Les Étoliens dans l`Antiquité Essai d`histoire des représentations

Transcription

Les Étoliens dans l`Antiquité Essai d`histoire des représentations
Position de thèse
Les Étoliens dans l'Antiquité
Essai d'histoire des représentations
A. Perrier
Les Étoliens dans l'Antiquité
Essai d'histoire des représentations
Des « gens broüillons & méchans », voilà la réputation des Étoliens résumée par J. Spon 1 au
XVIIe s. et qui a encore aujourd'hui la force d'une image commune. Depuis quelques années, les
études sur les Étoliens ou sur des sujets les concernant au premier chef, tel le fédéralisme, se
sont multipliées (P. Funke, J. B. Scholten, J. D. Grainger) et se sont heurtées au même problème.
En raison de la nature et de l'origine de la documentation ancienne conservée et en raison des
topoi formés dans l'Antiquité ou l'époque moderne, une étude sur les Étoliens doit emprunter le
chemin de l'histoire des représentations. Les sources imposent en effet deux contraintes, dues à
leur disproportion en faveur du III e s. et à l'absence de sources littéraires d'origine étolienne :
une analyse des représentations est donc indispensable à toute étude sur les Étoliens dans
l'Antiquité. Or, depuis l'ouvrage publié par Cl. Antonetti en 1990, sur les aspects religieux et
mythologiques de l'image des Étoliens2, qui reste la seule étude disponible sur ces
représentations, aucune analyse politique de cette image n'a été proposée.
Ce travail se veut une étude de la formation et de l'évolution des représentations de l'Étolie et
des Étoliens dans les sources, depuis la fondation des grands sanctuaires jusqu'à la
réorganisation de la Grèce du Nord-Ouest par Auguste. Il permet de dater l'apparition de
certaines images et d'en comprendre les différents contextes : le contexte historique de
l'événement narré et le contexte historique et littéraire de production du récit. La
contextualisation des représentations permet de distinguer ce qui relève de la propagande
politique et ce qui relève de représentations communes. Enfin, l'analyse précise des sources
laisse entrevoir le point de vue étolien, ou du moins permet de saisir des bribes du discours
étolien.
La première partie est consacrée à l'image géographique de l'Étolie et des Étoliens et permet
1 Spon, J., Voyage d’Italie, de Dalmatie, de Grèce et du Levant : fait aux années 1675 et 1676, Genève (2004).
(Première édition à Lyon [1678]), I, p. 142.
2 Antonetti, Cl., Les Étoliens, image et religion, Paris (1990).
1
Position de thèse
Les Étoliens dans l'Antiquité
Essai d'histoire des représentations
A. Perrier
de distinguer ce qui, dans les représentations des Étoliens, relève de topoi ou de grilles d'analyse
modernes. Il nous est ainsi apparu utile de revenir sur les perceptions et les représentations de
l'Étolie à l'époque moderne, en particulier chez les voyageurs après la guerre d'Indépendance
grecque. C'est en effet à ce moment que naissent les études sur la Grèce antique nordoccidentale. Or, l'image actuelle des Étoliens de l'Antiquité doit beaucoup au contexte (politique,
géographique, intellectuel) d'émergence des études modernes sur le sujet. Le premier chapitre
est donc consacré aux représentations modernes de la géographie étolienne, puisque
l'historiographie moderne de l'Étolie est née sur le terreau de ces représentations et en a subi les
influences. Les représentations antiques de la géographie sont étudiées dans le chapitre suivant.
Enfin, nous avons, dans le dernier chapitre, posé les jalons nécessaires à la compréhension de la
géographie politique et de l'organisation politique de l'Étolie. Nous avons voulu distinguer
clairement les mécanismes de pensée et les concepts modernes afin de ne pas brouiller notre
compréhension des représentations antiques. La perception géographique et politique de l'Étolie
et des Étoliens fut influencée par les modifications territoriales (en premier lieu, le recul de
l'Étolie vers l'intérieur des terres après la perte de la région côtière qui formait à l'époque
archaïque le cœur de l'Étolie ; en deuxième lieu, l'expansion territoriale du Koinon dès la fin du
IVe s. et tout au long du III e s.). Les frontières au nord de l'Étolie, qui la séparaient de peuples
non grecs, étaient mal connues des auteurs de l'Antiquité, comme de la majorité des Grecs. Cela
permit, à l'occasion, de jeter le doute sur l'hellénisme d'une partie des Étoliens. Mais lorsque ce
doute apparaît, il s'agit de propagande et de manœuvres politiques de la part de leurs
adversaires. Il est certain enfin que la forme politique du Koinon étolien influença la façon dont
les Grecs perçurent les Étoliens. Ceux-ci inventèrent en effet un système tout à fait original qui
permit l'intégration de peuples n'appartenant pas à l'ethnos d'origine, et qui fut ensuite imité par
d'autres, comme les Achéens. Ces analyses liminaires permettent surtout de remettre en cause un
certain nombre de poncifs modernes et de définir les cadres de pensée antiques afin d'aborder les
représentations des Étoliens à travers l'histoire.
Les trois parties suivantes suivent la chronologie des événements, tout en respectant la
chronologie des sources. La deuxième partie couvre ainsi la période archaïque et la période
classique jusqu'à la veille de la guerre lamiaque. Intitulée « de l'épopée à l'histoire », elle analyse
l'entrée progressive des Étoliens dans le récit historique et leur apparition sur la scène politique.
2
Position de thèse
Les Étoliens dans l'Antiquité
Essai d'histoire des représentations
A. Perrier
Les Étoliens fournissent à l'épopée homérique un certain nombre de héros parmi les plus
célèbres, en particulier Diomède. Il apparaît que les mythes étoliens ont fourni des modèles à
l'Iliade, comme la colère d'Achille, directement inspirée de la colère de Méléagre. La renommée
des Étoliens n'était alors pas moindre que celle des gens d'Argos ou de Mycènes. Or, si cette
représentation des Étoliens n'est pas fondamentalement en contradiction avec celles des
tragédies d'époque classique – en dépit de certaines ambiguïtés comme dans les Phéniciennes
d'Euripide –, elle semble avoir complètement disparu à la fin du V e s. L'étude détaillée de la
représentation des Étoliens chez Thucydide montre que le rôle que l'historien leur assigne dans
l'« Archéologie », au début du livre I, n'a de sens que dans le système historiographique créé par
Thucydide pour expliquer les événements qui se produisent à son époque. Mais ce rôle n'est pas
tout à fait cohérent avec l'image des Étoliens au livre III, lors de l'expédition du stratège
athénien Démosthène en Étolie en 426. Or, comme l'a souligné Cl. Antonetti 3, c'est l'association
aveugle de certaines sources, dont La Guerre du Péloponnèse, qui a conduit les savants à une
mauvaise interprétation du rôle historique et de l'image des Étoliens. Une lecture attentive de
Thucydide révèle en effet une différence entre les représentations antiques des Étoliens à la fin
du Ve s. et la façon dont l'historien s'en sert afin de servir son analyse.
La troisième partie montre comment, à l'époque hellénistique, les Étoliens devinrent des
porte-drapeau de l'hellénisme, ou prétendirent l'être, et comment cette affirmation fut mise en
cause par Polybe. La guerre lamiaque et l'invasion galate constituent les deux étapes d'une
rupture qui marque la consécration de l'Étolie comme grande puissance de la période
hellénistique. C'est à partir de ce moment-là que l'on commence à saisir des éléments de la
propagande mise en œuvre par les Étoliens et à entrevoir la façon dont ils se représentaient euxmêmes et dont ils voulaient être perçus. Leur utilisation du sanctuaire de Delphes, comme
second centre politique de la Confédération et comme lieu de propagande – de construction de
leur image aux yeux des autres Grecs – est significatif. Cette étude, confrontée à une analyse de
la politique menée par le Koinon au IIIe s. permet de critiquer et de nuancer les positions des
historiens antiques, au premier rang desquels se trouve Polybe. Celui-ci construisit son discours
anti-étolien de façon à inventer une « idée étolienne » qui fut, en grande partie, à l'origine de
l'image des Étoliens chez les Modernes. Nous en analysons les mécanismes, à la lumière du
3 Antonetti, Cl., op. cit., p. 142.
3
Position de thèse
Les Étoliens dans l'Antiquité
Essai d'histoire des représentations
A. Perrier
système philosophique et historiographique de Polybe, afin de comprendre précisément la
position de l'historien achéen vis-à-vis des Étoliens et de savoir dans quelle mesure ces
invectives furent partagées par les autres Grecs.
La quatrième partie analyse les conséquences du rôle politique des Étoliens sur leurs
représentations pendant la période romaine, et propose une synthèse sur l'image des Étoliens
dans l'opinion romaine qui permet notamment d'évaluer la fortune du discours polybien dans
l'Antiquité. Toute la propagande mise en œuvre par les Étoliens depuis un siècle se heurte alors à
la politique et aux discours des Romains, en premier lieu Flamininus. On se rend compte que le
discours de Polybe reflète sans doute en partie certaines opinions exprimées dans le cercle de
Scipion Émilien. Mais il apparaît également qu'en dehors de Tite-Live, qui reprend quelque peu
servilement les propos de Polybe, sans comprendre (ou, du moins, sans reproduire), le rôle de
l'« idée étolienne » dans le système de l'historien achéen, les auteurs latins ne s'intéressent guère
à l'Étolie, de même que l'opinion romaine en général, et conservent surtout l'image favorable des
Étoliens dans l'épopée.
Cette étude se veut enfin une contribution à la définition des méthodes, des objets et des
limites de l'histoire des représentations pour l'Antiquité. Le sujet de notre étude hérite de deux
nouvelles préoccupations des historiens, nées dans les années 1970 : les mentalités et les
marges. Nous avons préféré au concept de mentalité celui de représentation, afin de distinguer
clairement deux méthodes induites par les sources mêmes. L'histoire des mentalités, pour les
période moderne et contemporaine, s'est constituée sur une masse de documents permettant des
analyses sérielles et quantitatives que ne permettent pas les sources antiques. La méthode qui a
consisté, à propos des Étoliens, à associer aveuglément des passages extraits de quelques
sources et à les interpréter à la lumière du seul Polybe, reposait sur le postulat, non exprimé et
non critiqué, de l'existence d'une mentalité collective attribuée aux Grecs, écrasant les échelles
chronologiques, spatiales, sociologiques et politiques, pour créer l'absurde catégorie de
l'« Étolien ». Ce postulat est né aussi de l'émiettement d'une documentation exceptionnelle. Or,
une histoire des représentations antiques est possible, si l'on s'abstrait des méthodes de l'histoire
des représentations modernes et que l'on accepte de mettre les analyses philologiques et
littéraires au service de la construction d'un savoir historique.
4

Documents pareils