Des millions de Martyres Des millions de Souvenirs
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Des millions de Martyres Des millions de Souvenirs
Des millions de Martyres Des millions de Souvenirs Faye Jade Préface Notre Histoire est peuplée de guerres et d'actes inhumains que les historiens répertorient. Mais qui de mieux que des témoins pour nous en faire le récit? Ce recueil regorge de poèmes dont les auteurs ont été profondément marqués par les horreurs qu'ils ont vécu. Ils réussissent à nous faire partager leurs émotions, leurs peines et leurs regrets tout en remerciant ces héros qui ont résister et se sont battus pour la liberté comme dans «Strophes pour se souvenir» de Louis Aragon, ou «Gabriel Péri» de Paul Eluard. A travers ces quelques pages, j'espère que tout comme ces génies de la poésie, je vous transmettrai mon admiration et ma compassion pour toutes les personnes qui ont péries dans cette guerre sans pitié. «Portrait d'un prisonnier de guerre» , 1945 Menacé par la Gestapo, Otto DIX participe à la Seconde Guerre Mondiale. Il est fait prisonnier en Alsace (Colmar) par les Français, où on lui permet de peindre cette huile sur carton (technique de la tempera). Avis La nuit qui précéda sa mort Fut la plus courte de sa vie L'idée qu'il existait encore Lui brûlait le sang aux poignets Le poids de son corps l’écœurait Sa force le faisait gémir C'est tout au fond de cette horreur Qu'il a commencé à sourire Il n'avait pas un camarade Mais des millions et des millions Pour le venger il le savait Et le jour se leva pour lui. «Avis» de Paul Eluard (1943,sous le pseudonyme de Jean du Haut) ,reprit dans «Au rendezvous allemand», aux Editions de Minuit,1945. Couplets de la rue Saint-Martin Je n'aime plus la rue Saint-Martin Depuis qu'André Platard l'a quittée. Je n'aime plus la rue Saint-Martin Je n'aime rien,pas même le vin. Je n'aime plus la rue Saint-Martin Depuis qu'André Platard l'a quittée. C'est mon ami,c'est mon copain. Nous partagions la chambre et le pain. Je n'aime plus la rue Sain-Martin. C'est mon ami,c'est mon copain. Il a disparu un matin, Ils l'ont emmené,on ne sait plus rien. On ne l'a plus revu dans la rue Saint-Martin. Pas la peine d'implorer les saints, Saints Merri,Jacques,Gervais et Martin, Pas même Valérien qui se cache sur la colline. Le temps passe,on ne sait rien. André Platard a quitté la rue Saint-Martin. « Couplets de la rue Saint-Martin » de Robert Desnos,repris dans «Destinée arbitraire», Gallimard,«Poésie»,1975. Strophes pour se souvenir Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes Ni l’orgue ni la prière aux agonisants Onze ans déjà que cela passe vite onze ans Vous vous étiez servis simplement de vos armes La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants L’affiche qui semblait une tache de sang Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles Y cherchait un effet de peur sur les passants Nul ne semblait vous voir français de préférence Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE Et les mornes matins en étaient différents Tout avait la couleur uniforme du givre À la fin février pour vos derniers moments Et c’est alors que l’un de vous dit calmement Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses Adieu la vie adieu la lumière et le vent Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses Quand tout sera fini plus tard en Erivan Un grand soleil d’hiver éclaire la colline Que la nature est belle et que le cœur me fend La justice viendra sur nos pas triomphants Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant. «Strophes pour se souvenir» de Louis Aragon, Le Roman inachevé, 1956 Gabriel Péri Un homme est mort qui n’avait pour défense Que ses bras ouverts à la vie Un homme est mort qui n’avait d’autre route Que celle où l’on hait les fusils Un homme est mort qui continue la lutte Contre la mort contre l’oubli Car tout ce qu’il voulait Nous le voulions aussi Nous le voulons aujourd’hui Que le bonheur soit la lumière Au fond des yeux au fond du cœur Et la justice sur la terre Il y a des mots qui font vivre Et ce sont des mots innocents Le mot chaleur le mot confiance Amour justice et le mot liberté Le mot enfant et le mot gentillesse Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits Le mot courage et le mot découvrir Et le mot frère et le mot camarade Et certains noms de pays de villages Et certains noms de femmes et d’amies Ajoutons-y Péri Péri est mort pour ce qui nous fait vivre Tutoyons-le sa poitrine est trouée Mais grâce à lui nous nous connaissons mieux Tutoyons-nous son espoir est vivant. «Gabriel Pétri» de Paul Eluard, reprit dans «Au rendez-vous allemand», aux Editions de Minuit, 1945. Octobre Le vent qui pousse les colonnes de feuilles mortes Octobre, quand la vendange est faite dans le sang Le vois-tu avec ses fumées, ses feux, qui emporte Le Massacre des Innocents Dans la neige du monde, dans l’hiver blanc, il porte Des taches rouges où la colère s’élargit ; Eustache de Saint-Pierre tendait les clefs des portes Cinquante fils la mort les prit, Cinquante qui chantaient dans l’échoppe et sur la plaine, Cinquante sans méfaits, ils étaient fils de chez nous, Cinquante aux regards plus droits dans les yeux de la haine S’affaissèrent sur les genoux Cinquante autres encore, notre Loire sanglante Et Bordeaux pleure, et la France est droite dans son deuil. Le ciel est vert, ses enfants criblés qui toujours chantent Le Dieu des Justes les accueille Ils ressusciteront vêtus de feu dans nos écoles Arrachés aux bras de leurs enfants ils entendront Avec la guerre, l’exil et la fausse parole D’autres enfants dire leurs noms Alors ils renaîtront à la fin de ce calvaire Malgré l’Octobre vert qui vit cent corps se plier Aux côtés de la Jeanne au visage de fer Née de leur sang de fusillés «Octobre» de Pierre Seghers, 1941, parut dans le recueil L'Honneur des poètes, aux Editions de Minuit, 1945. Ode à la Libération Ce n'est pas la fin de la belligérance Mais bientôt sonne l'heure de la libération. Ce n'est pas la fin de la belligérance Mes amis faisons preuve de vaillance. Ce n'est pas la fin de la belligérance Mais bientôt sonne l'heure de la libération. Alors engageons nous dans la résistance Et soyons de fervents partisans Ce n'est pas la fin de la belligérance. Hélas nous sommes sous surveillance, Pas d'imprudence. Ne clamons pas nos doléances Sous peine de devenir garant. En veine, c'est face à notre entêtement, A notre acharnement et persévérance, Que l'ennemi demande la reddition. Avec l'aide de tous ces adhérents, que nous profitons de notre délivrance. «Ode à la Libération» Faye Jade, février 2016.