Main basse sur la ville : Les gangsters dans le cinéma américain

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Main basse sur la ville : Les gangsters dans le cinéma américain
Les Cahiers du CEIMA, 2
Gaïd Girard CEIMA
Main basse sur la ville :
Les gangsters dans le cinéma américain
(1930-1951)
Le titre de cette communication voudrait mettre l’accent sur le rapport
essentiel que les gangsters entretiennent avec la ville dans le cinéma américain des
années trente et quarante, ce qui les différencie des bandits du type Dillinger ou
Bonnie and Clyde qui opèrent, seuls le plus souvent, dans de petites bourgades du
Middle West américain.
Ce n’est un secret pour personne que le succès foudroyant des films de
gangsters dans les années 30-32, années de constitution du genre
cinématographique s’appuie sur un contexte économique, politique et culturel
particulier aux USA :
Il faut d’abord rappeler le phénomène d’urbanisation massive de la
population américaine, commencée à la fin du XIXe, nourrie de vagues
d’immigration massive que l’on cherche à limiter dès le tournant du siècle et qui
alimentent l’idée qu’immigration rime avec crime urbain et perte des valeurs
rurales traditionnelles américaines. Au recensement de 1920, le pays compte plus
de citadins que de ruraux et en 1950, la population urbaine est deux fois plus
nombreuse que celle des campagnes.
Par ailleurs, l’amendement Volstead instaurant la prohibition en 1919 a
favorisé le développement d’activités illégales et fort lucratives : la fabrication, le
transport, la distribution et la vente d’alcool interdit suscitent l’organisation de
bande de criminels qui ne sont pas si mal vus de la population puisqu’ils leur
rendent un service reconnu comme tel. C’est dans les villes que les speakeasies se
multiplient ; c’est aussi en ville que les nouveaux gangsters enrichis peuvent étaler
leur richesse et consommer de façon visible les produits les plus modernes :
voitures, téléphone, machines de toutes sortes, musique de jazz.
Les gangsters des années vingt deviennent ce que Anne-Marie Bideault
appellent des « icônes culturelles », dont le succès dans l’opinion publique est
fondé sur leur exemplarité paradoxale : souvent immigrants de la deuxième
génération, irlandais, juifs ou italiens, ils représentent une version dévoyée du
succès américain, du mythe du self-made man particulièrement puissante et
séductrice surtout en plein marasme économique au tout début des années trente,
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après le krach de 29. Comme le dit un des personnages du film de Huston, The
Asphalt Jungle, 1950 : « Crime is just a left-handed form of human endeavour ».
Robert Warshow a théorisé ce phénomène d’attirance et de séduction de la
figure du gangster, qui perdure d’ailleurs, et c’est un passage de son essai célèbre,
The Gangster as Tragic Hero (1948), qui a inspiré cette présentation : « le
gangster est un homme de la ville, qui possède le langage et le savoir de la ville,
avec ses talents étranges et malhonnêtes et sa terrible audace, portant sa vie à bout
de bras comme une pancarte ou un club. Pour n’importe qui, il existe au moins la
possibilité théorique d’un autre monde – dans cette culture américaine du bonheur
qui nie le gangster, la ville n’existe pas réellement, ce n’est que la campagne avec
davantage d’habitants et de lumières, alors que pour le gangster, seule la ville
existe. Il doit y vivre pour pouvoir la personnifier : non point la véritable ville,
mais cette cité dangereuse et triste de l’imaginaire qui est beaucoup plus
importante, qui est le monde moderne. » (Traduction de Michel Ciment, Le Crime
à l’écran, Découvertes Gallimard, 1992, 142-143)
Nous allons tenter de montrer comment dans les films de gangsters qui ont
fondé le genre, c’est à dire, dans l’ordre chronologique, Little Caesar, Mervyn Le
Roy, WB, 1930 (E.G. Robinson), The Public Enemy, William Wellman, WB,
1931 (J. Cagney), Scarface, Howard Hawks, Universal 1932 (Paul Muni), la ville
est utilisée à la fois comme décor mais aussi comme objet de désir, qu’il faut
assouvir en l’asservissant, en la contrôlant totalement. Réussir pour le gangster,
c’est pouvoir à la fois agir dans l’ombre, illégalement, contrôler les activités
illicites de la ville, mais aussi se montrer en pleine lumière, être sous les
projecteurs, les flashes des photographes et les néons. On se souvient du néon qui
sert de leitmotif dans Scarface « the world is yours », qui fait écho aux paroles de
Big Louie, le premier gangster qui apparaît à l’écran avant que Scarface ne
l’assassine : « top of the world » ; dans ces deux formules, le monde, c’est la ville.
Être « top of the world », c’est agir sur les deux faces de la ville : la
souterraine et la brillante. Les films de gangsters se fondent sur cette tension entre
le caché et ce qu’on affiche, l’illégal et le visible, avec les effets de contraste de
lumière que l’on peut imaginer.
Le rôle essentiel de la ville est souligné par les introductions des trois films
princeps déjà cités ; différentes, elles remplissent la même fonction.
Little Caesar s’ouvre sur un hold up meurtrier dans une station
service perdue en pleine campagne ; dans la scène suivante, les deux criminels
entrevus dans la première scène discutent à propos d’un caïd de la ville dont on
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parle dans le journal, Pete Montana. L’un d’entre eux explique qu’il faut aller à la
ville pour devenir quelqu’un, « be somebody ». (Extrait)
Tout le programme du film est contenu dans cette annonce. Le plan
suivant présente les néons de la ville, qui présideront à l’ascension et la chute de
Rico Bandello.
L’introduction de Public Enemy est de type documentaire. Les activités de
la ville, puis du quartier du gangster en herbe sont présentés de façon quasi
didactique, insistant sur l’importance de l’environnement et de l’Histoire (1919
apparaît en gros sur l’écran) dans l’ascension du gangster. Ce type d’introduction
sera reprise dans Angels with Dirty Faces (1938) comme plus tard dans The
Asphalt Jungle. (Extrait)
Scarface s’ouvre sur un panneau indicateur de ville : 42nd St, dont le public
sait parfaitement qu’il correspond au cœur du quartier italien de Chicago ; il est
suivi par une présentation de Big Louie qui vient de donner une fête grandiose. Il
parle avec un accent italien prononcé de son succès (« top of the world »), et
discute de ses activités dans la ville ; on apprend que le contrôle du South Side lui
est disputé par Johnny Lovo, un autre gangster. Il sera abattu par Scarface
quelques instants plus tard. (Extrait)
L’activité principale, lucrative, des gangsters se passe essentiellement dans
la ville cachée, la nuit, dans des endroits sombres, à l’abri des regards. La ville est
alors signifiée par un coin de rue mal éclairée, un pavé luisant, des bruits de fuite
et des coups de feu, des automobiles noires qui passent en trombe, des judas et des
entrées dérobées. Ces scènes de nuits marquées par le crime et la violence sont
devenues des clichés qui prennent leur source dans les trois films précités ; on y
retrouve la même économie de décors (la Warner n’était pas un studio riche à ses
débuts), la même efficacité dans les éclairages et les contrastes des scènes de nuit,
influencés par les cinéastes et techniciens venus d’Allemagne et de l’esthétique
expressionniste. Nombreuses sont les scènes d’arrière-salles de bars, de clubs de
billard, de restaurants où la bande attend les ordres en jouant aux cartes sous une
ampoule borgne, et qui semblent venues en droite ligne de M le Maudit, (Fritz
Lang, 1931). De même, les possibilités nouvelles offertes par la bande son sont
utilisées à plein pour créer l’atmosphère inquiétante et dangereuse de la ville la
nuit. (Extraits)
Comme le souligne Warshow, l’attirance pour les gangsters est permise
dans la mesure où le spectateur sait qu’il va mourir, qu’il est condamné à se
retrouver sur le pavé de cette même ville qu’il a cru posséder. Little Caesar
comme Scarface se conclut sur la mort du héros gangster dans le caniveau, la nuit.
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Tom Powers, dans Public Enemy, sera blessé à mort par un gang rival et tombera
aussi dans le caniveau, la nuit, sous une pluie battante.
Ces scènes de dénouement sont les premières d’une longue série où la
morale est sauve, mais où surtout, la mort du gangster dans la rue thématise le lien
essentiel qui lie ville et crime, et qui interdit tout rachat du personnage dans le lieu
de perdition obscure qu’est la ville. Elles concluent une trajectoire définie à
l’avance par le genre : celle de l’ascension fulgurante et de la chute brutale des
gangsters au cinéma. (Extrait de Little Caesar, la mort de Rico)
Entre ces deux bornes, les films de gangsters classiques sont basés sur une
tension permanente entre ombre et lumière, entre scènes de nuit où l’action est à
peine visible et où la bande-son joue un rôle crucial et séquences plus ou moins
violemment éclairées qui figurent les endroits publics où les gangsters aiment à se
montrer. Le gangster veut être reconnu, s’afficher, montrer des signes
d’appartenance aux réseaux sociaux et symboliques de la ville.
Issu des couches populaires, il garde le contact avec les lieux de rencontre
de ses origines. Son quartier général reste l’arrière salle d’un bar miteux (Public
Enemy), d’un restaurant populaire (souvent italien), d’un club de billard
(Scarface). Il y côtoie les policiers qui le connaissent et qui souvent partagent les
mêmes pratiques culturelles. Les scènes de parties de billard, de bowling ou de
combat de boxe sont légion dans les films de gangsters.
Dans Bullets or Ballots, (Keighley, 1936, avec Robinson), le Madison
Square Garden où se déroule un match de boxe que tout le monde va voir sert de
lieu d’échange et de manipulation entre gangsters et policiers. On retrouvera des
scènes de boxe dans l’adaptation très réussie de la nouvelle de Hemingway, The
Killers (Siodmack, 1946) ou dans The Street with no Name (Keighley, 1948).
Dans Scarface, la séquence du coiffeur où Paul Muni se fait arrêter par la
police est un autre bon exemple de ces lieux urbains où le gangster se sent
protégé, parce que lui même les protège sans doute, mais où tout un chacun peut
le rencontrer, le voir à travers la vitre; un de ces lieux publics ou malfrats et gens
honnêtes peuvent se croiser. (Extrait )
Le fait que cela soit dans cette scène que le spectateur découvre pour la
première fois le visage de Scarface, émergeant de la serviette du coiffeur, est tout
à fait symbolique de ces allers et retours entre caché et visible, illégalité et
arrogance publique. Le gros plan sur l’allumette que Scarface gratte sur l’étoile du
policier dit tout du sentiment d’impunité qui l’habite ; il tient la ville, et le coup de
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poing qu’il reçoit en retour, filmé de plus loin, paraît comme une concession aux
apparences, à l’ordre officiel inefficace. Quelques instants plus tard, il quittera le
poste de police libre, grâce aux services d’un avocat à la solde de la bande. Dans
la scène chez le coiffeur, le plan sur la serviette blanche jetée sur le revolver noir
afin de le soustraire aux regards des policiers est emblématique de la double face
de la ville dont les gangsters aspirent à être les maîtres.
C’est cependant dans les night-clubs que les gangsters se sentent les rois.
Souvent introduites par un plan sur un néon scintillant, les scènes de night-club,
qui sont les plus éclairées des films, rassemblent les gens riches de la ville qui
veulent s’amuser, gangsters ou non. On y trouve les plus belles femmes, les
danses les plus osées, la musique la plus swing, les vêtements les plus à la mode.
Dans un univers de paillettes et de fête, les gangsters profitent de leur richesse,
vivent de façon moderne, aux antipodes des valeurs traditionnelles et rurales de
l’Amérique puritaine qui s’est lancée dans « the noble experiment », c’est à dire la
Prohibition.
La séquence de Scarface ou Cesca, la sœur de Scarface, nargue son amant,
est aussi un hymne à la femme urbaine nouvelle des années vingt, qui danse,
fume, boit et choisit ses partenaires sans en référer à personne. On verra même
dans certains films de gangsters des années quarante des scènes d’entertainment
où des artistes noirs apparaissent à l’écran (Force of Evil, Abraham Polonsky,
1948, They Live by Night, Nicholas Ray, 1948). (Extrait)
Les gangsters aiment les feux des projecteurs, aiment que l’on parle d’eux
dans les journaux, posent volontiers devant les flashes des photographes, comme
s’ils revendiquaient une visibilité sans laquelle ils ne correspondraient pas à
l’image qu’ils se font d’eux mêmes. « Be somebody », comme le clamait Rico en
montrant le journal. Souvent proches des boxeurs ou des entertainers de tout poil,
il se figurent en stars, alors que leur succès et leur richesse sont basés sur des
activités de l’ombre.
C’est de cette tension que se nourrit la dynamique des films de gangsters.
Elle reprend, en miroir, la tension entre fascination et réprobation morale satisfaite
de la chute du gangster qui sous-tend le goût du public pour le genre. Les
gangsters sont les rois de la ville que l’on aimerait incarner pour un instant ;
comme le dit Warshow, « le gangster est ce que nous voulons être et ce que nous
redoutons de pouvoir devenir ».
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La schéma fondateur du genre basé sur le schéma ascension / chute se
modifie assez rapidement, sous l’action conjuguée de la censure et d’un
retournement de l’opinion publique, moins nihiliste et moins désabusée. La fin de
la Prohibition (1933), L’élection de Franklin Delano Roosevelt et l’action
énergique du gouvernement redonnent espoir et le genre évolue vers des
représentations moins brutales du monde de la pègre. La figure du gangster
évolue, ainsi que la représentation de son rapport à la ville.
D’une part, on va développer l’argument sociologique et documentaire, et
montrer que le gangster est un enfant malchanceux des quartiers pauvres qui a mal
tourné (Angels with Dirty Faces, 1938), mais ce qui paraît plus intéressant est ce
que j’appellerais un retour discret et subtil des valeurs rurales américaines. On va
en effet retrouver, dans la trame même des films l’opposition idéologique des
années vingt entre ville et campagne, artifice et nature, vice et vertu.
On en trouve les prémisses dans la fin de Angels, où le dernier plan montre
la bande de petits délinquants des rues, dont le quartier général est une cave
sombre, se tourner vers le prêtre posté à mi-chemin de l’escalier, baigné d’une
lumière quasi céleste, en tout cas non urbaine ; le but est bien d’arracher ces
enfants aux ténèbres de la ville et de les faire se tourner vers la lumière.
La fin de The Roaring Twenties est tout aussi symbolique, en moins
lourdement édifiant. Ce film de Raoul Walsh tourné en 1939 est une sorte de bilan
des années de la Prohibition et de leurs gangsters. Il met en scène Eddie, qui après
avoir été un des rois de la ville, finit misérablement, miné par l’alcool. À la faveur
d’une rencontre de hasard, il décide de sauver un jeune couple de la menace de
son ancien associé, devenu un gangster puissant qui a su se reconvertir. Il le tue,
mais il est mortellement blessé. La dernière séquence du film le voit mourir sur
les marches d’une église, comme le Toni de Little Caesar, mais il a été racheté. Sa
mort est celle d’un héros, purifié par la neige qui tombe en ce soir de la Saint
Sylvestre. La blancheur qui l’entoure le lave des salissures de la ville. Sa fidèle
compagne de toujours tient sa tête sur ses genoux, telle une pietà, et prononce son
oraison funèbre : « he used to be a big shot ». La pureté de la neige vient par effet
métonymique révéler sa vraie nature, qui n’appartient plus à la ville.
À l’inverse, le gangster vieillissant de Key Largo (John Huston, 1948),
interprété par Robinson à nouveau, et qui revient d’un exil forcé que l’on devine
cubain, à l’instar de Lucky Luciano, ne supporte pas les manifestations de la
nature. Coincé par un ouragan à Key Largo, au bout de la Floride, il tourne
comme un lion en cage, ou plutôt comme un poisson hors de l’eau dans cet
environnement qui lui est étranger ; il transpire et s’inquiète sous l’œil goguenard
de Humphrey Bogart, qui a fait la guerre (1939-45) et en a vu d’autres : « S’il
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continue, tuez le », lui lance-t-il en parlant de l’ouragan. A contrario, Key Largo
démontre que le gangster classique ne peut exister qu’en ville.
L’un des films les plus intéressants pour notre propos ici est The Asphalt
Jungle, tourné en 1951 par John Huston. Il clôt le cycle des films de gangsters
classiques et de ses dérivés tout en correspondant plus à un « caper film ». En
effet, il met en scène une équipe de malfrats choisis un par un pour exécuter un
cambriolage audacieux. Sterling Hayden y joue le rôle d’un hors-la-loi
malchanceux, Dix, originaire du Kentucky d’où il a été chassé par la ruine du
ranch familial. Il est l’homme de main du groupe. Le coup tourne mal, tous les
membres du gang se font tuer ou emprisonner ; il ne reste plus que Dix, qui
blessé, a pris la fuite en voiture. La séquence finale thématise admirablement le
retour de l’opposition entre valeurs urbaines et rurales dont je parlais
précédemment. La vision policière du gangster urbain s’oppose radicalement à la
vraie nature de Dix telle qu’elle nous est révélée dans la dernière scène, où il
rejoint le ranch familial pour mourir. L’effet crée par la juxtaposition entre les
deux séquences simultanées est simple, mais saisissant. (Extrait ).
Le gros plan sur le visage de Dix, mort au milieu d’un champ, caressé et
protégé par les chevaux rappelle en s’y opposant celui de la mort de Rico, dans
Little Caesar, ainsi que celui de Eddy, dans The Roaring Twenties. Non seulement
Dix est racheté par l’amour d’une femme, mais surtout les chevaux le
reconnaissent comme un ami. Ce plan fait évidemment appel aux valeurs
fantasmées des pionniers américains et de leur lien avec la nature, porteuse
d’authenticité et de vérité. Dans ce dernier plan, Dix rejoint la figure du bandit,
héros criminel romanticisé qui agit seul.
Ce thème a déjà été largement exploité en 1941 dans High Sierra, un autre
film de Huston avec Bogart, où celui-ci incarne un gangster vieillissant qui en
sortant de prison, commence à humer l’air, regarder le soleil, et faire quelques pas
dans le parc pour sentir l’herbe. On apprendra plus tard qu’il possédait une ferme,
mais on sait déjà que ce gangster qui aime le soleil et la nature ne peut être tout à
fait mauvais ; il finira retranché au sommet d’une montagne, entouré de voitures
de police et de tireurs d’élite, façon Scarface, mais au cœur de la sierra. Un
homme qui meurt ainsi au milieu de la nature ne peut qu’être racheté aux yeux du
public. Il sera lui aussi embrassé par une femme éplorée.
On voit bien ici comment la peinture brutale du criminel urbain endurci prêt
à toutes les violences pour s’enrichir et « être quelqu’un » s’infléchit, recycle la
vieille opposition campagne / ville, nature / artifice, et d’une certaine manière,
revient à une éthique et une esthétique moins dérangeante. Le motif éternel de la
perte de l’innocence de la pastorale trouve ici une énième expression. L’énergie
explosive de Scarface, son panache et son défi aux lois de la morale sociale et
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familiale s’est diluée en quittant la ville. Elle s’est même transmuée en son
contraire. Comme le disait Warshaw : « Dans cette culture américaine du bonheur
qui nie le gangster, la ville n’existe pas réellement, ce n’est que la campagne avec
davantage d’habitants et de lumières ».
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