Sorciere jardin secret

Transcription

Sorciere jardin secret
KIM Jin-kyeong
La
Sorcière
et le jardin
secret 1
Illustrations de Kim Jae-hong
Traduit du coréen
par Lim Yeong-hee
et Mélanie Basnel
Picquier jeunesse
Du même auteur
aux éditions Philippe Picquier
L’Ecole des chats
L’Ecole des chats volume 1 poche
L’Ecole des chats volume 2 poche
Les Nouvelles aventures poche
Les Dernières aventures poche
Le Secret d’Angkor
Les Clones d’Apophis
L’Ame de cristal
La Guerre des Ombres
Ouvrage publié sous la direction de
Lim Yeong-hee
Titre original : 1. Boulogne soup eui manyeo
© 2016, Kim Jin-kyeong and Kim Jae-hong
First published by Munhakdongne publishing Corp. Ltd., Korea
Tous droits réservés
© 2016, Editions Philippe Picquier
pour la traduction en langue française
Mas de Vert
B.P. 20150
13631 Arles Cedex
ISBN : 978-2-8097-1160-8
groupement d’imprimeurs spécialisés,
Fabrication
Imprimé et façonné en U.E., 1er trimestre 2016.
www.print-team.fr
Dépôt légal : Mars 2016
Sommaire
Un chat nommé Volontaire ............................................................... 7
La légende du jardin secret .............................................................. 19
La visite des chats de cristal ............................................................ 29
La sorcière cathare ............................................................................ 39
L’aventure de Volontaire .................................................................. 49
Ma grand-mère est une sorcière ? ................................................... 63
Le chapeau de magicien du peuple Evenk .................................... 73
La Porte du Temps ............................................................................ 91
Une bataille pendant l’assemblée nocturne d’Eclair ................ 103
Le jardin secret ................................................................................. 117
Un chat nommé Volontaire
Mina et Lucas se séparèrent à une bifurcation. Ils revenaient de
l’animalerie où ils avaient acheté de la nourriture pour chats. Lucas
était un camarade de classe de Mina, le premier ami qu’elle s’était
fait en arrivant en France. Comme ils habitaient le même quartier,
ils faisaient tous les jours le trajet ensemble pour aller à l’école et
en revenir. On était samedi, il n’y avait donc pas école, mais Lucas
avait appelé Mina ce matin-là et lui avait proposé de l’accompagner acheter des croquettes. Le garçon voulait aussi en profiter
pour s’inscrire à un concours de beauté félin qui aurait lieu bientôt
dans un café. L’événement était organisé chaque année par un club
d’amoureux des chats, et les inscriptions se faisaient à l’animalerie.
La chatte de Lucas était de la race « bleu russe » et sa fourrure
était d’un magnifique bleu-gris. Elle avait un air très intelligent et
s’appelait Tété. D’après Lucas, elle avait même un pedigree, elle
méritait donc amplement de participer à un concours de beauté.
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Mais le chat de Mina, Volontaire, était un félin tout à fait ordinaire
comme on en croise partout dans les rues. Il était un peu trapu, et
c’était une vraie tête de mule qui ne faisait que ce qui lui plaisait.
Il avait aussi une étrange habitude, dont vous saurez plus tout à
l’heure. Mina n’avait d’abord eu aucune intention de le faire participer à ce concours, mais face à l’insistance de Lucas et du propriétaire de la boutique, elle avait fini par céder. Et à présent, elle
craignait qu’elle et son chat se fassent humilier le jour J.
Absorbée dans ses pensées, Mina arriva devant chez elle sans
même s’en rendre compte. La fillette habitait au deuxième et dernier
étage d’un petit immeuble. Elle appuya sur la sonnette et sa mère
vint lui ouvrir la porte, le combiné du téléphone collé à l’oreille.
— J’ai préparé ton déjeuner, il est sur la table, sers-toi, lui souffla-t-elle avant de reprendre sa conversation téléphonique. Donc,
je te disais que l’opération des genoux de Nanie s’est bien passée, sa
rééducation a été efficace, et on nous a dit qu’elle pourrait rapidement quitter l’hôpital. Mais elle a soudain contracté une pneumonie aiguë. Les médecins nous ont expliqué que suite à l’anesthésie
générale qu’elle avait eue pour l’opération, un peu de salive et de
glaires étaient passées dans ses bronches avant son réveil et ils
ont dû la placer en soins intensifs. C’est la raison qu’ils nous ont
donnée. En tout cas, elle est maintenant sous respirateur artificiel.
Elle est allée à l’hôpital pour se faire soigner et finalement, elle y a
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attrapé une maladie qu’elle n’avait pas ! Voilà où on en est, à croire
qu’on l’a envoyée là-bas pour y laisser la vie !
Sa mère devait être en train de discuter avec sa tante qui vivait
en Corée. Tout à coup, l’image de sa grand-mère sous respirateur
artificiel, allongée dans la salle de soins intensifs, surgit dans son
esprit.
— Désolée, Nanie, chuchota Mina.
La tête occupée par ce concours de beauté félin qui d’ailleurs
ne l’intéressait pas plus que ça, elle avait totalement oublié sa
grand-mère. Elle eut le sentiment de l’avoir trahie car c’était de sa
faute si elle s’était blessé.
Un dimanche, environ un mois plus tôt, Mina et sa grand-mère
étaient allées se promener dans le bois de Boulogne. Dans cette
forêt, on trouve non seulement des sentiers de promenade, mais
aussi quantité d’infrastructures de loisirs comme une piscine, un
parc d’attractions, des musées, etc. De nombreux citadins viennent
y passer la journée. Ce jour-là, il faisait beau et il y avait beaucoup
de monde, les gens venaient profiter du soleil. Mina et sa grandmère s’étaient engagées au début de l’avenue Foch et avançaient
sur un sentier menant à un lac quand elles avaient aperçu devant
elles un chat à longs poils blancs. Ce devait être un angora.
Mina s’était accroupie et avait tendu la main vers le chat, mais il
ne bougeait pas. A ce moment précis, l’angora s’était jeté vers elle,
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et la fillette, surprise, s’était vite caché le visage derrière ses deux
bras. Sa grand-mère avait crié, presque simultanément, en brandissant sa canne :
— Sale bête !
Mina avait eu juste le temps de voir trébucher la vieille dame,
et s’était encore plus recroquevillée, terrorisée à l’idée de se faire
griffer. Finalement, il ne s’était rien passé, elle n’avait entendu
que des miaulements qui s’étaient calmés peu après. Lorsqu’elle
avait enfin levé la tête, elle avait vu l’angora s’enfuir loin entre les
arbres, pourchassé par un grand chat avec une tête semblable à
celle d’une lionne. Un autre matou corpulent et à l’épaisse fourrure brune observait sa grand-mère étendue sur le sol. A son
cou, un petit pendentif en cristal avait étincelé un instant sous
la lumière.
— Est-ce que ça va ? s’était inquiétée une femme de grande
taille qui devait avoir la trentaine et avait surgi tout près d’elle. Il
me semble que ta grand-mère s’est blessée.
Elle était habillée de façon assez extravagante. On aurait dit
qu’elle sortait tout droit d’un tableau d’autrefois. L’étrange jeune
femme avait accompagné Mina et sa grand-mère, en soutenant
cette dernière, jusqu’à une route qui traversait tout le bois de Boulogne. Elle avait ensuite disparu entre les grands arbres en chantant à voix basse.
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A présent, sur cette terre seuls les chats et la sorcière
Savent comment vivre élégamment.
Ce refrain énigmatique avait laissé un long écho derrière elle.
Mina entendit le bruit des pas de sa mère se dirigeant vers le
vestibule. Elle se leva de table et alla elle aussi en direction de
l’entrée.
— Tu arrives vers dix heures après-demain, c’est bien ça ? Je
viendrai te chercher en voiture à l’aéroport Charles de Gaulle.
Je suis impatiente que tu sois là et j’espère que tu pourras faire
quelque chose. Bon, à très bientôt, au revoir.
Sa mère raccrocha le téléphone et ouvrit la porte d’entrée.
— Maman, est-ce que moi aussi je peux venir voir Nanie tout à
l’heure ? demanda Mina.
— Toute seule ? répliqua sa mère en fronçant les sourcils.
— Je vais proposer à Lucas de m’accompagner. Il m’a dit que
ses parents s’inquiétaient aussi pour Nanie.
— En effet, sa mère m’a appelée. D’accord, si tu veux venir avec
lui, ça me va.
Sur ce, la mère de Mina sortit deux billets de dix euros de son
portefeuille et les tendit à sa fille.
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Mina, tout en parlant au téléphone avec Lucas, jeta un coup d’œil
dans la cour, par la fenêtre. En réalité, ce n’était pas vraiment une
cour mais un toit-terrasse. La famille de Mina occupait un appartement en forme de L au deuxième étage d’un petit immeuble de résidence, et pouvait utiliser le toit du premier étage comme une cour.
La fillette aperçut son chien Pifi et son chat Volontaire dans un coin.
La chienne grognait furieusement contre le chat.
— Volontaire essaie encore de téter les mamelles de Pifi. Et
elle, elle a l’air très remontée ! raconta Mina à Lucas sans quitter
ses animaux des yeux.
— Comment un chat aussi gros peut-il encore vouloir téter
des mamelles, qui plus est celles d’un chien ! commenta le garçon
avant d’éclater de rire à l’autre bout du fil. Ça mériterait de passer dans une émission comme « 30 histoires extraordinaires » ou
dans un documentaire animalier.
— Il ne fait pas ça tout le temps, seulement deux ou trois fois
par jour.
Volontaire était un chat costaud, plutôt trapu, âgé d’à peine
plus d’un an. Mais de manière assez curieuse, au moins deux ou
trois fois par jour il devenait inerte et absent. Dans ces moments,
il cherchait frénétiquement quelque chose qui ressemble à une
mamelle. Le vétérinaire n’avait trouvé aucune cause à ces symptômes. Heureusement, le chat retrouvait assez vite son état normal
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sans qu’on ait besoin de lui administrer un médicament, il suffisait
qu’il suce un objet à la forme proche d’une tétine. Mais à cause de
ça, Pifi subissait un véritable calvaire.
Mina raccrocha le téléphone et sortit dans la cour. Volontaire et
Pifi se chamaillaient toujours. La pauvre chienne avait les mamelles
couvertes de morsures. Si Volontaire avait tété sagement, Pifi l’aurait sans doute laissé faire, mais le chat les mordillait avec ses dents
pointues déjà toutes poussées et elle ne pouvait pas le supporter.
— Volontaire, arrête un peu d’embêter Pifi !
Mina prit Volontaire dans ses bras, mais celui-ci se débattit de
toutes ses forces pour s’en échapper. La fillette sentit tout à coup
une brûlure sur le dos de sa main et lâcha prise. Sa main griffée
saignait.
— Volontaire !
Furieuse, Mina donna une petite tape à Volontaire. Mais, n’y
prêtant aucune attention, le chat se dirigea de nouveau d’un pas
lent vers Pifi. Celle-ci grogna en montrant les dents.
— Dire que j’ai pensé présenter ce drôle d’animal à un concours
de beauté félin ! Je dois être folle.
Mina poussa un soupir, se rendit dans la cuisine et revint avec
un verre contenant un peu de lait. Elle trempa son petit doigt dans
le liquide et le tendit à Volontaire. Le chat, qui s’obstinait à s’approcher de la chienne malgré ses violentes rebuffades, se retourna, les
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narines frémissantes et commença à téter le lait sur le petit doigt
de la fillette. Celle-ci se rappela quand Volontaire était encore un
petit bébé ; à cette époque aussi il suçait comme ça du lait sur son
petit doigt et elle avait trouvé agréable et amusante la sensation de
la minuscule langue râpeuse contre la peau de son auriculaire.
Un an plus tôt, sa mère avait recueilli ce chaton livré à lui-même
dans le bois de Boulogne. Il était en train de téter les mamelles desséchées de sa maman morte. De quoi ? Qui pourrait le savoir ? Mais son
corps était si étrangement décharné qu’il ne lui restait que la peau sur
les os. Prise de pitié pour eux, la mère de Mina avait enterré la chatte
et emmené le chaton, c’était en tout cas ce qu’elle avait raconté à sa
fille. Mina avait craint que le chaton, trop jeune, ne survive pas, mais
Volontaire était en pleine forme et grandissait sans aucun problème.
L’animal suça un moment le doigt de la fillette puis, reprenant
ses esprits, se mit à jouer avec une balle qui traînait dans la cour.
Mina entra dans l’appartement et revint avec un flacon de produit
antiseptique. Elle en appliqua sur les tétines de Pifi et la chienne
couina, sans doute à cause des picotements que cela lui provoquait. Volontaire s’était approché d’elles sans que Mina s’en aperçoive et regardait la scène avec désinvolture, l’air de se demander
qui était responsable de ces vilaines écorchures.
— Hé, ne fais pas l’innocent, c’est toi qui l’as mordue comme
ça ! Tu te rends compte ?
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Mina se saisit de la tête du chat et la secoua légèrement en laissant échapper un petit rire.
— Tu es en train de te disputer avec ton chat, Mina ? lança
Lucas.
Mina se retourna et vit son ami entrer par la deuxième porte
d’accès à la cour, celle qui donnait directement sur l’escalier extérieur. Les habitants l’utilisaient pour venir étendre leur linge.
— Regarde, les mamelles de Pifi sont toutes rouges et gonflées,
et ce coquin de chat nous regarde comme s’il n’avait rien à voir
avec ça !
Lucas éclata de rire et commenta :
— Volontaire est un chat vraiment à part !
On ne savait pas si c’était là un compliment ou une pique.
— Allons-y, dépêchons-nous si nous voulons être rentrés avant
que la nuit tombe.
Mina se leva pour suivre Lucas.
La légende du jardin secret
Mina et Lucas se rendirent à l’hôpital en métro. L’établissement était situé près de la station « Les Sablons ». Au retour, ils
empruntèrent à pied une route qui traversait le bois de Boulogne.
Ils allaient passer à côté des Sablons, continuer vers le Musée
en Herbe, puis prendre l’avenue Foch en direction de l’Arc de
Triomphe et arriveraient rapidement chez eux. Lucas remonta le
col de son manteau et jeta un coup d’œil à son amie. Le temps
était froid et lugubre sous les nuages gris de ce printemps parisien.
Le visage de Mina était aussi sombre que le ciel. Lucas se dit qu’il
aurait aimé être un adulte, car une grande personne aurait sûrement su quoi dire dans ce genre de circonstances.
— Tu veux que je te raconte une histoire amusante sur le bois
de Boulogne ? avança-t-il après mûre réflexion, tout en observant
l’humeur de Mina. Elle se transmet de génération en génération
dans ma famille, les Castellan.
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— Une histoire ? Tu veux dire comme une sorte de légende ?
répliqua la fillette en se retournant vers lui, l’air de penser que
c’était une idée farfelue.
— Oui, c’est à propos du jardin secret qui se trouverait soidisant dans le bois de Boulogne…
Lucas laissa sa phrase en suspens, l’air d’hésiter, regrettant
peut-être d’avoir abordé ce sujet. Mais les yeux de Mina brillaient
maintenant de curiosité et elle s’exclama :
— Un jardin secret ?
— C’est ça. Mais c’est un secret qui appartient à ma famille, tu
ne dois en parler à personne, d’accord ?
Sur un ton empli de fierté, il se mit à raconter.
— Ça s’est passé à l’époque d’Henri IV. Le roi Henry IV avait
divorcé de son épouse, et on prétend que cette reine, Marguerite
de Valois, aurait ensuite mené une vie de recluse dans le château
de la Muette, qui à l’époque était encore dans le bois de Boulogne.
En ce temps-là, mon aïeul sur je ne sais combien de générations,
un certain monsieur Castellan dont je descends, est allé, en compagnie de son fils, voir la reine Margot pour lui donner un miroir,
cadeau d’un duc, et lui proposer de remplacer toutes les vitres du
château par du cristal. Tu sais, autrefois ma famille était dans la
verrerie, ils étaient artisans de père en fils. Monsieur Castellan
a ainsi travaillé pendant presque deux semaines sans quitter le
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château de la Muette. Puis un jour, la reine a proposé à monsieur
Castellan d’aller se promener et l’a emmené dans la mûreraie. Le
roi Henri IV avait fait planter quinze mille mûriers dans le bois de
Boulogne pour développer l’industrie de la soie, les arbres avaient
grandi et formé un grand verger. Au milieu, il y avait un pavillon à
deux étages, de style oriental, où vivaient un certain maître Jin, un
Asiatique spécialiste de la soie, et une jeune femme, une ancienne
cathare qui l’assistait. Celle-ci avait plusieurs chats.
— Une cathare ?
— Oui, c’est une religion qui était assez répandue au xiie siècle
dans le Sud de la France. Monsieur Castellan a suivi la reine au premier étage du pavillon, et là, assis dans des fauteuils, ils ont bavardé
de choses et d’autres en sirotant du thé parfumé aux feuilles de
mûrier. La reine Margot semblait fascinée par la mystérieuse
magie orientale de maître Jin et les remèdes secrets fabriqués par
la jeune cathare avec des plantes médicinales, mais aussi par la
magie des chats égyptiens. Après avoir longtemps contemplé la
mûreraie, le visage de la reine s’est subitement illuminé. Elle a dit
qu’elle venait d’avoir une excellente idée et a fait une suggestion :
« Monsieur Castellan, vous avez dit que vous vous y connaissiez
bien en alchimie, n’est-ce pas ? En combinant votre savoir à la
magie de maître Jin, et à celle des chats égyptiens de la cathare,
vous pourriez faire de cette mûreraie un jardin magique et secret,
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qu’en pensez-vous ? » Monsieur Castellan, maître Jin et son assistante sont restés perplexes face à cette demande de la reine. Certes,
ils maîtrisaient un peu l’alchimie et la magie, mais pas suffisamment pour transformer ce vaste verger en jardin secret et magique,
car cela représentait une tâche très ardue qu’ils ne se sentaient
pas capables d’accomplir. Pour autant, ils ne pouvaient pas non
plus ignorer sa proposition car c’était la première fois que cette
reine – qui souffrait d’une longue dépression suite à son divorce –
affichait un sourire aussi rayonnant. Ils n’ont donc pas osé refuser.
Alors que tout le monde restait sans broncher, monsieur Castellan
a pris la parole : « C’est une bonne idée, je vais essayer. » Monsieur Castellan était sans doute secrètement amoureux de la reine,
et il comprenait ce qu’elle ressentait car lui aussi vivait dans une
profonde solitude depuis la mort de sa femme cinq ou six ans plus
tôt. C’est ainsi qu’a commencé la création du jardin. Une fois ses
travaux au château de la Muette terminés, monsieur Castellan a
laissé repartir son fils et s’est consacré corps et âme à l’élaboration
du jardin secret. Un an plus tard, il l’avait achevé.
— Attends, Lucas, intervint Mina. Tu crois que ce jardin secret
est encore dans le bois de Boulogne ?
— Oui, peut-être, pourquoi me demandes-tu ça ?
— Eh bien, je ne suis pas très sûre, mais il se peut que j’aie vu
cette cathare.
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— Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? s’exclama Lucas, l’air
offensé, croyant qu’elle se moquait de lui.
— Maintenant que j’y pense, je suis presque certaine que
c’était elle. Tu sais, quand ma grand-mère s’est blessée au genou…
Mina lui fit le récit détaillé ce qui s’était passé ce jour-là, lorsque
sa grand-mère avait chuté sur le sentier.
— Wouah, la description que tu me fais de cette femme correspond en tout point à celle de la légende. Surtout le refrain de la chanson, A présent, sur cette terre seuls les chats et la sorcière savent comment
vivre élégamment, c’est exactement le même. Quand mon père m’a
raconté cette histoire, il m’a parlé aussi de la chanson de la cathare.
— Ah bon ?
Mina, les yeux ronds de surprise, fixa Lucas.
— Oh là là, ça me donne la chair de poule… gémit le garçon.
— Au fait, les chats de la cathare, que j’ai vus…
— Quoi, les chats ? demanda Lucas.
— J’ai l’impression qu’ils nous suivent.
Par réflexe, le garçon jeta un rapide coup d’œil par-dessus son
épaule, et en effet, il lui sembla voir au loin deux chats avancer vers
eux. Mina et Lucas détalèrent en poussant des cris de panique.
Lorsqu’ils atteignirent le rond-point d’où ils pouvaient rejoindre
la grande avenue Foch, ils aperçurent enfin quelques promeneurs.
Ce n’est qu’alors qu’ils s’arrêtèrent pour reprendre leur souffle.
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— Lucas, cette histoire de jardin secret, c’est vrai jusqu’à quel
point ? demanda Mina en marchant d’un pas plus lent.
— C’est une légende, alors je suppose qu’il y a des parties
inventées, mais ce n’est pas non plus complètement délirant. J’ai
même trouvé des documents historiques sur le sujet.
— Vraiment ? J’aimerais bien que tu me les envoie par email.
Euh, en fait non, comme on doit préparer le concours de beauté
félin, le mieux serait de créer un blog, comme ça on pourra partager des infos facilement.
— Bonne idée. Je m’y mettrai dès mon retour à la maison. Et
je te préviendrai quand ce sera fini. Comment va-t-on l’appeler, ce
blog ?
— Eh bien… que dirais-tu de : Le jardin secret de Volontaire et
Tété ? proposa Mina en se tournant vers son ami.
— Le jardin secret de Volontaire et Tété ? Oui, ça sonne bien.
Mais, les chats de tout à l’heure, ils continuent de nous suivre…
chuchota Lucas en jetant un regard furtif vers l’arrière.
— Tu ne m’auras pas comme ça ! rétorqua Mina en donnant
une tape sur l’épaule du garçon avant d’éclater de rire. En fait,
j’ai menti tout à l’heure, quand je t’ai dit que les chats nous
suivaient.
— Mais c’est vrai, regarde là-bas, répondit Lucas d’une voix
tremblante.
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