1 horaires de messes et promesses pastorales : une enquête

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1 horaires de messes et promesses pastorales : une enquête
HORAIRES DE MESSES ET PROMESSES PASTORALES : UNE ENQUÊTE
SOCIOLOGIQUE SUR LA PRATIQUE RELIGIEUSE DANS LE DÉCANAT DE FRIBOURG
(SUISSE)
Christophe Monnot1 et François-Xavier Amherdt2
INTRODUCTION : PERSPECTIVES DE L’ENQUÊTE
69 messes tous les samedis-dimanches et jours de fêtes : tel est le menu offert – et d’ailleurs relayé chaque
semaine par le quotidien local fort bien nommé La Liberté ‒ aux fidèles du décanat de Fribourg (la ville et
ses environs, pour une population d’environ cinquante mille habitants) 3 . Il faut dire que Fribourg –
Freiburg est une cité bilingue au riche patrimoine catholique, d’où les nombreux monastères et
congrégations religieuses qu’elle abrite, qu’elle compte comme toutes les villes helvétiques plusieurs
communautés linguistiques autres que la germanophone, et que c’est la seule Faculté de théologie
catholique (bilingue comme l’ensemble de l’Université) de Suisse Romande. Celle-ci jouit d’une bonne
réputation au plan mondial, ce qui fait qu’un certain nombre de communautés religieuses y ont établi un
lieu de formation ouvert aux étudiants des quatre coins de la planète – la Faculté accueille des étudiants en
provenance de quarante-six nationalités. Tout ceci explique pourquoi tant de congrégations ont conservé
jusqu’à présent leur propre célébration dominicale et comment on arrive à un pareil nombre de messes.
C’est donc fort logiquement que le doyen et les curés modérateurs des trois unités pastorales (UP) du
décanat4 et de la communauté germanophone ont décidé à l’automne 2012 de mener une enquête sur la
fréquentation des eucharisties dominicales, de manière à réaménager les horaires sur l’ensemble du
décanat5. En plus de données chiffrées, les curés modérateurs ont souhaité rajouter un certain nombre
d’items de manière à recevoir un écho quantifiable de leur pastorale liturgique, avec par exemple des
questions sur le « type de messes » proposés, ou du changement du sentiment d’appartenance suite à
l’organisation en UP. Ces deux axes ont constitué le mandat proposé pour lequel un questionnaire a été
élaboré en vue d’une enquête générale auprès des fidèles assistant aux messes des 15-16 juin 2013.
Quels sont les enjeux d’une enquête sur les horaires de messse et quelles conséquences sur la pastorale ?
Pour répondre à ces questions, cet article, après avoir brièvement présenté les termes du mandat et précisé
Christophe Monnot est professeur remplaçant en sociologie des religions à l’Université de Lausanne et chargé de cours à
l’Université de Genève. Sa thèse de doctorat (EPHE-Sorbonne et Université de Lausanne) portait sur les paroisses et
communautés religieuses de Suisse. Elle a été publiée chez Seismo en 2013 sous le titre de « croire ensemble ». Il a ensuite
particulièrement porté son attention sur les communautés naissantes ou en cours d’organisation en menant une étude de trois
années auprès des salles de prières musulmanes en Suisse et en France. Une première partie des résultats ont été publiés en 2013
dans « La Suisse des mosquées » chez Labor et Fides. Adresse postale : Université de Lausanne, Observatoire des religions en
Suisse - ISSRC, Anthropole, 1015 Lausanne, CH – 1015 Lausanne. Courriel : [email protected]
1
François-Xavier Amherdt est prêtre du diocèse de Sion (Valais – Suisse) depuis trente ans. Ancien vice-directeur du séminaire et
vicaire épiscopal de son diocèse, il a été dix ans curé-doyen de Sierre et Noës, puis directeur de l’Institut romand de Formation
aux Ministères à Fribourg. Depuis sept ans, il est professeur francophone de théologie pastorale, pédagogie religieuse et
homilétique et co-directeur du Centre d’études pastorales comparées à l’Université de Fribourg (Suisse). Il est co-responsable du
Comité italo-helvétique de la rédaction de Lumen Vitae. Adresse postale : Université de Fribourg, Miséricorde, 20 Avenue de
l’Europe, CH – 1700 Fribourg. Courriel : [email protected].
2
Selon l’Annuaire statistique du canton de Fribourg 2014, l’agglomération de Fribourg comptait à fin 2012 78'223 habitants en
tout, ce chiffre englobant quelques communes et paroisses faisant partie d’autres décanats.
3
L’UP1 avec les quatre paroisses de St-Nicolas (Cathédrale et St-Paul), Christ-Roi, St-Maurice et St-Jean-Baptiste ; l’UP2 avec les
deux paroisses de St-Pierre et Villars-sur-Glâne ; l’UP3 avec les deux paroisses de Ste-Thérèse et Givisiez
4
Une telle observation en effet n’avait plus été entreprise depuis près de cinquante ans et n’avait eu que deux précédents (1956 et
1965).
5
1
la méthodologie, tentera, à partir des principaux résultats de l’enquête, de les discuter dans une posture
sociologique pour en dégager les principaux enjeux pastoraux.
LE MANDAT
La demande pour un mandat a été formulée par le doyen et les curés du décanat catholique de Fribourg
auprès de la chaire de théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique de l’Université de Fribourg,
laquelle s’est adjoint les services de l’Observatoire des religions en Suisse de l’Université de Lausanne. Elle
recouvrait un double mandat :
‒
récolter le maximum de données, afin de pouvoir mettre en place un nouvel horaire des messes
dominicales cohérent avec le nombre de prêtres disponibles et répondant aux vœux des fidèles ;
‒
recueillir par la même occasion un certain nombre d’éléments quantifiables à propos de la vie
ecclésiale des communautés, du type de pastorale attendu et de la configuration des structures
paroissiales (UP et paroisses).
L’enquête commanditée s’inscrivait en effet dans la dynamique instaurée pour tout le diocèse par une
session tenue en octobre 2013 à l’Université de Fribourg (avec environ 450 participants), sur le thème du
« Dimanche pour la vie », préparée et portée par les travaux de la Commission diocésaine de planification
pastorale (CDPP)6.
La demande couvrait des objectifs explicitement formulés, principalement, celui de disposer de données
chiffrées, afin de pouvoir légitimer auprès de la population et des conseils7 un agencement meilleur des
horaires et une diminution du nombre de messes, favorisant ainsi le rassemblement de communautés
véritablement vivantes tout en préparant progressivement les mentalités en vue d’une réduction
imminente des forces sacerdotales attribuées aux UP.
À cela s’ajoutaient des buts profonds, inavoués au début, mais de plus en plus présents, au fur et à mesure
de l’avancée du processus. Il s’agissait de « profiter » de cette enquête pour amener les paroisses et leurs
délégués à une réflexion concertée avec les équipes pastorales sur l’avenir de la pastorale dans le décanat,
sur le découpage sociologique et géographique des UP et sur la répartition des forces pastorales, en
fonction de priorités dégagées ensemble.
C’est donc presque « naturellement » qu’un glissement s’est opéré tout au long du processus, bien au-delà
de la simple question des horaires. Déjà lors de l’élaboration des questionnaires, les curés modérateurs ont
souhaité rajouter un certain nombre d’items sur le « type de messes » proposés, de manière à recevoir un
écho de leur pastorale liturgique. Puis, lors de la soirée de lancement concret de l’enquête, l’accent a été
mis sur les objectifs plus larges qui lui étaient attribués (l’avenir des UP, des forces pastorales et les
priorités), de façon à mobiliser au maximum les représentants des paroisses et communautés. C’est dans
cette visée que les fruits de l’enquête ont été présentés aux quelque 250 agents pastoraux, bénévoles et
paroissiens intéressés, lors de la séance d’information de février 2014.
6
Une commission dont fait partie F.X. Amherdt.
7
Pastoraux et financiers, dits « conseils de paroisses ».
2
MÉTHODOLOGIE
Le questionnaire a été élaboré durant l’automne-hiver 2012, discuté, testé et présenté au début 2013. La
passation a été réalisée à la fin du printemps 2013. Une fois les questionnaires dépouillés, les résultats en
ont été discutés dans un groupe de travail constitué des mandants et des deux experts durant l’automnehiver 2013, puis présentés au public en février 2014. Les premières décisions ont été prises de concert avec
le Vicariat au printemps 2014 et communiquées à la population en juin 2014, avec l’indication de la suite
des démarches et consultations envisagées.
Le questionnaire (auto-administré) de quatre pages abordait 46 questions fermées (des cases à cocher), qui
traitaient de la fréquence de pratique, la langue maternelle, l’âge, le sexe, le statut marital, la situation
professionnelle, le nombre d’années de fréquentation, le sentiment d’appartenance, le changement
éventuel de ce sentiment suite à l’organisation en UP, l’appréciation des différents types de célébrations,
etc.8. Il a été traduit du français en 5 langues : allemand, portugais, italien, espagnol et anglais. Les 46
variables ont été ensuite acquises informatiquement9 pour constituer une base de données prêtes pour
l’analyse10.
La passation a été effectuée le samedi-dimanche 15 et 16 juin 2013. Le décanat avait organisé lui-même la
passation avec des délégués dans chaque paroisse qui devaient compter l’assistance et distribuer sous la
direction des officiants les différents questionnaires. L’enquête couvrait les 69 messes célébrées lors du
week-end, qu’il s’agisse de célébrations en paroisse (alémaniques et francophones), en communautés
linguistiques 11 , dans les monastères 12 , les chapelles des communautés religieuses 13 ou encore en
établissement médico-social14. Elle se déroulait en lieu et place de l’homélie et pouvait être introduite par
un mot du célébrant.
3430 questionnaires en six langues ont ainsi été remplis par les fidèles et récoltés par les délégués
paroissiaux sur un effectif de pratiquants estimé à 4825 personnes 15 (taux de réponse : 71%). 54
eucharisties sur un total de 69 ont finalement participé à l’enquête (taux de réponse des messes : 78%).
Toutes les eucharisties en paroisse, y compris les missions linguistiques, y ont pris part. La moitié des
messes célébrées en chapelle ou en institution ont fait passer le questionnaire. Cette différence du taux de
Le questionnaire a été construit à partir d’une enquête menée régulièrement en Australie par Robert Dixon, voir : R. DIXON,
« What do Mass Attenders Believe ? : Contemporary Cultural Change and the Acceptance of Key Catholic Beliefs and Moral
Teachings by Australian Mass Attenders », Australasian Catholic Record 90, 4/2013, pp. 439-458 ; ID., The Catholic community in
Australia, Adelaide, Openbook Publishers, 2005 [1996]. Le questionnaire a été prétesté auprès de d’un échantillon aléatoire de 30
personnes, puis auprès des 50 personnes présentes lors de la deuxième soirée d’organisation de la passation de l’enquête.
8
9
Les auteurs remercient Félix Cuneo pour sa contribution à l’élaboration informatique du questionnaire et au nettoyage des
données, ainsi que Bruno Miguel Fernandes pour l’acquisition informatique des 161'000 réponses reçues.
Les auteurs aimeraient remercier tout spécialement le professeur Dominique Joye qui a offert ses conseils et compétences pour
sélectionner et améliorer les questions. Voir : B. KLEINER et al., Understanding research infrastructures in the social sciences, Zürich,
Seismo, 2013.
10
11
Missions croate, espagnole, italienne, portugaise, vietnamienne et italienne.
12
Capucines, Cisterciennes et sœurs de la Visitation.
Les chapelles où la messe se célèbre le dimanche sur le territoire du décanat de Fribourg sont : chapelles des Sœurs de la charité
de la Sainte-Croix d’Ingenbohl, Centre spirituel de Sainte-Ursule, Capucins, Notre-Dame de Bourguillon, Œuvre Saint-Paul,
Sainte-Hyacinthe, Saint-Joseph, Africanum, Hôpital, Saint-Justin, couvent des frères Carmes, Philanthropos, Fraternité
Eucharistein, couvent des dominicains Saint-Albert-Le-Grand (Albertinum), Pères salvatoriens, Pères du Saint-Esprit, Jésuites de
Notre-Dame de la Route, missionnaires de Bethléem, missionnaires de Saint François de Sales.
13
14
Huit établissements de ce type proposent des messes, soit en semaine, soit le samedi-dimanche.
15
Les personnes présentes étaient comptées lors de la passation des questionnaires.
3
participation provient essentiellement du fait que les chapelles se sentaient moins concernées par les
restructurations des messes proposées par le décanat, puisque dans ces communautés, l’eucharistie est de
toute façon célébrée au moins une fois par jour.
PRÉSENTATION DES RÉSULTATS
La participation
En 1956, une enquête comptait 52% de participants à la messe, ils étaient 44% et en 196516. Commentant
cette perte de 8 points, l’actuel Prévôt Claude Ducarroz écrivait dans le bulletin de la Paroisse de SaintNicolas qu’ « après la lecture de ces résultats – assez alarmants, avouons-le – l’Église tout entière doit
s’interroger ». Le Prévôt du Chapitre de la Cathédrale Saint-Nicolas pourrait encore s’interroger un demisiècle plus tard, puisque notre enquête indique un taux de 18% de catholiques pratiquants en ville de
Fribourg. Une diminution durable sur ces 50 dernières années. Ainsi que le montre la figure 1, une double
baisse est observable à Fribourg, celle de la proportion de la population catholique de la ville passant de 94
% en 1956 à 54% en 2013 et celle de la part des pratiquants aux messes parmi cette population passant de
52% à 18%.
Figure 1 : évolution du nombre de fidèles catholiques du décanat de Fribourg, 1956, 1965 et 2013
45000
40000
35000
30000
25000
Population
20000
Catholique
15000
Fidèles
10000
5000
0
1956
1965
2013
Ce double décrochage n’est pas spécifique au catholicisme fribourgeois, il a déjà été abondamment
commenté pour la Suisse 17 . Concernant les catholiques helvétiques, les études « Croire en Suisse » et
suivantes (ISSP) constatent, sur la période de 1989 à 200918, une baisse de 10 points, avec un taux passant
de 28 % à 14%. A l’instar de nos voisins européens, « le décrochage en la matière a eu lieu dans les années
1960-1970 », constatent les auteurs de Portraits du catholicisme : une comparaison européenne19. Fribourg ne se
16
Source : bulletins paroissiaux.
Cf. C. BOVAY, Le paysage religieux en Suisse, Neuchâtel, Office fédéral de la statistique, 2004 ; R.J. CAMPICHE et al., Croire en
Suisse(s), op. cit. ; J. STOLZ et al., Relogisität in der Modernen Welt. Bedingungen, Konstruktionen und sozialer Wandel, coll. Programme national
de recherche no 58, Berne, Fonds National de la recherche, 2011.
17
R.J. CAMPICHE et al., Croire en Suisse(s) : analyse des résultats de l'enquête menée en 1988/1989 sur la religion des Suisses, Lausanne, L'Âge
d'homme, 1992 ; C. MONNOT, « Mesurer la pratique religieuse. Différentes mesures, différents taux ? Analyse comparative à partir
de la Suisse », Archives des sciences sociales des religions 158, 1/2012, pp. 137-156 ; J. STOLZ et al., Religion und Spiritualität in der Schweiz.
Vier Gestalten des (Un-)Glaubens, Zürich, TVZ/NZN, à paraître. Pour l’ISSP, se référer au site du programme : www.issp.org.
18
A. PÉREZ-AGOTE, Portraits du catholicisme : une comparaison européenne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012. Relevons à
titre de comparaison la Belgique avec un taux de pratique hebdomadaire qui s’est affaiblie de 43% en 1967 à 11% en 1998 (p. 22).
19
4
distingue donc pas de cette tendance européenne où la diminution de pratique est observable dès les
années 1960. En 2013, avec ses 18% de fidèles catholiques, elle se situe dans la moyenne suisse qui est
estimée à 20%20 (pour le catholicisme).
L’enquête sur la pratique dominicale de 2013 a en outre permis de rendre saillant un autre phénomène : la
pratique de la messe en paroisse est devenue une option parmi d’autres. Bien que l’offre sur le plan des
horaires s’est élargie avec l’institution des messes du samedi, trois quarts des fidèles se rendent en 2013, à
la messe le dimanche et, pour deux tiers, entre 9h30 et midi. Par contre, les lieux de célébration ont
évolué, puisqu’il n’y a plus qu’une moitié des fidèles qui participent à une messe de paroisse, un tiers
préférant les chapelles des communautés religieuses21 et 10% restant attachés aux (5) messes organisées
par les différentes missions linguistiques (en 1965, elles ne rassemblaient que 5% des participants). On
constate donc sur le plan de la pratique : une baisse, une diversification de l’offre pour un public moins
nombreux, mais plus exigeant sur ses choix de pratiques à l’image de ce qui a pu être constaté ailleurs en
Suisse22 et en Europe23.
Le profil des fidèles
Un deuxième aspect de l’enquête était de dégager un profil de répartitions selon le sexe, l’âge et la
provenance des fidèles. La répartition selon le sexe des pratiquants montre une étonnante stabilité entre
1956 et 2013 avec 60% de femmes et 40% d’hommes à la messe.
La répartition selon l’âge, par contre, laisse voir un net vieillissement de l’assistance. En 2013, 7% des
participants ont moins de 20 ans, contre 19% lors d’une enquête sur l’engagement de la jeunesse
catholique datant de 1982. Cette dernière enquête relevait encore un taux de 15% de l’assistance entre 31
et 40 ans. En 2013, cette part s’est écroulée à 8%. De plus, comme nous le verrons, les jeunes sont
significativement moins réguliers que les membres de plus de 60 ans. Ces statistiques mettent en évidence
un phénomène de manque de « renouvellement des générations, les générations âgées, marquées par le
catholicisme, qui sont en train de disparaître étant remplacées par de jeunes générations beaucoup plus
détachées des institutions religieuses »24.
Au sujet de la provenance des fidèles, relevons l’importance de la migration dans la recomposition et
l’avenir de l’Église catholique à Fribourg, puisque 40% des fidèles de moins de 50 ans n’ont ni le français,
ni l’allemand comme langue maternelle. Ce sont les communautés linguistiques25 qui ont la moyenne d’âge
Voir également l’étude très intéressante de la pratique en Sicile : M. INTROVIGNE et PierLuigi ZOCCATELLI, La Messa è finita?
Practica cattolica e minoranze religiose nella Sicilia Centrale, Roma, Savatore Scascia 2010.
Pour le calcul à partir du taux de 14,3% de l’ISSP, nous renvoyons à l’article de C. MONNOT, « Mesurer la pratique religieuse,
art. cit., p. 149 ; et S. PRESSER et M. CHAVES, « Is Religious Service Attendance Declining ? », Journal for the Scientific Study of Religion
46, 3/2007, pp. 417-423, ici p. 418.
20
21
18% en 1965.
Cf. C. MONNOT, Croire ensemble. Analyse institutionnelle du paysage religieux en Suisse, Zürich, Seismo, 2013 ; J. STOLZ et al., Religion
und Spiritualität in der Schweiz, op. cit..
22
Cf. P. BRÉCHON, « Religions et valeurs en Europe », Futuribles, 393, 2013, pp. 75-87 ; A. PÉREZ-AGOTE, Portraits du catholicisme,
op. cit. ; J.P. WILLAIME, Europe et religions : les enjeux du XXIe siècle, Paris, Fayard, 2004.
23
24
P. BRÉCHON et J.F. TCHERNIA, La France à travers ses valeurs, Paris, Armand Colin, 2009, p. 207.
Les communautés portugaises et croates ont une moyenne d’âge de l’assistance inférieure à 50 ans, alors que les
germanophones ont une moyenne d’âge de 65 ans. Avec la deuxième génération, la spécificité du pays d’origine perd son attrait
dans la pratique de la religion : les hispanophones et italophones se comptent bien plus dans les messes des paroisses
(francophones) de la ville que dans celles de leurs missions linguistiques.
25
5
la plus basse de l’enquête, et la communauté germanophone ‒ la moins touchée par le phénomène
migratoire – qui a la moyenne d’âge la plus élevée. « Dieu change en ville »26 avec plus de la moitié de
fidèles âgés de plus de 60 ans et une importante minorité de fidèles de moins de 50 ans provenant de
l’immigration.
La fréquence de pratique
En Suisse, lors d’un dimanche ordinaire, quatre pratiquants sur dix (toutes religions confondues) sont
catholiques 27 , mais quelle est leur régularité ? L’enquête permet de répondre à cette question, mais
également de l’éclairer avec des facteurs comme celui de l’âge, de venir accompagné ou le statut marital du
fidèle. À Fribourg, les fidèles présents lors du samedi-dimanche du sondage démontrent un profil de forte
régularité (tableau 1). Globalement, trois quarts des fidèles (72%) se rendent presque chaque semaine à la
messe et neuf fidèles sur dix s’y rendent environ au moins une fois par mois (89%). Ce profil contraste
avec celui de l’ensemble des catholiques helvétiques (ISSP). On constate alors que le catholicisme est
scindé en deux groupes : Un grand ensemble qui représente 70% des catholiques qui fréquentent deux fois
par an ou moins et un petit ensemble de catholiques pratiquants, mais qui sont alors très réguliers.
Tableau 1 : Fréquence de pratique des fidèles présents à la messe du samedi-dimanche (juin
2013)28
ISSP (2009)
Assistants
Première fois
Pourcentage
(catholique suisse)
43
1.3%
<1 fois par an
35
1.1%
9.3%
1-2 fois par an
110
3.4%
49.8%
Environ une fois par mois
268
8.2%
8.3%
2-3 fois par mois
305
9.4%
5.5%
Presque chaque semaine
Chaque semaine
Plusieurs fois par semaine
Total (manquant 208)
(jamais) 12.8%
518
15.9%
3.5%
1357
41.8%
9.5%
613
18.9%
1.3%
3249
100%
(n=399) 100%
Venir seul ou accompagné ne semble pas jouer de rôle pour ceux qui pratiquent environ chaque semaine.
Pour ceux qui s’y rendent moins souvent, ils sont accompagnés dans trois quarts des cas.
L’âge et la fréquence de pratique entretiennent un lien important. Les fidèles de trente ans ou moins se
révèlent être moins réguliers, puisqu’un quart ne pratique qu’une à trois fois par mois, contre 14% des plus
de 65 ans29. On relève donc que l’assistance aux eucharisties est constituée d’une minorité de fidèles jeunes
et que ceux-ci sont moins réguliers que les personnes de 65 ans et plus. Les personnes très régulières
prennent part à la messe, peu importe si elles sont accompagnées ou non, tandis que pour les autres le fait
d’être accompagné semble être une caractéristique de l’assistance.
26
L. ENDELSTEIN et al., Dieu change en ville : religion, espace, immigration, Paris, L'Harmattan, 2011.
27
C. MONNOT, « Mesurer la pratique religieuse », art. cit., p. 151.
28
Sources : données de l’enquête du décanat de Fribourg (2013) et de l’ISSP (MOSAICH, 2009) pondération twight.
29
63% des jeunes pratiquent chaque semaine contre 82% des plus de 65 ans. Ces différences sont significatives (p< .001).
6
Une dernière observation que permet l’enquête au sujet de la fréquence est son lien avec le statut marital
du fidèle. On observe que le fait d’être marié, célibataire ou veuf n’a pas d’influence sur la fréquence de
pratique. Par contre, quand la personne est séparée, divorcée ou en situation de concubinage, la pratique
hebdomadaire est plus faible. 40% des personnes dans cette situation pratiquent moins d’une fois par
semaine30.
On observe ainsi que les changements sociaux et les transformations des modèles maritaux ont un impact
sur la pratique catholique. La crise de la famille traditionnelle dès la fin des années 1960 augmente le fossé
entre la réalité vécue par certains paroissiens et le modèle soutenu par l’Eglise. L’enquête permet en tout
cas d’observer un décrochage de la pratique pour les personnes qui vivent une situation maritale hors du
modèle traditionnel. Ainsi, quatre facteurs ayant un lien statistiquement significatif avec la fréquence :
l’âge, la situation maritale, la situation migratoire du fidèle et le fait d’être accompagné pour les fidèles
moins réguliers.
Le fidèle face aux transformations de l’organisation
L’impact d’une réorganisation paroissiale sur le sentiment d’appartenance des fidèles – comme
l’organisation en Unités pastorales (UP), effective depuis 2003 dans le décanat de Fribourg – est évident.
Cependant, l’enquête a montré que ce sentiment était affecté de manière différente selon l’assiduité des
fidèles31.
60% des répondants ont déclaré que leur sentiment d’appartenance avait été affecté par la dernière
restructuration en UP. Toutefois, les personnes très régulières présentent la plus grande flexibilité,
puisqu’elles sont 86% à se dire prêtes à se déplacer dans un autre lieu pour célébrer l’eucharistie. La
situation se complique un peu pour les individus moyennement fréquents (1-3 fois par mois), car ce sont
eux qui se montrent significativement le plus attachés à leur paroisse32. De plus, les fidèles sont d’autant
moins prêts à se déplacer qu’ils se rendent moins fréquemment à la messe.
L’enquête souligne ainsi que les réorganisations de l’Église ne sont pas sans conséquences sur le sentiment
d’appartenance des fidèles. On observe que malgré cet impact, les très réguliers, bien que plus âgés, disent
vouloir s’adapter aux différentes réorganisations des messes alors que c’est moins le cas pour les peu ou
moyennement réguliers.
Les différents types de célébrations
Au-delà de la participation et des différents facteurs liés à la fréquence, un des enjeux de l’enquête était de
mesurer l’appréciation des différents types de célébrations par les fidèles. Ainsi que le montre la figure 2,
plusieurs types d’accompagnements musicaux ont été proposés : messe avec chœur mixte,
accompagnement à l’orgue, avec de la musique contemporaine (guitare), avec des chants en latin, avec une
chorale de jeunes. D’autres se distinguent en fonction de l’officiant, avec des messes célébrées avec un
prêtre seul, accompagné d’un animateur ou des célébrations sans prêtre et d’autres encore se démarquent
par leur caractéristique plus particulière avec les messes de fêtes (minuit, première communion),
Une différence de dix points avec les personnes du premier groupe. La pratique très occasionnelle (une ou deux fois par année)
est alors beaucoup plus forte (12% : plus du double) pour ce groupe (différences significatives (p< .001).
30
31
40% des fidèles fréquentent une même communauté depuis 20 ans ou plus.
90% des fidèles moyennement fréquents déclarent un fort sentiment d’appartenance alors qu’ils sont 60% pour ceux
fréquentant une fois par semaine et plus.
32
7
eucharisties avec baptême et messes des familles. Pour chacune des questions, l’échelle des réponses était
« j’apprécie.. » : (3) « beaucoup », (2) « assez », (1) « peu » et (0) « pas ».
La figure 2 laisse voir qu’en moyenne les messes classiques accompagnées à l’orgue, avec chœur mixte ou
une chorale de jeunes, ou comportant des pièces en latin sont plébiscitées. Les messes des familles, avec
musique contemporaine, avec un animateur ou un prêtre seul sont assez appréciées. Les eucharisties avec
baptême sont assez peu appréciées, les messes de fêtes peu appréciées et les célébrations sans prêtre ne
sont presque pas du tout appréciées.
Figure 2 : Appréciation des différents types de célébration (moyenne)
3
2.5
2
1.5
1
0.5
0
Ce tableau doit être relativisé en fonction de l’âge des répondants. Peu importe l’âge, les messes avec
chœur mixte, orgue et pièces latines sont appréciées par tous et à l’opposé les messes de fêtes et les
célébrations sans prêtre sont très peu appréciées. Pour les autres messes, deux différences sont apparues.
Les fidèles de moins de 60 ans apprécient beaucoup plus que les autres les messes avec chorale de jeunes,
les messes des familles ou avec musique contemporaine. Ils apprécient également assez les eucharisties
avec baptême, ce qui est bien plus positif que les fidèles de 60 ans et plus. Ces derniers se distinguent en
appréciant plus que les autres les messes avec animateur et les messes avec un prêtre seul. On observe
ainsi que les messes dans des formes plus contemporaines et plus familiales sont appréciées des fidèles
plus jeunes. Les messes plus classiques sont, elles, appréciées des fidèles les plus âgés.
Il est par ailleurs assez évident que dans un sondage en prélude à une réorganisation des messes, la
proposition d’une célébration sans prêtre fasse l’unanimité de mécontents, fonctionnant alors comme un
referendum contre l’éventualité de cette proposition pour la réorganisation des messes à Fribourg. En
conséquence, on remarque qu’en dehors de la trilogie classique (chœur, orgue, latin), les messes sont
appréciées différemment selon l’âge des fidèles. Les messes en dehors de la routine (fêtes, avec baptême)
sont peu appréciées. Pour ces dernières catégories, il s’agirait sans doute d’un biais provenant du fait que
l’enquête s’adressait, par sa méthode, principalement aux fidèles pratiquants (donc réguliers).
8
DISCUSSION
Messes : style et participation, deux dimensions qui comptent
Afin de comparer les messes, une analyse 33 statistique permet de les situer sur un tableau en deux
dimensions (figure 3). Une première dimension est celle du style, et situe les célébrations entre un pôle
« moderne » et « classique ». La seconde dimension, celle de la participation du fidèle, distingue un pôle qui
demande « peu d’implication», c’est à dire que les membres ont peu besoin de s’impliquer religieusement
dans le déroulement de la célébration, d’un autre qui serait participatif et demanderait plus d’implication
religieuse des fidèles.
1.0
Fêtes
0.0
Dimension 2 (15.04%)
0.5
Classique
Figure 3 : positionnement des
messes
Prêtre seul
Orgue
Choeur mixte
Latin
Baptême
Sans prêtre
Chorale jeunes
Famille
Les trois types de messes plébiscitées par les fidèles que
sont les messes avec orgue, chœur mixte et pièces latines,
se situent moyennement sur la dimension du style versant
classique et un peu plus fortement sur la dimension de
l’implication (dans la partie en haut à droite de la figure
3). À ce groupe de messes, répond celui des eucharisties
plébiscitées par les fidèles plus jeunes, à savoir messes
des familles, avec chorale des jeunes, avec musique
contemporaine qui se situe un peu plus fortement sur la
dimension de l’implication, mais en miroir sur la
dimension du style qui les situe moyennement sur le
versant moderne (en bas à droite de la figure 3).
-1.0
Moderne
-0.5
Les autres messes se distinguent de ces deux groupes par
le fait qu’elles se positionnent faiblement (proche des
axes) sur l’une ou l’autre dimension et parfois fortement
Musique cont.
sur l’autre. Par exemple, les baptêmes sont moyens à
forts sur la dimension de l’implication religieuse, mais
faibles sur le type liturgique, à l’inverse, les célébrations
de fêtes sont fortement situées sur le type liturgique
Implication
(classique), mais elles ne requièrent peu d’implication
Peu d’implication
religieuse du fidèle. On observe ainsi que les messes qui
0.0
0.5
1.0
font appel à l’implication religieuse du fidèle et profilées
Dimension 1 (26.97%)
– ni trop, ni trop peu – sur la dimension du style sont
alors favorisées par les fidèles. A contrario, les célébrations peu participatives ou trop
faiblement/fortement positionnée sur la dimension moderne ou classique ne rencontrent pas leur public.
Paroissiens « ouverts » vs hiérarchie « conservatrice », vraiment ?
L’enquête menée à Fribourg nous permet également de vérifier, à certains égards, l’assertion selon laquelle
les fidèles sont plus « ouverts » que la hiérarchie « conservatrice ». D’une part, on a relevé un malaise sur
les valeurs liées au mariage. Les fidèles ne vivant pas selon les standards canoniques seront alors moins
réguliers à la messe que les autres. Cette observation confirmerait l’allégation d’une hiérarchie
« conservatrice ». D’autre part, plusieurs variables semblent infléchir cette affirmation en montrant un
33
Analyse en composantes principales (ACP).
9
profil assez « conservateur » du fidèle catholique pratiquant moyen. En effet, les fidèles apprécient dans
l’ensemble majoritairement des messes classiques, ils se sentent affectés par les changements
organisationnels et, spécialement pour les fidèles moins pratiquants, ils sont moins prêts à s’adapter en se
déplaçant dans un autre lieu que leur quartier pour célébrer la messe.
On observe donc qu’effectivement, sur le plan des normes morales, la hiérarchie semble plus
conservatrice. La réalité vécue des fidèles, la séparation, le divorce, la vie de couple en dehors du mariage,
les éloigne des célébrations. Mais par contre, sur le plan de l’organisation, la hiérarchie est au contraire plus
ouverte. Pour faire face aux différentes contingences de la baisse de l’assistance et des prêtres, le décanat
propose des réformes auxquelles les fidèles résistent. La plus emblématique de ces transformations est la
possibilité de la mise en place de célébrations sans prêtres, dont la proposition réussit à faire l’unanimité
des fidèles pour la désapprouver.
On relève qu’à la tradition de la hiérarchie, qui défend un conservatisme moral, répond la tradition des
fidèles, qui défendent un traditionalisme de pratique (une messe régulière dans la paroisse locale avec un
prêtre, de l’orgue et un chœur mixte). Ce double « conservatisme » affaiblit pour les fidèles leur sentiment
d’appartenance et leur fréquence de pratique. Une situation qui n’est pas simplement due au fait que la
hiérarchie est plus « conservatrice » que les fidèles, mais également que les fidèles sont eux aussi, mais sur
d’autres plans, plus « conservateurs » que la hiérarchie.
Une restructuration impliquant de nouvelles concertations
La consultation sur les messes et horaires de messes lancée par le décanat de Fribourg a permis de
soulever un point inédit jusqu’ici : le poids des communautés religieuses dans l’offre des messes de la ville.
Cette part des communautés soulève une double question : celui de la force des communautés dans le
décanat et son attraction sur les fidèles. On l’a relevé, les communautés ont été les moins engagées dans
l’enquête, pourtant elles endossent un rôle de pourvoyeurs importants de messes que les fidèles
choisissent d’investir par commodité ou par affinité. Ce second point montre à sa manière que la logique
de « marché » ou de choix individuel pour la pratique religieuse constatée dans le protestantisme
deviendrait également une réalité catholique34. Les fidèles qui en ont la possibilité choisissant de plus en
plus une célébration à leur convenance : les chapelles des ordres et communautés religieuses deviennent
ainsi une alternative possible à l’offre traditionnelle en paroisse.
La minorité importante des fidèles qui célèbrent dans ce genre de lieu impose également au décanat de
penser sa réorganisation avec cette réalité nouvelle. Cependant, du côté des communautés, à la lecture des
messes participantes à l’enquête, on n’est pas encore à prévoir que la participation à une réorganisation
soit à l’ordre du jour. Quels seront alors les « rapports de pouvoir » entre ces différentes instances (ainsi
que celle de la hiérarchie diocésaine) dans cette réflexion ? À qui va profiter finalement la restructuration
suscitée par le décanat : à une logique concertée et coordonnée avec une stratégie à moyen terme, ou à une
logique de marché ou encore à une cohabitation de deux logiques ?
Cf. J. STOLZ, et E. BALLIF, L'avenir des Réformés : les Églises face aux changements sociaux, coll. Religions et modernités no 8, Genève,
Labor et Fides, 2011 ; P. GONZALEZ, Que ton règne vienne!, Genève, Labor et Fides, 2014 ; J. STOLZ et al., Le phénomène évangélique.
Analyses d'un milieu compétitif, coll. Religions et modernités no 11, Genève, Labor et Fides, 2013.
34
10
LES ENJEUX D’UNE RESTRUCTURATION
Co-construction d’une problématique bien plus large
La discussion sociologique des résultats de l’enquête soulève ainsi des enjeux pastoraux cruciaux, bien audelà de la simple réélaboration des horaires de messes. Le groupe accompagnant le processus s’en est
rapidement rendu compte, si bien qu’une problématique nouvelle s’est construite petit à petit au fil de la
procédure, et qu’au lieu de déboucher sur des conclusions arrêtées, l’enquête a donné le point de départ à
un ensemble de réformes envisagées à l’horizon 2017.
Un glissement s’est ainsi opéré tout au long du processus, bien au-delà de la simple question des horaires.
D’une consultation sur les horaires de messe, on est passé aux promesses pastorales.
Déjà lors de l’élaboration des questionnaires, la demande était formulée pour obtenir également des
données sur la pastorale, puis, lors de la soirée de lancement de l’enquête, l’accent a été mis sur les
objectifs plus larges (l’avenir des UP, par exemple), comme ensuite, dans le groupe de travail chargé de
mettre en œuvre les résultats. Il est apparu rapidement qu’il était utopique de tirer des conséquences
précises pour l’ensemble des horaires à l’automne 2014 (perspective initiale), que trop de problématiques
pastorales générales étaient en jeu, qu’il fallait associer à la réflexion le Vicariat épiscopal et que les
incidences seraient à déployer en plusieurs étapes.
C’est ainsi que le communiqué adressé à la population en juin 2014 à largement débordé la question des
horaires. Il annonçait bien pour septembre 2014, quelques adaptations et améliorations dans les horaires
de messes35, ainsi que l’introduction d’une messe des jeunes. Il déclarait encore pour septembre 2015,
l’introduction généralisée de nouveaux horaires tenant compte d’une synergie effective avec les
communautés religieuses et les missions linguistiques36. Il communiquait également pour 2016, fruit de ce
glissement d’une consultation technique sur les horaires à une réflexion plus large sur la pastorale, la
poursuite de la réflexion sur les priorités pastorales, les formes de célébrations, le nombre d’unités
pastorales et de paroisses (et leur découpage) sur le décanat, en vue de la mise en place d’une « nouvelle
pastorale » sur le décanat (le canton et le diocèse) pour septembre 201737.
Ce glissement ne peut être porteur de promesses sans que la hiérarchie soit associée à la réflexion. C’est
ainsi que les curés modérateurs se sont référés, en cours de route, au Vicaire épiscopal. Ce sont finalement
des enjeux structurels qu’un tel processus soulève : impossible de réaménager les horaires de messes sans
savoir de quelles forces pastorales et presbytérales le décanat pourra bénéficier à court et moyen terme,
sans réévaluer le découpage des UP en fonction des exigences sociologiques et politiques en mutation (cf.
le projet de fusion des communes)38. Impossible de relever tous ces défis sans des orientations pastorales
diocésaines – attendues et souhaitées – qui donnent le cap.
Avec la suppression de trois eucharisties très peu fréquentées, le déplacement de l’heure d’une messe, permettant à un seul
prêtre d’assumer toutes les célébrations de l’UP concernée le dimanche matin.
35
Cette annonce tient également compte de la diminution de plusieurs postes de prêtres sur le décanat, ainsi que de la prise en
charge par des agents pastoraux laïcs d’une bonne partie de la pastorale du deuil (accompagnement des familles et célébration des
funérailles).
36
Tout cela en collaboration intense avec les communautés religieuses et linguistiques, les instances cantonales et diocésaines, et
en consultation avec les conseils pastoraux et paroissiaux.
37
Sur l’épineux problème des regroupements paroissiaux et des premières évaluations de leur pertinence, voir entre autres : J.
MARSAUX, « Les nouvelles paroisses : raisons et enjeux d’une réforme », dans Mgr C. BAGNARD (dir.), Regards sur la paroisse.
Vocation et missions. Colloque tenu à Ars du 18 au 20 février 2002, Paris, Parole et Silence, 2002, pp. 127-150 ; G. ROUTHIER,
« Nouvelles paroisses. Chances ou impasses pour l’évangélisation ? », Lumen Vitae 59, 2004, pp. 95-108 ; F.X. AMHERDT (dir.), Les
regroupements paroissiaux. Bilan et perspectives, Lumen Vitae 67, 1/2012, pp. 1-120.
38
11
Eucharistie – assemblée – dimanche
Cet élargissement de la problématique et ces prises de conscience progressives sont compréhensibles. Car
lorsqu’on se penche sur les horaires de messes, on touche immanquablement à la trilogie constitutive de
l’être ecclésial : « eucharistie – assemblée – dimanche » 39 ou pour le dire sociologiquement « rite –
communauté – institution d’inscription ».
Si la liturgie eucharistique constitue, comme le répète à l’envi le Magistère40, « la source et le sommet de
toute la vie ecclésiale », les constats de la baisse de fréquentation des messes et du vieillissement des fidèles
posent les interrogations essentielles de la dite « nouvelle évangélisation » en ville 41 : qui la pastorale
rejoint-elle aujourd’hui42 ?
À ces questions d’évangélisation s’ajoutent des défis communautaires43 : Comment conjuguer sentiment
d’appartenance à une communauté locale et joie de participer à un rassemblement bien fréquenté ?
Comment faire de l’eucharistie dominicale le lieu d’expression central des diverses communautés de
quartiers ? Comment parvenir pour l’ensemble de la vie ecclésiale à un véritable décloisonnement entre les
congrégations religieuses, les missions linguistiques et les paroisses ?
Les enjeux sont évidemment également liturgiques44 : garder le pluralisme de formes de célébrations afin
qu’il y en ait « pour tous les goûts », proposer des eucharisties répondant aux attentes des participants et
susceptibles de réunir l’ensemble des générations, autant les enfants, les familles, les jeunes que les
personnes âgées ; valoriser les richesses célébratoires des diverses entités linguistiques et les spécificités de
la spiritualité des différentes communautés religieuses…
CONCLUSION
Lancer une enquête sur les horaires de messe n’est institutionnellement pas anodin. Nous l’avons observé
dans le cas du décanat de Fribourg, cet acte participe d’une part à une consultation pleine de promesses
tout en étant une prise de risque. Quand des prêtres interrogent la pertinence d’une offre de messes
pléthorique, ils sondent également l’adéquation de leur pastorale. Indirectement, ils questionnent
également, sur le plan institutionnel, l’adaptation de directives pastorales épiscopales au niveau d’une ville.
À propos de cette trilogie, voir notamment : Patrick PRÉTOT, « Eucharistie, Assemblée, Dimanche. Points de repère pour
l’avenir de la démarche », Études 404, 2006, pp. 497-507 ; François WERNERT, Le dimanche en déroute. Les pratiques dominicales dans le
catholicisme français au début du 3e millénaire, Paris / Montréal, Médiaspaul, 2010.
39
40
Depuis la Constitution sur la liturgie du Concile Vatican II Sacrosanctum concilium, no 10.
Sur les défis de la présence ecclésiale dans les villes, voir Jean-Guy NADEAU et Marc PELCHAT, Dieu en ville. Évangile et Églises
dans l’espace urbain, coll. Théologies pratiques, Montréal / Paris / Bruxelles / Genève, Novalis / Cerf / Lumen Vitae / Labor et Fides,
1998 ; Élaine CHAMPAGNE (dir.) Défis actuels de la pastorale urbaine. Arriver en ville, Lumen Vitae 66, 4/2011, pp. 361-480 ; FrançoisXavier AMHERDT (dir.), Une Église en sortie, Lumen Vitae, 1/2015 (à paraître).
41
42
Cf. pape FRANÇOIS, Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, Rome, 2013, nos 71-75.
À propos de la dimension communautaire des paroisses dans l’univers postmoderne, voir notamment : L. VILLEMIN, « Service
public de religion et communauté. Deux modèles d’ecclésialité pour la paroisse », La Maison-Dieu 229, 1/2002, pp. 59-79 ; A.
ROUET (dir.), Un nouveau visage d’Église. L’expérience des communautés locales à Poitiers, 3 vol., Paris, Bayard, 2005-2008 ; A. FOSSION,
« Vers des communautés catéchisées et catéchisantes », dans A. HUEBSCH, La catéchèse de toute la communauté, coll. Pédagogie
catéchétique no 17, Paris / Montréal / Bruxelles, Bayard / Novalis / Lumen Vitae, 2005, pp. 101-115 ; G. ROUTHIER,
« Communautés – réseaux – assemblées. Penser l’Église dans un monde pluriel », Théophilyon 11, 2006, pp. 71-93.
43
Cf. L.M. RENIER, « Au cœur de l’acte liturgique et de l’acte catéchétique : la communauté chrétienne », La Maison-Dieu 234,
2003, pp. 39-59.
44
12
Comme on l’a relevé, cet aspect s’est révélé en cours de route, et les initiateurs de l’enquête se sont
rapidement résolus à inviter le vicaire épiscopal à leurs réflexions.
L’enquête a pu de manière quantifiée fournir les paramètres à une situation, certes connue, mais générale
dans le contexte européen : baisse des forces pastorales, baisse de la pratique, augmentation de la
participation des migrants, vieillissement des fidèles et des prêtres. Fribourg n’échappe pas à la règle.
Cependant, l’enquête aura aussi permis d’observer que certains styles de messes sont préférés à d’autres,
que le sentiment d’appartenance est affecté par les réorganisations, mais que ce sont surtout les fidèles
fréquentant moyennement ou peu régulièrement qui sont le plus ébranlés.
Ces paramètres ont alors nourri la discussion pour réaménager le décanat de Fribourg. Une discussion qui
permet une visibilité d’une « révolution silencieuse »45, prise dans un étau entre un certain conservatisme
des fidèles – qui n’aiment pas que les choses changent et surtout que l’on touche à « leur » paroisse ou à
« leur » prêtre – et une hiérarchie catholique – qui a ses lignes de conduites pastorales et éthiques (avec ses
standards sur le mariage), que retiennent, chacun à leur façon, une partie des fidèles dans une pratique
faible ou peu fréquente.
On le constate donc au-delà des résultats de l’enquête, une restructuration des horaires de messes implique
bien plus. Elle est alors un acte lourd de promesses pastorales46 qui devient primordial. L’enquête est
terminée, mais la restructuration ne fait que commencer, le rendez-vous est pris pour 2017.
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