard, plein de défauts, caractériel. x Comment est née l’idée de ce film ? Vient-elle d’une fascination particulière pour Molière ? LT Non ! Je n’avais pas de vieille passion pour le personnage. C’est peut-être aussi ce qui m’a permis d’avoir un regard frais et neuf sur sa vie. J’avais envie d’orchestrer une rencontre fictionnelle entre l’auteur et ses personnages. En lisant les biographies, nous sommes tombés sur le passage qui parle de la disparition de Molière. On avait envie de profiter de cette même brèche dans la vie de Molière, plus ou moins grande et réelle selon les historiens, pour inventer une fiction dans laquelle Molière rencontrerait ses personnages. x Quel travail avez-vous effectué sur les biographies de Molière ? LT Les biographies qui nous ont intéressés étaient les moins officielles, comme celle de LT L’humanité du personnage nous a ainsi beaucoup parlé, et particulièrement son drame intime : avoir ce talent qu’il ne reconnaissait pas au début (comédien) et avoir envie d’un autre talent (tragédien), pour lequel il n’était pas fait. Cette frustration lui a permis d’aller puiser de la profondeur dans la tragédie, qu’il a introduite dans la comédie. x Craignez-vous que l’on vous accuse d’avoir « trahi » Molière ? LT La question ne s’est jamais vraiment posée : le poids du personnage ne nous a pas gênés, il ne faut d’ailleurs pas penser à ce genre de choses. L’idée était de faire un film qui nous permettait de mettre tout ce qui nous plaisait chez Molière, tout ce qu’on aimait dans ses pièces, et que le tout soit fidèle à l’esprit de Molière. Nous avons finalement essayé de refabriquer une pièce de Molière. x Votre film se nourrit du théâtre de Molière, mais vous avez privilégié trois pièces : Le 26 • 107066_Interieur.indd 26 22/11/06 19:58:21 Tartuffe, Le Bourgeois gentilhomme et Le Misanthrope. Pourquoi ? GV Nous avons répertorié de façon exhaustive toutes les situations qui nous plaisaient – et elles sont nombreuses – puis tous les personnages, tous les dialogues et toutes les expresssions. À partir de là, nous avons construit notre propre histoire. Il s’est trouvé que nous étions principalement dans ces trois pièces-là parce qu’elles correspondaient le mieux à notre sujet : l’opposition entre M. Jourdain et Molière, l’homme de mauvais goût et l’homme de bon goût, le rapport complexe et ambigu entre l’artiste et l’homme de pouvoir. Une question très présente à notre avis chez Molière. Dans notre film, Jourdain s’appelle Jourdain parce qu’il a plus le caractère de Jourdain, mais il y a aussi Dandin, Orgon, Chrysale et même Monsieur de Pourceaugnac dans ce personnage. De même, Célimène aurait pu s’appeler Philaminte. x La complexité de votre M. Jourdain estelle, selon vous, présente dans Le Bourgeois gentilhomme ? LT Je ne crois pas : il est ridicule, naïf et stupide dans la pièce (il joue le rôle traditionnel de la dupe chez Molière). Sa complexité dans le film vient du fait qu’il est construit à partir de plusieurs personnages de bourgeois des pièces de Molière, ce qui lui donne plus d’épaisseur. Elle correspond aussi à la vision que pouvait avoir Molière des bourgeois, influencée par son rapport à son père : un rapport de haine et de tendresse mêlées. GV C’est là d’ailleurs sa force, on sent qu’il peut se mettre à la place de tout le monde : un homme, une femme, un bourgeois, un paysan, un aristocrate… LT Ce qui est très intéressant, c’est le rapport entre M. Jourdain et Molière : un rapport conflictuel entre l’artiste et le riche parvenu que le premier méprise mais dont il est obligé de reconnaître la sincérité, le travail et le courage. Ce thème nous plaît beaucoup car il évoque le conflit entre l’art et l’argent et le rapport au pouvoir. Une thématique qui ne pouvait être intéressante que si les deux personnages étaient de complexité égale. x Quelle image de Molière souhaitez-vous que le public retienne de votre film ? GV Molière a vécu dans son époque intensément. Nous avons voulu montrer que son talent n’était pas inné mais qu’il était le fruit d’un travail acharné, d’une réflexion menée sur une vie entière et nourrie par ses angoisses, ses voyages, ses expériences… Il a pris des risques, a été mis au ban de la société, a connu une vie très difficile, mais s’est consacré entièrement à son art. LT Nous souhaiterions que le public prenne le même plaisir à le redécouvrir et à réécouter ses comédies que nous, que ce film efface le vieux souvenir scolaire et poussiéreux de Molière pour laisser la place à l’esprit brillant, pertinent, contemporain et humain qu’il fut. z • 27 107066_Interieur.indd 27 27/11/06 12:22:09 :R D En définitive, c’est la scène du théâtre qui m’a libéré. Sur les planches, on ressent une émotion très personnelle et l’intimité qui se crée avec la salle, le parterre, m’a rassuré sur la liberté que j’avais d’interpréter le rôle. x Comment vous êtes-vous approprié le personnage de Molière comédien, tel que le film le représente ? x Comment vous êtes-vous préparé pour ce rôle ? J’ai abordé le personnage par étapes. Pour me documenter, je suis allé en premier lieu au musée du Louvre étudier des tableaux du XVIIe siècle. Dans un second temps, je me suis rendu à la Comédie-Française. Au cœur de ce temple de l’art dramatique, le poids de l’image que l’on donne de cet homme m’a presque écrasé. Alors que j’essayais jusqu’à présent de ne pas me laisser impressionner par la dimension mythique du personnage, j’ai presque eu peur de le jouer. Je me suis alors posé une série de questions : que signifiait, à l’époque, être artiste dramatique ? comment vivre de son art ? qui serait-il aujourd’hui ? Sans doute serait-il tenté par le cinéma, parce que ce génie vivait en adéquation avec son temps. Enfin, j’ai relu quelques pièces. Laurent Tirard a longtemps hésité sur une question importante : fallait-il ou non prendre des libertés avec l’époque ? Personnellement, il me semblait nécessaire de me conformer au style du XVIIe siècle, et je souhaitais interpréter le personnage de façon réaliste. Peut-être parce qu’il s’agissait de Jean-Baptiste Poquelin et d’un film d’époque, mais je me suis beaucoup plus préparé en amont que pour mes précédents films, et ce fut un plaisir ! J’ai beaucoup travaillé les scènes de tragédie : j’ai appris à déclamer, à réciter, je me suis entraîné avec un spécialiste. J’ai également fait de la calligraphie. Une heure par jour, la pratique de l’écriture à la plume me transportait ailleurs. Je suis peu à peu entré dans le personnage, au point de reprendre au quotidien certains mots et certains aspects de la diction de l’époque ! L’idée de modernité m’a aussi rapproché de Molière : il était de son époque autant que je peux l’être de la mienne. Laurent Tirard a dessiné un personnage humain, complexe, qui bouillonne d’envies, d’ambition et de doutes. C’est un artiste face à son œuvre et un homme 28 • 107066_Interieur.indd 28 23/11/06 17:42:08 face à lui-même. Il aimait ceux dont il se moquait, et cela contribue, je crois, au ton comique de ses comédies. Ce qui comptait pour lui, c’étaient les situations, la vie, nos failles. À travers cette fragilité, je me suis senti proche du personnage. En revanche, interpréter un homme aussi à l’aise avec la comédie représentait un véritable défi. un provocateur, et qu’il utilisait l’humour en virtuose pour se moquer de ses contemporains. J’emmènerais les élèves au Louvre pour leur montrer les toiles de l’époque, je les ferais monter sur les planches d’un théâtre, pour qu’ils appréhendent mieux l’émotion intense que l’on peut ressentir face au public ! z x Quels sont vos souvenirs de lycéen de Molière ? Du théâtre de Molière, je n’ai gardé malheureusement qu’une image poussiéreuse, acquise à l’école. En relisant ses pièces pour préparer le film, j’ai pris conscience de la distance abyssale entre la façon dont on nous le présentait et la vie, l’énergie que Jean-Baptiste Poquelin avait mises dans son travail. Aurait-il apprécié les mises en scène très classiques, que l’on propose si souvent aujourd’hui de ses pièces ? Pas sûr… Son œuvre peut parfaitement captiver les élèves, si on la présente de façon vivante, sans emphase inutile. Molière est moderne, critique, volontiers subversif. C’est en tout cas l’image que le film donne de lui. Avec justesse, je crois. x Quels conseils donneriez-vous à des élèves pour leur faire lire Molière ? Voilà une question bien difficile ! Peut-être faudrait-il éviter d’asséner aux élèves le poncif suivant, très décourageant : « Lisez-le, même si c’est difficile, car vous aurez envie de le relire plus tard. » C’est faux. Je leur dirais plutôt que Molière était un homme moderne, un marginal, • 29 107066_Interieur.indd 29 22/11/06 19:58:38 :F L personnages de Molière : il y a du Chrysale, de l’Arnolphe en lui. Tirard a créé un bourgeois assez éloigné de la convention. x Avez-vous fait évoluer le personnage du scénario ? x Le personnage de Jourdain, vous a-t-il séduit quand on vous l’a proposé ? Non, le personnage ne me séduisait pas. Le Bourgeois gentilhomme est une comédie qui m’intéresse moyennement. De M. Jourdain, j’avais la vision figée de l’incarnation de la naïveté. C’est plus un type qu’un personnage, selon moi. C’est d’ailleurs là qu’est le génie de Molière : par un élément, une réplique, il crée un « type ». M. Jourdain est ainsi « celui qui fait de la prose sans le savoir ». Seul le désir du metteur en scène, Laurent Tirard, m’a fait accepter le rôle. x Le personnage dans le film, justement, est plus qu’un type ? Oui ! Il est drôle au début, tragique à la fin. Quand il enlève sa perruque dans le salon de Célimène, il est pathétique. Et puis, c’est un composé de plusieurs Je n’ai pas vraiment infléchi le personnage, je me suis laissé diriger par Laurent Tirard. Dans La Discrète, c’était la même chose : je ne croyais pas vraiment à ce personnage quand j’ai lu le scénario. C’est la détermination du metteur en scène qui m’a convaincu. Pour moi, d’ailleurs, l’acteur n’a pas à avoir d’opinion sur son rôle. Il sait ce qu’il peut faire ou ne pas faire. Il y a, dans le personnage de M. Jourdain chez Molière, une véritable dimension burlesque, ridicule, que je ne saurais pas rendre. Je ne l’ai donc pas joué burlesque, mais naïf. S’il y a quelque chose que j’ai apporté à Laurent Tirard, c’est l’émerveillement du personnage. x Avez-vous déjà joué des personnages de Molière ? Quel rôle aimeriez-vous interpréter ? Je n’ai jamais joué de personnage de Molière à la scène, mais je l’ai beaucoup travaillé. Jouvet disait qu’il fallait à l’acteur 50 minutes de gammes quotidiennes sur Molière. Pour moi, c’est la langue qui fait son génie : une langue à la fois difficile et organique, une langue qui n’a pu être écrite que par un acteur de génie, une langue puissante et étonnante, plus en vers qu’en prose, d’ailleurs. z 30 • 107066_Interieur.indd 30 22/11/06 19:58:44 :F P D -J ) ( L ( ) richesse de M. Jourdain que de se soumettre au style Louis XIII, très triste, avec des meubles en bois tourné et des tissus sombres qui ne racontaient pas le bon personnage. C’était trop austère. L’important est de donner du sens. x Quelles ont été les directives de Laurent Tirard ? Travaillez-vous ensemble ou séparément ? FD Laurent Tirard est un metteur en scène très ouvert et nous avons eu beaucoup de liberté dans notre travail. Le scénario donne bien sûr des indications précises (scènes en extérieur, en intérieur, lieu « nouveau riche » ou populaire…), mais la part de créativité est très grande pour imaginer les décors et les ambiances de chaque scène. Nous en avons beaucoup parlé dans la période de repérage des lieux et pendant toute la préparation du film, avant tournage. C’est un moment essentiel du processus d’élaboration des décors. C’est ainsi que j’ai un peu triché par exemple sur la période : le film se déroule surtout avant le départ en tournée de Molière avec l’Illustre-Théâtre (en 1646), mais j’ai un peu décalé le style dans le temps, vers la fin du siècle, plus riche, plus visuelle, avec plus de dorures, de faste, qui était plus en harmonie avec les personnages. Nous essayons d’être au plus proche de la réalité dans la sensation. Il était plus important de souligner la JPL J’aime voir ce que le chef décorateur a repéré avant de créer les costumes, pour m’imprégner du lieu. Un exemple : à la fin du film, le lieu choisi (Versailles) est un théâtre du XVIIIe siècle, qui a une palette de couleurs spécifique de cette époque. Il était difficile d’y intégrer des costumes du XVIIe siècle, dont la gamme de couleurs était différente. J’ai donc opté pour une harmonisation des couleurs. Nous travaillons toujours ensemble, ce qui nous permet de créer une unité filmique. x Comment se sont effectués le repérage et le choix des lieux et costumes du film ? FD Pour des raisons pratiques, il fallait tourner en Îlede-France, où les châteaux XVIIe sont nombreux, mais, hélas, pas mal transformés au XIXe, voire au XXe siècle. La difficulté consistait donc à retrouver l’ambiance particulière de l’époque, à travers ces modifications, en les gommant, ce qui est assez complexe, quand les sols et les plafonds • 31 107066_Interieur.indd 31 22/11/06 19:58:51 ont été modifiés : les décors muraux peuvent être facilement maquillés, voire redoublés par mes équipes, alors qu’il est techniquement très difficile de redoubler un plafond décoré. Nous avons donc trouvé un château, près de Paris, en assez mauvais état, mais qui pouvait se plier à ces contraintes. Certaines pièces étaient trop grandes pour le scénario : elles ont été recoupées et retravaillées en volume. D’autres ont été intégralement habillées en bois, cimaises et lambris. Les tableaux ont joué un grand rôle dans ces décors, et j’ai recherché les toiles qu’un nouveau riche aurait pu acquérir. C’est ainsi que Jourdain est montré dans un univers pictural allant de Poussin à De La Tour, en passant par Vermeer. C’est aussi dans les communs de ce château que j’ai reconstitué une taverne avec l’ambiance de l’époque, en m’inspirant largement des peintures flamandes qui sont une source d’une très grande richesse pour la documentation sur l’époque. Quant aux extérieurs, il a fallu trouver d’autres jardins, et tourner dans un autre château, devant une autre façade. JPL Je ne m’inspire pas des travaux de costumiers qui ont déjà interprété une époque. Ce que je recherche, ce sont des documents d’époque et la manière dont je vais pouvoir m’en servir au mieux pour créer l’ambiance qui convient au film. x Quel travail particulier avez-vous effectué pour les lieux théâtraux eux-mêmes ? FD Les scènes de théâtre ont été tournées avec la machinerie existante du Petit Théâtre de Versailles et ses machinistes. Les changements de décor ont été faits à vue, avec cette machinerie d’époque qui vient d’être restaurée. Ce Petit Théâtre, fait pour Marie-Antoinette, qui aimait jouer à Versailles, est très fragile : tout en bois, il ne peut accueillir des représentations publiques pour des raisons de sécurité.C’est un vrai privilège que d’avoir pu y tourner. C’est aussi une occasion de le montrer au public… JPL J’ai recherché l’unité scénique des représentations théâtrales des pièces de Molière dans le film, de manière à ce qu’on ne puisse les confondre avec les scènes « réelles » : je souhaitais que les spectateurs sentent immédiatement à l’écran que l’on était au théâtre, sans tomber dans la « Comédie-Française des années 50 ». Or, à l’époque, afin d’être bien vus, les acteurs portaient beaucoup de doré et d’argent, se maquillaient le visage en blanc et soulignaient leurs sourcils de noir. Les costumes de scène sont ainsi tous dans cette palette de couleurs afin de bien mettre en valeur leur aspect théâtral. x La personnalité de l’acteur influence-t-elle vos choix ? JPL Je suis toujours à l’écoute des acteurs. Je leur soumets quelques idées et je leur pose des questions afin de mieux cerner la manière dont ils voient leur personnage. L’essentiel repose sur la perception qu’aura l’acteur de mes créations : j’apprécie donc qu’il participe au choix du costume car il va vivre dedans. Le costume doit devenir vêtement ! z 32 • 107066_Interieur.indd 32 27/11/06 12:22:37 en avant-première ! Découvrez Vous êtes professeur de Lettres ou documentaliste au collège ou au lycée, nous vous invitons à découvrir le film événement de Laurent Tirard en avant-première dans les villes suivantes : Aix-Marseille Amiens Bayonne Bordeaux Brest Clermont-Ferrand Dijon Grenoble La Rochelle Le Mans Lille Lyon Montpellier Nancy Nantes Nice Orléans Paris Poitiers Rennes Rouen Strasbourg Toulouse Tours Avant-premières gratuites, réservées aux enseignants et aux documentalistes. 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