Colette Sepel, à propos de Ça s`est fait comme ça, par Gérard
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Colette Sepel, à propos de Ça s`est fait comme ça, par Gérard
> Mensuel 107 Retour au sommaire Colette Sepel Les points presse de gares ou d’aéroports ont ceci de précieux qu’ils permettent, ou du moins me permettent, des rencontres littéraires inattendues. C’est ainsi que je suis tombée sur ce livre de Gérard Depardieu, paru en 2014 et qui vient d’être édité en collection de poche. J’avais le souvenir, lointain mais toujours vivace, de ses Lettres volées 1 (1988), lettres fictives à des êtres pour la plupart chéris et pour certains disparus. Vingt-cinq textes tendres ou musclés, ou les deux à la fois, comme leur auteur, portraits, confessions ou secrets que je n’avais pu lire sans les entendre en même temps dits par leur auteur-acteur à la voix si singulière. « J’ai eu la chance de ne pas avoir de “famille”… » écrivait-il alors dans ce livre dédié à Julie et Guillaume, ses deux enfants. Plus d’un quart de siècle est passé, Guillaume est mort, Gérard, qui avait eu tant de mal avec l’exercice de la paternité, a eu depuis deux autres enfants, avec lesquels il dit se débrouiller mieux, d’autant qu’il ne vit pas, voire n’a jamais vécu avec leurs mères respectives. Ce point pourrait intéresser les psychanalystes que nous sommes mais ce n’est pas celui qui m’a retenue et sur lequel je voudrais insister. Si je vous invite à la lecture de Ça s’est fait comme ça, c’est qu’un sujet y témoigne de son rapport à la langue, au langage. L’adolescent qui, comme son père, ne parlait pas, bégayait même, le petit délinquant culotté, est tombé à 17 ans et par « chance » amoureux des textes des grands auteurs. Il a été saisi par leur beauté, leur musicalité, tout en n’y comprenant rien, ils restaient hors sens, musique pure. Celui qui, comme il le précise, revient de loin, celui qui, comme Poutine chez qui il reconnaît un semblable, aurait pu « finir voyou », rencontre non pas l’armée et le KGB mais quelques figures remarquables, dont un psychologue exerçant en prison et qui lui reconnaît des « mains d’artiste », et surtout Jean-Laurent Cochet qui l’accepte gratuitement à son cours de théâtre et qui va lui permettre de se trouver, de trouver sa voie et de retrouver sa voix. Il envoie en effet le jeune acteur à ❚ 72 ❚ Lectures À propos de Ça s’est fait comme ça, par Gérard Depardieu * > Mensuel 107 Retour au sommaire la présence indéniable mais qui manque de mots (« les mots des autres me permettaient de remplacer ceux que je n’avais pas », écrit Gérard Depardieu) consulter le fameux docteur Tomatis qui, devant les problèmes d’élocution du jeune acteur, diagnostique un défaut d’audition (ce dont il était spécialiste, ce que je me permets de préciser pour ceux, plus jeunes, qui n’ont pas eu écho de la renommée du fameux docteur). Non pas une surdité, ce qui serait un moins, mais au contraire un plus, un trop, une hyperaudition qui le pousse à se taire. Diagnostic salvateur qui lui permet de dépasser le traumatisme, le trop-matisme de l’enfance, celui qui lui a fait perdre sa voix (et, pourrait-on ajouter, en partie sa boussole), pour devenir un acteur d’exception reconnu du monde entier. Mais un trop qui, quand on considère celui que Gérard Depardieu est devenu, persiste autrement. Je ne vous en dirai pas plus… < * G. Depardieu, avec la collaboration de L. Duroy, Ça s’est fait comme ça, Paris, 2014. Éditions, G. Depardieu, Lettres volées, Paris, J.-C. Lattès, 1988. ❚ 73 ❚ Lectures < 1. XO