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MADAGASCAR,
LE DUEL
Journal des « deux cent jours »
qui ontfait vaciller la Nation malagasy»
16 décembre 2001 - 3 juillet 2002
(Ç)L 'I-Iarmattan,
2003
ISBN: 2-7475-4404-4
Éditions AKO
Société des amis de Madagascar
213, boulevard Davout 75020 Paris (France)
Adresse électronique: [email protected]
Patrick RAJOELINA
MADAGASCAR,
LE DUEL
Journal des « deux cent jours»
qui ont fait vaciller la Nation malagasy »
16 décembre 2001 - 3 juillet 2002
L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
FRANCE
L'Harmattan Hongrie
Hargita u. 3
1026 Budapest
HONGRIE
L'Harmattan Italia
Via Bava, 37
10214 Torino
ITALIE
Du même auteur
« Quarante années de la vie politique de Madagascar (1947-1987»
(L'Harmattan, 1988)
« Madagascar, la Grande île» (avec l'économiste Alain Ramelet)
(L'Harmattan, 1989)
Revue« Madagascar, océan Indien» (Collectif)
(L'Harmattan, 1990 & 1991)
« Madagascar, refondation & développement» (Collectif)
(L'Harmattan, 1998)
« Madagascar, l'énigme de 1947 - Mémoires du Professeur Albert
Rakoto Ratsimamanga »
(L'Harmattan & Éditions AKO, 2001)
À ma fille Anne-Christel
À tous les enfants et à la jeunesse malagas y
appartenant à toutes les composantes de notre Peuple
à qui revient le devoir de refonder
une Nation digne, prospère et démocratique
À la mémoire du
Prince Albert Rakoto Ratsimamanga,
patriote humaniste et scientifique émérite.
Cofondateur du Mouvement démocratique
de la rénovation malagasy (MDRM)
Remerciements pour sa fidèle
et précieuse collaboration
à Alain Ramelet
« Malagasy, united we stand»
Introduction
Au lendemain des élections présidentielles du 15 décembre 2001,
l'année 2002 restera une période tumultueuse pour Madagascar. Elle
sera surtout l'année d'une alternance majeure pour le pays, mais une
alternance différente de celles de 1991 et 1997.
En effet, cette fois-ci, elle porte au pouvoir, non pas un membre du
microcosme politique, mais un " homme nouveau '~ qui revendique
d'abord son appartenance au monde de l'entreprise plutôt qu'au
"marais politicien". C'est un autodidacte, un homme déterminé dans
les actions qu'il mène en politique, comme au sein du groupe
agroalimentaire TIKO qu'il dirige depuis sa fondation.
Il entre par la grande porte en politique en enlevant en 1999 la mairie
d'Antananarivo qu'il conquiert avec plus de 40% des voix au premier
tour. Il est vrai qu'il emporte cette municipalité à la faveur d'un
"accord tacite" du président de l'époque, Didier Ratsiraka qui, le
sous-estimant déjà, ne lui oppose qu'un candidat de témoignage.
Sitôt le premier tour des élections présidentielles du 16 décembre
2001 passé, la crise éclate. Aux cris de " Premier tour, dia vita" (<<un
seul tour suffira »), les partisans de Marc Ravalomanana considèrent
leur poulain comme élu au premier tour.
Cette crise, sur le terrain, se caractérise surtout par le pacifisme des
manifestants. En effet, au cours de ces longs mois de mobilisation
populaire, n'ont eu lieu que de très rares débordements. Même les
misérables tentatives de balkanisation du pays à travers la
proclamation "d'Etats fédérés" ou les excès de violence pratiqués par
des" soldats perdus" n'ont pas réussi à faire basculer Madagascar
vers la guerre civile comme l'espéraient certains cyniques... d'ici et
d'ailleurs!
Ces mêmes personnages cyniques qui ont agité, pathétiquement et
surtout sans grand succès, l'épouvantail ethnique opposant merina
(des hautes terres centrales) et côtiers. Seul est à déplorer, en raison
des multiples entraves à la circulation des personnes, des biens et de
la monnaie, le saccage de l'économie nationale confrontée à plusieurs
mois d'inactivité.
Au cours de cette crise, outre Marc Ravalomanana, on remarque
l'apparition de nouveaux acteurs de la vie politique. Au premier rang
desquels (au sens propre comme au sens figuré I) on trouve les chefs
des églises chrétiennes. Des semaines durant, dans les prêches et lors
de manifestations, autant pieuses que pacifistes, ils encouragent ce
mouvement en faveur du fahamarinana (vérité) et du fahamasinana
(éthique).
Tout au long de cette crise, au délitement et à l'errance politique de la
garde rapprochée du président sortant Didier Ratsiraka répond, à
travers toute l'île, un immense courant populaire se manifeste en
faveur du changement. Ce mouvement se confirme d'ailleurs dans les
urnes à l'occasion des élections législatives du 15 décembre 2002.
Mais durant ces "200jours qui ont fait vaciller la Nation malagasy':
la bataille la plus redoutable et finalement la plus efficace a été celle
de la communication et de l'image. Sur ce plan, les deux candidats, à
maints égards, ne sont pas sur le même pied d'égalité (c'est un
euphémisme) 1
De surcroît, la guerre d'usure entre Didier Ratsiraka et Marc
Ravalomanana est largement relayée par les médias malgaches...
pour un temps (durant la crise) massivement acquis à ce dernier 1
Cependant, sur le plan international, le premier semestre de 2002 est,
pour Madagascar, une période d'incertitude et de tâtonnement.
Incertitude, parce que les grandes nations occidentales, les
principaux bailleurs de fonds, ne reconnaissent le pouvoir de Marc
Ravalomanana que tardivement, entre fin juin et début juillet.
Tâtonnement, car avant d'arriver à ce geste diplomatique de haute
symbolique (autant que de délivrance pour les Malgaches), les
occidentaux, au premier rang desquels la France ont longtemps
tergiversé.
Quant à l'Union africaine (ex-OUA), face au dilemme d'un pays qui
pendant quelques mois a compté deux pouvoirs, elle exclut de ses
membres la Grande île en juin 2002. Elle envisage néanmoins de
réintégrer Madagascar lors de son assemblée générale de juillet
2003.
10
Le 26 juin 2001, jour de la célébration de la fête nationale, le
président en exercice Didier Ratsiraka,«
marin de métier et
politicien de fortune» comme il aime à se définir, annonce sa
candidature à l'élection présidentielle du 16 décembre suivant. Celleci sera placée sous le signe « de la lutte contre la pauvreté, du
développement harmonieux de toutes les provinces et d'une
croissance autofinancée ».
Certains parmi les plus lucides de son camp lui demandent de passer
la main, comme d'ailleurs il s'y était solennellement engagé en
donnant sa parole d'officier lors de son retour au pouvoir après son
élection (déjà controversée) du 31 janvier 1997.
Quelques semaines plus tard, c'est au tour du maire d'Antananarivo
de se déclarer. Le dimanche 5 août, à l'issue du culte dominical,
Marc Ravalomanana, annonce sur le parvis du temple protestant de
son village ancestral d'Imerinkasinina,
près de la capitale, sa
candidature à cette même élection présidentielle.
Le duel peut alors commencer.
C'est le Premier ministre de l'époque qui ouvre le bal. Fidèle
lieutenant de Didier Ratsiraka, Tantely Andrianarivo
publie un
ouvrage regroupant son programme et ses perspectives. Surtout
destiné aux investisseurs, ce livret présente les dix bonnes raisons
pour investir à Madagascar. On y rappelle que la Grande île est
membre de la COI (commission de l'océan Indien), mais aussi
(bientôt) de la SADEC (South African Development & Economic
Community), du COMESA (Common Market of Eastern and southern
Africa) et du lOR (Indian Ocean Rim)...!
Le chef du gouvernement rappelle que la croissance économique dans
la Grande île est supérieure à la croissance démographique. En l'an
2000, elle fut de 4,8% avec une hausse de seulement 2,8% de la
population.
Le Premier ministre poursuit par des lieux communs: la population
est jeune, la moitié des Malgaches ayant moins de 20 ans. Donc une
main-d'oeuvre potentielle, réputée pour son habileté, et à très bon
marché. Les coûts de main-d'oeuvre restent, il est vrai, très
compétitifs: environ 7 % du prix d'un produit ou d'un service contre
compétitifs: environ 7 % du prix d'un produit ou d'un service contre
60% en Europe. D'ailleurs, d'après les sondages réalisés auprès des
opérateurs économiques, le coût très bas de la main-d'oeuvre
constitue le premier critère de l'installation des investisseurs étrangers
dans la Grande lIe.
Le gouvernement vante également la richesse naturelle de l'île.
« Nous disposons actuellement de 9,5 millions d'hectares de terres
vierges et fertiles. Madagascar est le pionnier de l'agriculture
biologique en Afrique».
Mais très vite, loin de l'allégorie de cette « propagande» pour
magazines occidentaux en mal d'exotisme et de « défiscalisation», les
coups bas pleuvent sur le plan de la politique intérieure et du
cadenassage du débat démocratique.
Le gouvernement décrète que « la publicité politique est interdite sur
tout emballage de produits destinés à la consommation publique». Là,
c'est la marque TIKO (produits frais laitiers fabriqués par le groupe
agroalimentaire de Marc Ravalomanana) qui est visée. Une enquête
fiscale est même diligentée contre le maire d'Antananarivo. Dans le
même temps, une association de « déshérités»
est créée
(<<Bemiranga »). Elle s'efforce de regrouper les jeunes de quartiers
populaires de la capitale traditionnellement acquis à Didier Ratsiraka.
Inquiet face à ces coups de boutoir, le quotidien Madagascar Tribune
du 19 octobre 2001 s'interroge sur les « ressources intellectuelles et
morales» de Marc Ravalomanana pour « résister à l'offensive et
renverser la situation à son avantage».
Dans un autre registre, celui des règlements de comptes, comme le
rapporte Mada-journal numéro 70 du 16 septembre, Tovonanahary
Rabetsitonta
ancien ministre de l'économie sous le régime du
Professeur Albert Zafy, chef d'entreprise et propriétaire de la radio
d'information politique Antsiva (qu'il cède au groupe L'Express de
Madagascar le 27 février 2003) à Antananarivo, annonce la très
probable fermeture de son établissement hôtelier "Le rubis" sis à
Antananarivo.
En rendant publique cette situation, il veut montrer la grande
insécurité des investissements et la virtualité de l'état de droit
12
économique dans la grande île en décourageant
investisseurs.
les potentiels
Un affichage très religieux
Entamant sa campagne électorale, Marc Ravalomanana se rend aux
« Journées nationales des jeunes catholiques» à Fianarantsoa en
compagnie du président de la FFKM (Fiangonana Jesosy Kristy eto
Madagasikara), l'église protestante calviniste dont il est lui-même
vice-président. Il rencontre de nombreux jeunes ainsi que des
étudiants et le puissant clergé catholique de la capitale du Betsileo. Il
poursuit sa tournée à Manakara, sur la côte sud-est, où il constate
l'état d'abandon de cette localité balnéaire et portuaire, il y a quelques
décennies si pimpante et si prospère.
Malgré cet affichage très religieux du maire d'Antananarivo, les
églises tiennent à montrer leur neutralité. Le pasteur Max Rafransoa
déclare: « que l'on ne se méprenne pas car la FJKM ne sera en aucun
cas le cheval de bataille de n'importe quel candidat et aucun candidat,
fut-il le vice-président de la FJKM (Marc Ravalomanana) ne peut
faire de la FFKM (Fikambanan' ny Fiangonana Kristiana Malagasy,
la fédération des églises chrétiennes malgaches) et encore moins de la
sa monture» (in Madagascar Tribune du 24 septembre 2001).
Le 7 septembre, l'association Tiako i Madagasikara (TIM) est
fondée par Marc Ravalomanana à Antananarivo avant d'être
implantée dans le Nord, à Antseranana (ex-Diego Suarez), puis dans
la région de la SAVA (Sambava, Antalaha, Vohemar et Andapa) cinq
jours plus tard.
Un « Fils de la Lumière» nous quitte
Alors que toutes les équipes se mettent en place pour le grand combat
du 16 décembre, une illustre figure du patriotisme et de la science
disparaît.
En effet, le 16 septembre,
le Professeur Albert Rakoto
Ratsimamanga,
chercheur à la stature internationale, membre de
l'Académie malagasy et membre correspondant de l'Académie des
sciences en France, rejoint ses illustres Ancêtres. Cependant, lucide
jusqu'au dernier moment, il a le temps de prier pour que la future
13
confrontation électorale se place sous le signe du Fihavanana, vertu
cardinale de tolérance, d'écoute et de consensus du peuple malagasy.
Élu "Homme du siècle" en 2000 par la presse malagasy, le petit-fils du
Prince Ratsimamanga, oncle de la dernière reine Ranavalona III,
Albert Rakoto Ratsimamanga
est né le 28 décembre 1907. Son
oncle est fusillé en 1896 dès les premiers moments de l'occupation
coloniale.
Son aïeul est passé par les armes en même temps que le général
Rainandriamampandry,
autre patriote sacrifié sur l'autel de la
« bêtise des soudards de la colonisation ».
Sur le plan politique, ce « Fils de la lumière» figure parmi les
fondateurs du Mouvement démocratique de la rénovation malagasy
(MDRM), le parti politique qui a toujours milité pacifiquement pour
l'autonomie, puis l'indépendance de la Grande lIe (voir à ce propos:
« L'énigme de 1947. Mémoires du Professeur Albert Rakoto
Ratsimamanga» entretiens avec Patrick Rajoelina). À l'avènement de
celle-ci, le 26 juin 1960, il est nommé successivement ambassadeur de
Madagascar à Paris, Moscou, Bonn, Pékin, et auprès de l'UNESCO.
Le 16 septembre, la nation malagasy perd donc un grand homme.
Des funérailles nationales ont lieu le jeudi 20 septembre en l'absence
remarquée de Didier Ratsiraka... qui ne rentrera (volontairement?!)
d'un long voyage d'agrément en France que le dimanche suivant.
Didier Ratsiraka rompt là ostensiblement avec le sens sacré du
Fihavanana et du respect des Anciens. À-t-il voulu rappeler là que
son camp (et celui de sa famille) était celui du PADESM (le« Parti
des déshérites de Madagascar» créé par les forces d'occupation
coloniales
- et
singulièrement
le Parti
communiste
français
-
pour
briser toute velléité autonomiste) et non pas celui du MDRM
qu'incarnait depuis l' origine (en 1946) avec beaucoup de dignité
Albert Rakoto Ratsimamanga?
Les autres candidats
Plus tard, les 21 et 22 septembre, c'est le Leader Fanilo qui tient ses
assises. Celles-ci se concluent par la candidature de He rizo
Razafimahaleo (aujourd'hui officiellement retiré de la vie politique),
14
sémillant chef d'entreprises et propriétaire du prestigieux quotidien
« L'Express de Madagascar».
Rappelons qu'Herizo Razafimahaleo, président national du Leader
Fanilo, est arrivé en troisième position avec plus de 15% de voix lors
du dernier scrutin présidentiel de 1996. C'est grâce à son report de
voix sur Didier Ratsiraka que ce dernier a gagné le second tour à cette
époque contre le Professeur Albert Zafy.
Mais cette alliance avec Didier Ratsiraka n'a pas grandement profité
au parti ultra-libéral d'Herizo Razafimahaleo, le Leader Fanilo. En
effet, au fil des années, Didier Ratsiraka est revenu à ses vieilles
habitudes. Sa famille (au plan économique) et son parti AREMA
(politiquement) ont mis le pays en coupe réglée au grand dam de ses
alliés... dont le Leader Fanilo. Dépité par cette pratique, ce parti
déclare qu'il ne sera pas cette fois-ci un allié de l'AREMA.
Le MFM (Mpitolona ho amin' ny Fanjakan' ny Madinika, le parti
des militants pour un pouvoir prolétarien dirigé par son fondateur
Manandafy
Rakotonirina),
quant à lui, réunit ses instances
dirigeantes les 28 et 29 septembre. Il appelle cyniquement à voter dès
le premier tour pour Marc Ravalomanana. En effet, le MFM, parti
expert en déstabilisation (!! !), est davantage connu pour avoir soutenu
Didier Ratsiraka pendant l'ère socialiste, la deuxième République (à
ce propos, lire « Quarante années de la vie politique de Madagascar
-
1947/1987 » de Patrick Rajoelina, L'Harmattan, 1988) que pour
s'allier avec un candidat libéral tel Marc Ravalomanana ! Depuis
longtemps, il est vrai, les liens formés par le couple MFM/ AREMA se
sont distendus.
Les trois autres candidats ne réaliseront que des scores marginaux. Ils
sont l'ancien président de la République, le professeur Albert Zafy,
originaire d'Ambilobe (province de Diego Suarez), l'industriel
originaire de Fandriana dans la province du betsileo Patrick
Rajaonary (président de Papmad-papeteries de Madagascar- et ancien
président du SIM, le syndicat des industriels de Madagascar) et le
pasteur tsimihety Daniel Rajakoba (province de Mahajanga).
15
Funeste Il septembre... pour Didier Ratsiraka
Cette date fut cruelle non seulement pour les milliers de victimes des
attentats terroristes à New York et Washington, mais également pour
Didier Ratsiraka. Ce dernier, dès l'annonce de la tragédie, accuse les
États-Unis de « collusion» avec les terroristes d'Al Qaïda!
Norbert Ratsirahonana,
ancien chef d'Etat par intérim en 1996
affirme que « les dollars de ce terroriste (Oussama Bin Laden)
travaillent (miaso eto) dans l'île... » (in Madagascar Tribune du 26
septembre 2001) semant le trouble dans les esprits.
Le ministre de la police, Azaly Ben Marofo, quant à lui, s'interroge
(RFI le 25 septembre 2001) sur « l'éventuelle existence d'un réseau
Bin Laden à Madagascar ». RFI, quant à elle, semble laisser entendre
que « Madagascar est un des pays récepteurs et recycleur de l'argent
sale à travers l'importation de riz pakistanais ». Avec quelle(s)
complicité(s) politique(s) et privée(s)?!
Au cours de sa conférence de presse du 26 septembre 2001 au palais
d'Etat de lavoloha, Didier Ratsiraka, pendant deux heures « se livre à
une chevauchée émaillée de sarcasmes et de moqueries à l'endroit
d'une nation encore éplorée (les État-Unis d'Amérique) » (in
Madagascar Tribune du 2 octobre 2001). Les réactions à cette
prestation singulière (c'est un euphémisme!!!) sont « globalement
négatives ». En effet, « nombreux déplorent cet anti-américanisme de
Didier Ratsiraka qu'ils croyaient enseveli sous les cendres de la
deuxième république (marxiste-léniniste) et après la chute du mur de
Berlin» (in Madagascar Tribune du 2 octobre 2001).
Pour certains hommes politiques, « Didier Ratsiraka aurait dû parler
en son nom personnel et non pas engager le peuple malagasy dans ces
diatribes contre les États-Unis» (in Madagascar Tribune du 2 octobre
2001).
« Mais quelle mouche a donc piqué Didier Ratsiraka pour tenir de
tels propos dans les conjonctures actuelles?", s'interroge Madajournal numéro 72 du 29 septembre après la conférence de presse de
Didier Ratsiraka. À part les journalistes, toutes les institutions de la
Grande lIe ont été convoquées par le président en exercice à cette
16
occasion (les sénateurs et députés, les membres du gouvernement
ainsi que tous les gouverneurs).
Pendant trois heures, de poncifs en mots « savants», il critique la
politique étrangère des États-Unis. "Nul ne peut se prévaloir de ses
propres turpitudes, note-t-il, car ce sont les Américains eux-mêmes
qui ont créé, aidé, armé et soutenu Oussama Bin Laden. Je ne
comprends pas la politique américaine". Il a rappelé ainsi les cas de
Saddam Hussein et Fidel Castro, soutenus par la CIA et devenus des
ennemis publics des États-Unis par la suite.
Aux yeux de Didier Ratsiraka, en effet, « les terroristes ont dû
sûrement bénéficier de la complicité d'un ou de quelques Américains
pour pouvoir commettre les attentats du Il septembre». Pour lui,
« dans la mesure où les Américains ont leur part de responsabilité
dans la formation de ces terroristes, il ne veut pas se prononcer
catégoriquement» .
Il faut préciser que dans la plus pure tradition malagasy, avant de
lancer ses diatribes, il demande pardon aux Américains! Mais
apparemment, cette « demande» n'est pas entendue outre-Atlantique,
car la réponse violente des Américains ne s'est pas fait attendre par le
biais du chargé d'affaires américain à Antananarivo Philip Carter.
Philip Carter, le 27 septembre 2001, n'y va pas par quatre chemins:
il refoule des fonctionnaires des Renseignements généraux des locaux
diplomatiques américains d'Antsavola où il donne une conférence de
presse. Au cours de celle-ci, il s'indigne contre les propos de Didier
Ratsiraka: « Dire que des agents (américains) sont impliqués dans ces
attentats, est une insulte aux victimes... » (in Madagascar Tribune du
2 octobre 2001).
Ce dernier ajoute que compte tenu de la situation actuelle, aucun pays
ne peut rester neutre. Soit ils sont avec les Américains, soit avec les
terroristes. Pour lui, l'allusion du Président malgache sur l'existence de
complicité américaine est "absurde et une insulte aux mémoires des
victimes
If.
Pour ce diplomate américain, la politique étrangère des États-Unis est
très claire: « Nous sommes ici pour soutenir le développement de la
démocratie, les échanges commerciaux, la tolérance et les échanges
17
d'idées. En appuyant les Moudjahidin, les Américains ne voulaient
pas la création d'un réseau de terroristes, mais veulent tout
simplement la paix »
Pour clore ce chapitre malheureux, notons un passage du livre de
Richard Labérivière « Les dollars de la terreur» (éditions Grasset1999) rapporté par la Lettre de l'océan Indien du 18 avril 1998 qui, à
propos des réseaux terroristes islamistes (les « Nouveaux Afghans»)
précisait: « Au coeur de l'océan Indien, Madagascar est devenu la
plaque tournante de leurs trafics de drogue (héroïne...). Surtout
concentrée
dans le nord du pays (Analabe, presqu'île
d'Ampasinda...), la production de cannabis atteignait 150 tonnes en
1996 ».
Plus tard, le 26 juin 2002, les Américains rendront la monnaie de sa
pièce à Didier Ratsiraka en étant les premiers à reconnaître la victoire
de son challenger Marc Ravalomanana.
« Il n'y aura pas de second tour»
En déposant sa candidature auprès de la Haute cour constitutionnelle
le jeudi 4 octobre, Marc Ravalomanana ne cache pas ses ambitions en
disant sa conviction « qu'il n'y aura pas de second tour ». Mais dans
un article de la Tribune de Madagascar du 12 octobre 2001 intitulé
« Marc Ravalomanana est-il un bon candidat? », le journaliste RAW
n'y va pas de main morte. Dans un paragraphe titré « Inculte », il
traduit en quelque sorte la principale préoccupation d'une partie de
l'intelligentsia et de la bourgeoisie malgache: « Du coup, avec ce
personnage taxé, à tord ou à raison, par ses détracteurs d'inculte et
d'incapable de débattre de politique en public et encore moins à la
télévision, une frange d'observateurs est sceptique quant à l'avenir de
la démocratie malgache ». La messe est dite... cruelle!
Pire, dans les colonnes électroniques de son édition du 3 novembre,
Mada-journal s'interroge:
« Sûr de lui et arrogant, Marc
Ravalomanana commence à semer la peur chez une frange de
l'électorat qui redoute les ravages potentiels qui peuvent toucher la
démocratie même, vu la personnalité du maire qui ne dispose pas
d'une classique assise politique. Il n'a ni député, ni sénateur et les
différents partis et groupuscules qui le soutiennent sont pour la plupart
des opportunistes qui en veulent à sa manne financière».
18
On verra en effet, par la suite, de nombreux caciques de l'AREMA
rejoindre en masse, sans vergogne et toute honte bue, le camp de Marc
Ravalomanana!
Le 14 décembre, à nouveau dans la Tribune de Madagascar, Rija
Rajohnson, ancien ministre des eaux et forêts et co-fondateur du parti
ultra-libéral Leader Fanilo dénonce « les deux frères RA TSIRA
(Ratsiraka et Ratsirahonana) » qui, selon lui, préparent déjà des
« dossiers compromettants (fraude fiscale, affaire Flamco...) » contre
Marc Ravalomanana, le patron de TIKO. Pour cet ancien ministre de
Didier Ratsiraka, « les deux acolytes» vont sortir ces dossiers entre
les deux tours des élections présidentielles. Cette manoeuvre ne visant
qu'à maintenir Didier Ratsiraka au pouvoir... et de faire de Norbert
Ratsirahonana son Premier ministre?!
Déjà, dans Midi Madagasikara du 5 décembre, lorsque le groupe
TIKO est attaqué sur l'affaire Flamco (vaste escroquerie qui a touché,
durant l'intermède Ratsiraka des proches du Président Zafy et du
Pasteur Richard Andriamanjato), son directeur général Heriniaina
Razafimahefa (futur ministre de l'économie et des finances) souligne
que ce groupe n'a rien à voir avec cet « imbroglio».
Premiers affrontements
Après que le scrutin du 16 décembre se soit déroulé à travers toute
l'île sans incident majeur, les premières manifestations en faveur de la
victoire au premier tour de Marc Ravalomanana ont lieu.
A Antananarivo, le 7 janvier 2002 en milieu de matinée, des heurts
opposent environ cinq cents éléments des forces de l'ordre malagasy à
environ 15.000 partisans de Marc Ravalomanana. L'affrontement est
de courte durée. Après avoir fait usage de grenades lacrymogènes les
forces mixtes de sécurité (armée, gendarmerie et police) préfèrent
battre en retraite au centre de la capitale malgache.
Des ambulances circulent entre le coeur de la manifestation, place du
13 Mai, et les hôpitaux. Bilan: un enfant en bas âge est tué et une
vingtaine de personnes blessées. L'enfant est mort asphyxié par le gaz
d'une grenade lacrymogène. Les victimes se trouvaient devant une
banque, où elles attendaient de toucher une prime offerte par un
organisme public à l'occasion des fêtes de fin d'année.
19
Mais dans l'attente de l'annonce des résultats officiels du scrutin du 16
décembre par la Haute cour constitutionnelle, Marc Ravalomanana,
sur la base du décompte des voix effectué par son organisation Tiako'i
Madagasikara (TIM) se considère élu avec plus de 53% des suffrages
exprimés.
De son côté, le ministre de l'Intérieur ratsirakien rend publics des
résultats complets, mais toujours officieux, qui créditent le maire
d'Antananarivo de 46,44% contre 40,61 % au président sortant Didier
Ratsiraka, contraignant les deux candidats à un second tour. Ces
résultats sont immédiatement rejetés par Marc Ravalomanana.
Sept des plus importantes représentations
diplomatiques
à
Antananarivo expriment, le mardi 8 janvier leur «profonde
préoccupation» devant l'évolution de la situation à Madagascar dans
l'attente des résultats officiels du premier tour de la présidentielle. Les
ambassadeurs de Grande-Bretagne, de France et du Japon, le chef de
la délégation de la Commission européenne et les chargés d'affaires
des Etats-Unis, de Suisse et d'Allemagne sont en effet «profondément
préoccupés par la tournure des événements qui mettent en danger la
paix civile à Madagascar».
Le 9 janvier,
le «consortium d'observateurs»
de l'élection
présidentielle conclut que Marc Ravalomanana l'a emporté dès le
premier tour avec près de 50,5% des suffrages en précisant toutefois:
«Nous avons décidé d'arrêter nos comptes après avoir collecté les
résultats de 75% des bureaux de vote, considérant le reste des procèsverbaux comme égarés ou détruits, et partant du principe que ces 75%
reflètent la moyenne nationale».
Toutefois, le doute subsiste dans le camp des « observateurs». En
effet, Madeleine
Ramaholimihaso,
la présidente du comité
d'orientation du «Consortium d'observateurs», insiste et explique à
l'AFP que le Consortium a arrêté sa collecte des résultats pour des
raisons matérielles à 75% seulement de l'ensemble des bureaux de
vote, en constatant simplement que Marc Ravalomanana «menait au
premier tour» sur la base des 75% de bulletins dépouillés.
« Selon nous, il a obtenu 50,49 % des voix, explique Madeleine
Ramaholimihaso. Mais j'ai toujours mis un bémol à ce résultat, car il
ne porte que sur 12 212 procès-verbaux (sur environ 16.500), faute
20