johnny hallyday, olympia 61

Transcription

johnny hallyday, olympia 61
2 coffrets, 108 € pc - LMLR, 27 rue de l’Armorique, 75015 Paris
a dernière en date des rééditions en CD de
L
Johnny Hallyday concerne la période Vogue
avec deux intéressants coffrets, reproduisant
avec leurs pochettes les super 45 tours, 33 tours 25
et 30 cm. Ils comportent de nombreux bonus dont
un enregistrement inédit à l’Olympia du 21 septembre 1961, espéré, ô combien, depuis longtemps.
Alors qu’il existe de multiples et magnifiques clichés pris ce soir-là, la pochette de ce CD est ornée
d’une photo anachronique, de 1960, choisie pour
des raisons contractuelles. Dommage aussi que
cet enregistrement n’ait pas été effectué dans les
conditions de l’émission Musicorama d’Europe
N°1, mais lors d’un reportage pour cette radio par
Pierre Bouteiller sur cet événement parisien
médiatico-artistique que représente la première à l’Olympia de Johnny Hallyday.
Evénement, on peut le dire, car passer en vedette dans cette salle est
la consécration pour un artiste, et que cela arrive à un jeune de 18 ans
qui n’a entamé sa carrière professionnelle que depuis un an et demi,
est du jamais vu. Mais ce n’est pas le seul événement majeur dans son
parcours en ce début d’automne 1961. Johnny vient, en effet, de changer de maison de disques et après avoir, plus ou moins, signé chez
Barclay, a finalement choisi Philips qui lui assure, outre de meilleures
conditions financières, la possibilité d’enregistrer, via ses filiales, au
Royaume-Uni et aux Etats-Unis. C’est d’ailleurs à Londres, au studio
Fontana, qu’il s’est rendu pour mettre en boîte les titres de son premier 25 cm pour son nouveau label.
Dans l’optique de l’Olympia, il a emmené avec lui ses Golden Strings,
afin qu’ils prennent de la graine auprès des musiciens anglais. Il juge
aussi qu’il convient de renouveler matériel et instruments. Les vieux
amplis sont remplacés par des modèles américains de chez Fender.
Antonio Rubio relègue sa contrebasse pour une basse électrique.
Jean-Pierre Martin et Claude Horn sont dotés de Gibson en lieu et
place de leurs guitares de jazz françaises. Johnny, quant à lui, jette
son dévolu sur un superbe modèle Epiphone, demi-caisse à pan
coupé, couleur sunburst avec vibrato bigsby. Cet instrument, qui a fait
fantasmer bien des fans et des guitaristes, fera sa deuxième apparition, au printemps 1962, sur la photo de pochette du EP « Johnny A
New York ». Il étrenne son Epiphone à l’Olympia mais, les photos
en témoignent, il utilise encore sur certains morceaux sa fameuse
Ohio. Sa garde-robe et celle de ses musiciens est aussi renouvelée.
Tout le monde arbore des smokings bleu-nuit pailletés, celui de Johnny est en alpaga, sur une splendide chemise blanche à jabot et un
nœud-papillon type noeud-twist. Tout est en place pour un concert qui
fera date.
Le disque débute avec le reportage de Pierre Bouteiller dans sa loge
où se bousculent des personnalités. A tout seigneur tout honneur,
Johnny a droit au premier entretien où il déclare avoir le trac. Charles
Aznavour dit toute l’affection et l’estime qu’il a pour lui. Bruno Coquatrix, directeur de l’Olympia, se montre confiant et, suite à une question de Bouteiller sur une casse éventuelle de fauteuils par des fans
excités, dit ne pas être inquiet. Lucien Morisse, directeur des programmes d’Europe N°1, prédit un avenir au rock’n’roll et à Johnny, opinion partagée par Bruno Coquatrix qui ajoute qu’il ne serait pas surpris de voir Johnny, toujours en vedette, vingt ans plus tard (joli flair !).
Eddie Barclay, présent aussi, pense que la vogue du rock va durer
encore trois ans. Pierre Bouteiller fait alors la bourde de la soirée et
pose la question qui fâche : Eddie Barclay, aimeriez-vous avoir Johnny Hallyday chez vous ? La réponse, immédiate : Mais c’est la cas, j’ai
un contrat signé. Etonnement de Bouteiller qui croit savoir (et c’est la
seule chose qu’il sache sur Johnny !) que ce dernier enregistre pour
un autre label. Acquiescement de Barclay qui conclut : Cela va se terminer par un beau procès !
Quelques propos échangés avec Charles Aznavour indiquent que
Pierre Bouteiller confond jazz et rock. Ce qui augure mal de la suite.
Johnny quitte sa loge pour rejoindre les coulisses. En attendant le
début du concert, le journaliste le suit et interroge le bassiste des Golden Strings, Antonio Rubio, mélangeant guitare et basse. Pendant
l’instrumental d’ouverture, Bruno Coquatrix encourage sa vedette :
Tu vas les tuer, allez, allez... vas-y mon Johnny ! Le spectacle est à la
fois enregistré et diffusé en direct sur Europe N°1 grâce à un ou plusieurs micros disposés au balcon de l’Olympia, ce qui explique la
qualité moyenne du son.
Le concert commence par des morceaux dont on n’avait pas de versions en public, « Je Cherche Une Fille » et « Hey Pony » suivis
de « Il Faut Saisir Sa Chance » et « Avec Une Poignée De
Terre ». Ces deux derniers titres font partie de ceux réalisés à
Londres. Pierre Bouteiller reprend le micro et déclare : La salle est
étrangement calme. Il faut l’avouer, si une chose est évidente, c’est
que Bouteiller ne connaît absolument rien à Johnny ni à ses chansons
ni au rock et pas grand chose à la musique en général. On s’en rend
compte rapidement, ce qui se passe sur la scène lui est totalement
étranger. Ce qui l’intéresse, et la vraie raison de sa présence, c’est ce
qui se déroule dans la salle ou plutôt ce qui est censé s’y passer, à
savoir : bagarres, échauffourées, bris de fauteuils, voire mise à sac
des lieux, comme cela s’est produit durant la tournée d’été du chanteur. Et, comme on s’accorde à dire que l’Olympia est coutumier du
fait depuis Gilbert Bécaud et Sidney Bechet, il ne manquera pas d’en
être encore une fois le lieu avec Johnny Hallyday. Alors qu’il interprète
« Depuis Qu’Ma Môme », Pierre Bouteiller décrit le public qui tape
des mains, ainsi que le jeu de scène débridé de Johnny et de ses musiciens. Quant aux bagarres espérées, c’est calme lâche-t-il. Pendant
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« Souvenirs, Souvenirs », il signale que
quatre ou cinq spectateurs viennent de quitter la
salle ! Sur l’instrumental « Rebel Rouser », il
laisse éclater sa frustration : La salle est étrangement calme, j’en connais qui sont déçus, car la
salle n’est pas mise à sac... Peut-être plus tard
dans la soirée...
De son côté, Johnny présente son orchestre et
notamment son guitariste soliste, Mon ami JeanPierre Martin dit Le Saint, avant d’entamer « Mon
Septième Ciel » suivi de « Sentimental ».
Nouvelle intervention de Bouteiller qui explique
aux auditeurs le jeu de scène de Johnny durant
« Let’s Twist Again » (qu’il chante pour la première fois ce soir-là), avec cette phrase qui tue : Je
ne suis pas en mesure de vous dire les titres des
chansons [on l’avait déjà remarqué], mais ça n’a pas d’importance car
on ne comprend pas les paroles ! Des commentaires suivent sur les
trois danseuses qui ont fait leur apparition et sur le twist qui est une
danse... où l’on fait n’importe quoi et le sempiternel salle étrangement
calme.
Trouvant que les spectateurs ne sont pas assez démonstratifs, Pierre
Bouteiller décide de les interroger. Malheureusement, il choisit le
moment où Johnny interprète « A New Orleans », son dernier succès chez Vogue, qu’il couvre complètement, alors qu’on aurait aimé
savoir comment ça sonnait sur scène. Si dans l’émission Musicorama, Robert Marcy s’arrange pour n’intervenir qu’entre les morceaux,
Bouteiller n’a pas ces préoccupations relevant de la plus élémentaire politesse. Il interroge des spectateurs qui ne demandaient rien et
n’ont pas grand chose à dire. Ses questions sont conventionnelles :
Qui êtes-vous, que faîtes-vous, aimez-vous voir Johnny Hallyday,
aimez-vous le rock ? Et les réponses le sont tout autant. En général les
jeunes aiment. Les adultes qui sont là, soit pour accompagner leurs
enfants, soit parce qu’ils ont été invités, donnent des réponses un peu
plus mitigées.
Sur scène, Johnny calme le jeu avec le slow « Bien Trop Timide »,
avant de lâcher la vapeur sur « Oui J’Ai » et « Kili Watch » dont l’intro avec voix de fausset est judicieusement remplacée par des roulements de batterie. Alors qu’il entame « 24000 Baisers », Bouteiller
interviewe un groupe de jeunes qui lui semblent plus excités que les
autres, couvrant toute la chanson. Il leur demande : Avez-vous envie
de vous rouler par terre, de casser des fauteuils ? Réponse : Non pas
du tout ! (déception de Bouteiller). Durant ces intéressants échanges
(?!), Johnny a attaqué « Une Boum Chez John ». Le jeu des question-réponse s’étant interrompu, on a la chance d’écouter les magnifiques chorus de Jean-Pierre Martin et de vérifier que le changement
de matériel n’a pas été inutile. Le son de la guitare est bien meilleur
et plus moderne que dans la version au Palais des Sports, sept mois
plus tôt. On arrive à la fin du concert et Johnny déclare : J’aimerais
maintenant chanter quelque chose d’un peu plus calme, plus doux,
plus romantique, pour se lancer dans un... « Tutti Frutti » torride où,
lors du solo, il se met à genoux, le torse penché en arrière. Ce grand
moment de rock’n’roll suscite l’admiration de Pierre Bouteiller pour...
la souplesse de l’artiste !
Le journaliste a compris qu’il s’agit du dernier morceau et remarque
que les gens du tout-Paris
sont partis. Il ne reste que
les fans qui ne se décident visiblement pas à
tout casser : Ça chauffe
gentiment, commente-t-il,
en plaignant les agents de
police en civil qui n’ont pas de
travail et doivent, en plus, supporter un spectacle qui ne leur
plaît pas. Un perturbateur faisant un peu de chahut dans un coin intéresse Bouteiller, plein d’espoir, mais qui constate, dépité, que l’individu est discrètement évacué par le service d’ordre sans que cela
déclenche l’émeute attendue ! Le concert étant terminé, il rend l’antenne. Johnny regagne les coulisses où il est accueilli par un Bruno
Coquatrix, enthousiaste, qui l’embrasse comme du bon pain, oubliant
qu’il a un cigare allumé à la bouche ! Ce soir-là, Johnny ne se sera
brûlé qu’aux feux de la rampe, et il aura gagné ses galons de vedette.
A l’écoute de cet enregistrement inédit, on est partagé entre deux sentiments contradictoires. D’un côté, il y a la frustration de ne pas disposer d’une audition sans les commentaires parasites de Pierre Bouteiller. Mais d’un autre, on a là un document inespéré sur la première mythique de Johnny à l’Olympia, en septembre 1961, où ont été
prises des photos superbes dont certaines ont illustré des pochettes
de disque (EP « Let’s Twist Again », « Wap Dou Wap », LP « Salut
Les Copains ! », « Sings America’s Rockin’ Hits ») qui en ont
fait délirer plus d’un et dont on dispose à présent de la bande-son. Si
la qualité sonore n’est pas formidable, la plupart des morceaux sont
audibles. Ce reportage plonge au cœur de l’événement d’une manière extrêmement vivante, offrant l’occasion d’entendre en public des
titres dont on ne connaissait que les prises en studio. Bravo à ceux qui
ont exhumé ce passionnant document et l’ont rendu accessible à tous.
A ce sujet, il est bon de rappeler que le N°34 du magazine Sonorama,
qui proposait des reportages sur disques souples, en avait livré un
bidonné sur la première de Johnny à l’Olympia, avec des extraits du
25 cm Vogue « Johnny Hallyday Et Ses Fans Au Festival De
Rock’n’Roll », du 24 février 1961, et des commentaires de Pierre Bellemare, valant leur pesant de cacahouètes. En attendant sa réédition
en tant que curiosité.
Alain RIVES