Résistance ou persistance?

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Résistance ou persistance?
Résistance ou persistance?
Lise Roquet-St-Arnaud
Ste-Catherine de Hatley
[email protected]
RÉSUMÉ
À la suite du survol de la littérature psychologique, la diversité des significations de la
notion de résistance et des façons de la gérer est mise en évidence, tout particulièrement
quand on se demande quelle en est la source. Les quatre parties de l’article regroupent les
définitions proposées en fonction de cette caractéristique. Lorsque le client est la source de
la résistance, la définition de celle-ci varie selon les auteurs, soit comme
une désobéissance thérapeutique ou un mécanisme autoprotecteur de l’intégrité
personnelle. Les auteurs qui considèrent que le thérapeute est la source de la résistance
affirment que c’est à lui de saisir la façon de percevoir du client et de s’y ajuster. Lorsque
la source de la résistance est dans la relation, on définit des facteurs qui interfèrent dans le
processus thérapeutique. Enfin, des auteurs affirment que la résistance n’existe pas, que
cette notion est inutile. On suggère alors de remplacer le mot résistance par celui de
persistance.
Introduction
La résistance est un concept qui apparaît dans la majorité des écoles de pensée en
psychothérapie, mais la façon d’utiliser ce concept est très variable, surtout
lorsqu’on cherche à en situer la source. Pour les uns, elle vient du client; pour
d’autres, du thérapeute; pour d’autres encore, elle se situe dans la relation. Une
seule approche en psychothérapie a célébré la mort de la résistance (Shazer, 1984)
pour éliminer ce construit de ses visions théoriques. En effet, certains auteurs en
sont venus à croire que la notion de résistance n’est pas nécessaire à leur pratique.
Dans ce qui suit, nous ferons un survol de la littérature psychologique sur la
notion de résistance, afin de présenter les définitions différentes selon les auteurs
et les écoles de pensée qui attribuent la source de la résistance au client, ceux qui
l’attribuent au thérapeute, ceux qui l’attribuent à la relation et ceux qui
considèrent que la résistance n’existe pas ou qu’elle est inutile. Nous aborderons
ces différentes conceptions de la résistance, tout en traitant des méthodes qui leur
sont associées pour la gérer.
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persistance
Résistance
ou
Le client est la source de la résistance
Dès le 19e siècle, même si Charcot et Janet (voir Ellis, 1995) signalaient
l’existence de la résistance dans leur pratique, Freud est celui qui, au début du 20e
siècle (1912 à 1965), en a fait une notion centrale dans sa théorie et son approche
psychanalytique. Selon cette approche, la résistance ne se produit pas de façon
périodique; c’est le tracé continu d’un conflit du client par rapport au changement;
conflit entre son désir sincère de changement et les peurs qu’il suscite (Wachtel,
1982). Dans les premières années de l’exercice de la psychanalyse, la résistance
du patient était perçue comme une fonction mentale qui faisait obstacle au rappel
du matériel sexuel inconscient. On présumait alors que la résistance était une
expression d’opposition à l’analyste et au traitement. À cette époque, la résistance
était un obstacle à éliminer ou à surmonter (Dewald, 1982). Plus tard, on constata
que les manifestations de résistance se produisaient souvent à l’insu du patient.
Freud (1926 à 1959, cité par Dewald, 1982) décrivait cinq sortes de résistances :
trois résistances de l’ego, soit le refoulement, le transfert et le gain secondaire; la
résistance du id qui prend la forme d’une répétition-compulsion; la résistance du
superego qui se traduit dans un sentiment de culpabilité.
Selon Dewald (1982), différentes méthodes sont utilisées pour gérer la résistance
dont la source est le client : 1) reconnaître ses manifestations et ses significations
et être vigilant par rapport à son contre-transfert; 2) intégrer la résistance dans le
contexte thérapeutique du moment et évaluer la pertinence de la signaler ou non
au patient; 3) approcher le travail sur la résistance de façon progressive, par
étapes; 4) l’interpréter; 5) adopter une attitude thérapeutique neutre et intéressée;
6) utiliser la répétition; 7) éviter de renforcer la résistance; 8) être à l’affût et
vérifier au fur et à mesure la pertinence de continuer le travail. Dans ce sens, le
signe du succès thérapeutique est la capacité du patient de reconnaître et de
surmonter ses propres résistances.
Dans ses premiers écrits, Freud considérait que la résistance n’était pas un
problème interpersonnel entre le thérapeute et le patient, mais qu’elle était un
problème intrapsychique qui émergeait telle une lutte sur la ligne de front du
traitement. Le transfert thérapeutique motivait le patient qui refusait
d’expérimenter la souffrance liée à l’exploration de son problème. Il l’amenait à
projeter ses peurs, ses désirs, ses relations passées sur son thérapeute dans l’espoir
de se restructurer d’une façon harmonieuse. Envisagés de ce point de vue, « le
transfert et la résistance sont les deux côtés d’une même médaille
développementale » (Basch, 1982, p. 5).
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À ce sujet, Kemper (1994) cite quelques définitions qui se recoupent. La
résistance est l’opposition du client à faire émerger l’inconscient (Lego, 1984); la
résistance est le moyen par lequel l’ego se protège de l’invasion d’éléments
indésirables de l’inconscient (Freud, 1920). La résistance empêche l’expression
de matériel qui pourrait menacer l’équilibre émotionnel (Menninger, 1958).
Sullivan (1953) soulignait également la fonction stabilisante de la résistance dans
le maintien du bien-être du patient; elle permet, en effet, d’éviter l’angoisse, la
culpabilité, la honte et d’autres sentiments pénibles. En général, pour les
intervenants, la résistance correspond à « tout comportement du patient qui
s’oppose à ce que le thérapeute veut faire et à ce qu’il souhaite (Schlesinger,1982,
p. 26). Elle indique que quelque chose vient d’arriver au client qui crée une
menace. Que fait-on alors de cette résistance ? Tout comme pour la douleur qui
apparaît lors d’un examen physique, on s’intéresse aux raisons pour lesquelles le
patient résiste. C’est ce qu’on appelle « aller dans le sens de la résistance »
(Schlesinger, p. 27). Kemper, pour sa part, retient quatre principes généraux pour
gérer les résistances, principes que l’on retrouve également chez Altshul (1993) et
Harris (1996) : 1) établir la confiance; 2) rendre le client conscient de la
résistance; 3) l’aider à explorer le sens de la résistance; 4) mettre l’accent sur
la vérité à laquelle le client résiste.
Certains auteurs gestaltistes (Cole, 1994; Breshgold, 1989) parlent du phénomène
en termes de résistance à la prise de contact d’éléments du self et de résistance au
contact avec les autres. Leur approche consiste à amplifier la résistance à la prise
de conscience (awareness) en vue d’aider le client à devenir de plus en plus
conscient de ses polarités. À ce sujet, Cole (1994) explique que « le thérapeute
accepte la validité subjective de la résistance du client et aide celui-ci à se
concentrer sur elle pour permettre qu’elle sorte de l’ombre » (p. 76).
Un auteur gestaltiste se dissocie cependant de cette vision de la résistance. En
effet, pour Wheeler (1991), il n’y a pas de résistance au contact; il peut y avoir
une résistance à la prise de conscience (awareness), mais celle-ci est alors vue
comme une forme de contact. De ce point de vue, cela n’a aucun sens de parler de
contact sans référer à la résistance et à la confluence qui sont les deux pôles du
contact. En d’autres termes, il n’y a pas de contact pur et platonique qui serait
terni par des résistances. Le contact thérapeutique implique l’exercice de tous les
mécanismes en jeu (confluence, projection, introjection, déflection, etc.) à la
frontière entre la personne et son environnement à travers ses fonctions de
contact.
Le concept de résistance n’existait à peu près pas dans la littérature sur la thérapie
behaviorale à ses débuts. « C’est à la suite d’exemples de non-soumission (nonInteractions
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ou
compliance) thérapeutique que le sujet de la résistance est devenu important dans
la thérapie behaviorale » (Goldfried, 1982, p. 95). En ce sens, elle était associée à
la désobéissance thérapeutique qui était perçue lorsque le patient ne faisait pas le
devoir qui lui avait été prescrit. Pour prévenir la résistance et y remédier, quelques
stratégies ont été proposées par Goldfried (1982) ainsi que par Meichenbaum et
Gilmore (1982). En voici quelques exemples : 1) la phase éducationnelle initiale
de ce type de thérapie est vue comme un moment clé dans la prévention de
résistances inutiles du client. En effet, un but central du traitement est d’amener le
client à traduire ses symptômes en difficultés qui peuvent être cernées et vues
comme des problèmes spécifiques plutôt que comme des problèmes vagues et
insurmontables; 2) en graduant le processus de changement en étapes et en
structurant les interventions thérapeutiques de manière à en maximiser le succès à
chaque étape, le thérapeute réduit encore plus la possibilité de résistance du client.
Pour Newman (1994), les thérapeutes peuvent aider à modifier les comportements
résistants en se posant, à chaque cas, huit questions d’évaluation face à la
résistance, par exemple : Quelle est la fonction de la résistances du client ? Quel
rapport y a-t-il entre la résistance actuelle et son pattern de résistance dans son
développement et son histoire ? Quelles sont les croyances qui nourrissent la
résistance de ce client ?
Pour leur part, les praticiens de l’approche émotivo-rationnelle tentent d’aider les
clients à faire un changement majeur pour adopter une philosophie personnelle de
vie qui les pousse à développer la confiance et à coopérer à leur changement
personnel. Ellis (1995), qui en est le fondateur, identifie un certain nombre de
caractéristiques propres aux résistances. Les croyances irrationnelles qui soustendent les résistances des clients sont : 1) en partie implicites et inconscientes;
2) très ancrées; 3) maintenues avec des sentiments intenses et des habitudes
ancrées; 4) partagées par presque tous les clients; 5) difficiles à modifier;
6) susceptibles de réapparaître après avoir été temporairement écartées. Ellis
propose 13 principales formes de résistance du point de vue de la thérapie
émotivo-rationnelle dont la résistance reliée à la peur et à la honte de se révéler, la
résistance émergeant des problèmes relationnels du thérapeute comme
l’antipathie, le manque de sensibilité et d’empathie et enfin, la résistance motivée
par la peur du changement ou la peur du succès. Il précise d’où elles surgissent et
suggère une vingtaine de méthodes pour les surmonter. Celles-ci incluent des
méthodes cognitives pour enrayer, confronter, critiquer et changer les croyances
irrationnelles qui sous-tendent les résistances autosabotantes des clients. Faire
émerger les cognitions associées à la résistance et soumettre les croyances
irrationnelles à la critique scientifique pour déboucher sur une philosophie de vie
effective, réaliste et équilibrée, en sont des exemples spécifiques.
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Les thérapies existentielles-humanistes et les approches intégratives s’intéressent
surtout aux fonctions autoprotectrices de la résistance qui s’expliquent
ainsi : l’être humain ne pouvant demeurer ouvert à toutes les sollicitations
intérieures ou extérieures, il lui faut filtrer l’information, de manière à se protéger
pour s’assurer un minimum de stabilité. De telle sorte que la résistance désigne
tous les moyens que l’aidé prend pour éviter de ressentir et d’exprimer les
souvenirs ou les idées qui le menacent et, en conséquence, pour éviter ou ralentir
les prises de conscience douloureuses sur son vécu (Hétu, 1990). À ce sujet,
Jourard, May et ses collègues voient la résistance comme un mécanisme de
défense contre la croissance personnelle ou une hésitation à être et à devenir,
allant jusqu’à une auto-aliénation (Hétu). Celui-ci conclut qu’ « on peut donc
concevoir la résistance à la fois comme la préoccupation de ne pas avancer trop
vite et de sauvegarder sa cohésion interne d’une part, et comme une invitation à
réassumer la décision d’avancer dans sa croissance, d’autre part. Dans ces
perspectives, la résistance demande à la fois à être respectée et à être surmontée »
(p. 160). Que la résistance soit causée par une atteinte à l’image de soi et à
l’estime de soi ou par l’opposition à une erreur de l’aidant, Hétu propose quelques
pistes pour y faire face dont voici quelques illustrations : 1) offrir des supports
légers tels des reflets simples (« Ce n’est pas facile d’aborder ce sujet, n’est-ce
pas ? » ou « Tu n’as pas trop le goût de parler de ça ? »); 2) accepter ou provoquer
des diversions temporaires; par exemple, l’aidant peut accepter que l’aidé change
de sujet ou il peut orienter l’exploration vers un sujet moins menaçant.
Bugental et Sterling (1995) vont aussi dans le sens de l’autoprotection : le client
maintient la façon de se percevoir et de concevoir le monde, il maintient la
structure même de vie essentielle à son existence. Tenter de changer ses façons
d’être et sa conception du monde implique pour lui de remettre en question son
centre d’équilibre. Mahoney (1985) abonde dans le même sens lorsqu’il tente de
gérer la résistance de manière à « réduire le besoin de retranchement, à
reconnaître divers schèmes de développement ou divers styles de fonctionnement
et à canaliser cette même énergie protectrice au service d’un changement
progressif des paradigmes personnels » (p. 35).
Il est légitime de penser que tous les systèmes vivants manifestent de la résistance
au changement parce que le maintien de l’intégrité organismique est un impératif
fondamental (Mahoney,1991). En fait, la signification existentielle d’une
résistance peut être présentée comme un asile, un refuge permettant de faire
évoluer une relation ambivalente vers des possibilités plus authentiques d’être
dans le monde (Craig, 1995). Également convaincus de l’importance de la
résistance dans le maintien de la stabilité, Lipshitz, Friedman et Omer (1989)
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persistance
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ou
préfèrent s’infiltrer derrière les lignes, plutôt que de confronter la résistance. Ils
tentent ainsi de la prévenir, de la mettre en échec et de l’utiliser.
Somme toute, on connaît encore très peu la résistance du point de vue du client. À
cet effet, Caputo et Truscott (2000) ont le projet d’explorer comment des clients,
engagés dans une thérapie, ressentent la résistance en entrevue.
Ainsi, dans les cas où le client est perçu comme la source de la résistance, il
semble que celle-ci prenne la forme d’une opposition du client à la souffrance, à
la menace et au déséquilibre impliqués dans tout changement. Nous nous tournons
maintenant vers les théories qui considèrent le thérapeute comme source de la
résistance.
Le thérapeute est la source de la résistance
Se démarquant de leurs collègues de la thérapie cognitive-behaviorale, Lazarus et
Fay (1982) définissent la résistance comme une rationalisation des thérapeutes
pour justifier leurs échecs de traitement. À ce sujet, ils écrivent ceci : « La
résistance est fonction des limites de nos connaissances, de nos méthodes et des
contraintes de nos personnalités » (p. 115). En fait, selon eux, « attribuer à un
processus interne du client la plupart de nos échecs ou des impasses du traitement
est une fuite facile de nos responsabilités cliniques » (p. 116). La plupart des
explications que ces auteurs donnent au sujet des impasses dans le traitement
concernent le thérapeute. De fait, même si les gens peuvent tenter parfois d’éviter
des révélations pénibles sur eux-mêmes et nier des impulsions inacceptables, il ne
faut pas conclure que ces comportements sont, en soi, des résistances avant
d’avoir cherché les raisons qui les suscitent à ce moment précis. Un patient
pourrait consciemment refuser de s’exprimer ou refuser de collaborer au
traitement par peur, par honte ou par méfiance face au thérapeute.
De même, le thérapeute de l’approche des construits personnels est en désaccord
avec la vision psychanalytique et cognitive-comportementale selon laquelle la
résistance est une chose qui doit être traitée et qui contient un élément d’échec
(failure) de la part du client. « Il appartient au thérapeute de saisir la façon de
concevoir du client ou ses construits. Et si le client démontre qu’il ne voit pas le
problème comme le thérapeute, c’est à ce dernier de corriger son tir » (Fransella,
1993, p. 118). En effet, le concept de défense est étroitement relié à celui de
résistance; les deux expressions concernent l’absence du changement que le
thérapeute anticipe chez le client. « Tout comme Kelly nomme insight la
validation par le client du construit du thérapeute, de même la résistance au
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changement et les défenses sont l’invalidation de la part du client du construit du
thérapeute concernant ce qui devrait se produire » (Fransella, p. 119).
Dans cette même perspective, chez St-Arnaud (2001), le terme résistance n’est
pas banni du vocabulaire utilisé dans le contexte d’une relation d’aide; la
résistance n’est cependant pas définie comme une attitude du client, mais plutôt
comme l’indice d’une erreur commise par l’aidant ou par le thérapeute et une
invitation à la découvrir.
La source de la résistance est dans la relation
Rappelons qu’en psychanalyse, traditionnellement, la notion de résistance
désignait « tout ce qui, dans les mots et l’agir du patient, bloque l’accès à son
inconscient » (Laplanche et Pontalis, 1974, p. 394, cités par Blatt et Erlich, 1982).
Selon cette conception, basée sur la théorie des instincts, la résistance est une
obstruction qui interfère dans le travail de la thérapie; elle se produit à l’intérieur
du patient. Plus tard, l’accent s’est déplacé sur les fonctions de l’ego et sur le rôle
des relations d’objet dans le développement psychologique; cela a conduit à une
définition de la résistance reliée à la dyade thérapeutique : « quelque chose entre
le patient et le thérapeute qui interfère dans le processus thérapeutique » (Blatt et
Erlich, 1982, p. 70).
À ce sujet, dans un article récent, Bachelor et Horvath (1999) montrent
l’importance sur les effets de la psychothérapie de l’implication et de
l’engagement personnel du client, de même que sa participation coopérative
(l’opposé de la résistance) dans les procédés thérapeutiques. Du côté du client, des
attitudes d’ouverture, c’est-à-dire son habileté à s’approprier les interventions et à
accepter la relation offerte par le thérapeute, ont également un impact significatif
sur les résultats de la thérapie. À l’inverse, une attitude défensive et l’hostilité
peuvent nuire au développement d’une relation de travail coopérative. Du côté du
thérapeute, certaines de ses interventions peuvent miner la collaboration qu’il
recherche chez son client; par exemple, des interprétations confrontantes et de
type transférentiel qui suscitent une réaction défensive. Des comportements et des
attitudes spécifiques des clients (expression ouverte ou indirecte de sentiments
négatifs à l’égard du thérapeute ou désaccords par rapport aux buts de la thérapie)
et des thérapeutes (critique, non-attention, oubli, contre-transfert qui biaise les
perceptions et jugement à l’endroit du client) peuvent être susceptibles de
conduire à des ruptures de l’alliance thérapeutique ou à des impasses
thérapeutiques qui sont caractérisées par un désaccord général de part et d’autre
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ou
sur la façon dont la thérapie se déroule. Ces impasses impliquent souvent des
luttes de pouvoir sur les buts et les tâches respectives.
Pour sa part, la psychothérapie existentielle des construits personnels accorde une
importance centrale aux relations interpersonnelles, particulièrement, les relations
très intimes. Suivant cette approche, il y a une ambivalence dans la relation entre,
d’une part, un engagement non significatif et sécuritaire et, d’autre part, un
engagement profond qui peut être terrifiant. Dans ce dernier cas, la relation est
active, coopérative et mutuellement exploratoire entre le thérapeute et le client. En
ce sens, la santé psychologique est reliée au développement de relations
significatives et intimes (Leitner et Dill-Standiford, 1993). Ces derniers se
dissocient donc de la tradition selon laquelle la résistance est vue comme tout ce
que fait le client qui minimise l’effet curatif de la psychothérapie. Ils réfèrent à
quelque chose de beaucoup plus spécifique; la résistance est définie comme un
processus actif visant une protection des construits centraux (core role) contre
l’invalidation. Elle protège les bases mêmes de l’existence du client et ses buts. Le
dilemme du client se présente comme suit : il veut changer tout en ayant peur
d’abandonner ses construits de base. Le thérapeute, pour sa part, veut s’allier au
client qui prend le risque de reconstruire ses construits de base tout en comprenant
sa nécessité de résister au changement. Les auteurs illustrent un certain nombre de
résistances et des façons de les gérer. En voici un exemple concernant la fuite de
la responsabilité. Une femme de 35 ans est référée par la Cour à la suite d’une
histoire de violence contre son fils et son mari. Questionnée à ce sujet, la cliente
rétorque que son fils doit apprendre à obéir à sa mère et que son mari doit savoir
qu’il ne sert à rien d’excuser son fils. Selon cette femme, le problème appartient
aux autres. Dans ce cas, la cliente sera invitée à parler de cette situation sans
mettre la responsabilité à l’extérieur d’elle ou on lui demandera comment elle
souhaite que l’autre réagisse et ce qu’elle pourrait faire pour induire les
comportements souhaités. Cette expérience peut faciliter la prise de conscience
chez la cliente qu’elle joue effectivement un rôle dans la situation.
Ainsi, pour le client, le premier pas est de reconnaître la résistance. Les
résistances induites par les erreurs du thérapeute (comme une confrontation trop
active et directe plutôt qu’une invitation à travailler au développement de
structures centrales alternatives avant de confronter la résistance) doivent être
reconnues, discutées et corrigées.
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La résistance n’existe pas
Selon une perspective de thérapie gestaltiste, il est possible d’évoquer la
résistance à la prise de conscience ou la résistance au contact ou de la considérer
comme une énergie importante de la personnalité qui est parfois mal utilisée
(Perls, 1947). Toutefois, d’autres, tels Polster et Polster (1976) considèrent que
l’idée de résistance n’est pas nécessaire et qu’elle est même incompatible avec
une telle approche. Dans leur article Therapy without resistance (1976), les
Polster suggèrent deux principes thérapeutiques gestaltistes : « 1) ce qui est, est; et
2) une chose en suit une autre » (p. 96). À travers le contact et la prise de
conscience (awareness), le changement se produit simplement, on n’a pas à le
provoquer. Du même avis, Breshgold (1989) considère que l’on peut très bien
comprendre le processus thérapeutique du point de vue gestaltiste sans
l’utilisation du concept de résistance. En effet, en thérapie gestaltiste, c’est le
point de vue du patient qui est important. Le thérapeute ne sait pas mieux que le
patient ce que ce dernier doit penser, ressentir ou faire, comme l’utilisation du
terme résistance semble le suggérer. Parler de résistance implique également
d’isoler un aspect du fonctionnement plutôt que de le voir comme une partie d’un
ensemble dynamique. De plus, comme on cherche, dans cette approche, à
encourager l’expression ouverte de l’agressivité vers l’extérieur, toute opposition
est supportée et encouragée. L’élimination du concept de résistance demande
néanmoins un changement dans la conception et l’approche du thérapeute : celuici doit croire qu’il y a une sagesse de l’organisme et, par conséquent, qu’il doit
demeurer dans l’ici et maintenant avec le patient plutôt que de tenter de l’amener
dans une direction donnée.
La théorie des construits personnels n’évoque aucune énergie psychique à laquelle
résister ou contre laquelle se défendre. La dynamique centrale de cette approche
est le processus de construction, la création de significations (making of
meanings) selon laquelle l’essence de la vie est de grandir et de se développer,
donc de changer. En fait, « les clients ne résistent pas au changement, ils
choisissent de ne pas changer » (Fransella, 1993, p. 119). Cette théorie encourage
à modifier notre lecture interprétative du comportement pour une lecture
interrogative de recherche (inquiry), de sorte qu’il est préférable de questionner le
comportement plutôt que de l’interpréter : Qu’est-ce que cette personne est en
train de vérifier ? Qu’est-ce qu’elle cherche ? Intervenir selon cette optique
conduit au constat « qu’il n’y a pas de résistance au changement, il n’y a que la
résistance du client à ce qui, selon le thérapeute, devrait changer » (p. 132).
S’inspirant de Watzlawick et al., l’auteure suggère donc de remplacer le mot
résistance avec sa connotation négative par celui de « persistance » de manière à
se questionner ainsi : Pourquoi le client persiste-t-il dans cette façon de construire
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persistance
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ou
le monde ? À ce sujet, Fransella suggère une réponse évocatrice : « Le client
choisit de maintenir le statu quo parce qu’il est incapable de s’atteler à cette tâche
énorme que constitue le changement du système lui-même » (p. 132).
En rupture avec la majorité des positions que l’on trouve dans la littérature,
Talman et Bohart (1999) affirment que le pouvoir autoguérisseur du client est le
facteur le plus puissant en psychothérapie. La réussite de la thérapie est attribuée
principalement au client (70 %) et, secondairement (30 %) au support et aux
ressources que le thérapeute fournit au client. Le client a une capacité
considérable de générer son propre changement sans l’encadrement de la thérapie.
Ainsi, percevoir le client comme résistant est non seulement inexact, la plupart du
temps, mais cela s’avère beaucoup moins utile que de le percevoir comme un
agent actif, poursuivant un agenda qui a du sens dans sa propre perspective. Le
client est le directeur proactif du processus de changement dans la thérapie et en
dehors de la thérapie. Le thérapeute devrait s’appuyer sur les cadres de référence
du client, l’assister dans l’exploration et supporter ses efforts d’autoguérison. Cela
implique donc que le thérapeute dialogue avec le client dit résistant, et trouve un
moyen, avec le temps, de gagner sa confiance car, selon Talman et Bohart (1999)
« quand les gens dialoguent, le changement se produit » (p. 121).
L’existence de la résistance est donc loin d’être prouvée ou réfutée (Shazer (1984,
cité dans O’Hanlon et Weiner-Davis,1995). Ces thérapeutes orientés vers les
solutions, qui s’attardent aux éléments de coopération dans la relation, ne voient
plus de résistance parce que leur champ de vision est centré sur les efforts des
clients pour atteindre leurs objectifs et coopérer à la thérapie. Les objections des
clients sont considérées comme des préoccupations légitimes qu’ils doivent
inclure dans la discussion. Selon les mêmes auteurs, si la résistance est vue
comme un concept central, le thérapeute et le client se perçoivent comme deux
joueurs de tennis opposés; ils luttent l’un contre l’autre et le thérapeute doit
gagner pour que la thérapie progresse. À l’opposé, si le processus de coopération
devient le concept central, alors le thérapeute et le client deviennent deux
partenaires du même côté du filet, luttant contre le même adversaire (Shazer,
1984). Dans une perspective similaire, Milton Erickson (cité par O’Hanlon et
Weiner-Davis, 1995) considérait le changement comme inévitable. Toute réponse
du client à une intervention était vue comme pertinente et la résistance était vue
comme coopérative. En fait, dans ce contexte, le concept de résistance nuit au
thérapeute puisqu’il implique que le changement n’est pas inévitable. Certaines
techniques favorisent l’application de cette croyance. Par exemple, la façon qu’a
le thérapeute de formuler ses questions durant les entrevues (le « quand » ayant la
préséance sur le « si ») peut favoriser et souligner que l’on s’attend au
changement.
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Malgré l’utilité pour certains auteurs du concept de résistance, Shazer (1984)
considère que le concept peut ou non faire partie du coffre d’outils d’un
thérapeute. Par analogie, il suggère qu’un voyageur peut se rendre au même
endroit par différents chemins : il peut utiliser une carte du système d’autobus de
Londres ou une carte du système de métro de Londres. Cet auteur dit préférer le
chemin plus court et moins laborieux du métro. Il préfère donc s’abstenir de la
notion de résistance, la considérant comme un outil qui rendrait son travail plus
long et plus laborieux.
Conclusion
Comme on a pu le constater, la résistance est un concept aux multiples
significations suivant les interprétations ou les prises de position personnelle des
divers thérapeutes ou écoles de pensée. Ces multiples prises de position
m’amènent à croire que, pour le praticien, sa conception de la résistance et
l’impact de cette conception sur sa pratique sont l’objet d’un choix. Être conscient
de ce choix et responsable de ses construits m’apparaît un gage de la bonne
gestion de la résistance.
Pour ma part, après plus de 30 ans de pratique comme clinicienne en bureau privé
et dans un service de psychologie universitaire, je constate que la résistance a
toujours été une réalité importante pour moi. Même si sa source peut varier selon
les cas, l’essentiel de cette réalité se trouve dans la façon qu’a le thérapeute d’y
réagir. La résistance se développe donc dans l’interpersonnel et elle se résout dans
l’interpersonnel.
Même si la perspective selon laquelle la résistance n’existe pas me séduit, j’ai
rencontré à plusieurs occasions, dans les entrevues, des réactions irrationnelles ou
des blocages auxquels je donnais le nom de résistances. Même s’il semblait
parfois clair que le client en était la source, j’ai, par ailleurs, toujours fonctionné
en faisant l’hypothèse que quelque chose que j’avais fait ou omis de faire avait
contribué à déclencher une résistance, une réaction du client de se buter, de se
fermer. J’avais l’assurance qu’en ce qui concernait ma part dans l’émergence de la
résistance, j’avais du pouvoir, je pouvais agir, tenter de modifier le blocage et
réouvrir la ligne de communication.
Interactions
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persistance
Résistance
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