Le cercle des poètes disparus

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Le cercle des poètes disparus
Le cercle des poètes disparus
éditions aden
William Faulkner. Une vie en romans,
par André Bleikasten
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Le cercle des poètes disparus
Oscar Wilde. Les Mots et les songes,
par Pascal Aquien
Oscar Wilde, un Irlandais génial et
peu conventionnel
Portrait d’un iconoclaste insouciant
éditions aden
Oscar Wilde a été poète, romancier, conteur, critique littéraire, critique artistique, chroniqueur et
conférencier, en d’autres termes « un véritable intellectuel ». Il a été un homme qui a marqué son
temps, ses lieux et son espace individuel, un Irlandais qui avait la rage de vivre, de réussir et de marquer son passage sur cette terre. Sa présence a été recherchée ou convoitée, parfois encombrante
ou rejetée. Il a réussi ce pari de faire toujours parler de lui, d’obtenir la gloire, car n’a-t-il pas affirmé
: « Tout est préférable à une obscurité vertueuse ». Aujourd’hui, il est parmi les poètes et romanciers
les plus lus et étudiés dans les universités dans le monde. Il suscite toujours de l’intérêt, puisqu’une
biographie écrite par Pascal Aquien vient d’être publiée, en mars 2006, aux éditions Aden : Oscar
Wilde, les mots et les songes.
La biographie d’Oscar Wilde, qui compte 563 pages qu’on lit avec délectation et intérêt, incite à réfléchir
sur la différence entre une biographie et une autobiographie. Dans une autobiographie, le lecteur rentre de
plain-pied dans la mémoire personnelle de celui qui écrit sa vie et cette mémoire est forcément sélective,
car l’auteur est tenté de parler de lui-même, plutôt en termes positifs. Dans une biographie, les enjeux sont
autres dans la mesure où le biographe d’un « poète disparu », Oscar Wilde dans ce cas-ci, a un regard extérieur détaché, qui demande un travail de recherche sérieux pour fouiller dans les moindres recoins la vie narrée. Si dans l’autobiographie, la psychologie interne est plus à nue ; dans la biographie, l’auteur n’a d’autres
éléments que ceux laissés dans l’œuvre, dans la correspondance du poète, dans les écrits de l’entourage
du poète et dans les témoignages. Si le biographe ne s’appuie pas sur une recherche scientifique, alors il
tombe dans la fiction, voire dans la diffamation, en tout cas dans la tromperie. Pascal Aquien est loin d’une
telle accusation et non seulement son ouvrage démontre une érudition sans précédent sur Oscar Wilde,
mais à la fin de l’ouvrage, on sent indéniablement une implication personnelle doublée d’une empathie lisible
avec cette immense personnalité qu’est Oscar Wilde. Pascal Aquien s’implique, défend tout en n’évitant pas
les aspects désagréables et agaçants de cet écrivain mondain, mondain dans le sens impliqué dans la société qui compte et dans laquelle il évolue. Oscar Wilde est né à Dublin le 16 octobre 1854 dans une famille
aisée. Son père William Wilde, professeur de médecine, aimait visiter les sites archéologiques du pourtour
méditerranéen et était passé par Alger, ce qui a influencé Oscar dans son intérêt pour l’art, la sculpture et la
peinture et la beauté des choses, mais sa mère Jane lui était plus proche par sa culture et son goût pour les
lettres et les mondanités. Oscar Wilde est mort à Paris, anonyme, dans le dénuement, à 14h le 30 novembre
1900. Que s’est-il passé entre ces deux dates ? Une vie de passion pour tout ce qu’il entreprenait, des études
brillantes à Oxford où il a noué des amitiés particulières, un début de vie à Londres un peu à la Rastignac, le
célèbre héros ambitieux de Balzac. A la différence qu’Oscar Wilde faisait tout dans l’excès et que sa volonté
d’ascension n’était pas sociale, puisqu’il était bien né, mais intellectuelle, une ascension de l’esprit et des
frasques. Cela dit, il a toujours eu des soucis d’argent pour maintenir un rythme de vie sophistiqué pour ne
mentionner que l’intérêt qu’il portait à son apparence physique, à ses costumes qui rivalisaient d’originalité et
d’innovation dans ce XIXe siècle à la recherche de la fortune. Il possédait l’art de choquer, comme lors des
conférences qu’il a données aux Etats-Unis sur l’importance de l’art dans la vie quotidienne et où il affirmait
sans sourciller : « Est pauvre celui qui est incapable de créer. » Justement, tout le moteur d’Oscar Wilde est
dans cette formule, car il aurait pu mener une vie ordonnée avec une belle demeure comme celle qu’il a eue
avec son épouse Constance à Londres, une vie mondaine sophistiquée dans les normes sociales convenues, mais il a construit sa vie à l’opposé de ce qu’il devait être. Son infidélité à tout est l’image du fait qu’il ne
s’est jamais contenté sur le plan littéraire d’un genre. Il est passé de la poésie au conte, au roman psychologique, à l’écriture dramaturgique, au roman policier. Dans tout ce foisonnement intellectuel, il était fier de ses
sources irlandaises et celtiques qui ont toujours été présentes dans l’esprit de son écriture. Il s’est défini à
Edmont de Goncourt ainsi : « Français de sympathie, je suis Irlandais de race et les Anglais m’ont condamné
à parler le langage de Shakespeare. » Le retour aux sources irlandaises a été crucial jusqu’à la fin de sa vie,
il a été celui qui a encouragé le grand poète irlandais W. B. Yeats à persévérer dans la voie de l’écriture. Lors
de la publication de ses premiers poèmes, Oscar Wilde a été vilipendé, critiqué sur la base qu’il avait plagié
Swinburne, Rosetti, Morris. En fait, il démontrait déjà son originalité en prouvant que la littérature moderne
était justement réécriture, remaniements et reprises manifestes. Ne sommes-nous pas déjà dans l’intertextualité ? Oscar Wilde a été curieux de tout, des hommes et des femmes, des hommes surtout et sur le plan
de l’édition, il a même accepté de reprendre la direction d’une revue féminine Lady’s World, dont il a changé
le titre en Woman’s World qu’il a voulu plus « intellectuelle » en termes de contenu pour l’évolution de la gent
féminine qu’il encourageait à demander le droit de vote et à écrire. Il a osé demander à Sa Majesté la reine
Victoria d’écrire un poème pour cette revue ! Oscar Wilde est un homme qui ose et c’est peut-être ce qu’il
a perdu au niveau personnel, puisqu’il a été jeté en prison par une Angleterre bigote et intolérante. Oscar
Wilde, l’homme au grand panache, à l’esprit libre et libertaire, à la plume acerbe et au verbe haut, a porté la
littérature à un sommet supérieur. Il a voulu avoir cette vie tumultueuse et tortueuse, il a voulu satisfaire tous
ses désirs. Epicurien et cérébral, il a assumé ce qui lui est arrivé et l’injustice dont il a été victime, car pour lui,
c’était sa vie et cela ne pouvait être autrement. Mais n’est-ce pas là le lot des grands hommes qui affirment
ce qu’ils sont et qui sont finalement difficilement maîtrisables. Cette biographie est complète, car elle montre
l’interaction entre l’homme et l’œuvre, la poésie et le quotidien, la vie et la création littéraire, l’une influençant
l’autre et vice-versa. Les procédés d’écriture soulignent combien Oscar Wilde était en avance sur son temps
par rapport à la communication. Oscar Wilde avait un sens inné de la mise en scène et de la « publicité ».
Cette biographie est une mine d’informations. On apprend que le fils unique de Napoléon III a été tué lors
d’une bataille par les Zulus en Afrique du Sud en 1879 et qu’Oscar Wilde a rencontré des personnes aussi
différentes que le pape Pie IX, la reine Victoria, Sarah Bernhardt, Walt Whitman ou Rodin. Cette biographie
se lit comme un roman, tant Oscar Wilde est un personnage de fiction. Lorsque la comtesse Anna de Brémont lui a demandé pourquoi il n’écrivait plus, il répondit : « J’écrivais quand je ne connaissais pas la vie et
maintenant que j’en connais le sens, je n’ai plus rien à écrire. La vie ne peut être écrite, elle ne peut qu’être
vécue. J’ai vécu. » Cette vie est le sujet de Pascal Aquien qu’il faut absolument lire.
Par Benaouda Lebdaï
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Romans
éditions aden
Pays d'aucun mal
par El-Mahdi Acherchour
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Romans
Pays d'aucun mal
par El-Mahdi Acherchour
par des dispositions typographiques (italiques, blancs), de longues phrases savantes, des
formes brèves, un usage familier de l’oralité et de lancinantes répétitions qui, tout en participant à la langue poétique du texte, soulignent la pathologie du destin ténébreux des
personnages. Nous découvrons progressivement le grand-père Moh-Ammar Ammar (ou
Amnar, l’identité est vacillante), bûcheron de métier, véritable charpente humaine sur laquelle se focalise un « livre à écrire ». Ses ascendants, plutôt profanes, s’opposent à la
famille des Larabi, vertueux et vicieux à la fois. De terribles et anciennes histoires ont ensanglanté les rapports entre les deux familles. A travers rites immuables inchangés depuis
des millénaires (les travaux et les jours, les jeux, les odeurs des hommes et des choses),
un bestiaire (chien, moineaux, mulets, vache, veau, sangliers, chauve-souris - nom aussi
d’un guerrier furtif), une flore (oliviers, amandiers, chênes), une symbolique de l’eau (du
puits ou de la rivière voisine), une mythologie populaire (démons, divinations, enfer, destinées dans l’ordre des étoiles), les secrets du village (et des villages voisins Tikdarine
et Sidnacher) sont suggérés ou dévoilés autant que quelques personnalités déboussolées ou dévoyées. Entre hyperréalisme méticuleux et fantastique à la Lovecraft, l’ouvrage
d’Acherchour captive jusqu’à la fin, le départ du narrateur après nuit, insomnie, sommeil,
matin, le jour d’une « bonne pluie de printemps », après un long hiver. La quête s’achève,
le nom est retrouvé. Dans Pays d’aucun mal, Acherchour donne à lire un court roman qui
sollicite le lecteur exigeant à partager sa parole dans un monde où paradoxalement le
mal est innommable. Très en rupture avec la littérature algérienne de ce temps, tant sur le
plan thématique qu’au niveau des révolutions formelles, il demeure un poète attaché à la
perfection de l’écriture. Habité par la poésie, son livre est beau. Et c’est tout dire.
El-Mehdi Acherchour, Pays d’aucun mal Paris, Editions Aden, février 2008, 96 pages
éditions aden
Par Hamid Nacer-Khodja
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