du 5 au 12 juin 1940 - Les Anciens du 22ème de Marine

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du 5 au 12 juin 1940 - Les Anciens du 22ème de Marine
Chapitre 4/5
La retraite du 22ème RIC
(du 5 au 12 juin 1940)
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Sommaire
Situation générale.
L’adversaire terrestre.
Historique du régiment pour la période du 5 au 12 juin1940.
Récits, souvenirs et témoignages.
Compte rendu du médecin-lieutenant Roger Gheiner
Le 1er bataillon dans le calvaire de la retraite.
La 2ème Cie en combat retardateur.
Evacuation d’un blessé.
Une évacuation manquée vers l’Angleterre.
Les deux derniers jours du régiment vécus par un homme de troupe.
La compagnie de transmissions (CDT) au combat du 10 au 12 juin1940.
Après le 12 juin 1940.
Captivité et évasion du 13 au 30 septembre 1940.
Le cri d’un combattant de 39/40.
Situation générale
______________
Le 5 juin 1940, à 05H00, commence sur la Somme ce qu’on a appelé « la bataille de France ». Le commandement français a prévu cette
attaque pour le 10 juin. Une fois de plus l’ennemi est en avance.
Du côté français, c’est la bataille du désespoir. Les alliés ont perdu trente-neuf divisions, les Français trente et les Anglais neuf, soit plus
du tiers de leurs moyens et justement les divisions les meilleures. Les prélèvements sur les Alpes, les renforts d’Afrique et les
reconstitutions d’unités ont permis de porter à soixante-six le nombre de divisions françaises. C’est vingt-trois de moins que le 10 mai …
et encore les divisions reconstituées sont-elles des plus légères : deux régiments d’infanterie au lieu de trois, deux ou trois groupes
d’artillerie au lieu de cinq. Les grandes unités blindées ou semi-blindées se réduisent à une DML de création récente, deux DCR
incomplètes et trois faibles DLC. Elles ne représentent pas deux Panzerdivisionen (Pz D)
L’armée de l’air, bien qu’exsangue fin mai, compte au 10 juin grâce aux sorties d’usine 2 368 avions au lieu de 2 000 un mois plus tôt.
Malheureusement, du fait de la faillite de l’industrie aéronautique française, elle ne peut engager que 600 avions quand débute la
bataille de la Somme. En plus d’un nombre non négligeable d’avions périmés, près de 70% des appareils sont indisponibles faute
d’armement ou d’équipements
La Wehrmacht est à la fois fatiguée et prête à une nouvelle offensive. Elle est fatiguée : c’est notamment le cas des unités d’infanterie qui
ont suivi les blindés à pied jusqu’à Dunkerque. Du 10 au 31 mai, les pertes de la Wehrmacht se sont élevées, surtout dans les unités
blindées ou motorisées, à 60 000 hommes dont 10000 tués et 8 000 disparus. La 7ème Pz D de Rommel a perdu, par exemple, 12,8% de ses
effectifs, mais surtout 94 de ses officiers sur 400. Ces pertes ne sont donc pas négligeables surtout en ce qui concerne les cadres. Le
matériel a été mis à rude épreuve. Le temps a manqué pour effectuer les révisions nécessaires, la lutte antichar des alliés et notamment
des armes antichars françaises a été efficace.
Au 31 mai, les Allemands ont perdu 614 chars dont 110 Pz III, 77 Pz IV et 88 modèles tchèques. Mais, elle est prête : le système de
complétement en matériel fonctionne bien et le moral exalté par les victoires remportées est élevé. Les hommes de quarante ans ont le
sentiment d’avoir réalisé en moins de quatre semaines ce qu’ils n’avaient pu faire en cinquante-deux mois en 1914/1918, les jeunes sont
sensibles à leur victoire et ont tous vu les longues colonnes de
prisonniers se dirigeant vers l’est. Tous pensent que les Français
défendront avec acharnement leur pays, mais personne ne doute de la
victoire finale.
Globalement, l’armée allemande se présente dans une situation bien
plus favorable que le 10 mai : elle attaquait alors dans une région
difficile uniquement avec des forces rapides, la masse de l’infanterie
suivant à une distance croissante. Maintenant, cette infanterie est en
mesure d’entrer en ligne en même temps que les blindés. La Wehrmacht
qui s’est par ailleurs accrue de dix divisions (Trois d’entre elles ne sont
toutefois aptes qu’à des missions d’occupation) est désormais en mesure
de livrer une bataille de masse et une bataille de vitesse avec au moins
la même supériorité que dans sa chevauchée sur Dunkerque.
Les forces allemandes sont réparties entre trois groupes d’armée
(GA). L’effort principal est confié au GA.A qui, à partir de la région
s’étendant de Saint-Gobain à Montmédy, doit en passant à l’est de Paris,
en Champagne, attaquer en direction du sud-est pour prendre les
armées françaises de l’est à revers, par un mouvement tournant dont
l’ampleur ira jusqu’à Dole et Pontarlier.
Le GA.B à l’aile droite, qui s’étend de l’embouchure de la Somme au massif de Saint-Gobain, a une double mission : d’une
part, couvrir l’effort principal face à Paris et y contribuer en prenant cette ville puis en poursuivant son effort vers
Troyes, Dijon et Lyon, d’autre part, couper les forces françaises des ports de la Manche et de l’Atlantique. Le GA.C, qui
tient le front du Luxembourg à la Suisse, doit fixer et détruire les forces françaises de la ligne Maginot et du nord-est de la
France. Cette opération doit s’échelonner en trois temps : d’abord par une rupture du front de la Somme par le GA.B qui
doit attaquer le 5 juin, ensuite par une attaque en Champagne du GA.A dès le succès de la première offensive (Le GA.A
prononcera son attaque à partir du 9 juin), enfin, plus tard, à partir des 14 et 15 juin, le GA.C entreprendra son action.
Cet échelonnement a pour but de concentrer successivement l’appui feu des forces aériennes et de l’artillerie et, éventuellement de faire
roquer les unités rapides. La première attaque, celle du GA.B doit améliorer la base de départ de l’offensive principale dans la région
Compiègne-Soissons et, espère l’OKH (OberKommando des Heeres (OKH) = commandement
Le désastre de 1940, « la guerre éclair », 10 mai-24 juin
supérieur de l’armée de terre, état-major de l’armée de terre [EMAT]), attirer des réserves
1940. Dossiers secrets de la France contemporaine/5.
françaises. Le dispositif correspondant à cette conception est caractérisé par la densité des
Claude Paillat. Éditions Robert Laffont, page 466
divisions, dans les zones où est recherchée la rupture.
Le 5 juin, l’offensive attendue débute donc sur la Somme à partir des têtes de pont. Elle est menée par 47 divisions dont
6 Panzerdivisionen.
C’est dans ce contexte que le 22ème RIC combat jusqu’au 12 juin dans des conditions extrêmement difficiles faisant 30 à 40
km par jour tout en combattant. Il a essentiellement en face de lui au cours de cette période, à l’ouest la 5ème Panzerdivision
ème
(5ème Pz D) commandée par le général von Hartlieb, à l’est la 7ème Panzerdivision
Une Pz D comme la 7 , celle de Rommel, comprend par
(7ème Pz D) commandée par le général Rommel, entre les deux la 2ème division
exemple : 218 chars, 50 auto mitrailleuses, 36 canons de 105mm
et 6 canons de 150mm, 36 canons de 37mm AC, 12 canons de
d’infanterie motorisée (2ème ID moto).
20mm AA, 12 canons de 88mm AA, 4000 fantassins motorisés et
La 5ème Pz D franchit la Somme entre Pont-Rémy et Coquerel, la 2ème ID moto entre
un bataillon de motocyclistes, 950 sapeurs dotés d’un pont
Coquerel et Condé-Folie et la 7ème Pz D entre Condé-Folie et Hangest-sur-Somme. Le
mobile, un bataillon de transmissions à 600 hommes. C’est une
5 juin, le 22ème RIC se heurte principalement à des éléments de la 5ème PZ D.
force impressionnante.
Bien qu’ils ne semblent pas en
On ne saurait omettre d’évoquer la résistance opiniâtre à Airaines
ème
ème
avoir eu connaissance, les défenseurs mettent en œuvre les directives du général
du 53
régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais (53
ème
Weygand qui prescrivaient de délaisser la défense linéaire appliquée jusque-là, de
RICMS) auquel appartenaient des éléments mutés du 22
RIC au
ème
cours de l’hiver 1940. Le 53 RICMS y fut décimé et sa résistance
s’organiser en centres de résistance tels que bois et villages placés aux nœuds de
fut soulignée par le général Rommel lui-même, qui rendit même
communication, de laisser passer les chars si nécessaire après en avoir détruit le
hommage « aux troupes noires » qui se battirent contre sa division
maximum, de s’en prendre à l’infanterie et de saisir toutes les occasions de contreau sud de la Somme.
attaquer, les défenseurs. Les chars allemands contournent les résistances, mais
doivent se mettre en hérisson pour la nuit et craignent pour leur ravitaillement. Les journaux de marche des unités allemandes notent
d’ailleurs que pendant les deux premiers jours leur offensive piétine et que les Français se défendent avec acharnement et habileté.
Mais, pour détruire les colonnes blindées allemandes qui s’infiltrent dans les étroits couloirs entre les points d’appui, il faudrait des chars
et des avions. En conséquence, malgré l’opiniâtreté de la défense des unités françaises, loin derrière celles-ci, les Panzers atteignent la
Seine le 8 et le 9 juin. A partir du 10, ils remontent vers le nord pour parfaire l’encerclement des troupes alliées qu’ils ont laissées
derrière eux. La 7ème Pz D attaque dans la direction générale de Fécamp tandis que la 5ème Pz D fait de même en direction de Dieppe. Le
11 juin, Rommel attaque Saint-Valery-en-Caux par l’ouest, la 5ème Pz D attaque, à l’est Veules-les-Roses et la 2ème ID moto
complète l’encerclement du 9ème corps d’armée du général Ihler par le sud. Le 22ème RIC est là.
Quelle que soit notre infériorité numérique et, surtout quantitativement, matérielle, se faisant l’interprète de ses compagnons d’armes, le
sous-lieutenant Benon, non sans un certain ressentiment bien compréhensible, exprime son amertume par ces mots : « Le déroulement de
cette campagne illustre bien le fait que, dans cette guerre de mouvement imposée par les Allemands, nos généraux, privés de moyens de
communication rapides, ont été constamment dans l’impossibilité d’exercer leur commandement et d’influer sur les événements parce
qu’entre le moment où, en fonction des renseignements reçus, ils concevaient une manœuvre et le moment où les ordres parvenaient à
l’échelon d’exécution, la situation sur le terrain avait tellement évolué que ces ordres étaient devenus inexécutables, a fortiori face à un
Gudérian ou un Rommel qui, exerçant leur commandement en tête de leurs unités blindées, était à même d’intervenir sur le champ en
fonction des aléas rencontrés, et avec des éléments extrêmement mobiles ».
Les unités du 9ème corps d’armée (9ème CA) commandé par le général Ihler, parmi lesquelles le 22ème RIC, de plus en plus réduites,
harassées, mélangées, dont les officiers ne possédant aucune carte, en sont réduits à se repérer sur la carte départementale sommaire des
calendriers des Postes “fauchés” dans les maisons abandonnées, en supportent les conséquences parfois tragiquement.
Autant que celle des journaux de marche du régiment concernant les offensives de Champagne en février et en septembre 1915 et les
combats sur la Somme en février et en juillet-août 1916, la lecture de l’historique du régiment en particulier pour la période du 5 au 12
juin 1940 suscite, malgré son caractère impersonnel et neutre de compte rendu, un sentiment d’admiration, de respect et de stupeur tant
elle révèle de sens du devoir, de courage et de résistance physique et morale, de sacrifices personnels et collectifs, de respect de soi-même
et de besoin de considération de ses pairs comme de ses supérieurs ou de ses subordonnés, sans jamais désespérer malgré les défaillances
passagères éventuelles bien compréhensibles. Les témoignages personnels qui suivent illustrent ce sentiment et ces impressions et
complètent l’Historique.
Colonel (ER) Philippe Blanchet (16/02/2015)
L’adversaire terrestre
__________________
Du 5 au 12 juin 1940, le 22ème RIC eut essentiellement à combattre deux Panzerdivisionen (Pz D) (Divisions blindées) et une division
motorisée au sein desquelles aucun déplacement, sauf au cours des combats à pied, ne s’effectue autrement qu’en véhicule. Chaque
véhicule blindé, à roues ou à chenilles, est doté d’une radio de bord, voire d’un interphone intérieur. Ce qui n’existe pas dans nos unités
blindées.
Rappelons que ces unités représentent une force blindée d’environ 450 chars et de 160 automitrailleuses qui attaque sur un front très
étroit. Les liaisons radio se font en phonie à l’intérieur des unités.
Tirant les enseignements des combats de la fin du Premier conflit mondial, les militaires allemands considérèrent que la mobilité, la
souplesse et l’effet de choc devaient être recherchés dans le développement tactique de forces de chars qui impliquait la formation de
grandes unités blindées.
Pour ce faire, dès 1931, ils réclamèrent deux types de chars : un char
Les Allemands désignent leurs chars par le nom de la classe suivi du n° du modèle. Par
exemple, PanzerKampfWagen I en abrégé PzKpfW I ou Pz I (véhicule blindé de combat
de 20 tonnes, armé d’un canon de 75mm en tourelle et de deux
N°I). Un même type de char comprend souvent plusieurs modèles. La qualification du
mitrailleuses pour le combat char contre char et un engin plus léger,
modèle suit l’appellation. Ainsi PzKpfW I Aufs C signifie : véhicule blindé de combat
armé d’un canon de 50mm à obus perforant et de deux mitrailleuses,
N°I modèle C, ou char de premier type modèle C.
prévu initialement pour la reconnaissance. Ce furent les PzKpfW IV
et III, appelés plus simplement Panzer IV (Pz IV) et Panzer III (Pz III).
Panzer IV (Pz IV)
Poids : 25 t, Long 7,02m, Haut : 2,68m. Blindage : 80mm. Vitesse :15/40km/H.
Armement 1 canon de 75mm, 2 mitrailleuses de 7,92mm. Equipage : 5 hommes.
Panzer III
(Pz III)
Panzer 38 (t)
(Pz 38[t])
Poids : 22,3 t, Long 5,41m, Haut : 2,51m.
Blindage : 30mm.
Vitesse :15/40km/H.
Armement 1 canon de 37mm, 1 mitrailleuse de 7,92mm.
Equipage : 5 hommes.
Char tchécoslovaque utilisé par les 7 et 8 Pz D.
Poids : 10 t, Long 4,55m, Haut : 2,31m.
Blindage : 25/50mm.
Vitesse : 42km/H (200km/jour à26 km/H).
Armement : 1 canon de 37,2mm, 2 mitraill de 7, 92mm.
Equipage : 4 hommes.
Mais la mise au point de ces chars devant prendre plusieurs années, il importait d’avoir pour l’instruction et l’acquisition de l’expérience
nécessaires à la manœuvre blindée un char suffisamment léger pour être construit rapidement.
Panzer I (Pz I)
Panzer II (Pz II)
Poids : 5,5 t, Long : 4,30m, Haut : 1,70m.
Blindage : 13mm.
Vitesse :37km/H.
Armement : 2 mitrailleuses de 7,92mm.
Equipage : 2 hommes.
Poids : 9,5 t, Long : 4,91m, Haut : 2,02m.
Blindage : 35mm.
Vitesse :15/40km/H.
Armement : 1 canon de 20mm, 1 mitrailleuse de 7,92mm.
Equipage : 3 hommes.
Ce fut le Panzer I (Pz I) qui subit l’épreuve du feu en Espagne. Il apparût alors nécessaire
Pz 35 (t) et Pz 38 (t), c’est ainsi que les Allemands
de posséder un char ayant un blindage plus important et une plus grande autonomie. La mise
désignèrent respectivement les chars Skoda LT 35 et
au point des Panzers III et IV s’avérant plus longue que prévue, il fut décidé de construire un
les chars CKD (sigle du nom de la firme constructive)
TNPH. La lettre (t) étant l’abréviation de
char de 10 tonnes : le Panzer II (Pz II) qui joua un grand rôle en 1939-1940 mais qui s’avéra
« Tscheche » qui signifie tchèque en Allemand.
trop faiblement blindé et armé face aux chars alliés (B1 bis, 35 S [35 Somua] et Matilda
anglais). Seuls les Pz III et Pz IV étaient susceptibles de s’opposer à ces chars. Encore
l’armement du Pz III était-il au début trop léger.Les performances, le blindage et l’armement des Pz IV ayant été constamment
améliorés, ces chars constituèrent l’épine dorsale des divisions blindées allemandes pendant tout le Second conflit mondial
malgré la mise en œuvre des Pz V (Panther) et des Pz VI (Tiger).
A part la masse des 1600 Pz I et Pz II dont l’efficacité est des plus réduite, les Allemands n’ont en 1940 que 349 Pz III et 278 Pz IV.
Aussi furent-ils heureux de pouvoir mettre en œuvre, après l’occupation de la Tchécoslovaquie en mars 1939,
334 excellents chars de fabrication tchécoslovaque : 106 Pz 35 (t) et 218 Pz 38 (t).
La 7ème Pz D du général Rommel, à laquelle le 22ème RIC eut à faire à certains moments, comprenait par exemple 109 chars Pz 38 (t)
sur 218, soit la moitié. Enfin, des véhicules chenillés de commandement et d’appui susceptibles de progresser à la vitesse des chars, sont
conçus dès le début de la guerre à partir du châssis du Pz I B.
Panzerbefhlswagen (Char de Commandement)
Canon automoteur de 150mm
Chaque Pz D est dotée d’un bataillon de reconnaissance constitué d’automitrailleuses lourdes (SdKfz 231) ou légères (SdKfz 222) et
d’éléments motocyclistes dont le rôle est d’évaluer les forces et les faiblesses de l’adversaire, de reconnaître le terrain et de signaler les
obstacles et les passages difficiles pouvant ralentir l’avance de la division.
Éléments de reconnaissance
Schwerer Panzerpähwaden (SdKfz 231)
Poids : 11,7 t, Long (caisse) : 6m, Haut : 2,38m.
Vitesse :85km/H. Rayon d’action : 270km
Equipage : 4 hommes.
Leichter Panzerpähwaden (SdKfz 222)
Poids : 4,8 t, Long : 4,80m, Haut : 2m.
Vitesse :80km/H. Rayon d’action : 300km.
Equipage : 3 hommes.
Les éléments motocyclistes de reconnaissance et d’éclairage
étaient équipés de moto-sidecar, le plus ouvent de marque
BMW ou Zundapp, armés d’une mitrailleuse MG 34.
Les éléments de reconnaissance et d’éclairage agissant très loin en avant du gros
Le camouflage des SdKfz 231 et SdKfz 222 présentés cides forces, parfois jusqu’à 100km en avant, sont en général
dessus est, en Europe, celui des années 1944 et 1945.
En 1940, tous les véhicules de l’armée allemande étaient
composés de trois automitrailleuses qui soutiennent par
uniformément peints en gris.
leurs feux les éléments motocyclistes et qui sont en liaison
radio constante avec le PC de la Pz D.
Des avions légers d’observation (Fieseler Storch et Henschel 126) complètent ou accompagnent la
reconnaissance terrestre.
Equipés « d’antenne cadre », les SdKfz 231 et SdKfz 222 et les véhicules semi-chenillés transports de troupe
SdKfz 251 étaient utilisés comme véhicules de commandement. Ils étaient utilisés par nombre de
commandants de Pz D, tels les généraux Guderian et Rommel, qui parcouraient le champ de bataille pour
garder le contact autant avec l’arrière qu’avec leurs « yeux », leurs unités de reconnaissance, et pouvaient
ainsi réagir à tout changement de situation.
Les fantassins des Pz D et des divisions motorisées, les « Panzergrenadieren », sont transportés soit en véhicules chenillés soit
en camions et les pièces d’artillerie tractées par des véhicules spécialisés.
Engins de commandement et/ou de transmissions
SdKfz 231
SdKfz 222
SdKfz 251
SdKfz 251.
Tracteur d’artillerie
Destiné au transport d’un groupe de combat
Equipé d’une mitrailleuse MG 34
Destiné à tracter les canons de 105mm, de 150mm et de 88mm AC et AA (Pack et Flack) ainsi
que les équipes de pièce correspondantes
Ils sont équipés légèrement pour le combat, leurs impédimentas (sac à dos, affaires de rechange, etc.) étant transportés dans leurs
véhicules de transport. Leur armement individuel était constitué soit du fusil Mauser à répétition Mle 98 modifié de calibre 7,92mm, soit
du pistolet-mitrailleur Schmeisser 38 de calibre 9mm parabellum.
Fantassin en tenue de combat
(1939/1940)
Veste
verte,
pantalon
gris
(d’où l’expression
« Vert-de-gris »
utilisée couramment
par
les
Français pendant
l’occupation pour
désigner
les
soldats
allemands).
Casque d’acier
Mle 35.
Paquetage
d’assaut réduit.
Ceinturon
(Inscription sur la
boucle « Gott mit
uns ») et équipe-
ment en cuir
noirci.
Mi-bottes
en
cuir noirci.
Pelle individuelle (à gauche)
Bidon d’un litre à droite (à peine visible).
Dans la botte droite, grenade à manche à main OF
ou DF.
PM Schmeisser 38
Long
(avec
crosse) :
833mm.
(sans crosse) :630mm
Poids : 4,7kg.
Cadence de tir : 500
c/mn
Le PM 38 inaugurait des
méthodes de construction toutes nouvelles
(feuilles
de
métal
estampées,
matières
plastiques,
manque
presque
total
de
finition) permettant une
production en grande
série rapide, offrant,
pour le meilleur coût,
une puissance de feu
considérable pour le
combat
rapproché
d’infanterie.
Maschinengewehr 1934 (MG 34)
En 1939, (jusqu’à la
mise en service de
la célèbre MG 42
[1500
c/mn]),
l’armement collectif est essentiellement constitué
de la Maschinengewehr 1934(MG 34)
qui était une arme
excellente,
très
appréciée de ses
utilisateurs.
La MG 34 pouvait être :
− utilisée comme mitrailleuse légère portée par un fantassin, elle était
alors munie d’un simple bipied,
− utilisée (dans la présente configuration) comme mitrailleuse lourde, elle
était alors montée sur un affût tripode.
Calibre : 7,92mm.
Long : 1,22m.
Poids : 11,5kg.
Cadence de tir 900 c/mn (A comparer avec le FM 24/29 (V0 : 755m/s) et la
mitrailleuse Hotchkiss).
Des variantes équipaient les blindés ou servaient d’armes anti-aériennes
Colonel (ER) Philippe Blanchet (20/02/2015)
Historique du régiment pour la période du 5 au 12 juin 1940
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Le 5 juin 1940 au matin, le régiment occupe :
- le PC, la CDT et la CRE : Oisemont ;
- la CHR : Wiry-au-Mont ;
- le 1er bataillon : Hocquincourt, le 2ème bataillon : Citerne et le 3ème bataillon : Hallencourt.
Ces villages ont été organisés défensivement.
Journal de marche et d’opération (JMO) du 22ème RIC (Extraits)
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Itinéraire de la retraite (Emplacements du PC du régiment)
« Le 5 juin, dès que le jour pointe, une forte canonnade se fait entendre au nord et au nord-est d’Oisemont. Vers 08H30, la 2ème DLC
demande la mise à sa disposition d’un bataillon du régiment, car l’attaque ennemie qui s’est produite à 04H00 du matin n’a pu être
endiguée. Le chef de corps en réfère téléphoniquement au général commandant la 5ème DIC qui l’autorise à donner satisfaction à cette
demande.
Le 3ème bataillon, commandé par le capitaine Sérole, est mis à la disposition du colonel commandant le 3ème régiment de dragons portés
(3ème RDP). Conformément aux ordres de celui-ci, le capitaine Sérole organise le bois Dubois et le mamelon situé au nord-est en liaison avec
le 3ème RDP, protège l’artillerie, laisse une compagnie à Hallencourt pour en assurer la défense au nord.
Mais l’attaque ennemie, qui au jour a franchi la Somme, a progressé en débordant successivement les points d’appui du 3ème RDP. La
menace principale est prononcée à l’ouest du front, en direction de la crête située entre Bellifontaine et le bois Dubois, dans lequel il y a une
batterie de 75mm motorisée…
L’ennemi s’infiltre en direction du bois Dubois.
A 09H30, le mouvement prescrit par le
commandant du 3ème bataillon est amorcé
mais il est suspendu car l’attaque ennemie se
montre plus dangereuse au centre.
Il est à signaler que la 2ème DLC ne dispose que
du 3ème RDP et d’un régiment de chars et
d’automitrailleuses, ces deux régiments étant
déjà fortement réduits. Sa brigade de cavalerie
est à 40 ou 50 km à l’ouest, en réserve de corps
d’armée.
Conformément à de nouveaux ordres du
commandant du 3ème RDP, le commandant du
Oisemont
3ème bataillon porte la 11ème Cie au bois Dubois
avec la mission antérieure du bataillon, le
groupe de 75mm motorisé ayant mis ses
canons hors d’usage et s’étant replié, la
9ème Cie à Sorel-en-Vimeu en liaison par les
feux avec la 11ème Cie et avec la 10ème Cie
portée à Wanel. Les compagnies doivent
constituer des points d’appui antichars et
« résister sans esprit de recul ». A 10H00, le
mouvement est en cours. Sont laissées à
Hallencourt : la section de commandement du
bataillon, la section de commandement de la
CAB.3, une section de mitrailleuses et les
mortiers.
A 11H00, tous les officiers des 9ème et 10ème Cies, qui se trouvent, excepté le lieutenant Cuenot, à Wanel au PC du bataillon du 3ème RDP
pour y prendre des ordres, sont tués ou blessés par un obus qui détruit le PC. Le capitaine Sérole, commandant le 3ème bataillon, qui n’a
reçu l’ordre de s’y rendre qu’à 11H00, n’y arrive heureusement qu’à 11H30.
A 11H30, le chef de corps reçoit l’ordre signé du général Ihler, commandant le 9ème corps
ème
ème
ème
ème
Le 9
CA est composé des 40
et 31
DI, de la 51
d’armée (9ème CA) de se mettre avec tout son régiment à la disposition du général
ème
ème
division écossaise, des 2 et 5 DLC et du 22ème RIC.
commandant la 2ème DLC. Il se rend aussitôt au château de Mérélessart, où se trouvent les
généraux Berniquet et Gasquet, pour y prendre leurs instructions. A 12H00, en exécution de leurs ordres verbaux, il prescrit au :
- 2ème bataillon (chef de bataillon Lacroix) de porter une compagnie au bois Renaud, (5ème Cie), deux sections de FV à Wiry-auMont (6ème Cie), le PC du bataillon et une compagnie et demie (7ème et 6ème Cie) à Allery. Tous ces éléments devront organiser la
défense en réduits fermés ;
- 1er bataillon (capitaine Gavouyère) de se tenir prêt à faire mouvement, mais en attendant de concourir à la défense d’Hallencourt
où se trouve le PC du 3ème RDP.
A 11H45, le PC du régiment fonctionne effectivement au château de Mérélessart où viennent s’installer la CDT, et les éléments non
employés de la CRE.
Peu après, les trois points d’appui du 3ème bataillon : Sorel en Vimeu, Wanel et bois Dubois sont attaqués par les chars ennemis. A 16H00,
Wanel est encerclé, les motocyclistes du 3ème RDP qui cherchent à percer vers le sud sont décimés. A 16H30, Wanel est pris. Seuls restent du
3ème bataillon dans Wanel le capitaine Sérole, le médecin-lieutenant Grener, l’adjudant-chef Le Thomas et l’équivalent d’une section ; ils
harcèlent les colonnes ennemies à partir des haies situées au nord-ouest du village. A 19H00, un avion les repère et bientôt des éléments de
chars et d’infanterie les font prisonniers, à l’exception du capitaine Sérole qui s’est dissimulé. Profitant de la nuit, le capitaine Sérole
franchira les lignes ennemies et rejoindra le PC du régiment le lendemain matin à 08H00. Du bois Dubois, quelques hommes commandés
par le lieutenant Leraitre se replient sur Hallencourt. Ces quelques éléments restants du 3ème bataillon sont répartis entre les 1er et
2ème bataillons.
A 17H00, le capitaine Gavouyère, commandant le 1er bataillon, est prévenu par le commandant du 3ème RDP du repli de ce régiment. Il lui
confie la défense du village d’Hallencourt.
A 18H00, le commandant de la 2ème DLC prescrit au lieutenant-colonel Le Tacon de replier sur Woirel le 1er bataillon qui se trouve en
flèche. Cet ordre commence à être exécuté à 19H00. Le décrochage s’effectue dans l’ordre 1ère, 2ème et 3ème Cie. Le 1er bataillon occupe le
village et le château de Woirel qui sont mis en état de défense. Au cours du repli le commandant de la CAB 3, Le lieutenant Fornbacher, est
tué.
Vers la même heure, ordre est donné à la 5ème Cie de se replier du bois Renaud sur Wiry-au-Mont, où elle se groupe avec les deux sections de
la 6ème Cie qui s’y trouvent déjà. La défense est organisée sur la voie ferrée et sur la route d’Oisemont à Allery. A 18H00, les éléments
d’Allery, la 7ème Cie, deux sections de la 6ème Cie et quelques automitrailleuses de reconnaissance (AMR) sont fortement attaqués par des
chars et des automitrailleuses. Le gros des colonnes blindées ennemies s’écoule vers la droite.
A 21H00, l’ordre est envoyé au commandant du 2ème bataillon, dont le PC se trouve à Allery, de se replier avec ses éléments sur le bois de
Cambos, mais en fin de nuit, le bataillon occupe le bois de Woiry et n’atteint le bois de Cambos que le lendemain vers 11H00.
Au cours de la journée du 5 juin, le PC du régiment fonctionne de 19H00 à 22H00 au château de Woirel, puis ensuite à Vergies.
Au cours de cette journée, le 3ème bataillon a été presque complètement détruit et les pertes du 1er bataillon et du 2ème bataillon ont été
nombreuses. Les pertes en officiers sont les suivantes
- tués : 3, lieutenants Monnier (7ème Cie), Fornbacher (CAB 3) et Daviet (9ème Cie),
- blessés : 4, capitaine Maurandi (7ème Cie), lieutenants Laurenti et Fabre (10ème Cie), Rosa (11ème Cie),
- disparus : 2, lieutenant Jacquot (11ème Cie), sous-lieutenant Cuenot (9ème Cie).
La nuit du 5 au 6 juin se passe sans incident sérieux.
Le 6 juin, à 06H00, le chef de corps prescrit au commandant du 1er bataillon d’assurer le commandement de tous les éléments de Woirel et
Wiry-au-Mont.
Dans la matinée, la brigade de cavalerie de la 2ème DLC peut enfin
intervenir. Elle occupe Vergies et des positions plus au sud.
A 10H00, le chef de corps reçoit l’ordre de porter ses deux bataillons
sur Fontaine-le-Sec et le bois de Bienflos. Le mouvement commence
vers 11H00. Le 1er bataillon se porte sur Fontaine-le-sec, le 2ème sur le
bois de Bienflos où le rejoignent la 5ème Cie et les deux sections de la
6ème Cie venues de Wiry-au-Mont. Le 2ème bataillon est regroupé. Dès
l’arrivée sur leurs positions, les deux bataillons s’organisent en
réduits fermés.
A 11H00, le PC du régiment est à Aumâtre, à 5 km à l’ouest de
Vergies.
Vers 13H30, les deux bataillons sont fortement attaqués, mais
résistent avec succès. Peu après, le bombardement reprend et on
enregistre de nombreuses pertes.
Au bois de Bienflos, où le bombardement est particulièrement
intense, le chef de bataillon Lacroix est blessé, le lieutenant Roybon,
commandant la 6ème Cie, fortement commotionné. Le lieutenant
Chabaud qui reste l’unique officier de la 6ème Cie est blessé à son
tour. Aussi, à 17H30, se produit un reflux de cette compagnie dont
les emplacements sont immédiatement occupés par l’ennemi ce qui entraîne le capitaine André, adjudant-major, qui a pris le
commandement du bataillon, à donner l’ordre de repli. Averti, le chef de corps envoie immédiatement au bois de Bienflos le commandant
Joanne, le capitaine Bourgeon et le lieutenant Chabot de l’état-major ainsi que les lieutenants Sigallon et Marquet, le sous-lieutenant
Fabre de la CDT et tous les éléments disponibles de la CDT et de la CRE. Il ne conserve à sa disposition que le lieutenant Poulain. Le
commandant Joanne a pour mission de récupérer tous les éléments du 2ème bataillon et, avec ceux-ci renforcés des éléments de la CDT et de
la CRE, de contre-attaquer l’ennemi et de reprendre les positions du bois de Bienflos. Lorsqu’il arrive, d’une part le bois est déjà très
fortement tenu, d’autre part notre artillerie l’arrose copieusement en entier. Il doit donc se limiter à établir une ligne près de la lisière du
bois et interdire à l’ennemi d’en déboucher. Il tient cette position jusqu’à 23H30, heure à laquelle il reçoit l’ordre de repli.
Le 1er bataillon qui, vers 19H00, a subi un nouvel assaut, tient toujours Fontaine-le-Sec. Il doit déclencher plusieurs contre-attaques pour
maintenir ses positions. C’est au cours de ces actions que sont blessés le capitaine Martin, commandant la 1ère Cie, les lieutenants Daveaux,
commandant la 2ème Cie, Battestini de la CRE et le sous-lieutenant Gaude de la CRE.
A 22H00, ordre est donné au régiment de se replier sur Bernapré et Mesnil-Eudin où il devra s’installer en tête de pont dès son arrivée. Cet
ordre est envoyé d’urgence aux deux bataillons et le mouvement commence dès 24H00.
Cependant, la 3ème Cie (lieutenant Vaudrey), sur un ordre mal compris ou mal transmis, reste sur
ses positions. Elle est encerclée et faite prisonnière au cours de la nuit.
Durant la journée, le régiment a perdu :
- officiers : blessés : 12, capitaine Bourgeon et lieutenant Chabaud de l’état-major du
régiment, lieutenant Battestini et sous-lieutenant Gaude de la CRE, le capitaine Martin
(1ère Cie), lieutenant Daveaux (2ème Cie), chef de bataillon Lacroix (2ème Bton), lieutenant
Mitaux (5ème Cie) non évacué, lieutenant Chabaud (6ème Cie), lieutenant Girard (7ème Cie),
lieutenant Boyron (6ème Cie) commotionné et non évacué, lieutenant Faivre (CAB 3),
disparus : 4, lieutenants Vaudrey (3ème Cie), Duval (CAB 2), Laugier (CAB 1), Magne
(EM 1er Bton),
- Sous-officiers, caporaux et soldats : le nombre exact de tués, blessés et disparus ne peut être
déterminé mais les pertes sont très sévères.
Le 7 juin, vers 04H00, les éléments qui constituent encore le 22ème RIC, qui, depuis deux jours et
deux nuits, marchent et combattent sans arrêt, arrivent sur les nouvelles positions. Le
1er bataillon occupe Bernapré, le 2ème bataillon Mesnil-Eudin.
ème
ème
La 40 division d’infanterie (40 DI), couverte par le 22ème RIC et la 2ème DLC, occupe les passages du Liger.
Le commandant Joanne qui, la veille, avait pris le commandement du 2ème bataillon reprend sa place auprès du chef de corps. Il est
remplacé à la tête de ce bataillon par le capitaine Sérole.
Le PC du régiment s’installe sur les hauteurs sud-ouest de Sénarpont.
Les hommes et les cadres épuisés s’endorment l’arme ou l’outil à la main. Il faut sans cesse les réveiller.
La matinée est relativement calme, mais, dans l’après-midi, l’infanterie ennemie attaque les deux points d’appui. Sans succès, les deux
bataillons résistent jusqu’au soir.
Dans l’après-midi, le chef de corps rend compte de l’état d’épuisement du régiment et demande son envoi dans une zone où il serait possible
de le reconstituer et de le réorganiser. L’effectif est réduit à environ quinze officiers et cinq à six cents sous-officiers, caporaux et hommes de
troupe combattants. L’armement a beaucoup souffert. Les munitions sont incomplètes. Aucune réponse n’est faite à cette demande.
A 20H00, ordre est donné de se replier sur les bois de Neuville-Coppegueule. Parviennent en même temps l’annonce du départ de la
ème
2ème DLC et celle de la mise du régiment à la disposition de la 40ème DI. Les 1er et 2ème bataillons quittent
La 40
DI est composée de bataillons
à la nuit leurs positions pour venir bivouaquer dans les bois de Neuville-Coppegueule. Le PC du
de chasseurs alpins et de bataillons de
chasseurs à pied revenant de Norvège.
régiment s’installe au village. Dès son arrivée, le lieutenant-colonel Le Tacon envoie le lieutenant
Poulain, officier de liaison, prendre les instructions du général commandant la 40ème DI. Il les rapportera le 8 juin vers 04H00.
Au cours de la journée du 7 juin, de nombreux sous-officiers et soldats ont été tués ou blessés.
Le 8 juin, les ordres du général commandant la 40ème DI sont complétés par le colonel commandant l’infanterie divisionnaire de la
40ème DI (ID 40) dont le PC se trouve à Neuville-Coppegueule. En conséquence, à 08H00, le chef
de corps prescrit aux commandants des deux bataillons d’aller tenir les passages de la Bresle : le
1er bataillon de Saint-Léger-sur-Bresle à Vieux-Rouen-sur-Bresle, le 2ème bataillon de Saint-Légersur-Bresle à Guimerville. Le PC du régiment s’installe à Campneuseville. Vers la fin de la
matinée, les bataillons sont sur leurs positions, les destructions prévues sont préparées et en
partie mises en œuvre. Au cours de la journée, le régiment qui est en deuxième position n’est pas
inquiété.
A 20H00, le régiment reçoit
Sous la conduite du lieutenant Boëry, officier dépanneur, le train auto franchira la
l’ordre de la 40ème DI de se
Seine, échappera aux Allemands et parviendra fin juin à Montauban. Le drapeau du
replier sur les bois situés à
régiment porté par le lieutenant Bérard sera ainsi sauvé.
l’ouest de Londinières et de
diriger son train auto sur Evreux. Le déplacement est pénible, l’étape est d’environ 25 à 30 km, les
hommes sont exténués.
Le 9 juin, vers 08H00, le bois de Croixdalle est atteint. Le régiment y stationne toute la journée.
Il est constamment survolé par l’aviation ennemie mais il ne subit aucune perte. Cadres et
hommes peuvent se reposer un peu, mais aucun ravitaillement ne parvient.
A 18H00, ordre est donné de se replier
sur la zone de Notre-Dame du Parc. A
20H00, le déplacement commence. La
route embouteillée par les convois de
réfugiés et de troupes ne permet aux
bataillons d’atteindre leurs emplacements que vers 08H00 le lendemain.
Le 10 juin, (L’Italie nous déclare la guerre), les bataillons s’organisent défensivement autour du PC de la 40ème DI. A 11H00, le train
hippomobile est dirigé sur Doudeville qu’il n’atteindra pas. Il sera encerclé et capturé dans l’après-midi. A 12H00, le général commandant
la 40ème DI prescrit de se replier par échelons successifs sur Doudeville. Le mouvement s’opère à partir de 14H00. A 20H00, les bataillons
sont arrêtés sur la coupure d’Auzouville-sur-Saâne d’où la CDT n’a pu déloger l’ennemi. Le chef de corps veut rendre compte de la situation
au général commandant la 40ème DI, mais il ne peut pas le trouver. Aucune
Cet ordre résulte de celui donné par le général Ihler, étant donné la
liaison, ni à droite, ni à gauche. Il prescrit alors aux deux bataillons de déborder
ème
division de Panzers remontant de Rouen en
menace que la 5
er
ème
le village, le 1 bataillon par le nord, le 2
bataillon par le sud, et, avec les
direction de Dieppe fait peser sur le flanc de nos troupes en retraite,
artilleurs disponibles armés de mousquetons, il tente de passer par le centre. Le
de poursuivre sans délai le mouvement en direction du Havre.
passage est ouvert, l’artillerie, le PC et la CDT passent. Après Auzouville-surSaâne, l’itinéraire doit être changé : l’ennemi a coupé la route vers Doudeville et un combat de nuit est peu désirable avec un si long et si
lourd convoi. Après avoir regroupé le régiment au premier village après Auzouville-sur-Saâne, le lieutenant-colonel Le Tacon dirige alors
la colonne éclairée par les motocyclistes vers le nord et la conduit au jour à Brametot, après avoir traversé Biville.
Le 11 juin, à Brametot, l’artillerie nous quitte pour se diriger
vers Veules-les-Roses. La situation de l’ennemi, l’emplacement
des troupes amies, tout cela nous est inconnu. Le chef de corps
arrête le régiment et se rend à Veules-les-Roses distant de
quelques kilomètres. Il y trouve le général Ihler, commandant le
9ème CA qui lui fait des éloges sur le régiment et lui demande de
s’installer sur la coupure de Fontaine-le-Dun. Le lieutenantcolonel Le Tacon ne dispose pas d’autre carte que de la carte
Michelin. La route est encombrée de camions, de convois et de
troupes de fuyards. Le régiment, remis en route, est arrêté à 6
km de Veules-les-Roses, où il s’installe sur un plateau offrant
des vues et des champs de tir magnifiques, à cheval sur la
grande route Fontaine-le-Dun à Veules-les-Roses. Vers 12H00,
Le lieutenant-colonel Le Tacon tente d’en rendre compte au
général commandant le 9ème CA, mais la route est complètement
obstruée et la circulation est impossible. De 10H00 à 13H00, les
bataillons organisent leurs positions. Les hommes qui ont
marché sans interruption pendant quarante heures sont à bout
de forces. Néanmoins, des abris individuels et des
emplacements d’armes sont creusés. Les Anglais se sont
installés entre 300 et 400 m en arrière de nous. Le PC du
régiment est installé dans une ferme à 500 m en arrière des
bataillons.
A 15H00, un violent tir d’artillerie s’effectue sur nos positions et
sur les positions anglaises … Nous subissons de nombreuses
pertes. L’attaque ennemie comprenant plus de 100 chars se dirige sur Veules-les-Roses par notre gauche et nous restons jusqu’à la nuit sur
nos positions. A 21H00, le chef de corps, estimant qu’il n’a aucune liaison , ni à droite ni à gauche, ni avec la DI, estimant par ailleurs qu’il
ne fait plus face à l’ennemi, prescrit un repli d’environ 1500 m et vient se placer à la lisière d’un village face à l’est. De renseignements
reçus par le commandant du 1er bataillon, il ressort que la 24ème demi-brigade s’est repliée sur Saint-Valery en Caux en vue d’un
embarquement. Le chef de corps esquisse un repli sur ce petit port, mais l’officier de liaison envoyé à Saint-Valery en Caux n’ayant pu
obtenir d’instruction, il fait réoccuper les positions de la soirée.
Au cours de la journée de nombreux sous-officiers et hommes de troupe ont été tués ou blessés. Deux officiers ont été tués : les lieutenants
Marquet et Leraitre, trois ont été blessés : les lieutenants Thirard et Grandjon, le sous-lieutenant Fabre (non évacué). A également été blessé
le capitaine Montoy du 53ème RICMS.
Le 12 juin, la nuit se passe sans incident. Au jour, la liaison est recherchée, mais nous sommes seuls. Le chef de corps prescrit alors le
repli par échelon sur Saint-Valery en Caux où il se rend rapidement. Il trouve un PC où un général lui fait connaître que l’ordre de capituA Manneville-ès-Plains, Le 12 juin 1940. Ferme où se déroulèrent les derniers combats du 22ème RIC
Saint-Valery–en-Caux
et
Ferme de Manneville-èsPlains.
Plan de situation.
⊳ Ferme cauchoise (dans un
enclos entouré d’un talus
planté d’arbres).
B : bâtiment où se tenait le LC
Le Tacon.
C : bâtiment où étaient les
blessés.
D : bâtiment d’ù le SL Benon
vint aider le Sgt Papadacci.
A Maison d’habitation
B Bâtiment où se tenait le LC Le Tacon
C Bâtiment où se trouvaient les blessés.
D Bâtiment (ultérieurement incendié) d’où le SL Benon vint aider
le Sgt Papadacci
ler a été demandé et que cet ordre ne saurait tarder. Il revient alors au régiment et l’arrête au village de Manneville-ès-Plains que
traversent des troupes françaises et des troupes anglaises sans armes et sans équipements. Le
régiment est à peine arrêté qu’une attaque de chars est signalée. La ferme située au sud de
Manneville-ès-Plains est rapidement organisée, les canons de 25 mm, les mitrailleuses et les FM
sont rapidement mis en batterie. Le régiment tient là jusqu’à 12H15, malgré les chars
ennemis qui se sont embossés derrière les levées de terre boisées autour de la ferme et qui tirent
sur tout ce qui se montre et canonnent les bâtiments de la ferme. L’étable dans laquelle le PC est
installé est traversée par 9 obus de chars.
A 12H15, les commandants des bataillons viennent rendre compte que les munitions sont
épuisées et qu’il ne reste plus que quelques cartouches de mitrailleuse. Le lieutenant-colonel
Le Tacon décide alors de cesser le feu pour éviter la destruction de ce qui reste du 22ème RIC.
Mais, il n’a pas besoin de donner cet ordre : à ce moment, la ferme est occupée par l’ennemi et
officiers et hommes de troupe sont faits prisonniers. Le sous-lieutenant Benon est blessé et une trentaine de sous-officiers et d’hommes de
troupe sont tués ou blessés.
Le régiment ne compte plus que 250 à 300 sous-officiers, caporaux et hommes de troupe et 16 officiers :
-
le lieutenant-colonel Le Tacon, commandant le régiment,
état-major du régiment : chef de bataillon Joanne et lieutenant Poulain,
CDT : lieutenant Sigallon et sous-lieutenant Fabre,
CRE : lieutenant Lacroix,
A la mobilisation, le régiment comptait : 83 officiers, 337 sous-officiers
et 2671 caporaux et hommes de troupe. Total=3091.
- CHR : lieutenant Lecat et pharmacien-lieutenant Valladier,
- 1er Bton : capitaine Gavouyère, médecin-lieutenant Hautin, lieutenant Franco,
- 2ème Bton : capitaines Sérole et André, médecin-capitaine Comte, lieutenants Miteaux-Maurouard et Roybon.
L’ordre suivant qui intéressait la 51ème division britannique, les 30ème et 40ème DI et les 2ème et 5ème DLC avait été envoyé à 08H00 par le
général Ihler, commandant le 9ème CA :
« 9ème CA – 12 juin 40 – Le feu cessera sur toute la ligne à partir de 08H00. –
Signé : Ihler ».
Ainsi finit le 22ème RIC qui depuis le 28 mai combat presque sans trêve.
Projet d’ordre de régiment N° … rédigé par le lieutenant-colonel Le Tacon.
« Au cours des combats offensifs menés victorieusement durant la période du 28 mai au 2 juin 1940 et au cours des combats
en retraite qui se sont déroulés presque sans trêve du 5 au 12 juin 1940, le régiment a donné toute sa mesure. Prêté
successivement aux : 4ème division cuirassée, 51ème division britannique, 2ème division légère de cavalerie, 40 division
d’infanterie, il a été employé jusqu’à l’extrême limite de ses moyens et de ses forces, accomplissant toujours avec succès les
tâches, même les plus ingrates, qui lui étaient confiées.
Aussi lorsque le 12 juin 1940, à 12H45, il a dû cesser le feu alors que l’ordre en était fixé à 08H00, c’est parce qu’il avait
épuisé ses munitions et qu’il ne pouvait lutter avec ses quelques mitrailleuses en l’état et avec ses quelques fusils contre les
chars tenus en échec pendant deux heures. Il ne comptait plus à ce moment que 13 officiers et 250 à 300 sous-officiers et
soldats en état de combattre.
Tous ceux qui ont pris part à ces combats se sont montrés les dignes successeurs des héros de Beauséjour. Leur chef est fier
d’avoir commandé depuis la mobilisation un tel régiment qui a, par sa brillante conduite, son esprit de sacrifice et
d’abnégation, ajouté de nouvelles pages de gloire à celles déjà nombreuses du 22ème RIC. Le colonel adresse à tous ses plus
sincères et plus affectueuses félicitations. Il demande à ceux qui restent de conserver pieusement le souvenir des héros
tombés sur le champ de bataille, de porter aide à leurs familles, de se porter pendant la paix, comme ils l’ont fait pendant la
guerre, un appui fraternel. Il leur demande aussi de garder intact l’esprit qui animait ce magnifique régiment que chacun
appelait avec tant de fierté : “Mon beau 22ème RIC”. »
Camp de Kreuzburg Oflag VIII en Silésie, le 17 août 1940
Signé : « Le Tacon »
Colonel (ER) Philippe Blanchet (22/02/2015)
Récits, souvenirs et témoignages
________________________
Compte rendu du médecin-lieutenant Roger Gheiner
_________________________________
Les événements relatés ci-après du médecin-lieutenant Roger Gheiner[ou Grener ?], (transmis par M. Henri de Wailly que nous remercions très vivement) se situent le 5 juin 1940, célèbre jour
de l’attaque des Panzerdivisionen sur la Somme. Il existe quelques différences bien compréhensibles entre le JMO du régiment ce texte : l’acteur considérant et appréciant bien entendu
subjectivement les faits à son niveau. La rédaction du médecin-lieutenant Roger Gheiner a été respectée.
Le médecin-lieutenant Gheiner Roger, élève de l’Ecole d'Application du Service de Santé des Troupes Coloniales, au Général d'Armée Commandant en
chef des Forces terrestres,
Ministre-Secrétaire d'État à la Guerre. (Direction des Troupes Coloniales)
Royat
(S/C du Médecin-Colonel, Directeur de l'Ecole d'Application du Service de Santé des Troupes Coloniales)
Le 5 juin 1940, le 3° Bataillon du 22° R.I.C., dont
j'étais le médecin, se trouvait à Hallencourt
(Somme).
Le Bataillon qui avait été engagé en situation
offensive du 28 mai eu 3 juin (dans l'opération de la
réduction de la tête de Pont d'Abbeville) avait déjà
perdu (en tués, blessés, disparus) environ la moitié
de son effectif et 8 officiers dont le Chef de
Bataillon Jacoby (mortellement blessé à l'ennemi le
31 mai) et mon médecin-sous-lieutenant (blessé le
28 mai).
Nous nous trouvions à Hallencourt depuis le 4
juin au matin, en seconde ligne, séparés de la
Somme par des éléments du 3° R.D.P.
Le Bataillon devait être relevé et l'ordre avait
été donné de préparer le départ.
Le 5 juin 1940 vers 8h, le Capitaine Sérole,
commandant le Bataillon, reçut l'ordre de placer
2 compagnies à la disposition du Commandant du 3° Bataillon du 3e R.D.P. En effet, celui-ci signalait que l'ennemi constituait une tête de
pont avec des éléments légers à Liercourt.
La 10° Compagnie du 3° Bataillon du 22° R.I.C. rejoignit Wanel (2 km Est d'Hallencourt), la 9° compagnie se mit en place à Sorel (1
km 500 N. Est [Nord] de Wanel) sur la route d'Abbeville à Poix [de Picardie].)
J'avais mis respectivement une équipe de brancardiers à la disposition de chacune de ces2 compagnies' mais j'étais resté
personnellement à mon P.S. d’Hallencourt où l'on s'attendait à une attaque de parachutistes tombés nombreux dans la matinée.
A 9h, j'appris simultanément que les lieutenants Daviet et Laurenti qui commandaient la 9° et la 10° compagnie étaient grièvement
blessés et que d'autre part, il existait un médecin du 3° R.D.P. dans une cave d' Hallencourt.
Je partis pour Wanel en bicyclette avec un infirmier. Là-bas, je trouvais le P.S. du médecin Lieutenant Dupont du 3° Bataillon du 3°
R.D.P. Le médecin assisté de son médecin auxiliaire s'occupait déjà de mes camarades. N'ayant aucun moyen d'évacuation à ma
disposition et par ailleurs le service dans les PS. étant assuré par les médecins du 3° R.D.P. (qui eux disposaient de voitures automobiles)
je considérais que mon devoir se simplifiait et que je n'avais qu’à collaborer avec eux en particulier en assurant moi-même la relève des
blessés sur la ligne de feu.
A 10h, la Capitaine Sérole, commandant le Bataillon me demanda le service de rétablir la liaison avec la 5e Compagnie. Je partis en
bicyclette Sorel avec mon infirmier. Après avoir remis un pli à l'Adjudant-chef qui commandait cette compagnie et aiguillé blessés et
brancardiers vers le P.S. de Wanel, nous revînmes en utilisant la grande route d'Abbeville à Poix.
Nous fûmes. pris à partie par un violent tir de mitrailleuses qui provenait de chars allemands, lesquels cheminaient sur une crête
Nord-Sud entre … ( ?)
De retour à Wanel, à 11 heures, je ne manquais pas de rendre compte au Commandant du 3° Bataillon du 3° B.D.P. que 8 chars
ennemis s'avançaient sur la crête en question. Cet officier supérieur ne se trouvait d'ailleurs plus en liaison avec le Colonel commandent
le 3° R.D.P.
A 14h, mon camarade Dupont du 3° R.D.P. et moi nous pûmes faire partir la dernière voiture sanitaire chargée de blessés. Lui-même
ayant le projet de se replier avec son matériel, je me séparai de lui pour aller rejoindre le Capitaine Sérole qui avait pris le
commandement des derniers éléments combattants de la I0° compagnie dans un boqueteau au Nord de l’église de Wanel.
A 14h30, nous fûmes débordés à l'est (il n'y avait pas de vue à l’ouest) par
La décision du capitaine Sérole fut heureuse : à Airaines la bataille
environ 60 chars ennemis.
ème
faisait rage. Le 53 régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais
A 15h, il en vint d'autres au sud ; nous étions complètement encerclés. Puis les
ème
(53 RICMS) y résistait opiniâtrement. Il y fut décimé.
chars s’arrêtèrent sur leurs positions.
Sa résistance fut soulignée par le général Rommel lui-même qui
Je proposai alors au Capitaine Sérole (étant donné que nous n'étions plus qu'une
rendit hommage aux « troupes noires » qui s’y battirent contre sa
division.
trentaine d'hommes valides, armés de 2 F.M. presque sans munitions) de nous
Plus généralement, les journaux de marche des unités allemandes
replier par petits groupes de 2 ou 3 hommes, qui pouvaient cheminer dans
notèrent que le 5 et le 6 juin leur offensive avait piétiné et que les
l'intervalle des chars, en direction du sud pour nous regrouper à Airaines.
Français s’étaient défendus avec habileté.
ème
Le Capitaine ne fut pas favorable à cette manière de voir, estimant que les
Il convient de rappeler que des éléments mutés du 22
RIC au
ème
hommes se perdraient ainsi « nous attendrons tous la nuit, puis nous nous
cours de l’hiver 1940 appartenaient au 53 RICMS.
replierons ensemble » fut son ordre.
A ce moment, comme il n'y avait parmi nous aucun blessé et que, d'autre part, je n'aurais aucun moyen de les secourir, je demandai au
Capitaine Sérole l'autorisation de partir tout seul ; (j'avais l'intention de me mettre en civil à Wanel et de rejoindre le régiment à
bicyclette) Le Capitaine Sérole ne me répondit pas.
Estimant alors que mon départ eut atteint le moral des hommes et que, d'autre part, il était mieux de partager le sort des plus
exposés, je me décidai à rester.
A 20h30 nous fûmes encerclées par une nombreuse infanterie amenée dans Wanel en camions. Notre résistance fut rapidement vaine.
Le Capitaine Sérole monta sur un talus couronné d'une haie; je le suivis, mais ne pus m'y coucher, faute de place. C'est ainsi que je fus
aperçu par l'ennemi et fait prisonnier. Le Capitaine Sérole, complètement allongé dans le buisson passa inaperçu.
L'officier allemand demanda qui nous commandait ; n'ayant jamais porté de brassard "Croix Rouge" et ayant des écussons
méconnaissables, il me fut facile de prétendre que c'était moi ; ce qui me permit de sauver le Capitaine Sérole qui échappa ainsi à des
recherches ultérieures. Malheureusement, il fut fait prisonnier le 12 juin 1940 à St Valery-en-Caux. Moi-même, je n'ai fait valoir que plus
tard mon état de médecin sanitaire.
Sont témoins des circonstances dans lesquelles j'ai été fait prisonnier :
− Le Capitaine Sérole
)
− L’Adjudant-chef le Thomas
) du III/22° R.I.C
− Le Sergent Boucamielle
)
− et ultérieurement le Lieutenant Jacquot.
Vu et transmis par le Médecin-Colonel Peltier.
Le 1er bataillon dans le calvaire de la retraite du 22ème RIC
_______________________________
Le 5 juin, le 1er bataillon qui sera ce jour-là, le moins exposé, est chargé d’assurer, face au nord, la défense du village d’Hallencourt où se
trouve le PC du 3ème RDP qui tient le secteur. Je me trouve avec ma section de mitrailleuses à l’entrée du village contrôlant les deux
routes qui mènent l’une à Sorel, l’autre à Wanel où, toute la journée les combats font rage. C’est dans l’attente et l’inaction que l’angoisse
est la plus grande. A l’écoute de la canonnade et des tirs d’armes automatiques tout proches, cette journée me semble interminable.
Vers 18H00, le bataillon reçoit l’ordre de se replier sur Woirel que nous atteignons à la nuit tombée. Effectuant une liaison au château de
Woirel où se trouvent le capitaine Gavouyère ainsi que le PC du colonel, je croise quatre hommes transportant dans une toile de tente le
corps du lieutenant Fornbacher, commandant la CAB 3, qui vient d’être tué d’une balle dans la tête. J’apprends, par ailleurs, qu’au cours
de la journée le 3ème bataillon a été complètement anéanti par les chars allemands. Seuls le capitaine Sérole et une trentaine d’hommes
pourront s’en sortir.
Le 6 juin au matin, ordre est donné au 1er bataillon de s’établir défensivement devant le village de Fontaine-le-Sec à quelques kilomètres
au sud de Woirel. Ma section de mitrailleuses se trouve dans un bois au nord du village, un groupe (deux mitrailleuses) contrôlant la
route de Fontaine-le-Sec à Woirel. Le bataillon est en liaison à gauche avec les Écossais de la 51ème division écossaise (51ème HD). Sur
notre droite, le 2ème bataillon occupe le bois de Bienflos en liaison avec les cuirassiers du 5ème Cuir de la 2ème DLC qui sont à Vergies.
La matinée est calme. Aux environs de midi un side-car allemand armé d’un FM apparaît au détour de la route, roulant à vive allure.
Une rafale de mitrailleuse l’envoie au fossé, ses deux occupants tués. Dans la demi-heure qui suit les Allemands sont au contact. Cela
tiraille de partout. Je me trouve avec la 2ème Cie que commande le lieutenant Daveaux. Face à nous, l’ennemi est contenu. Vers 16H30, le
lieutenant Daveaux enlève sa compagnie pour une contre-attaque. A peine s’est-il élancé pour entraîner ses hommes qu’il est atteint de
deux balles, l’une à l’épaule, l’autre qui saigne abondamment au cuir chevelu. Je lui propose de le faire accompagner au poste de secours.
Il refuse, estimant pouvoir s’y rendre seul.
En fin de journée, vers 20H00, le capitaine Gavouyère me donne l’ordre de me replier, le bataillon se regroupant à la sortie du village. Je
donne ordre au 1er groupe de mitrailleuses de tirer encore pendant 5mn, puis de me rejoindre au point de ralliement. Ensuite, je vais
prévenir le 2ème groupe qui se trouve à 150 m de là, en bordure de la route, avec lequel je rejoins le point de regroupement du bataillon.
Ce décrochage ne se passe pas bien : la 3ème Cie (lieutenant Vaudrey) ne rejoint pas, mon 1er groupe de mitrailleuses non plus.
Le 1er bataillon ne compte plus que 300 hommes environ, dont 3 officiers sur 18 : le capitaine Gavouyère, le lieutenant Franco et moimême. Le lieutenant Franco prend le commandement de la 1ère Cie, d’une section de mitrailleuses et de la section d’engins. Le capitaine
Gavouyère me donne le commandement de la 2ème Cie et du groupe de mitrailleuses restant de ma section.
Nous apprendrons plus tard que les 5 et 6 juin, en deux jours de combat, le régiment a perdu plus de 700 hommes dont 24 officiers
(3 tués, 14 blessés évacués et 7 portés disparus), soit davantage qu’au cours des quatre jours de contre-attaque sur Abbeville.
Ordre est donné au 1er bataillon de rejoindre Bernapré à 18 km de là, par Aumâtre et Lignières-en-Vimeu. Quant au 2ème bataillon, qui a
tenu toute la journée le bois de Bienflos, il doit rejoindre Mesnil-Eudin.
Cette retraite sent la défaite. Nous avons perdu beaucoup de nos camarades et nous faisons figure de rescapés. La marche de nuit
s’effectue à une allure d’escargot au milieu d’un flot de civils qui fuient l’avance allemande à pied, à bicyclette, emportant les objets les
plus hétéroclites entassés dans des charrettes, dans des brouettes et jusque dans des landaus. Ces gens sont partis de chez eux dans un
moment de panique sans savoir où ils vont. Parmi eux aussi quelques militaires isolés ou par petits groupes, certains armés, d’autres
non. Au milieu de cette cohue, nous avançons en colonne par trois sur la route que, fréquemment, nous devons dégager pour laisser
passer des convois d’artillerie ou des camions circulant tous feux éteints.
Le 7 juin, à 04H00, nous sommes sur nos nouvelles positions que nous aménageons aussitôt. Le PC du régiment est à Sénarpont sur la
Bresle. Avec la 2ème DLC, nous sommes en couverture de la 40ème DI qui tient la Bresle et son affluent le Liger qui se jette dans la Bresle
non loin de Sénarpont.
Dès le petit jour, les Allemands viennent tâter nos positions. La pression s’accentue de l’est vers l’ouest et au milieu de la matinée des
attaques en force se produisent sur notre droite vers Andainville. Mais la ligne de résistance tient bon et l’impression de ne pas avoir cédé
dans le combat rapproché nous redonne le moral. Cependant, vers 20H00, nous recevons l’ordre de nous regrouper dans le bois de
Neuville-Coppegueule, à 6 km plus au sud. Le décrochage est lent et difficile et ne s’effectue qu’à la nuit tombée.
Le 8 juin, dès 08H00, le colonel prescrit aux deux bataillons d’aller tenir les passages de la Bresle. Le 1er bataillon est responsable des
passages situés sur 4 km environ entre Saint-léger-sur-Bresle et Vieux-Rouen-sur-Bresle. Dans notre secteur, la matinée est assez calme.
Mais sur notre droite, où se trouvent les chasseurs de la 40ème DI, la bataille fait rage.
Vers midi, le capitaine Gavouyère me fait demander. Je le trouve, avec le lieutenant Franco, assis par terre autour d’une caisse renversée
en guise de table s’apprêtant à déjeuner. Son ordonnance Marcel Tempier, a découvert dans un vivier des truites qu’il a accommodées à
sa façon. Je suis invité à participer aux « agapes ». Jamais truites ne me parurent aussi délicieuses.
Même si sur la Bresle, la résistance est acharnée, les deux divisions allemandes qui ont percé sur la Somme à Airaines en direction
d’Aumale, ont depuis fait du chemin. Elles sont signalées approchant de la Seine. Dès lors, comme toutes les autres unités qui
combattent sur la Bresle, les nôtres sont menacées d’encerclement.
Vers 20H00, nous parvient l’ordre de nous replier jusqu’aux bois situés au sud-ouest de Londinières, ce qui représente une étape pour le
moins inattendue de 30 km.
En traversant de nuit ce qui devait être en temps de paix de charmantes bourgades, nous sommes saisis de visions d’apocalypse.
Foucarmont est en flammes et des maisons récemment bombardées s’écroulent dans des tourbillons de fumée au moment où nous
passons. A Londinières, des cadavres de civils gisent sur les trottoirs devant des maisons éventrées. Privés de ravitaillement depuis le
5 juin, les hommes y pénètrent pour remplir leurs musettes en faisant provision de pain, de boîtes de conserves et de cidre.
Cette longue marche de nuit au milieu d’une cohue de civils fuyant les bombardements est épuisante. A chaque pause horaire, les
hommes exténués de fatigue s’effondrent sur les bas-côtés de la route et sombrent immédiatement dans un profond sommeil d’où, au
moment de repartir, il faut les tirer en leur administrant de sérieuses bourrades. Comme des somnambules, ils se remettent debout et
dans un demi-sommeil reprennent leur marche, que vient interrompre le bruit d’un casque heurtant la gamelle réglementairement fixée
sur la face arrière du sac à dos de celui qui les précède, chaque fois qu’un ralentissement se produit dans la colonne. La marche est ainsi
ponctuée de fréquents bruits de casseroles suivis de jurons vite étouffés.
Le 9 juin, vers 08H00, les restes du régiment parviennent au bois de Croixdalle. Il y a onze heures que nous marchons et plus de vingtquatre heures que nous n’avons pas vraiment dormi. Nous pouvons enfin nous reposer. Dormir, manger avec ce que nous avons pu
chaparder en l’absence de tout ravitaillement organisé, c’est bien là le plus urgent. L’aviation ennemie fait de fréquents passages, mais
nous ne subissons aucune perte. Bien que sans nouvelles précises, chacun devine que la situation est des plus graves. Toutefois, nous
nous refusons à désespérer. D’abord, nous voulons récupérer, reprendre des forces, dormir, dormir encore … Mais, il n’en est déjà plus
question. A 17H00, l’ordre nous parvient de boucler nos sacs.
Chaque jour, pour permettre aux unités d’infanterie d’accomplir les longues étapes de marche vers le sud-ouest qui leur sont imposées,
les cavaliers, plus mobiles, ont pour mission de jouer les chiens de garde et de contenir l’ennemi sur notre flanc gauche. Travail obscur,
chaque jour recommencé, accompli avec courage et abnégation au cours d’affrontements meurtriers, comme en témoignent les tombes
jalonnant les itinéraires suivis par la 2ème DLC et par la 5ème DLC de Neufchâtel-en-Bray à Tôtes.
Dans la nuit du 9 au 10 juin, c’est encore une longue étape que nous devons accomplir dans les mêmes conditions épuisantes que la veille.
Partis du bois de Croixdalle à 18H00, ce n’est que le lendemain un peu avant 08H00 que nous arrivons à Notre-Dame du Parc.
Le 10 juin, aussitôt arrivés à Notre-Dame du Parc, nous creusons nos emplacements de tir et nos trous individuels, mais, vers 10H00,
nous parvient l’ordre de se tenir prêt à repartir. A 14H00, les restes du régiment, marchant de concert avec deux groupes de l’artillerie
divisionnaire de la 40ème DI, repartent en direction de Doudeville.
Vers 20H00, nous arrivons à proximité d’Auzouville-sur-Saâne où nous avons la surprise de tomber sur une unité allemande au bivouac.
Sans liaison ni à droite ni à gauche, le lieutenant-colonel Le Tacon décide de faire déborder le village par les bataillons tout en tentant de
forcer le passage au centre avec les artilleurs, la CDT et le PC. Le 1er bataillon doit déborder par le nord. L’ennemi réagit à peine. Seuls
quelques coups de feu sont échangés.
Seuls quelques coups de feu :
Après avoir regroupé le régiment au premier village après Auzouville-sur-Saâne,
« Sans doute parce que nos adversaires savaient que nous nous
ème
le lieutenant-colonel Le Tacon, considérant qu’il n’est plus question de continuer
enfoncions dans la nasse tendue par la 5
division de Panzers
ème
sur Doudeville, décide de marcher vers le nord en direction de Brametot et
remontant sur l’axe Tôtes-Dieppe et la 7 division de Panzers, celle
de Rommel, remontant sur l’axe Rouen-Fécamp avec, entre les deux,
Fontaine-le-Dun.
ème
la 2 division motorisée qui ratissait la plaine cauchoise et dont les
Au moment de partir, le capitaine Gavouyère me donne l’ordre de rester sur place
éléments avancés étaient déjà arrivés à Thiédeville et à Auzouvilleavec mon groupe de mitrailleuses et d’établir un bouchon à l’entrée du village pour
sur-Saâne. C’étaient ces derniers que nous venions de rencontrer ».
le cas où l’ennemi se lancerait à notre poursuite. Il est 22H30, ordre m’est donné
de rester jusqu’à minuit. Le plus dur va être de maintenir éveillés des hommes exténués qui marchent depuis le début de l’après-midi
après une nuit sans sommeil. Deux dégourdis réussissent à entrer par effraction dans une maison proche abandonnée par ses occupants
et à faire du café à profusion, lequel est le bienvenu. La deuxième question que je me pose est de savoir comment, dans cette nuit noire, je
vais pouvoir distinguer amis et ennemis. Mais, curieusement après les routes encombrées que nous avons connues tous ces jours-ci, ce
soir-là, cette route que nous avons à surveiller durant une heure et demie demeure déserte. A minuit, nous plions bagages. Nous
rejoignons le régiment le lendemain vers 06H00. En me voyant arriver, le lieutenant Franco m’accueille chaleureusement, m’avouant
qu’il avait eu peur de ne jamais me revoir
Le 11 juin, le régiment est en stationnement à Saint-Pierre-le-Vigier dans l’attente des ordres que le lieutenant-colonel Le Tacon est allé
chercher auprès du général Ihler à Veules-les-Roses, à 12 km de là.
A son retour, il nous précise que le 22ème RIC doit participer à la défense de Veules-les-Roses, en s’installant sur le plateau à l’est de
Silleron qui va en s’écoulant en pente douce vers la vallée où s’écoule le Dun, à proximité de la route de Fontaine-le-Dun à Veules-lesRoses. L’ordre est de tenir sur place.
Ce n’est que plusieurs années plus tard que j’apprendrai que la route de repli vers Le Havre étant coupée par la 7ème division de Panzers
remontant de Rouen, le général Ihler a donné l’ordre de suspendre tout repli dans cette direction et d’organiser autour de Saint-Valery en
Caux et Veules-les-Roses une tête de pont pour couvrir un embarquement au port de Saint-Valery en Caux de la moitié de l’effectif du
corps d’armée. En fait, 4000 hommes seulement embarqueront. Le 22ème RIC n’étant pas prévu dans les troupes à embarquer, le
lieutenant-colonel Le Tacon ne nous a pas informés.
Nous nous installons sur un plateau entièrement dénudé au milieu des Écossais de la 51ème HD qui occupent déjà le terrain de façon très
clairsemée. Malgré la fatigue accumulée après quarante heures sans sommeil, nous reprenons la pelle et la pioche pour creuser dans un
sol sablonneux nos emplacements de tirs pour les armes automatiques et nos trous individuels. A Saint-Pierre-le-Vigier, Houdetot,
Angiens et Silleron, villages voisins, se trouvent les chasseurs de la 40ème DI. Des éléments de la 2ème DLC sont sur notre gauche couvrant
Veules-les-Roses face à l’est. Derrière nous l’artillerie de la 40ème DI est en position.
La matinée et le début de l’après-midi sont calmes. Puis, brusquement, un violent tir d’artillerie se déclenche. Recroquevillés au fond de
nos trous, nous attendons que l’orage passe. Un moment d’accalmie et nous voyons une colonne de chars ennemis qui défile sur la route
en direction de Veules-les-Roses, puis quitte la route pour venir vers nous, les chars se déployant en ordre de bataille. J’en compte
cinquante. Nos canons antichars et ceux des Écossais donnent de la voix et, derrière nous, une batterie de 75 mm tirant en tir rasant se
joint à eux. Une quinzaine de chars ennemis sont hors de combat. Les Allemands n’insistent pas. Nous voyons, à notre grand
soulagement, les chars rebrousser chemin et se diriger vers Veules-les-Roses, sans doute pour nous couper du littoral et s’opposer à un
éventuel embarquement. Pour le régiment, le bilan de la journée est lourd. Une cinquantaine d’hommes ont été mis hors de combat.
Parmi eux, les lieutenants Leraître et Marquet ont été tués, les lieutenants Grandjon et Thirard, ainsi que le sous-lieutenant Fabre ont
été blessés.
La nuit du 11 au 12 est calme, perturbée seulement par une pluie fine qui tombe un bon moment.
Le 12 juin, dans le jour naissant, nous constatons avec surprise que nous sommes seuls sur notre plateau. Les Écossais se sont repliés,
les artilleurs également. Le lieutenant-colonel Le Tacon prescrit au régiment, qui ne compte plus guère que quatre cents hommes, de se
diriger vers Saint-Valery en Caux où lui-même le précède pour prendre les ordres. Arrivant vers 09H00 à l’entrée du village de
Manneville-ès-Plains, à 2,5 km au sud de Saint-Valery en Caux, par la route de Blosseville, nous retrouvons notre colonel qui nous
annonce que nous avons ordre de nous rendre. Il ajoute aussitôt que, dans la Coloniale, il est de tradition de ne jamais se rendre
sans combattre. Nous allons donc mettre en état de défense la grande ferme près de laquelle nous nous trouvons et ses dépendances.
Sans plus attendre, il se dirige vers l’entrée de la cour de la ferme. Sans un mot, tous les hommes le suivent pour un dernier
combat sans espoir, sans autre alternative que la mort ou la captivité, un dernier combat pour l’honneur, 70 ans après
Bazeilles, parce que dans la Coloniale, selon la tradition on ne se rend pas sans combat.
A peine installés en lisière de la cour de la ferme, nous entendons le grondement sourd caractéristique des chenilles des chars ennemis
qui s’avancent en provenance de Blosseville d’où nous venons. Ils arrivent au contact et défilent de chaque côté de la cour de la ferme en
mitraillant et canonnant. Atteint par un obus incendiaire, l’un des bâtiments en flammes doit être évacué. Les chars tirant à balles
traçantes, le centre de la cour autour de laquelle nous avons organisé la défense est balayé d’éclairs mortels. Malgré ce déluge de feu,
nous nous opposons pendant près de trois heures à toute infiltration de l’infanterie allemande qui accompagne les chars.
Vers 11H30, je me rends auprès du capitaine Sérole, à qui le lieutenant-colonel Le Tacon a confié le commandement de la défense de
notre dernier réduit, pour lui rendre compte qu’à la 2ème Cie et au groupe de mitrailleuses qui l’appuie nous serons d’ici une demi-heure à
court de munitions. Sortant de la grange faisant office de PC pour regagner mon poste de combat, je suis interpellé par le sergent
Papadacci (Le sergent Papadacci, fait prisonnier, s’est évadé avant de passer la frontière belge et a rejoint la zone non occupée) qui sert
un canon de 25mm antichar accolé au puits au milieu de la cour. Son canon vient de s’enrayer. M’élançant vers lui pour lui venir en aide,
je suis fauché par une rafale de mitrailleuse de char. (Le sous-lieutenant Benon, blessé et prisonnier, soigné à Rouen, s’est évadé le
25 août 1940 et a rejoint la zone non occupée). De la grange où se trouve le capitaine Sérole, deux hommes jaillissent aussitôt et me
saisissent l’un par les jambes, l’autre par les épaules, me traînant à l’abri, pendant que la même mitrailleuse nous prenant pour cible
redouble son tir, heureusement sans résultat.
Le médecin-lieutenant Hautin vient me voir alors que je suis, comme les autres blessés, allongé dans le foin. Il diagnostique une blessure
par balle à la cuisse gauche, apparemment sans fracture. Selon lui, c’est la « belle » blessure ! … Je ne peux pas dire que sur le moment ce
constat m’ait beaucoup réconforté.
Une demi-heure plus tard, j’entends que le capitaine Sérole commande le cessez-le-feu, alors que le lieutenant-colonel Le Tacon vient de
faire apparaître un mouchoir blanc à la porte du bâtiment d’en face. Les armes sont mises immédiatement hors d’usage. Les Allemands
pénètrent dans la cour de la ferme et font prisonniers les derniers survivants du 22ème RIC qui, ce matin-là, a encore perdu une trentaine
des siens.
Comme chaque fois que nous rappelons ces souvenirs, j’évoquerai la mémoire de nos camarades morts au combat. Que leurs
familles sachent qu’ils demeurent toujours présents parmi nous, tels que nous les avons connus dans tout l’éclat de leur
jeunesse, tant il est vrai qu’il n’est de véritable mort que dans la mémoire des hommes, par l’oubli. C’est pourquoi pour que
les générations suivantes se souviennent, les survivants ont fait graver dans la pierre sur les murs de Manneville-ès-plains
le nom de notre Régiment et la date de son dernier combat, pour que les populations sachent qu’ici, le 12 juin 1940, il s’est
trouvé des hommes comme eux, agriculteurs, ouvriers, employés, commerçants, artisans … qui, mobilisés pour la défense de
leur pays, ont eu un dernier geste d’orgueil, en opposant leurs poitrines aux blindés ennemis, montrant ainsi leur fierté
d’appartenir à une patrie que l’on ne renie pas, malgré ses erreurs et ses faiblesses, en affichant le courage de faire face
malgré tout à l’implacable supériorité matérielle de l’adversaire, et la volonté farouche de ne pas l’accepter, de ne pas s’y
soumettre, laissant déjà présager ce que serait plus tard la Résistance à l’occupation.
Sous-lieutenant Rodolphe-André Benon ,
chef de section de mitrailleuse à la CAB 1, puis commandant de la 2ème Cie.
La 2ème Cie en combat retardateur
_______________________________
Le 5 juin, alors que tout paraissait calme, nous recevons brusquement vers 11H00 l’ordre d’aller occuper et organiser défensivement le
village d’Hallencourt, à 1 km. Les Allemands attaquent en force et auraient traversé la Somme ce matin de bonne heure.
Je suis chargé d’organiser la sortie est du village où aboutissent deux routes. Une barricade est vite dressée, quelques mines posées. Je
fais disposer les voltigeurs aux fenêtres et percer les murs pour installer les FM au ras du sol. Le sous-lieutenant Gaude avec deux
canons de 25mm assure la défense antichar du point d’appui. j’ai aussi un GM. J’installe mon PC au centre du dispositif …
Vers 15H00, après une fusillade provenant d’un bois situé à 1500 m à ma gauche, je vois arriver une trentaine de types essoufflés,
couverts de sueur et de terre, hagards, épuisés, conduits par un sergent-chef qui m’annonce que la 10ème et la 11ème Cie avec les
lieutenants Jacquot et Rosa sont encerclés par de nombreux chars, et qu’il a reçu l’ordre de se replier sur le village. Lui et ses hommes
ont eu la chance de passer à travers les chars sans aucune perte. Après les avoir fait souffler quelque peu, je les incorpore dans la
compagnie dont ils constituent désormais la 3ème section.
Un peu avant la tombée de la nuit, nous apprenons que les points d’appui avancés tenus par le 3ème bataillon sont tombés les uns après
les autres.
Nous recevons l’ordre de nous replier. Ma compagnie doit assurer la retraite et ses derniers éléments ne devront quitter Hallencourt qu’à
20H00, une heure après le bataillon Sale mission, … Passent devant moi la CAB 1, la CAB 3 avec Fornbacher et enfin la 1ère Cie avec
Martin qui ferme la marche et m’annonce qu’une centaine de chars allemands les ont contournés. En voyant ainsi disparaître sur la route
d’Hocquincourt les derniers éléments du bataillon et ce qui reste du 3ème bataillon, qui aujourd’hui a pris tout le choc, je ne suis pas sans
inquiétude, un serrement de cœur m’étreint. je me vois abandonné avec mes quelques types, heureusement bien décidés à défendre ce
petit morceau de village pour protéger ceux qui se replient. Mais à ce moment, j’ai l’impression extrêmement nette que cette fois-ci nous
n’y échapperons pas. Je m »attends à voir déboucher les chars d’un moment à l’autre. Pas de mines surtout sur ma droite, ni sur la route
devant moi. Aucun obstacle. Et il y a trois routes à défendre. Heureusement que Gaude me reste avec ses deux 25mm, et qu’il a l’air
décidé. Une heure d’attente angoissée. Rien. Ouf ! Voilà le moment délicat du décrochage.
A partir de maintenant, nous ne ferons plus que du combat retardateur, étant donné la puissance de rupture des engins ennemis contre
lesquels nous sommes insuffisamment armés.
Je me replie sur Hocquincourt où je retrouve Battestini et ses 25mm. De là, j’envoie deux sections rejoindre à pied le reste du bataillon.
Je « réquisitionne » des voitures des dragons portés, qui combattent à pied quelque part, et j’y fais monter le reste de la compagnie. Nous
rejoignons le bataillon sans anicroche vers minuit. Nous croisons dans l’obscurité une colonne motorisée qui se replie silencieusement
après avoir combattu toute la journée.
Le bataillon se regroupe sur la route du Tréport. La 1ère Cie est au château de Forceville. Le reste du bataillon s’installe à Woirel.
Aussitôt arrivé, après avoir mis en place un dispositif d’alerte réduit, nous tombons comme des souches sur la paille.
Le 6 juin, à mon réveil j’apprends que le lieutenant Fornbacher, commandant la CAB 3 est mort. Son corps est là. Nous lui rendrons les
honneurs et nous l’enterrons.
De très bonne heure, nous organisons solidement la défense du village et du château : trous dans les murs, mines, barrages. Le bataillon
« formant boule » paraît en bonne posture.
Mais à 11H00, voilà que nous recevons l’ordre de repli. Nous ne comprenons pas. Cela doit tenir à la réorganisation du front défensif de la
division … Nous allons occuper le village de Fontaine-le-Sec où nous arrivons vers midi.
A toute vitesse, il faut reconnaître la position, faire le plan de feux, placer les armes automatiques et antichars. Je suis chargé d’interdire
la route du Tréport que l’on voit nettement à moins d’un kilomètre se dessiner à la même hauteur que nous. … Une fois tout le monde en
place et les missions réparties je retourne à mon PC faire mon ordre de défense et envoie le compte rendu au bataillon …
Nous n’attendîmes pas longtemps. Vers 15H00, des coups de feu en direction du bois nous alertent. Je passe sur le front de la compagnie
et secoue mes types dont les trous ne sont pas assez profonds. La plupart n’ont d’ailleurs plus d’outil. Je gagne le cimetière où des
artilleurs font le coup de feu avec un canon de 47mm. Ils me montrent des fantassins allemands qui s’infiltrent dans la vallée, puis des
motos qui débouchent à toute vitesse sur la route. Une mitrailleuse commence à nous arroser copieusement. Je la fais prendre à partie
par mon mortier de 60mm.
A ce moment, je reçois l’ordre de prendre à mon compte la 1ère Cie où Martin vient d’être blessé. La 1ère Cie occupe un bois touffu à notre
droite. Je m’y précipite et remonte un groupe qui commençait à reculer. Je croise Martin, sur un brancard, grièvement blessé au bras …
J’arrive à hauteur d’un GM placé à une cinquantaine de mètres d’un important dépôt de munitions qui se trouve au milieu d’une
clairière. Quelques Allemands se sont embusqués derrière les caisses, d’autres grouillent à l’intérieur des bosquets. Le sous-lieutenant
Benon qui est à ma droite m’apprend que l’ennemi s’infiltre de son côté. Presque tous les servants de ses pièces de mitrailleuses sont
blessés. Un groupe FV, qui se trouve en flèche à l’orée du bois, au bord de la route, doit se replier avec des blessés graves. Je décide alors
pour dégager le bois de faire une petite contre-attaque. Je commence par commander le tir sur les caisses de munitions qui sautent avec
fracas et font un joli feu d’artifice ! Pendant ce temps, ayant pris un fusil, avec Simon, un ancien de mon groupe franc, armé d’un FM,
avec un chargeur et avec le sous-lieutenant Benon, nous avançons d’arbre en arbre, et tirant posément tous les deux ou trois pas, nous
jetons le désarroi dans la troupe ennemie. Sur mon passage, un officier à lunettes est étendu, blessé. J’essaie de lui parler. Il continue de
hurler ses ordres. Des vociférations se font entendre de tous les coins du bois. J’ajuste un allemand qui fuit à 80 m devant moi, puis un
autre qui est immobile, à côté d’un arbre. Il s’affale tout d’une pièce en pliant les genoux.
Je m’aperçois alors que je suis trop en flèche et mal protégé sur ma droite. Je fais donc demi-tour et recule d’une vingtaine de mètres.
Nous étions presque au corps à corps. J’allais donner l’ordre à la section qui se trouvait là de faire un bond en avant lorsque, juste au
moment où mon tireur me crie de faire attention à droite, je reçois deux balles, l’une me fait sauter le casque et l’autre m’atteint à
l’épaule, me donnant la sensation d’avoir le bras coupé ; je passe le commandement à Benon et rejoint tant bien que mal le poste de
secours du bataillon où je suis pansé par Hautin et Righini.
Lieutenant François Daveaux ,
commandant la 2ème Cie puis la 1ère Cie du 22ème RIC du 30 mai au 6 juin 1940
Évacuation d’un blessé
_______________________
Le 6 juin, près de Wiry-au-Mont, ma compagnie était chargée d’arrêter les Allemands à la lisière d’un bois. Le combat durait depuis une
heure environ, nous étions pris sous un déluge d’obus et de balles mais nous ne voyions pas l’ennemi. Nos armes automatiques tiraient
donc quelque peu à l’aveuglette. J’ai alors sorti le buste de mon trou pour essayer de mieux voir et de guider leur tir. Un obus de mortier
allemand explosa à côté de moi et je ressentis un choc très violent au bras gauche et un autre à la poitrine. Il devait être à peu près onze
heures du matin. Sur le moment, je me crus frappé à mort à cause du sang qui coulait de ma poitrine à hauteur du cœur. En fait, un éclat
m’avait blessé au bras et éraflé la poitrine.
Je fis prévenir la capitaine Gavouyère qui commandait le bataillon tandis qu’un sergent coupait ma veste et, avec une de mes bandes
molletières, me faisait un garrot au bras et un pansement sommaire à la poitrine. A peine un quart d’heure après, quatre brancardiers
arrivèrent, sans brancard, mais avec une toile de tente. Après que j’eus passé mon commandement, je fus évacué dans cette toile de tente
que les brancardiers portaient à chaque coin. Je ne souffrais presque pas, pas plus que si j’avais reçu un fort coup de bâton. Chose
curieuse, c’était plutôt la poitrine qui me brûlait. Après quelques centaines de mètres dans cet équipage, les brancardiers trouvèrent une
échelle et s’en servirent comme brancard. Je commençais à souffrir un peu. Encore quelques centaines de mètres et j’arrivai ainsi au
poste de secours du bataillon. Là, le médecin du bataillon me fit faire un premier pansement, sec. Au même moment, par une chance
extraordinaire pour moi, une voiture sanitaire du régiment arrivait. Sous le feu d’enfer des mitrailleuses et des obus allemands, je fus
chargé sur un des brancards de la camionnette et, avec trois autres blessés, nous partîmes aussitôt. Peu de temps après, nous arrivâmes
au poste de secours du régiment. Là, le médecin-chef me fit un pansement moins sommaire et m’enleva mon garrot qui commençait à me
faire beaucoup souffrir. Comme le plaie saignait peu, j’ai su plus tard que l’artère principale n’avait pas été coupée, ni d’ailleurs les nerfs,
il ne me remit pas le garrot et m’évacua par une autre voiture sur le poste divisionnaire. Je souffrais alors beaucoup à cause des cahots et
des à-coups de la marche. Arrivés au point où devait se trouver le poste de secours de la division, on nous apprit qu’il venait de se replier
et que l’on ne savait pas où il se rendait. Le chauffeur prit alors sur lui de continuer sur Beauvais. Enfin, vers 19H00, nous arrivâmes à
Beauvais. Là, on me fit aussitôt une piqûre antitétanique et une piqûre anti gangreneuse. Je ne souffrais plus depuis que j’avais quitté la
voiture. Vers les 7 heures du matin, le 7 juin par conséquent, on me déshabilla entièrement pour être opéré. Comme j’avais 1000 F dans
mon portefeuille, je demandai de le conserver avec moi. On me fit ensuite une piqûre de morphine et on me transporta à la salle
d’opérations. Une fois sur le billard, on m’endormit à l’éther, très facilement, je pourrais dire presque agréablement. Quelques temps
après, je me réveillai dans un dortoir de malades, dans un lit. Une infirmière surveillait mon réveil. Je n’eus aucune réaction : ni maux de
tête, ni vomissements, ni même hoquet et encore moins douleurs locales. Au point de vue médical, ma situation était la suivante : l’éclat,
après avoir traversé le bras, n’avait fait qu’effleurer la poitrine, me faisant une petite coupure qui me démangeait plutôt qu’autre chose.
Quant au bras, j’étais persuadé qu’il faudrait me le couper. En réalité, il ne s’agissait que d’une grosse fracture. L’opération avait consisté
à enlever les petits débris, les esquilles, et à remettre de l’ordre dans les chairs. Les plaies d’entrée et de sortie étant encore trop
profondes et trop vastes, on ne pouvait le mettre dans le plâtre. Je passai la journée du 7 à Beauvais. A plusieurs reprises, la ville fut
violemment bombardée par l’aviation ennemie ...
Le soir même, on décidait de nous évacuer, les Allemands approchant de Beauvais. Je ne pus même pas trouver mes vêtements et
équipement et je partis en voiture sanitaire sans avoir même une chemise ! J’avais eu du nez de conserver mon portefeuille ! Je n’eus pas
froid, car j’avais deux couvertures ...
Capitaine André Martin , commandant la 1ère Cie.
Une évacuation manquée vers l’Angleterre
_______________________________
Le 11 juin, le régiment tient la coupure de Fontaine-le-Dun. Je me retrouve avec ma section réduite à une quinzaine d’hommes, en
dehors de la petite ville, au-dessus d’un hameau blotti dans la verdure de part et d’autre de la rivière ... Au cours de la journée, arrive
l’ordre de changer d’emplacement. Notre mouvement presque terminé, nous sommes surpris par une colonne de chars allemands qui
débouche sur l’autre flanc de la petite vallée et suit une route parallèle à la rivière. Ils nous canonnent tout en roulant, leur tir n’est donc
pas ajusté. Je me relève pour crier aux hommes de ne pas courir, de rester couchés. Une boule d’un rouge foncé sur fond noir éclate alors
devant moi. Je reprends conscience dans une odeur écœurante de poudre brûlée. Je suis à quatre pattes, l’esprit encore confus, quand je
sens un liquide chaud sur ma main droite. Un filet de sang coule de façon continue de ma joue sur ma main. Je réalise que ma joue est
ouverte et je sens à l'intérieur un corps dur.
Depuis longtemps, nous n'avons plus de paquets de pansements. Je rejoins le PC de la compagnie à quelques dizaines de mètres derrière
moi et demande au lieutenant Roybon comment me faire soigner. La seule possibilité est d'aller au poste de secours du régiment, installé
dans une ferme, très près d'où nous sommes, au bord de la route.
Les hangars sont pleins de blessés, couchés sur la paille. Le personnel médical est débordé, mais j’ai bientôt la tête enveloppée d’un
magnifique pansement qui me fait ressembler à un méhariste. Je suis obligé de garder mon casque à la main. Un médecin me signale
qu'une camionnette va emmener des blessés à Saint-Valery en Caux et que je peux essayer de partir avec elle. J'arrive à m'allonger sur
une des ailes avant du véhicule. Aux abords de la ville, je ne me souviens plus pour quelle raison, le chauffeur me demande de me
débrouiller seul puisque je peux marcher.
Soigné dans des conditions d’hygiène douteuse par un médecin-lieutenant français manquant de moyens de désinfection et de
pansements, ma blessure s’infecta au cours des étapes suivantes. Elle me rendit très fiévreux et deviendra très douloureuse.
La nuit tombe quand j'entre dans Saint-Valery en Caux en flammes, les bâtiments presque tous atteints par les bombardements. Pas un
civil en vue, les rues grouillent de militaires désorganisés. Une unité anglaise, qui donne l'impression d'être tout juste débarquée car les
uniformes sont impeccables, sans traces de poussière ou de déchirures, est immobile dans une rue; les hommes accroupis et serrés les uns
contre les autres créent l'illusion d'une énorme tortue. Je me fraie un chemin à travers eux à coups de genoux. Je suis à la recherche de
nourriture, mais tous les magasins, cafés, restaurants ont été pillés et je ne trouve finalement qu'une bouteille de porto dans une cave qui
a dû être mal fouillée. Je m'installe alors dans une encoignure où j'estime être à l'abri des chutes de tuiles et de moellons et passe ainsi la
nuit, tétant ma bouteille de temps à autre.
Le 12 juin, à l'aube, je rejoins la plage dans l'espoir d'embarquer. Elle est immense, peut-être 4 km entre Saint-Valery en Caux et
Veules-les-Roses, à l'est. Elle est profonde car nous sommes à marée basse. Des falaises très hautes et abruptes la dominent. Je vois des
gens descendre en rappel : de l'infanterie alpine. Le sable humide est soulevé d'innombrables cloques qui crèvent aussitôt ; je comprends
que ce sont des balles de mitrailleuses, tirées de deux petits caps verdoyants qui clôturent la plage.
Ce 12 Juin au matin, je distingue un seul bateau immobile, qui attend la marée haute pour être renfloué et repartir. Il arbore l'Union
Jack. Malgré les tirs, je vais à l'échelle de coupée pour monter à bord. Mais en haut, un soldat anglais me fait signe de stopper : « British
only ». Je hausse les épaules et continue d'avancer. Il arme son fusil et le braque sur moi en répétant son injonction. Je pense que ce
salaud est capable de tirer. Je vais me remettre à l'abri de la falaise, toujours miraculeusement épargné par les balles. En observant vers
Veules-les-Roses, je finis par distinguer un bateau beaucoup plus petit, échoué presque au pied du quai. Je m'approche : c'est un français.
Il est archiplein car il accepte tout le monde. Il est aussi armé d'un canon et tire sans arrêt pour empêcher les chars allemands
d'approcher. L'artillerie allemande le prend pour cible et il ne tarde pas à brûler. Il est évacué et je suis la foule qui se masse sur une
petite place dominant la mer. Nous attendons l'arrivée des Allemands qui nous feront prisonniers.
J'apprendrais, en 1991, par un article de Paris-Match, que Saint Valery en Caux avait été baptisé le « petit Dunkerque de Normandie »
car, de là, on fit embarquer 2137 Britanniques et 1184 Français.
(Le sergent-chef Gaydon, blessé et prisonnier, s’évada de Lille, où il était détenu, en septembre et rejoignit la zone non occupée [Voir ciaprès]).
Sergent-chef Roger Gaydon, chef de la 1ère section de la 6ème Cie.
Les deux derniers jours du régiment
vécus par un homme de troupe
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… Nous marchons toute la nuit. Dès que nous faisons une pause, je m’endors. A l’une d’entre elles, je m’endors dans un fossé plein d’eau,
mais l’humidité et le froid me réveillent juste au moment où la colonne repart.
Le caporal Arata était initialement caporal d’ordinaire à la 9éme Cie puis au
ème
Nous marchons jusqu’au petit jour. Nous traversons le village de Fontaine-le3
bataillon. Celui-ci ayant été décimé le 5 juin 1940 et les roulantes
Dun. Nous nous arrêtons à sa sortie, en haut d’une côte. On entend non loin
ayant quitté le régiment avec le train hippomobile le 9 juin, il est
vraisemblable que le caporal Arata a été « versé » à la compagnie de
des rafales de mitrailleuses et des coups de canons. L’ennemi nous talonne.
transmission (CDT) sous les ordres du sous-lieutenant Fabre qu’il évoque
Nous laissons passer sans arrêt des troupes, des troupes de toutes armes. Le
fréquemment dans d’autres passages de son « Carnet de route , guerre
bruit court que le mot d’ordre est d’embarquer, car la mer n’est qu’à 5 km et,
1939-1940 », notamment lors des combats d’Auzouville-sur-Saâne, le 10
paraît-il, des bateaux nous attendraient. Nous, nous protégerions
juin 1940.
l’embarquement et embarquerions les derniers.
Dans l’après-midi, nous nous portons 2 km plus loin, dans un petit bois, avec une petite maison au milieu. Nous sommes tout près du
carrefour des routes de Saint-Valery en Caux et de Veules-les-Roses où se
trouvent les restes d’un dépôt de ravitaillement anglais déjà détruit, camions,
munitions et vivres. Il y a quand même encore un peu de nourriture
« comestible » et un Écossais me donne des boîtes de conserves qui sont
vraiment les bienvenues. Notre groupe se trouve sur le bord d’un petit lac et je
me dis que nous serons bien là car, si nous subissons un tir d’artillerie, les obus
tombant dans l’eau ont des chances de ne pas exploser ou s’ils explosent leurs
éclats seront freinés par l’eau. « Je ne tiens plus droit », je m’endors au pied
d’un arbre dès que je m’arrête. Au bout d’une heure environ, on me réveille et
En juin 2000, à 6km au sud de Veules-les-Roses, le « petit bois avec une
on me dit que le lieutenant Sigallon de la CDT me demande. Je me rends dans
petite maison au milieu » était toujours là.
une petite maison où se trouve ce qui reste de l’état-major du régiment. Le
lieutenant Sigallon me montre des vivres et me dit : »Arata ! Voilà ce que nous avons trouvé comme vivres dans les maisons de Veulesles-Roses. Tu vas les partager équitablement pour tout le régiment ». Il me donne un effectif approximatif de ce qui reste du 22ème RIC,
nous ne sommes plus nombreux en tous cas. Je commence la répartition des quelques boîtes de conserves et autres marchandises que l’on
m’a données. Il n’y a pas cinq minutes que je m’y suis mis quand une pluie de fusants allemands nous arrose copieusement, ça éclate de
tous côtés. Je me jette sous une chenillette de ravitaillement de la CRE qui se trouvait heureusement là. La chenillette tremble sous les
explosions. Je me garantis tant que je peux. Cela dure environ un quart d’heure. le calme revient, Mais le bois autour est bouleversé.
Comme après chaque bombardement, on entend les cris et les râles des blessés et l’on voit les brancardiers partout s’affairer. Le coin où
je dormais tout à l’heure, avant que le lieutenant Sigallon me fasse appeler, est ravagé et c’est de là que parvient la majorité des cris et
des plaintes ; je me demande alors si l’eau du lac était aussi protectrice que nous l’avions envisagé ...
Un ordre arrive bientôt du colonel de tout faire disparaître. On brûle les papiers, notamment les papiers secrets du régiment, l’argent. On
fait sauter les chenillettes. Nous enlevons les écussons du régiment.
L’ordre de repli nous arrive de nouveau. Nous marchons lentement, c’est dur. Je suis tellement fatigué qu’à la première halte, dans un
champ de blé, je m’endors comme une masse dès l’arrêt. Heureusement, un copain me réveille : « Allez Arata, il faut
repartir ».Machinalement, je repars. Nous marchons lentement dans la nuit. Il commence à pleuvoir. A la fin de l’étape, nous nous
arrêtons dans un fossé et, bien qu’il se mette à pleuvoir assez fort, je m’endors aussitôt d’un profond sommeil. J’entends vaguement le
crépitement des salves de mitrailleuses qui nous passent au-dessus.
Au petit jour, je vois nombre de camarades qui ont perdu leurs compagnies. J’aperçois tout près une ferme. J’y rentre. Je n’y suis pas
seul. Il y a là un « tas » de soldats et de réfugiés et même un camarade de La Seyne : Testanière ( ?) … Nous subissons un nouveau tir
d’artillerie puis on nous tire dessus. Avec d’autres camarades, je m’abrite dans une grange pleine de blé sur les murs de laquelle les
balles crépitent déjà. Un officier rentre et nous dit : « Tirez jusqu’à vos dernières cartouches ». Il y a environ dix minutes que nous
échangeons des coups de feu avec l’ennemi lorsque nous entendons un grésillement. La grange commence à flamber (Le caporal Arata se
trouvait manifestement le 12 juin à la « Ferme de Manneville » dans la grange qui a brûlé). Au bout de cinq minutes, les poutres
commencent à rougir, la paille brûle bien et le feu avance vite. Nous allons et venons d’un bout à l’autre de la grange comme des rats pris
de panique devant le feu. Quelques-uns d’entre nous, cinq peut-être, tentent de sortir en disant : « Tant pis, il faut sortir ». Ils n’ont pas
fait dix mètres que des rafales de mitrailleuses les atteignent. Deus parviennent à revenir. Un a le cou traversé par une balle et crache
du sang. L’autre, un sergent, est touché à la poitrine et râle. Nous le disposons du mieux que nous le pouvons sur la paille. Il nous
supplie de ne pas le laisser, il demande à faire son besoin, le sang sort à flot de sa bouche. Il est à l’agonie. Tout à coup, il ne bouge plus.
Je crois bien qu’il est mort … Un autre corps barre la porte d’entrée. Tout à coup, je me souviens qu’en allant vers la porte du fond on est
vite rendu sur la route. Je dis à deux camarades qui sont avec moi et que j’incite à me suivre « Tant pis, il faut y aller, tentons notre
chance, mourir d’une balle ou mourir du feu … ». Je sors le premier. Je cours en me baissant Des rafales de mitrailleuses me passent audessus de la tête. J’ai de la chance, je passe au travers. Mes compagnons aussi. Nous sommes sur la route. Nous y avons fait environ
200m sans rien voir, lorsque nous rencontrons un lieutenant qui, sortant d’un chemin de terre, fait mettre en batterie un canon antichar.
Il nous demande où nous allons. Nous lui répondons que nous venons de nous échapper de la grange en flammes et que nous cherchons à
rejoindre notre compagnie. Il nous dit alors de continuer jusqu’au village et que là, peut-être, nous trouverons quelqu’un ».
Nous faisons encore 200 m, quand, tout à coup, au détour de la route, un tank allemand apparaît droit devant nous avec son canon et ses
mitrailleuses braqués sur nous, ou du moins en avons-nous la ferme conviction. L’équipage nous fait signe de lever les bras. N’ayant plus
de munitions, plus rien à manger, cernés de partout, fatigués, que pouvons-nous contre un char de combat prêt « à nous tirer comme des
lapins » ? Rien, on se résigne et on lève les bras, vaincus.
Charles Arata , caporal d’ordinaire.
La compagnie de transmissions (CDT)
aux combats du 10 et du 12 juin 1940
___________________________________________
Le 10 juin, Le 22ème se replie en ordre, dans une zone dégagée de tout civil en déroute, sur une petite route serpentant entre les champs,
d'où parfois émerge un tireur ennemi isolé qui tire deux ou trois rafales de mitraillette avant de disparaître, caché par les céréales en épis
et hautes poussées.
La compagnie de transmissions en partie regroupée et réduite à une vingtaine d'hommes assure l’arrière-garde.
Le colonel en tête du régiment arrive au niveau d'un petit village juché en hauteur à une centaine de mètres de la route que nous avons
empruntée. C'est alors que les cloches de l'église se mettent à sonner à toute volée. C'est de mauvaise augure. Le colonel stoppe le
régiment. Il fait appeler le sous-lieutenant Fabre et le charge d'ouvrir la route par une reconnaissance avancée.
Nous recevons les ordres du sous-lieutenant Fabre, puis nous remontons le régiment arrêté. Il y a un risque de trouver l'ennemi sur notre
chemin de repli et il nous faut nous en assurer. La reconnaissance se fait colonne par un. En tête le sous-lieutenant Fabre, derrière lui, à
quelques pas, le sergent Berne de Lyon, puis le groupe des téléphonistes dont le dernier homme est Chappeland de Lyon. Je marche à
quelques mètres de Chappeland, le caporal Dimet me suit, puis, derrière, le tireur Moussy avec son fusil mitrailleur (FM) et une dizaine
d'hommes encore.
Le soir tombe et la visibilité commence à baisser. Le sous-lieutenant Fabre arrive à un carrefour de quatre routes, à 250 mètres environ
du village. Il tourne sur la droite en direction de Saint-Valery en Caux. Une fusillade éclate alors. Nous sommes attendus. L'ennemi
semblait bien averti par les cloches de l'église. C’est rapide et brutal. Dans ce cas-là, on n’a presque jamais la possibilité de riposter. La
seule solution : se plaquer au sol pour réduire le risque d'être touché.
J'examine la possibilité de fuir ce lieu découvert. A ma droite, rien à faire, une haie touffue et haute sépare la route d'un pré dénudé. A
gauche, pas de haie mais, à première vue, guère plus d'abris, pourtant quelques massifs d'orties. Et toujours les balles qui claquent aux
oreilles. L'obscurité s'amplifie. Alors apparaît au carrefour, à quelques vingt mètres, une automitrailleuse. Elle lance une fusée éclairante
et tire à la mitrailleuse dans notre direction.
Immédiatement, et sans plus de réflexion, je crie « Bond à gauche » et je me précipite ... dans les orties. Je tombe, en effet, dans un fossé
plein d’orties qui longe la route. Malgré les orties, il est vraiment le bienvenu. Moussy m'y rejoint presque aussitôt. Après un instant
d'immobilité, Moussy me dit « Vous avez vu ? Ils ont emporté Chappeland et Dimet ». Nous apprendrons plus tard qu'ils étaient morts
tous les deux. La mitrailleuse avait fait son tri, son tir d’enfilade avait touché un homme sur deux. Avec Moussy, nous étions dans la
moitié épargnée.
L’automitrailleuse repart, emportant plusieurs blessés ou morts.
Voyant que nous étions dans l'impossibilité d'agir, le colonel a envoyé deux colonnes, le restant des bataillons, une à droite et une à
gauche du village, dans les prés, ouvrant ainsi une brèche dans la menace d'encerclement.
Le sergent Berne est bien touché : on relève dans ses jambes et ses fesses dix-huit impacts de balles de mitraillette. Nous allons le
transporter pendant le reste du parcours en attendant de pouvoir l'évacuer vers une infirmerie. Notre nombre fond à vue d’œil.
Il est à noter que les mitraillettes des Kommandos allemands sont dangereuses de près et qu'elles ne font plus que des blessures légères à
une certaine distance. Leurs balles creuses, à l'aspect de demi-sphères, n’occasionnent de graves blessures que sur les parties dénudées
et, encore, en tir rapproché. Le sergent Berne a été blessé alors qu’il se trouvait au carrefour même, au pied des pins où des Allemands
étaient grimpés pour nous attendre. Cette technique n'est pas nouvelle pour nous, et pourtant nous sommes pris au piège à presque tous
les coups.
J'apprendrais plus tard que le village que nous avons traversé s’appelle Auzouville-sur-Saâne ...
Le 12 juin,. les rescapés passent la nuit dans un bois à une petite distance du plateau. Le matin, le régiment se regroupe. Combien
restons-nous ? Les livres diront 250 à 300, sur 3 500 au départ de Toulon !
Le colonel nous dirige vers Saint Valery en Caux, nous stoppe, va aux renseignements, revient, nous fait rebrousser chemin et nous
arrête dans un pré bordé d'arbres. Une ferme, une de ces grandes fermes de la région, se trouve juste séparée de nous par la route que
nous venons de quitter. Nous l’appellerons tous la « Ferme de Manneville » et nous nous en souvenons, non seulement parce qu’elle est
située en peu au Sud de Manneville-ès-Plains, non seulement parce que c'était le nom d'un des nôtres, Manneville le toulousain, le
chanteur de charme à la voix puissante que nous entendions toujours chanter "Oh mon Pays" en patois toulousain, mais surtout parce
que ce fut là que se déroula notre ultime combat.
Le colonel nous réunit en cercle dans le pré et nous tient un langage à jamais gravé dans ma mémoire : Soldats, je viens de prendre les
ordres des généraux qui commandent le secteur de Saint Valery. L'ordre est net : « Se rendre sans combat ». … Un temps de silence
s'écoule. Le colonel essaie de conserver son allure martiale puis continue : « Dans l'histoire de la Coloniale, ce sera la première fois qu'un
régiment, ou ce qu'il en reste, se rendra sans combat ». … Nouveau silence … « Voulez-vous être les premiers? Non ? Eh bien alors,
prenez vos armes, vos munitions et mettez-vous en position autour du pré, tout autour, car nous sommes encerclés. Je vous souhaite
bonne chance, et “Au nom de Dieu, vive la Coloniale”. Je passe le commandement au capitaine Sérole ». Et le colonel se dirige seul vers la
ferme voisine.
J'ai le FM de Moussy qui, la cuisse labourée par un éclat la veille au soir, nous avait quittés pour rejoindre très courageusement le poste
de secours sur une seule jambe, après que je lui eus fait un bandage provisoire avec une manche de ma chemise. Le sous-lieutenant Fabre
qui, lui aussi, a été blessé la veille au bras par une balle qui s'est faufilée entre sa poitrine et son bras, me prend quelques chargeurs puis,
pour me dédommager sans doute, par gentillesse en tous cas, ouvre sa musette et me donne une boîte de sardines et un bout de pain. Il
doit y avoir 24 heures que je n'ai pas mangé, et si peu la dernière fois.
Le capitaine Sérole nous crie alors : « Vous ne tirerez que sur mon ordre, si quelqu'un tire avant, je le descends! » Au loin, le bruit
annonciateur d'une colonne blindée. Que faire ? Ordre : « Se terrer. Faire le mort et laisser passer. ».
Derrière les chars, les fantassins allemands, l'arme à l'épaule, en colonne compacte sur la route, victorieux dans une zone conquise et
sans défense. Ils avancent, nous commençons à trépigner d'impatience. L'ordre de tir ne vient pas. « Attendez, attendez ! ». Lorsque
l'ennemi est à 100 m environ, l'ordre claque : « Hausse zéro, tir direct. A mon ordre, Feu! ».
C’est une boucherie, la surprise totale, les Allemands « sont hachés menus » Mais nos dernières cartouches sont vite tirées. L'ennemi, qui
s'est dispersé, se reprend et arrive de tous côtés. Les chars, les derniers passés, rebroussent chemin et tirent dans la ferme où ils pensent
sans doute et à juste raison que beaucoup des nôtres ont dû se mettre à l'abri. Des bâtiments flambent. Tout cela pendant que les uns
après les autres, nous sommes pris, désarmés. Fabre tord son FM contre un arbre. J'en fais autant du mien. Tous les deux nous en
porterons quelques jours les marques dans les mains, brûlées par le canon qui a tiré des salves très longues, sans répit.
Nous sommes ensuite réunis dans la cour de la ferme, pendant que les soldats allemands la fouillent. C'est alors que le colonel est trouvé
et qu'il nous rejoint.
Nous restons plus d'une heure debout, troupe battue et nous ne savons pas le sort qui nous est destiné. Alors arrive un détachement,
d'une section à peu près, sous le commandement d'un officier. Celui-ci stoppe sa section, la met en ligne, et nous dit : « Je
suis chargé par notre chef de féliciter le 22ème RIC pour sa tenue au combat ». Il fait alors présenter les armes, remet sa section en
colonne et repart. Nous avions cru un moment notre dernière heure arrivée.
Nous sommes ensuite dirigés vers la route de la captivité.
Des colonnes de prisonniers affluent de tous côtés, troupes penaudes, battues.
Certaines pourtant sont vêtues comme à la parade, dans des tenues qui semblent toutes neuves, tout juste sorties de
l'intendance. Nous nous mêlons dans l'anonymat à ces colonnes d'eunuques.
Sergent Maurice Reynaud , de la compagnie de transmissions.
Après le 12 juin 1940
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ème
La relation de l’épopée du 22
RIC dans la campagne 1939/1940 ne serait pas complète sans l’évocation d’actes exemplaires, de souvenirs ou d’écrits ayant un rapport évident avec le
régiment bien que postérieurs à sa reddition.
ème
Le 12 juin 1940, le 22 RIC n’existe plus. Nombre de nos anciens, ne s’avouant pas vaincus, s’évadèrent et continuèrent la lutte. Les sacrifices du régiment n’ont peut-être pas été perçus par
tous comme ils le méritaient. Certains de nos compatriotes ne les oublièrent toutefois pas et les glorifièrent.
Captivité et évasion du 13 juin au 30 septembre 1940
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… faits prisonnier le 12 juin 1940 à Veules-les-Roses, j’ai, comme les autres, brutalement sombré dans une sorte de torpeur avachie.
La fin de la tension de la lutte ajoutée à l'extrême fatigue physique et nerveuse et le manque de nourriture expliquent le désintérêt total
que nous éprouvions pour tout ce qui nous était extérieur. De plus, tout en ayant conscience que je n'avais pas démérité, je me sentais
humilié et confusément coupable. Ce sentiment était, je crois, partagé par un très grand nombre.
Dans les colonnes de prisonniers, nous étions isolés du monde extérieur. Nous étions du bétail, conduits de jour par nos gardes comme un
troupeau l'est par ses bergers et leurs chiens. La nuit, nous étions parqués dans les champs, sans abri, toujours comme du bétail. Nos
itinéraires évitaient toutes les localités un peu importantes. Dans les villages que nous traversions, très souvent les portes et les fenêtres
se fermaient sur notre passage, comme si nous étions des pestiférés. Il y eut peut-être des gestes charitables d'habitants envers les
prisonniers de passage, mais je n'en ai pas vus et je n’en ai pas entendu citer.
Je devais m'apercevoir assez vite que, même chez les prisonniers, il y avait deux catégories : ceux qui s'étaient battus et les autres, ceux
des « services », … Ceux-ci ne donnaient pas l'impression d'avoir vraiment souffert. Ils avaient encore de l'énergie en réserve et
l'utilisaient surtout pour s'emparer les premiers du ravitaillement que l'on nous apportait le soir ...
J’ai fait partie d’une colonne de prisonniers acheminés, à pied bien entendu, vers le sud-est jusqu’à
Forges-les-Eaux, à 40 km au nord-est de Rouen, où nous eûmes quelques jours d'arrêt, installés dans le Casino ... Puis, nous avons repris
la route, en direction du nord cette fois. Les nuits se passaient dans les prairies que les Allemands entouraient d'un fil de fer barbelé. La
nourriture était très réduite : le soir, un morceau de pain accompagné d'un ersatz de
« Ersatz » signifie en allemand « remplacement ».
charcuterie ou de fromage. Jamais rien de chaud. Ce n'était pas de la brimade de la part
Employé couramment pour désigner un produit
alimentaire (succédané) qui en remplace un autre de
des Allemands, mais ils étaient vraiment débordés par les problèmes que posait cette
qualité supérieure, devenu rare. Les Français l’ont utilisé
masse de prisonniers ...
pendant les années d’occupation et les années de
A Lille, où j'arrivais dans les premiers jours de juillet, je fus déposé dans une caserne
restriction qui suivirent.
baptisée « hôpital complémentaire », car elle était réservée aux blessés légers. J’y fus gardé
un mois environ, ce qui me permit non seulement de me reposer … mais surtout d'échapper aux convois vers l'Allemagne à travers la
Belgique ... Guéri, je rejoignis une autre caserne de Lille transformée en camp de prisonniers.
Un après-midi, assis au pied d’un arbre, je surprends la conversation de deux hommes, assis de l'autre coté de l'arbre, deux savoyards qui
parlaient du pays. Je reçois comme un électrochoc ! L'envie de revoir nos montagnes s'impose à moi et je décide sur le champ de partir
avant l'automne.
Le premier résultat de mes réflexions est qu’il est nécessaire de me procurer des vêtements civils. Pour cela, il faut avoir des contacts
avec l'extérieur, donc partir en corvée. Je me renseigne sur les diverses corvées et commence par celle du Service central de tri postal de
l’armée. Un car vient nous prendre chaque matin et nous ramène l’après-midi. Le travail est facile. Les Allemands, tous des sous-officiers
de réserve, anciens de 14-18, sont sympathiques et ferment les yeux sur nos sorties au bistrot d'en face. Mais pas de facilités pour trouver
des vêtements civils
Après divers essais infructueux, je découvre une corvée de choix. Nous sommes emmenés à l'extérieur de la ville dans une propriété
réquisitionnée par un état-major de la DCA. Nous sommes bien nourris; il suffit à midi de se présenter à la roulante avec un récipient.
Celui-ci est rempli à ras bord, quelle que soit sa contenance, du plat unique qui semble de tradition dans l'armée allemande.
J'ai pris l'habitude, après ce repas, de me promener dans le parc enclos de murs de cette propriété. Un jour, j'entends une clé jouer dans
la serrure d'une petite porte de la clôture. Je vois entrer une dame vêtue de noir, d'allure distinguée. En m'apercevant, elle a un
mouvement de recul. Je la rassure et lui explique qui je suis et la raison de ma présence dans le parc ... Pris d'une inspiration subite, je
lui expose mon problème vestimentaire. Elle me regarde des pieds à la tête, réfléchit et déclare qu'elle pense pouvoir faire quelque chose.
Elle revint le lendemain et me remit un paquet dont le contenu dépassait tout ce que j’avais osé espérer : complet veston gris avec
chemise blanche, cravate noire, chaussettes et souliers noirs, béret basque. J'étais transporté de joie et ne savais comment exprimer ma
reconnaissance. Elle me dit alors : « J'ai un fils de votre âge, de votre taille et il est aussi prisonnier. Ce que je fais pour vous, je souhaite
que quelqu'un le fasse pour lui, si l'occasion se présente ».Je regrette toujours de n'avoir pas osé demander à cette dame comment rentrer
en relation avec elle plus tard.
J'avais un plan pour prendre le large. Au cours d'une corvée à la gare de marchandises, j'avais remarqué un portail grand ouvert toute la
journée. Dès que possible, je m’intègre à cette corvée, mes effets civils serrés dans une musette. Sur le quai où les équipes sont ventilées
aux différents chantiers, je refuse de travailler étant sous-officier : « Unteroffizier ... nixt arbeit ! »
« Nixt ».
La sentinelle, qui ne comprend pas le français, finit par céder et part en haussant les épaules et en
La majorité des Français comprenait
secouant les bras. Lorsque plus un allemand n’est visible, je pars d'un pas de promenade le long du
“nixt” le « nicht » prononcé par les
quai, traverse les voies d'un air dégagé et franchis le portail. Je rentre dans un café déjà repéré de
Allemands. Aussi employait-elle “nixt”
l'autre coté de la rue. Par chance, il est vide. Le patron lave des verres derrière le comptoir. Je
quand elle disait « non » à un Allemand.
m’approche et lui dit : « je viens de m'évader. Donnez-moi un endroit pour changer de vêtements, puis
je partirai ». Il pâlit, rougit, s'affole, puis me jette littéralement dehors. Je suis décontenancé, car dans ma naïveté, je pensais que tout
français aurait à cœur d'aider un prisonnier évadé.
Tout mon plan s’écroule et je comprends que je dois étudier mon affaire avec beaucoup plus de sérieux. Il ne suffit pas de sortir des rangs,
il faut savoir où aller. Je rentre au camp avec la corvée pour reprendre la question à zéro.
Je ne me souviens plus des circonstances qui me font m'associer avec deux autres sous-officiers pour un départ commun. Ils pensent,
comme moi, que le tout n’est pas de sortir du camp, mais de pouvoir atteindre la zone libre et, pour cela, être capable de circuler en zone
occupée sans attirer l'attention. Ils disposent de vêtements civils. Les Allemands ne connaissant pas avec exactitude l'effectif des
prisonniers du camp, il était sous-évalué grâce aux efforts des quelques français employés comme secrétaires, notre disparition peut
passer inaperçue un certain temps à condition de ne pas sortir avec une corvée. L'effectif des corvées est en effet soigneusement vérifié au
départ et au retour. L'un de nous ayant réussi à subtiliser un « Ausweiss » s'entraîne à imiter la signature de l'officier allemand
commandant le camp. Nous pouvons donc créer une corvée fictive ne figurant pas sur la liste officielle.
Nous découvrons que tous les matins, un français âgé vient avec un tombereau enlever les eaux grasses des cuisines … Nous pouvons
essayer de partir avec lui. Mais il faut que le chef du poste de police trouve cette corvée plausible et nous achoppons là-dessus. Le
commandement allemand vient à notre secours. Par crainte de fraternisation entre ses soldats et les prisonniers, il décide que la garde
serait relevée toutes les vingt-quatre heures, à onze heures du matin. Nous pouvons tenter notre chance. Si le sous-officier chef de poste
n'a jamais assuré de service au camp, nous réussirons presque à coup sûr.
Le jour où nous décidons de partir, après une heure passée à déjouer les patrouilles de fouille des bâtiments, nous nous postons à l'angle
d'un mur, hors de la vue de l'entrée de la caserne, sur le parcours du tombereau. Nous nous sommes munis de pelles et de pioches pour
faire plus vraisemblable. Au passage de la voiture, nous nous plaçons deux à l’arrière et le plus âgé, près du vieux, pour lui expliquer le
coup. Il encaisse sans manifester de surprise et nous arrivons au portail. Le sous-officier allemand examine soigneusement 1’ausweiss,
nous compte, puis fait signe d'ouvrir le portail.
Dans la rue, nous nous maîtrisons pour garder l'allure nonchalante des prisonniers sans ardeur. Mais dès que le tombereau tourne dans
une rue hors de vue du camp, nous nous précipitons dans l'entrée d'un immeuble. Nous avons vite fait de changer de vêtements et de
planquer nos effets militaires sous l'escalier.
Nous savons où aller : au 40 de la rue de Douai. C'est l'adresse que nous avions obtenue au camp par je ne sais plus quelle combine. Nous
sommes surpris de nous trouver devant une « maison close » ... Nous sommes conduits au grenier où une petite pièce sert de dortoir, avec
des matelas sur le sol. La nuit, des bruits furtifs nous alarment. Ils sont produits par deux hommes portant de longs paquets enveloppés
de toile à sac. Ceux-ci contiennent des armes récupérées dans les environs de Lille et stockées là pour le cas où .... ! Au jour, nous
recevons la visite du médecin-lieutenant français du camp. Il peut circuler à sa guise et a contribué au montage de la filière d'évasion. Il
établit pour chacun de nous des papiers de réforme médicale, avec en-tête officielle et tampons. Nous avons évidemment de faux noms.
Au milieu de la nuit suivante, un homme vient nous chercher. C'est un cheminot. Il nous explique qu'il va nous conduire à un endroit de
la voie ferrée où nous pourrons monter dans un train allant à Paris. Nous le suivons en file indienne très espacés pour ne pas attirer
l'attention car le couvre-feu interdit la circulation. Par de petites rues discrètes, il nous amène à un poste d'aiguillage : « Un train va
s'arrêter sur cette voie, à votre hauteur, à 02H30 environ. Montez dedans séparément et installez-vous discrètement sans vous inquiéter
de ce qui pourra vous paraître anormal. » Il nous donne aussi les consignes pour l'arrivée à Paris.
A l'heure dite, un train survient et s'arrête comme prévu. Nous montons, chacun dans un wagon différent. Stupeur ! Le train est plein de
militaires allemands qui reviennent de permission. Je me cale sur une banquette entre deux soldats et essaie de me faire oublier ... A
l'arrivée à Paris, nous nous retrouvons sur le quai et allons ensemble à "La Chope Marcadet", l'adresse qui nous a été donnée à Lille. Le
contact se passe très bien, la filière fonctionne sans un raté. Nous devons aller à Dijon dans un certain café et nous faire reconnaître par
une phrase convenue. Nous recevrons alors les indications nécessaires pour franchir la ligne de démarcation. Pas de consignes
particulières pour le voyage en train. Nous prendrons des billets comme tout le monde et il n'y a pas de contrôle de police entre Paris et
Dijon ...
A Dijon, nous trouvons facilement le relais indiqué. Nous sommes les seuls consommateurs, aussi je vais au comptoir et murmure à
l'homme qui s'y trouve la phrase de reconnaissance. Pas la moindre réaction chez mon interlocuteur : ni incompréhension, ni étonnement.
Je répète encore deux fois la phrase, de plus en plus fort. Même absence de réaction. Je reviens à notre table : « Partons vite ! Il y a
quelque chose d'anormal … »
Un peu plus tard, nous décidons qu'il est préférable que chacun tente sa chance seul. Nous avons l’impression en restant groupés d’attirer
1’attention. Mais, à force de déambuler dans les rues, j'éprouve le besoin de me reposer. En passant devant une église, l'idée me vient
qu'il doit faire bon à l'intérieur et que je pourrais me reposer et réfléchir calmement dans le silence et la pénombre, à l'abri des regards
curieux. Une filière est rompue, mais il doit être possible d'en mettre une autre sur pied avec 1’aide des Scouts de France auxquels je
peux me présenter en tant qu’ancien de la troupe de Cluses. Je vais à la sacristie et découvre une personne très âgée, de sexe
indéterminé. Je lui déclare vouloir rencontrer un aumônier scout, ce qui la plonge dans un abîme de perplexité. Elle ne sait que répondre
et me fait signe de la suivre jusqu'à une cour où un prêtre, très âgé lui aussi, lit son bréviaire en marchant. Je répète ma demande et il
n'a pas une seconde d'hésitation : « Il faut en parler à Monseigneur ». Je suis interloqué. Pourquoi déranger l’évêque pour une affaire qui
me semble, somme toute, banale ? Nous montons à l'étage d'un bâtiment, entrons dans une pièce assez vaste mais monacale qui doit
servir de chambre et de bureau. Dans un fauteuil de bois et paille, d'apparence inconfortable, est assis un prêtre si âgé qu'il me fait
penser à une momie vivante : c'est le Monseigneur en question. Le hasard a dû me faire entrer dans un centre de retraite pour
ecclésiastiques hors d'usage et hors d'âge.
Monseigneur m’écoute sans broncher, puis il ferme les yeux et parait s’assoupir. Je suis sur le point de m'éclipser sur la pointe des pieds
quand les paupières se soulèvent et une voix faible mais nette prononce : « Le chanoine Kir..., oui, il faut voir le chanoine Kir..., lui, saura
ce qu'il faut faire ». Ayant toujours en tête l'idée d'un entretien avec un aumônier scout, je suis
A l'époque, le chanoine Kir était encore inconnu
très surpris d'apprendre qu'il me faut aller à la mairie pour voir ce chanoine.
en tant que député.
Arrivé devant la mairie, j’ai un instant d’hésitation. Une immense banderole blanche porte en
grandes lettres noires : « KOMMANDANTUR ». Je me décide cependant à entrer et me renseigne. Le chanoine Kir est au premier étage,
dans une pièce si vaste qu'il doit s'agir du grand salon de réception du bâtiment. A gauche en entrant, derrière une table bureau très
longue, se tient un prêtre à grosse tête, d'allure trapue mais de courte taille à juger par ce qui dépasse de la table. Des bancs et des
chaises sont disposés le long des murs, voilà tout le mobilier.
Les personnes assises viennent à tour de rôle expliquer leur cas au prêtre. Quand vient mon tour, je me colle à la table, me penche le plus
possible vers mon interlocuteur et murmure : « Je suis un évadé ». « Quoi ? » rugit le chanoine en portant les mains en cornet à ses
oreilles. Je répète et au troisième « Quoi ? », je crie presque : « Je suis un évadé ». « Ah ! C'est très bien ! Mais il fallait le dire » s'exclame
le prêtre soudain tout réjoui. Puis, tendant le bras gauche vers une fenêtre qui doit être au sud, il ajoute : « Il faut aller par-là ». « C'est
bien mon intention, mais je ne sais pas comment faire ». Il écrit quelques lignes sur une feuille de papier et me la tend : « Va à cette
adresse, dis que tu viens de ma part et, tu verras, tout ira bien ».
Je pars, regonflé par le dynamisme jovial et l'assurance de cet homme. A l'adresse indiquée, je suis accueilli par un couple de réfugiés
alsaciens. Installé au grenier, j'ai pour consigne de passer inaperçu. Le lendemain soir, je suis prévenu de me tenir prêt à partir en fin de
nuit. Je suis embarqué dans une camionnette où se trouvent déjà des femmes, un enfant et un bébé. Au jour à peine levé, nous arrivons,
dans un village où, assis au café, nous devons attendre les passeurs. Ils sont deux qui arrivent une heure plus tard. Nous les suivons et
pénétrons très vite dans un bois où nous marchons en dehors de tout sentier ... A leur signal, nous devrons traverser en courant un
champ, qui descend en pente douce, franchir un petit ruisseau et de l'autre côté, nous serons en zone libre ... L'opération s'effectue sans
difficulté, j'aide la mère qui porte son bébé pour la traversée du ruisseau et la remontée de l'autre coté. Nous sommes tous très soulagés
en arrivant au premier village de la zone libre.
Je cherche les gendarmes pour obtenir un bon de réquisition pour le voyage en chemin de fer. C'est une erreur. Je leur explique que les
papiers que je possède sont faux, ne sont pas à mon vrai nom. Ils sont très réticents. Je vois très bien que, pour eux, un jeune homme
correctement vêtu, propre et rasé, ne peut pas être un prisonnier évadé. Je préfère ne pas insister et vais à la gare prendre à mes frais un
billet pour Lyon, où il me faudra changer pour rejoindre Toulon.
Mais en gare de Lyon, la tentation est trop forte : je prends un billet pour Cluses et téléphone à nos voisins afin que maman, très malade,
soit prévenue en douceur de mon évasion et de mon arrivée.
Le séjour à Cluses ne peut malheureusement n'être que de courte durée. Je dois signaler ma présence à la gendarmerie pour ne pas être
considéré comme déserteur.
La brigade de Cluses, compréhensive, me laisse quarante-huit heures avant de repartir, aux frais de l’État cette fois. Je dois toutefois
m'arrêter à Annecy pour me présenter à la subdivision. Là, je suis interrogé longuement par deux officiers du 2ème Bureau. Je dois relater
en détail les opérations, ma capture et mon évasion.
J'avais retrouvé à Cluses mes affaires … aussi, j’arrive à Toulon en tenue gabardine, képi, etc. … je ne corresponds pas à l'image-type du
prisonnier évadé attirant la compassion. Je ne peux obtenir la permission de détente à laquelle je croyais pouvoir prétendre. C’est alors
que des camarades corses m’expliquent leur combine : quelques jours avant l'arrivée à Toulon, ils faisaient la route à pied, ne se lavaient
pas et ne se rasaient pas, mangeaient le moins possible. En plus, une histoire bien arrangée d'évasion mouvementée et voilà comment on
obtient trente jours de détente dans l’Île de Beauté !
L’armée française me reprend en compte le 30 septembre 1940 avec la mention : « Rentre de captivité ! ! ! ! ».
Le 20 janvier 1941, j’embarque pour l’Indochine, via Dakar, Madagascar et le détroit de la Sonde.
Le 1er janvier 1942, je suis nommé adjudant. Il s’agit d’une promotion automatique, en qualité d’évadé. A l’époque, à vingt-deux ans et
sept mois, je pense avoir été le plus jeune adjudant des troupes Coloniales.
Sergent-chef Roger Gaydon à la 6ème Cie.
Le cri d’un combattant de 39/40
_____________________________
Cette allocution prononcée par le capitaine R-A Benon est exemplaire. Elle reprend parfois des idées déjà émises et évoque des situations déjà décrites. Il n’empêche
qu’elle traduit l’émotion et le désarroi de ceux de nos anciens qui ont tant combattu en prenant conscience de l’oubli de leur action ô combien valeureuse et de leurs
sacrifices. Là est toute sa valeur.
La France a connu en 1940 l’une des plus sévères défaites de son histoire.
Mais, beaucoup plus qu’à une simple défaite militaire, le monde médusé assista en moins de soixante jours à l’effondrement de l’une des
plus grandes nations qui dominait alors le monde.
Cette catastrophe sans précédent est volontiers occultée par l’histoire officielle parce que, dans l’euphorie de la libération et de la victoire
des alliés, cinq ans plus tard, on ne voulut pas revenir sur le passé pour rechercher les causes de la défaite et de l’effondrement de la
nation, afin que pareille catastrophe ne se reproduise plus. On préféra jeter un voile pudique sur le passé et laisser accréditer dans
l’opinion publique l’idée qu’en 1940 l’armée française ne se serait pas battue
Rétablissons la vérité pour dire qu’il y eut, en cinq semaines de combats, plus de 100 000 morts et 120 000 blessés, ce qui, en pertes
journalières, représente des pertes aussi élevées qu’à Verdun en 1916. Cela, il faut le savoir.
La guerre n’étant jamais que la continuation de la politique par d’autres moyens, nous savons, nous combattants de 1940, que nous avons
payé au prix fort par le sang versé, l’impéritie de nos gouvernants dans les années trente, face à la montée en puissance du nazisme, et
l’incapacité de nos responsables militaires à tenir compte des progrès techniques accomplis entre les deux guerres, pour les intégrer dans
l’organisation de l’armée, comme dans la conception de la manœuvre.
Nos adversaires, utilisant en liaison étroite une aviation puissante, ayant acquis rapidement la maîtrise du ciel, et les chars groupés en
divisions blindées, dont l’unité tactique d’emploi était le corps blindé regroupant deux divisions, soit cinq cents chars, plus une division
motorisée, avaient conçu une armée mobile, dotée de moyens offensifs puissants contre laquelle l’armée française héritière des
conceptions de la guerre 1914-1918, se croyant à l’abri derrière la ceinture fortifiée de la ligne Maginot, s’est trouvée en flagrant délit
d’infériorité, pour s’être vu imposer une guerre de mouvement à laquelle elle n’était pas préparée.
Nos morts de 1940 sont des morts obscurs, dont on ne parle jamais parce qu’il s’agit d’une page d’histoire que les Français veulent
oublier, pour tenter d’effacer de leur mémoire la honte d’être tombés aussi bas. Nous leurs camarades, nous savons qu’ils sont morts
courageusement en accomplissant leur devoir de combattants pour la défense de la France et de la liberté. Ceux qui ont connu par la
suite l’occupation, les camps de prisonniers ou la déportation savent le prix qui s’attache à l’indépendance de la nation et à la liberté
individuelle.
Le 10 mai 1940, lorsque la guerre totale éclate, la 5ème division coloniale (5ème DIC) à laquelle appartient le 22ème régiment d’infanterie
coloniale (22ème RIC) se trouve stationnée face à la frontière suisse. Enlevé en chemin de fer le 15 mai, le régiment va voyager durant
treize jours en train, à pied, en camions, de jour ou de nuit, selon un périple incohérent qui traduit les hésitations du hautcommandement. C’est pour les hommes autant de fatigues inutiles.
Débarqué finalement le 28 mai au matin pas loin d’ici, le 22ème RIC est mis à la disposition de la 4ème division cuirassée, commandée par
le colonel De Gaulle, qui a reçu pour mission de réduire la tête de pont établie par les Allemands sur la rive sud de la Somme, à hauteur
d’Abbeville. La veille, au même endroit, la 2ème division légère de cavalerie (2ème DLC), renforcée par deux brigades blindées britanniques,
a mené une attaque qui a échoué. Les Anglais ont eu 120 chars hors de combat.
Le 28 mai, à 17H00, depuis les villages d’Hallencourt et Hocquincourt, le 22ème RIC part à l’attaque avec les chars de la 4ème DCR. Cette
attaque, le premier jour, est un succès. Les villages d’Huppy, Bailleul, Caumont sont repris et le bois de Fréchencourt, premier objectif,
est atteint le soir à 21H00. Les Allemands, en se repliant, abandonnent entre nos mains blessés et prisonniers, armes et matériel. Mais,
ils vont mettre à profit la nuit pour se renforcer, notamment en moyens antichars.
Le 29 mai, dès 05H00 du matin, l’attaque reprend. Le 1er bataillon, commandé par le capitaine Gavouyère, appuyé par cinq chars Somua,
s’empare vers 16H00 de Mareuil-Caubert, jusqu’au carrefour de la route menant à Villers-sur-Mareuil. Les 2ème et 3ème bataillons, de leur
côté, s’emparent d’Huchenneville et de Villers-sur-Mareuil.
Le 30 et le 31 mai, le régiment a ordre de se maintenir sur les positions conquises, ce qu’il fera en résistant à toutes les contre-attaques
ennemies. La 4ème DCR, de son côté, avec son infanterie organique, tentera mais en vain de s’emparer, par l’ouest, du Mont-Caubert, qui
commande l’entrée d’Abbeville. Le 31 mai, la 4ème DCR est retirée. Elle a perdu 112 chars sur 184.
A l’aube du 2 juin, le 22ème RIC est relevé par la 51ème division écossaise et va au repos, en seconde position, à Hallencourt, Hocquicourt,
Citerne. Il a perdu, en tués et blessés, le tiers de son effectif : 26 officiers sur 79 et plus de 700 hommes.
Le répit sera de courte durée.
Le 5 juin, les Allemands ayant liquidé la poche de Dunkerque, attaquent en force sur toute la Somme avec des effectifs trois fois
supérieurs aux nôtres. Deux divisions blindées, la 5ème et la 7ème Panzers franchissent la rivière à hauteur de Condé-Folie, dans le secteur
tenu par le 53ème régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais (53ème RICMS), commandé par le lieutenant-colonel Polidori, qui se
battra farouchement à Hangest-sur-Somme et à Airaines. La 7ème Panzer, commandée par le général Rommel, devra s’y prendre à
plusieurs reprises pour venir à bout de la résistance opiniâtre opposée par les Sénégalais, arrivés sur leurs positions seulement la veille à
10H00 du soir, après avoir accompli dans la journée une marche de 32 km, avec tout leur barda.
De son côté, le 22ème RIC appelé en renfort par la 2ème DLC, perdra ce jour-là la quasi-totalité de son 3ème bataillon dans de durs combats
contre la 5ème Panzer à Sorel, Wanel et au bois Dubois.
L’ordre général de repli est donné. Pour le 22ème RIC, les combats en retraite vont durer sept jours : sept jours de cauchemar. Combattant
le jour, marchant la nuit au milieu d’une cohue indescriptible de civils qui fuient l’avance ennemie et que nulle autorité ne contrôle, sans
ravitaillement organisé, nous nourrissant uniquement par des moyens de fortune, harassés de fatigue, creusant chaque matin des
emplacements de combats que nous abandonnerons le soir pour reprendre notre marche de nuit comme des somnambules, voyant chaque
jour des camarades tomber à nos côtés, nous retrouvant chaque soir un peu moins nombreux, l’angoisse au cœur, sans autre espoir que de
savoir que demain tout recommencera, y compris le loto de la mort …
Le 9ème corps d’armée (9ème CA), commandé par le général Ihler, auquel le 22ème RIC est rattaché, n’atteindra pas la Basse-Seine qui est
son objectif. Les 5ème et 7ème Panzers, qui ont franchi la Somme à Condé-Folie, y seront avant lui et vont lui couper la route.
Encerclé autour de Saint-Valery en Caux, le dos à la mer, une tentative d’embarquement ayant échoué, le général Ihler, la mort dans
l’âme, doit se résigner le 12 juin à 08H00 du matin à donner l’ordre de se rendre.
Mais, dans les troupes coloniales, aujourd’hui troupes de Marine, il est de tradition de ne pas se rendre sans combat. Le lieutenantcolonel Le Tacon, commandant le 22ème RIC, ordre de reddition en poche, prescrit aux quatre cents survivants du 22ème RIC, qui lui
restent sur trois mille au départ, de livrer un dernier baroud d’honneur.
Encerclés dans la cour d’une grande ferme, par la 5ème Panzer, les derniers combattants du 22ème RIC vont résister pendant trois heures,
jusqu’à épuisement des munitions. Il y eut encore, ce matin-là, une trentaine de morts et de blessés. Je figurais au nombre des blessés.
Pour sa conduite au combat en 1940, le 22ème RIC fut cité à l’ordre de l’armée, et désormais, à la suite de l’inscription « La Somme 1916 »,
la mention « La Somme 1940 » figure en lettres d’or sur la soie de son drapeau, témoignant pour les générations futures que les fils furent
dignes de leurs pères.
Le 53ème RICMS fit l’objet de la même distinction, très rarement décernée en 1940, puisque sur la trentaine de régiments d’infanterie
coloniale engagés, trois seulement firent l’objet d’une citation à l’ordre de l’armée avec inscription au drapeau.
Si les avenues de la gloire sont larges et dégagées, propices aux défilés musique en tête, les sentiers du devoir sont le plus souvent étroits,
caillouteux et semés de ronces. C’est pourquoi ils sont si peu fréquentés et que bien peu nombreux aujourd’hui sont ceux qui s’y
aventurent, au point que leur tracé sur le sol tend à s’effacer.
Le sacrifice de nos morts de 1940 n’a pas été inutile. La France vit désormais en paix avec ses voisins et nous avançons tous les jours
dans la voie d’une Europe unie et solidaire. Mais la paix et la liberté sont des valeurs fragiles et l’avenir réserve à notre pays bien
d’autres défis.
C’est pourquoi, au soir de notre vie, nous les survivants de ces combats de 1940, qui savons que la vie ne s’écoule pas comme un long
fleuve tranquille, nous ne pouvons que recommander aux jeunes générations ne pas se laisser aveugler par les attraits d’une société
permissive et sans idéal, sous peine de connaître des lendemains qui déchantent. Mais, face aux défis que l’avenir leur réserve et qui déjà
se présentent, nous les incitons à la vigilance et à retrouver la voie de l’effort qui passe par les sentiers du devoir. Puisse ce bref rappel
d’un passé tragique les y inciter en ayant valeur d’exemple.
Allocution prononcée par le capitaine (H) Rodolphe-André Benon
au cimetière militaire de Mareuil-Caubert le 19 mai 2000.
Mise en forme, cartographie, photographies, précisions et commentaires explicatifs du colonel (ER) Philippe Blanchet (23/02/2015)

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