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en marge
terre qui les a vus naître, l’histoire
qui les a façonnés, la chaîne qui va
du paysan au four, des viandards
au prince, du vin à l’autel, du halal
méchant au gentil McDonald.
Cette somme traite aussi de l’épiC’est une somme.1 Et loin d’être
démie contemporaine d’obésité et
roborative elle met en appétit, ne
des émeutes de la faim, de la sacr­a­
cesse de l’aiguiser, de l’affûter, de
lisation onusienne patrimoniale et
l’exacerber. Sous la direction de
immatérielle du «repas gastronoJean-Pierre Poulain, les Presses
mique des Français» (pouvait-on
universitaires de France mettent
trouver plus vilaine formulation
sur les étals automnaux leur
«Dictionnaire des cultures alimen­ pour un si beau concept ?). Elle
passe à table le régime méditer­
taires». Un gibier de papier qui
ranéen et la cuisine mexicaine, à
dépasse tous les genres connus :
éternels livres de recettes, Michelin la moulinette culturelle Bocuse
(Paul), Bourdieu (Pierre) ; Brillatde tous acabits, pages minceur,
Savarin (Anthelme), Castro (Josué
guides de régimes ou sempiternelles mémoires et secrets de chefs de) et Certeau (Michel de) mais
plus ou moins étoilés. Cette somme aussi le corned-beef, Aron (Jean(162 auteurs ; 1536 pages) parvient Paul), Curnonsky et l’engraissement rituel, Barthes
(Roland), le cassoulet, la
… Mais qu’est-ce que l’acceptable morue et le cannibalisme,
quand on impose la table ? …
cette rencontre d’un
autre goût avec notre
également (souvent, pas toujours) semblable. Sans oublier nos gâteaux
d’anniversaire, cette gentille canni­
à dépasser les jargons du sociobalisation du temps qui trépasse.
logue et de l’historien. Bref, c’est
plus qu’une invite à passer à table : Avec leurs cerises qui tombent
sous la feuille en gouttes de sang.
c’est une proposition à ouvrir les
yeux sur notre manger, à prolonger Mais revenons au McDonald et au
halal. Le premier alimente contre
de quelques centimètres le nerf
vague, à sublimer nos aliments, la lui des haines récurren­tes tandis
Plutôt halal ou plutôt
McDonald ?
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qu’il envahit le monde
et que s’allongent les
files d’attente. Le second suscite ici ou là des
bouffées de violence
plus ou moins contenues en ce qu’il peut
symboliser la haine
d’une religion autant
que la peur de l’étranger. Ce fut le cas, il y a
quelques mois, en
France sur fond de
campagne pour une
élection présidentielle.
Que nous dit sur ces deux sujets
notre futur Dictionnaire de table
et de chevet ? Il s’agit moins, avec
lui, du McDonald que de la McDo­
naldisation, terminologie qui n’était
pas encore jusqu’ici entrée dans
les dictionnaires. C’est à la fois la
tendance à l’homogénéisation
planétaire de la nourriture,a symbolisée «par les grandes chaî­nes
de fast-food dont le McDonald’s
est l’expression la plus accomplie».
Mais c’est aussi (dans le sens
donné par le sociologue amé­ricain
Georges Ritzer) le synonyme
actua­lisé du concept wébérien de
la rationalisation. Disons, pour
faire simple, qu’il sert à nommer
«the processus by which the prin-
cipals of fast-food restaurants are
coming to dominate more and
more sectors of the American society as well as the rest of the
world». Soit un monde inscrit au
centre de quatre points cardinaux :
efficacité, calculabilité, prévisibilité
et contrôle. La rentabilité est bien
évidemment sous-jacente à l’ensemble. Sans parler de l’étalonnage
planétaire : l’étalon-or n’est plus.
On l’a remplacé par le temps durant lequel il faut travailler pour
pouvoir «s’offrir» un «simple»
Big Mac. Et tous les enfants du
monde sont, dit-on, fascinés à
l’idée d’entrer dans ces tavernes
en papier mâché qui servent cinquante millions de bouches chaque
jour que Dieu fait.
D.R.
actualité, info
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 17 octobre 2012
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D.R.
Le halal n’est pas moins simple.
Avant que l’on ne forge, demain, la
halalisation, ce terme de la lan­gue
arabe signifie tout à la fois le licite,
l’autorisé et le profane, aux antipodes du haram qui est l’illicite,
l’interdit en état de sacralisation.
C’est un concept bien complexe à
manier. Il peut trouver un sens réduit en cas d’émotions cristallisées,
de colères collectives. Ou d’angois­
ses récurrentes nées de la peur de
l’autre comme dans le cas de la
fête du mouton. «Dans notre mon­
de moderne, les produits bruts ne
sont plus les seuls que nous con­
sommons : produits manufacturés,
plats cuisinés mais aussi médicaments peuvent contenir parfois, à
des doses infinitésimales, de l’alcool (dans les sirops contre la
toux par exemple), peut-on lire à
l’article halal (signé Geneviève
Cazes-Valette) de ce Dictionnaire.
L’émer­gence de ces industries a
provoqué une émergence parallèle
de demande de certification halal
de leurs produits par les croyants
scrupuleux et donc une activité
économique apparemment grandissante en matière de fabrication
et de distribution de produits élaborés, certifiés halal. »
«Activité économique grandis-
sante» ? C’est si vrai que McDonald
propose (de même que son con­frère
Quick le bien-nommé) des menus
certifiés halal. Mais encore ? «En
France, seule la restauration scolaire publique, en vertu des principes républicains de laïcité, ne
propose pas de produits halal aux
enfants et aux adolescents, souligne
le Dictionnaire. Elle veille cependant à ce qu’une alternative accep­
table soit proposée lorsque du
porc est servi, voire ne propose
plus de porc.» Mais qu’est-ce que
l’acceptable quand on impose la
table ?
Entamé avec l’absinthe, les al­cools
et l’allaitement, cet ouvrage
s’achève avec le vin (plus exactement le vin et les femmes) juste après
le végétarisme. Où l’on découvre
à quel point la Suisse a joué un
rôle central dans l’histoire de cette
pratique déjà présente dans la
Grèce antique. Est-ce parce qu’elle
fut perpétuée par des courants
protestants (dissidents) puis par
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des mouvements philanthropi­
ques ? Est-ce parce que l’on est ici
passé à table du grand religieux à
la simple et belle hygiène ? Des
interdictions venues du ciel aux
choix terrestres ? Où l’on décou­vre
aussi les bienfaits du changement
de points de vue : le végétarisme
est moins exclusion des chairs
qu’ouverture sur d’autres horizons.
Ouverture sur le monde des végé­
taux, des céréales, des légumes,
des assaisonnements peu connus
de l’omnivore habituel. Avec lui
la grouse finit naturellement ses
jours avec son coq dans les bruyè­
res d’Ecosse. Le lièvre demeure
royal, mais uniquement dans ses
courses à travers nos champs Et
rien, semble-t-il, n’interdit au végétarien d’admirer avec sa belle,
le soir, les plus belles expressions
du pinot noir.
Jean-Yves Nau
[email protected]
a Il s’agit bien évidemment d’une homogénéisation moins simple en apparence
mais bien plus efficace (perverse ?) qu’on
pourrait naïvement le croire. Le fait est illustré par un récent article signé de Sulome Anderson (Foreign Policy) publié
sur le site américain Slate.com et traduit
sur Slate.fr. L’auteur y détaille les dix «menus McDo adaptés» que décline de Paris
à New Dehli la chaîne américaine, qui
possède aujourd’hui plus de 32 000 restaurants dans 119 pays, c’est en partie
grâce à ses tentatives intelligentes de
s’adresser aux clients locaux en inventant
des hamburgers adaptés à leurs goûts.
De Paris à Delhi en passant par Tokyo on
découvre notamment le «Big Spicy Paneer Wrap» (Inde), le «Ebi Filet-O» (Japon),
le «Kofteburger» (Turquie), le «Samuraï
Pork Burger» (Thaïlande), le «McArabia»
(Maroc et plusieurs pays du Moyen Orient),
le «Prosperity Burger» (Chine) ou le «Cro­
que McDo» (France). A propos du Mc
Arabia (prix avoisinant les cinq euros) un
client (marocain) a déclaré au Global Post :
«Franchement, ça a un goût marocain».
Bibliographie
1 Dictionnaire des cultures alimentaires.
Sous la direction de Jean-Pierre Poulain.
Paris : Editions PUF, 2012 (parution le
24 octobre). Cet ouvrage a reçu «le soutien de la Fondation Nestlé France».
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 17 octobre 2012
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