du 5 au 12 juin 1940 - Les Anciens du 22ème de Marine
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du 5 au 12 juin 1940 - Les Anciens du 22ème de Marine
Chapitre 4/5 La retraite du 22ème RIC (du 5 au 12 juin 1940) _________________ Sommaire Situation générale. L’adversaire terrestre. Historique du régiment pour la période du 5 au 12 juin1940. Récits, souvenirs et témoignages. Compte rendu du médecin-lieutenant Roger Gheiner Le 1er bataillon dans le calvaire de la retraite. La 2ème Cie en combat retardateur. Evacuation d’un blessé. Une évacuation manquée vers l’Angleterre. Les deux derniers jours du régiment vécus par un homme de troupe. La compagnie de transmissions (CDT) au combat du 10 au 12 juin1940. Après le 12 juin 1940. Captivité et évasion du 13 au 30 septembre 1940. Le cri d’un combattant de 39/40. Situation générale ______________ Le 5 juin 1940, à 05H00, commence sur la Somme ce qu’on a appelé « la bataille de France ». Le commandement français a prévu cette attaque pour le 10 juin. Une fois de plus l’ennemi est en avance. Du côté français, c’est la bataille du désespoir. Les alliés ont perdu trente-neuf divisions, les Français trente et les Anglais neuf, soit plus du tiers de leurs moyens et justement les divisions les meilleures. Les prélèvements sur les Alpes, les renforts d’Afrique et les reconstitutions d’unités ont permis de porter à soixante-six le nombre de divisions françaises. C’est vingt-trois de moins que le 10 mai … et encore les divisions reconstituées sont-elles des plus légères : deux régiments d’infanterie au lieu de trois, deux ou trois groupes d’artillerie au lieu de cinq. Les grandes unités blindées ou semi-blindées se réduisent à une DML de création récente, deux DCR incomplètes et trois faibles DLC. Elles ne représentent pas deux Panzerdivisionen (Pz D) L’armée de l’air, bien qu’exsangue fin mai, compte au 10 juin grâce aux sorties d’usine 2 368 avions au lieu de 2 000 un mois plus tôt. Malheureusement, du fait de la faillite de l’industrie aéronautique française, elle ne peut engager que 600 avions quand débute la bataille de la Somme. En plus d’un nombre non négligeable d’avions périmés, près de 70% des appareils sont indisponibles faute d’armement ou d’équipements La Wehrmacht est à la fois fatiguée et prête à une nouvelle offensive. Elle est fatiguée : c’est notamment le cas des unités d’infanterie qui ont suivi les blindés à pied jusqu’à Dunkerque. Du 10 au 31 mai, les pertes de la Wehrmacht se sont élevées, surtout dans les unités blindées ou motorisées, à 60 000 hommes dont 10000 tués et 8 000 disparus. La 7ème Pz D de Rommel a perdu, par exemple, 12,8% de ses effectifs, mais surtout 94 de ses officiers sur 400. Ces pertes ne sont donc pas négligeables surtout en ce qui concerne les cadres. Le matériel a été mis à rude épreuve. Le temps a manqué pour effectuer les révisions nécessaires, la lutte antichar des alliés et notamment des armes antichars françaises a été efficace. Au 31 mai, les Allemands ont perdu 614 chars dont 110 Pz III, 77 Pz IV et 88 modèles tchèques. Mais, elle est prête : le système de complétement en matériel fonctionne bien et le moral exalté par les victoires remportées est élevé. Les hommes de quarante ans ont le sentiment d’avoir réalisé en moins de quatre semaines ce qu’ils n’avaient pu faire en cinquante-deux mois en 1914/1918, les jeunes sont sensibles à leur victoire et ont tous vu les longues colonnes de prisonniers se dirigeant vers l’est. Tous pensent que les Français défendront avec acharnement leur pays, mais personne ne doute de la victoire finale. Globalement, l’armée allemande se présente dans une situation bien plus favorable que le 10 mai : elle attaquait alors dans une région difficile uniquement avec des forces rapides, la masse de l’infanterie suivant à une distance croissante. Maintenant, cette infanterie est en mesure d’entrer en ligne en même temps que les blindés. La Wehrmacht qui s’est par ailleurs accrue de dix divisions (Trois d’entre elles ne sont toutefois aptes qu’à des missions d’occupation) est désormais en mesure de livrer une bataille de masse et une bataille de vitesse avec au moins la même supériorité que dans sa chevauchée sur Dunkerque. Les forces allemandes sont réparties entre trois groupes d’armée (GA). L’effort principal est confié au GA.A qui, à partir de la région s’étendant de Saint-Gobain à Montmédy, doit en passant à l’est de Paris, en Champagne, attaquer en direction du sud-est pour prendre les armées françaises de l’est à revers, par un mouvement tournant dont l’ampleur ira jusqu’à Dole et Pontarlier. Le GA.B à l’aile droite, qui s’étend de l’embouchure de la Somme au massif de Saint-Gobain, a une double mission : d’une part, couvrir l’effort principal face à Paris et y contribuer en prenant cette ville puis en poursuivant son effort vers Troyes, Dijon et Lyon, d’autre part, couper les forces françaises des ports de la Manche et de l’Atlantique. Le GA.C, qui tient le front du Luxembourg à la Suisse, doit fixer et détruire les forces françaises de la ligne Maginot et du nord-est de la France. Cette opération doit s’échelonner en trois temps : d’abord par une rupture du front de la Somme par le GA.B qui doit attaquer le 5 juin, ensuite par une attaque en Champagne du GA.A dès le succès de la première offensive (Le GA.A prononcera son attaque à partir du 9 juin), enfin, plus tard, à partir des 14 et 15 juin, le GA.C entreprendra son action. Cet échelonnement a pour but de concentrer successivement l’appui feu des forces aériennes et de l’artillerie et, éventuellement de faire roquer les unités rapides. La première attaque, celle du GA.B doit améliorer la base de départ de l’offensive principale dans la région Compiègne-Soissons et, espère l’OKH (OberKommando des Heeres (OKH) = commandement Le désastre de 1940, « la guerre éclair », 10 mai-24 juin supérieur de l’armée de terre, état-major de l’armée de terre [EMAT]), attirer des réserves 1940. Dossiers secrets de la France contemporaine/5. françaises. Le dispositif correspondant à cette conception est caractérisé par la densité des Claude Paillat. Éditions Robert Laffont, page 466 divisions, dans les zones où est recherchée la rupture. Le 5 juin, l’offensive attendue débute donc sur la Somme à partir des têtes de pont. Elle est menée par 47 divisions dont 6 Panzerdivisionen. C’est dans ce contexte que le 22ème RIC combat jusqu’au 12 juin dans des conditions extrêmement difficiles faisant 30 à 40 km par jour tout en combattant. Il a essentiellement en face de lui au cours de cette période, à l’ouest la 5ème Panzerdivision ème (5ème Pz D) commandée par le général von Hartlieb, à l’est la 7ème Panzerdivision Une Pz D comme la 7 , celle de Rommel, comprend par (7ème Pz D) commandée par le général Rommel, entre les deux la 2ème division exemple : 218 chars, 50 auto mitrailleuses, 36 canons de 105mm et 6 canons de 150mm, 36 canons de 37mm AC, 12 canons de d’infanterie motorisée (2ème ID moto). 20mm AA, 12 canons de 88mm AA, 4000 fantassins motorisés et La 5ème Pz D franchit la Somme entre Pont-Rémy et Coquerel, la 2ème ID moto entre un bataillon de motocyclistes, 950 sapeurs dotés d’un pont Coquerel et Condé-Folie et la 7ème Pz D entre Condé-Folie et Hangest-sur-Somme. Le mobile, un bataillon de transmissions à 600 hommes. C’est une 5 juin, le 22ème RIC se heurte principalement à des éléments de la 5ème PZ D. force impressionnante. Bien qu’ils ne semblent pas en On ne saurait omettre d’évoquer la résistance opiniâtre à Airaines ème ème avoir eu connaissance, les défenseurs mettent en œuvre les directives du général du 53 régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais (53 ème Weygand qui prescrivaient de délaisser la défense linéaire appliquée jusque-là, de RICMS) auquel appartenaient des éléments mutés du 22 RIC au ème cours de l’hiver 1940. Le 53 RICMS y fut décimé et sa résistance s’organiser en centres de résistance tels que bois et villages placés aux nœuds de fut soulignée par le général Rommel lui-même, qui rendit même communication, de laisser passer les chars si nécessaire après en avoir détruit le hommage « aux troupes noires » qui se battirent contre sa division maximum, de s’en prendre à l’infanterie et de saisir toutes les occasions de contreau sud de la Somme. attaquer, les défenseurs. Les chars allemands contournent les résistances, mais doivent se mettre en hérisson pour la nuit et craignent pour leur ravitaillement. Les journaux de marche des unités allemandes notent d’ailleurs que pendant les deux premiers jours leur offensive piétine et que les Français se défendent avec acharnement et habileté. Mais, pour détruire les colonnes blindées allemandes qui s’infiltrent dans les étroits couloirs entre les points d’appui, il faudrait des chars et des avions. En conséquence, malgré l’opiniâtreté de la défense des unités françaises, loin derrière celles-ci, les Panzers atteignent la Seine le 8 et le 9 juin. A partir du 10, ils remontent vers le nord pour parfaire l’encerclement des troupes alliées qu’ils ont laissées derrière eux. La 7ème Pz D attaque dans la direction générale de Fécamp tandis que la 5ème Pz D fait de même en direction de Dieppe. Le 11 juin, Rommel attaque Saint-Valery-en-Caux par l’ouest, la 5ème Pz D attaque, à l’est Veules-les-Roses et la 2ème ID moto complète l’encerclement du 9ème corps d’armée du général Ihler par le sud. Le 22ème RIC est là. Quelle que soit notre infériorité numérique et, surtout quantitativement, matérielle, se faisant l’interprète de ses compagnons d’armes, le sous-lieutenant Benon, non sans un certain ressentiment bien compréhensible, exprime son amertume par ces mots : « Le déroulement de cette campagne illustre bien le fait que, dans cette guerre de mouvement imposée par les Allemands, nos généraux, privés de moyens de communication rapides, ont été constamment dans l’impossibilité d’exercer leur commandement et d’influer sur les événements parce qu’entre le moment où, en fonction des renseignements reçus, ils concevaient une manœuvre et le moment où les ordres parvenaient à l’échelon d’exécution, la situation sur le terrain avait tellement évolué que ces ordres étaient devenus inexécutables, a fortiori face à un Gudérian ou un Rommel qui, exerçant leur commandement en tête de leurs unités blindées, était à même d’intervenir sur le champ en fonction des aléas rencontrés, et avec des éléments extrêmement mobiles ». Les unités du 9ème corps d’armée (9ème CA) commandé par le général Ihler, parmi lesquelles le 22ème RIC, de plus en plus réduites, harassées, mélangées, dont les officiers ne possédant aucune carte, en sont réduits à se repérer sur la carte départementale sommaire des calendriers des Postes “fauchés” dans les maisons abandonnées, en supportent les conséquences parfois tragiquement. Autant que celle des journaux de marche du régiment concernant les offensives de Champagne en février et en septembre 1915 et les combats sur la Somme en février et en juillet-août 1916, la lecture de l’historique du régiment en particulier pour la période du 5 au 12 juin 1940 suscite, malgré son caractère impersonnel et neutre de compte rendu, un sentiment d’admiration, de respect et de stupeur tant elle révèle de sens du devoir, de courage et de résistance physique et morale, de sacrifices personnels et collectifs, de respect de soi-même et de besoin de considération de ses pairs comme de ses supérieurs ou de ses subordonnés, sans jamais désespérer malgré les défaillances passagères éventuelles bien compréhensibles. Les témoignages personnels qui suivent illustrent ce sentiment et ces impressions et complètent l’Historique. Colonel (ER) Philippe Blanchet (16/02/2015) L’adversaire terrestre __________________ Du 5 au 12 juin 1940, le 22ème RIC eut essentiellement à combattre deux Panzerdivisionen (Pz D) (Divisions blindées) et une division motorisée au sein desquelles aucun déplacement, sauf au cours des combats à pied, ne s’effectue autrement qu’en véhicule. Chaque véhicule blindé, à roues ou à chenilles, est doté d’une radio de bord, voire d’un interphone intérieur. Ce qui n’existe pas dans nos unités blindées. Rappelons que ces unités représentent une force blindée d’environ 450 chars et de 160 automitrailleuses qui attaque sur un front très étroit. Les liaisons radio se font en phonie à l’intérieur des unités. Tirant les enseignements des combats de la fin du Premier conflit mondial, les militaires allemands considérèrent que la mobilité, la souplesse et l’effet de choc devaient être recherchés dans le développement tactique de forces de chars qui impliquait la formation de grandes unités blindées. Pour ce faire, dès 1931, ils réclamèrent deux types de chars : un char Les Allemands désignent leurs chars par le nom de la classe suivi du n° du modèle. Par exemple, PanzerKampfWagen I en abrégé PzKpfW I ou Pz I (véhicule blindé de combat de 20 tonnes, armé d’un canon de 75mm en tourelle et de deux N°I). Un même type de char comprend souvent plusieurs modèles. La qualification du mitrailleuses pour le combat char contre char et un engin plus léger, modèle suit l’appellation. Ainsi PzKpfW I Aufs C signifie : véhicule blindé de combat armé d’un canon de 50mm à obus perforant et de deux mitrailleuses, N°I modèle C, ou char de premier type modèle C. prévu initialement pour la reconnaissance. Ce furent les PzKpfW IV et III, appelés plus simplement Panzer IV (Pz IV) et Panzer III (Pz III). Panzer IV (Pz IV) Poids : 25 t, Long 7,02m, Haut : 2,68m. Blindage : 80mm. Vitesse :15/40km/H. Armement 1 canon de 75mm, 2 mitrailleuses de 7,92mm. Equipage : 5 hommes. Panzer III (Pz III) Panzer 38 (t) (Pz 38[t]) Poids : 22,3 t, Long 5,41m, Haut : 2,51m. Blindage : 30mm. Vitesse :15/40km/H. Armement 1 canon de 37mm, 1 mitrailleuse de 7,92mm. Equipage : 5 hommes. Char tchécoslovaque utilisé par les 7 et 8 Pz D. Poids : 10 t, Long 4,55m, Haut : 2,31m. Blindage : 25/50mm. Vitesse : 42km/H (200km/jour à26 km/H). Armement : 1 canon de 37,2mm, 2 mitraill de 7, 92mm. Equipage : 4 hommes. Mais la mise au point de ces chars devant prendre plusieurs années, il importait d’avoir pour l’instruction et l’acquisition de l’expérience nécessaires à la manœuvre blindée un char suffisamment léger pour être construit rapidement. Panzer I (Pz I) Panzer II (Pz II) Poids : 5,5 t, Long : 4,30m, Haut : 1,70m. Blindage : 13mm. Vitesse :37km/H. Armement : 2 mitrailleuses de 7,92mm. Equipage : 2 hommes. Poids : 9,5 t, Long : 4,91m, Haut : 2,02m. Blindage : 35mm. Vitesse :15/40km/H. Armement : 1 canon de 20mm, 1 mitrailleuse de 7,92mm. Equipage : 3 hommes. Ce fut le Panzer I (Pz I) qui subit l’épreuve du feu en Espagne. Il apparût alors nécessaire Pz 35 (t) et Pz 38 (t), c’est ainsi que les Allemands de posséder un char ayant un blindage plus important et une plus grande autonomie. La mise désignèrent respectivement les chars Skoda LT 35 et au point des Panzers III et IV s’avérant plus longue que prévue, il fut décidé de construire un les chars CKD (sigle du nom de la firme constructive) TNPH. La lettre (t) étant l’abréviation de char de 10 tonnes : le Panzer II (Pz II) qui joua un grand rôle en 1939-1940 mais qui s’avéra « Tscheche » qui signifie tchèque en Allemand. trop faiblement blindé et armé face aux chars alliés (B1 bis, 35 S [35 Somua] et Matilda anglais). Seuls les Pz III et Pz IV étaient susceptibles de s’opposer à ces chars. Encore l’armement du Pz III était-il au début trop léger.Les performances, le blindage et l’armement des Pz IV ayant été constamment améliorés, ces chars constituèrent l’épine dorsale des divisions blindées allemandes pendant tout le Second conflit mondial malgré la mise en œuvre des Pz V (Panther) et des Pz VI (Tiger). A part la masse des 1600 Pz I et Pz II dont l’efficacité est des plus réduite, les Allemands n’ont en 1940 que 349 Pz III et 278 Pz IV. Aussi furent-ils heureux de pouvoir mettre en œuvre, après l’occupation de la Tchécoslovaquie en mars 1939, 334 excellents chars de fabrication tchécoslovaque : 106 Pz 35 (t) et 218 Pz 38 (t). La 7ème Pz D du général Rommel, à laquelle le 22ème RIC eut à faire à certains moments, comprenait par exemple 109 chars Pz 38 (t) sur 218, soit la moitié. Enfin, des véhicules chenillés de commandement et d’appui susceptibles de progresser à la vitesse des chars, sont conçus dès le début de la guerre à partir du châssis du Pz I B. Panzerbefhlswagen (Char de Commandement) Canon automoteur de 150mm Chaque Pz D est dotée d’un bataillon de reconnaissance constitué d’automitrailleuses lourdes (SdKfz 231) ou légères (SdKfz 222) et d’éléments motocyclistes dont le rôle est d’évaluer les forces et les faiblesses de l’adversaire, de reconnaître le terrain et de signaler les obstacles et les passages difficiles pouvant ralentir l’avance de la division. Éléments de reconnaissance Schwerer Panzerpähwaden (SdKfz 231) Poids : 11,7 t, Long (caisse) : 6m, Haut : 2,38m. Vitesse :85km/H. Rayon d’action : 270km Equipage : 4 hommes. Leichter Panzerpähwaden (SdKfz 222) Poids : 4,8 t, Long : 4,80m, Haut : 2m. Vitesse :80km/H. Rayon d’action : 300km. Equipage : 3 hommes. Les éléments motocyclistes de reconnaissance et d’éclairage étaient équipés de moto-sidecar, le plus ouvent de marque BMW ou Zundapp, armés d’une mitrailleuse MG 34. Les éléments de reconnaissance et d’éclairage agissant très loin en avant du gros Le camouflage des SdKfz 231 et SdKfz 222 présentés cides forces, parfois jusqu’à 100km en avant, sont en général dessus est, en Europe, celui des années 1944 et 1945. En 1940, tous les véhicules de l’armée allemande étaient composés de trois automitrailleuses qui soutiennent par uniformément peints en gris. leurs feux les éléments motocyclistes et qui sont en liaison radio constante avec le PC de la Pz D. Des avions légers d’observation (Fieseler Storch et Henschel 126) complètent ou accompagnent la reconnaissance terrestre. Equipés « d’antenne cadre », les SdKfz 231 et SdKfz 222 et les véhicules semi-chenillés transports de troupe SdKfz 251 étaient utilisés comme véhicules de commandement. Ils étaient utilisés par nombre de commandants de Pz D, tels les généraux Guderian et Rommel, qui parcouraient le champ de bataille pour garder le contact autant avec l’arrière qu’avec leurs « yeux », leurs unités de reconnaissance, et pouvaient ainsi réagir à tout changement de situation. Les fantassins des Pz D et des divisions motorisées, les « Panzergrenadieren », sont transportés soit en véhicules chenillés soit en camions et les pièces d’artillerie tractées par des véhicules spécialisés. Engins de commandement et/ou de transmissions SdKfz 231 SdKfz 222 SdKfz 251 SdKfz 251. Tracteur d’artillerie Destiné au transport d’un groupe de combat Equipé d’une mitrailleuse MG 34 Destiné à tracter les canons de 105mm, de 150mm et de 88mm AC et AA (Pack et Flack) ainsi que les équipes de pièce correspondantes Ils sont équipés légèrement pour le combat, leurs impédimentas (sac à dos, affaires de rechange, etc.) étant transportés dans leurs véhicules de transport. Leur armement individuel était constitué soit du fusil Mauser à répétition Mle 98 modifié de calibre 7,92mm, soit du pistolet-mitrailleur Schmeisser 38 de calibre 9mm parabellum. Fantassin en tenue de combat (1939/1940) Veste verte, pantalon gris (d’où l’expression « Vert-de-gris » utilisée couramment par les Français pendant l’occupation pour désigner les soldats allemands). Casque d’acier Mle 35. Paquetage d’assaut réduit. Ceinturon (Inscription sur la boucle « Gott mit uns ») et équipe- ment en cuir noirci. Mi-bottes en cuir noirci. Pelle individuelle (à gauche) Bidon d’un litre à droite (à peine visible). Dans la botte droite, grenade à manche à main OF ou DF. PM Schmeisser 38 Long (avec crosse) : 833mm. (sans crosse) :630mm Poids : 4,7kg. Cadence de tir : 500 c/mn Le PM 38 inaugurait des méthodes de construction toutes nouvelles (feuilles de métal estampées, matières plastiques, manque presque total de finition) permettant une production en grande série rapide, offrant, pour le meilleur coût, une puissance de feu considérable pour le combat rapproché d’infanterie. Maschinengewehr 1934 (MG 34) En 1939, (jusqu’à la mise en service de la célèbre MG 42 [1500 c/mn]), l’armement collectif est essentiellement constitué de la Maschinengewehr 1934(MG 34) qui était une arme excellente, très appréciée de ses utilisateurs. La MG 34 pouvait être : − utilisée comme mitrailleuse légère portée par un fantassin, elle était alors munie d’un simple bipied, − utilisée (dans la présente configuration) comme mitrailleuse lourde, elle était alors montée sur un affût tripode. Calibre : 7,92mm. Long : 1,22m. Poids : 11,5kg. Cadence de tir 900 c/mn (A comparer avec le FM 24/29 (V0 : 755m/s) et la mitrailleuse Hotchkiss). Des variantes équipaient les blindés ou servaient d’armes anti-aériennes Colonel (ER) Philippe Blanchet (20/02/2015) Historique du régiment pour la période du 5 au 12 juin 1940 ________________________ Le 5 juin 1940 au matin, le régiment occupe : - le PC, la CDT et la CRE : Oisemont ; - la CHR : Wiry-au-Mont ; - le 1er bataillon : Hocquincourt, le 2ème bataillon : Citerne et le 3ème bataillon : Hallencourt. Ces villages ont été organisés défensivement. Journal de marche et d’opération (JMO) du 22ème RIC (Extraits) _____________________________________________________ Itinéraire de la retraite (Emplacements du PC du régiment) « Le 5 juin, dès que le jour pointe, une forte canonnade se fait entendre au nord et au nord-est d’Oisemont. Vers 08H30, la 2ème DLC demande la mise à sa disposition d’un bataillon du régiment, car l’attaque ennemie qui s’est produite à 04H00 du matin n’a pu être endiguée. Le chef de corps en réfère téléphoniquement au général commandant la 5ème DIC qui l’autorise à donner satisfaction à cette demande. Le 3ème bataillon, commandé par le capitaine Sérole, est mis à la disposition du colonel commandant le 3ème régiment de dragons portés (3ème RDP). Conformément aux ordres de celui-ci, le capitaine Sérole organise le bois Dubois et le mamelon situé au nord-est en liaison avec le 3ème RDP, protège l’artillerie, laisse une compagnie à Hallencourt pour en assurer la défense au nord. Mais l’attaque ennemie, qui au jour a franchi la Somme, a progressé en débordant successivement les points d’appui du 3ème RDP. La menace principale est prononcée à l’ouest du front, en direction de la crête située entre Bellifontaine et le bois Dubois, dans lequel il y a une batterie de 75mm motorisée… L’ennemi s’infiltre en direction du bois Dubois. A 09H30, le mouvement prescrit par le commandant du 3ème bataillon est amorcé mais il est suspendu car l’attaque ennemie se montre plus dangereuse au centre. Il est à signaler que la 2ème DLC ne dispose que du 3ème RDP et d’un régiment de chars et d’automitrailleuses, ces deux régiments étant déjà fortement réduits. Sa brigade de cavalerie est à 40 ou 50 km à l’ouest, en réserve de corps d’armée. Conformément à de nouveaux ordres du commandant du 3ème RDP, le commandant du Oisemont 3ème bataillon porte la 11ème Cie au bois Dubois avec la mission antérieure du bataillon, le groupe de 75mm motorisé ayant mis ses canons hors d’usage et s’étant replié, la 9ème Cie à Sorel-en-Vimeu en liaison par les feux avec la 11ème Cie et avec la 10ème Cie portée à Wanel. Les compagnies doivent constituer des points d’appui antichars et « résister sans esprit de recul ». A 10H00, le mouvement est en cours. Sont laissées à Hallencourt : la section de commandement du bataillon, la section de commandement de la CAB.3, une section de mitrailleuses et les mortiers. A 11H00, tous les officiers des 9ème et 10ème Cies, qui se trouvent, excepté le lieutenant Cuenot, à Wanel au PC du bataillon du 3ème RDP pour y prendre des ordres, sont tués ou blessés par un obus qui détruit le PC. Le capitaine Sérole, commandant le 3ème bataillon, qui n’a reçu l’ordre de s’y rendre qu’à 11H00, n’y arrive heureusement qu’à 11H30. A 11H30, le chef de corps reçoit l’ordre signé du général Ihler, commandant le 9ème corps ème ème ème ème Le 9 CA est composé des 40 et 31 DI, de la 51 d’armée (9ème CA) de se mettre avec tout son régiment à la disposition du général ème ème division écossaise, des 2 et 5 DLC et du 22ème RIC. commandant la 2ème DLC. Il se rend aussitôt au château de Mérélessart, où se trouvent les généraux Berniquet et Gasquet, pour y prendre leurs instructions. A 12H00, en exécution de leurs ordres verbaux, il prescrit au : - 2ème bataillon (chef de bataillon Lacroix) de porter une compagnie au bois Renaud, (5ème Cie), deux sections de FV à Wiry-auMont (6ème Cie), le PC du bataillon et une compagnie et demie (7ème et 6ème Cie) à Allery. Tous ces éléments devront organiser la défense en réduits fermés ; - 1er bataillon (capitaine Gavouyère) de se tenir prêt à faire mouvement, mais en attendant de concourir à la défense d’Hallencourt où se trouve le PC du 3ème RDP. A 11H45, le PC du régiment fonctionne effectivement au château de Mérélessart où viennent s’installer la CDT, et les éléments non employés de la CRE. Peu après, les trois points d’appui du 3ème bataillon : Sorel en Vimeu, Wanel et bois Dubois sont attaqués par les chars ennemis. A 16H00, Wanel est encerclé, les motocyclistes du 3ème RDP qui cherchent à percer vers le sud sont décimés. A 16H30, Wanel est pris. Seuls restent du 3ème bataillon dans Wanel le capitaine Sérole, le médecin-lieutenant Grener, l’adjudant-chef Le Thomas et l’équivalent d’une section ; ils harcèlent les colonnes ennemies à partir des haies situées au nord-ouest du village. A 19H00, un avion les repère et bientôt des éléments de chars et d’infanterie les font prisonniers, à l’exception du capitaine Sérole qui s’est dissimulé. Profitant de la nuit, le capitaine Sérole franchira les lignes ennemies et rejoindra le PC du régiment le lendemain matin à 08H00. Du bois Dubois, quelques hommes commandés par le lieutenant Leraitre se replient sur Hallencourt. Ces quelques éléments restants du 3ème bataillon sont répartis entre les 1er et 2ème bataillons. A 17H00, le capitaine Gavouyère, commandant le 1er bataillon, est prévenu par le commandant du 3ème RDP du repli de ce régiment. Il lui confie la défense du village d’Hallencourt. A 18H00, le commandant de la 2ème DLC prescrit au lieutenant-colonel Le Tacon de replier sur Woirel le 1er bataillon qui se trouve en flèche. Cet ordre commence à être exécuté à 19H00. Le décrochage s’effectue dans l’ordre 1ère, 2ème et 3ème Cie. Le 1er bataillon occupe le village et le château de Woirel qui sont mis en état de défense. Au cours du repli le commandant de la CAB 3, Le lieutenant Fornbacher, est tué. Vers la même heure, ordre est donné à la 5ème Cie de se replier du bois Renaud sur Wiry-au-Mont, où elle se groupe avec les deux sections de la 6ème Cie qui s’y trouvent déjà. La défense est organisée sur la voie ferrée et sur la route d’Oisemont à Allery. A 18H00, les éléments d’Allery, la 7ème Cie, deux sections de la 6ème Cie et quelques automitrailleuses de reconnaissance (AMR) sont fortement attaqués par des chars et des automitrailleuses. Le gros des colonnes blindées ennemies s’écoule vers la droite. A 21H00, l’ordre est envoyé au commandant du 2ème bataillon, dont le PC se trouve à Allery, de se replier avec ses éléments sur le bois de Cambos, mais en fin de nuit, le bataillon occupe le bois de Woiry et n’atteint le bois de Cambos que le lendemain vers 11H00. Au cours de la journée du 5 juin, le PC du régiment fonctionne de 19H00 à 22H00 au château de Woirel, puis ensuite à Vergies. Au cours de cette journée, le 3ème bataillon a été presque complètement détruit et les pertes du 1er bataillon et du 2ème bataillon ont été nombreuses. Les pertes en officiers sont les suivantes - tués : 3, lieutenants Monnier (7ème Cie), Fornbacher (CAB 3) et Daviet (9ème Cie), - blessés : 4, capitaine Maurandi (7ème Cie), lieutenants Laurenti et Fabre (10ème Cie), Rosa (11ème Cie), - disparus : 2, lieutenant Jacquot (11ème Cie), sous-lieutenant Cuenot (9ème Cie). La nuit du 5 au 6 juin se passe sans incident sérieux. Le 6 juin, à 06H00, le chef de corps prescrit au commandant du 1er bataillon d’assurer le commandement de tous les éléments de Woirel et Wiry-au-Mont. Dans la matinée, la brigade de cavalerie de la 2ème DLC peut enfin intervenir. Elle occupe Vergies et des positions plus au sud. A 10H00, le chef de corps reçoit l’ordre de porter ses deux bataillons sur Fontaine-le-Sec et le bois de Bienflos. Le mouvement commence vers 11H00. Le 1er bataillon se porte sur Fontaine-le-sec, le 2ème sur le bois de Bienflos où le rejoignent la 5ème Cie et les deux sections de la 6ème Cie venues de Wiry-au-Mont. Le 2ème bataillon est regroupé. Dès l’arrivée sur leurs positions, les deux bataillons s’organisent en réduits fermés. A 11H00, le PC du régiment est à Aumâtre, à 5 km à l’ouest de Vergies. Vers 13H30, les deux bataillons sont fortement attaqués, mais résistent avec succès. Peu après, le bombardement reprend et on enregistre de nombreuses pertes. Au bois de Bienflos, où le bombardement est particulièrement intense, le chef de bataillon Lacroix est blessé, le lieutenant Roybon, commandant la 6ème Cie, fortement commotionné. Le lieutenant Chabaud qui reste l’unique officier de la 6ème Cie est blessé à son tour. Aussi, à 17H30, se produit un reflux de cette compagnie dont les emplacements sont immédiatement occupés par l’ennemi ce qui entraîne le capitaine André, adjudant-major, qui a pris le commandement du bataillon, à donner l’ordre de repli. Averti, le chef de corps envoie immédiatement au bois de Bienflos le commandant Joanne, le capitaine Bourgeon et le lieutenant Chabot de l’état-major ainsi que les lieutenants Sigallon et Marquet, le sous-lieutenant Fabre de la CDT et tous les éléments disponibles de la CDT et de la CRE. Il ne conserve à sa disposition que le lieutenant Poulain. Le commandant Joanne a pour mission de récupérer tous les éléments du 2ème bataillon et, avec ceux-ci renforcés des éléments de la CDT et de la CRE, de contre-attaquer l’ennemi et de reprendre les positions du bois de Bienflos. Lorsqu’il arrive, d’une part le bois est déjà très fortement tenu, d’autre part notre artillerie l’arrose copieusement en entier. Il doit donc se limiter à établir une ligne près de la lisière du bois et interdire à l’ennemi d’en déboucher. Il tient cette position jusqu’à 23H30, heure à laquelle il reçoit l’ordre de repli. Le 1er bataillon qui, vers 19H00, a subi un nouvel assaut, tient toujours Fontaine-le-Sec. Il doit déclencher plusieurs contre-attaques pour maintenir ses positions. C’est au cours de ces actions que sont blessés le capitaine Martin, commandant la 1ère Cie, les lieutenants Daveaux, commandant la 2ème Cie, Battestini de la CRE et le sous-lieutenant Gaude de la CRE. A 22H00, ordre est donné au régiment de se replier sur Bernapré et Mesnil-Eudin où il devra s’installer en tête de pont dès son arrivée. Cet ordre est envoyé d’urgence aux deux bataillons et le mouvement commence dès 24H00. Cependant, la 3ème Cie (lieutenant Vaudrey), sur un ordre mal compris ou mal transmis, reste sur ses positions. Elle est encerclée et faite prisonnière au cours de la nuit. Durant la journée, le régiment a perdu : - officiers : blessés : 12, capitaine Bourgeon et lieutenant Chabaud de l’état-major du régiment, lieutenant Battestini et sous-lieutenant Gaude de la CRE, le capitaine Martin (1ère Cie), lieutenant Daveaux (2ème Cie), chef de bataillon Lacroix (2ème Bton), lieutenant Mitaux (5ème Cie) non évacué, lieutenant Chabaud (6ème Cie), lieutenant Girard (7ème Cie), lieutenant Boyron (6ème Cie) commotionné et non évacué, lieutenant Faivre (CAB 3), disparus : 4, lieutenants Vaudrey (3ème Cie), Duval (CAB 2), Laugier (CAB 1), Magne (EM 1er Bton), - Sous-officiers, caporaux et soldats : le nombre exact de tués, blessés et disparus ne peut être déterminé mais les pertes sont très sévères. Le 7 juin, vers 04H00, les éléments qui constituent encore le 22ème RIC, qui, depuis deux jours et deux nuits, marchent et combattent sans arrêt, arrivent sur les nouvelles positions. Le 1er bataillon occupe Bernapré, le 2ème bataillon Mesnil-Eudin. ème ème La 40 division d’infanterie (40 DI), couverte par le 22ème RIC et la 2ème DLC, occupe les passages du Liger. Le commandant Joanne qui, la veille, avait pris le commandement du 2ème bataillon reprend sa place auprès du chef de corps. Il est remplacé à la tête de ce bataillon par le capitaine Sérole. Le PC du régiment s’installe sur les hauteurs sud-ouest de Sénarpont. Les hommes et les cadres épuisés s’endorment l’arme ou l’outil à la main. Il faut sans cesse les réveiller. La matinée est relativement calme, mais, dans l’après-midi, l’infanterie ennemie attaque les deux points d’appui. Sans succès, les deux bataillons résistent jusqu’au soir. Dans l’après-midi, le chef de corps rend compte de l’état d’épuisement du régiment et demande son envoi dans une zone où il serait possible de le reconstituer et de le réorganiser. L’effectif est réduit à environ quinze officiers et cinq à six cents sous-officiers, caporaux et hommes de troupe combattants. L’armement a beaucoup souffert. Les munitions sont incomplètes. Aucune réponse n’est faite à cette demande. A 20H00, ordre est donné de se replier sur les bois de Neuville-Coppegueule. Parviennent en même temps l’annonce du départ de la ème 2ème DLC et celle de la mise du régiment à la disposition de la 40ème DI. Les 1er et 2ème bataillons quittent La 40 DI est composée de bataillons à la nuit leurs positions pour venir bivouaquer dans les bois de Neuville-Coppegueule. Le PC du de chasseurs alpins et de bataillons de chasseurs à pied revenant de Norvège. régiment s’installe au village. Dès son arrivée, le lieutenant-colonel Le Tacon envoie le lieutenant Poulain, officier de liaison, prendre les instructions du général commandant la 40ème DI. Il les rapportera le 8 juin vers 04H00. Au cours de la journée du 7 juin, de nombreux sous-officiers et soldats ont été tués ou blessés. Le 8 juin, les ordres du général commandant la 40ème DI sont complétés par le colonel commandant l’infanterie divisionnaire de la 40ème DI (ID 40) dont le PC se trouve à Neuville-Coppegueule. En conséquence, à 08H00, le chef de corps prescrit aux commandants des deux bataillons d’aller tenir les passages de la Bresle : le 1er bataillon de Saint-Léger-sur-Bresle à Vieux-Rouen-sur-Bresle, le 2ème bataillon de Saint-Légersur-Bresle à Guimerville. Le PC du régiment s’installe à Campneuseville. Vers la fin de la matinée, les bataillons sont sur leurs positions, les destructions prévues sont préparées et en partie mises en œuvre. Au cours de la journée, le régiment qui est en deuxième position n’est pas inquiété. A 20H00, le régiment reçoit Sous la conduite du lieutenant Boëry, officier dépanneur, le train auto franchira la l’ordre de la 40ème DI de se Seine, échappera aux Allemands et parviendra fin juin à Montauban. Le drapeau du replier sur les bois situés à régiment porté par le lieutenant Bérard sera ainsi sauvé. l’ouest de Londinières et de diriger son train auto sur Evreux. Le déplacement est pénible, l’étape est d’environ 25 à 30 km, les hommes sont exténués. Le 9 juin, vers 08H00, le bois de Croixdalle est atteint. Le régiment y stationne toute la journée. Il est constamment survolé par l’aviation ennemie mais il ne subit aucune perte. Cadres et hommes peuvent se reposer un peu, mais aucun ravitaillement ne parvient. A 18H00, ordre est donné de se replier sur la zone de Notre-Dame du Parc. A 20H00, le déplacement commence. La route embouteillée par les convois de réfugiés et de troupes ne permet aux bataillons d’atteindre leurs emplacements que vers 08H00 le lendemain. Le 10 juin, (L’Italie nous déclare la guerre), les bataillons s’organisent défensivement autour du PC de la 40ème DI. A 11H00, le train hippomobile est dirigé sur Doudeville qu’il n’atteindra pas. Il sera encerclé et capturé dans l’après-midi. A 12H00, le général commandant la 40ème DI prescrit de se replier par échelons successifs sur Doudeville. Le mouvement s’opère à partir de 14H00. A 20H00, les bataillons sont arrêtés sur la coupure d’Auzouville-sur-Saâne d’où la CDT n’a pu déloger l’ennemi. Le chef de corps veut rendre compte de la situation au général commandant la 40ème DI, mais il ne peut pas le trouver. Aucune Cet ordre résulte de celui donné par le général Ihler, étant donné la liaison, ni à droite, ni à gauche. Il prescrit alors aux deux bataillons de déborder ème division de Panzers remontant de Rouen en menace que la 5 er ème le village, le 1 bataillon par le nord, le 2 bataillon par le sud, et, avec les direction de Dieppe fait peser sur le flanc de nos troupes en retraite, artilleurs disponibles armés de mousquetons, il tente de passer par le centre. Le de poursuivre sans délai le mouvement en direction du Havre. passage est ouvert, l’artillerie, le PC et la CDT passent. Après Auzouville-surSaâne, l’itinéraire doit être changé : l’ennemi a coupé la route vers Doudeville et un combat de nuit est peu désirable avec un si long et si lourd convoi. Après avoir regroupé le régiment au premier village après Auzouville-sur-Saâne, le lieutenant-colonel Le Tacon dirige alors la colonne éclairée par les motocyclistes vers le nord et la conduit au jour à Brametot, après avoir traversé Biville. Le 11 juin, à Brametot, l’artillerie nous quitte pour se diriger vers Veules-les-Roses. La situation de l’ennemi, l’emplacement des troupes amies, tout cela nous est inconnu. Le chef de corps arrête le régiment et se rend à Veules-les-Roses distant de quelques kilomètres. Il y trouve le général Ihler, commandant le 9ème CA qui lui fait des éloges sur le régiment et lui demande de s’installer sur la coupure de Fontaine-le-Dun. Le lieutenantcolonel Le Tacon ne dispose pas d’autre carte que de la carte Michelin. La route est encombrée de camions, de convois et de troupes de fuyards. Le régiment, remis en route, est arrêté à 6 km de Veules-les-Roses, où il s’installe sur un plateau offrant des vues et des champs de tir magnifiques, à cheval sur la grande route Fontaine-le-Dun à Veules-les-Roses. Vers 12H00, Le lieutenant-colonel Le Tacon tente d’en rendre compte au général commandant le 9ème CA, mais la route est complètement obstruée et la circulation est impossible. De 10H00 à 13H00, les bataillons organisent leurs positions. Les hommes qui ont marché sans interruption pendant quarante heures sont à bout de forces. Néanmoins, des abris individuels et des emplacements d’armes sont creusés. Les Anglais se sont installés entre 300 et 400 m en arrière de nous. Le PC du régiment est installé dans une ferme à 500 m en arrière des bataillons. A 15H00, un violent tir d’artillerie s’effectue sur nos positions et sur les positions anglaises … Nous subissons de nombreuses pertes. L’attaque ennemie comprenant plus de 100 chars se dirige sur Veules-les-Roses par notre gauche et nous restons jusqu’à la nuit sur nos positions. A 21H00, le chef de corps, estimant qu’il n’a aucune liaison , ni à droite ni à gauche, ni avec la DI, estimant par ailleurs qu’il ne fait plus face à l’ennemi, prescrit un repli d’environ 1500 m et vient se placer à la lisière d’un village face à l’est. De renseignements reçus par le commandant du 1er bataillon, il ressort que la 24ème demi-brigade s’est repliée sur Saint-Valery en Caux en vue d’un embarquement. Le chef de corps esquisse un repli sur ce petit port, mais l’officier de liaison envoyé à Saint-Valery en Caux n’ayant pu obtenir d’instruction, il fait réoccuper les positions de la soirée. Au cours de la journée de nombreux sous-officiers et hommes de troupe ont été tués ou blessés. Deux officiers ont été tués : les lieutenants Marquet et Leraitre, trois ont été blessés : les lieutenants Thirard et Grandjon, le sous-lieutenant Fabre (non évacué). A également été blessé le capitaine Montoy du 53ème RICMS. Le 12 juin, la nuit se passe sans incident. Au jour, la liaison est recherchée, mais nous sommes seuls. Le chef de corps prescrit alors le repli par échelon sur Saint-Valery en Caux où il se rend rapidement. Il trouve un PC où un général lui fait connaître que l’ordre de capituA Manneville-ès-Plains, Le 12 juin 1940. Ferme où se déroulèrent les derniers combats du 22ème RIC Saint-Valery–en-Caux et Ferme de Manneville-èsPlains. Plan de situation. ⊳ Ferme cauchoise (dans un enclos entouré d’un talus planté d’arbres). B : bâtiment où se tenait le LC Le Tacon. C : bâtiment où étaient les blessés. D : bâtiment d’ù le SL Benon vint aider le Sgt Papadacci. A Maison d’habitation B Bâtiment où se tenait le LC Le Tacon C Bâtiment où se trouvaient les blessés. D Bâtiment (ultérieurement incendié) d’où le SL Benon vint aider le Sgt Papadacci ler a été demandé et que cet ordre ne saurait tarder. Il revient alors au régiment et l’arrête au village de Manneville-ès-Plains que traversent des troupes françaises et des troupes anglaises sans armes et sans équipements. Le régiment est à peine arrêté qu’une attaque de chars est signalée. La ferme située au sud de Manneville-ès-Plains est rapidement organisée, les canons de 25 mm, les mitrailleuses et les FM sont rapidement mis en batterie. Le régiment tient là jusqu’à 12H15, malgré les chars ennemis qui se sont embossés derrière les levées de terre boisées autour de la ferme et qui tirent sur tout ce qui se montre et canonnent les bâtiments de la ferme. L’étable dans laquelle le PC est installé est traversée par 9 obus de chars. A 12H15, les commandants des bataillons viennent rendre compte que les munitions sont épuisées et qu’il ne reste plus que quelques cartouches de mitrailleuse. Le lieutenant-colonel Le Tacon décide alors de cesser le feu pour éviter la destruction de ce qui reste du 22ème RIC. Mais, il n’a pas besoin de donner cet ordre : à ce moment, la ferme est occupée par l’ennemi et officiers et hommes de troupe sont faits prisonniers. Le sous-lieutenant Benon est blessé et une trentaine de sous-officiers et d’hommes de troupe sont tués ou blessés. Le régiment ne compte plus que 250 à 300 sous-officiers, caporaux et hommes de troupe et 16 officiers : - le lieutenant-colonel Le Tacon, commandant le régiment, état-major du régiment : chef de bataillon Joanne et lieutenant Poulain, CDT : lieutenant Sigallon et sous-lieutenant Fabre, CRE : lieutenant Lacroix, A la mobilisation, le régiment comptait : 83 officiers, 337 sous-officiers et 2671 caporaux et hommes de troupe. Total=3091. - CHR : lieutenant Lecat et pharmacien-lieutenant Valladier, - 1er Bton : capitaine Gavouyère, médecin-lieutenant Hautin, lieutenant Franco, - 2ème Bton : capitaines Sérole et André, médecin-capitaine Comte, lieutenants Miteaux-Maurouard et Roybon. L’ordre suivant qui intéressait la 51ème division britannique, les 30ème et 40ème DI et les 2ème et 5ème DLC avait été envoyé à 08H00 par le général Ihler, commandant le 9ème CA : « 9ème CA – 12 juin 40 – Le feu cessera sur toute la ligne à partir de 08H00. – Signé : Ihler ». Ainsi finit le 22ème RIC qui depuis le 28 mai combat presque sans trêve. Projet d’ordre de régiment N° … rédigé par le lieutenant-colonel Le Tacon. « Au cours des combats offensifs menés victorieusement durant la période du 28 mai au 2 juin 1940 et au cours des combats en retraite qui se sont déroulés presque sans trêve du 5 au 12 juin 1940, le régiment a donné toute sa mesure. Prêté successivement aux : 4ème division cuirassée, 51ème division britannique, 2ème division légère de cavalerie, 40 division d’infanterie, il a été employé jusqu’à l’extrême limite de ses moyens et de ses forces, accomplissant toujours avec succès les tâches, même les plus ingrates, qui lui étaient confiées. Aussi lorsque le 12 juin 1940, à 12H45, il a dû cesser le feu alors que l’ordre en était fixé à 08H00, c’est parce qu’il avait épuisé ses munitions et qu’il ne pouvait lutter avec ses quelques mitrailleuses en l’état et avec ses quelques fusils contre les chars tenus en échec pendant deux heures. Il ne comptait plus à ce moment que 13 officiers et 250 à 300 sous-officiers et soldats en état de combattre. Tous ceux qui ont pris part à ces combats se sont montrés les dignes successeurs des héros de Beauséjour. Leur chef est fier d’avoir commandé depuis la mobilisation un tel régiment qui a, par sa brillante conduite, son esprit de sacrifice et d’abnégation, ajouté de nouvelles pages de gloire à celles déjà nombreuses du 22ème RIC. Le colonel adresse à tous ses plus sincères et plus affectueuses félicitations. Il demande à ceux qui restent de conserver pieusement le souvenir des héros tombés sur le champ de bataille, de porter aide à leurs familles, de se porter pendant la paix, comme ils l’ont fait pendant la guerre, un appui fraternel. Il leur demande aussi de garder intact l’esprit qui animait ce magnifique régiment que chacun appelait avec tant de fierté : “Mon beau 22ème RIC”. » Camp de Kreuzburg Oflag VIII en Silésie, le 17 août 1940 Signé : « Le Tacon » Colonel (ER) Philippe Blanchet (22/02/2015) Récits, souvenirs et témoignages ________________________ Compte rendu du médecin-lieutenant Roger Gheiner _________________________________ Les événements relatés ci-après du médecin-lieutenant Roger Gheiner[ou Grener ?], (transmis par M. Henri de Wailly que nous remercions très vivement) se situent le 5 juin 1940, célèbre jour de l’attaque des Panzerdivisionen sur la Somme. Il existe quelques différences bien compréhensibles entre le JMO du régiment ce texte : l’acteur considérant et appréciant bien entendu subjectivement les faits à son niveau. La rédaction du médecin-lieutenant Roger Gheiner a été respectée. Le médecin-lieutenant Gheiner Roger, élève de l’Ecole d'Application du Service de Santé des Troupes Coloniales, au Général d'Armée Commandant en chef des Forces terrestres, Ministre-Secrétaire d'État à la Guerre. (Direction des Troupes Coloniales) Royat (S/C du Médecin-Colonel, Directeur de l'Ecole d'Application du Service de Santé des Troupes Coloniales) Le 5 juin 1940, le 3° Bataillon du 22° R.I.C., dont j'étais le médecin, se trouvait à Hallencourt (Somme). Le Bataillon qui avait été engagé en situation offensive du 28 mai eu 3 juin (dans l'opération de la réduction de la tête de Pont d'Abbeville) avait déjà perdu (en tués, blessés, disparus) environ la moitié de son effectif et 8 officiers dont le Chef de Bataillon Jacoby (mortellement blessé à l'ennemi le 31 mai) et mon médecin-sous-lieutenant (blessé le 28 mai). Nous nous trouvions à Hallencourt depuis le 4 juin au matin, en seconde ligne, séparés de la Somme par des éléments du 3° R.D.P. Le Bataillon devait être relevé et l'ordre avait été donné de préparer le départ. Le 5 juin 1940 vers 8h, le Capitaine Sérole, commandant le Bataillon, reçut l'ordre de placer 2 compagnies à la disposition du Commandant du 3° Bataillon du 3e R.D.P. En effet, celui-ci signalait que l'ennemi constituait une tête de pont avec des éléments légers à Liercourt. La 10° Compagnie du 3° Bataillon du 22° R.I.C. rejoignit Wanel (2 km Est d'Hallencourt), la 9° compagnie se mit en place à Sorel (1 km 500 N. Est [Nord] de Wanel) sur la route d'Abbeville à Poix [de Picardie].) J'avais mis respectivement une équipe de brancardiers à la disposition de chacune de ces2 compagnies' mais j'étais resté personnellement à mon P.S. d’Hallencourt où l'on s'attendait à une attaque de parachutistes tombés nombreux dans la matinée. A 9h, j'appris simultanément que les lieutenants Daviet et Laurenti qui commandaient la 9° et la 10° compagnie étaient grièvement blessés et que d'autre part, il existait un médecin du 3° R.D.P. dans une cave d' Hallencourt. Je partis pour Wanel en bicyclette avec un infirmier. Là-bas, je trouvais le P.S. du médecin Lieutenant Dupont du 3° Bataillon du 3° R.D.P. Le médecin assisté de son médecin auxiliaire s'occupait déjà de mes camarades. N'ayant aucun moyen d'évacuation à ma disposition et par ailleurs le service dans les PS. étant assuré par les médecins du 3° R.D.P. (qui eux disposaient de voitures automobiles) je considérais que mon devoir se simplifiait et que je n'avais qu’à collaborer avec eux en particulier en assurant moi-même la relève des blessés sur la ligne de feu. A 10h, la Capitaine Sérole, commandant le Bataillon me demanda le service de rétablir la liaison avec la 5e Compagnie. Je partis en bicyclette Sorel avec mon infirmier. Après avoir remis un pli à l'Adjudant-chef qui commandait cette compagnie et aiguillé blessés et brancardiers vers le P.S. de Wanel, nous revînmes en utilisant la grande route d'Abbeville à Poix. Nous fûmes. pris à partie par un violent tir de mitrailleuses qui provenait de chars allemands, lesquels cheminaient sur une crête Nord-Sud entre … ( ?) De retour à Wanel, à 11 heures, je ne manquais pas de rendre compte au Commandant du 3° Bataillon du 3° B.D.P. que 8 chars ennemis s'avançaient sur la crête en question. Cet officier supérieur ne se trouvait d'ailleurs plus en liaison avec le Colonel commandent le 3° R.D.P. A 14h, mon camarade Dupont du 3° R.D.P. et moi nous pûmes faire partir la dernière voiture sanitaire chargée de blessés. Lui-même ayant le projet de se replier avec son matériel, je me séparai de lui pour aller rejoindre le Capitaine Sérole qui avait pris le commandement des derniers éléments combattants de la I0° compagnie dans un boqueteau au Nord de l’église de Wanel. A 14h30, nous fûmes débordés à l'est (il n'y avait pas de vue à l’ouest) par La décision du capitaine Sérole fut heureuse : à Airaines la bataille environ 60 chars ennemis. ème faisait rage. Le 53 régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais A 15h, il en vint d'autres au sud ; nous étions complètement encerclés. Puis les ème (53 RICMS) y résistait opiniâtrement. Il y fut décimé. chars s’arrêtèrent sur leurs positions. Sa résistance fut soulignée par le général Rommel lui-même qui Je proposai alors au Capitaine Sérole (étant donné que nous n'étions plus qu'une rendit hommage aux « troupes noires » qui s’y battirent contre sa division. trentaine d'hommes valides, armés de 2 F.M. presque sans munitions) de nous Plus généralement, les journaux de marche des unités allemandes replier par petits groupes de 2 ou 3 hommes, qui pouvaient cheminer dans notèrent que le 5 et le 6 juin leur offensive avait piétiné et que les l'intervalle des chars, en direction du sud pour nous regrouper à Airaines. Français s’étaient défendus avec habileté. ème Le Capitaine ne fut pas favorable à cette manière de voir, estimant que les Il convient de rappeler que des éléments mutés du 22 RIC au ème hommes se perdraient ainsi « nous attendrons tous la nuit, puis nous nous cours de l’hiver 1940 appartenaient au 53 RICMS. replierons ensemble » fut son ordre. A ce moment, comme il n'y avait parmi nous aucun blessé et que, d'autre part, je n'aurais aucun moyen de les secourir, je demandai au Capitaine Sérole l'autorisation de partir tout seul ; (j'avais l'intention de me mettre en civil à Wanel et de rejoindre le régiment à bicyclette) Le Capitaine Sérole ne me répondit pas. Estimant alors que mon départ eut atteint le moral des hommes et que, d'autre part, il était mieux de partager le sort des plus exposés, je me décidai à rester. A 20h30 nous fûmes encerclées par une nombreuse infanterie amenée dans Wanel en camions. Notre résistance fut rapidement vaine. Le Capitaine Sérole monta sur un talus couronné d'une haie; je le suivis, mais ne pus m'y coucher, faute de place. C'est ainsi que je fus aperçu par l'ennemi et fait prisonnier. Le Capitaine Sérole, complètement allongé dans le buisson passa inaperçu. L'officier allemand demanda qui nous commandait ; n'ayant jamais porté de brassard "Croix Rouge" et ayant des écussons méconnaissables, il me fut facile de prétendre que c'était moi ; ce qui me permit de sauver le Capitaine Sérole qui échappa ainsi à des recherches ultérieures. Malheureusement, il fut fait prisonnier le 12 juin 1940 à St Valery-en-Caux. Moi-même, je n'ai fait valoir que plus tard mon état de médecin sanitaire. Sont témoins des circonstances dans lesquelles j'ai été fait prisonnier : − Le Capitaine Sérole ) − L’Adjudant-chef le Thomas ) du III/22° R.I.C − Le Sergent Boucamielle ) − et ultérieurement le Lieutenant Jacquot. Vu et transmis par le Médecin-Colonel Peltier. Le 1er bataillon dans le calvaire de la retraite du 22ème RIC _______________________________ Le 5 juin, le 1er bataillon qui sera ce jour-là, le moins exposé, est chargé d’assurer, face au nord, la défense du village d’Hallencourt où se trouve le PC du 3ème RDP qui tient le secteur. Je me trouve avec ma section de mitrailleuses à l’entrée du village contrôlant les deux routes qui mènent l’une à Sorel, l’autre à Wanel où, toute la journée les combats font rage. C’est dans l’attente et l’inaction que l’angoisse est la plus grande. A l’écoute de la canonnade et des tirs d’armes automatiques tout proches, cette journée me semble interminable. Vers 18H00, le bataillon reçoit l’ordre de se replier sur Woirel que nous atteignons à la nuit tombée. Effectuant une liaison au château de Woirel où se trouvent le capitaine Gavouyère ainsi que le PC du colonel, je croise quatre hommes transportant dans une toile de tente le corps du lieutenant Fornbacher, commandant la CAB 3, qui vient d’être tué d’une balle dans la tête. J’apprends, par ailleurs, qu’au cours de la journée le 3ème bataillon a été complètement anéanti par les chars allemands. Seuls le capitaine Sérole et une trentaine d’hommes pourront s’en sortir. Le 6 juin au matin, ordre est donné au 1er bataillon de s’établir défensivement devant le village de Fontaine-le-Sec à quelques kilomètres au sud de Woirel. Ma section de mitrailleuses se trouve dans un bois au nord du village, un groupe (deux mitrailleuses) contrôlant la route de Fontaine-le-Sec à Woirel. Le bataillon est en liaison à gauche avec les Écossais de la 51ème division écossaise (51ème HD). Sur notre droite, le 2ème bataillon occupe le bois de Bienflos en liaison avec les cuirassiers du 5ème Cuir de la 2ème DLC qui sont à Vergies. La matinée est calme. Aux environs de midi un side-car allemand armé d’un FM apparaît au détour de la route, roulant à vive allure. Une rafale de mitrailleuse l’envoie au fossé, ses deux occupants tués. Dans la demi-heure qui suit les Allemands sont au contact. Cela tiraille de partout. Je me trouve avec la 2ème Cie que commande le lieutenant Daveaux. Face à nous, l’ennemi est contenu. Vers 16H30, le lieutenant Daveaux enlève sa compagnie pour une contre-attaque. A peine s’est-il élancé pour entraîner ses hommes qu’il est atteint de deux balles, l’une à l’épaule, l’autre qui saigne abondamment au cuir chevelu. Je lui propose de le faire accompagner au poste de secours. Il refuse, estimant pouvoir s’y rendre seul. En fin de journée, vers 20H00, le capitaine Gavouyère me donne l’ordre de me replier, le bataillon se regroupant à la sortie du village. Je donne ordre au 1er groupe de mitrailleuses de tirer encore pendant 5mn, puis de me rejoindre au point de ralliement. Ensuite, je vais prévenir le 2ème groupe qui se trouve à 150 m de là, en bordure de la route, avec lequel je rejoins le point de regroupement du bataillon. Ce décrochage ne se passe pas bien : la 3ème Cie (lieutenant Vaudrey) ne rejoint pas, mon 1er groupe de mitrailleuses non plus. Le 1er bataillon ne compte plus que 300 hommes environ, dont 3 officiers sur 18 : le capitaine Gavouyère, le lieutenant Franco et moimême. Le lieutenant Franco prend le commandement de la 1ère Cie, d’une section de mitrailleuses et de la section d’engins. Le capitaine Gavouyère me donne le commandement de la 2ème Cie et du groupe de mitrailleuses restant de ma section. Nous apprendrons plus tard que les 5 et 6 juin, en deux jours de combat, le régiment a perdu plus de 700 hommes dont 24 officiers (3 tués, 14 blessés évacués et 7 portés disparus), soit davantage qu’au cours des quatre jours de contre-attaque sur Abbeville. Ordre est donné au 1er bataillon de rejoindre Bernapré à 18 km de là, par Aumâtre et Lignières-en-Vimeu. Quant au 2ème bataillon, qui a tenu toute la journée le bois de Bienflos, il doit rejoindre Mesnil-Eudin. Cette retraite sent la défaite. Nous avons perdu beaucoup de nos camarades et nous faisons figure de rescapés. La marche de nuit s’effectue à une allure d’escargot au milieu d’un flot de civils qui fuient l’avance allemande à pied, à bicyclette, emportant les objets les plus hétéroclites entassés dans des charrettes, dans des brouettes et jusque dans des landaus. Ces gens sont partis de chez eux dans un moment de panique sans savoir où ils vont. Parmi eux aussi quelques militaires isolés ou par petits groupes, certains armés, d’autres non. Au milieu de cette cohue, nous avançons en colonne par trois sur la route que, fréquemment, nous devons dégager pour laisser passer des convois d’artillerie ou des camions circulant tous feux éteints. Le 7 juin, à 04H00, nous sommes sur nos nouvelles positions que nous aménageons aussitôt. Le PC du régiment est à Sénarpont sur la Bresle. Avec la 2ème DLC, nous sommes en couverture de la 40ème DI qui tient la Bresle et son affluent le Liger qui se jette dans la Bresle non loin de Sénarpont. Dès le petit jour, les Allemands viennent tâter nos positions. La pression s’accentue de l’est vers l’ouest et au milieu de la matinée des attaques en force se produisent sur notre droite vers Andainville. Mais la ligne de résistance tient bon et l’impression de ne pas avoir cédé dans le combat rapproché nous redonne le moral. Cependant, vers 20H00, nous recevons l’ordre de nous regrouper dans le bois de Neuville-Coppegueule, à 6 km plus au sud. Le décrochage est lent et difficile et ne s’effectue qu’à la nuit tombée. Le 8 juin, dès 08H00, le colonel prescrit aux deux bataillons d’aller tenir les passages de la Bresle. Le 1er bataillon est responsable des passages situés sur 4 km environ entre Saint-léger-sur-Bresle et Vieux-Rouen-sur-Bresle. Dans notre secteur, la matinée est assez calme. Mais sur notre droite, où se trouvent les chasseurs de la 40ème DI, la bataille fait rage. Vers midi, le capitaine Gavouyère me fait demander. Je le trouve, avec le lieutenant Franco, assis par terre autour d’une caisse renversée en guise de table s’apprêtant à déjeuner. Son ordonnance Marcel Tempier, a découvert dans un vivier des truites qu’il a accommodées à sa façon. Je suis invité à participer aux « agapes ». Jamais truites ne me parurent aussi délicieuses. Même si sur la Bresle, la résistance est acharnée, les deux divisions allemandes qui ont percé sur la Somme à Airaines en direction d’Aumale, ont depuis fait du chemin. Elles sont signalées approchant de la Seine. Dès lors, comme toutes les autres unités qui combattent sur la Bresle, les nôtres sont menacées d’encerclement. Vers 20H00, nous parvient l’ordre de nous replier jusqu’aux bois situés au sud-ouest de Londinières, ce qui représente une étape pour le moins inattendue de 30 km. En traversant de nuit ce qui devait être en temps de paix de charmantes bourgades, nous sommes saisis de visions d’apocalypse. Foucarmont est en flammes et des maisons récemment bombardées s’écroulent dans des tourbillons de fumée au moment où nous passons. A Londinières, des cadavres de civils gisent sur les trottoirs devant des maisons éventrées. Privés de ravitaillement depuis le 5 juin, les hommes y pénètrent pour remplir leurs musettes en faisant provision de pain, de boîtes de conserves et de cidre. Cette longue marche de nuit au milieu d’une cohue de civils fuyant les bombardements est épuisante. A chaque pause horaire, les hommes exténués de fatigue s’effondrent sur les bas-côtés de la route et sombrent immédiatement dans un profond sommeil d’où, au moment de repartir, il faut les tirer en leur administrant de sérieuses bourrades. Comme des somnambules, ils se remettent debout et dans un demi-sommeil reprennent leur marche, que vient interrompre le bruit d’un casque heurtant la gamelle réglementairement fixée sur la face arrière du sac à dos de celui qui les précède, chaque fois qu’un ralentissement se produit dans la colonne. La marche est ainsi ponctuée de fréquents bruits de casseroles suivis de jurons vite étouffés. Le 9 juin, vers 08H00, les restes du régiment parviennent au bois de Croixdalle. Il y a onze heures que nous marchons et plus de vingtquatre heures que nous n’avons pas vraiment dormi. Nous pouvons enfin nous reposer. Dormir, manger avec ce que nous avons pu chaparder en l’absence de tout ravitaillement organisé, c’est bien là le plus urgent. L’aviation ennemie fait de fréquents passages, mais nous ne subissons aucune perte. Bien que sans nouvelles précises, chacun devine que la situation est des plus graves. Toutefois, nous nous refusons à désespérer. D’abord, nous voulons récupérer, reprendre des forces, dormir, dormir encore … Mais, il n’en est déjà plus question. A 17H00, l’ordre nous parvient de boucler nos sacs. Chaque jour, pour permettre aux unités d’infanterie d’accomplir les longues étapes de marche vers le sud-ouest qui leur sont imposées, les cavaliers, plus mobiles, ont pour mission de jouer les chiens de garde et de contenir l’ennemi sur notre flanc gauche. Travail obscur, chaque jour recommencé, accompli avec courage et abnégation au cours d’affrontements meurtriers, comme en témoignent les tombes jalonnant les itinéraires suivis par la 2ème DLC et par la 5ème DLC de Neufchâtel-en-Bray à Tôtes. Dans la nuit du 9 au 10 juin, c’est encore une longue étape que nous devons accomplir dans les mêmes conditions épuisantes que la veille. Partis du bois de Croixdalle à 18H00, ce n’est que le lendemain un peu avant 08H00 que nous arrivons à Notre-Dame du Parc. Le 10 juin, aussitôt arrivés à Notre-Dame du Parc, nous creusons nos emplacements de tir et nos trous individuels, mais, vers 10H00, nous parvient l’ordre de se tenir prêt à repartir. A 14H00, les restes du régiment, marchant de concert avec deux groupes de l’artillerie divisionnaire de la 40ème DI, repartent en direction de Doudeville. Vers 20H00, nous arrivons à proximité d’Auzouville-sur-Saâne où nous avons la surprise de tomber sur une unité allemande au bivouac. Sans liaison ni à droite ni à gauche, le lieutenant-colonel Le Tacon décide de faire déborder le village par les bataillons tout en tentant de forcer le passage au centre avec les artilleurs, la CDT et le PC. Le 1er bataillon doit déborder par le nord. L’ennemi réagit à peine. Seuls quelques coups de feu sont échangés. Seuls quelques coups de feu : Après avoir regroupé le régiment au premier village après Auzouville-sur-Saâne, « Sans doute parce que nos adversaires savaient que nous nous ème le lieutenant-colonel Le Tacon, considérant qu’il n’est plus question de continuer enfoncions dans la nasse tendue par la 5 division de Panzers ème sur Doudeville, décide de marcher vers le nord en direction de Brametot et remontant sur l’axe Tôtes-Dieppe et la 7 division de Panzers, celle de Rommel, remontant sur l’axe Rouen-Fécamp avec, entre les deux, Fontaine-le-Dun. ème la 2 division motorisée qui ratissait la plaine cauchoise et dont les Au moment de partir, le capitaine Gavouyère me donne l’ordre de rester sur place éléments avancés étaient déjà arrivés à Thiédeville et à Auzouvilleavec mon groupe de mitrailleuses et d’établir un bouchon à l’entrée du village pour sur-Saâne. C’étaient ces derniers que nous venions de rencontrer ». le cas où l’ennemi se lancerait à notre poursuite. Il est 22H30, ordre m’est donné de rester jusqu’à minuit. Le plus dur va être de maintenir éveillés des hommes exténués qui marchent depuis le début de l’après-midi après une nuit sans sommeil. Deux dégourdis réussissent à entrer par effraction dans une maison proche abandonnée par ses occupants et à faire du café à profusion, lequel est le bienvenu. La deuxième question que je me pose est de savoir comment, dans cette nuit noire, je vais pouvoir distinguer amis et ennemis. Mais, curieusement après les routes encombrées que nous avons connues tous ces jours-ci, ce soir-là, cette route que nous avons à surveiller durant une heure et demie demeure déserte. A minuit, nous plions bagages. Nous rejoignons le régiment le lendemain vers 06H00. En me voyant arriver, le lieutenant Franco m’accueille chaleureusement, m’avouant qu’il avait eu peur de ne jamais me revoir Le 11 juin, le régiment est en stationnement à Saint-Pierre-le-Vigier dans l’attente des ordres que le lieutenant-colonel Le Tacon est allé chercher auprès du général Ihler à Veules-les-Roses, à 12 km de là. A son retour, il nous précise que le 22ème RIC doit participer à la défense de Veules-les-Roses, en s’installant sur le plateau à l’est de Silleron qui va en s’écoulant en pente douce vers la vallée où s’écoule le Dun, à proximité de la route de Fontaine-le-Dun à Veules-lesRoses. L’ordre est de tenir sur place. Ce n’est que plusieurs années plus tard que j’apprendrai que la route de repli vers Le Havre étant coupée par la 7ème division de Panzers remontant de Rouen, le général Ihler a donné l’ordre de suspendre tout repli dans cette direction et d’organiser autour de Saint-Valery en Caux et Veules-les-Roses une tête de pont pour couvrir un embarquement au port de Saint-Valery en Caux de la moitié de l’effectif du corps d’armée. En fait, 4000 hommes seulement embarqueront. Le 22ème RIC n’étant pas prévu dans les troupes à embarquer, le lieutenant-colonel Le Tacon ne nous a pas informés. Nous nous installons sur un plateau entièrement dénudé au milieu des Écossais de la 51ème HD qui occupent déjà le terrain de façon très clairsemée. Malgré la fatigue accumulée après quarante heures sans sommeil, nous reprenons la pelle et la pioche pour creuser dans un sol sablonneux nos emplacements de tirs pour les armes automatiques et nos trous individuels. A Saint-Pierre-le-Vigier, Houdetot, Angiens et Silleron, villages voisins, se trouvent les chasseurs de la 40ème DI. Des éléments de la 2ème DLC sont sur notre gauche couvrant Veules-les-Roses face à l’est. Derrière nous l’artillerie de la 40ème DI est en position. La matinée et le début de l’après-midi sont calmes. Puis, brusquement, un violent tir d’artillerie se déclenche. Recroquevillés au fond de nos trous, nous attendons que l’orage passe. Un moment d’accalmie et nous voyons une colonne de chars ennemis qui défile sur la route en direction de Veules-les-Roses, puis quitte la route pour venir vers nous, les chars se déployant en ordre de bataille. J’en compte cinquante. Nos canons antichars et ceux des Écossais donnent de la voix et, derrière nous, une batterie de 75 mm tirant en tir rasant se joint à eux. Une quinzaine de chars ennemis sont hors de combat. Les Allemands n’insistent pas. Nous voyons, à notre grand soulagement, les chars rebrousser chemin et se diriger vers Veules-les-Roses, sans doute pour nous couper du littoral et s’opposer à un éventuel embarquement. Pour le régiment, le bilan de la journée est lourd. Une cinquantaine d’hommes ont été mis hors de combat. Parmi eux, les lieutenants Leraître et Marquet ont été tués, les lieutenants Grandjon et Thirard, ainsi que le sous-lieutenant Fabre ont été blessés. La nuit du 11 au 12 est calme, perturbée seulement par une pluie fine qui tombe un bon moment. Le 12 juin, dans le jour naissant, nous constatons avec surprise que nous sommes seuls sur notre plateau. Les Écossais se sont repliés, les artilleurs également. Le lieutenant-colonel Le Tacon prescrit au régiment, qui ne compte plus guère que quatre cents hommes, de se diriger vers Saint-Valery en Caux où lui-même le précède pour prendre les ordres. Arrivant vers 09H00 à l’entrée du village de Manneville-ès-Plains, à 2,5 km au sud de Saint-Valery en Caux, par la route de Blosseville, nous retrouvons notre colonel qui nous annonce que nous avons ordre de nous rendre. Il ajoute aussitôt que, dans la Coloniale, il est de tradition de ne jamais se rendre sans combattre. Nous allons donc mettre en état de défense la grande ferme près de laquelle nous nous trouvons et ses dépendances. Sans plus attendre, il se dirige vers l’entrée de la cour de la ferme. Sans un mot, tous les hommes le suivent pour un dernier combat sans espoir, sans autre alternative que la mort ou la captivité, un dernier combat pour l’honneur, 70 ans après Bazeilles, parce que dans la Coloniale, selon la tradition on ne se rend pas sans combat. A peine installés en lisière de la cour de la ferme, nous entendons le grondement sourd caractéristique des chenilles des chars ennemis qui s’avancent en provenance de Blosseville d’où nous venons. Ils arrivent au contact et défilent de chaque côté de la cour de la ferme en mitraillant et canonnant. Atteint par un obus incendiaire, l’un des bâtiments en flammes doit être évacué. Les chars tirant à balles traçantes, le centre de la cour autour de laquelle nous avons organisé la défense est balayé d’éclairs mortels. Malgré ce déluge de feu, nous nous opposons pendant près de trois heures à toute infiltration de l’infanterie allemande qui accompagne les chars. Vers 11H30, je me rends auprès du capitaine Sérole, à qui le lieutenant-colonel Le Tacon a confié le commandement de la défense de notre dernier réduit, pour lui rendre compte qu’à la 2ème Cie et au groupe de mitrailleuses qui l’appuie nous serons d’ici une demi-heure à court de munitions. Sortant de la grange faisant office de PC pour regagner mon poste de combat, je suis interpellé par le sergent Papadacci (Le sergent Papadacci, fait prisonnier, s’est évadé avant de passer la frontière belge et a rejoint la zone non occupée) qui sert un canon de 25mm antichar accolé au puits au milieu de la cour. Son canon vient de s’enrayer. M’élançant vers lui pour lui venir en aide, je suis fauché par une rafale de mitrailleuse de char. (Le sous-lieutenant Benon, blessé et prisonnier, soigné à Rouen, s’est évadé le 25 août 1940 et a rejoint la zone non occupée). De la grange où se trouve le capitaine Sérole, deux hommes jaillissent aussitôt et me saisissent l’un par les jambes, l’autre par les épaules, me traînant à l’abri, pendant que la même mitrailleuse nous prenant pour cible redouble son tir, heureusement sans résultat. Le médecin-lieutenant Hautin vient me voir alors que je suis, comme les autres blessés, allongé dans le foin. Il diagnostique une blessure par balle à la cuisse gauche, apparemment sans fracture. Selon lui, c’est la « belle » blessure ! … Je ne peux pas dire que sur le moment ce constat m’ait beaucoup réconforté. Une demi-heure plus tard, j’entends que le capitaine Sérole commande le cessez-le-feu, alors que le lieutenant-colonel Le Tacon vient de faire apparaître un mouchoir blanc à la porte du bâtiment d’en face. Les armes sont mises immédiatement hors d’usage. Les Allemands pénètrent dans la cour de la ferme et font prisonniers les derniers survivants du 22ème RIC qui, ce matin-là, a encore perdu une trentaine des siens. Comme chaque fois que nous rappelons ces souvenirs, j’évoquerai la mémoire de nos camarades morts au combat. Que leurs familles sachent qu’ils demeurent toujours présents parmi nous, tels que nous les avons connus dans tout l’éclat de leur jeunesse, tant il est vrai qu’il n’est de véritable mort que dans la mémoire des hommes, par l’oubli. C’est pourquoi pour que les générations suivantes se souviennent, les survivants ont fait graver dans la pierre sur les murs de Manneville-ès-plains le nom de notre Régiment et la date de son dernier combat, pour que les populations sachent qu’ici, le 12 juin 1940, il s’est trouvé des hommes comme eux, agriculteurs, ouvriers, employés, commerçants, artisans … qui, mobilisés pour la défense de leur pays, ont eu un dernier geste d’orgueil, en opposant leurs poitrines aux blindés ennemis, montrant ainsi leur fierté d’appartenir à une patrie que l’on ne renie pas, malgré ses erreurs et ses faiblesses, en affichant le courage de faire face malgré tout à l’implacable supériorité matérielle de l’adversaire, et la volonté farouche de ne pas l’accepter, de ne pas s’y soumettre, laissant déjà présager ce que serait plus tard la Résistance à l’occupation. Sous-lieutenant Rodolphe-André Benon , chef de section de mitrailleuse à la CAB 1, puis commandant de la 2ème Cie. La 2ème Cie en combat retardateur _______________________________ Le 5 juin, alors que tout paraissait calme, nous recevons brusquement vers 11H00 l’ordre d’aller occuper et organiser défensivement le village d’Hallencourt, à 1 km. Les Allemands attaquent en force et auraient traversé la Somme ce matin de bonne heure. Je suis chargé d’organiser la sortie est du village où aboutissent deux routes. Une barricade est vite dressée, quelques mines posées. Je fais disposer les voltigeurs aux fenêtres et percer les murs pour installer les FM au ras du sol. Le sous-lieutenant Gaude avec deux canons de 25mm assure la défense antichar du point d’appui. j’ai aussi un GM. J’installe mon PC au centre du dispositif … Vers 15H00, après une fusillade provenant d’un bois situé à 1500 m à ma gauche, je vois arriver une trentaine de types essoufflés, couverts de sueur et de terre, hagards, épuisés, conduits par un sergent-chef qui m’annonce que la 10ème et la 11ème Cie avec les lieutenants Jacquot et Rosa sont encerclés par de nombreux chars, et qu’il a reçu l’ordre de se replier sur le village. Lui et ses hommes ont eu la chance de passer à travers les chars sans aucune perte. Après les avoir fait souffler quelque peu, je les incorpore dans la compagnie dont ils constituent désormais la 3ème section. Un peu avant la tombée de la nuit, nous apprenons que les points d’appui avancés tenus par le 3ème bataillon sont tombés les uns après les autres. Nous recevons l’ordre de nous replier. Ma compagnie doit assurer la retraite et ses derniers éléments ne devront quitter Hallencourt qu’à 20H00, une heure après le bataillon Sale mission, … Passent devant moi la CAB 1, la CAB 3 avec Fornbacher et enfin la 1ère Cie avec Martin qui ferme la marche et m’annonce qu’une centaine de chars allemands les ont contournés. En voyant ainsi disparaître sur la route d’Hocquincourt les derniers éléments du bataillon et ce qui reste du 3ème bataillon, qui aujourd’hui a pris tout le choc, je ne suis pas sans inquiétude, un serrement de cœur m’étreint. je me vois abandonné avec mes quelques types, heureusement bien décidés à défendre ce petit morceau de village pour protéger ceux qui se replient. Mais à ce moment, j’ai l’impression extrêmement nette que cette fois-ci nous n’y échapperons pas. Je m »attends à voir déboucher les chars d’un moment à l’autre. Pas de mines surtout sur ma droite, ni sur la route devant moi. Aucun obstacle. Et il y a trois routes à défendre. Heureusement que Gaude me reste avec ses deux 25mm, et qu’il a l’air décidé. Une heure d’attente angoissée. Rien. Ouf ! Voilà le moment délicat du décrochage. A partir de maintenant, nous ne ferons plus que du combat retardateur, étant donné la puissance de rupture des engins ennemis contre lesquels nous sommes insuffisamment armés. Je me replie sur Hocquincourt où je retrouve Battestini et ses 25mm. De là, j’envoie deux sections rejoindre à pied le reste du bataillon. Je « réquisitionne » des voitures des dragons portés, qui combattent à pied quelque part, et j’y fais monter le reste de la compagnie. Nous rejoignons le bataillon sans anicroche vers minuit. Nous croisons dans l’obscurité une colonne motorisée qui se replie silencieusement après avoir combattu toute la journée. Le bataillon se regroupe sur la route du Tréport. La 1ère Cie est au château de Forceville. Le reste du bataillon s’installe à Woirel. Aussitôt arrivé, après avoir mis en place un dispositif d’alerte réduit, nous tombons comme des souches sur la paille. Le 6 juin, à mon réveil j’apprends que le lieutenant Fornbacher, commandant la CAB 3 est mort. Son corps est là. Nous lui rendrons les honneurs et nous l’enterrons. De très bonne heure, nous organisons solidement la défense du village et du château : trous dans les murs, mines, barrages. Le bataillon « formant boule » paraît en bonne posture. Mais à 11H00, voilà que nous recevons l’ordre de repli. Nous ne comprenons pas. Cela doit tenir à la réorganisation du front défensif de la division … Nous allons occuper le village de Fontaine-le-Sec où nous arrivons vers midi. A toute vitesse, il faut reconnaître la position, faire le plan de feux, placer les armes automatiques et antichars. Je suis chargé d’interdire la route du Tréport que l’on voit nettement à moins d’un kilomètre se dessiner à la même hauteur que nous. … Une fois tout le monde en place et les missions réparties je retourne à mon PC faire mon ordre de défense et envoie le compte rendu au bataillon … Nous n’attendîmes pas longtemps. Vers 15H00, des coups de feu en direction du bois nous alertent. Je passe sur le front de la compagnie et secoue mes types dont les trous ne sont pas assez profonds. La plupart n’ont d’ailleurs plus d’outil. Je gagne le cimetière où des artilleurs font le coup de feu avec un canon de 47mm. Ils me montrent des fantassins allemands qui s’infiltrent dans la vallée, puis des motos qui débouchent à toute vitesse sur la route. Une mitrailleuse commence à nous arroser copieusement. Je la fais prendre à partie par mon mortier de 60mm. A ce moment, je reçois l’ordre de prendre à mon compte la 1ère Cie où Martin vient d’être blessé. La 1ère Cie occupe un bois touffu à notre droite. Je m’y précipite et remonte un groupe qui commençait à reculer. Je croise Martin, sur un brancard, grièvement blessé au bras … J’arrive à hauteur d’un GM placé à une cinquantaine de mètres d’un important dépôt de munitions qui se trouve au milieu d’une clairière. Quelques Allemands se sont embusqués derrière les caisses, d’autres grouillent à l’intérieur des bosquets. Le sous-lieutenant Benon qui est à ma droite m’apprend que l’ennemi s’infiltre de son côté. Presque tous les servants de ses pièces de mitrailleuses sont blessés. Un groupe FV, qui se trouve en flèche à l’orée du bois, au bord de la route, doit se replier avec des blessés graves. Je décide alors pour dégager le bois de faire une petite contre-attaque. Je commence par commander le tir sur les caisses de munitions qui sautent avec fracas et font un joli feu d’artifice ! Pendant ce temps, ayant pris un fusil, avec Simon, un ancien de mon groupe franc, armé d’un FM, avec un chargeur et avec le sous-lieutenant Benon, nous avançons d’arbre en arbre, et tirant posément tous les deux ou trois pas, nous jetons le désarroi dans la troupe ennemie. Sur mon passage, un officier à lunettes est étendu, blessé. J’essaie de lui parler. Il continue de hurler ses ordres. Des vociférations se font entendre de tous les coins du bois. J’ajuste un allemand qui fuit à 80 m devant moi, puis un autre qui est immobile, à côté d’un arbre. Il s’affale tout d’une pièce en pliant les genoux. Je m’aperçois alors que je suis trop en flèche et mal protégé sur ma droite. Je fais donc demi-tour et recule d’une vingtaine de mètres. Nous étions presque au corps à corps. J’allais donner l’ordre à la section qui se trouvait là de faire un bond en avant lorsque, juste au moment où mon tireur me crie de faire attention à droite, je reçois deux balles, l’une me fait sauter le casque et l’autre m’atteint à l’épaule, me donnant la sensation d’avoir le bras coupé ; je passe le commandement à Benon et rejoint tant bien que mal le poste de secours du bataillon où je suis pansé par Hautin et Righini. Lieutenant François Daveaux , commandant la 2ème Cie puis la 1ère Cie du 22ème RIC du 30 mai au 6 juin 1940 Évacuation d’un blessé _______________________ Le 6 juin, près de Wiry-au-Mont, ma compagnie était chargée d’arrêter les Allemands à la lisière d’un bois. Le combat durait depuis une heure environ, nous étions pris sous un déluge d’obus et de balles mais nous ne voyions pas l’ennemi. Nos armes automatiques tiraient donc quelque peu à l’aveuglette. J’ai alors sorti le buste de mon trou pour essayer de mieux voir et de guider leur tir. Un obus de mortier allemand explosa à côté de moi et je ressentis un choc très violent au bras gauche et un autre à la poitrine. Il devait être à peu près onze heures du matin. Sur le moment, je me crus frappé à mort à cause du sang qui coulait de ma poitrine à hauteur du cœur. En fait, un éclat m’avait blessé au bras et éraflé la poitrine. Je fis prévenir la capitaine Gavouyère qui commandait le bataillon tandis qu’un sergent coupait ma veste et, avec une de mes bandes molletières, me faisait un garrot au bras et un pansement sommaire à la poitrine. A peine un quart d’heure après, quatre brancardiers arrivèrent, sans brancard, mais avec une toile de tente. Après que j’eus passé mon commandement, je fus évacué dans cette toile de tente que les brancardiers portaient à chaque coin. Je ne souffrais presque pas, pas plus que si j’avais reçu un fort coup de bâton. Chose curieuse, c’était plutôt la poitrine qui me brûlait. Après quelques centaines de mètres dans cet équipage, les brancardiers trouvèrent une échelle et s’en servirent comme brancard. Je commençais à souffrir un peu. Encore quelques centaines de mètres et j’arrivai ainsi au poste de secours du bataillon. Là, le médecin du bataillon me fit faire un premier pansement, sec. Au même moment, par une chance extraordinaire pour moi, une voiture sanitaire du régiment arrivait. Sous le feu d’enfer des mitrailleuses et des obus allemands, je fus chargé sur un des brancards de la camionnette et, avec trois autres blessés, nous partîmes aussitôt. Peu de temps après, nous arrivâmes au poste de secours du régiment. Là, le médecin-chef me fit un pansement moins sommaire et m’enleva mon garrot qui commençait à me faire beaucoup souffrir. Comme le plaie saignait peu, j’ai su plus tard que l’artère principale n’avait pas été coupée, ni d’ailleurs les nerfs, il ne me remit pas le garrot et m’évacua par une autre voiture sur le poste divisionnaire. Je souffrais alors beaucoup à cause des cahots et des à-coups de la marche. Arrivés au point où devait se trouver le poste de secours de la division, on nous apprit qu’il venait de se replier et que l’on ne savait pas où il se rendait. Le chauffeur prit alors sur lui de continuer sur Beauvais. Enfin, vers 19H00, nous arrivâmes à Beauvais. Là, on me fit aussitôt une piqûre antitétanique et une piqûre anti gangreneuse. Je ne souffrais plus depuis que j’avais quitté la voiture. Vers les 7 heures du matin, le 7 juin par conséquent, on me déshabilla entièrement pour être opéré. Comme j’avais 1000 F dans mon portefeuille, je demandai de le conserver avec moi. On me fit ensuite une piqûre de morphine et on me transporta à la salle d’opérations. Une fois sur le billard, on m’endormit à l’éther, très facilement, je pourrais dire presque agréablement. Quelques temps après, je me réveillai dans un dortoir de malades, dans un lit. Une infirmière surveillait mon réveil. Je n’eus aucune réaction : ni maux de tête, ni vomissements, ni même hoquet et encore moins douleurs locales. Au point de vue médical, ma situation était la suivante : l’éclat, après avoir traversé le bras, n’avait fait qu’effleurer la poitrine, me faisant une petite coupure qui me démangeait plutôt qu’autre chose. Quant au bras, j’étais persuadé qu’il faudrait me le couper. En réalité, il ne s’agissait que d’une grosse fracture. L’opération avait consisté à enlever les petits débris, les esquilles, et à remettre de l’ordre dans les chairs. Les plaies d’entrée et de sortie étant encore trop profondes et trop vastes, on ne pouvait le mettre dans le plâtre. Je passai la journée du 7 à Beauvais. A plusieurs reprises, la ville fut violemment bombardée par l’aviation ennemie ... Le soir même, on décidait de nous évacuer, les Allemands approchant de Beauvais. Je ne pus même pas trouver mes vêtements et équipement et je partis en voiture sanitaire sans avoir même une chemise ! J’avais eu du nez de conserver mon portefeuille ! Je n’eus pas froid, car j’avais deux couvertures ... Capitaine André Martin , commandant la 1ère Cie. Une évacuation manquée vers l’Angleterre _______________________________ Le 11 juin, le régiment tient la coupure de Fontaine-le-Dun. Je me retrouve avec ma section réduite à une quinzaine d’hommes, en dehors de la petite ville, au-dessus d’un hameau blotti dans la verdure de part et d’autre de la rivière ... Au cours de la journée, arrive l’ordre de changer d’emplacement. Notre mouvement presque terminé, nous sommes surpris par une colonne de chars allemands qui débouche sur l’autre flanc de la petite vallée et suit une route parallèle à la rivière. Ils nous canonnent tout en roulant, leur tir n’est donc pas ajusté. Je me relève pour crier aux hommes de ne pas courir, de rester couchés. Une boule d’un rouge foncé sur fond noir éclate alors devant moi. Je reprends conscience dans une odeur écœurante de poudre brûlée. Je suis à quatre pattes, l’esprit encore confus, quand je sens un liquide chaud sur ma main droite. Un filet de sang coule de façon continue de ma joue sur ma main. Je réalise que ma joue est ouverte et je sens à l'intérieur un corps dur. Depuis longtemps, nous n'avons plus de paquets de pansements. Je rejoins le PC de la compagnie à quelques dizaines de mètres derrière moi et demande au lieutenant Roybon comment me faire soigner. La seule possibilité est d'aller au poste de secours du régiment, installé dans une ferme, très près d'où nous sommes, au bord de la route. Les hangars sont pleins de blessés, couchés sur la paille. Le personnel médical est débordé, mais j’ai bientôt la tête enveloppée d’un magnifique pansement qui me fait ressembler à un méhariste. Je suis obligé de garder mon casque à la main. Un médecin me signale qu'une camionnette va emmener des blessés à Saint-Valery en Caux et que je peux essayer de partir avec elle. J'arrive à m'allonger sur une des ailes avant du véhicule. Aux abords de la ville, je ne me souviens plus pour quelle raison, le chauffeur me demande de me débrouiller seul puisque je peux marcher. Soigné dans des conditions d’hygiène douteuse par un médecin-lieutenant français manquant de moyens de désinfection et de pansements, ma blessure s’infecta au cours des étapes suivantes. Elle me rendit très fiévreux et deviendra très douloureuse. La nuit tombe quand j'entre dans Saint-Valery en Caux en flammes, les bâtiments presque tous atteints par les bombardements. Pas un civil en vue, les rues grouillent de militaires désorganisés. Une unité anglaise, qui donne l'impression d'être tout juste débarquée car les uniformes sont impeccables, sans traces de poussière ou de déchirures, est immobile dans une rue; les hommes accroupis et serrés les uns contre les autres créent l'illusion d'une énorme tortue. Je me fraie un chemin à travers eux à coups de genoux. Je suis à la recherche de nourriture, mais tous les magasins, cafés, restaurants ont été pillés et je ne trouve finalement qu'une bouteille de porto dans une cave qui a dû être mal fouillée. Je m'installe alors dans une encoignure où j'estime être à l'abri des chutes de tuiles et de moellons et passe ainsi la nuit, tétant ma bouteille de temps à autre. Le 12 juin, à l'aube, je rejoins la plage dans l'espoir d'embarquer. Elle est immense, peut-être 4 km entre Saint-Valery en Caux et Veules-les-Roses, à l'est. Elle est profonde car nous sommes à marée basse. Des falaises très hautes et abruptes la dominent. Je vois des gens descendre en rappel : de l'infanterie alpine. Le sable humide est soulevé d'innombrables cloques qui crèvent aussitôt ; je comprends que ce sont des balles de mitrailleuses, tirées de deux petits caps verdoyants qui clôturent la plage. Ce 12 Juin au matin, je distingue un seul bateau immobile, qui attend la marée haute pour être renfloué et repartir. Il arbore l'Union Jack. Malgré les tirs, je vais à l'échelle de coupée pour monter à bord. Mais en haut, un soldat anglais me fait signe de stopper : « British only ». Je hausse les épaules et continue d'avancer. Il arme son fusil et le braque sur moi en répétant son injonction. Je pense que ce salaud est capable de tirer. Je vais me remettre à l'abri de la falaise, toujours miraculeusement épargné par les balles. En observant vers Veules-les-Roses, je finis par distinguer un bateau beaucoup plus petit, échoué presque au pied du quai. Je m'approche : c'est un français. Il est archiplein car il accepte tout le monde. Il est aussi armé d'un canon et tire sans arrêt pour empêcher les chars allemands d'approcher. L'artillerie allemande le prend pour cible et il ne tarde pas à brûler. Il est évacué et je suis la foule qui se masse sur une petite place dominant la mer. Nous attendons l'arrivée des Allemands qui nous feront prisonniers. J'apprendrais, en 1991, par un article de Paris-Match, que Saint Valery en Caux avait été baptisé le « petit Dunkerque de Normandie » car, de là, on fit embarquer 2137 Britanniques et 1184 Français. (Le sergent-chef Gaydon, blessé et prisonnier, s’évada de Lille, où il était détenu, en septembre et rejoignit la zone non occupée [Voir ciaprès]). Sergent-chef Roger Gaydon, chef de la 1ère section de la 6ème Cie. Les deux derniers jours du régiment vécus par un homme de troupe _______________________________ … Nous marchons toute la nuit. Dès que nous faisons une pause, je m’endors. A l’une d’entre elles, je m’endors dans un fossé plein d’eau, mais l’humidité et le froid me réveillent juste au moment où la colonne repart. Le caporal Arata était initialement caporal d’ordinaire à la 9éme Cie puis au ème Nous marchons jusqu’au petit jour. Nous traversons le village de Fontaine-le3 bataillon. Celui-ci ayant été décimé le 5 juin 1940 et les roulantes Dun. Nous nous arrêtons à sa sortie, en haut d’une côte. On entend non loin ayant quitté le régiment avec le train hippomobile le 9 juin, il est vraisemblable que le caporal Arata a été « versé » à la compagnie de des rafales de mitrailleuses et des coups de canons. L’ennemi nous talonne. transmission (CDT) sous les ordres du sous-lieutenant Fabre qu’il évoque Nous laissons passer sans arrêt des troupes, des troupes de toutes armes. Le fréquemment dans d’autres passages de son « Carnet de route , guerre bruit court que le mot d’ordre est d’embarquer, car la mer n’est qu’à 5 km et, 1939-1940 », notamment lors des combats d’Auzouville-sur-Saâne, le 10 paraît-il, des bateaux nous attendraient. Nous, nous protégerions juin 1940. l’embarquement et embarquerions les derniers. Dans l’après-midi, nous nous portons 2 km plus loin, dans un petit bois, avec une petite maison au milieu. Nous sommes tout près du carrefour des routes de Saint-Valery en Caux et de Veules-les-Roses où se trouvent les restes d’un dépôt de ravitaillement anglais déjà détruit, camions, munitions et vivres. Il y a quand même encore un peu de nourriture « comestible » et un Écossais me donne des boîtes de conserves qui sont vraiment les bienvenues. Notre groupe se trouve sur le bord d’un petit lac et je me dis que nous serons bien là car, si nous subissons un tir d’artillerie, les obus tombant dans l’eau ont des chances de ne pas exploser ou s’ils explosent leurs éclats seront freinés par l’eau. « Je ne tiens plus droit », je m’endors au pied d’un arbre dès que je m’arrête. Au bout d’une heure environ, on me réveille et En juin 2000, à 6km au sud de Veules-les-Roses, le « petit bois avec une on me dit que le lieutenant Sigallon de la CDT me demande. Je me rends dans petite maison au milieu » était toujours là. une petite maison où se trouve ce qui reste de l’état-major du régiment. Le lieutenant Sigallon me montre des vivres et me dit : »Arata ! Voilà ce que nous avons trouvé comme vivres dans les maisons de Veulesles-Roses. Tu vas les partager équitablement pour tout le régiment ». Il me donne un effectif approximatif de ce qui reste du 22ème RIC, nous ne sommes plus nombreux en tous cas. Je commence la répartition des quelques boîtes de conserves et autres marchandises que l’on m’a données. Il n’y a pas cinq minutes que je m’y suis mis quand une pluie de fusants allemands nous arrose copieusement, ça éclate de tous côtés. Je me jette sous une chenillette de ravitaillement de la CRE qui se trouvait heureusement là. La chenillette tremble sous les explosions. Je me garantis tant que je peux. Cela dure environ un quart d’heure. le calme revient, Mais le bois autour est bouleversé. Comme après chaque bombardement, on entend les cris et les râles des blessés et l’on voit les brancardiers partout s’affairer. Le coin où je dormais tout à l’heure, avant que le lieutenant Sigallon me fasse appeler, est ravagé et c’est de là que parvient la majorité des cris et des plaintes ; je me demande alors si l’eau du lac était aussi protectrice que nous l’avions envisagé ... Un ordre arrive bientôt du colonel de tout faire disparaître. On brûle les papiers, notamment les papiers secrets du régiment, l’argent. On fait sauter les chenillettes. Nous enlevons les écussons du régiment. L’ordre de repli nous arrive de nouveau. Nous marchons lentement, c’est dur. Je suis tellement fatigué qu’à la première halte, dans un champ de blé, je m’endors comme une masse dès l’arrêt. Heureusement, un copain me réveille : « Allez Arata, il faut repartir ».Machinalement, je repars. Nous marchons lentement dans la nuit. Il commence à pleuvoir. A la fin de l’étape, nous nous arrêtons dans un fossé et, bien qu’il se mette à pleuvoir assez fort, je m’endors aussitôt d’un profond sommeil. J’entends vaguement le crépitement des salves de mitrailleuses qui nous passent au-dessus. Au petit jour, je vois nombre de camarades qui ont perdu leurs compagnies. J’aperçois tout près une ferme. J’y rentre. Je n’y suis pas seul. Il y a là un « tas » de soldats et de réfugiés et même un camarade de La Seyne : Testanière ( ?) … Nous subissons un nouveau tir d’artillerie puis on nous tire dessus. Avec d’autres camarades, je m’abrite dans une grange pleine de blé sur les murs de laquelle les balles crépitent déjà. Un officier rentre et nous dit : « Tirez jusqu’à vos dernières cartouches ». Il y a environ dix minutes que nous échangeons des coups de feu avec l’ennemi lorsque nous entendons un grésillement. La grange commence à flamber (Le caporal Arata se trouvait manifestement le 12 juin à la « Ferme de Manneville » dans la grange qui a brûlé). Au bout de cinq minutes, les poutres commencent à rougir, la paille brûle bien et le feu avance vite. Nous allons et venons d’un bout à l’autre de la grange comme des rats pris de panique devant le feu. Quelques-uns d’entre nous, cinq peut-être, tentent de sortir en disant : « Tant pis, il faut sortir ». Ils n’ont pas fait dix mètres que des rafales de mitrailleuses les atteignent. Deus parviennent à revenir. Un a le cou traversé par une balle et crache du sang. L’autre, un sergent, est touché à la poitrine et râle. Nous le disposons du mieux que nous le pouvons sur la paille. Il nous supplie de ne pas le laisser, il demande à faire son besoin, le sang sort à flot de sa bouche. Il est à l’agonie. Tout à coup, il ne bouge plus. Je crois bien qu’il est mort … Un autre corps barre la porte d’entrée. Tout à coup, je me souviens qu’en allant vers la porte du fond on est vite rendu sur la route. Je dis à deux camarades qui sont avec moi et que j’incite à me suivre « Tant pis, il faut y aller, tentons notre chance, mourir d’une balle ou mourir du feu … ». Je sors le premier. Je cours en me baissant Des rafales de mitrailleuses me passent audessus de la tête. J’ai de la chance, je passe au travers. Mes compagnons aussi. Nous sommes sur la route. Nous y avons fait environ 200m sans rien voir, lorsque nous rencontrons un lieutenant qui, sortant d’un chemin de terre, fait mettre en batterie un canon antichar. Il nous demande où nous allons. Nous lui répondons que nous venons de nous échapper de la grange en flammes et que nous cherchons à rejoindre notre compagnie. Il nous dit alors de continuer jusqu’au village et que là, peut-être, nous trouverons quelqu’un ». Nous faisons encore 200 m, quand, tout à coup, au détour de la route, un tank allemand apparaît droit devant nous avec son canon et ses mitrailleuses braqués sur nous, ou du moins en avons-nous la ferme conviction. L’équipage nous fait signe de lever les bras. N’ayant plus de munitions, plus rien à manger, cernés de partout, fatigués, que pouvons-nous contre un char de combat prêt « à nous tirer comme des lapins » ? Rien, on se résigne et on lève les bras, vaincus. Charles Arata , caporal d’ordinaire. La compagnie de transmissions (CDT) aux combats du 10 et du 12 juin 1940 ___________________________________________ Le 10 juin, Le 22ème se replie en ordre, dans une zone dégagée de tout civil en déroute, sur une petite route serpentant entre les champs, d'où parfois émerge un tireur ennemi isolé qui tire deux ou trois rafales de mitraillette avant de disparaître, caché par les céréales en épis et hautes poussées. La compagnie de transmissions en partie regroupée et réduite à une vingtaine d'hommes assure l’arrière-garde. Le colonel en tête du régiment arrive au niveau d'un petit village juché en hauteur à une centaine de mètres de la route que nous avons empruntée. C'est alors que les cloches de l'église se mettent à sonner à toute volée. C'est de mauvaise augure. Le colonel stoppe le régiment. Il fait appeler le sous-lieutenant Fabre et le charge d'ouvrir la route par une reconnaissance avancée. Nous recevons les ordres du sous-lieutenant Fabre, puis nous remontons le régiment arrêté. Il y a un risque de trouver l'ennemi sur notre chemin de repli et il nous faut nous en assurer. La reconnaissance se fait colonne par un. En tête le sous-lieutenant Fabre, derrière lui, à quelques pas, le sergent Berne de Lyon, puis le groupe des téléphonistes dont le dernier homme est Chappeland de Lyon. Je marche à quelques mètres de Chappeland, le caporal Dimet me suit, puis, derrière, le tireur Moussy avec son fusil mitrailleur (FM) et une dizaine d'hommes encore. Le soir tombe et la visibilité commence à baisser. Le sous-lieutenant Fabre arrive à un carrefour de quatre routes, à 250 mètres environ du village. Il tourne sur la droite en direction de Saint-Valery en Caux. Une fusillade éclate alors. Nous sommes attendus. L'ennemi semblait bien averti par les cloches de l'église. C’est rapide et brutal. Dans ce cas-là, on n’a presque jamais la possibilité de riposter. La seule solution : se plaquer au sol pour réduire le risque d'être touché. J'examine la possibilité de fuir ce lieu découvert. A ma droite, rien à faire, une haie touffue et haute sépare la route d'un pré dénudé. A gauche, pas de haie mais, à première vue, guère plus d'abris, pourtant quelques massifs d'orties. Et toujours les balles qui claquent aux oreilles. L'obscurité s'amplifie. Alors apparaît au carrefour, à quelques vingt mètres, une automitrailleuse. Elle lance une fusée éclairante et tire à la mitrailleuse dans notre direction. Immédiatement, et sans plus de réflexion, je crie « Bond à gauche » et je me précipite ... dans les orties. Je tombe, en effet, dans un fossé plein d’orties qui longe la route. Malgré les orties, il est vraiment le bienvenu. Moussy m'y rejoint presque aussitôt. Après un instant d'immobilité, Moussy me dit « Vous avez vu ? Ils ont emporté Chappeland et Dimet ». Nous apprendrons plus tard qu'ils étaient morts tous les deux. La mitrailleuse avait fait son tri, son tir d’enfilade avait touché un homme sur deux. Avec Moussy, nous étions dans la moitié épargnée. L’automitrailleuse repart, emportant plusieurs blessés ou morts. Voyant que nous étions dans l'impossibilité d'agir, le colonel a envoyé deux colonnes, le restant des bataillons, une à droite et une à gauche du village, dans les prés, ouvrant ainsi une brèche dans la menace d'encerclement. Le sergent Berne est bien touché : on relève dans ses jambes et ses fesses dix-huit impacts de balles de mitraillette. Nous allons le transporter pendant le reste du parcours en attendant de pouvoir l'évacuer vers une infirmerie. Notre nombre fond à vue d’œil. Il est à noter que les mitraillettes des Kommandos allemands sont dangereuses de près et qu'elles ne font plus que des blessures légères à une certaine distance. Leurs balles creuses, à l'aspect de demi-sphères, n’occasionnent de graves blessures que sur les parties dénudées et, encore, en tir rapproché. Le sergent Berne a été blessé alors qu’il se trouvait au carrefour même, au pied des pins où des Allemands étaient grimpés pour nous attendre. Cette technique n'est pas nouvelle pour nous, et pourtant nous sommes pris au piège à presque tous les coups. J'apprendrais plus tard que le village que nous avons traversé s’appelle Auzouville-sur-Saâne ... Le 12 juin,. les rescapés passent la nuit dans un bois à une petite distance du plateau. Le matin, le régiment se regroupe. Combien restons-nous ? Les livres diront 250 à 300, sur 3 500 au départ de Toulon ! Le colonel nous dirige vers Saint Valery en Caux, nous stoppe, va aux renseignements, revient, nous fait rebrousser chemin et nous arrête dans un pré bordé d'arbres. Une ferme, une de ces grandes fermes de la région, se trouve juste séparée de nous par la route que nous venons de quitter. Nous l’appellerons tous la « Ferme de Manneville » et nous nous en souvenons, non seulement parce qu’elle est située en peu au Sud de Manneville-ès-Plains, non seulement parce que c'était le nom d'un des nôtres, Manneville le toulousain, le chanteur de charme à la voix puissante que nous entendions toujours chanter "Oh mon Pays" en patois toulousain, mais surtout parce que ce fut là que se déroula notre ultime combat. Le colonel nous réunit en cercle dans le pré et nous tient un langage à jamais gravé dans ma mémoire : Soldats, je viens de prendre les ordres des généraux qui commandent le secteur de Saint Valery. L'ordre est net : « Se rendre sans combat ». … Un temps de silence s'écoule. Le colonel essaie de conserver son allure martiale puis continue : « Dans l'histoire de la Coloniale, ce sera la première fois qu'un régiment, ou ce qu'il en reste, se rendra sans combat ». … Nouveau silence … « Voulez-vous être les premiers? Non ? Eh bien alors, prenez vos armes, vos munitions et mettez-vous en position autour du pré, tout autour, car nous sommes encerclés. Je vous souhaite bonne chance, et “Au nom de Dieu, vive la Coloniale”. Je passe le commandement au capitaine Sérole ». Et le colonel se dirige seul vers la ferme voisine. J'ai le FM de Moussy qui, la cuisse labourée par un éclat la veille au soir, nous avait quittés pour rejoindre très courageusement le poste de secours sur une seule jambe, après que je lui eus fait un bandage provisoire avec une manche de ma chemise. Le sous-lieutenant Fabre qui, lui aussi, a été blessé la veille au bras par une balle qui s'est faufilée entre sa poitrine et son bras, me prend quelques chargeurs puis, pour me dédommager sans doute, par gentillesse en tous cas, ouvre sa musette et me donne une boîte de sardines et un bout de pain. Il doit y avoir 24 heures que je n'ai pas mangé, et si peu la dernière fois. Le capitaine Sérole nous crie alors : « Vous ne tirerez que sur mon ordre, si quelqu'un tire avant, je le descends! » Au loin, le bruit annonciateur d'une colonne blindée. Que faire ? Ordre : « Se terrer. Faire le mort et laisser passer. ». Derrière les chars, les fantassins allemands, l'arme à l'épaule, en colonne compacte sur la route, victorieux dans une zone conquise et sans défense. Ils avancent, nous commençons à trépigner d'impatience. L'ordre de tir ne vient pas. « Attendez, attendez ! ». Lorsque l'ennemi est à 100 m environ, l'ordre claque : « Hausse zéro, tir direct. A mon ordre, Feu! ». C’est une boucherie, la surprise totale, les Allemands « sont hachés menus » Mais nos dernières cartouches sont vite tirées. L'ennemi, qui s'est dispersé, se reprend et arrive de tous côtés. Les chars, les derniers passés, rebroussent chemin et tirent dans la ferme où ils pensent sans doute et à juste raison que beaucoup des nôtres ont dû se mettre à l'abri. Des bâtiments flambent. Tout cela pendant que les uns après les autres, nous sommes pris, désarmés. Fabre tord son FM contre un arbre. J'en fais autant du mien. Tous les deux nous en porterons quelques jours les marques dans les mains, brûlées par le canon qui a tiré des salves très longues, sans répit. Nous sommes ensuite réunis dans la cour de la ferme, pendant que les soldats allemands la fouillent. C'est alors que le colonel est trouvé et qu'il nous rejoint. Nous restons plus d'une heure debout, troupe battue et nous ne savons pas le sort qui nous est destiné. Alors arrive un détachement, d'une section à peu près, sous le commandement d'un officier. Celui-ci stoppe sa section, la met en ligne, et nous dit : « Je suis chargé par notre chef de féliciter le 22ème RIC pour sa tenue au combat ». Il fait alors présenter les armes, remet sa section en colonne et repart. Nous avions cru un moment notre dernière heure arrivée. Nous sommes ensuite dirigés vers la route de la captivité. Des colonnes de prisonniers affluent de tous côtés, troupes penaudes, battues. Certaines pourtant sont vêtues comme à la parade, dans des tenues qui semblent toutes neuves, tout juste sorties de l'intendance. Nous nous mêlons dans l'anonymat à ces colonnes d'eunuques. Sergent Maurice Reynaud , de la compagnie de transmissions. Après le 12 juin 1940 ____________________ ème La relation de l’épopée du 22 RIC dans la campagne 1939/1940 ne serait pas complète sans l’évocation d’actes exemplaires, de souvenirs ou d’écrits ayant un rapport évident avec le régiment bien que postérieurs à sa reddition. ème Le 12 juin 1940, le 22 RIC n’existe plus. Nombre de nos anciens, ne s’avouant pas vaincus, s’évadèrent et continuèrent la lutte. Les sacrifices du régiment n’ont peut-être pas été perçus par tous comme ils le méritaient. Certains de nos compatriotes ne les oublièrent toutefois pas et les glorifièrent. Captivité et évasion du 13 juin au 30 septembre 1940 ________________________________________________________ … faits prisonnier le 12 juin 1940 à Veules-les-Roses, j’ai, comme les autres, brutalement sombré dans une sorte de torpeur avachie. La fin de la tension de la lutte ajoutée à l'extrême fatigue physique et nerveuse et le manque de nourriture expliquent le désintérêt total que nous éprouvions pour tout ce qui nous était extérieur. De plus, tout en ayant conscience que je n'avais pas démérité, je me sentais humilié et confusément coupable. Ce sentiment était, je crois, partagé par un très grand nombre. Dans les colonnes de prisonniers, nous étions isolés du monde extérieur. Nous étions du bétail, conduits de jour par nos gardes comme un troupeau l'est par ses bergers et leurs chiens. La nuit, nous étions parqués dans les champs, sans abri, toujours comme du bétail. Nos itinéraires évitaient toutes les localités un peu importantes. Dans les villages que nous traversions, très souvent les portes et les fenêtres se fermaient sur notre passage, comme si nous étions des pestiférés. Il y eut peut-être des gestes charitables d'habitants envers les prisonniers de passage, mais je n'en ai pas vus et je n’en ai pas entendu citer. Je devais m'apercevoir assez vite que, même chez les prisonniers, il y avait deux catégories : ceux qui s'étaient battus et les autres, ceux des « services », … Ceux-ci ne donnaient pas l'impression d'avoir vraiment souffert. Ils avaient encore de l'énergie en réserve et l'utilisaient surtout pour s'emparer les premiers du ravitaillement que l'on nous apportait le soir ... J’ai fait partie d’une colonne de prisonniers acheminés, à pied bien entendu, vers le sud-est jusqu’à Forges-les-Eaux, à 40 km au nord-est de Rouen, où nous eûmes quelques jours d'arrêt, installés dans le Casino ... Puis, nous avons repris la route, en direction du nord cette fois. Les nuits se passaient dans les prairies que les Allemands entouraient d'un fil de fer barbelé. La nourriture était très réduite : le soir, un morceau de pain accompagné d'un ersatz de « Ersatz » signifie en allemand « remplacement ». charcuterie ou de fromage. Jamais rien de chaud. Ce n'était pas de la brimade de la part Employé couramment pour désigner un produit alimentaire (succédané) qui en remplace un autre de des Allemands, mais ils étaient vraiment débordés par les problèmes que posait cette qualité supérieure, devenu rare. Les Français l’ont utilisé masse de prisonniers ... pendant les années d’occupation et les années de A Lille, où j'arrivais dans les premiers jours de juillet, je fus déposé dans une caserne restriction qui suivirent. baptisée « hôpital complémentaire », car elle était réservée aux blessés légers. J’y fus gardé un mois environ, ce qui me permit non seulement de me reposer … mais surtout d'échapper aux convois vers l'Allemagne à travers la Belgique ... Guéri, je rejoignis une autre caserne de Lille transformée en camp de prisonniers. Un après-midi, assis au pied d’un arbre, je surprends la conversation de deux hommes, assis de l'autre coté de l'arbre, deux savoyards qui parlaient du pays. Je reçois comme un électrochoc ! L'envie de revoir nos montagnes s'impose à moi et je décide sur le champ de partir avant l'automne. Le premier résultat de mes réflexions est qu’il est nécessaire de me procurer des vêtements civils. Pour cela, il faut avoir des contacts avec l'extérieur, donc partir en corvée. Je me renseigne sur les diverses corvées et commence par celle du Service central de tri postal de l’armée. Un car vient nous prendre chaque matin et nous ramène l’après-midi. Le travail est facile. Les Allemands, tous des sous-officiers de réserve, anciens de 14-18, sont sympathiques et ferment les yeux sur nos sorties au bistrot d'en face. Mais pas de facilités pour trouver des vêtements civils Après divers essais infructueux, je découvre une corvée de choix. Nous sommes emmenés à l'extérieur de la ville dans une propriété réquisitionnée par un état-major de la DCA. Nous sommes bien nourris; il suffit à midi de se présenter à la roulante avec un récipient. Celui-ci est rempli à ras bord, quelle que soit sa contenance, du plat unique qui semble de tradition dans l'armée allemande. J'ai pris l'habitude, après ce repas, de me promener dans le parc enclos de murs de cette propriété. Un jour, j'entends une clé jouer dans la serrure d'une petite porte de la clôture. Je vois entrer une dame vêtue de noir, d'allure distinguée. En m'apercevant, elle a un mouvement de recul. Je la rassure et lui explique qui je suis et la raison de ma présence dans le parc ... Pris d'une inspiration subite, je lui expose mon problème vestimentaire. Elle me regarde des pieds à la tête, réfléchit et déclare qu'elle pense pouvoir faire quelque chose. Elle revint le lendemain et me remit un paquet dont le contenu dépassait tout ce que j’avais osé espérer : complet veston gris avec chemise blanche, cravate noire, chaussettes et souliers noirs, béret basque. J'étais transporté de joie et ne savais comment exprimer ma reconnaissance. Elle me dit alors : « J'ai un fils de votre âge, de votre taille et il est aussi prisonnier. Ce que je fais pour vous, je souhaite que quelqu'un le fasse pour lui, si l'occasion se présente ».Je regrette toujours de n'avoir pas osé demander à cette dame comment rentrer en relation avec elle plus tard. J'avais un plan pour prendre le large. Au cours d'une corvée à la gare de marchandises, j'avais remarqué un portail grand ouvert toute la journée. Dès que possible, je m’intègre à cette corvée, mes effets civils serrés dans une musette. Sur le quai où les équipes sont ventilées aux différents chantiers, je refuse de travailler étant sous-officier : « Unteroffizier ... nixt arbeit ! » « Nixt ». La sentinelle, qui ne comprend pas le français, finit par céder et part en haussant les épaules et en La majorité des Français comprenait secouant les bras. Lorsque plus un allemand n’est visible, je pars d'un pas de promenade le long du “nixt” le « nicht » prononcé par les quai, traverse les voies d'un air dégagé et franchis le portail. Je rentre dans un café déjà repéré de Allemands. Aussi employait-elle “nixt” l'autre coté de la rue. Par chance, il est vide. Le patron lave des verres derrière le comptoir. Je quand elle disait « non » à un Allemand. m’approche et lui dit : « je viens de m'évader. Donnez-moi un endroit pour changer de vêtements, puis je partirai ». Il pâlit, rougit, s'affole, puis me jette littéralement dehors. Je suis décontenancé, car dans ma naïveté, je pensais que tout français aurait à cœur d'aider un prisonnier évadé. Tout mon plan s’écroule et je comprends que je dois étudier mon affaire avec beaucoup plus de sérieux. Il ne suffit pas de sortir des rangs, il faut savoir où aller. Je rentre au camp avec la corvée pour reprendre la question à zéro. Je ne me souviens plus des circonstances qui me font m'associer avec deux autres sous-officiers pour un départ commun. Ils pensent, comme moi, que le tout n’est pas de sortir du camp, mais de pouvoir atteindre la zone libre et, pour cela, être capable de circuler en zone occupée sans attirer l'attention. Ils disposent de vêtements civils. Les Allemands ne connaissant pas avec exactitude l'effectif des prisonniers du camp, il était sous-évalué grâce aux efforts des quelques français employés comme secrétaires, notre disparition peut passer inaperçue un certain temps à condition de ne pas sortir avec une corvée. L'effectif des corvées est en effet soigneusement vérifié au départ et au retour. L'un de nous ayant réussi à subtiliser un « Ausweiss » s'entraîne à imiter la signature de l'officier allemand commandant le camp. Nous pouvons donc créer une corvée fictive ne figurant pas sur la liste officielle. Nous découvrons que tous les matins, un français âgé vient avec un tombereau enlever les eaux grasses des cuisines … Nous pouvons essayer de partir avec lui. Mais il faut que le chef du poste de police trouve cette corvée plausible et nous achoppons là-dessus. Le commandement allemand vient à notre secours. Par crainte de fraternisation entre ses soldats et les prisonniers, il décide que la garde serait relevée toutes les vingt-quatre heures, à onze heures du matin. Nous pouvons tenter notre chance. Si le sous-officier chef de poste n'a jamais assuré de service au camp, nous réussirons presque à coup sûr. Le jour où nous décidons de partir, après une heure passée à déjouer les patrouilles de fouille des bâtiments, nous nous postons à l'angle d'un mur, hors de la vue de l'entrée de la caserne, sur le parcours du tombereau. Nous nous sommes munis de pelles et de pioches pour faire plus vraisemblable. Au passage de la voiture, nous nous plaçons deux à l’arrière et le plus âgé, près du vieux, pour lui expliquer le coup. Il encaisse sans manifester de surprise et nous arrivons au portail. Le sous-officier allemand examine soigneusement 1’ausweiss, nous compte, puis fait signe d'ouvrir le portail. Dans la rue, nous nous maîtrisons pour garder l'allure nonchalante des prisonniers sans ardeur. Mais dès que le tombereau tourne dans une rue hors de vue du camp, nous nous précipitons dans l'entrée d'un immeuble. Nous avons vite fait de changer de vêtements et de planquer nos effets militaires sous l'escalier. Nous savons où aller : au 40 de la rue de Douai. C'est l'adresse que nous avions obtenue au camp par je ne sais plus quelle combine. Nous sommes surpris de nous trouver devant une « maison close » ... Nous sommes conduits au grenier où une petite pièce sert de dortoir, avec des matelas sur le sol. La nuit, des bruits furtifs nous alarment. Ils sont produits par deux hommes portant de longs paquets enveloppés de toile à sac. Ceux-ci contiennent des armes récupérées dans les environs de Lille et stockées là pour le cas où .... ! Au jour, nous recevons la visite du médecin-lieutenant français du camp. Il peut circuler à sa guise et a contribué au montage de la filière d'évasion. Il établit pour chacun de nous des papiers de réforme médicale, avec en-tête officielle et tampons. Nous avons évidemment de faux noms. Au milieu de la nuit suivante, un homme vient nous chercher. C'est un cheminot. Il nous explique qu'il va nous conduire à un endroit de la voie ferrée où nous pourrons monter dans un train allant à Paris. Nous le suivons en file indienne très espacés pour ne pas attirer l'attention car le couvre-feu interdit la circulation. Par de petites rues discrètes, il nous amène à un poste d'aiguillage : « Un train va s'arrêter sur cette voie, à votre hauteur, à 02H30 environ. Montez dedans séparément et installez-vous discrètement sans vous inquiéter de ce qui pourra vous paraître anormal. » Il nous donne aussi les consignes pour l'arrivée à Paris. A l'heure dite, un train survient et s'arrête comme prévu. Nous montons, chacun dans un wagon différent. Stupeur ! Le train est plein de militaires allemands qui reviennent de permission. Je me cale sur une banquette entre deux soldats et essaie de me faire oublier ... A l'arrivée à Paris, nous nous retrouvons sur le quai et allons ensemble à "La Chope Marcadet", l'adresse qui nous a été donnée à Lille. Le contact se passe très bien, la filière fonctionne sans un raté. Nous devons aller à Dijon dans un certain café et nous faire reconnaître par une phrase convenue. Nous recevrons alors les indications nécessaires pour franchir la ligne de démarcation. Pas de consignes particulières pour le voyage en train. Nous prendrons des billets comme tout le monde et il n'y a pas de contrôle de police entre Paris et Dijon ... A Dijon, nous trouvons facilement le relais indiqué. Nous sommes les seuls consommateurs, aussi je vais au comptoir et murmure à l'homme qui s'y trouve la phrase de reconnaissance. Pas la moindre réaction chez mon interlocuteur : ni incompréhension, ni étonnement. Je répète encore deux fois la phrase, de plus en plus fort. Même absence de réaction. Je reviens à notre table : « Partons vite ! Il y a quelque chose d'anormal … » Un peu plus tard, nous décidons qu'il est préférable que chacun tente sa chance seul. Nous avons l’impression en restant groupés d’attirer 1’attention. Mais, à force de déambuler dans les rues, j'éprouve le besoin de me reposer. En passant devant une église, l'idée me vient qu'il doit faire bon à l'intérieur et que je pourrais me reposer et réfléchir calmement dans le silence et la pénombre, à l'abri des regards curieux. Une filière est rompue, mais il doit être possible d'en mettre une autre sur pied avec 1’aide des Scouts de France auxquels je peux me présenter en tant qu’ancien de la troupe de Cluses. Je vais à la sacristie et découvre une personne très âgée, de sexe indéterminé. Je lui déclare vouloir rencontrer un aumônier scout, ce qui la plonge dans un abîme de perplexité. Elle ne sait que répondre et me fait signe de la suivre jusqu'à une cour où un prêtre, très âgé lui aussi, lit son bréviaire en marchant. Je répète ma demande et il n'a pas une seconde d'hésitation : « Il faut en parler à Monseigneur ». Je suis interloqué. Pourquoi déranger l’évêque pour une affaire qui me semble, somme toute, banale ? Nous montons à l'étage d'un bâtiment, entrons dans une pièce assez vaste mais monacale qui doit servir de chambre et de bureau. Dans un fauteuil de bois et paille, d'apparence inconfortable, est assis un prêtre si âgé qu'il me fait penser à une momie vivante : c'est le Monseigneur en question. Le hasard a dû me faire entrer dans un centre de retraite pour ecclésiastiques hors d'usage et hors d'âge. Monseigneur m’écoute sans broncher, puis il ferme les yeux et parait s’assoupir. Je suis sur le point de m'éclipser sur la pointe des pieds quand les paupières se soulèvent et une voix faible mais nette prononce : « Le chanoine Kir..., oui, il faut voir le chanoine Kir..., lui, saura ce qu'il faut faire ». Ayant toujours en tête l'idée d'un entretien avec un aumônier scout, je suis A l'époque, le chanoine Kir était encore inconnu très surpris d'apprendre qu'il me faut aller à la mairie pour voir ce chanoine. en tant que député. Arrivé devant la mairie, j’ai un instant d’hésitation. Une immense banderole blanche porte en grandes lettres noires : « KOMMANDANTUR ». Je me décide cependant à entrer et me renseigne. Le chanoine Kir est au premier étage, dans une pièce si vaste qu'il doit s'agir du grand salon de réception du bâtiment. A gauche en entrant, derrière une table bureau très longue, se tient un prêtre à grosse tête, d'allure trapue mais de courte taille à juger par ce qui dépasse de la table. Des bancs et des chaises sont disposés le long des murs, voilà tout le mobilier. Les personnes assises viennent à tour de rôle expliquer leur cas au prêtre. Quand vient mon tour, je me colle à la table, me penche le plus possible vers mon interlocuteur et murmure : « Je suis un évadé ». « Quoi ? » rugit le chanoine en portant les mains en cornet à ses oreilles. Je répète et au troisième « Quoi ? », je crie presque : « Je suis un évadé ». « Ah ! C'est très bien ! Mais il fallait le dire » s'exclame le prêtre soudain tout réjoui. Puis, tendant le bras gauche vers une fenêtre qui doit être au sud, il ajoute : « Il faut aller par-là ». « C'est bien mon intention, mais je ne sais pas comment faire ». Il écrit quelques lignes sur une feuille de papier et me la tend : « Va à cette adresse, dis que tu viens de ma part et, tu verras, tout ira bien ». Je pars, regonflé par le dynamisme jovial et l'assurance de cet homme. A l'adresse indiquée, je suis accueilli par un couple de réfugiés alsaciens. Installé au grenier, j'ai pour consigne de passer inaperçu. Le lendemain soir, je suis prévenu de me tenir prêt à partir en fin de nuit. Je suis embarqué dans une camionnette où se trouvent déjà des femmes, un enfant et un bébé. Au jour à peine levé, nous arrivons, dans un village où, assis au café, nous devons attendre les passeurs. Ils sont deux qui arrivent une heure plus tard. Nous les suivons et pénétrons très vite dans un bois où nous marchons en dehors de tout sentier ... A leur signal, nous devrons traverser en courant un champ, qui descend en pente douce, franchir un petit ruisseau et de l'autre côté, nous serons en zone libre ... L'opération s'effectue sans difficulté, j'aide la mère qui porte son bébé pour la traversée du ruisseau et la remontée de l'autre coté. Nous sommes tous très soulagés en arrivant au premier village de la zone libre. Je cherche les gendarmes pour obtenir un bon de réquisition pour le voyage en chemin de fer. C'est une erreur. Je leur explique que les papiers que je possède sont faux, ne sont pas à mon vrai nom. Ils sont très réticents. Je vois très bien que, pour eux, un jeune homme correctement vêtu, propre et rasé, ne peut pas être un prisonnier évadé. Je préfère ne pas insister et vais à la gare prendre à mes frais un billet pour Lyon, où il me faudra changer pour rejoindre Toulon. Mais en gare de Lyon, la tentation est trop forte : je prends un billet pour Cluses et téléphone à nos voisins afin que maman, très malade, soit prévenue en douceur de mon évasion et de mon arrivée. Le séjour à Cluses ne peut malheureusement n'être que de courte durée. Je dois signaler ma présence à la gendarmerie pour ne pas être considéré comme déserteur. La brigade de Cluses, compréhensive, me laisse quarante-huit heures avant de repartir, aux frais de l’État cette fois. Je dois toutefois m'arrêter à Annecy pour me présenter à la subdivision. Là, je suis interrogé longuement par deux officiers du 2ème Bureau. Je dois relater en détail les opérations, ma capture et mon évasion. J'avais retrouvé à Cluses mes affaires … aussi, j’arrive à Toulon en tenue gabardine, képi, etc. … je ne corresponds pas à l'image-type du prisonnier évadé attirant la compassion. Je ne peux obtenir la permission de détente à laquelle je croyais pouvoir prétendre. C’est alors que des camarades corses m’expliquent leur combine : quelques jours avant l'arrivée à Toulon, ils faisaient la route à pied, ne se lavaient pas et ne se rasaient pas, mangeaient le moins possible. En plus, une histoire bien arrangée d'évasion mouvementée et voilà comment on obtient trente jours de détente dans l’Île de Beauté ! L’armée française me reprend en compte le 30 septembre 1940 avec la mention : « Rentre de captivité ! ! ! ! ». Le 20 janvier 1941, j’embarque pour l’Indochine, via Dakar, Madagascar et le détroit de la Sonde. Le 1er janvier 1942, je suis nommé adjudant. Il s’agit d’une promotion automatique, en qualité d’évadé. A l’époque, à vingt-deux ans et sept mois, je pense avoir été le plus jeune adjudant des troupes Coloniales. Sergent-chef Roger Gaydon à la 6ème Cie. Le cri d’un combattant de 39/40 _____________________________ Cette allocution prononcée par le capitaine R-A Benon est exemplaire. Elle reprend parfois des idées déjà émises et évoque des situations déjà décrites. Il n’empêche qu’elle traduit l’émotion et le désarroi de ceux de nos anciens qui ont tant combattu en prenant conscience de l’oubli de leur action ô combien valeureuse et de leurs sacrifices. Là est toute sa valeur. La France a connu en 1940 l’une des plus sévères défaites de son histoire. Mais, beaucoup plus qu’à une simple défaite militaire, le monde médusé assista en moins de soixante jours à l’effondrement de l’une des plus grandes nations qui dominait alors le monde. Cette catastrophe sans précédent est volontiers occultée par l’histoire officielle parce que, dans l’euphorie de la libération et de la victoire des alliés, cinq ans plus tard, on ne voulut pas revenir sur le passé pour rechercher les causes de la défaite et de l’effondrement de la nation, afin que pareille catastrophe ne se reproduise plus. On préféra jeter un voile pudique sur le passé et laisser accréditer dans l’opinion publique l’idée qu’en 1940 l’armée française ne se serait pas battue Rétablissons la vérité pour dire qu’il y eut, en cinq semaines de combats, plus de 100 000 morts et 120 000 blessés, ce qui, en pertes journalières, représente des pertes aussi élevées qu’à Verdun en 1916. Cela, il faut le savoir. La guerre n’étant jamais que la continuation de la politique par d’autres moyens, nous savons, nous combattants de 1940, que nous avons payé au prix fort par le sang versé, l’impéritie de nos gouvernants dans les années trente, face à la montée en puissance du nazisme, et l’incapacité de nos responsables militaires à tenir compte des progrès techniques accomplis entre les deux guerres, pour les intégrer dans l’organisation de l’armée, comme dans la conception de la manœuvre. Nos adversaires, utilisant en liaison étroite une aviation puissante, ayant acquis rapidement la maîtrise du ciel, et les chars groupés en divisions blindées, dont l’unité tactique d’emploi était le corps blindé regroupant deux divisions, soit cinq cents chars, plus une division motorisée, avaient conçu une armée mobile, dotée de moyens offensifs puissants contre laquelle l’armée française héritière des conceptions de la guerre 1914-1918, se croyant à l’abri derrière la ceinture fortifiée de la ligne Maginot, s’est trouvée en flagrant délit d’infériorité, pour s’être vu imposer une guerre de mouvement à laquelle elle n’était pas préparée. Nos morts de 1940 sont des morts obscurs, dont on ne parle jamais parce qu’il s’agit d’une page d’histoire que les Français veulent oublier, pour tenter d’effacer de leur mémoire la honte d’être tombés aussi bas. Nous leurs camarades, nous savons qu’ils sont morts courageusement en accomplissant leur devoir de combattants pour la défense de la France et de la liberté. Ceux qui ont connu par la suite l’occupation, les camps de prisonniers ou la déportation savent le prix qui s’attache à l’indépendance de la nation et à la liberté individuelle. Le 10 mai 1940, lorsque la guerre totale éclate, la 5ème division coloniale (5ème DIC) à laquelle appartient le 22ème régiment d’infanterie coloniale (22ème RIC) se trouve stationnée face à la frontière suisse. Enlevé en chemin de fer le 15 mai, le régiment va voyager durant treize jours en train, à pied, en camions, de jour ou de nuit, selon un périple incohérent qui traduit les hésitations du hautcommandement. C’est pour les hommes autant de fatigues inutiles. Débarqué finalement le 28 mai au matin pas loin d’ici, le 22ème RIC est mis à la disposition de la 4ème division cuirassée, commandée par le colonel De Gaulle, qui a reçu pour mission de réduire la tête de pont établie par les Allemands sur la rive sud de la Somme, à hauteur d’Abbeville. La veille, au même endroit, la 2ème division légère de cavalerie (2ème DLC), renforcée par deux brigades blindées britanniques, a mené une attaque qui a échoué. Les Anglais ont eu 120 chars hors de combat. Le 28 mai, à 17H00, depuis les villages d’Hallencourt et Hocquincourt, le 22ème RIC part à l’attaque avec les chars de la 4ème DCR. Cette attaque, le premier jour, est un succès. Les villages d’Huppy, Bailleul, Caumont sont repris et le bois de Fréchencourt, premier objectif, est atteint le soir à 21H00. Les Allemands, en se repliant, abandonnent entre nos mains blessés et prisonniers, armes et matériel. Mais, ils vont mettre à profit la nuit pour se renforcer, notamment en moyens antichars. Le 29 mai, dès 05H00 du matin, l’attaque reprend. Le 1er bataillon, commandé par le capitaine Gavouyère, appuyé par cinq chars Somua, s’empare vers 16H00 de Mareuil-Caubert, jusqu’au carrefour de la route menant à Villers-sur-Mareuil. Les 2ème et 3ème bataillons, de leur côté, s’emparent d’Huchenneville et de Villers-sur-Mareuil. Le 30 et le 31 mai, le régiment a ordre de se maintenir sur les positions conquises, ce qu’il fera en résistant à toutes les contre-attaques ennemies. La 4ème DCR, de son côté, avec son infanterie organique, tentera mais en vain de s’emparer, par l’ouest, du Mont-Caubert, qui commande l’entrée d’Abbeville. Le 31 mai, la 4ème DCR est retirée. Elle a perdu 112 chars sur 184. A l’aube du 2 juin, le 22ème RIC est relevé par la 51ème division écossaise et va au repos, en seconde position, à Hallencourt, Hocquicourt, Citerne. Il a perdu, en tués et blessés, le tiers de son effectif : 26 officiers sur 79 et plus de 700 hommes. Le répit sera de courte durée. Le 5 juin, les Allemands ayant liquidé la poche de Dunkerque, attaquent en force sur toute la Somme avec des effectifs trois fois supérieurs aux nôtres. Deux divisions blindées, la 5ème et la 7ème Panzers franchissent la rivière à hauteur de Condé-Folie, dans le secteur tenu par le 53ème régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais (53ème RICMS), commandé par le lieutenant-colonel Polidori, qui se battra farouchement à Hangest-sur-Somme et à Airaines. La 7ème Panzer, commandée par le général Rommel, devra s’y prendre à plusieurs reprises pour venir à bout de la résistance opiniâtre opposée par les Sénégalais, arrivés sur leurs positions seulement la veille à 10H00 du soir, après avoir accompli dans la journée une marche de 32 km, avec tout leur barda. De son côté, le 22ème RIC appelé en renfort par la 2ème DLC, perdra ce jour-là la quasi-totalité de son 3ème bataillon dans de durs combats contre la 5ème Panzer à Sorel, Wanel et au bois Dubois. L’ordre général de repli est donné. Pour le 22ème RIC, les combats en retraite vont durer sept jours : sept jours de cauchemar. Combattant le jour, marchant la nuit au milieu d’une cohue indescriptible de civils qui fuient l’avance ennemie et que nulle autorité ne contrôle, sans ravitaillement organisé, nous nourrissant uniquement par des moyens de fortune, harassés de fatigue, creusant chaque matin des emplacements de combats que nous abandonnerons le soir pour reprendre notre marche de nuit comme des somnambules, voyant chaque jour des camarades tomber à nos côtés, nous retrouvant chaque soir un peu moins nombreux, l’angoisse au cœur, sans autre espoir que de savoir que demain tout recommencera, y compris le loto de la mort … Le 9ème corps d’armée (9ème CA), commandé par le général Ihler, auquel le 22ème RIC est rattaché, n’atteindra pas la Basse-Seine qui est son objectif. Les 5ème et 7ème Panzers, qui ont franchi la Somme à Condé-Folie, y seront avant lui et vont lui couper la route. Encerclé autour de Saint-Valery en Caux, le dos à la mer, une tentative d’embarquement ayant échoué, le général Ihler, la mort dans l’âme, doit se résigner le 12 juin à 08H00 du matin à donner l’ordre de se rendre. Mais, dans les troupes coloniales, aujourd’hui troupes de Marine, il est de tradition de ne pas se rendre sans combat. Le lieutenantcolonel Le Tacon, commandant le 22ème RIC, ordre de reddition en poche, prescrit aux quatre cents survivants du 22ème RIC, qui lui restent sur trois mille au départ, de livrer un dernier baroud d’honneur. Encerclés dans la cour d’une grande ferme, par la 5ème Panzer, les derniers combattants du 22ème RIC vont résister pendant trois heures, jusqu’à épuisement des munitions. Il y eut encore, ce matin-là, une trentaine de morts et de blessés. Je figurais au nombre des blessés. Pour sa conduite au combat en 1940, le 22ème RIC fut cité à l’ordre de l’armée, et désormais, à la suite de l’inscription « La Somme 1916 », la mention « La Somme 1940 » figure en lettres d’or sur la soie de son drapeau, témoignant pour les générations futures que les fils furent dignes de leurs pères. Le 53ème RICMS fit l’objet de la même distinction, très rarement décernée en 1940, puisque sur la trentaine de régiments d’infanterie coloniale engagés, trois seulement firent l’objet d’une citation à l’ordre de l’armée avec inscription au drapeau. Si les avenues de la gloire sont larges et dégagées, propices aux défilés musique en tête, les sentiers du devoir sont le plus souvent étroits, caillouteux et semés de ronces. C’est pourquoi ils sont si peu fréquentés et que bien peu nombreux aujourd’hui sont ceux qui s’y aventurent, au point que leur tracé sur le sol tend à s’effacer. Le sacrifice de nos morts de 1940 n’a pas été inutile. La France vit désormais en paix avec ses voisins et nous avançons tous les jours dans la voie d’une Europe unie et solidaire. Mais la paix et la liberté sont des valeurs fragiles et l’avenir réserve à notre pays bien d’autres défis. C’est pourquoi, au soir de notre vie, nous les survivants de ces combats de 1940, qui savons que la vie ne s’écoule pas comme un long fleuve tranquille, nous ne pouvons que recommander aux jeunes générations ne pas se laisser aveugler par les attraits d’une société permissive et sans idéal, sous peine de connaître des lendemains qui déchantent. Mais, face aux défis que l’avenir leur réserve et qui déjà se présentent, nous les incitons à la vigilance et à retrouver la voie de l’effort qui passe par les sentiers du devoir. Puisse ce bref rappel d’un passé tragique les y inciter en ayant valeur d’exemple. Allocution prononcée par le capitaine (H) Rodolphe-André Benon au cimetière militaire de Mareuil-Caubert le 19 mai 2000. Mise en forme, cartographie, photographies, précisions et commentaires explicatifs du colonel (ER) Philippe Blanchet (23/02/2015)