Un siècle d`amour - Institut de recherches et d`études féministes
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Un siècle d`amour - Institut de recherches et d`études féministes
«Un siècle d’amour. De 1900 à aujourd’hui : un regard féministe» Compte rendu de la conférence du 2 décembre 2009 Par Marie-Ève Blanchard, étudiante à la maîtrise en études littéraires, concentration en études féministes Florence Montreynaud, historienne et militante féministe, engagée dans le Mouvement des femmes depuis 1970, lance en France, le 8 mars 1999, le mouvement féministe Chiennes de garde dans le but de défendre les femmes insultées publiquement de manière sexiste. En 2000, elle diffuse le manifeste « NON à la pub sexiste ! » qui fonde La Meute, mouvement féministe mixte et international engagé dans la lutte contre la publicité sexiste. La Meute a aujourd’hui des antennes dans plus de 50 pays. Auteure de l’encyclopédie Le XXe Siècle des femmes (Nathan, 2001; nouvelle édition, L’Aventure des femmes, XXe – XXIe siècle, 2006), de Amours à vendre. Les Dessous de la prostitution (Glénat, 1993) et de nombreux autres ouvrages, elle vient de publier chez Nathan (2009) Un siècle d’amour. De 1900 à aujourd'hui qui, année après année, retrace l’évolution des liens amoureux sous divers aspects : sexualité et sentiments, faits et pratiques, tendresse et passion, corps et âme. L'IREF l'a invitée à présenter ce dernier livre. En France, selon Florence Montreynaud, « le machisme est considéré comme drôle, spirituel; il faudrait rire des insultes machistes ou encore les trouver sans importance, alors que ce sont des violences quotidiennes », insiste-t-elle. Aussi, il y est fréquent d'entendre qu'« on ne peut pas être féministe et être aimée; [qu']on ne peut pas avoir l'égalité et l'amour à la fois ». Plusieurs jeunes Françaises n'osent pas se dire féministes par crainte de faire fuir les garçons, déplore l'historienne, selon qui « se dire féministe et être aimée n'est pas incompatible. » Ces idées reçues nous empêcheraient de voir que, dans l'Histoire, des hommes ont pu véritablement aimer des femmes féministes. En effet, au cours de ses années de recherche, Montreynaud a « rencontré une quantité d'hommes intéressants qui ont aimé des femmes féministes ». C'est ainsi que l'idée de son livre, Un siècle d'amour, est née : alors que le machisme associe sans cesse le discours féministe à un message de haine, comme si les féministes étaient des « haïsseuses d'hommes » – Montreynaud perçoit, au contraire, les féministes comme des « porteuses d'amour » –, ces modèles célèbres de couples révèlent la possibilité pour un homme et une femme qui s'aiment de se penser comme égaux, « la grande nouveauté du XXe siècle », précise-t-elle. Du mariage de raison au mariage d'amour Longtemps, le mariage a fonctionné comme un système d'alliance entre familles. Jusqu'au début du XXe siècle, le principe fondateur de la conjugalité n'était pas l'amour, mais les intérêts familiaux. Pour Montreynaud, si aujourd'hui, en Occident, l'amour est le moteur de la relation de couple, si le mariage d'amour est devenu une norme qui s'étend peu à peu à l'ensemble des sociétés, c'est qu'un phénomène radicalement nouveau s'est imposé, causé par une révolution affective : l'existence d'un lien intime réciproque, vécu à la fois dans les sphères privée et publique, entre deux individus. Pour l'historienne, c'est aux Occidentaux du XXe siècle que revient « la prétention de penser l'amour comme condition au mariage »; d'élever l'amour « au rang de fondement essentiel à la réussite de l'union ». Mais cette révolution de la sensibilité ne s'est pas réalisée seule; elle s'articule à une autre, l'accession des femmes à une identité propre. Montreynaud estime que le mariage d'amour est devenu possible, entre autres, au moment où les femmes ont eu accès à l'éducation. L'instruction leur a donné les outils nécessaires pour se penser en tant que sujet et penser autrement leur condition. Dès lors, les relations de couple s'en sont vues transformées : les aspirations individuelles, qui caractérisent la modernité occidentale, se faisant de plus en plus jour ont, au fil du temps, supplanté les stratégies d'alliance et d'intérêts, c'est-à-dire le mariage de raison. Or, durant des siècles, à la défaveur des femmes, la subjectivité et l'amour n'étaient pas perçus par l'Église comme des concepts conciliables. À notre époque, c'est plutôt la littérature, le cinéma et la télévision, selon Montreynaud, qui contribuent à alimenter ce prêt-à-penser. En effet, la religion catholique a longtemps exigé des femmes l'abnégation de soi dans le mariage. En les maintenant sous la tutelle de leur mari, l'idéologie chrétienne les empêchait de se construire en tant que sujet agissant au sein de la relation maritale. Aujourd'hui, lorsque ce n'est pas la religion qui freine l'émancipation des femmes, les représentations culturelles de l'amour, tels les romans sentimentaux qui s'adressent au lectorat féminin, endossent un discours conservateur semblable, croit Montreynaud, selon qui cet « opium de masse » fait croire aux femmes que la réussite de leur vie dépend de l'amour. Cette idée amène l'auteure à poser, à la fin de son livre, la question suivante : « L'amour est certes important, mais est-ce suffisant pour justifier une existence? N'attendons-nous pas trop de l'amour? » Dire Je t'aime et le sujet agissant Mais d'abord, qu'est-ce que l'amour, demande Montreynaud? Comment analyser l'énoncé performatif « Je t'aime » dans une perspective féministe? Pour que l'amour soit produit, un sujet (je) doit affirmer son amour à un autre sujet. Ainsi, énoncer son amour exige au préalable « un travail de recherche de soi, de réflexion, de construction », ce que les représentations de l'amour ne mettent pas en valeur, juge l'auteure. D'emblée, l'amour implique un sujet qui affirme son amour à l'intérieur d'un échange sujet à sujet : « Si le je se nie, se dévoue entièrement à l'amour, s'il se fond dans l'amour, qu'il s'y engloutit, la relation n'a plus de sens. L'amour ne peut se comprendre, dans un sens féministe, qu'avec un je agissant. » Toutefois, avant d'agir, il faut être, affirme Montreynaud, car « la grande histoire de la vie, ce n'est pas l'amour, c'est se créer soimême, s'inventer soi-même. » Bref, il faut accéder à son propre désir afin de ne pas s'aliéner dans le désir de l'autre. Le grand défi du XXe siècle Bien que le 20e siècle nous ait donné les moyens de penser l'égalité dans le couple, celle-ci est loin d'être advenue. Elle demeurera difficile à réaliser tant que la culture donnera à la sexualité et à l'amour un sens différent pour l'un et l'autre sexe. En effet, le désir de la femme doit encore « être rare pour être cher », soutient Montreynaud, selon qui « nous ne pourrons pas être égaux tant que le désir d'un homme et celui de la femme n'auront pas la même valeur. » De plus, selon elle, la « vraie égalité » parviendra quand il y aura un réel partage des tâches domestiques. Dans les faits, les femmes occupent 80 % de la part des travaux ménagers et des soins apportés aux enfants. Un autre défi est lui aussi considérable : afin que l'amour, ce sentiment fragile et éphémère, puisse s'inscrire dans la durée, il doit être renouvelé; autrement, il risque de céder. Il faut dire que lorsque l'amour s'est imposé dans le mariage au tournant du XXe siècle, l'espérance de vie des femmes était de 42 ans. Aujourd'hui, en Occident, elles peuvent espérer vivre au-delà de 80 ans. « Vous imaginez, dit Montreynaud, à notre époque encore, les couples se forment assez jeunes. Pour une femme, la conjugalité peut donc durer 60 ans! Est-ce possible d'aimer si longtemps? » Montreynaud, qui préfère terminer sur une note positive, répond ceci : « La longévité nous donne la chance de vivre plusieurs grands amours! »