Interview de Jean-Claude Kaufmann à propos de son livre Sex

Transcription

Interview de Jean-Claude Kaufmann à propos de son livre Sex
Interview de Jean-Claude Kaufmann à propos de
son livre Sex@amour
***
Internet m’a prise dans ses filets… L’explosion de « la Toile » marque
l’avènement de relations amoureuses d’un nouveau genre. Dans « Sex@mour »,
le sociologue Jean-Claude Kaufmann s’est penché sur les bouleversements
initiés par cet outil virtuel redoutable, en particulier chez les femmes. Interview.
La relation 2.0
Terrafemina : En quoi Internet change-t-il les règles du jeu de la relation
amoureuse ?
Jean-Claude Kaufmann : Internet n’efface pas tout. Il ajoute un nouveau
monde de relations. Le changement principal s’incarne dans une séparation de
la rencontre en deux temps. Le premier, celui de la prise de contact, tend à se
banaliser et pas seulement sur les sites de rencontre mais également sur les
réseaux sociaux et les blogs. Cette phase, rendue banale, permet le jeu. Le
virtuel et la distance permettent aux plus timides de s’enhardir, et à tout un
chacun de se désinhiber car derrière, il y a un énorme confort psychologique.
On peut « débrancher » quand on veut ! Les relations commencent vite et vont
très loin. On plonge rapidement dans l’intimité de l’autre car la virtualité invite
à se livrer plus rapidement et plus intensément. C’est donc la suite qui va poser
problème…
TF : La rencontre et le passage à la réalité ?
J.-C. K. : Oui car on remet les compteurs à zéro. La rencontre fait tout drôle,
pourtant on était allés très loin. Brutalement, c’est l’image qui joue, avec un
sentiment d’attirance ou bien au contraire de rejet. Même si on est passé par
l’étape de la photo et/ou de la webcam, la réalité peut tout bouleverser en un
instant. La rencontre est un retournement et un risque de devoir s’engager, de
ne plus pouvoir se retirer aussi facilement de la relation.
Sexe et engagement
TF : Pourquoi l’engagement nous fait-il si peur ?
J.-C. K. : Depuis le tournant des années 60, les femmes ont devant elles un
espace de choix plus large d’où un questionnement sur soi et sur l’avenir. « Estce que je souhaite m’engager ? Avec qui ? Que dois-je faire ? Est-ce moral ?...
sont les questions que se posent beaucoup de femmes. Cette société de la
liberté de choix généralisée où l’individu peut construire sa vie et faire ses
propres choix dans tous les domaines, pas seulement dans sa vie amoureuse.
Aujourd’hui, on ne sait plus quels sont les repères, on a besoin de se rassurer et
de trouver des références car il n’y a plus de norme à proprement parler.
TF : Où en est-on avec « le sexe pour le sexe » ?
J.-C. K. : « Il n’y a pas de mal à se faire du bien ». Voici la phrase que l’on
retrouve souvent sur les forums à ce sujet. La question qui se pose
actuellement c’est de savoir si la sexualité ne pourrait pas être un loisir comme
un autre. Or, on ne peut séparer la sexualité de l’affection et du sentiment.
Donc ce n’est pas « du sexe pour du sexe » ! Aujourd’hui, il existe entre sexe et
amour, ce «sexamour» fait de petites attentions mais dans lequel on ne
s’engage pas réellement. On assiste à une véritable inversion historique.
Autrefois, on commençait une relation par le sentiment, puis on se donnait de
passer aux relations sexuelles avec le temps. Maintenant c’est totalement
l’inverse !
Internet etc…
TF : Internet permet-il de s’engager dans une relation sérieuse ?
J.-C. K. : De plus en plus, et même si l’envie d’une histoire d’amour continue à
être au centre des désirs chez la femme, les deux sexes recherchent la
rencontre « pour le fun », pour un soir. Alors, on se moque de correspondre ou
non aux critères de l’autre, on se met beaucoup moins la pression. On est donc
plus authentique et on s’abandonne beaucoup plus facilement. Or pour que
naisse une histoire, pour que ça marche, il faut savoir se lâcher. Aujourd’hui,
beaucoup de grandes histoires d’amour commencent par une petite histoire,
bien loin de la scène romantique du coup de foudre au premier regard.
TF : Internet est à la fois un sujet d’étude mais également un sujet pour le
sociologue ? Est-il fiable ?
J.-C. K. : L’univers d’internet est nouveau pour le sociologue. C’est un océan
gigantesque de profils et d’informations. Les internautes se croient protégés
par leur pseudo, et se livrent alors avec une sincérité déconcertante, même s’il
est vrai que certains se mettent en scène et font preuve de dérision. On
débusque très vite ces derniers. Le problème de l’enquête sur l’internet vient
de la source de l’information. On ne peut pas utiliser des témoignages sans
savoir d’où ils viennent, qui est la personne qui parle, connaître son histoire…
Sex@mour est le fruit d’une enquête de 18 mois, et encore je suis resté
observateur, je n’ai créé aucun profil.
TF : N’y-a-t-il pas des risques à se livrer aussi facilement sur la toile ?
J.-C. K. : Les gens se déclarent inquiets quant à l’utilisation de leurs données
personnelles mais dès qu’ils rentrent dans une logique de profil, de blog, et
qu’ils créent leur petit monde à eux, une certaine confiance qui s’installe. On
oublie l’immensité de la toile, la profondeur de la mémoire numérique et tous
les liens qu’internet peut avoir avec la vie réelle. Ce plaisir de se raconter n’est
pas narcissique mais irrésistible. C’est une manière d’exister autrement !
Sources : http://www.terrafemina.com/vie-privee/sexo/articles/790-sexmour--la-carte-du-tendresur-la-toile.html

Documents pareils