Le modèle low cost, révélateur de valeur ajoutée
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Le modèle low cost, révélateur de valeur ajoutée
L OW C O S T E T TO U R I S M E Le modèle low cost, révélateur de valeur ajoutée Le modèle low cost est fondé notam- EMMANUEL COMBE ment sur la simplification extrême du Professeur à l’université de Paris 1, professeur affilié à produit ou du service, ce qui permet ESCP Europe, membre du collège de l’Autorité de la une baisse spectaculaire des coûts. concurrence Face à cette nouvelle concurrence, les opérateurs traditionnels doivent faire la preuve de la valeur ajoutée de leur offre. Le transport aérien l’a appris à ses dépens. [[email protected]] L ongtemps cantonné à l’aérien et à la distribution alimentaire, le low cost s’est aujourd’hui diffusé dans de nombreux secteurs : automobile, banque, assurance, coiffure, jardinerie, salles de gym, téléphonie mobile… À l’exception des produits de luxe et de haute technologie, la plupart des activités dédiées à la consommation des ménages offrent désormais un segment low cost, plus ou moins florissant. J U I N 2 0 1 0 • E S PA C E S 2 8 2 23 LOW COST ET MODES DE CONSOMMATION ALTERNATIVE Schéma 1 Le modèle low cost : un enchaînement implacable Simplification des produits “Optionnalisation” des attributs Baisse des coûts de production Baisse des prix Pourtant, en dépit de son vif succès commercial, le low cost alimente toujours la critique et le soupçon. Selon ses détracteurs, le low cost relèverait du marché de dupes pour les consommateurs, sacrifiant la qualité des produits sur l’autel du prix bas(1). Plus encore, la prospérité du low cost se ferait sur le dos de ses employés, laissant ainsi accroire que le low cost ne serait qu’un artifice fondé sur le faible coût salarial. Si le low cost – comme toute activité économique en gestation – n’est pas exempt de reproches et dérives, le low cost, modèle économique à part entière, mérite une approche plus nuancée. Après avoir identifié la véritable nature du low cost, nous montrerons, en prenant l’exemple de la qualité des produits, que les débats sur le low cost sont souvent minés et que les victimes potentielles du low cost – si victimes il y a – ne sont pas toujours celles auxquelles on pense. En effet, redoutable vecteur de concurrence, le low cost constitue d’abord une menace… pour les opérateurs installés. À LA RECHERCHE DU MODÈLE LOW COST Partons tout d’abord à la recherche du modèle low cost(2). Il est tentant de partir de l’étymologie du mot low cost (bas coût) pour en cerner la nature : le low cost désignerait alors toute activité économique fondée sur la baisse des coûts. Une entreprise qui délocalise sa production dans un pays à faible coût de main-d’œuvre, une entreprise qui réorganise ses méthodes de production pour générer des gains de productivité seront alors qualifiées de low cost. Une telle définition du low cost se révèle en réalité trop extensive : le même jouet, produit hier en Europe, deviendrait low cost du seul fait de la délocalisation de sa production en Chine, alors même que les contours du produit n’auraient en rien été modifiés. 24 E S PA C E S 2 8 2 • J U I N 2 0 1 0 (1) Cf., par exemple, Bruno FAY, Stéphane REYNAUD, No low cost, éd. Du Moment, 2009. (2) Charles Beigbeder, Le Low Cost, un levier pour le pouvoir d’achat, Rapport pour le ministère de l’Économie et des Finances, 2007, 183 p. Si le low cost se traduit bien par de fortes baisses de coûts, tout modèle de coût bas ne peut pour autant se réclamer du low cost. Une seconde piste consiste à définir le low cost en partant des prix : le low cost serait d’abord une pratique de prix bas. À nouveau, une telle approche passe à côté de son véritable objet : le low cost n’a pas le monopole du prix bas, comme en témoignent des pratiques telles que les promotions, rabais ou soldes. Qui plus est, low cost n’est pas toujours synonyme de bas prix, notamment dans les activités propices au yield management comme le transport aérien. Pour cerner la nature profonde du low cost, il convient de partir de la demande, c’est-à-dire du consommateur final. Le low cost est d’abord un modèle qui part des besoins du consommateur, pour les redéfinir dans le sens d’une simplification à l’extrême. Chaque produit et service est repensé pour être “mis à nu”, “découpé”, “dépouillé” de ses fonctions annexes jusqu’à n’en retenir que le cœur, c’est-à-dire la fonction essentielle, celle qui satisfait un besoin minimal. Une expression revient souvent dans le transport aérien pour caractériser cette redéfinition des besoins : “no frills” c’est-à-dire, littéralement, “pas de chichis”. Le corollaire de la simplification, du redécoupage du produit est l’“optionnalisation” de tous ses attributs secondaires : tout ce qui est ajouté, tout ce qui est en plus du besoin de base, est payé en supplément. C’est au consommateur de choisir les attributs qu’il souhaite ajouter. Le low cost est, en quelque sorte, l’anti-modèle de la gratuité : tout a un prix, donc tout se paye. L OW C O S T E T TO U R I S M E La redéfinition des besoins des consommateurs permet de faire baisser les coûts de production et, par effet de translation, les prix : toute la cohérence du modèle low cost réside dans cet enchaînement implacable (cf. schéma 1). La simplification des produits et services autorise tout d’abord de spectaculaires baisses de coûts. Ainsi, dans l’aérien court et moyen courrier, les gains de productivité opérés sur toute la chaîne de valeur, de la réservation du billet jusqu’au vol de l’avion, permettent aux grandes compagnies low cost d’afficher des coûts d’exploitation de 30 à 60 % inférieurs à ceux d’un opérateur historique. Les baisses de coûts se traduisent en retour par de fortes baisses de prix, par rapport aux produits similaires existants sur le marché. Dans la téléphonie mobile, les opérateurs low cost (Simplicime, par exemple, en France) affichent des tarifs jusqu’à 30 % moins chers à ceux des opérateurs installés, pour des prestations identiques (forfaits d’heures). Même scénario dans le maxi-discount alimentaire : UFC-que-choisir a comparé, en 2007, les prix dans plus de 1 200 magasins appartenant à différentes enseignes. Le résultat est sans appel : l’écart de prix entre une enseigne premier prix et un pur low cost peut atteindre jusqu’à 20 %. Dans la banque, l’UFC-que-choisir a également estimé le prix d’un panier de services : le même panier est facturé 20 à 30 % moins cher dans une banque low cost. Dans l’aérien, une étude sur 370 tarifs de compagnies low cost sur le marché américain, au cours de la période 1991-2002, conclut que les prix des billets low cost sont en moyenne 49,5 % inférieurs à ceux des compagnies installées(3). Pour autant, si les baisses de coût sont souvent au rendez-vous, low cost ne rime pas toujours avec prix bas. Dans l’aérien par exemple, les prix sont très volatils selon les dates de réservation par rapport aux dates de départ, et selon l’intensité de la concurrence. Le low cost n’a pas aboli la loi de l’offre et de la demande : même avec des coûts d’exploitation faibles, une compagnie aérienne low cost vend son billet à un prix élevé lorsque la demande est forte. De même, le jeu des options et des accessoires peut faire monter rapidement le prix, que ce soit pour un billet d’avion ou une voiture low cost. Dans l’aérien, les low cost misent d’ailleurs sur ces recettes annexes (contrats d’assurance de voyage, taxation des bagages excédentaires, ventes à bord de repas, embarquement prioritaire, commissions sur les réservations d’hôtel ou de location de voitures…) pour rentabiliser leur modèle économique. POLARISATION (3) Harumi ITO. Darin LEE, Incumbent Responses to Lower Cost Entry: Evidence from the U.S. Airline Industry, Brown University Department of Economics, Paper n° 2003-22, 2003, 27 p. DES COMPORTEMENTS Néanmoins, en général, le low cost est synonyme de bas prix (low price). Les détracteurs du modèle affirment qu’il s’agit en réalité d’une baisse en trompe l’œil : au fond, ce que les consommateurs gagneraient en baisse de prix, ils le perdraient en termes de qualité. Cette affirmation, très répandue, suscite plusieurs réserves. En premier lieu, la supposé mauvaise qualité des produits low cost se heurte au verdict des consommateurs : comment expliquer qu’ils adhèrent durablement à ce modèle économique ? Une première hypothèse est de considérer qu’ils sont myopes et désinformés. Hypothèse pour le moins héroïque à l’heure d’internet et des comparateurs de prix ; à l’heure où les tests réalisés par les associations de consommateurs, pourtant peu complaisantes, vantent les mérites des produits low cost, que ce soit dans l’automobile, l’alimentaire ou la banque. Une autre hypothèse consiste à invoquer la nécessité : l’essor du low cost, loin de résulter d’un choix, ne ferait qu’exprimer la forte contrainte budgétaire qui pèse sur nombre de ménages. Si elle est pertinente pour des segments comme la distribution alimentaire ou l’immobilier, cette hypothèse ne tient plus dans des secteurs comme l’aérien ou la banque, qui s’adressent à une clientèle plutôt aisée. Plus encore, le low cost touche aujourd’hui une large fraction de la population et ne se réduit en rien au “marché du pauvre”. Au-delà de la contrainte, l’essor du low cost exprime en réalité une tendance de fond en matière de J U I N 2 0 1 0 • E S PA C E S 2 8 2 25 LOW COST ET MODES DE CONSOMMATION ALTERNATIVE consommation, notamment chez les jeunes : la polarisation des comportements. Le même consommateur peut acheter un produit basique et s’offrir un produit de marque, à forte image. Par exemple, s’il décide de partir à l’étranger, il sera prêt à voyager en low cost, plutôt que sur une compagnie traditionnelle plus chère mais plus confortable. En revanche, il voudra absolument se loger dans un hôtel de standing. Le low cost lui permet de mieux répartir son budget en fonction de ses priorités : les économies réalisées sur le billet d’avion permettent de financer en partie l’hôtel de qualité. Le même ménage qui possède une belle berline pour le week-end achètera comme seconde voiture une low cost pour aller au travail tous les jours. Ce “mélange des genres”, ces comportements paradoxaux témoignent d’une grande maturité : chaque consommateur désire être l’acteur de sa consommation, l’assembleur de ses propres besoins. En second lieu, débattre de la “qualité” des produits low cost de manière générale se révèle périlleux, tant il est vrai que la qualité est une notion ambigüe et multiforme. Par exemple, dans le transport aérien, la “qualité” regroupe des caractéristiques aussi différentes que la sécurité des vols, leur ponctualité, la variété des options proposées par le billet (annulation, changement d’horaire, etc.), la clarté de l’information délivrée lors de l’achat du billet, la disponibilité du service après vente, etc. Lorsque l’on stigmatise la qualité insuffisante des compagnies low cost, de quelle(s) caractéristique(s) parle-t-on ? Si l’on pense à l’information délivrée sur les sites internet de réservation, certaines compagnies low cost ont, en effet, posé problème à une certaine époque, en affichant par exemple des prix hors taxes. La situation a toutefois beaucoup évolué depuis 2007, sous l’impulsion de la Commission européenne, notamment dans le cadre de la directive 2005/29 relative aux pratiques commerciales déloyales. Ainsi, par exemple, le prix affiché inclut désormais toutes les taxes aéroportuaires. En revanche, si l’on considère que la ponctualité des vols est une caractéristique essentielle de qualité, les études empiriques montrent que, sur des trajets de même distance et sur des aéroports identiques, les vols low cost sont en moyenne plus ponctuels que ceux des compagnies historiques(4). De même, en matière de sécurité aérienne, les grandes low cost ne se révèlent pas moins sûres que les grandes compagnies traditionnelles. 26 E S PA C E S 2 8 2 • J U I N 2 0 1 0 Plus fondamentalement, le débat sur la qualité repose sur un présupposé qui mérite d’être questionné : plus de qualité serait toujours désirable pour le consommateur. CONTRE LA SURQUALITÉ IMPOSÉE (4) Cf., par exemple Nicholas G. Rupp et Tejashree SAYANAK, “Do Low Cost Carriers Provide Low Quality Service?”, Revista de Analisis Economico, vol 23, n° 1, 2008, pp. 3-20. C’est oublier que, en économie, l’utilité du consommateur ne dépend pas du niveau absolu de qualité, mais du rapport entre le niveau de qualité offert et le prix payé, le fameux rapport qualité/prix. Si le petit déjeuner dans le prix du billet d’avion se traduit par un surcroît de prix marqué, le consommateur ne souhaite pas forcement disposer de ce service. De même, tous les consommateurs ne souhaitent pas payer un surprix pour bénéficier d’options telles que la climatisation ou l’autoradio dans leur voiture. Le low cost permet au consommateur d’exercer sa liberté de choix et de fixer luimême le niveau de variété et de qualité. En ce sens, le low cost repose sur une démarche contre la surqualité imposée : pourquoi payer plus cher pour des options que je ne souhaite pas ? En proposant des produits toujours plus sophistiqués, les producteurs ont peut être oublié que la qualité n’est pas une fin en soi et qu’elle doit être toujours justifiée au regard du prix payé. Un prix juste, c’est un prix justifié aux yeux du consommateur. Loin de les spolier, le low cost remet au centre du jeu des consommateurs qui ne veulent plus payer pour des promesses non tenues, pour du superflu acheté au prix fort. La lutte contre la surqualité, contre l’excès d’options et de variété se révèle être un exercice très délicat : si le producteur low L OW C O S T E T TO U R I S M E cost simplifie trop ou renonce à des attributs de qualité non négociables pour le consommateur, ce dernier ne suivra pas. Imaginons qu’une compagnie aérienne low cost propose un billet d’avion bon marché mais en rognant explicitement sur la sécurité des vols. Quel client, dès lors qu’il est informé des risques, sera prêt à acheter un tel produit ? On peut considérer qu’il existe une sorte d’optimum de qualité. Trop de qualité, trop d’options inutiles déplaisent à certains consommateurs, qui ne sont plus prêts à payer pour cette surqualité. A contrario, si un minimum de qualité n’est pas offert, les consommateurs ne sont pas non plus disposés à payer. S’il y a bien une victime “collatérale” du low cost, elle se trouve moins du côté des consommateurs que des entreprises installées, dont les positions acquises se voient déstabilisées par l’irruption de ce nouveau modèle économique. Longtemps, le low cost a été considéré par les insiders comme un modèle à part, touchant un segment de clientèle limité, aux contours bien définis et non desservi jusqu’alors. La crise est venu balayer ces certitudes. Loin de vaciller, le low cost a accéléré son développement, notamment dans l’aérien, la distribution alimentaire et l’automobile. Il s’adresse aujourd’hui, à des degrés divers selon les secteurs, à une majorité de la population. En pratiquant des prix plus faibles, en modifiant radicalement les contours du besoin satisfait, le low cost est venu instaurer un nouveau benchmark, à l’aune duquel les performances des opérateurs installés sont désormais évaluées. Par une sorte d’inversion des rôles, ce sont les opérateurs installés qui sont aujourd’hui mis en demeure de justifier, de légitimer aux yeux des consommateurs leur prix, leur valeur ajoutée. Les opérateurs qui y parviendront – en misant notamment sur l’innovation, la qualité de service, le luxe –, verront leur crédibilité augmenter, tandis que les autres rejoindront les rangs des producteurs de commodities. En ce sens, le low cost opère comme un vecteur de polarisation de la valeur à l’intérieur de chaque secteur. Malheur à celui qui se trouve en milieu de gamme ! Face à la déferlante low cost, certains insiders ont pris d’emblée l’initiative de se positionner sur le créneau du low cost, sans pour autant renoncer à leurs autres produits de marque, afin de bénéficier d’un avantage de pionnier. C’est le cas de Renault avec Dacia et, plus discrètement, de Société générale avec Boursorama banque. Quitte à être un peu schizophrène, en offrant à la fois du low cost et du luxe, à l’image d’Accor dans l’hôtellerie. À (5) Steven A. MORRISON, “Actual, Adjacent, and Potential Competition Estimating the Full Effect of Southwest Airlines”, Journal of Transport Economics and Policy, vol. 35, issue 2, 2001, pp. 239-256. Voir aussi : Austan D. GOOLSBEE et Chad SYVERSON, “How do Incumbents Respond to the Threat of Entry? Evidence from the Major Airlines”, Quarterly Journal of Economics, n° 123(4), 2008, pp. 1611-33. LA RECHERCHE D’UNE STRATÉGIE GAGNANTE Force est de constater toutefois que la plupart des opérateurs installés sont encore aujourd’hui à la recherche d’une stratégie gagnante. Le secteur aérien est à cet égard symptomatique, comme en témoigne la multiplicité des ripostes mises en œuvre. Le mimétisme tarifaire constitue la première réponse des compagnies historiques. Une étude sur le marché des États-Unis montre que les opérateurs installés ont diminué leurs prix en moyenne de 46,2 % lorsqu’ils se trouvaient en concurrence frontale avec un low cost, et de 33 % lorsqu’ils craignaient l’entrée d’un low cost sur une ligne qu’ils opéraient(5). Mais à vrai dire, le mimétisme tarifaire relève moins du libre choix que de l’adaptation à une nouvelle donne concurrentielle. Plus encore, la stratégie de baisse des prix se heurte vite à une limite objective : comme les coûts d’exploitation des compagnies historiques sont plus élevés que ceux des low cost, la réduction du prix se traduit nécessairement par une compression des marges. La stratégie de mimétisme tarifaire n’est donc durable et crédible que si elle prend appui parallèlement sur un programme massif de réduction des coûts… conduisant les acteurs traditionnels à s’approprier certaines caractéristiques du modèle low cost. Le second axe stratégique consiste à baisser les coûts en s’inspirant des recettes qui ont fait le succès du low cost, à l’image du nouveau programme d’Air France Neo (New Economic Offer) : densification du nombre de sièges, réduction du service en classe J U I N 2 0 1 0 • E S PA C E S 2 8 2 27 LOW COST ET MODES DE CONSOMMATION ALTERNATIVE économique et du personnel navigant commercial par avion, etc. Mais le mimétisme par les coûts trouve lui aussi sa propre limite : le low cost étant un modèle à part entière, il est difficile pour une firme installée d’en emprunter toutes les caractéristiques, sauf à se transformer elle-même… en low cost. Par exemple, sauf à remettre en cause le modèle du hub, une compagnie classique peut difficilement maîtriser le temps d’attente au sol, compte tenu de la congestion des grands aéroports et de la nécessité d’assurer les correspondances entre les vols. Reprendre certaines composantes du low cost ne transforme pas un major en low cost, validant ainsi l’adage bien connu : “On naît low cost, on ne le devient pas”. Les baisses de coûts n’étant pas suffisantes pour aligner les prix sur ceux des low cost, les majors se doivent de justifier l’écart de prix en misant sur la différenciation de leur produit. Il s’agit là d’une stratégie classique en microéconomie : plus les produits sont différenciés entrer eux, moins la concurrence par les prix joue. Dans le cas de l’aérien, la différenciation porte essentiellement sur la clientèle affaires, qui est le segment le moins sensible au prix et le plus demandeur de variété de services. Elle porte sur des caractéristiques comme la fréquence des vols, la carte de fidélité, le service au sol et à bord, etc. Mais cette stratégie n’est pas sans risques : avec la crise économique, une partie de la clientèle affaires a été contrainte de voyager en low cost ; reviendra-t-elle ensuite goûter aux charmes de l’opérateur historique? Plus encore, certaines low cost ont enrichi leur offre en direction de la clientèle affaires : fréquences accrue des vols sur certaines villes, billets flexibles, programme de fidélité (chez Southwest Airlines)… Une dernière option consiste à se “dédoubler”. À défaut de se muer elles-mêmes en opérateur low cost, la compagnie historique lance sa propre filiale à bas coûts. Si nombre de compagnies s’y sont essayées depuis quinze ans, force est de constater que le succès a été plutôt mitigé jusqu’ici, sans doute parce qu’elles ont privilégié une approche minimaliste, se contentant de confier à la filiale low cost des lignes non opérées par la maison mère, afin ne pas mettre en concurrence les personnels des deux entités et d’éviter aussi tout risque de cannibalisation des ventes. Une version plus radicale du dédoublement consisterait à racheter ou développer une filiale low cost pour y transférer l’ensemble du trafic court et moyen courrier. La mission de la filiale serait alors d’alimenter le hub en pratiquant des prix bas, tandis que la major se recentrerait sur le segment du long cour28 E S PA C E S 2 8 2 • J U I N 2 0 1 0 rier, en misant sur la qualité du service : telle est la stratégie que vient d’adopter Iberia, en rachetant Vueling-Clickair. C’est une stratégie audacieuse, puisqu’elle vient contrer les low cost sur leur propre terrain, avec une véritable taille critique. C’est aussi une stratégie délicate sur le plan social. * * À l’exception de ceux du luxe et de la haute technologie, l’offre low cost fait désormais partie intégrante du paysage de nombreux secteurs, au point que les opérateurs installés ne peuvent plus en faire abstraction. Le secteur aérien constitue à cet égard un cas d’école ; la variété des stratégies mises en œuvre aujourd’hui par les leaders historiques témoigne de ce changement de paradigme concurrentiel et nous invite à considérer le low cost pour ce qu’il est vraiment : non pas un simple artifice, mais une innovation radicale, une innovation de rupture, qui déstabilise les équilibres établis et vient redynamiser la concurrence. n