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Produire de l’expertise française en appui à la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement du secteur de la santé Producing French technical expertise to support the implementation of Health Millenium Development Goals (MDGs) Positionner des professionnels de santé en appui au développement sanitaire des pays du Sud, en particulier sur le continent africain, est, depuis toujours, une spécificité de la coopération française. Aucune coopération bilatérale ou multilatérale au monde, hormis Cuba, n’a mobilisé autant de médecins, infirmières, pharmaciens, biologistes et chercheurs, civils ou militaires, au service des populations du Sud ces quatre dernières décennies. A la coopération entre l’Etat français et les Etats africains, s’est ajoutée, à partir du début des années 70, une coopération non gouvernementale, humanitaire, personnalisée par l’ancien ministre Bernard Kouchner, fondateur de Médecins sans Frontières (1971), fondateur ensuite de Médecins du Monde (1980). Ces ONG, auxquelles il faudrait ajouter l’Aide Médicale Internationale (AMI, 1979), ont assis la renommée mondiale des « French Doctors », multipliant les antennes européennes et américaines, élargissant leur recrutement au nord comme au sud, adoptant avec MSF le « fund raising (7) ». Doivent être aussi mentionnées les ONG dites de « développement », préexistantes aux ONG humanitaires, toujours actives, moins visibles certainement. Nous n’abordons pas ici les besoins de formation de ces professionnels du secteur non gouvernemental. Nous parlons d’aide publique gouvernementale ou multilatérale : notre propos a trait à l’analyse de l’évolution des profils et des besoins de formation des seuls experts financés par les États ou les institutions multilatérales, identifiés en France comme étant des « assistants techniques (AT) » ou encore « experts techniques internationaux (ETI) ». À partir du début des années 1990, cette assistance technique médicale et sanitaire, dont la compétence était largement reconnue et appréciée, tant par les pays qui en bénéficiaient que par les autres coopérations bilatérales ou (1) ASPROCOP : Association des professionnels de santé en coopération. Cf. publications sur le site www.asprocop.org (2) Auteur principal, Vice Présidente ASPROCOP. (3) Vice Président ASPROCOP. (4) Président ASPROCOP. (5) Secrétaire Général ASPROCOP. (6) Secrétaire adjoint ASPROCOP. (7) Collecte de fonds. Correspondance : D. Kerouedan - 5, rue Visconti, 75006 Paris. ENJEUX DES FORMATIONS ET DES ENSEIGNEMENTS EN SANTÉ PUBLIQUE Santé publique, volume 19, Supplément N° 1, Janvier-Février 2007, pp. S107-S115 Membres du Conseil d’Administration de l’ASPROCOP (1) : Dominique Kerouedan (2), Christian Bailly (3), Henri Dubois (4), Michel Marquis (5), Jean-François Schemann (6) S108 D. KEROUEDAN, C. BAILLY, H. DUBOIS, M. MARQUIS, J.-F. SCHEMANN internationales qui la sollicitaient constamment, a progressivement diminué : près d’un millier en 1990, les assistants techniques français « santé » sont moins de 200 en juin 2006. Cette diminution suit celle observée tous secteurs confondus : de 3200 coopérants en 1994 à 1410 en 2005 [3]. La formation que ces professionnels reçoivent en France, tant à la Faculté de Médecine ou de Pharmacie, qu’à l’École Nationale de la Santé Publique de Rennes, ainsi que l’expérience qu’ils acquièrent sur le terrain français, ne suffisent pas la plupart du temps à l’exercice de ces métiers dans les pays en développement. La difficulté n’est pas tant technique que de nature institutionnelle : l’assistant technique des années 1990 se voit confier un rôle différent, d’animation de projet, de conseil technique, d’appui institutionnel, alors que le pouvoir de décision est chez le partenaire. Il s’agit désormais d’éviter de faire pour apprendre à faire faire. Ces qualités ne sont pas celles de tous les professionnels de santé… s’ils n’y sont pas préparés ! Sur la période des premières années du millénaire à ce jour, de fortes évolutions, pour ne pas dire des bouleversements, se produisent tant à l’échelle mondiale qu’européenne et française, dans le domaine de la coopération sanitaire internationale, présentés et analysés dans les rapports du Député le Docteur Pierre Morange, de Philippe Kourilsky, Professeur au Collège de France et de Professeur Marc Gentilini membre du Conseil Économique et Social [3, 7, 8]. Les aspects relatifs à l’expertise ont été discutés [6], et présentés dans le contexte de la crise des ressources humaines du secteur de la santé en Afrique aux députés lors de la table ronde « Santé et Coopération » en juin 2006 à Paris [1]. 1. À l’échelle mondiale, en septembre 2000, 189 pays signent la Déclaration du Millénaire sous l’égide des Nations Unies, et 191 États membres de l’ONU s’engagent à contribuer à la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) sur la période 2000-2015. Trois des huit OMD sont consacrés à la santé, les objectifs 4, 5 et 6 ainsi qu’une partie de l’objectif 8 : • OMD 4 : réduire des 2/3 la mortalité infantile des enfants de moins de 5 ans ; Santé publique, volume 19, Supplément N° 1, Janvier-Février 2007, pp. S107-S115 Cette décision de réduire considérablement la présence française de longue durée sur le terrain, est prise essentiellement sous l’effet de contraintes budgétaires, mais aussi en cohérence avec une donnée nouvelle de la coopération : les médecins et paramédicaux africains sont formés en grand nombre. Un paradoxe s’instaure même : de nombreux médecins sont au chômage à Abidjan, à Cotonou, à Bamako. À la coopération de substitution, fait place un nouvel instrument de financement du développement sanitaire, au travers de l’aide-projet : les professionnels de santé africains prennent les commandes des services de soins, et les AT français occupent plutôt des postes d’animation de projets de santé urbaine ou rurale, de chefferies ou de conseil technique auprès des districts ou des régions sanitaires, de gestionnaires des infrastructures de santé (dont les hôpitaux), de conseil technique dans les administrations, programmes nationaux ou cabinets des ministères de la santé ; enfin, un nombre plus restreint d’AT s’investit dans la recherche en sciences biomédicales ou en sciences humaines, en particulier au sein du réseau des Instituts Pasteur ou de l’ORSTOM, devenu ensuite l’IRD. Santé publique, volume 19, Supplément N° 1, Janvier-Février 2007, pp. S107-S115 EXPERTISE FRANÇAISE ET DÉVELOPPEMENT DU SECTEUR DE LA SANTÉ S109 • OMD 5 : améliorer la santé maternelle et réduire des 3/4 la mortalité maternelle ; • OMD 6 : combattre le VIH/sida, le paludisme et les autres maladies (dont la tuberculose) ; • cible 17 de l’OMD 8 : en collaboration avec les entreprises pharmaceutiques, fournir l’accès aux médicaments essentiels aux pays en développement. À l’instigation des pays du G8 à Okinawa et de Kofi Annan (8), le Fonds Mondial pour la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme est institué (FMSTP) en 2002, avec l’objectif de démultiplier la mobilisation des financements pour le contrôle de ces trois maladies qui tuent à elles seules plus de 6 millions de personnes par an. D’autres initiatives ont pris corps récemment et constituent autant de modes de financements alternatifs, additionnels de l’aide au développement, et l’espère-t-on, complémentaires et synergiques. La Facilité financière internationale (IFFim), appliquée à la vaccination, permet de débourser de façon anticipée, en recourrant aux marchés financiers (émission d’emprunts), des fonds nouveaux pour l’aide au développement. La Grande-Bretagne qui a lancé cette initiative, et la France qui la soutient, s’engagent ensuite à rembourser les emprunts. Pour l’heure, les fonds ainsi levés sont destinés à financer les besoins des GAVI (Global Alliance for Vaccines and Immunization). La France accordera 100 millions de dollars en moyenne annuelle sur vingt ans à travers l’IFFim. Notre pays a également fait la promotion dès 2005, d’une autre modalité innovante de financement, représentée par la contribution de solidarité sur les billets d’avion. Cette contribution devrait libérer en France 200 millions d’euros supplémentaires pour l’aide au développement. Cette initiative est aujourd’hui accompagnée par le Brésil, le Chili, la Norvège, et une quarantaine d’autres pays ainsi que par de nombreux partenaires internationaux publics et privés. La France a proposé que les contributions de solidarité sur les billets d’avion soient affectées au financement d’une facilité internationale d’achats de médicaments ainsi que de moyens de diagnostic (FIAM/UNITAID) contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme. La FIAM/ UNITAID devient ainsi, à partir d’octobre 2006, une nouvelle institution multilatérale, hébergée à l’OMS, mais indépendante, et complémentaire du FMTSP dans ses objectifs, puisque devant améliorer l’accès au diagnostic et aux médicaments des populations affectées par les trois grandes maladies. L’idée est d’avoir pour la FIAM une ressource garantie, prévisible et pérenne de financement. La France affectera ainsi à la FIAM/UNITAID 90 % de sa contribution de solidarité sur les billets d’avion (180 millions d’euros) et le reste aux remboursements de l’IFFim. 2. À l’échelle européenne, l’architecture institutionnelle de la Commission européenne est révisée ; régissant les rapports de coopération entre l’Union européenne et les États ACP (Afrique Caraïbes Pacifique), la Convention de Cotonou succède à la Convention de Lomé ; dix nouveaux États membres rejoignent l’Union européenne en mai 2004 ; les instruments de financement (8) À l’époque, Secrétaire Général des Nations Unies, NDLR. S110 D. KEROUEDAN, C. BAILLY, H. DUBOIS, M. MARQUIS, J.-F. SCHEMANN 3. À l’échelle nationale française, à la fin des années 1990, la réforme du dispositif de coopération place le Ministère de la coopération sous la tutelle du Ministère des affaires étrangères (MAE). Le ministre de la coopération devient un ministre délégué. Dans le même temps, l’Agence française de développement (AFD) devient opérateur de ses tutelles sur le secteur de la santé. Le Comité Interministériel de Coopération Internationale au Développement (CICID) est institué pour coordonner l’action de la France à la fois aux plans politique, diplomatique et opérationnel. En 2004, une accélération de la réforme s’observe : toute l’aide publique bilatérale au développement en santé est basculée à l’AFD. L’administration de la Direction Générale de la Coopération Internationale et du Développement (DGCID) au MAE est une nouvelle fois remaniée en 2005 et la politique de coopération pour le développement révisée pour reprendre les termes de la Déclaration du Millénaire pour le Développement, dont les OMD du secteur de la santé. Sur la période 2002-2007, la France augmente progressivement sa contribution annuelle au Fonds Mondial qui passe de 50 millions d’euros en 2003 à 300 millions d’euros promis en 2007. Les nouveaux efforts additionnels (IFFim, contribution de solidarité sur les billets d’avion) étant affectés au champ multilatéral, le ratio de l’aide bilatérale française est appelé à baisser, d’autant que le volume même de cette aide bilatérale semble devoir diminuer également de 2006 à 2010. Cette répartition nouvelle des efforts français en faveur du développement soulève inévitablement un certain nombre de questions (bien-fondé des choix politiques opérés, capacité d’absorption des pays, capacité de structuration des systèmes de santé et de gestion des pays, réalité des processus d’harmonisation des bailleurs de fonds, etc.). Ces bouleversements survenus à chacun de ces niveaux ont naturellement des conséquences sur les profils de l’expertise professionnelle de santé désormais exigés et attendus sur le terrain et dans les institutions. Santé publique, volume 19, Supplément N° 1, Janvier-Février 2007, pp. S107-S115 de l’aide publique européenne, en particulier dans le cadre du Fonds européen de développement (FED), se diversifient aux dépens de l’aide projet et, de fait, du secteur de la santé : la santé devient le parent pauvre de la programmation du IXe et du Xe FED. L’aide budgétaire est désormais l’instrument privilégié du financement de l’aide publique au développement européenne. Malgré les intentions affichées de la Direction Générale du Développement de la Commission européenne d’accorder des tranches variables d’aide budgétaire aux États ACP au vu de la performance de leurs politiques publiques dans les secteurs sociaux, la Commission européenne, dont les réformes des procédures ont effectivement permis l’accélération de la mise en œuvre des financements, a bien du mal à mesurer et à montrer un impact quelconque de son aide budgétaire sur le développement sanitaire des pays du Sud. Parallèlement, la contribution de la Commission européenne au FMTSP est certes importante, positionnant l’Union Européenne (Commission et États membres) au premier rang mondial des contributeurs ; mais encore une fois, l’impact de ces contributions est difficile à mesurer, d’autant que les Délégations de la Commission européenne sur le terrain ne s’intéressent que très rarement à la mise en œuvre des projets du Fonds Mondial dans les pays et n’apportent que trop exceptionnellement leur appui technique aux instances nationales de coordination de ces projets. Santé publique, volume 19, Supplément N° 1, Janvier-Février 2007, pp. S107-S115 EXPERTISE FRANÇAISE ET DÉVELOPPEMENT DU SECTEUR DE LA SANTÉ S111 Les déterminants de la santé dans les pays en développement ont de leur côté considérablement évolué au cours des deux dernières décennies : aux maladies infectieuses et aux maladies émergentes se juxtaposent des maladies chroniques connues de longue date comme le diabète, et des profils épidémiologiques dits « de transition » incluant des maladies non transmissibles « occidentales » telles les cancers, les maladies cardiovasculaires, mais aussi des pathologies sociales et médicales complexes liées à la pauvreté, à l’urbanisation galopante, à la croissance démographique, à l’environnement, aux accidents de la voie publique et au handicap. N’étant plus en substitution, il ne s’agit plus pour l’assistant technique médecin de soigner : il s’agit de venir en appui à l’administration de l’aide publique au développement (APD) et à la gestion des fonds privés alloués au secteur de la santé. Notons néanmoins que jusqu’ici la part de l’APD française consacrée à la santé n’était que de 4% alors que celle des pays de l’OCDE est en moyenne de 11 % [9]. Il s’agit aussi pour l’AT de savoir administrer l’aide budgétaire de la Commission européenne et de définir des indicateurs pertinents de mesure de son impact sur les secteurs de l’éducation et de la santé ; il s’agit de mettre en place des approches sectorielles en partenariat avec les autres pays de la communauté internationale et de savoir préparer les indicateurs et les institutions des pays à gérer ce nouvel instrument désormais privilégié aussi par l’AFD quand elle ne propose pas des prêts ; il s’agit d’administrer l’accompagnement des allègements de dette ; d’accompagner les pays dans la définition, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des programmes du Fonds Mondial ; de concevoir des méthodes de suivi de la mise en œuvre des politiques publiques de santé, de développer la recherche tant qualitative que quantitative dans ce domaine. Car on le voit bien, même les échanges au sein des instances du « Forum de Haut Niveau » des OMD de la santé ne sont pas convaincants sur les questions suivantes : est-ce que ces stratégies internationales parviennent à atteindre leur but et où en est-on de la réalisation des OMD ? Quels sont les indicateurs et les méthodes de mesure d’efficacité qui ont fait leurs preuves ? Que devons-nous savoir pour avancer ? Que devons-nous faire pour être plus efficaces ? Il s’agit encore de susciter l’implication du secteur privé industriel et commercial, notamment en faveur de la prévention et de la prise en charge du sida, de monter des programmes de partenariat public-privé dans le domaine de la santé, tant avec le secteur associatif, communautaire et confessionnel des services de soins, qu’avec le secteur privé industriel et commercial, et de s’inscrire dans les processus de contractualisation, de déconcentration, de décentralisation, et parfois de démocratie sanitaire [5]. Les assistants techniques médecins, pharmaciens, paramédicaux, chercheurs aussi, s’inscrivent désormais dans ce contexte et leur contribution est attendue dans ces cadres, qu’ils exercent en appui aux aides bilatérales ou qu’ils soient affectés auprès des sièges des institutions multilatérales. Ils doivent donc être parfaitement informés et formés sur les politiques et stratégies internationales de coopération, sur les instruments financiers de la Commission européenne, de la Banque mondiale et du Fonds Mondial (puisque cette dernière institution est bien un fonds et non une agence technique), mais aussi sur les évolutions institutionnelles et politiques de notre coopération au développement. Or ils ne le sont pas ; or le MAE s’apprête à recruter D. KEROUEDAN, C. BAILLY, H. DUBOIS, M. MARQUIS, J.-F. SCHEMANN une quinzaine d’AT à placer dans des plates-formes régionales, mobilisables à court terme par les pays en appui à des demandes spécifiques. Quels sont les professionnels de santé formés dans les facultés de médecine ou de pharmacie, parfois et au mieux titulaires d’un diplôme universitaire (DU) de « Santé et développement », qui sont préparés à affronter toute la complexité institutionnelle, technique et financière de la mise en œuvre des nouveaux instruments de financement de l’aide publique mondiale en appui au secteur de la santé, tout en s’assurant de l’efficacité et de l’efficience de ces nouveaux programmes ? Quels sont les AT en partance prêts à affronter toutes les difficultés institutionnelles et relationnelles des négociations entre l’État récipiendaire et l’aide internationale, avec les institutions tripartites de la France sur le terrain (Ambassade, SCAC (9) et AFD), avec les autres coopérations bilatérales, avec les institutions multilatérales (agences de l’ONU, Banque Mondiale, Commission européenne) ou encore les initiatives mondiales (FMSTP, GAVI, IFFim, Contributions de solidarité, FIAM/UNITAID, Fondations privées des « Bill » Clinton et Gates) ? Car le positionnement futur de l’expertise française, si elle doit avoir une place, se trouve bien au carrefour des besoins des pays, des réponses nationales et de l’offre internationale. Quels sont ceux des AT qui sont armés pour coordonner et contribuer à harmoniser ces appuis ? Quels sont ceux qui sont suffisamment formés en économie de la santé et en gestion pour aider les pays à « prioriser », fonder leurs choix stratégiques, mettre en place des systèmes de mesure de l’état de santé ou de détection de nouvelles épidémies et pandémies, mesurer leurs interventions, mettre en place des systèmes alternatifs de financement des soins, aider à leur décision en santé publique, répondre aux exigences des procédures des nouveaux instruments de financement de l’aide ? Car c’est exactement à ces endroits-là que les autorités sanitaires nationales attendent désormais une expertise internationale en vue de les aider à la réalisation très concrète et à la mesure des résultats des objectifs fixés. Au niveau multilatéral, des recommandations ont déjà été posées pour mieux positionner les experts français [2, 7, 8] sans qu’on ait beaucoup avancé dans ce domaine. « Last but not least », quels sont ceux des professionnels de santé qui maîtrisent parfaitement toutes les nuances de la langue anglaise parlée par les britanniques ou les américains, pour être crédible au point d’être influents sur l’élaboration et la réalisation des politiques de santé des agences de l’ONU, de la Commission européenne ou de la Banque mondiale ? On ne peut pas évoquer la question des besoins de formation et le profil du nouvel AT de santé publique recrutés par le MAE, l’AFD ou le secteur privé des bureaux de consultants, sans la mettre en perspective de la crise des ressources humaines en Afrique. Une prise de conscience s’observe enfin (car le problème n’est pas nouveau) au sein de la communauté internationale, et des réponses doivent être apportées de façon urgente, au risque sinon de rendre inefficace tout le nouvel effort international en faveur de l’aide à la santé des pays démunis. Aujourd’hui, nous l’avons vu, il n’y a pratiquement plus d’assistance technique résidentielle effectuant directement (9) Service de coopération et d’action culturelle de l’Ambassade de France. Santé publique, volume 19, Supplément N° 1, Janvier-Février 2007, pp. S107-S115 S112 EXPERTISE FRANÇAISE ET DÉVELOPPEMENT DU SECTEUR DE LA SANTÉ S113 des soins. Néanmoins le débat qui prend corps sur les ressources humaines, nous fait comprendre que l’absence de coopération humaine directe sur ce champ entre le Nord et le Sud, est encore un facteur de fragilisation de ces ressources humaines. Des solutions au travers de l’expertise non résidentielle doivent probablement être avancées. C’est déjà ce que propose l’initiative Esther (Ensemble Solidarité Thérapeutique en Réseau) qui rapproche les praticiens du Nord de ceux du Sud dans le champ du traitement de l’infection à VIH. Aujourd’hui, sur de nombreux sites dans le monde, hôpitaux et associations du sud bénéficient d’un jumelage quasi constant avec leurs homologues français et européens. Cette initiative a un coût mais les malades sont pris en charge et la qualité est au rendez-vous. Si ce genre de mécanisme est déjà une réponse importante qui s’inscrit dans le cadre de l’amélioration des ressources humaines, il reste un besoin de formation complémentaire à couvrir pour ces soignants hospitaliers, en charge de ces projets techniques de compagnonnage au Sud. Leur performance là aussi en dépend ; comme elle dépendra du temps suffisamment long qu’il faut dédier à cet accompagnement, comme elle dépendra encore de la situation globale du système de santé et des appuis que ce dernier recevra. Ces notions doivent faire l’objet de formations adaptées pour cette expertise technique non résidentielle. Santé publique, volume 19, Supplément N° 1, Janvier-Février 2007, pp. S107-S115 Recommandations pour une meilleure formation des assistants coopérants Les compétences de l’assistance technique française de notre point de vue, ne sont donc plus du tout adaptées aux évolutions des profils et au niveau d’expertise attendue par les pays du Sud, les institutions internationales, et même les institutions françaises de coopération dans le contexte de la mondialisation. Ce décalage s’est accentué très rapidement entre 2000 et 2006. Même si la France doit contribuer à répondre à la crise des ressources humaines, il n’est probablement pas question de revenir à une coopération de substitution. Il est donc urgent de prendre conscience de l’inadaptation de l’expertise française aux attentes, et d’y remédier. Il s’agit en tout premier lieu d’élaborer dans le cadre du CICID une politique de valorisation de l’expertise française publique et privée en appui à la mise en œuvre des nouveaux instruments de financement de l’aide en santé, politique qui tienne compte de la situation des ressources humaines du secteur de la santé des pays soutenus. Il s’agit surtout de proposer dans le cadre l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP) prévue par la Loi de Santé Publique 2004, créée par Décret en décembre 2006, l’organisation d’un pôle de formation en Médecine Tropicale et Santé Internationale avec une formation diplômante de niveau Mastère, abordant l’ensemble de ces politiques et stratégies, ainsi que des études de cas permettant aux futurs AT d’être mieux à même de répondre à la demande des secteurs public et privé des pays où ils interviendront. L’ASPROCOP, en lien avec l’Institut fédératif français de médecine tropicale et de santé internationale (IFFMTSI) et certains bureaux d’études privés, pourrait s’associer à la Société française de santé publique et aux écoles de santé publique fondatrices de l’EHESP en vue de concevoir le contenu de cette formation. À terme l’idée serait, comme y invite le Décret de l’EHESP, de S114 D. KEROUEDAN, C. BAILLY, H. DUBOIS, M. MARQUIS, J.-F. SCHEMANN créer des partenariats avec les Départements de santé publique des universités européennes, en Belgique (à Bruxelles et Anvers), en Allemagne et au Royaume-Uni, et de créer, pourquoi pas, un Master européen de Santé Internationale. Ces formations diplômantes pourraient être proposées aux professionnels de santé des pays du Sud, et contribuer ainsi produire des experts de haut niveau, acteurs potentiels de la réalisation des objectifs du millénaire en santé. De façon complémentaire, il y a lieu d’envisager des formations diplômantes (de niveau Diplôme d’Université), adaptées à l’exercice non résidentiel, en particulier dans le contexte de l’accompagnement des soins dans les pays en développement, et de l’organisation institutionnelle des instances exécutives ou de gouvernance des fonds internationaux à l’échelle des pays récipiendaires. Enfin, les assistants techniques pourraient être mieux préparés psychologiquement et techniquement à une réinsertion professionnelle à l’issue de leur expérience de terrain. La formation pourrait inclure des sessions d’information et de formation sur l’exercice du métier de la santé internationale au travers des autres institutions de coopération publiques et privées, françaises et européennes ou internationales, y compris au travers des bureaux d’études et de l’exercice du métier de consultant indépendant. Les institutions internationales faisant volontiers appel à de l’expertise de courte et moyenne durée, cette modalité doit être exposée pour que professionnels de santé libéraux comme fonctionnaires, mais aussi administrations d’origine de ces derniers, sachent trouver les façons d’y participer. Conclusion Les profils de l’expertise française en santé publique, que celle-ci soit recrutée par les services publics ou les bureaux de consultants, ne sont pas adaptés aux attentes des partenaires publics et privés des pays en développement, ou à celles des institutions internationales. La France doit se préparer à produire des experts en grand nombre, qui pourraient être mobilisés sur le court, le moyen et le long terme. Ceux-ci viendraient en appui des institutions et des programmes de la coopération sanitaire internationale en vue de répondre aux défis de la situation sanitaire des pays pauvres et aux grands enjeux de la situation sanitaire mondiale, ces enjeux restant : (i) l’émergence de nouvelles pandémies, la surveillance et l’alerte épidémiologiques, le laboratoire, la recherche, (ii) la crise des ressources humaines notamment en Afrique, et la nécessité d’y répondre très concrètement, (iii) la (10) Groupement d’Intérêt Public. Santé publique, volume 19, Supplément N° 1, Janvier-Février 2007, pp. S107-S115 Il s’agit de proposer aux AT sur le terrain et en partance, une formation continue en santé publique internationale. Les GIP (10) France Coopération Internationale et Santé Protection Sociale Internationale, doivent prendre la mesure de ce qui est attendu dans ce domaine et prendre leurs responsabilités, puisque leurs mandats les y invitent. Il s’agit d’instiller tout au long des études médicales des éléments de médecine tropicale, de santé publique, de santé humanitaire et de « santé et développement ». EXPERTISE FRANÇAISE ET DÉVELOPPEMENT DU SECTEUR DE LA SANTÉ S115 croissance démographique et le développement urbain, (iv) in fine, la réalisation des OMD, avec une responsabilité toute particulière des pays occidentaux en vue de la réalisation des dispositions et engagements de l’OMD 8 touchant au commerce, aux allègements de dette, à l’accès au médicament. Pour que notre pays garde une place crédible et influente dans le domaine de la coopération sanitaire internationale, à hauteur de son expérience et du potentiel de ses professionnels de santé, il faut déployer des moyens humains et financiers en conséquence, et pas seulement (voire exclusivement) dans le seul champ de la lutte contre trois maladies. L’élaboration de stratégies de santé pertinentes et efficaces en faveur des pays en développement exige un esprit critique, de la créativité et de l’imagination, mais nécessite aussi de se fonder sur les enseignements de l’histoire, sur les données de la recherche en sciences médicales, en sciences humaines, sur une meilleure analyse socio-économique des contextes et des choix stratégiques des autres coopérations. Les futurs assistants techniques doivent être formés spécifiquement en vue d’acquérir une culture, des méthodes et un véritable savoir-faire. Santé publique, volume 19, Supplément N° 1, Janvier-Février 2007, pp. S107-S115 BIBLIOGRAPHIE 1. ASPROCOP. D. Kerouedan. Communication à l’Assemblée Nationale. Table ronde « Santé et Coopération ». Assemblée Nationale, 21 juin 2006. 2. Bouché J. Auditeur du Conseil d’État. La mobilisation de l’expertise publique sur les actions de coopération institutionnelle internationale. Rapport au Premier Ministre. Juillet 2003. 3. Gentilini M. 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