R egarder vers l`espace - Le Centre Spatial Guyanais
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R egarder vers l`espace - Le Centre Spatial Guyanais
Développer Regarder vers l’espace Des programmes spatiaux majeurs ont jalonné et ponctuent encore l’histoire de la conquête de l’espace. Ils ont été développés au sein d’organismes publics que sont les agences spatiales. À travers leurs programmes, ces entités traduisent la politique spatiale des états qu’ils représentent, au service d’intérêts civils et militaires, dans une démarche de compétitivité mondiale. L’Espace n’appartient à personne et son exploration impose des projets ambitieux que bien souvent, seul un partenariat entre plusieurs nations permet de concrétiser. Aussi de nombreuses coopérations se tissent entre les différentes agences, mais aussi avec de nouveaux acteurs privés. Cependant, de l’ère de la collaboration à celle de la concurrence, il n’y a pas eu qu’un seul pas…. 24 N°108 - Latitude 5 - OCTOBRE 2015 Ces agences très par Nathalie Pierre & Karol Barthelemy Dans la plupart des pays, les programmes militaires ont été les premiers à utiliser les technologies du spatial ; elles ont été au fur et à mesure capitalisées au bénéfice de programmes spatiaux civils, avec notamment la construction de satellites qui permettent d’améliorer le quotidien ainsi que notre connaissance du système solaire. Signes extérieurs de puissance Pour démontrer au monde sa puissance économique et industrielle, rien de tel pour un gouvernement que d’afficher, entre autres, une politique forte de conquête spatiale, qui se concrétise certes par la capacité de lancement, mais aussi par le développement et la réalisation de programmes spatiaux variés, allant de l’exploration du système solaire aux télécommunications en passant par l’observation de la Terre, pour ne citer que ceux-là. Ce sont les missions premières des agences spatiales. C’est dans cet esprit que fut créée en 1958 l’agence spatiale américaine NASA, National Aeronautics & Space Administration, pour concurrencer l’Union Soviétique. Cette dernière avait créé son agence spatiale une année auparavant ; elle transférera ses compétences spatiales en 1992 aux agences spatiales russe (Roskosmos) et ukrainienne (NSAU). La création d’une agence spatiale ne coïncide pas forcément avec le début d’un projet spatial pour un état, qui peut très bien avoir été actif dans ce domaine auparavant. Agence spatiale n’est pas non plus synonyme de capacité de lancement : elle formalise et conforte, voire justifie aux yeux du monde, l’engagement fort d’un état dans le spatial, quelle que soit sa raison première. Pour exemple, les prémices spatiales Agences spatiales dans le monde et accès à l’espace À ce jour, 47 pays possèdent une agence spatiale. Seulement 11 d’entre eux sont également considérés comme "État de lancement", c'est-à-dire qu’ils possèdent au moins un lanceur et une base de lancement leur donnant un accès autonome à l’espace. D’autres pays comme la Suisse, l’Irlande ou le Maroc n’ont pas d’agence à proprement parler mais consacrent une branche de leur administration aux activités spatiales. © OVS / Quartararo N°108 - Latitude 5 - octobre 2015 25 du spatial aux États-Unis remontent à 1915 avec le NACA, National Advisory Committee for Aeronautics, qui avait un rôle d’entité fédérale majeure consacrée à la recherche et au développement aéronautiques, secteur qui était un puissant instrument politique face à l’Union soviétique notamment. Plus tard, le NACA deviendra le cœur bureaucratique de la NASA, avant de fermer ses portes en 1958. À la fin des années 50 où tout semble se jouer entre Soviétiques et Américains, la France est présidée par le général de Gaulle qui ne cache pas sa volonté de développer sa capacité nucléaire " en solo ". La recherche scientifique dédiée au spatial est alors coordonnée par la SEREB (Société pour l’Étude et la Réalisation d’Engins Balistiques) et le CRS (Comité de Recherches Spatiales). Le Centre National d’Études Spatiales, CNES, voit le jour en 1961 avec pour mission première de développer le lanceur Diamant, basé sur la technologie des missiles balistiques. C’est ainsi que le 26 novembre 1965, Diamant A s’élance du pas de tir d’Hammaguir en Algérie et met sur orbite Astérix, premier satellite français dont le rôle consiste surtout à tester les capacités du lanceur. Cet évènement propulse la France au rang de troisième puissance spatiale. L’ISS selon l’ESA « Emblème de la coopération, la Station spatiale internationale nous apprend comment vivre ou travailler ensemble dans l'espace sur de longues périodes. Elle est non seulement la réalisation technique la plus audacieuse ou la plus complexe de l'histoire humaine, mais aussi l'un des exemples les plus réussis de l'histoire de la coopération entre les cabinets de la planète. L'ISS est conçue pour mener des activités scientifiques ou technologiques, mais sa plus grande contribution sera probablement les leçons qu'elle nous apporte en termes de coopération internationale.» Jean-Jacques Dordain, directeur général de l’ESA, dans une interview accordée à Télé Satellite&Numérique le 10 mars 2014. 26 N°108 - Latitude 5 - OCTOBRE 2015 En lançant Diamant depuis Hammaguir le 26/11/1965, le CNES a propulsé la France au rang de 3e puissance spatiale mondiale. Diamant emportait Asterix, le premier satellite artificiel français, destiné à transmettre au sol diverses informations sur le comportement du lanceur. © NASA, 1998 La coopération spatiale se structure en 1958, après le lancement de Spoutnik-1 par l’Union soviétique le 4 octobre 1957, avec la création du Comité des Nations Unies pour l’utilisation pacifique de l’espace extra‑atmosphérique (COPUOS, United Nations Committee on the Peaceful Uses of Outer Space). La résolution 1472 de l’Assemblée générale des Nations Unies l’officialise formellement en 1959. De dix-huit états membres depuis sa création, le COPUOS s’est étoffé jusqu’à soixante-dix sept membres en 2014. Ses missions : examiner la portée de la coopération internationale dans les utilisations pacifiques de l'espace, concevoir des programmes à entreprendre dans ce cadre sous l’égide des Nations Unies afin d'encourager la poursuite des recherches et la diffusion d'informations sur les questions spatiales, et étudier les problèmes juridiques soulevés par l'exploration de l'espace. Les acteurs principaux du début de l’ère du spatial restent l’Union Soviétique et les États-Unis. De la concurrence féroce, leur relation s’oriente vers la coopération, essentiellement en raison du changement politique en Russie. Cela permettra en 1992 aux présidents Bush et Poutine de ratifier un accord permettant aux astronautes américains d’effectuer des séjours de longue durée à bord de la station russe Mir, première station spatiale modulaire mise sur orbite le 19 février 1986 par l’URSS et détruite volontairement le 23 mars 2001. Le projet de Station spatiale internationale ISS, initié par les États-Unis en 1983 et mené avec la Russie, verra l’arrivée de l’Europe et du Japon pour une coopération internationale plus forte (voir encadré ci‑dessous). © SIRPA-ECPA, 1965 Des prémices de la coopération La station spatiale internationale ISS – « La réalisation technique la plus audacieuse de l’histoire humaine » selon Jean-Jacques Dordain. © NASA La coopération comme outil de compétitivité technologique Alors que les relations entre Russie et États-Unis se réchauffent - le vol Apollo-Soyuz en est l’illustration en 1975 – la même année voit la naissance de l’Agence spatiale européenne (ESA). Faisant suite à l’ESRO (European Space Research Organization) et à l’ELDO (European Launcher Development Organization), tous deux créés en 1958, son rôle était alors d’harmoniser les programmes spatiaux. Avec un rôle majeur en recherche et développement, l’ESA est aujourd’hui une " super agence " qui permet de dédier un budget conséquent aux programmes spatiaux – 4 775 millions de dollars en 2013 – presqu’à égalité avec l’agence fédérale de Russie Roskosmos (6 414 millions de dollars en 2013), mais loin derrière les États-Unis, la Nasa disposant d’un budget de 19 770 millions de dollars en 2013*. L’ESA, pour accroître son panel de programmes spatiaux, va jouer pleinement la carte de la coopération, que ce soit avec les acteurs privés ou les agences d’État. Elle signait notamment un accord en janvier 2014 avec la société californienne Sierra Nevada. Objectif : identifier les possibilités de collaboration autour du projet de système de transport orbital Dream Chaser, candidat au développement des systèmes de transport privés pour assurer la rotation des équipages à bord de la Station spatiale internationale à partir de 2017. La NASA (États-Unis), Roskosmos (Russie), la JAXA (Japon) et la CNSA (Chine) sont autant d’agences spatiales avec lesquelles l’ESA coopère, entre autres. L’ESA englobe 22 pays d’Europe, ce qui lui permet aussi d’être l’une des rares agences spatiales au monde à travailler dans presque tous les domaines du spatial : science spatiale, vols spatiaux habités, exploration, observation de la Terre, lanceurs, navigation, télécommunications, technologies et opérations. Parmi les états membres se trouve bien sûr la France, qui possède sa propre agence spatiale, le CNES, dotée d’un budget annuel de 2 015 millions d’euros* dont près de 40 % sont dédiés à la contribution à l’ESA ; le reste du budget étant ventilé sur les lanceurs, la défense, la science et l’observation de la Terre. Comme les autres États membres de l’ESA, la France participe, au prorata de son PNB, aux activités liées à la science spatiale et à un ensemble commun de programmes obligatoires ; elle participe aussi à des programmes facultatifs. C’est par le CNES que la France participe à l’ESA en tant que membre contributeur le plus important après l’Allemagne, dont l’agence spatiale est le DLR (Deutschen Zentrums für Luft und Raumfahrt) : la France et l’Allemagne ont respectivement participé à hauteur de 754,6 M€* et 765,7 M€*, soit 22,6 % et 22,9 % du budget 2014 de l’ESA. Le troisième contributeur de l’ESA est l’Italie avec son agence ASI (Agenzia Spaziale Italiana). Mission Apollo-Soyouz en 1975, première mission de coopération spatiale entre l’Union soviétique et les États‑Unis. L’équipage : Slayton, Stafford et Brand (États-Unis en orange) ; Léonov et Kubasov (Union soviétique en vert). * Sources chiffrées : www.esa.int, www.nasa.gov, www.fr.wikipedia.org, www.euroconsult-ec.com et rapport annuel du CNES, 2011. N°108 - Latitude 5 - octobre 2015 27 Le mot de l'ESA Brèves ILS aligne Angara face à Vega Un petit tour et par Blandine Louvel © Ministère de la Défense Russe Il s’agit peut-être de la meilleure preuve du succès de Vega : International Launch Services (ILS) a spécifiquement désigné le petit lanceur européen comme l’adversaire de l’Angara 1.2 dont il vient d’annoncer l’arrivée prochaine [2017] sur le marché commercial. [Air&Cosmos – le 17/07/2015] Vol inaugural de l’Angara 1.2 le 9 juillet 2014 [Missionné par la DARPA, l’agence américaine de recherche pour la défense], Le fabriquant de satellites SpaceSystems/Loral (SSL) va étudier l’assemblage robotique, une fois sur orbite, des satellites de télécommunications géostationnaires qui seraient trop volumineux pour être lancés assemblés, en permettant qu’ils soient stockés par pièces détachées à l’intérieur du lanceur. [telesatellite.com – le 4/9/2015] Surveillance spatiale chinoise La Chine a lancé un centre de surveillance des débris spatiaux afin de protéger ses vaisseaux en orbite [au nombre de 129, dont la station spatiale Tiangong-1]. Ce nouveau centre traquera et surveillera les objets proches de la Terre et les débris spatiaux. Il développera des plans d’intervention d’urgence, prendra des mesures en cas d’urgence et partagera ses données avec ses homologues internationaux. [chine-informations.com – le 9/6/2015] Une "Terre 2.0" ou presque La Nasa annonce la découverte [grâce à son télescope spatial Kepler] d’une exoplanète au profil très proche de notre Terre, en orbite autour d’une étoile qui ressemble beaucoup à notre Soleil. […] Située à 1400 années-lumière dans la constellation Cygnus, l’étoile Kepler 452 a six milliards d’années, soit 1,5 de plus que notre Soleil, elle est 20% plus brillante et son diamètre 10% pour grand. Mais sa température est similaire. [Probablement rocheuse, l’exoplanète Kepler452b est pour sa part 60% plus grande que la Terre.] [L’Express.fr – le 24/07/2015] 28 N°108 - Latitude 5 - OCTOBRE 2015 © ESA Satellites : assemblage orbital en vue L’IXV exposé devant le pavillon de l’ESA durant le 51e Salon du Bourget à Paris. C’est une vision inédite qui a accueilli les visiteurs devant le pavillon de l’Agence spatiale européenne durant le 51 e Salon du Bourget à Paris. Un objet spatial en chair et en os, ou tout du moins en céramique et carbone, tout droit revenu de l’Espace ! L’IXV après avoir voyagé en orbite a posé " ses bagages " à Paris et présenté ses premiers résultats. L e 11 février dernier à 10h40 heure locale, s’élançait depuis le CSG le 4e lanceur Vega emportant avec lui le Vaisseau spatial intermédiaire de l’ESA, IXV. La mission IXV avait un objectif central : développer un système et un savoir-faire technologique européens pour effectuer des missions de retour atmosphérique à faibles risques et coûts limités. Les résultats de ce projet devraient permettre la réalisation de futures missions ambitieuses de transport spatial. De nombreuses applications sont envisagées : étages de lanceurs réutilisables, missions de retour planétaire ou encore retours depuis des stations en orbite. Le but n’était pas seulement d’acquérir un savoir déjà maîtrisé par d’autres nations mais aussi d’aller de l’avant et d’être innovant dans ce domaine. L’IXV est ainsi le premier "corps portant" - comprenez planeur sans ailes - au monde à effectuer une rentrée atmosphérique à vitesse orbitale. Cela représente une amélioration des performances par rapport aux capsules tout en conservant leur simplicité et fiabilité. Il est aussi le premier à être équipé de matériaux composites céramiques, améliorant leur réutilisation par rapport à d’autres concepts et matériaux. À l’occasion du 51e Salon du Bourget, les premiers résultats de la mission ont été présentés. « Il est très difficile de quitter la Terre pour aller dans l’Espace et nous avons bâti une solide expérience en Europe et à l’ESA (…) preuve en est notre famille de lanceurs très performante, a déclaré Gaele Winters, Directeur des lanceurs à l’ESA. Mais revenir sur Terre depuis l’Espace est peut-être encore plus complexe et c’est un domaine où l’Europe n’a pas beaucoup d’expérience. Nous avons désormais l’IXV et il représente une étape considérable dans la construction de cette expérience. » Toute la mission IXV s’est parfaitement déroulée, conformément aux prévisions établies. Les données du vol ont tout de même permis de relever quelques points intéressants : les températures extérieures étaient inférieures à celles prises en © ESA-J. Huart puis revient ! Et après IXV ? L’IXV n’a pas encore révélé tous ses secrets ! Il reste encore bien des informations à analyser mais déjà l’ESA envisage la suite sous la forme du programme PRIDE, pour Programme for Reusable In-orbit Demonstrator for Europe. L’objectif principal de PRIDE sera de définir et de développer un système européen de transport spatial réutilisable et rentable en se basant sur l’expérience acquise grâce au programme IXV. La première phase du projet PRIDE a déjà reçu le soutien de nombreux États Membres de l’ESA comme la France, l’Italie et l’Espagne. La forme même du vaisseau PRIDE est encore à l’étude mais devrait très largement s’inspirer de celle de l’IXV. Un autre beau et grand projet à suivre donc et qui devrait aider à propulser toujours plus en avant l’Europe et l’ESA vers la maîtrise de la rentrée atmosphérique, en ouvrant la voie à des missions d’exploration toujours plus ambitieuses. Après son décollage sur un lanceur VEGA, la mission IXV s'est déroulée en 4 grandes phases avant d'amerrir au milieu de l'Océan Pacifique et d'être récupérée par les équipes de la mission présentes sur le navire "Nos Aries". © ESA-CB PROD, 2015 La phase de descente s’est aussi parfaitement déroulée, notamment le déploiement des parachutes. Seule la vitesse enregistrée à l’atterrissage au milieu de l’Océan pacifique était légèrement plus élevée qu’attendue. Des analyses sont en cours pour comprendre l’origine de cette différence. La maîtrise de la mission IXV a été totale depuis son décollage à son atterrissage, preuve d’un savoir-faire européen déjà bien existant et unique en matière de retour sur Terre. IXV remonté des eaux Un nouveau Directeur Général pour un "espace 4.0" Johann-Dietrich Wörner est, depuis le 1er juillet dernier, le nouveau Directeur Général de l’Agence spatial européenne (ESA) pour une durée de quatre ans. Il succède à Jean-Jacques Dordain, à la tête de l’ESA depuis 2003 et dont la carrière a été jalonnée de nombreuses réussites exceptionnelles. Originaire de Kassel en Allemagne, Johann‑Dietrich Wörner était depuis 2007 le Président du Directoire du Centre aérospatial allemand (DLR). En tant que Directeur Général de l’ESA, M. Wörner entend poursuivre les programmes en cours tout en préparant le futur de l’Agence, en coopération avec les États Membres. Cet avenir, qu’il appelle "l’espace 4.0", est une nouvelle ère dans laquelle il considère que Johann-Dietrich Wörner, Directeur Général l’ESA est déjà entrée, où l’espace fait partie intégrante er de l’ESA depuis le 1 juillet 2015. de la vie quotidienne, avec de nouveaux enjeux liés aux interactions avec la société, à la commercialisation de l’espace, à l’évolution du rôle de l’industrie et à l’intensification de la coopération avec la Commission européenne. © ESA. P. Sebirot, 2015 compte lors de la conception du vaisseau tandis que la consommation de carburant a été plus élevée qu’attendue. Ce déficit a été compensé par des performances aérodynamiques meilleures que prévues. Un seul des 300 capteurs embarqués n’a pas fonctionné sans aucune incidence pour le reste des opérations. N°108 - Latitude 5 - octobre 2015 29