L`invention de la psychanalyse - Association Freudienne de Belgique

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L`invention de la psychanalyse - Association Freudienne de Belgique
Le Bulletin Freudien nº 50-51
Avril 2008
En revisitant quelques archives 1
Catherine Simonart
L’Ecole Freudienne de Paris et l’Ecole Belge
Je n’ai été membre ni de l’E.F.P. ni de l’Ecole Belge 2.
La dissolution de l’E.F.P. est intervenue au moment où je m’apprêtais selon la
règle en vigueur à faire mon « tour » auprès de didacticiens de l’Ecole Belge.
L’élan et l’effervescence suscités par l’appel de Lacan du 5 janvier 1980 étaient tels
que j’ai choisi de me rallier à la Cause Freudienne. Inscrite au C.E.R.F., j’ai pris
part au groupe Mésalliances. J’ai été admise à l’Association Freudienne au début
de l’année 1983.
Emergence et rôle de Mésalliances
Caractéristiques
Mésalliances est une expérience d’organisation minimaliste visant à coordonner
les initiatives de sujets ne se soutenant que de leur seul désir. Se situant hors
1.
Titre de la rédaction.
2.
En ce qui me concerne, la psychanalyse constituait le principal attrait du programme
des cours de l’Institut de psycho à l’UCL à la fin des sixties. Elle y occupait au demeurant une place enviable. Au sortir de mes études et pendant une douzaine d’années,
j’ai été amenée à m’engager successivement dans l’enseignement en Côte d’Ivoire, le
jeune théâtre et la recherche, tout en entamant une analyse personnelle, avant d’en
venir à la clinique analytique.
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institution, l’expérience excluait toute délégation de pouvoir. Elle se limitait à un
« pur fonctionnement qui veut se déprendre du penchant à faire groupe, même
si celui-ci veut se caractériser de ne pas vouloir faire institution » 3. Le travail de
secrétariat était confié à des « tâcherons » désignés par le sort.
Création, mouvement transférentiel
Dans les temps qui ont suivi la fronde déclarée par les anciens compagnons de
Lacan à l’égard de l’Ecole de la Cause à Paris 4, la plupart des analystes belges qui
avaient adhéré à la Cause Freudienne ont manifesté leur désir de poursuivre le
travail entamé ensemble sans calquer en Belgique les scissions du mouvement
lacanien à Paris. Il faut dire que plusieurs cartels et diverses initiatives d’enseignement avaient vu le jour à la rentrée de septembre 1980. Les enseignements de
clinique psychanalytique et sur la topologie de la psychanalyse au « Vieux SaintMartin » au Sablon à Bruxelles entre autres rencontraient un vif succès notamment
auprès des juniors avides de se former.
Dans un esprit d’indépendance à l’égard des conflits parisiens, d’autres activités
de réflexion et d’enseignement furent proposées dans les premiers mois de l’année
1981 à l’initiative de certains analystes tels que P. De Neuter (Entretiens avec Ch.
Melman sur les psychoses le 1er mars 1981 au Château Malou et mise en place avec
N. Stryckman et S. Salama des « Rencontres Freudiennes »5), D. Thibaut (journée
de travail sur la « proposition d’octobre » de J. Lacan à l’auberge de Boendael le
1er mai 19816), J-P. Lebrun (après-midi de travail consacrée à « Ethique et transfert » le 4 juillet 1981), etc.
Dans le courant de ce premier semestre 1981, des groupes se dessinaient néanmoins, les uns s’affiliant à l’Ecole de la Cause Freudienne, les autres adhérant au
Centre d’Etudes et de Recherche Freudiennes lancé par Ch. Melman, J. Clavreul
et S. Faladé (C.E.R.F.). Les « Rencontres Freudiennes », en dépit d’une volonté
affichée d’indépendance, se référaient quasi exclusivement aux responsables
parisiens du C.E.R.F.
3.
Texte fondateur de Mésalliances adopté le 28 juillet 1981.
4.
Lettre ouverte du 25 janvier 1981 de L. Beirnaert, G. Sapriel, M. Czermak, T. Parisot,
D. Chauvelot, R. Bailly, A. Lehmann, P. Bastin, J. Clavreul, P. de Cabarrus, S. Faladé,
C. Simatos, C. Dorgeuille, C. Dumézil, Ch. Melman, A. Didier-Weil, O. et M. Mannoni,
A. Rondepierre, J.-D. Nasio, J. Allouch, J. Mouchonnat.
5.
Conférence et séminaire de J. Clavreul les 22 et 23 mai 1981.
6.
Précédé par un appel, le 25 février 1981, à ceux qui souhaitent « Poursuivre avec
Lacan » en Belgique
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En revisitant quelques archives
« Mésalliances » procédait du désir de préserver au titre de « spécificité belge » la
transversalité entre les groupes constitués ou en voie de l’être7. Cette expérience
radicale, qui dura formellement un peu plus d’un an (juin 1981-septembre 1982),
a peut-être permis de faire le deuil d’une Cause Freudienne qui en Belgique aurait
échappé aux divisions du mouvement lacanien à Paris.
Dénomination
Dans les Etudes sur l’hystérie, Freud parle de « mésalliance » quand le malade
reporte sur la personne du médecin les représentations pénibles nées du contenu
de l'analyse8. Dans le texte fondateur de Mésalliances tel qu’il a été adopté le 28
juillet 1981, le terme était écrit au pluriel. Il conjoignait ainsi la première formulation freudienne du transfert et les « fausses liaisons », falsche Verknüpfungen, où
l’inconscient se donne accès dans l’expérience du discours. Le choix du signifiant
« Mésalliances » manifestait le désir de mettre en place une structure collective où
il serait tenu compte de l’inconscient. C’est ainsi que je lis le titre du document du
28 juillet 1981 : « Pour la mise en place d’une structure pouvant favoriser un mode
de travail psychanalytique qui se maintiendrait dans un rapport critique au “peu
de groupe” : Mésalliances ».
Rôle
Mésalliances a joué un rôle effectif de courrier, en rassemblant et en diffusant les
offres de travail (cartels, présentations de malades, journées d’étude, séminaires,
conférences, entretiens cliniques) 9.
Toutefois, « une fois les offres faites, le courrier a subi un progressif tarissement ;
il n’a guère servi comme lieu d’échange et de relance des avancées subjectives de
tout un chacun sur les questions prioritairement retenues, comme la dissolution
ou la transmission… »10.
7.
Lettre du 29 juin 1981 de J-P. Lebrun.
8.
S. Freud, Etudes sur l'hystérie, Paris, PUF, 1967, p. 244 et s.
9.
Lettre du 9 septembre 1981 des « tâcherons provisoires désignés par le sort, N. De
Neuter-Stryckman, M. De Wolf et B. Lapy ».
10. Lettre du 15 septembre 1982 actant la cessation du projet de Mésalliances et signée des
« tâcherons provisoires désignés par le sort, N. De Neuter-Stryckman, M. De Wolf et
B. Lapy ».
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La séparation des personnes qui se trouvaient dans Mésalliances, la question du
maître et celle du fondateur.
Contexte : constitution du C.E.R.F. Belgique, scission du C.E.R.F. parisien, ses
répercussions sur le C.E.R.F. Belgique, fondation de l’Association des Cartels
Freudiens (B), fondation de l’Association Freudienne à Paris et de l’Association
Freudienne en Belgique, fondation du Questionnement Psychanalytique.
Constitution du C.E.R.F. Belgique
Au dernier trimestre de l’année 1981, diverses personnes qui se trouvaient dans
Mésalliances avaient constitué par ailleurs un groupe C.E.R.F. Belgique composé
des belges inscrits au C.E.R.F. lancé le 7 mars 1981 par Ch. Melman, J. Clavreul et
S. Faladé : M.R. Boodts, J. Daveloose, N. De Neuter-Stryckman, P. De Neuter, R.
Geeraert, B. Lapy, J. Lamy, Cl. Mordrel, J.Cl. Quintart, S. Salama, C. Simonart,
D. Thibaut, Z. Veress. Ce regroupement s’est réuni le 28 novembre avec C. Calligaris à l’occasion des journées d’étude sur « Le fantasme dans la cure analytique »
afin d’échanger sur les questions du travail de dissolution, de l’enseignement de
la dissolution et des propositions concrètes « pour un lien social nettoyé d’aucune
nécessité de groupe ». Il s’est réuni à diverses reprises dans le courant du dernier
trimestre 1981 et du 1er trimestre 1982 et s’est doté d’un secrétariat provisoire.
Scission du C.E.R.F. parisien et ses répercussions sur le C.E.R.F. Belgique
Suite au départ de Ch. Melman du C.E.R.F. acté dans les « Correspondances » du
2 avril 1982 du Secrétariat parisien (lettres de S. Faladé, de J. Clavreul et de G.
Sapriel), le groupe C.E.R.F. Belgique décide de promouvoir la création d’un
groupe belge de psychanalystes lacaniens, administrativement autonome, mais
qui « entretiendrait cependant des liens étroits avec certains psychanalystes de
l’ex-Ecole Freudienne ayant inscrit aujourd’hui leur travail dans le cadre des
Cartels constituant, du C.E.R.F., du Discours Analytique […] »11.
Fondation de l’Association des cartels freudiens (B)
Aux membres de l’ex-C.E.R.F. Belgique s’ajouteront ceux qui de Mésalliances
n’avaient pas adhéré au C.E.R.F., pour former, le 24 mai 1982, un nouveau groupe
belge qui se dénommera « Association des Cartels Freudiens » (A.C.F.) L’une des
11. Lettre du 1er mai 1982 de Cl. Mordrel convoquant à la réunion du 24 mai 1982 qui se
tiendra chez J. Daveloose et qui définira les objectifs du groupe, sa dénomination, son
organisation et ses activités l’an prochain.
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propositions votées par les « membres constituants » prévoyait que « les analysants éviteront de participer aux cartels et aux groupes de travail institutionnel
dans lesquels ils retrouveraient leur psychanalyste. » Vu cette disposition je n’ai
pas pu y prendre part. L’A.C.F. sera composé de R. Aron, M.R. Boodts, J. Convent,
J. Daveloose, N. De Neuter-Stryckman, P. De Neuter, M. De Wolf, R. Geeraert,
J. Lamy, J-P. Lebrun, B. Lapy, Cl. Mordrel, D. Thibaut, Z. Veress.
La formulation des objectifs du groupe a évolué entre mai (texte constitutif) et
septembre 1983 (présentation de l’A.C.F. et de ses activités 1983-1984) mais à la
différence du « peu de groupe » du projet Mésalliances et de ses accents libertaires, il s’agissait pour l’essentiel de mettre en acte, selon un mode de travail assez
structuré, les principes des enseignements de Freud et de Lacan dans la direction
de la cure et d’en tirer les conséquences quant à l’institution psychanalytique. Les
membres de l’A.C.F. étaient appelés à travailler en cartels constitués par tirage au
sort et mettant régulièrement en commun les résultats de leur travail dans des
séances d’intercartels12.
Fondation de l’Association Freudienne (Paris). Constitution de l’Association Freudienne en Belgique
Le 26 juin 1982, la veille d’une journée d’étude « La psychanalyse des enfants »
organisée à l’initiative de Ch. Melman, une trentaine de psychanalystes réunis à
son domicile décident de créer l’Association Freudienne.
Les psychanalystes belges admis à cette association (N. De Neuter-Stryckman, P.
De Neuter, R. Geeraert, B. Lapy, J. P. Lebrun, C. Simonart et D. Thibaut) se
regroupent en septembre 1983 pour lancer une invitation à un séminaire mensuel
de Ch. Melman sur « La question de l’hystérie après J. Lacan » qui se tiendra au
Château Malou. Les mêmes invitent également à un séminaire mensuel d’étude
clinique sur « La direction de la cure de l’hystérique » qui sera tenu au même
rythme. Ils constitueront l’année suivante l’Association Freudienne en Belgique,
association de fait qui se muera en 1989 en association de droit, Association
Freudienne de Belgique, asbl.
Le questionnement psychanalytique
Divers membres de l’ex-Association des Cartels Freudiens (R. Aron, J. Convent,
J. Daveloose, M. De Wolf, Cl. Mordrel, Z. Veress auxquels se joindra B. Weyer-
12. Document de présentation de l’A.C.F. diffusé à la fin du mois de septembre 1983 avec
en annexe une série de propositions de travail (cartels, groupes de travail, présentations de malades, etc.).
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gans), réticents à ce qu’ils jugeaient comme une inféodation à l’Association
Freudienne (Paris), constitueront quant à eux, le 5 juillet 1984, le « Questionnement psychanalytique » dans l’optique d’approfondir l’interrogation sur « la formation du psychanalyste, les étapes cruciales du déroulement de la cure et sa fin,
le contrôle, sa nécessité, ses effets, la fonction des divers jurys, l’histoire
psychanalytique des institutions analytiques… » 13
L’acte initial de fondation de l’Association
L’Association Freudienne en Belgique a résulté du regroupement des membres
belges de l’Association Freudienne. L’acte initial fut une réunion, le 17 mai 1984,
de P. De Neuter, J-P. Lebrun et D. Thibaut concernant l’organisation et les projets
belges, à la suite de laquelle ils ont convoqué une « assemblée générale » des sept
membres belges de l’Association Freudienne (N. De Neuter-Stryckman, P. De
Neuter, R.Geeraert, B. Lapy, J-P. Lebrun, C. Simonart et D. Thibaut). Cette assemblée s’est tenue le 21 juin 1984. Elle a mis en place la première structure de
l Association Freudienne en Belgique et réparti les tâches et compétences.
L’Association Freudienne de Belgique asbl est une suite logique. On en parlait déjà
en 1985 avec projet de statuts à l’appui. Le texte des statuts définitifs a été approuvé à mon domicile, 8, rue Berckmans à Saint-Gilles le 29 avril 1989 lors d’une
assemblée qui a suivi immédiatement une réunion de travail avec Ch. Melman sur
« les homosexualités ». Le même jour il a été procédé à l’élection de P. De Neuter
comme président. Cette journée mémorable s’est clôturée par une soirée-buffet
organisée chez A. Crommelynck, à Woluwe-St-Lambert.
Le Bulletin freudien
Le premier numéro du Bulletin freudien coordonné par J-P. Lebrun a paru en
septembre 1984 sous le titre de « Bulletin de l’Association Freudienne en Belgique ». Diverses dénominations avaient été suggérées telles que « Hiles », « Erresi », « Palimpseste », « Freudement »… Finalement, c’est le titre « Bulletin de l’Association Freudienne en Belgique » proposé par Yvonne Bragard qui a été adopté.
Il assurait en effet une certaine visibilité à l’association naissante.
Le Bulletin a-t-il été le premier lieu institutionnel ? Il n’est pas certain qu’il ait été
le premier « lieu » car il a été à tout le moins précédé d’une démarche collective
d’organisation d’un enseignement. Il revêtait néanmoins une grande importance.
Les éditoriaux des premiers numéros du Bulletin étaient rédigés et cosignés par
tous les membres de l’A.F.B. qui en constituaient le comité de rédaction. Les
13. Le Questionnement Analytique, 1985
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réunions étaient essentiellement vouées à ce travail. On peut dire du Bulletin qu’il
fut dès ses débuts un « lieu » fédérateur.
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