Forum Tchernobyl - Risques Majeurs et Environnement
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Forum Tchernobyl - Risques Majeurs et Environnement
Forum Tchernobyl - principales conclusions 6 & 7 septembre 2005 AIEA1 , OMS2, PNUD3 Le 5 septembre 2005 le Forum Tchernobyl 4 a publié, sous l’égide de l’AIEA, de l’OMS et du PNUD, un rapport de 600 pages établissant le bilan, 20 ans après, de l’accident de Tchernobyl. Le résumé de ces travaux est présenté dans un rapport intitulé : L’héritage de Tchernobyl : impacts sanitaires, environnementaux et socio-économiques (52 pages, en anglais), qui reprend les conclusions de centaines de scientifiques, économistes et spécialistes de la santé en terme de conséquences sanitaires, environnementales et socioéconomiques. Il établit aussi des recommandations, dans ces domaines, à destination des trois pays les plus durement affectés par le plus grave accident nucléaire de l’histoire : le Belarus (la Biélorussie), l’Ukraine et la Russie. 1 L’accident Le 26 avril 1986, le réacteur 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine – ex URSS) explose, provoquant aussi un incendie du cœur. Durant une dizaine de jours, des éléments radioactifs seront libérés dans l’atmosphère. En terme de conséquences de l’accident, les radioéléments rejetés dont l’impact est le plus important sont : ¾ L’iode 131, dont la demi-vie est égale à 8 jours (la moitié des éléments radioactifs a disparu en 8 jours) ; ¾ Le césium 137, de demi-vie 30 ans ; ¾ Le strontium 90 et les isotopes du plutonium dans une moindre mesure. L’iode 131 et le césium 137 ont été dispersés dans une grande partie de l’Europe dans les jours qui ont suivi l’accident. La contamination n’est pas uniforme mais présente des taches de contamination plus ou moins élevée, en fonction des quantités de précipitations. Le strontium et le plutonium sont restés très majoritairement dans une zone de 100 km autour du réacteur. L’iode 131 a disparu en quelques semaines ou mois par décroissance radioactive. Le césium 137 reste présent dans de larges zones contaminées : environ 5 millions de personnes vivent, dans les trois pays les plus touchés, sur des territoires contaminés à plus de 37 kBq.m-2, parmi lesquelles 400 000 sur des zones strictement contrôlées, où la contamination dépasse 555 kBq.m-2. A titre de comparaison, la contamination en césium 137 des sols en France est en moyenne de 3 à 4 kBq.m-2 provenant des retombées des essais 1 AIEA : Agence Internationale de l’Energie Atomique OMS : Organisation Mondiale de la Santé 3 PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement 4 Le forum est composé de huit institutions spécialisées du système des Nations Unies : l’AIEA, l’OMS, le PNUD, la FAO (organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement), l’OCHA (bureau de coordination des affaires humanitaires), l’UNSCEAR (comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants) et la Banque mondiale, ainsi que des gouvernement du Bélarus, de la Russie et de l’Ukraine. 2 nucléaires atmosphériques, auxquels s’ajoutent entre 0 et 10 kBq.m-2 déposés après l’accident de Tchernobyl, selon l’importance des précipitations. Les habitants situés dans les zones les plus exposées (116 000 personnes) ont été évacués dans les jours qui ont suivi. Cette zone, de 30 km de diamètre, est appelée zone d’exclusion. Une très faible partie de la population a commencé à regagner cette zone. Durant les années qui ont suivi, d’autres populations ont été évacuées, cependant cette évacuation ayant eu lieu plus tardivement, elle n’a eu que peu d’impact sur la diminution de l’exposition. En tout environ 370 000 personnes ont été évacuées de territoires contaminés. 2 Les conséquences sanitaires Trois populations différentes ont été exposées lors de l’accident : ¾ Les travailleurs en activité dans la centrale, et ceux ayant assuré les opérations d’urgence (en particulier les pompiers) et de retour à la normale : 200 000 personnes, dont un millier environ intervenus le premier jour ont reçu de très fortes doses de rayonnement; ¾ Les habitants évacués des zones très contaminées ; ¾ Les habitants des territoires contaminés qui n’ont pas été évacués. 2.1 Les travailleurs et intervenants sur le site de Tchernobyl Exposition aiguë Parmi les travailleurs intervenus en urgence, , environ cinquante décès sont recensés depuis 1986, chez ceux ayant reçu une irradiation aiguë, avec des doses au corps entier allant de 2 à 20 Gy 5 , soit plus de 1000 fois l’exposition moyenne annuelle en France. Cancers, troubles du système circulatoire Un excès de leucémies (hors leucémie lymphoïde chronique, non radio-induite) semble être observé chez les travailleurs les plus exposés (au-delà de 150 mSv). D’autres types de cancers et des troubles du système circulatoire ne sont pas exclus dans cette même population. Sur la base de calcul de risque, le Forum estime à 2200 le nombre de décès potentiels chez ces travailleurs exposés, la dose moyenne reçue se situant autour de 100 mSv 6 (avec un maximum à environ 500 mSv). Par comparaison, l’exposition moyenne en France due au rayonnement naturel est de 2,4 mSv par an. Cataracte (opacités du cristallin qui altèrent la vision quand elles sont étendues) Les résultats les plus récentsindiquent une augmentation de fréquence des cataractes, pour des doses à partir de 250 mGy (dose au niveau des yeux), c’est à dire pour des doses plus basses que celles connues par les observations antérieures. 2.2 Les habitants des zones les plus touchées Cancers de la thyroïde chez les enfants L’exposition à l’iode radioactif dans les jours qui ont suivi l’accident a entraîné une augmentation très importante du nombre de cancers de la thyroïde chez les jeunes enfants 5 Le Gray (Gy) s’emploie pour mesurer une exposition aiguë avec un effet spécifique et certain sur la santé. (1 mGy = 0,001 Gy) 6 Le Sievert (Sv) s’emploie pour évaluer une exposition plus faible, dont les conséquences sur la santé ne sont ni certaines, ni spécifiques. (1 mSv = 0,001 Sv) et dans une moindre mesure chez les adolescents exposés des territoires contaminés. Les doses reçues à la thyroïde sont élevées : de 30 à 300 mGy en moyenne, avec un maximum à 50 Gy. Ces doses sont dues à l’absorption d’iode radioactif. L’iode, absorbé par les aliments, en particulier le lait, va se fixer très préférentiellement sur la thyroïde, entraînant une forte exposition de cet organe. Plus de 2000cancers de la thyroïde (jusqu’à 4000 selon les sources), dont neuf ont entraîné le décès, ont été enregistrés entre 1992 et 2000 en Belarus, Ukraine et Russie, imputables à Tchernobyl de manière quasiment certaine. En 2005, aucune augmentation des cancers de la thyroïde n’a été décelée chez les adultes exposés. Remarque : l’iode radioactif dispersé par l’accident de Tchernobyl a entraîné une contamination de l’environnement et des aliments maximum fin avril 1986, décroissant jusqu’en juillet 1986, fin de la période de contamination par l’iode. Autres cancers Jusqu’en 2005, il n’y a pas d’augmentation des leucémies ou autres cancers (hors cancers de la thyroïde chez les enfants) chez les habitants des zones les plus contaminées. L‘irradiation des organes autres que la thyroïde, est due pour l’essentiel au césium radioactif qui se répartit dans l’ensemble du corps humain. Parmi les personnes évacuées considérées comme les plus contaminées, les expositions sont estimées à 17 mSv et 31 mSv en moyenne, respectivement pour les Ukrainiens et les Biélorusses, avec un maximum de 300 à 380 mSv. Le Forum estime, qu’à ces niveaux de dose, il sera impossible de déceler un une augmentation du risque de cancer due à l’irradiation post-Tchernobyl chez les adultes exposés. Effets sur la descendance Il n’y a pas d’observation indiquant une baisse de fertilité, une augmentation de malformations ou d’effets héréditaires. Le Forum indique qu’en raison des doses relativement faibles reçues par une grande partie de la population, ces effets sont peu probables. L’augmentation des malformations congénitales observées en particulier au Belarus depuis 1986 n’est probablement pas due à la contamination, car elle est semblable dans les régions contaminées et celles non contaminées. Troubles psychologiques et mentaux L’évacuation de quelque 350 000 personnes hors des zones contaminées a été une expérience très traumatisante. Une des conséquences majeures de l’accident de Tchernobyl est l’augmentation significative des troubles psychologiques : stress, dépression, anxiété, sentiment « d’être en mauvaise santé ». Le Forum souligne que le manque d’information claire au sujet des risques réellement encourus est aussi une des causes de ces troubles. La pauvreté qui sévit dans ces régions est un frein réel à un retour à une vie normale et équilibrée pour les populations concernées. 2.3 Nombre de décès estimé chez les 600 000 personnes les plus exposées L’irradiation augmente le risque de développer un cancer, pour des doses supérieures à ~100-200 mSv. En-dessous de ces niveaux, le risque est calculé par extrapolation et les instances internationales considèrent que ces calculs représentent la limite supérieure du risque. Le Forum a établi des projections sur le nombre « maximum » de décès par cancer en tenant compte des doses reçues par les 200 000 travailleurs, les 116 000 personnes évacuées, et les 270 000 résidents des territoires les plus contaminés, soit environ 600 000 personnes. Le Forum a également estimé le nombre de décès par maladies cardiovasculaires dus à l’accident de Tchernobyl. Les estimations fournissent le nombre d’environ 4000 décès dus à Tchernobyl dans cette population, incluant les décès enregistrés (50 décès chez les travailleurs les plus irradiés et 9 décès par cancer de la thyroïde) et le nombre de décès attribuables directement à l’accident de Tchernobyl au cours des 60 ans suivant l’accident. L’augmentation attendue des cancers engendrée par la radioexposition serait alors de 3% par rapport aux cancers mortels spontanément attendus dans cette population (environ 150 000 décès par cancer). 2.4 Dose actuelle reçue par les populations Pour la majorité des 5 millions de personnes qui vivent actuellement dans des zones contaminées, les expositions se situent en deçà des limites recommandées pour le public (1 mSv). Toutefois, 100 000 habitants des territoires les plus contaminés reçoivent encore une dose annuelle supérieure à 1 mSv. Les niveaux d’exposition vont continuer à baisser lentement mais la plus grande partie de l’exposition résultant de l’accident est advenue. 3 Les conséquences sur l’environnement 3.1 Les zones à très forte exposition Dans la zone d’exclusion (30 km autour du réacteur), on a constaté un accroissement de la mortalité des conifères, des invertébrés et des mammifères, ainsi qu’une perte de la capacité de reproduction végétale et animale. Aujourd’hui, la diminution des niveaux d’exposition a permis aux populations biologiques de se rétablir, bien que l’on ait constaté des effets génétiques des rayonnements dans les cellules somatiques et germinales de plantes et d’animaux. 3.2 Transmission des éléments radioactifs dans la chaîne alimentaire Durant les tous premiers mois après l’accident, la contamination de la chaîne alimentaire s’est effectuée essentiellement parce que les éléments radioactifs s’étaient déposés sur les plantes. Par la suite, ces éléments ont migré dans les sols et ont été absorbés par les plantes à travers les racines. L’iode 131, de part sa transmission importante selon le schéma herbe-vache-lait-homme, a posé très rapidement un problème de contamination de la thyroïde en iode radioactif. Cette contamination a cessé en quelques mois au plus, par la disparition de l’iode 131 par décroissance radioactive avec une demi-vie de 8 jours. Le césium 137 (et dans une moindre mesure le césium 134 de demi-vie 2,1 ans), parce qu’il a tendance à persister dans les couches superficielles des sols, reste très biodisponible pour les racines, et provoque ainsi une contamination persistante des plantes. Le strontium 90 a contaminé une zone restreinte (environ 100 km autour du réacteur), et, du fait de sa solubilité plus importante, il a migré plus facilement que le césium vers des zones où il ne devenait plus disponible pour les plantes. Il est observé en concentrations faibles dans les zones aquifères. L’américium 241 et les isotopes du plutonium ne posent pas actuellement de problème de contamination car leur concentration est faible, et ils sont très peu absorbés par les plantes. 3.3 En Europe A l’échelle de l’Europe toute entière, la préoccupation majeure aujourd’hui est la contamination en césium. Elle persistera encore des dizaines d’années puisque la demi-vie du césium 137 est de 30 ans. Le niveau de contamination est faible sur la plus grande partie du territoire européen, cependant certaines taches de contamination importante ont été répertoriées, et, à titre d’exemple, la viande de renne reste fortement contaminée dans certaines régions scandinaves (Finlande, Norvège, Suède). 3.4 La contamination des territoires habités au Belarus, en Ukraine et en Russie Dans les zones urbaines, le niveau de rayonnement dans l’air au-dessus des zones habitées est redevenu normal (au même niveau que le fond naturel de rayonnement), cependant des niveaux plus élevés sont parfois observés au-dessus des sols nus (parcs et jardins par exemple). Dans les zones agricoles, le césium est responsable de la contribution la plus importante à la contamination interne pour les populations, car il persiste dans le lait, la viande et certains végétaux. Cependant, à de rares exceptions près, la concentration en césium 137 dans les aliments se situe en dessous de 100 Bq.kg-1, considéré comme un niveau sûr. Dans les zones forestières, la contamination en césium 137 reste plus importante que dans les produits agricoles, en particulier dans les champignons, les baies et le gibier. Comme l’exposition provenant des produits agricoles a baissé, l’impact relatif de l’exposition provenant des produits forestiers a augmenté et ne diminuera qu’avec la lente migration du césium dans le sol et sa décroissance radioactive. Les zones aquatiques ont, durant les premières semaines, été fortement contaminées par les éléments radioactifs déposés. Rapidement la décroissance radioactive et la migration de ces éléments vers les sédiments (qui resteront longtemps un « réservoir » pour ces éléments) ont engendré une baisse importante des niveaux de contamination des eaux. Du strontium 90 est retrouvé dans plusieurs espèces de poissons. Cependant il se concentre essentiellement au niveau des arêtes et se retrouve peu dans l’alimentation humaine. Le césium 137, en revanche, retrouvé souvent à un niveau de concentration voisin dans les poissons, peut poser un problème pour l’alimentation humaine. C’est en particulier le cas pour certains lacs fermé de Russie, d’Ukraine ou du Belarus où les restrictions imposées à la pêche doivent être maintenues.