le texte intégral de la décision

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le texte intégral de la décision
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Décision n° 90-D-08 du 23 Janvier 1990
relative à des pratiques constatées en matière de fixation
de la durée d'ouverture des pharmacies libérales
Le Conseil de la concurrence,
Vu la saisine d'office du Conseil de la concurrence en date du 13 mai 1987, enregistrée sous le
numéro F 63, et relative à des pratiques anticoncurrentielles éventuellement mises en œuvre
par des pharmaciens ou organisations de pharmaciens en matière de fixation pharmaciens ou
organisations de pharmaciens en matière de fixation des jours et heures d'ouverture et de
fermeture des officines libérales dans divers départements;
Vu les ordonnances n° 45-1483 et n° 45-1484 du 30 juin 1945 modifiées relatives
respectivement aux prix et à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la
législation économique;
Vu l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la
concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, pris
pour son application;
Vu les dispositions du livre V du code de la santé publique;
Vu les observations présentées par les parties et par le commissaire du Gouvernement;
Vu les autres pièces du dossier;
Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties ayant
demandé à présenter des observations orales entendus;
Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après exposées:
I. - CONSTATATIONS
A. - Les caractéristiques du marché
En raison de leurs particularités, et sauf exceptions (celles relatives aux produits vendus par
les médecins propharmaciens et par les pharmacies mutualistes ou aux produits consommés
dans les établissements hospitaliers), les médicaments sont vendus en France par des
pharmacies d'officine (environ 24 000) dont les propriétaires sont chacun titulaire d'un
diplôme de pharmacie. Ils jouissent d'un monopole de distribution et un numerus clausus a été
établi. Ces pharmaciens peuvent en outre vendre les produits de parapharmacie dont la liste
est arrêtée par le ministre chargé de la santé publique sur proposition du Conseil national de
l'Ordre des pharmaciens.
Par application de la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987, le ministre chargé de l'économie et le
ministre chargé de la santé et de la sécurité sociale fixent par voie d'arrêtés les prix et marges
des produits et des prestations de service pris en charge par les régimes obligatoires de
sécurité sociale. Dans les faits, les prix des médicaments remboursés ou non sont identiques
dans toutes les officines libérales.
Les règles de déontologie applicables à la profession résultent des articles R. 5015-1 à 501564 du code de la santé publique qui correspondent aux articles 1er à 64 du Code de
déontologie élaboré sur proposition du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, publié
par décret n° 53-591 du 25 juin 1953 et toujours en vigueur, conformément aux dispositions
de l'article 3 de la loi n° 66-796 du 27 octobre 1966. Sans préjudice, pour certaines d'entre
elles, des poursuites pénales distinctes qu'elles peuvent entraîner, les infractions à ce code
relèvent de la compétence disciplinaire de l'Ordre national de pharmaciens qui comporte sept
sections, dont la section A qui concerne les pharmaciens titulaires d'une officine en France
métropolitaine.
Les articles R. 5015-60 et R. 5015-61 du code de la santé publique, notamment, mettent
l'accent sur la loyauté, la solidarité et la confraternité que se doivent les pharmaciens. En
contrepartie du monopole de vente qui leur est accordé, diverses obligations ont été mises à
leur charge, en particulier la mise en place des services de garde et d'urgence confiée par
l'article L. 588-1 de ce code aux organisations représentatives de la profession.
Les deux principales organisations syndicales de pharmaciens sont la fédération des syndicats
pharmaceutiques de France (F.S.P.F.), qui compte 80 p. 100 environ des pharmaciens
d'officine français avec des syndicats locaux dans chacun des départements métropolitains, et
l'union nationale des pharmaciens de France qui regroupe 7 p. 100 environ des officines dans
des syndicats régionaux.
Au plan local, existent pour chaque région, sanitaire d'une part, un conseil régional de l'ordre
des pharmaciens et, d'autre part, un ou plusieurs inspecteurs de la pharmacie placés sous
l'autorité du ministre chargé de la santé.
Il résulte de tout ce qui précède que, pour des raisons tant légales qu'économiques, la
concurrence à laquelle peuvent se livrer les pharmaciens est réduite. Elle ne peut porter que
sur les prix des produits de parapharmacie et sur certains services, notamment la durée
d'ouverture des officines.
B. - Les pratiques relevées
Les pièces du dossier font état de pratiques relevées à Amiens, La Rochelle, Hyères, Menton,
Haguenau et Guéret, visant à fixer en commun les jours de fermeture des officines et à faire
pression sur les pharmaciens ayant décidé de déterminer individuellement leur propre
amplitude d'ouverture.
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1. - A Amiens
Depuis le 22 décembre 1986, rompant avec un usage de plus de trente ans, la Grande
Pharmacie de Paris, 4, place Gambetta, dont les gérants associés sont MM. Eteve et
Delcambre, ouvre le lundi matin à partir de huit heures quarante-cinq.
Cette décision d'ouvrir le lundi matin a entraîné, de la part de pharmaciens d'Amiens et de la
chambre syndicale des pharmaciens de la Somme (ci-après C.S.P.S.), différentes réactions.
Le 22 décembre 1986, une réunion s'est tenue au siège du conseil régional de l'ordre entre le
président de celui-ci, l'inspecteur de la pharmacie et les présidents de la C.S.P.S. et du
syndicat régional des pharmaciens; il y a été «demandé que soit précisé dans le mémento
relatif aux gardes d'Amiens que ces pharmaciens ferment pendant les services de garde ou
préviennent de leur ouverture» et, sur indication de l'inspecteur de la pharmacie qu'il n'était
pas «(...) hostile à ce que des pharmaciens ouvrent le lundi matin ou même le dimanche (...)»,
il y a été demandé «(...) que le nouveau mémento soit envoyé à tous les pharmaciens
d'Amiens et considér(é) qu'il est accepté en l'absence de réaction». Le 23 décembre 1986,
plusieurs adhérents de la C.S.P.S. et quelques non-syndiqués se réunissent et décident
d'ajouter au «Mémento du service des urgences sur Amiens» dont la rédaction remontait à
juin 1976 (cote M 3) le paragraphe suivant:
«Par esprit de confraternité, les pharmaciens s'engagent à arrêter les jours d'ouverture en
concordance avec le tour de garde, sauf à en avertir les responsables avec un préavis d'un
mois avant l'échéance semestrielle. Il en sera alors tenu compte pour l'organisation des six
mois suivants.
«Aucun arrangement de ce type ne peut intervenir pendant le semestre en cours.»
Le 29 décembre suivant, par circulaire du président de la C.S.P.S. qu'accompagnait le
«mémento» syndical mis à jour, la décision du 23 décembre est communiquée à l'ensemble
des pharmaciens concernés, syndiqués ou non (cote M 3).
Les 6 et 7 janvier et le 2 février 1987, trois plaintes sont déposées auprès du conseil régional
de l'ordre à l'encontre de MM. Eteve et Delcambre pour leur ouverture le lundi matin. La
première, rédigée sur papier à en-tête de la C.S.P.S. émanait du président de celle-ci et de
deux autres responsables de l'organisation du service des urgences. Les deux autres plaintes
émanaient de pharmaciens membres de la C.S.P.S. (cote B 6, B 7 et B 8). Les auteurs de la
plainte du 7 janvier menaçaient «d'ouvrir systématiquement pendant (les) gardes» de MM.
Eteve et Delcambre (cote B 6, 2e f°).
Dans le même temps, au début de 1987, une délégation de la C.S.P.S. est reçue par le préfet
de la Somme à qui elle expose le problème de la «fermeture du lundi» (cote M 3). Peu après
«un nombre indéterminé d'officines amiénoises (prennent) l'habitude d'ouvrir (le lundi matin),
ceci à des horaires variables et de façon parfois épisodique» (cote M3, point 5). Ainsi, le 2
février 1987, un constat d'huissier (cote B 2) établit que dix-neuf officines (près d'une sur
deux) étaient ouvertes à Amiens et dans son immédiate périphérie entre 10 et 12 heures. Une
seule de ses pharmacies ouvertes était de garde. L'autre pharmacie de garde était fermée, alors
que son titulaire est l'auteur de l'une des trois plaintes susvisées.
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2. - A La Rochelle
Contrairement à l'usage établi depuis une trentaine d'années, M. Renous, titulaire depuis 1977
de la pharmacie sise au 56, rue Chaudrier (place de Verdun), a commencé à ouvrir son
officine le lundi matin en juin 1987, comme l'avaient fait avant lui quelques autres
pharmaciens depuis 1983, 1984 ou 1985.
Les pharmaciens de La Rochelle et le syndicat des pharmaciens de la Charente-Maritime
(S.P.C.M.) ont engagé différentes actions à la suite de la décision prise par M. Renous:
Le 1er juillet 1987, lors d'une réunion à laquelle participaient un représentant du conseil
régional de l'ordre, invité en cette qualité, les pharmaciens du «cercle rochelais», association
informelle dont tous les membres sauf un sont adhérents au S.P.C.M., il est demandé à M.
Renous les raisons de son ouverture le lundi matin et il lui est rappelé les «(...) règles de
déontologie les plus élémentaires (...)».
Au cous du second semestre 1987, la secrétaire administrative du S.P.C.M. demande à M.
Renous de signer les statuts du syndicat, ce qu'il n'avait jamais fait. Il oppose un refus. Elle
tente par ailleurs de lui expliquer les conséquences, dommageables à son avis pour la
distribution des médicaments, de l'ouverture de son officine le lundi matin.
Le 13 décembre 1987, lors de l'assemblée générale du S.P.C.M., son président «(...) informe
les confrères de ce que le syndicat a dû 'démissionner' Philippe Renous de La Rochelle pour
manquements graves à la déontologie».
Le 15 janvier 1988, le président du S.P.C.M. dépose une plainte à l'encontre de M. Renous
auprès du conseil régional de l'ordre, plainte qui se réfère à la réunion du «cercle rochelais»
du 1er juillet 1987. Ultérieurement, selon M. Renous, le président du S.P.C.M. aurait indiqué
qu'il retirerait sa plainte si M. Renous fermait à nouveau son établissement le lundi matin.
M. Renous a refusé la proposition. Selon le président du S.P.C.M., sa démarche aurait été
purement «informative».
Le 3 mars 1988, le conseil régional de l'Ordre «(...) a estimé que les faits portés à sa
connaissance n'étaient pas de nature à entraîner des poursuites». Le 7 avril, le président du
S.P.C.M. transmet le dossier au président du Conseil national de l'ordre qui l'adresse le 12
avril au président du conseil central, section A. Ce dernier répond le 21 avril au président du
S.P.C.M. que, compte tenu du droit de la concurrence et de la jurisprudence du Conseil d'Etat,
«(...) aucun texte ne (lui) paraît, actuellement, permettre de s'opposer à l'ouverture d'une
pharmacie, alors même qu'un service de garde est organisé (...)».
3. - A Hyères
Jusqu'à la fin juin 1986, la pharmacie du Portalet, 2, avenue du Général-de-Gaulle, dont le
titulaire est M. Grac-Aubert est ouverte du mardi matin au samedi soir. A partir du 1er juillet
1986, elle ouvre également le lundi. Cette plage d'ouverture, du lundi matin au samedi soir,
est toujours en vigueur (cotes G 5 et P 3, 1er f°, point 2). L'année suivante, il envisage
d'ouvrir son officine le dimanche matin et s'enquiert de la licéité de son projet auprès de
l'inspection du travail le 17 avril 1987 (cote G 4), de l'inspecteur de la pharmacie le 4 juin
(cotes G 1 et G 3) et du président de l'union syndicale des pharmaciens du Var (cote G 1,
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2e f°). Il ouvre son officine le dimanche matin à compter du 14 juin 1987, mais devra cesser
deux semaines plus tard en raison des réactions suscitées.
M. Grac-Aubert rompait en effet l'accord conclu entre les pharmaciens de Hyères sous l'égide
du syndicat des pharmaciens du Var (S.P.V.). Selon le vice-président de ce syndicat, par
ailleurs responsable de l'«aire hyéroise» (subdivision locale du syndicat), les pharmaciens de
Hyères s'accordaient pour fermer leur officine deux jours consécutifs par semaine: les samedi
et dimanche pour la moitié d'entre eux, les dimanche et lundi pour les autres (cote I 1, 1er f°).
Ce système «était réglé par les confrères eux-mêmes (...) et le syndicat ne faisait qu'entériner
cet accord local (...)» (cote O 2, 2e f°).
L'ouverture de la pharmacie du Portalet le lundi matin a conduit quinze des vingt-deux
pharmaciens de l'«aire hyéroise» à adopter au cours d'une réunion du 10 décembre 1986 la
motion suivante, manuscrite, envoyée le 17 décembre à M. Grac-Aubert (cote G 2) et signée
de quinze noms, dont l'un est illisible et les quatorze autres sont Mmes Berthod, Fillon,
Goiran, Masseboeuf, Rothley, Plazy et Vernet et MM. Cristofari, de Grimal, Plantavin, Politi,
Prière, Rocarpin, et Rudelin:
«Les pharmaciens de l'aire hyèroise, au cours de leur réunion du 10 décembre 1986, ont
décidé unanimement de conserver le système établi depuis plus de trente ans, tant en ce qui
concerne les deux jours consécutifs de fermeture qu'en ce qui concerne les horaires.
«Ils se sont déclarés solidairement prêts à faire respecter cette décision souhaitée par la
totalité des pharmaciens présents.»
L'ouverture de la pharmacie du Portalet le dimanche matin, a conduit des pharmaciens
hyérois, que l'instruction n'a pas permis d'identifier, à faire pression sur au moins un grossisterépartiteur fournisseur de M. Grac-Aubert, peu après le premier dimanche d'ouverture (21 juin
1987), en le menaçant de ne plus s'approvisionner chez lui s'il continuait de livrer M. GracAubert (cotes G 1, 2e f°, H 2, P 3, 2e f°, et I3). Par ailleurs, le vice-président du S.P.V. et
responsable de l'«aire hyéroise» a rendu visite à M. Grac-Aubert au cours de la dernière
décade de juin 1987 et lui a «(...) fait part de l'intention des pharmaciens hyérois de dénoncer
le tour de garde déposé en préfecture et de (le) placer de garde d'office» (cote G 1, 2e f°). Il a
expliqué sa démarche comme suit: «(...) la réponse des pharmaciens de Hyères a été très
simple: si (M. Grac-Aubert) ouvre le dimanche matin (il) prendr(a) l'intégralité du tour de
garde. Cette décision avait été prise à l'unanimité des pharmaciens. C'est moi-même qui lui
avait notifié cette décision, mandaté par mes amis du bureau syndical (...). S'il avait refusé de
prendre le tour de garde complet, le problème se serait réglé au niveau préfectoral (...)» (cote I
1, 2Er f°).
4. - A Menton
Au début de 1985, Mme Perrier-Jaquetty et M. David, titulaires depuis 1984 de la Grande
Pharmacie Mentonaise, 32, rue de la République, décident d'ouvrir leur officine le samedi
après-midi et ils en informent leurs confrères par lettre du 17 février (cote S 2-AM). Par
ailleurs, ils ouvrent leur officine le jour du Mardi-Gras.
Ils rompent ainsi l'accord conclu entre les pharmaciens de Menton, sous l'égide de la chambre
syndicale des pharmaciens des Alpes-Maritimes (C.S.P.A.M.), qu'évoque le vice-président du
conseil régional de l'ordre: «cet accord comportait la fermeture des officines du samedi 12h15
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au lundi 14h30 et il était de coutume, le jour du Mardi-Gras, fête traditionnelle de Menton, de
fermer les officines l'après-midi» (cote S 2-AE, 1er f°). Treize pharmaciens mentonnais ont
affirmé que «cette discipline professionnelle qui régissait depuis de très longues années les
rapports entre pharmaciens (... avait été) instaurée avec l'assentiment de tous les confrères»
(cote S 2-AA, 2e f°). A la question de savoir «si oui ou non la chambre syndicale a décidé à
l'unanimité la fermeture des officines du samedi midi au lundi 14 heures pour le secteur de
Menton», le président de la C.S.P.A.M. a répondu par l'affirmative (cotes S 2-AC, 5e f°, et S
2-Ai à Ak).
Contrairement à l'usage, les pharmaciens de Menton ont refusé de rétrocéder, à titre de
dépannage, des produits à la Grande Pharmacie mentonnaise. Plus tard, ils ont aligné leur
horaires d'ouverture sur les siens (cote S 2-1, 8e f°). Enfin, treize d'entre eux ont déposé une
plainte le 14 mars 1986 auprès du conseil régional de l'ordre (cote S 2-AA, 2e à 13e f°).
Par ailleurs, à la suite de deux réunions de l'ensemble des pharmaciens mentonnais au cours
desquelles des observations ont été faites à M. David, le responsable du tour de garde à
Menton, membre de la C.S.P.A.M., est à son tour intervenu auprès de lui, en mars 1985. M.
David a accepté de reporter sa décision (cote S 2-AA, 3e f°).
Le 19 juin 1985, par circulaire à leurs confrères, les titulaire de la Grande Pharmacie
mentonnaise annoncent, comme solution de compromis, leur décision de n'ouvrir le samedi
après-midi qu'en juillet et en août. Ce choix a conduit le responsable du tour de garde à
Menton, d'une part, à faire «(...) interdiction (à M. David) sur le plan local d'ouvrir sa
pharmacie le samedi après-midi» et, d'autre part, en sa qualité de «représentant du syndicat
des pharmaciens des Alpes-Maritimes», à demander à un huissier de justice de constater
l'ouverture de la Grande Pharmacie mentonnaise (cote S 2-AA, 10e f°). Le président de la
C.S.P.A.M. a confirmé ce point et précisé que «la chambre syndicale (...) a demandé de faire
constater par huissier tout manquement de tous ordres en ce qui concerne les heures
d'ouverture de pharmacies dans le département (... et) a décidé à l'unanimité de faire respecter
la fermeture des officines du secteur de Menton du samedi 12 heures au lundi 14 h 30 (...)»
(cote S 2-Ai, 2e f°).
La Grande Pharmacie mentonnaise est restée ouverte le samedi après-midi de juillet à octobre
1985. Ensuite, elle a fermé car, lors du congrès professionnel Ipharmex tenu à Lyon, le
responsable du service de garde de Menton s'était «(...) engag(é), au nom des pharmaciens
mentonnais, et ce dans un esprit de conciliation, d'abandonner tout contentieux avec (elle) s (i
elle) se pliait aux usages locaux et s(i elle) abandonnait certaines pratiques» (cotes S 2-AA, 3e
f°, et S 2-AH, 4e f°). Elle a toutefois ouvert à nouveau le samedi après-midi à compter du 8
mars 1986.
5. - A Haguenau
Depuis octobre 1961, M. Keiff est titulaire de la Pharmacie de l'Ange, 82, Grand'Rue. A partir
de 1983, il a choisi d'ouvrir son officine du lundi matin au samedi soir toute l'année et de ne la
fermer que durant une heure et quart, au moment du déjeuner (cote R 2-II, 1er f°).
Agissant de la sorte, M. Keiff rompait avec l'usage professionnel institué par la chambre
syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin qui a déterminé les plages d'ouverture des officines
du département dans les années 70. Comme l'écrivait son président le 12 octobre 1979, «les
horaires d'ouverture des officines sont le résultat d'accords syndicaux et locaux (...). Même en
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l'absence d'obligation légale, les confrères sont tenus de respecter les consignes en vigueur
dans leur secteur» (cote R 6-XXIX).
En vigueur jusqu'en 1989 selon la déclaration faite en séance par le représentant de la
chambre syndicale, le formulaire d'adhésion à cette organisation comportait un engagement
sur l'honneur de «respecter (...) les directives de la chambre syndicale», de se «soumettre aux
décisions de la (FSPF)», et de se «conformer aux horaires d'ouverture, de fermeture, au plan
de service de garde et de repos hebdomadaire établis par la chambre syndicale (...)» (cotes R
6-XXXI, 2e f°, et R 6-1, 6e f°).
Selon M. Keiff, les pharmaciens syndiqués de la localité auraient «(...) de tout temps essayé
de faire pression sur (lui) quant aux heures d'ouverture, évoquant la discipline syndicale...
C'est une des raisons de (sa) démission (du syndicat) du 12 février 1984»(cote R 2-II, 1er f°).
Par circulaire du 25 juillet 1984, le président de la chambre syndicale a demandé aux
pharmaciens non adhérents une somme annuelle de 300 F pour «frais de secrétariat», à raison
des frais encourus pour la réalisation, dont elle a la charge, du tableau des services de garde.
Un post scriptum, indiquait «qu'à défaut de votre règlement, c'est aux services préfectoraux
(...) qu'il appartiendra de prendre en charge l'organisation de votre garde» (cotes R 6-X et R 2II, 3e f°).
6. - A Guéret
M. Soldat a créé son officine (avenue d'Auvergne) le 2 août 1983. Depuis 1985, elle reste
ouverte pendant les mois d'été, puis, à partir du 1er mars 1987, elle l'est sans interruption de 8
h 45 à 19 h 30, du mardi matin au samedi soir.
Ce comportement de M. Soldat allait à l'encontre des usages professionnels que le président
du syndicat des pharmaciens de la Creuse a présentés comme «l'habitude d'une fermeture d'été
(mais qui) n'existe plus depuis début 1986». En effet, «au printemps 198 (5), M. Soldat,
pharmacien à Guéret, ayant fait part de son souhait de ne pas fermer son officine durant l'été,
les autres pharmaciens de la ville ont décidé de faire de même» (cote Q 6, 2e et 4e question).
II. - A LA LUMIERE DES CONSTATATIONS QUI PRECEDENT, LE CONSEIL DE LA
CONCURRENCE
Considérant que les faits constatés doivent être appréciés au regard des articles 50 et 51 de
l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 qui demeurent applicables en l'espèce ou au regard
des articles 7 et 10 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 selon qu'ils ont été
commis antérieurement ou postérieurement à l'entrée en vigueur de cette dernière;
En ce qui concerne la prescription:
Considérant que la saisine d'office du 13 mai 1987 a interrompu le cours de la prescription;
que les faits antérieurs au 13 mai 1984 ne peuvent donc être qualifiés par le Conseil de la
concurrence; qu'ils peuvent cependant être relatés à seule fin de permettre la compréhension
des griefs retenus et relatifs à des faits encore susceptibles d'être sanctionnés;
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En ce qui concerne l'amnistie:
Considérant que la chambre syndicale des pharmaciens de la Somme invoque le bénéfice de
la loi d'amnistie n° 88-828 du 20 juillet 1988;
Mais considérant que les griefs articulés dans la présente affaire n'entrent dans aucune des
catégories prévues dans la loi susmentionnée; que les injonctions et sanctions pécuniaires
prévues à l'article 13 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ne constituent pas des peines
pénales et ne sont pas assimilables aux sanctions disciplinaires ou professionnelles ni aux
mesures administratives visées par le chapitre III de la loi d'amnistie invoquée; que, dès lors,
ladite loi d'amnistie ne peut recevoir application;
En ce qui concerne les conséquences d'un retrait de «plainte» et de demandes de classement:
Considérant qu'un pharmacien hyérois contre lequel ont été mises en œuvre certaines
pratiques donnant lieu à griefs a déclaré retirer «toutes les plaintes déposées précédemment»
et souhaité un «classement des dossiers qui ont pu être ouverts» et que douze pharmaciens de
Hyères ont, de même, sollicité «le classement de ce dossier, sans aucune suite»; que
l'ensemble de ces demandes repose sur la constatation que les pratiques retenues à grief
auraient cessé;
Mais considérant que le Conseil de la concurrence n'a été saisi d'aucune plainte et qu'il s'est au
contraire saisi d'office; que l'éventuelle modification récente de la situation concurrentielle sur
le marché hyérois est sans incidence sur l'appréciation à porter sur les pratiques
antérieurement mises en œuvre; que ces demandes ne peuvent donc être accueillies;
En ce qui concerne les pratiques constatées:
Considérant que les plaintes formées auprès des instances ordinales compétentes ressortissent
d'une faculté de saisine prévue par la loi et ne constituent pas en elles-mêmes des pratiques
concertées anticoncurrentielles; qu'elles ne peuvent dont être retenues comme grief;
Considérant qu'il n'est pas établi, dans l'état du dossier, que les jours et horaires de fermeture
des officines de La Rochelle et Guéret aient été déterminés de façon concertée; qu'il n'est pas
davantage établi que les réactions entraînées par le choix de nouvelles plages d'ouverture par
deux pharmaciens de ces deux villes aient eu pour objet ou pour effet de faire respecter une
discipline professionnelle; que dès lors les griefs correspondants ne peuvent être retenus;
Mais considérant qu'il est établi qu'à Amiens les pharmaciens fermaient leur officine le lundi
matin; que certains d'entre eux se sont engagés, au nom de la confraternité et sous l'égide de la
chambre syndicale des pharmaciens de la Somme, à continuer à arrêter leurs jours d'ouverture
en conformité avec le tour de garde prévoyant une fermeture le lundi matin; que cette décision
visait à s'imposer à l'ensemble des pharmaciens, syndiqués ou non, et à leur interdire d'ouvrir
le lundi matin pendant le semestre en cours;
Considérant que les pharmaciens de l'«aire hyéroise», subdivision du syndicat des
pharmaciens du Var, ont fixé en commun les horaires et la fermeture hebdomadaire de deux
jours consécutifs des officines à Hyères; que quinze d'entre eux se sont concertés pour faire
respecter cette entente et sont intervenus par l'envoi d'une motion auprès d'un confrère qui
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avait décidé d'ouvrir le lundi matin; que le syndicat des pharmaciens du Var a menacé ce
confrère qui désirait ouvrir son officine également le dimanche, et qui a dû y renoncer, de lui
imposer la totalité des gardes;
Considérant que les pharmaciens de Menton avaient conclu un accord, sous l'égide de la
chambre syndicale des pharmaciens des Alpes-Maritimes, imposant la fermeture des officines
du samedi 12 h 15 au lundi 14 h 30; qu'outre diverses admonestations adressées par des
membres de la chambre syndicale à un pharmacien qui désirait ouvrir son officine le samedi
après-midi, la chambre syndicale des pharmaciens des Alpes-Maritimes lui en a fait
interdiction et a fait constater par huissier tout manquement à la discipline commune;
Considérant que l'adhésion à la chambre syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin exigeait,
jusqu'en 1989, un engagement sur l'honneur de se conformer aux horaires d'ouverture et de
fermeture qu'elle établissait;
Considérant que le fait, pour des pharmaciens d'officine établis dans une zone géographique
déterminée, de conclure et de mettre en oeuvre un accord fixant les jours et horaires
d'ouverture de leurs établissements constitue une action concertée qui a pour objet et peut
avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence; que ces
ententes et actions concertées ont pour but de prémunir les pharmaciens concernés contre la
concurrence que pourrait leur faire un confrère ayant choisi de déterminer librement ses jours
et heures d'ouverture en fonction de sa capacité commerciale; que, dans le cas de Hyères, elles
ont eu un tel résultat;
Considérant dès lors que les pratiques visées ci-avant tombent sous le coup des dispositions
des articles 50 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 et 7 de l'ordonnance n° 86-1243
du 1er décembre 1986;
En ce qui concerne l'application des articles 51 de l'ordonnance de 1945 et 10 de l'ordonnance
de 1986:
Considérant que plusieurs pharmaciens et organisations syndicales ont invoqué les
dispositions du code du travail et de la convention collective des employés de pharmacie
relatives au repos dominical des salariés et accordant aux employés des officines un congé
hebdomadaire minimum d'un jour et demi consécutif, dont une demi-journée accolée au
dimanche; que ces dispositions n'interdisent en rien que les pharmacies demeurent ouvertes
pour toute la durée de la semaine;
Considérant que les organisations syndicales concernées ont exposé que les pratiques pour
lesquelles des griefs ont été formulés résultaient de leur rôle dans l'organisation du service de
garde, qui leur est confiée par l'article L. 588-1 du code de la santé publique;
Mais considérant qu'il est constant qu'aucune disposition légale non plus qu'aucun
engagement personnel ne fait obligation à un pharmacien de tenir son officine fermée les
jours où un service de garde est assuré; que l'organisation du service de garde, qui répond aux
besoins de la santé publique, ne confère pas aux syndicats, à qui la loi a confié le soin
d'organiser un tel service, le droit d'organiser une entente sur les jours et heures de fermeture;
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Considérant que les devoirs de loyauté, de solidarité et de confraternité posés par les articles
R. 5015-60 et R. 5015-61 du code de la santé publique et invoqués au cours de l'instruction
par des syndicats n'imposent pas à un pharmacien d'adopter des jours et heures de fermeture
identiques à ceux convenus par ses confrères (cf. à titre de simple rapprochement la
jurisprudence du Conseil national de l'ordre des pharmaciens et du Conseil d'Etat: arrêts Caro
et Thomas des 16 octobre 1964 et 11 janvier 1980);
Considérant qu'il ne peut, par conséquent, être fait application des dispositions du 1° de
l'article 51 de l'ordonnance de 1945 et de l'article 10 de l'ordonnance de 1986;
Considérant que la chambre syndicale des pharmaciens de la Somme a soutenu que «la
concertation qui a eu lieu entre certains pharmaciens et qui a été diffusée par la chambre
syndicale a pour but d'organiser rationnellement la profession, de concourir à son progrès et
n'a eu aucune conséquence sur la détermination des prix»;
Mais considérant d'une part que les ententes et actions concertées anticoncurrentielles sont
prohibées qu'elles concernent ou non les prix; d'autre part, qu'elles ne peuvent en l'espèce être
considérées comme ayant contribué au progrès économique puisqu'il est de l'intérêt des
consommateurs et de la santé publique que, notamment dans les villes moyennes, plusieurs
pharmacies puissent être ouvertes en fin de semaine et aussi la nuit; que dès lors il ne peut être
fait application des dispositions du 2° de l'article 51 de l'ordonnance de 1945 et de l'article 10
de l'ordonnance de 1986;
DECIDE:
Art. 1er. - Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes:
a) Aux pharmaciens hyérois signataires de la motion du 10 décembre 1986:
8 000 F respectivement à Mmes Rothley et Plazy et à M.Rudelin;
10 000 F respectivement à MM. Plantavin, Politi et Rocarpin;
12 000 F respectivement à Mmes Berthod, Fillon, Masseboeuf et Goiran et à M. de Grimal;
15 000 F respectivement à Mme Vernet et à MM. Cristofari et Priere.
b) Aux organisations syndicales:
80 000 F à la chambre syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin;
100 000 F à la chambre syndicale des pharmaciens de la Somme;
150 000 F au syndicat des pharmaciens du Var;
150 000 F à la chambre des pharmaciens des Alpes-Maritimes.
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Art. 2. - Dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la présente
décision, les organisations syndicales mentionnées à l'article 1er feront publier, à frais
communs et à proportion des sanctions pécuniaires qui leur sont infligées, le texte intégral de
la présente décision dans le Moniteur des pharmaciens et des laboratoires et le Pharmacien de
France; en outre, et dans le même délai, le syndicat des pharmaciens du Var et la chambre
syndicale des pharmaciens des Alpes-Maritimes feront publier, à frais communs, ce même
texte intégral dans Nice-Matin.
Délibéré en section sur le rapport de M. Jean-Claude Facchin dans sa séance du 23 janvier
1990, où siégeaient:
M. Pineau, vice-président, présidant;
MM. Cabut, Cortesse et Sargos, membres.
Le rapporteur général suppléant,
A.P. WEBER
Le vice-président, présidant la séance,
J. PINEAU
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