17 décembre Le massacre du détroit de Malacca

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17 décembre Le massacre du détroit de Malacca
17 décembre
Le massacre du détroit de Malacca
Campagne de Birmanie
Après les terrains de Chumphon et Raheng la veille, un P-40 chinois (toujours escorté par
deux Hurricane) photographie celui de Prachaub Girikhan. Au retour, les Hurricane s’amusent
à passer à basse altitude au dessus d’un train rempli de troupes japonaises, mais ils ne tirent
pas, car ils ont l’ordre de ne pas attaquer des « objectifs non autorisés » en Thaïlande !
Campagne de Malaisie
Front du Kedah – La bataille fait rage toute la journée à Jitra et sur la côte du Kedah.
Au nord, le front paraît plus ou moins stabilisé. L’attaque directe des Japonais contre Jitra a
été repoussée avec de lourdes pertes par la combinaison d’une action d’infanterie efficace,
d’un tir d’artillerie précis et d’une intervention opportune des chars.
Sur la côte du Kedah, la situation est moins favorable. Si la tête de pont près de Jitra est
circonscrite et n’est plus une menace, celle près d’Alor-Setar semble bien plus dangereuse.
Avec le soutien de bombardiers en piqué D3A1, les troupes japonaises repoussent les contreattaques et continuent à menacer la route principale. La nuit précédente, la petite escadre
britannique a recherché sans résultat des bateaux japonais, et l’HMS Danae a bombardé les
troupes débarquées près d’Alor-Setar avant de se replier vers le sud. A l’aube, un nouveau
convoi de caboteurs pénètre dans le détroit de Malacca, chargé de renforts japonais. Les
avions hollandais basés à Medan et à Pakan Baru tentent de l’attaquer dans la matinée, mais
sont interceptés par 15 A6M2. Ils perdent quatre bombardiers Martin WH-3 et sept Brewster
Buffalo pour trois chasseurs japonais.
Le lieutenant-général Percival (commandant les troupes de Malaisie), arrivé à Alor-Setar dans
la nuit du 16 au 17 pour évaluer la situation, avise l’Air Marshal Brooke-Popham que les
troupes qui tiennent solidement à Jitra pourraient être en grand danger si les Japonais
parvenaient à couper la route principale. Percival plaide pour un effort aérien maximum en
soutien de l’attaque des troupes du Commonwealth. Les avions alliés vont faire de leur
mieux…
« Le premier combat des Français, le jour suivant leur arrivée, est une attaque “massive”
menée à 13h30 contre la tête de pont d’Alor-Setar, par 12 Maryland du GB IV/62 et 15
Blenheim IV (tout ce qui reste des Sqn 34, 60 et 62 de la RAF), escortés par 22 Hurricane, 16
du GC IV/40 et 6 de la RAF. Cependant, tant l’aviation de la Marine que celle de l’Armée
japonaise maintiennent sur la région une couverture de chasse permanente (sans négliger
d’attaquer les aérodromes de Kuala Lumpur et de Sebang) et de nombreux chasseurs
japonais attendent les attaquants : Ki-27 Nate et Ki-43 Oscar de l’Armée, et surtout A6M2
“Zéro” de la Marine. Une bataille aérienne acharnée s’engage, tandis que les avions alliés
tentent de percer les rangs des chasseurs japonais, qui les assaillent de toutes parts.
Bravement, Français et Britanniques vont au massacre. Plus tard, l’un des pilotes de
Maryland français racontera avec amertume : “J’avais l’impression d’être un chevalier
français à Azincourt. Je me suis même dit que c’était gentil de la part des Anglais d’être avec
nous pour cette fois.” Quatre Maryland, sept Blenheim et huit Hurricane sont abattus, contre
six Ki-27, cinq Ki-43 et trois A6M2. Tout cela pour un bombardement modérément efficace.
Au crépuscule, une nouvelle contre-attaque britannique devait échouer à déloger l’infanterie
japonaise. » (Pierre Clostermann, op. cit.).
Pendant la nuit, l’amiral Tom Phillips a ordonné de renforcer l’interdiction navale du Détroit
de Malacca et ajouté les vieux croiseurs lourds HMS Frobisher et HMS Hawkins au groupe
Despatch-Danae et destroyers. Les deux bâtiments rejoignent le “Malacca Strait Squadron”
comme il se retire vers le sud après l’opération de la nuit précédente. A 11h20, apprenant
l’échec de l’attaque des avions hollandais menée le matin contre le convoi de renforts
japonais, le contre-amiral Crace, qui commande maintenant le “Malacca Strait Squadron”,
ordonne à ses navires, qui se trouvent alors au sud de Penang, de remettre le cap au nord.
Mais ils ne tardent pas à être repérés par les avions japonais (Appendices 6 et 7).
A 14h15, une première attaque menée par des avions de l’IJN est aisément repoussée par le tir
anti-aérien des huit navires, et l’un des destroyers réussit même à abattre un bombardier. Ces
attaquants si peu efficaces sont 12 B5N1 bombardant en vol horizontal : ils avaient été
envoyés bombarder Penang et ont été détournés de leur objectif primitif pour attaquer
l’escadre lorsque celle-ci a été détectée par un C5M2 de reconnaissance. Mais en dépit d’un
appel de Phillips lui-même, tardivement informé de l’initiative de son subordonné, pour
obtenir que les Buffalo hollandais de Medan assurent une couverture de chasse, la supériorité
aérienne des Japonais reste totale.
A 16h50, comme l’escadre file vers la tête de pont d’Alor-Setar, elle est attaquée par 17
D3A1. Malgré des zigzags frénétiques et l’émission d’un rideau de fumée par les destroyers,
les bombardiers en piqué réussissent à toucher cinq des huit navires et à en couler quatre ! Le
Frobisher est touché par deux bombes de 250 kg, l’une au niveau de la cheminée avant,
l’autre sur le pont principal, à la hauteur de la tourelle Y de 7,5 pouces, allumant un violent
incendie. Une troisième explose juste à côté de la coque, à la hauteur de la salle des machines
arrière, à bâbord, et ouvre une importante voie d’eau. Ingouvernable, poussé par la houle vers
la côte ennemie, le croiseur doit être abandonné et il est sabordé à 18h40. Le Despatch reçoit
deux bombes de 250 kg : l’une pénètre dans la salle des machines avant et l’autre provoque
l’explosion de la soute à munitions de 6 pouces arrière. Cette explosion condamne le navire,
qui coule par la poupe à 17h05. La Danae reçoit une bombe de 250 kg juste devant la
passerelle. Son explosion tue la plupart des officiers présents et allume un incendie qui détruit
les deux affûts de 6 pouces avant et menace leur soute à munitions ; celle-ci doit être noyée.
Quelques minutes plus tard, le bâtiment est à nouveau touché, cette fois par plusieurs bombes
de 60 kg, au niveau de la cheminée arrière. En flammes, mais ses machines toujours en
marche, dirigé de la position arrière par un jeune officier, le croiseur refuse de couler ! Le
Cattistock, un destroyer de classe Hunt, est touché en plein milieu par une bombe de 250 kg
qui dévaste la salle des machines et le stoppe net. Le Garth tente de le remorquer, mais sans
succès, et il doit être sabordé à 17h50. Le Holderness, de la même classe, reçoit une bombe de
250 kg sur l’arrière ; cette bombe provoque l’explosion des munitions de 4 pouces et des
grenades sous-marines et le destroyer, l’arrière disloqué, sombre en vingt minutes.
A 18h05, une nouvelle formation japonaise est signalée. Cette fois, ce sont cinq D3A1 Val et
neuf B5N1 Kate. « Alors que les Japonais se préparent à l’attaque, ils sont coiffés par quatre
Hurricane II du GC IV/40. Les Val se débarrassent aussitôt de leurs bombes et se jettent entre
les chasseurs et les Kate. Surpris, les Français abattent deux des bombardiers en piqué mais
perdent un des leurs sous les coups d’un Val particulièrement chanceux, avant de pouvoir
enfin se lancer sur les torpilleurs, réussissant à en détruire trois et à en écarter un quatrième.
Mais les cinq derniers Kate s’obstinent et exécutent une attaque coordonnée sur le Hawkins.
Le vieux croiseur reçoit une torpille au niveau de sa chaufferie, qui le laisse en panne,
incapable de pomper l’eau qui l’envahit peu à peu. A 20h50, le navire doit être abandonné et
coule peu après. Les deux derniers destroyers, encadrant la Danae gravement touchée,
peuvent se replier à la faveur de la nuit. Sans l’opération désespérée du début d’après-midi,
les Hurricane auraient pu être huit, et auraient certainement anéanti les quatorze
bombardiers, sauvant le Hawkins… Préservé pour couvrir l’escadre anglaise, le Groupe
entier aurait même pu briser l’attaque de 16h50. Mais les faibles forces du GC IV/40 – pas
assez, trop tard… – avaient été gaspillées pour une charge peut-être glorieuse mais sûrement
inutile. » (Pierre Clostermann, op. cit.).
………
La bataille aérienne – Devant les photographies prises par les Spitfire PR et montrant
d’importantes concentrations de troupes japonaises au sud de Singora, 18 Wellington des Sqn
40 et 104, basés à Moulmein, attaquent le carrefour de voies ferrées de Hat Yai. Lancé en
plein jour, ce raid est supposé coïncider avec l’attaque des bombardiers légers contre la tête de
pont d’Alor-Setar. Malheureusement, le mauvais temps empêche les Wellington de décoller à
temps. Ils n’arrivent au-dessus de leur objectif que vers 17h30 et sont accueillis par 12
chasseurs A6M2 Zéro, dont les canons font bien plus de dégâts que les mitrailleuses des
chasseurs de l’Armée. Cinq bombardiers sont détruits et sept autres sérieusement
endommagés, trois d’entre eux devant même se poser en catastrophe avant de rejoindre
Moulmein. En échange cependant, les mitrailleurs des Wellington obtiennent la destruction de
quatre chasseurs. Quant au bombardement, ses effets sont évidemment réduits.
………
Singapour, 06h45 – Le lent remorqueur Valeureux (vitesse : 8,5 nœuds !) est le dernier des
navires français évacués de Cam Ranh à rejoindre le grand port britannique.
Campagne d’Indonésie
Bornéo – A l’aube, 41 avions de transport L2D2 (en fait, des Douglas DC-3 construits sous
licence par Showa et Nakajima), venant de Hainan après un ravitaillement à Bin Dinh, lâchent
570 parachutistes sur Miri. L’assaut aéroporté est coordonné avec un bombardement effectué
par les bombardiers bimoteurs G4M1 de l’IJNAF basés à Bin Dinh et par les avions du Zuiho
et du Shoho. A 07h30, tout un régiment de troupes d’assaut de la Marine est débarqué par la
force Takahashi. Les faibles unités du Commonwealth stationnées à Miri (des éléments du
2/15e Punjab et du Royal Engineers Corps), débordées, ne peuvent entièrement accomplir la
destruction prévue des infrastructures pétrolières. A 14h00, les Japonais contrôlent Miri et ont
débarqué quelques troupes en Baie de Brunei. Les porte-hydravions Chiyoda et Kamoi
commencent à établir une hydrobase.
La réponse alliée – si l’on peut dire – vient d’abord des bombardiers Martin WH-3 hollandais
du 2-VLG-I basés à Singkawang II. Six avions seulement décollent vers midi, trois d’entre
eux doivent rebrousser chemin en raison du mauvais temps entre Singkawang et Miri et les
trois autres sont incapables d’évaluer les résultats de leur bombardement. Un autre raid, de
neuf avions cette fois, est lancé à 16h00. Il se heurte à la couverture aérienne fournie par les
chasseurs des porte-avions (A5M4 et A6M2) et par les hydravions F1M2. Trois bombardiers
hollandais sont abattus et deux autres gravement endommagés. Pourtant, ils parviennent, non
seulement à abattre deux de leurs assaillants (un A5M4 et un F1M2), mais encore à incendier
un transport.
Les sous-marins alliés présents dans le secteur reçoivent l’ordre d’attaquer la flotte de
débarquement, mais l’HMS Osiris (Lt R.S. Brookes), probablement trahi par une fuite de fuel,
est coulé par un hydravion pendant son approche. Peu après, il est vengé par le Hollandais KXVI (CC L.J. Jarman), qui coule le destroyer Asakaze.
………
Singapour – En fin de journée, une conférence d’état-major britannique se tient en présence
de Lord Gort dont l’avion, venant d’Inde, s’est posé à Singapour dans l’après-midi. Lord
Gort, chargé d’une mission d’inspection par le gouvernement britannique, doit aussi participer
à une conférence interalliée prévue le 18 entre Américains, Britanniques (et pays du
Commonwealth), Français et Hollandais.
L’Air Marshal Brooke-Popham demande à l’amiral Phillips d’utiliser au mieux ses forces
navales pour soulager la pression qui s’exerce sur les forces du Commonwealth dans le
Kedah. Phillips subit lui-même la pression de Churchill, qui souhaite le voir engager l’escadre
japonaise soutenant le débarquement de Miri, à Bornéo. Il reconnaît qu’une action navale
majeure est nécessaire. Comme le bombardement naval de Singora semble avoir donné de
bons résultats, il propose de renouveler l’opération tout en essayant d’interdire les
communications navales japonaises entre Bornéo et Hainan. En associant les croiseurs
français et les plus rapides croiseurs britanniques, l’Enterprise et l’Emerald, un groupe de raid
assez puissant peut être créé, capable d’attaquer la force japonaise pendant la nuit et de se
replier avant le lever du jour. En effet, le désastre du “Malacca Strait Squadron” a au moins
servi à démontrer qu’aucune action diurne ne peut être envisagée sans une solide couverture
aérienne (à la vérité, les avions japonais ont bénéficié ce jour-là d’une certaine réussite mais,
heureusement peut-être pour ses hommes, Phillips l’ignore). De son côté, le responsable local
de la RAF accepte d’envoyer les Beaufighter Ic basés à Kuantan pour couvrir cette nouvelle
opération navale.
Campagne d’Indochine
Cambodge – La 7e D.I. japonaise tente de prendre d’assaut la ville de Poutishat, car sa
tentative pour la contourner en passant par les berges du Tonlé Sap a été déjouée par le feu
des canonnières françaises. Cependant, durant cette action, l’Argus a été endommagé par des
obus de 100 mm tirés par des canons de campagne japonais. Sur la rive nord du Tonlé Sap, les
forces françaises et locales, aidées par une compagnie de blindés du GBMS, préparent la
défense de Kompong Thom. Plus au nord, les colonnes japonaises et thaïes qui ont pénétré au
Cambodge sont arrêtées à Rovieng Tbong.
………
Tonkin – Les forces françaises et locales se regroupent autour de Thai Nguyen. L’évacuation
de Lang Son est exécutée avec succès grâce à l’appui aérien fourni par les chasseurs de
l’AVG et les derniers Maryland basés à Hanoi. « Les Américains de l’AVG sont peut-être des
mercenaires, mais je dois reconnaître qu’ils gagnent honnêtement l’argent qu’on leur verse.
J’ai vu deux de leurs P-40 descendre si bas pour être sûr de toucher l’ennemi qu’ils se sont
fait cribler d’éclats par leurs propres bombes. Il faut dire que nous étions si près des
Japonais qu’il fallait aux pilotes une précision d’horloger pour ne pas risquer de lâcher leurs
bombes sur nos têtes ! » (A mon Frère Ennemi – Lettres d’un Légionnaire allemand, par
Klaus Müller. Manuscrit rassemblé et présenté par Uwe Müller – Paris, 1959 ; Munich, 1968).
En tout, quatre P-40 sont perdus : deux en attaquant les troupes japonaises, un par accident à
l’atterrissage et un en combat aérien. Car la chasse japonaise n’est pas restée inactive.
Néanmoins, cette fois, un des nouveaux “chasseurs allemands à moteur en étoile” (en réalité
un Ki-44 de pré-production) est abattu par l’as numéro un de l’AVG, Robert H. Neale, du
squadron Adam & Eve.
………
Annam – Les forces françaises et japonaises se heurtent avec férocité à 5 km au nord de Ninh
Hoa, sur la route côtière. « Les compagnies blindées du GBMS, soutenues par leur infanterie
organique et les restes des trois bataillons improvisés, réussissent d’abord à arrêter, puis à
repousser la colonne japonaise vers Tuy Hoa. Cependant, ce faisant, pas moins de 11 chars
SAV-41 sont détruits par des équipes-suicides japonaises. “Cela nous portait abominablement
sur les nerfs, se souvient Fernand Naudin, chef de char. Ils se cachaient dans les hautes herbes
près de la route, puis surgissaient et fonçaient, seuls ou à deux ou trois, et se faisaient sauter
contre les chenilles ou carrément sous la coque. Il fallait guetter sans arrêt, du haut de la
tourelle, les mains sur la mitrailleuse… Mon pilote, Roger Carmaux, les traitait de tricheurs et
de mauvais joueurs, et cette fois, j’avais tendance à être d’accord avec lui. La guerre est
inhumaine, mais il y a une manière humaine de la faire – et je trouvais que la manière de ces
Japonais n’était pas humaine.” En revanche, les avions de l’IJNAF et de l’IJAAF, qui
disposent d’une supériorité aérienne locale totale, se montrent moins efficaces que les
commandos-suicides ! L’aviation mitraille et bombarde à plusieurs reprises les éléments du
GBMS, mais elle n’obtient guère de résultats contre les blindés, tandis qu’un Ki-27 et deux
Ki-36 sont abattus par le feu des mitrailleuses des half-tracks anti-aériens. » (Pascal
N’Guyen-Minh, Guerre et Paix en Asie du Sud-Est)
Pendant ce temps, la vieille cité impériale de Hué est à nouveau bombardée par des Ki-30
basés à Tourane, qui font de nombreux morts dans la population civile.
………
Cochinchine – Saigon est attaquée deux fois et les bombardiers en piqué D3A1 de l’IJNAF
incendient les docks du port. Bien Hoa est également attaquée et le pont sur la rivière Dong
Nai est détruit.
A l’écart (pour le moment) du fracas des combats, l’activité politique n’est pas moins intense.
Dans la journée, le nouveau haut commissaire, Jean Sainteny, rencontre d’abord S.M. Bao
Daï, formellement empereur d’Annam, puis les représentants du culte cao-daïste et ceux des
syndicats locaux, tout récemment légalisés. Dans la soirée, Sainteny prononce un discours en
français et en vietnamien sur Radio-Saigon, dans lequel il appelle à « l’union de toutes les
forces patriotiques du Vietnam » pour créer un « gouvernement de défense nationale agissant
en coordination avec les autorités françaises ». Il promet que le gouvernement français
accordera un statut d’autonomie au Vietnam une fois ce gouvernement installé (Appendice 8).
………
Chungking (Chine) – Une conférence réunit des militaires chinois, américains, britanniques
et français. La délégation française (en fait, le commandant en chef de la Division Tonkin)
demande le déploiement rapide d’au moins deux divisions chinoises (équivalant chacune à
une brigade d’infanterie standard) dans la région de Thai Nguyen par le chemin de fer
Kunming-Hanoi. Cette demande est soutenue avec force par les envoyés américains, les
généraux George H. Brett et John A. Magruder. Néanmoins, les officiels chinois sont réticents
à engager des troupes au Tonkin, craignant une reprise de l’offensive japonaise contre
Kunming et Chungking.
Pacifique Central
Au large de l’île de Wake – La 26e Division de sous-marins japonaise, qui compte les Ro-60,
Ro-61 et Ro-62, a été envoyée à Wake après l’échec du premier assaut. Elle doit y relever la
27e Division et ses Ro-65, Ro-66 et Ro-67. Néanmoins, le Ro-66 n’a pas reçu l’ordre de retour
en raison d’une panne de radio.
En pleine nuit, ignorant leur présence respective, les Ro-62 et Ro-66 font surface pour
recharger leurs batteries dans le même secteur. Les vigies des deux sous-marins donnent
immédiatement l’alerte, mais il est déjà trop tard et le Ro-66 est éperonné par le bâtiment qui
devait le relever. Il sombre immédiatement, seuls trois marins seront sauvés.
18 décembre
Renforts
Golfe de Gascogne – Le convoi rapide de ravitaillement de Singapour a été baptisé “Long
Sword”. Bien escorté, il passe sans dommage entre les dents des KampfGruppen de la
Luftwaffe sur la route de Gibraltar (voir Décembre 41-4).
………
Alger – Des pilotes civils français (détachés temporairement des compagnies Air-France et
Air-Union), aidés par de jeunes pilotes frais émoulus des Unités d’Entraînement Opérationnel
(OTU), dont quelques Yougoslaves, Tchèques et Polonais, commencent le convoyage de 50
Hawk-81 et 20 Martin Maryland vers l’Extrême-Orient, via Benghazi, Le Caire, Habbaniyah,
etc. L’opération est dirigée par le lieutenant-colonel Lionel de Marmier. Ce pilote de chasse
des deux guerres mondiales, crédité de six victoires dans la première et trois dans la seconde,
a fait partie du personnel de l’Aéropostale entre les deux guerres ; il commande à présent les
Lignes Aériennes Militaires.
Les chasseurs Hawk-81 ont été modifiés par les ateliers d’Alger pour emporter une bombe de
125 kg sous la carlingue et quatre bombes légères ou deux conteneurs MAC de bombes
antipersonnel sous les ailes. En effet, une des leçons douloureusement apprises durant les
combats de France, de Corse et de Grèce est que les bombardiers légers sont relativement
inefficaces dans les situations où l’ennemi dispose de la supériorité aérienne. Les chasseursbombardiers sont presque aussi efficaces dans l’attaque au sol et peuvent se défendre seuls.
Les Maryland seront en fait employés comme avions de reconnaissance rapide et chasseurs à
long rayon d’action.
………
Le Caire-Ouest – Des équipages convoyeurs de la RAF (dont des pilotes et équipages de
l’aviation grecque qui viennent d’achever leur entraînement avancé sur la base d’Habbanyah,
en Irak) commencent à rassembler 100 Hurricane et 40 Blenheim qu’ils vont transférer en
Extrême-Orient.
………
Mer Egée – Ayant reçu un message urgent de l’Amirauté, la Force C de l’Escadre de Mer
Egée, composée des six destroyers de classe Hunt-type 2 Avon Vale, Blankney, Croome,
Eridge, Farndale et Grove (Commander C.T. Jellicoe), quitte Rhodes pour Port-Saïd, afin de
rejoindre la Force Z à Singapour. Cette flottille est destinée à renforcer la Royal Navy dans le
Détroit de Malacca. Avant de traverser le canal de Suez, elle va être rejointe par les avisos
anti-aériens Black Swan, Egret et Ibis et par le navire AA auxiliaire Tynwald. Le commandant
de l’Escadre de Mer Egée, le contre-amiral Philip Vian, a reçu entre-temps confirmation que
huit autres bâtiments de classe Hunt-2 (les Beaufort, Calpe, Chiddingfold, Dalverton,
Puckeridge, Silverton, Southwold et Wheatland) doivent quitter la Grande-Bretagne pour
renforcer sa flotte.
Dans le même temps, les mouilleurs de mines rapides HMS Abdiel et MN Emile-Bertin
quittent Rhodes pour Benghazi, où se trouve un important dépôt de l’Armée de l’Air. Les
deux navires doivent embarquer des chasseurs Hawk-81, des pièces de rechange et des
munitions. Filant 30 nœuds, ils vont faire escale à Port-Saïd, Djibouti et Colombo, pour
arriver à Singapour vers le 25 décembre (s’ils peuvent emprunter le Détroit de Malacca) et de
là gagner Saigon.
Campagne de Malaisie
Détroit de Malacca – Tôt dans la matinée, un Spitfire PR (reconnaissance photo) basé à
Kuala Lumpur (RAF Subang), effectue une revue complète des aérodromes japonais du sud
de la Thaïlande, malgré une météo « atroce ». Le pilote n’hésite pas à descendre jusqu’à
1 500 pieds pour obtenir de bonnes images et une confirmation visuelle. En se posant à
Subang, il n’a même plus dix minutes de carburant dans ses réservoirs ! Les photos,
développées vers midi, révèlent qu’en plus des avions de l’Armée japonaise, 31 bombardiers
en piqué D3A1, 22 « bombardiers monomoteurs embarqués » (des B5N2) et 32 « nouveaux
chasseurs embarqués » (des A6M2), tous de la Marine, se sont déployés sur deux des
aérodromes. Ces clichés confirment que l’état-major japonais a créé une unité aéronavale
spéciale, basée à terre et chargées des frappes anti-navires. La menace que fait planer sur le
détroit de Malacca une telle unité, dont la compétence a été bien démontrée par ses succès
contre la petite “Escadre du Détroit”, est considérée comme extrêmement sérieuse et
l’Amirauté à Londres est avertie que le convoi de ravitaillement pourrait bien devoir être
dérouté par le Détroit de la Sonde, prolongeant le voyage d’au moins trois jours.
De plus, la possibilité que des forces japonaises puissent débarquer dans le nord de Sumatra
ne peut être écartée. Cette hypothèse est renforcée par les nouvelles qui atteignent Singapour
dans le même temps : des bombardiers bimoteurs japonais (des Ki-21) ont frappé Medan et
Pakan Baru, à Sumatra, endommageant sérieusement les infrastructures locales et détruisant,
dans les airs ou au sol, cinq B-339 et deux bombardiers WH3 hollandais. C’est cependant la
seule opération notable organisée ce jour-là par les Japonais, car le mauvais temps limite
sévèrement les vols.
Pour tenter d’interdire le trafic côtier japonais et l’envoi de renforts vers les têtes de pont près
de Jitra et d’Alor-Setar, une force improvisée formée autour du croiseur lourd HMAS
Canberra, des DD Electra et Ambuscade, des vedettes lance-torpilles (MTB) n° 49, 50, 51,
52, 53 et 541 et des vedettes canonnières (MGB) n° 315, 316, 317 et 3182, quitte Singapour à
06h00 du matin pour renforcer ce qui reste de la malheureuse “Escadre du Détroit”. Une
couverture aérienne doit être assurée par les Beaufighter Ic des Sqn 248 et 253 de la RAF, qui
vont faire mouvement de Sembawang (Singapour) à Kluang.
Comme la force “Canberra” ne peut atteindre sa zone d’opérations dans la journée, le
commandement de la RAF autorise un raid d’éléments du Coastal Command sur les navires
ennemis à proximité de la tête de pont d’Alor-Setar. Douze Beaufort du Sqn 415 de la RCAF
et du 489 de la RNZAF, escortés par 18 Beaufighter, effectuent un ratissage anti-navires vers
12h45. Le raid est un échec relatif, du fait du très mauvais temps sur la côte ouest de la
péninsule malaise (deux embarcations légères sont détruites par les Beaufighter, tandis que les
Beaufort sont incapables de trouver une cible pour leurs torpilles). Toutefois, aucun chasseur
ennemi n’est rencontré et le groupe rentre sans pertes.
………
Alor-Setar – Si le mauvais temps restreint les opérations aériennes des deux côtés, c’est une
bénédiction pour les forces terrestres du Commonwealth. Soulagées des interventions des
avions japonais, elles peuvent se concentrer sur la réduction des têtes de pont japonaises.
L’aérodrome d’Alor-Setar est nettoyé vers midi et les autres troupes débarquées sont
repoussées vers la plage par une force associant des troupes de la 11e Division Indienne et de
la 8e Division australienne appuyées par de nombreux chars. Avec ces unités se trouve Robin
Meyrson, du New York Times, qui a battu une sorte de record. Parti le 8 de New York, il a
traversé l’Atlantique, puis a réussi, grâce à sa carte de presse, aux dollars du Times et surtout
aux relations bien placées qu’il a héritées de Bill Clifton, à trouver une place sur un avion de
transport français jusqu’en Birmanie, puis sur un avion anglais pour Singapour… Et il vient
d’arriver sur le front.
Les crucifiés de Malaisie – De notre envoyé spécial Robin Meyrson
« Le ciel roulait de lourds et sombres nuages, mais la pluie avait provisoirement cessé. Un
pesant char Matilda était arrêté en bordure d’un bouquet d’arbres. Tout autour, un groupe de
soldats britanniques et indiens, plusieurs dizaines, cent peut-être, debout, l’arme au pied,
immobiles, dans un silence total. Un major de l’Armée des Indes, moustache en bataille et
stick de commandement levé, accourut (avec moi dans son sillage) pour mettre fin à cette
pause inadmissible, mais ce qu’il vit lui fit ravaler ses ordres.
Attachés aux arbres dans une parodie de crucifixion, des dizaines d’hommes, des soldats
indiens, morts, le corps percé de coups de baïonnette – les plaies ne laissaient aucun doute sur
la nature des armes. « Qui sont ces hommes ? » articula le major à l’adresse d’un jeune
lieutenant qui se tenait là, figé, comme les autres. Le jeune homme parut sortir d’une transe :
« Des types de la garnison d’Alor-Setar, Sir. Une compagnie du Bahawalpur Rifles. Quand
les Japs sont arrivés, ils ont été très vite encerclés, puis débordés par le nombre et les
survivants se sont rendus. »
1
2
MTB : 52 tonnes, 30 nœuds, 4 mitrailleuses, 2 torpilles de 21 pouces.
MGB type Fairmile : 72 tonnes, 26 nœuds, 2 canons de 2 livres, 8 mitrailleuses.
« Bon Dieu ! » grogna le major. Ou peut-être dit-il quelque chose de bien plus grossier, j’avais
du mal à comprendre, et pas seulement parce qu’il parlait dans sa moustache. « Que
quelqu’un détache ces malheureux ! »
– Excusez-moi, Sir, fit le lieutenant. Les Indiens ne veulent pas, pas encore.
– Les… ? Mais pourquoi ?
– On est allé chercher des appareils photo, Sir. Ils disent qu’il faut que toute l’Armée les voie,
et toute l’Inde, aussi.
Cette histoire fera sans doute comprendre à certains Américains que, malgré les apparences,
les Japonais sortent bien du même moule que les incendiaires de la Corse, les destructeurs de
Coventry, les massacreurs de Belgrade et les assassins de la Grèce. Leur alliance n’est pas le
fait du hasard, mais de la logique.
Cependant, ces réflexions géopolitiques ne touchent guère les hommes des troupes du
Commonwealth en Malaisie, qu’ils soient Indiens ou Britanniques. Désormais, de quelque
façon que tournent les combats, il est fort peu probable qu’un seul d’entre eux se rende aux
Japonais. Et si les Japonais veulent vraiment la Malaisie, ils devront la payer très cher. »
A la fin de la journée, malgré le massacre des navires de la Royal Navy et, peut-être, grâce au
massacre d’Alor-Setar, qui a inspiré aux soldats indiens une fureur vengeresse, le
débarquement sur la rive du détroit de Malacca n’est plus considéré comme une menace.
Toutefois, le général Percival ordonne que la position défensive de Gurun, au sud d’AlorSetar et sur les pentes du Gunung Kedah, soit pleinement préparée et occupée, afin de parer à
toute éventualité.
………
La bataille aérienne – Malgré le mauvais temps qui la soulage temporairement, la chasse
alliée est toujours dans une situation critique dans le nord de la Malaisie. L’état-major de la
RAF évalue les éléments disponibles à 16 Hurricane (dont 11 en état de vol) pour toute la
RAF/RAAF et 11 Hurricane (dont 7 en état de vol) pour le GC IV/40 de l’Armée de l’Air.
Toutefois, tant l’amiral Phillips que l’Air Marshal Brooke-Popham rejettent toute suggestion
de déplacer un des squadrons de défense de Singapour, équipés de Spitfire, vers Kluang ou
Butterworth.
Campagne d’Indonésie
Bornéo (Miri) – Tôt dans la matinée, six bombardiers Martin WH-3 hollandais du 2-VLG-I
décollent de Samarinda. Sans escorte (les chasseurs Brewster Buffalo n’étaient pas prêts,
après les dommages subis en combat la veille), ils attaquent des navires japonais à Miri et
endommagent gravement un cargo, mais ils perdent trois des leurs sous les coups des
chasseurs A5M4 des porte-avions Zuiho et Shoho. Un autre raid est lancé l’après-midi, les
trois Martin WH-3 survivants étant cette fois-ci escortés par quatre Brewster B-339. Le raid
est à nouveau intercepté par les chasseurs embarqués et par des hydravions F1M2 (une
hydrobase japonaise vient d’être établie à Miri). Deux bombardiers et trois B-339 sont perdus,
contre un A5M4 et un F1M2. Un autre cargo est laissé en flammes et le ravitailleur
d’hydravions Sanuki Maru est endommagé par des bombes qui le ratent de peu. Reste qu’en
trois raids, l’aviation hollandaise de Bornéo a été quasiment réduite à néant…
Vers le milieu de l’après-midi, la force de couverture du vice-amiral I. Takahashi et les cargos
survivants quittent la rade de Miri, ayant débarqué toutes les troupes et tout l’équipement
transporté. Juste avant minuit, alors que l’escadre fait route vers les îles Paracels, le sousmarin français Le Glorieux (LV Bazoche) réussit enfin à se mettre en position de tir et coule
le croiseur léger Kuma d’une salve de quatre torpilles, dont deux vont au but.
Mer de Chine Méridionale – L’amiral Tom Phillips a sa marque sur le Prince of Wales,
accompagné du Repulse, du porte-avions Formidable, des croiseurs lourds Exeter,
Devonshire, Dorsetshire, Duquesne et Tourville, des croiseurs légers Hobart, Perth, Sydney,
Emerald, Enterprise, Mauritius, Duguay-Trouin et Lamotte-Picquet, et des destroyers
Encounter, Express, Javelin, Jervis, Jupiter, Ashanti, Nubian, Eskimo, Mistral, Tempête,
Tornade et Trombe. Alors que l’escadre, après avoir quitté le détroit de Johore, commence à
mettre cap au nord, une bonne nouvelle parvient à l’amiral. Grâce aux émetteurs-récepteurs
HF/DF de ses navires, les services d’écoute anglais ont réussi à faire une bonne triangulation
d’un émetteur japonais, et le contre-espionnage a pris d’assaut deux maisons de Johore Baru.
Un bref combat, où cinq hommes ont été capturés et deux tués, a permis d’éliminer une
cellule d’espionnage japonaise qui opérait depuis le début de la guerre.
A 17h30, l’escadre se dirige vers le nord-est, quand elle reçoit un message d’un Martin 167
français du GB IV/62, envoyé reconnaître Miri après la disparition dans cette zone d’un
Sunderland de la RAF, et qui signale que la plupart des navires japonais ont quitté le port.
Toutefois, l’avion n’arrive pas à localiser de groupe de soutien de Kondo, dont on suppose
qu’il navigue toujours entre l’Indochine et la côte nord de Bornéo. Phillips décide alors, faute
d’objectif, d’annuler le raid de nuit des croiseurs, mais de poursuivre sa route pour effectuer le
bombardement prévu de Singora.
Conférence interalliée
Singapour – En fin d’après-midi, la conférence interalliée réunit Lord Gort, l’Air-Marshal
Brooke-Popham et le Lt-général Percival (commandant des forces du Commonwealth en
Malaisie), Sir Shenton Thomas (gouverneur de Singapour), l’amiral Decoux (commandant en
chef des forces françaises en Indochine, arrivé, non sans mal, par avion), le Lt-général Hein
ter Poorten (armée des Indes Néerlandaises), l’amiral Helfrich (Marine royale hollandaise) et
le lieutenant-colonel Francis G. Brink (US Army). Cette réunion a pour but principal d’établir
une ligne de conduite pour la coopération multi-nationale.
Dans la soirée, le lieutenant-colonel Brink câble au Département d’Etat que cette conférence
« … a montré qu’il était urgent de nommer un commandant en chef chapeautant un étatmajor allié combiné, pour assurer une coordination précise entre les mesures prises par les
Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, la France et la Hollande. Il serait logique d’installer
ce quartier-général allié à Bandung (Java). »
Campagne d’Indochine
Cambodge – La bataille pour Poutishat continue. En fin de journée, les Japonais contrôlent
une partie de la ville. Alors que les troupes japonaises approchent de Kompong Thom, au
nord-est du lac Tonle Sap, elles sont harcelées par un groupe hétéroclite d’avions français,
parmi lesquels quelques vénérables Potez-25 TOE, dont deux sont irrémédiablement
endommagés par des tirs d’armes légères.
………
Tonkin – Les combats connaissent une accalmie pendant que les forces japonaises se
regroupent avant d’attaquer les défenses de Thaï Nguyen.
………
Annam et Cochinchine – Sur la côte vietnamienne, les troupes japonaises, qui se sont
regroupées à 5 km au sud de Tuy Hoa après la contre-attaque menée la veille par les éléments
du GBMS, tentent de reprendre leur avance vers Ninh Hoa, mais sont bloquées par les chars
et l’infanterie mécanisée des Français (Appendice 9).
Saigon et Hué sont à nouveau prises pour cibles par l’aviation japonaise, la première par les
avions de la Marine, la seconde par des Ki-30 de l’Armée.
Le bombardement de Saigon touche le bureau d’Havas Libre, rue Catinat, juste à côté du
Continental. Fort heureusement, le raid a lieu à l’aube : les locaux sont déserts et il n’y aucune
victime dans le personnel de l’agence. En revanche, tout le matériel est détruit, y compris
l’émetteur-récepteur, les pièces détachées et l’antenne Cassegrain, de même que la
documentation et les archives. En attendant qu’un émetteur-récepteur de remplacement arrive
d’Alger (Reuters, en dépit de sa bonne volonté, n’a en Asie rien de disponible, et les agences
américaines ont de la solidarité, ou de la confraternité, une conception que les européennes ne
partagent pas), Havas Libre devra en passer par les radiotélégraphistes de la poste centrale. Il
en résultera, même avec la priorité aussitôt accordée par le Gouvernement général, des délais
de transmission multipliés par deux, au moins, et des coûts multipliés par dix. Mais le bureau
provisoire créé à Hanoi depuis quelques semaines en prévision d’une actualité chargée au
Tonkin et dans le sud de la Chine (un journaliste monté de Saigon, un pigiste permanent local
et deux opérateurs) peut, lui, fonctionner à plein rendement, dans la limite de son potentiel.
Dans une certaine mesure, il prendra le relais.
L’Union fait la Force
Londres, siège du gouvernement belge en exil – Paul-Henri Spaak informe ses collègues
des consultations qu’il a menées concernant la position de la Belgique à l’égard du Japon
auprès du Foreign Office, de l’ambassadeur extraordinaire de Belgique à Alger (Raoul
Richard), des ambassadeurs de Belgique aux Etats-Unis (Raoul van der Straeten-Ponthoz,
l’ambassadeur ordinaire, et Georges Theunis, l’ambassadeur extraordinaire nommé pour les
questions ayant trait à la guerre) et de l’ambassadeur en Chine (le baron Guillaume) : « La
position du gouvernement britannique à ce sujet est évidemment favorable à une déclaration
de guerre. Toutefois, il ne fait pas pression sur nous. Monsieur Blum a fait comprendre en
termes limpides à Monsieur Richard qu’une déclaration de guerre a une portée avant tout
politique et qu’il sera toujours temps ultérieurement d’aviser quelles pourraient être ses
implications militaires. Messieurs van der Straeten et Theunis estiment que la Belgique doit
prendre immédiatement position aux côtés de l’Amérique au moment où celle-ci vient de subir
de lourdes pertes à Pearl Harbor, sans quoi notre position se trouverait encore plus affaiblie
aux Etats-Unis. Seul le baron Guillaume recommande encore une certaine prudence. J’en
conclus que notre position à l’égard du Japon doit être revue et qu’il conviendrait que la
Belgique déclare la guerre à ce pays. » Spaak, qui connaît l’esprit juridique de Pierlot,
renforce encore sa démonstration en rappelant que le Japon a rompu le Traité de Washington,
dont la Belgique est l’une des nations signataires.
Le Conseil se range finalement aux arguments du ministre des Affaires Etrangères et la
Belgique déclare la guerre au Japon.
19 décembre
Réorganisation et renforts
Alger – Réunion du Comité de Défense Nationale. Le vice-amiral Muselier est nommé
Commandant en chef des Forces françaises de la zone Pacifique ; son quartier général sera à
Nouméa (Nouvelle-Calédonie). Peu après la réunion, le général de Gaulle quitte Alger pour
Washington.
L’amiral Ollive ordonne au porte-hydravions Commandant-Teste, à Oran, de décharger au
plus vite les avions américains qu’il apporte pour embarquer la flottille AT-11 récemment
reconstituée (18 hydravions bombardiers-torpilleurs Northrop N3M). Il doit ensuite rejoindre
le convoi Long Sword à destination de Singapour.
………
Gibraltar – “Long Sword” atteint justement Gibraltar plus tard dans la journée, pour
ravitailler avant de traverser la Méditerranée. Au même moment, 38 bombardiers Vickers
Wellington et 14 Avro Manchester atterrissent à Gibraltar, en route pour l’Extrême-Orient. La
fiabilité des moteurs Vulture des Manchester étant incertaine, chacun d’eux transporte un
moteur de rechange dans sa soute à bombes !
Campagne de Malaisie
Peu d’action aérienne – Dans la nuit, 12 Wellesley du Sqn 14 de la RAF attaquent
l’aérodrome de Dong Muang, en compagnie de cinq Wellington du Sqn 223. Les résultats
sont limités, mais Bangkok est tenue réveillée par l’alerte aérienne pendant cinq bonnes
heures.
Dans la journée, le très mauvais temps sur le nord de la Malaisie réduit fortement l’activité
aérienne des deux camps. Sept Hudson australiens (Sqn 1 et 8 de la RAAF) vont bombarder
les aérodromes japonais en comptant sur les gros nuages noirs pour les abriter. Les bombes
détruisent trois Ki-51 et un Ki-27, mais l’équipage d’un Hudson s’égare dans un orage et
l’avion s’écrase sur une crête montagneuse.
………
Front du Kedah – Sous le couvert de l’obscurité, un régiment japonais, soutenu par des
chars, attaque de Kangar vers le sud pour tenter de rejoindre les forces débarquées sur la côte,
qui ont été acculées autour d’Alor-Setar dans une poche de plus en plus réduite. Après
quelques succès initiaux, cette attaque est brutalement contrée par des hommes de la 8e
Division AIF et des chars Valentine. Les forces japonaises recourent à nouveau à la tactique
des escouades-suicides, car le blindage des chars anglais est trop épais pour leur canon
antichar standard de 37 mm. Les forces britanniques perdent ainsi sept chars, mais les
attaquants sont pratiquement anéantis.
………
Activité navale – Les unités survivantes de la patrouille du Détroit de Malacca, renforcées
par le CA Camberra et deux destroyers de classe Hunt, patrouillent au nord de Penang pour
empêcher l’arrivée par mer de tout renfort japonais.
Le porte-hydravions Albatross et le croiseur-mouilleur de mines Adventure quittent Singapour
pour les îles Nicobar et Andaman, via le détroit de la Sonde. Les deux navires doivent
contribuer à défendre solidement ces archipels.
En Mer de Chine, la Force Z atteint peu après midi le point le plus au nord de son parcours.
Laissant alors le Prince of Wales et les croiseurs Devonshire, Dorsetshire, Exeter, Perth,
Hobart, Sydney et Mauritius escorter le Formidable, le Repulse, entouré des croiseurs français
Duquesne, Tourville, Duguay-Trouin et Lamotte-Picquet et des anglais Emerald et Enterprise,
file vers la côte thaïlandaise. Cette escadre atteint Singora juste avant minuit et effectue un
bombardement de 45 minutes sous un orage très violent, qui empêche l’utilisation des
Swordfish pour le réglage du tir. De ce fait, le bombardement est largement inefficace, mais il
sème la panique parmi les travailleurs locaux.
Campagne des Philippines
Des avions de l’armée japonaise, opérant de Vigan et d’Aparri, commencent à bombarder les
positions américaines près de Lingayen. Des bombardiers de la Marine, basés aux Paracels,
attaquent Clark Field et Fort Stotsenburg. Dans un message envoyé à l’amiral Hart, le général
MacArthur reconnaît qu’il faut abandonner l’espoir que le convoi “Pensacola” puisse
débarquer en Baie de Manille les renforts qu’il apporte.
Campagne d’Indochine
Cambodge – Les troupes françaises et locales doivent quitter Poutishat, qui tombe aux mains
de la 7e DI japonaise en fin de journée. Deux Potez-25TOE sont perdus en attaquant les
troupes nippo-thaïlandaises et un Potez 63/11 est à réformer après un atterrissage en
catastrophe près de Phnom-Penh.
………
Tonkin – Le front est plutôt calme aux alentours de Thai Nguyen.
………
Annam – Sur la côte, les troupes japonaises s’enterrent. Les éléments du GBMS qui leur font
face n’ont à subir que des attaques peu efficaces menées par des Ki-51 et des Ki-36 (l’un de
ceux-ci est d’ailleurs abattu par les mitrailleuses de 0,50 de la DCA).
20 décembre
Renforts
Gibraltar – Le convoi Long Sword destiné à Singapour entre en Méditerranée, escorté par
huit avisos anti-sous-marins de classe Elan de la Marine Nationale.
………
Sumatra – En fin de journée, les premiers Hurricane de la RAF et Hawk-81 de l’Armée de
l’Air commencent à atterrir à Medan (nord de Sumatra). Toutefois, les pilotes de convoyage
ont quelques difficultés à se poser sur la piste constellée de cratères. Six des 21 Hurricane et
trois des 14 Hawk-81 qui se posent à la tombée de la nuit sont détruits dans des accidents à
l’atterrissage.
Campagne de Birmanie
Trois Hurricane du Sqn 67 de Mergui attaquent le terrain de Prachaub Girikhan, photographié
trois jours plus tôt. Ils incendient un dépôt de carburant et revendiquent cinq avions détruits
au sol.
La nuit suivante, quatre Heyford du BVAS attaquent Don Muang, laissant derrière eux
quelques incendies qui réchauffent le moral du Service.
Campagne de Malaisie
La 8e DI australienne achève le nettoyage la zone d’Alor-Setar des forces japonaises. À Jitra
et Kroh, la situation est à nouveau calme.
………
Mer de Chine Méridionale – Alors que l’escadre d’attaque se retire vers la Force Z, elle est
surprise dans la nuit par un sous-marin japonais. Le Repulse est raté de peu par deux torpilles,
grâce aux qualités manœuvrières de son commandant qui le dirige comme un destroyer, mais
une autre torpille détruit la proue du Duquesne jusqu’à la tourelle I et la vitesse du croiseur
français tombe à 15 nœuds. Dès l’aube, les F4F-3 du Formidable assurent une couverture
aérienne au navire estropié qui, escorté par le croiseur léger Lamotte-Picquet, fait route
directement vers Singapour. Vers midi, les Beaufighter du Coastal Command prennent le
relais, alors que le temps se détériore.
Campagne d’Indochine
Cambodge – Les forces françaises sont repoussées à l’est de Poutishat et commencent à se
retirer vers Kompong Chnang. Les avions de coopération de l’armée font de leur mieux pour
ralentir l’avance japonaise, perdant trois Potez-25 TOE, deux Potez 63/11 et un Wirraway. Au
nord du lac Tonlé Sap, les forces japonaises et thaïes lancent une attaque sur deux fronts
contre Kompong Thom. Les canonnières françaises reçoivent l’ordre de quitter le Tonlé Sap
et de rejoindre Kompong Chnang, où elles sont attaquées sans succès par des bombardiers Ki21 japonais et thaïs. La plupart des bombes tombent sur les quartiers résidentiels de la ville
voisine, déclenchant des incendies et une panique générale. Phnom Penh est également
frappée par des avions japonais dans l’après-midi.
………
Tonkin – Des avions de l’AVG attaquent les lignes de communications japonaises et les
convois en route vers Thai Nguyen. L’aviation de l’Armée japonaise réagit en force. L’AVG
perd six Hawk-81 (dont un du fait de la DCA) contre six Ki-27 et trois Ki-43.
………
Annam – Sur la côte, la situation est calme : les forces françaises sont trop faibles pour
attaquer et les Japonais, manquant de chars et d’armes antichars, sont peu désireux de
reprendre l’offensive.
D’Italie au Japon d’un trait de plume
Japon et Chine – Après le cargo Matteo Ricci (1 815 GRT), nolisé dès le second semestre
1940, les Japonais ont pris, entre le 1er décembre et ce jour, le contrôle négocié de cinq
bateaux de commerce italiens bloqués depuis juin 1940 dans les ports du Japon et de Chine
ainsi que du cargo Venezia Giulia, ex-yougoslave Tomislav, saisi par les Italiens en mai 1941.
Soit un appoint total de tonnage marchand s’élevant à un peu plus de 22 000 GRT. Cinq des
sept navires reçoivent un nom japonais 3.
3
Seuls les Matteo Ricci et Tembien 1° (3 439 GRT) gardent leurs noms italiens (encore le premier finira-t-il par
être rebaptisé Matsuo Maru). Le Furiere Consolini (1 948 GRT) devient le Konei Maru ; le Granatiere Padula
(3 871 GRT), le Haryu Maru ; l’Amba Alagi (3 710 GRT), l’Aoki Maru ; l’Endertà (2 278 GRT), l’Enkyu Maru ;
enfin le Venezia Julia (5 387 GRT), le Teian Maru.