L`être en relation thérapeutique en Analyse Transactionnelle
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L`être en relation thérapeutique en Analyse Transactionnelle
L’ETRE EN RELATION THERAPEUTIQUE EN ANALYSE TRANSACTIONNELLE : LA VERITE DE L’AMOUR OU L’AMOUR DE LA VERITE William F.CORNELL et Frances BONDS-WHITE. Traduction : Patrick Bailleau Les années 90 ont vu s’opérer un glissement dans les théorisations cliniques au sein des approches psychodynamiques orientées sur le Moi dont l’Analyse Transactionnelle. L’interprétation et l’insight ne sont plus considérés comme les moyens premiers du changement thérapeutique. Des thérapeutes de nombreuses et différentes orientations théoriques mettent dorénavant l’accent sur les composantes relationnelles, transférentielles et contre-transférentielles du processus thérapeutique. La littérature clinique est submergée par les modèles et le langage relationnel : processus mutuel, empathie, accordage, attachement, holding, relations d’objet, connaissance relationnelle implicite, intersubjectivité, réciprocité, synchronicité émotionnelle, connexion, moment de rencontre et résonance. Ce « zeitgeist »1relationnel a été renforcé par la popularité des modèles centrés sur la féminité tel que le modèle relationnel développé au Stone Center du Wellesley College et les approches centrées sur le traumatisme qui tous les deux mettent l’accent sur le rôle relationnel actif, maternant et correctif du thérapeute. Alors que ces approches maternantes/relationnelles ont beaucoup fait pour corriger les styles unidirectionnels, paternalistes et autoritaires qui prévalaient dans la psychanalyse classique et dans les orientations cognitives et comportementalistes, nous voyons apparaître maintenant en Analyse Transactionnelle contemporaine des applications aveugles de divers modèles relationnels qui pourtant, selon nous, mériteraient une critique sérieuse. Dans «Analyse avec fin et analyse sans fin», un article clinique très approfondi écrit peu de temps avant sa mort, Freud (1937/1964) se bagarrait toujours avec la nature du processus thérapeutique. Pour lui, l’amour de la vérité – la volonté de reconnaître les réalités psychiques, de se regarder aussi honnêtement que possible – était au coeur du processus thérapeutique. Nous considérons également l’engagement en thérapie comme un engagement à une honnêteté absolue tant de la part du client que du thérapeute. Il semble cependant que dans de nombreuses thérapies contemporaines, le champ relationnel entre le thérapeute et le client soit passé de l’amour de la vérité à la vérité de l’amour. Où l’expérience d’être l’objet de soins et d’être reflété dans un miroir prenne le pas sur l’expérience d’affronter et de comprendre les réalités émotionnelles et celles relatives aux traits de caractère. Nous avons personnellement tendance à penser que dans le long et souvent difficile processus de la thérapie, c’est finalement l’amour de la vérité (une confrontation avec celle-ci) qui est curatif. Il y a toujours eu en Analyse Transactionnelle une tendance à mettre l’accent en psychothérapie sur le changement personnel et la gestion des émotions plutôt que sur le combat pour une compréhension plus profonde des ambivalences amour/haine qui sont le moteur de toutes relations 1 Air du temps 1 humaines. L’hypothèse centrale de cet article est que si l’Analyse Transactionnelle n’affronte pas et n’aborde pas les aspects les plus noirs, les plus conflictuels du fonctionnement humain, nous serons limités dans ce que nous offrons à nos clients, mais également sur le type de clients que nous pourrons effectivement traiter. Cet article examine donc les approches qui, en Analyse Transactionnelle, mettent l'accent sur l’empathie, l'accordage et l'attachement comme outils premiers dans le répertoire thérapeutique. Il part de l'hypothèse qu'une telle orientation peut susciter une forme subtile de reparentage, ce qui représente une déviation considérable vis-à-vis de l'accent que mettait Berne sur la responsabilité des personnes, le conflit intrapsychique, la manipulation interpersonnelle et la construction du scénario de vie. Nous estimons que l'utilisation excessive des concepts relationnels dans l’Analyse Transactionnelle contemporaine peut aboutir à une sur-simplification du processus thérapeutique, à une emphase excessive mise sur l’activité du thérapeute et à une perte de l'idée que les conflits intrapsychiques et interpersonnels sont les éléments fondamentaux de la psychothérapie. L'ETAT DU MOI PARENT ET LE ROLE DU THERAPEUTE Dès son origine, l'Analyse Transactionnelle a beaucoup insisté - que ce soit sous une forme ou une autre - sur l'utilisation du Parent du thérapeute. La manière dont Berne le soulignait, que ce soit sous l’angle structurel ou fonctionnel, représentait une correction importante de la position psychanalytique classique de l'observateur neutre ainsi que des opérations mécaniques des modèles comportementaux que Berne contestait de son vivant. Il y a depuis longtemps dans la théorie et les techniques transactionnalistes une tendance contestable à projeter les "mauvais éléments" vers le dehors, les attribuant à des défaillances parentales, du milieu et plus largement de la société. Cette position projective a été incluse dans la théorie et le langage de l’Analyse Transactionnelle dès le début et illustrée avec les notions berniennes de "père ogre" et de "mère sorcière" (1972), le terme de "parent-flic" utilisé par Steiner (1974) et la totalité du modèle de reparentage (Schiff et autres, 1975, Schiff 1977). Bien trop souvent, le thérapeute en Analyse Transactionnelle se voit attribué le rôle de fournisseur de « bonnes choses » plutôt que celui d’agent clarificateur de la manière dont le client maintient des mécanismes de défense inefficaces, destructeurs de lui-même et d’autrui. Cette dérive de la théorie de l’Analyse Transactionnelle génère logiquement une pression sur le thérapeute pour qu'il adopte une position bon-parent/bon-objet vis-à-vis2 du client. Lorsque nous aidons un client à "expérimenter suffisamment", pour prendre à titre d’exemple une formule de parentage souvent utilisée en Analyse Transactionnelle, fréquemment, tout ce que nous avons réalisé n’est qu’une fusion temporaire, narcissique et mutuellement gratifiante. Lorsque nous enveloppons le client dans un miroir empathique bien accordé, nous induisons l'idée que peu de chose est réellement réparé et que rien n'est réellement changé dans sa structure psychique. En apaisant la détresse - celle du client comme celle du thérapeute – nous ne faisons rien d'autre qu’éliminer ou différer les combats nécessaires au changement de la structure de caractère et à la maîtrise psychologique. D’une manière plus problématique, nous risquons d'encourager un fantasme enfantin et maternel, nostalgique et idéalisé, clivé des difficultés de la vie courante, sans parler du mauvais côté de la nature humaine. 2 En français dans le texte 2 En se détachant de la psychanalyse de son époque, Berne eut pour objectif une critique radicale de l’analyse traditionnelle du psychisme humain, celle utilisant l'association libre, l'interprétation des rêves et d'autres techniques classiques. Il créa clairement une analyse transactionnelle et non pas une psychothérapie relationnelle. Il ne suggéra nulle part dans ses écrits que c’est l’internalisation de la relation thérapeutique qui guérit le client. La tâche du thérapeute analyste transactionnel est plutôt de faciliter la réflexion du client sur les façons, les raisons et les croyances relatives à son style de relation aux autres afin qu’il puisse faire le choix d’en changer. Le thérapeute est un observateur prudent et honnête des structures relationnelles et des croyances qui y sont attachées. Chez Berne, il est possible de le constater dans sa conceptualisation des jeux, des rackets et des scénarios. Il observait, écoutait, réfléchissait, décrivait, interprétait, analysait et dérangeait la manière dont les gens étaient en relation les uns avec les autres. Berne défendait, en définitive, une thérapie unipersonnelle dans laquelle ces interactions étaient analysées à la lumière des bénéfices sociaux et psychologiques que la personne pensait pouvoir en retirer. Il a ainsi offert l’occasion de voir et de réfléchir à la manière dont la personne pense, se comporte et de la changer. L'Analyse Transactionnelle de Berne vise à déstabiliser un cadre de référence familier et défensif par la description, la confrontation, l'interprétation et l'humour. Il semble tout à fait évident que son intention, en cela cohérente avec la vision psychanalytique classique, était de modifier la structure et le fonctionnement intrapsychiques du client par des interventions clarifiantes et non pas en fournissant une relation corrective. « L'introspection […] retire le couvercle de la boîte noire et permet à l'Adulte de la personne de jeter un œil dans son propre esprit pour voir comment il fonctionne : comment il assemble les phrases, d'où viennent ses images et quelles voix gouvernent son comportement. » (Berne, 1972 p. 273) C’est ainsi que, pour Berne, le traitement de groupe n’était pas un environnement contenant et empathique, mais une matrice d’étude interpersonnelle. Dans Principes de traitement de groupe, il passe en revue huit opérations thérapeutiques qui « constituent la technique de l’Analyse Transactionnelle » (Berne, 1966 p.233). Ce sont : l’interrogation, la spécification, la confrontation, l’explication, l’illustration (humour et comparaison), la confirmation, l’interprétation et la cristallisation (pp.233-247). Ces opérations thérapeutiques sont soigneusement décrites, illustrées et éclairées avec des recommandations sur quand et comment s'en servir ou pas. Remarquez que l’empathie, le « holding » et l’attachement ne sont pas sur cette liste. Les interventions thérapeutiques de Berne sont plutôt destinées à favoriser l'observation de soi et la curiosité, à décontaminer et à stabiliser le fonctionnement de l'état du moi Adulte. Berne (1966) y décrit ensuite "d'autres types d'interventions" (pp.248-249) pour lesquelles "le thérapeute peut être amené à se conduire de manière délibérée en tant que Parent plutôt qu'en Adulte pour une période plus ou moins longue, qui peut aller jusqu'à quelques années" (p.248). Ces interventions parentales sont : soutien, réassurance, persuasion et exhortation ; lesquelles, suggèret-il, sont plus appropriées et nécessaires au traitement d'une schizophrénie avérée. Malheureusement, il y a ici quelque chose de vague et de confus dans la manière dont Berne utilise les mots, une confusion répétée à l’envi dans ses écrits et dans la pratique de l'Analyse Transactionnelle. Le fait d'écrire Parent et Adulte avec des majuscules dans ce paragraphe laisse à penser qu'il décrit le passage du thérapeute d'un état du moi Adulte possédant le pouvoir exécutif à un état du moi Parent investi de celui-ci. Je doute que Berne ait eu l'intention de pousser le thérapeute à devenir une figure parentale ; mais, de fait, ceci est devenu courant dans la pratique de l’Analyse Transactionnelle. 3 Le thérapeute analyste transactionnel utilise quelquefois explicitement l'état du moi Parent, comme cela apparaît clairement dans sa description de fonctions parentales comme la permission, la protection et la puissance (Bern, 1972): « Nous pouvons maintenant parler avec une certaine assurance des "3P" en thérapie qui déterminent l'efficacité du thérapeute : la puissance, la permission et la protection. Il doit donner à l'Enfant la permission de désobéir aux injonctions et provocations du Parent. Pour pouvoir faire cela efficacement, il doit être et se sentir puissant - pas tout-puissant - mais suffisamment puissant pour traiter avec le Parent du patient. Il doit ensuite se sentir suffisamment puissant - et l'Enfant du client doit le sentir suffisamment puissant - pour offrir de la protection face à la colère du Parent. Ici les transactions sont : 1. Accrocher l'Adulte, ou attendre qu'il soit branché. 2. Faire alliance avec l'Adulte. 3. Nommer votre plan et voir si l'Adulte l'approuve. 4. Si tout est clair, donner à l'Enfant la permission de désobéir au Parent. Ceci doit être fait clairement et en termes explicitement impératifs, sans "si", "et" ou "mais". 5. Offrir à l'Enfant la protection par rapport aux conséquences. 6. Renforcer cela en disant à l'Adulte que ceci est juste. » (pp.374-375)) Berne s'occupe clairement de l'identification et de la gestion du conflit intrapsychique. L’utilisation de l’état du moi Adulte par le thérapeute est décrite comme ayant pour objectif de renforcer le fonctionnement de l’Adulte du client lors de son conflit avec l’état du moi Enfant. Il ne propose pas d’expérience parentale empathique et corrective. Tout se passe comme s'il disait au client : "Je suis assez solide pour faire face aux forces psychiques qui se manifestent à l'intérieur de toi et travailler hors de leur portée. Tu peux constater qu'il est possible de supporter le conflit interne qui accompagne le changement. Tu peux faire tes propres choix." Berne modélise la possibilité de contenir, fournissant moins un milieu contenant qu’un milieu facilitateur, pour se servir des termes de Bion et Winnicott. Il donne un modèle de contestation, d'alignement sur l'Adulte et d’interventions à des moments soigneusement choisis pour permettre au client de penser et sentir en toute autonomie. Il ne verrouille pas le domaine du "comme si" du processus thérapeutique en devenant une figure parentale. Il s'appuie sur la force des attitudes parentales de permission, protection et puissance pour susciter un espace psychologique dans lequel le client a l’occasion de développer un fonctionnement autonome. RECHERCHE MERE / NOURRISSON : IMPLICATIONS CLINIQUES . Même si nous apprécions Berne et sa démarche thérapeutique, nous ne voulons pas passer sous silence ses limites. Il est clair que la reconnaissance d’un insight cognitif, l’interprétation, l'analyse des transactions, les schémas au tableau et les observations fines ne sont pas toujours suffisants pour atteindre ces couches les plus profondes du psychisme qui parfois craignent et s’opposent à la prise de conscience psychologique et au changement. L’Analyse Transactionnelle et d'autres approches psychodynamiques ont commencé à regarder du côté de la recherche relative au développement précoce de l'être humain afin d’approfondir la compréhension des troubles préœdipiens. Une des forces des approches mettant l'accent sur l'empathie et l'attachement est en fait l'attention portée aux expériences formatrices de l'époque préverbale puisque les difficultés rencontrées dans les premiers mois de la vie peuvent être à l'origine de décisions scénariques ultérieures. Berne avait peu de notions concernant la relation préverbale mère/nourrisson. Dans Que dites-vous après avoir dit Bonjour ? (1972), ce qu'il dit des influences sur le développement du scénario de l'époque prénatale et de la période de la petite enfance est un tout petit peu plus qu’une liste 4 astucieuse de "titres à propos de l'allaitement" et de "scènes de salle de bain". Il semble n'avoir accordé que peu ou pas d'importance aux observations de Winnicott sur les relations mèrenourrisson (1958d, 1965) bien que celles-ci fussent publiées à l'époque même où il écrivait. La recherche mère/nourrisson effectuée depuis la mort de Berne - comprenant, entre autres, Mahler (1975), D.N. Stern (1985), Tronick (1999), Lachmann et Beebe (1996), Emde (1988), Ainsworth (1969) et Main (1995) entre autres… - a grandement enrichi notre compréhension des éléments somatiques et relationnels du scénario. Cette recherche a montré combien complexe était le développement du psychisme infantile avec l'intégration progressive et constante du fonctionnement limbique, sensorimoteur et cognitif (Bucci, 1997; Downing, 1995, Lichtenberg, 1989). Les dernières années ont aussi vu l'application progressive à la psychothérapie adulte de la recherche sur les nourrissons. Ces hypothèses cliniques sont importantes. Il est cependant tout aussi important de comprendre que la relation thérapeutique adulte n'est pas un reflet ou une réédition de la relation mère-nourrisson. Il est incontestable qu'avec beaucoup de clients, des aspects du vécu relationnel mère-nourrisson vont apparaître dans le processus thérapeutique ; mais il en sera de même avec de nombreux autres aspects et plusieurs autres époques du développement psychique. Green (2000) a écrit une critique incontournable des applications cliniques des recherches sur les relations mère-nourrisson et proposé un rappel puissant sur la complexité des forces en jeu lors de la psychothérapie d’un adulte. Un volume entier de l’Infant Mental Health Journal (Tronick, 1998b) a été consacré à une série d'articles produits par le Change Process Study Group de Boston traitant de l'application de la recherche sur les nourrissons à la psychothérapie des adultes. Ces premières tentatives sont intéressantes, fascinantes mais ont pas mal de défauts. Dans cette revue, discutant d'un point de vue critique les articles, Modell (1998) met en garde contre : « L'analogie entre les dyades nourrisson et les dyades adultes [qui] ne tient pas sur plusieurs points. Premièrement la dyade thérapeutique adulte, contrairement à la dyade mère-nourrisson, n'est pas un processus défini biologiquement ; deuxièmement, les deux participants d'une dyade thérapeutique adulte sont chargés du poids de leurs souvenirs affectifs du passé ; alors que dans la dyade mèrenourrisson, le passé du nourrisson ne fait que commencer. Le changement thérapeutique chez l'adulte comporte une réécriture de la mémoire affective. Il existe, en particulier dans les cas de traumatismes, une clause implicite – transcender et modifier le passé – qui n'est pas à l’ordre du jour chez le nourrisson. » (pp. 342-343). Une trop grande importance accordée à la relation mère-nourrisson en tant que modèle pour la psychothérapie introduit de force la régression dans la relation thérapeutique et dévalorise l’expérience vécue de l’adulte. L’attention portée à l’accordage, la réponse en miroir ou la régulation mutuelle qui sont issus de l'accent mis sur la relation mère-nourrisson sont un des aspects du développement psychique ; mais le nourrisson et le jeune enfant ont aussi des capacités motrices, des compétences cognitives, de compréhension de soi et d'individuation. Lichtenberg (1983, 1989 ; Lichtenberg, Lachmann et Fosshage, 1992) a présenté une application détaillée de la recherche sur les nourrissons relative aux forces de développement actives durant toute l'existence humaine et lors de la psychothérapie des adultes. Dans une théorie de la motivation qui ressemble remarquablement au concept de Berne sur les « faims » humaines, Lichtenberg (1989) décrit cinq systèmes de motivation présents à la naissance et opérationnels tout au long de la vie. Ce sont: 1. La régulation psychique des besoins physiologiques 2. Le système attachement-appartenance 5 3. Le système d'exploration-affirmation 4. Le système de retrait-répulsion 5. Le système sensualité-sexualité. Le système des motivations de Lichtenberg comprend, premièrement les capacités évolutives du nourrisson et de l’enfant à utiliser ses facultés psychologiques pour répondre aux besoins et aux pressions physiologiques. Le système attachement-appartenance fait référence pour sa part à la formation et au maintien des liens parent/nourrisson, enrichissant ainsi le travail de Bowlby et de ses successeurs, travail bien connu de la plupart des praticiens en analyse transactionnelle. Le système d'exploration-affirmation correspond à la capacité d’agression et d’engagement dans le monde, soit pour sa propre protection, soit pour réaliser des désirs accrus, tandis que le système de retraitrépulsion décrit la capacité à se retirer du monde pour se reposer, pour être dans l’intimité ou pour assurer sa propre protection. Le système sensualité-sexualité reflète enfin l’importance centrale et permanente du corps en relation avec soi-même et les autres. Les « faims » relationnelles ne sont qu'un des éléments de ce système de motivation qui met l'accent aussi bien sur la différenciation et la compétence que sur l'attachement dans la relation et sur le contact chez le nourrisson et le jeune enfant. Nous suggérons fortement que tout modèle exhaustif de psychothérapie comprenne chacun de ces systèmes de motivation en faisant attention à ne pas idéaliser l’un au détriment des autres. BOWLBY ET W INNICOTT : ACCEDER A UNE POSTURE THERAPEUTIQUE La compréhension des processus psychiques du nourrisson est apparue comme une nouvelle prise de conscience aux psychologues du Moi et leur permit de travailler plus systématiquement et plus efficacement avec les troubles du développement de la petite enfance. La vie psychique des nourrissons a toutefois été étudiée par les successeurs de Klein et la British Independent/Middle School pendant des dizaines d'années. Des analysants de Ferenczi - en particulier Mélanie Klein qui commença à faire des conférences en Angleterre en 1925 et Michael Balint qui émigra de Hongrie en Angleterre en 1939 - abordèrent la manière dont les nourrissons appréhendaient, percevaient et vivaient les relations à l'objet interne et externe. Fairbairn (1952), Guntrip (1961), Winnicott (1958c, 1965), Balint (1969), Bion (1977) et Bollas (1987, 1989) s’appuyèrent sur ces travaux. Des années avant les recherches faites en Amérique à partir de l’observation directe des nourrissons, ces théoriciens ont vu que les fondations de la structure psychique et des processus inconscients s'enracinaient dans le vécu des premiers mois de la vie. Ils soulignèrent l'importance essentielle de la relation mère-nourrisson, postulèrent que la curiosité était une pulsion fondamentale et le fantasme un mécanisme essentiel de l'activité mentale. En parallèle avec les travaux de ces théoriciens de la relation d'objet, Bowlby (1969) menait ses recherches sur les nourrissons et les jeunes enfants qui le conduisirent à ses théories sur la séparation, l'attachement, la perte et la base « secure ». Dans l'actuelle pratique de l'Analyse Transactionnelle, des « versions » de l'accent mis par Bowlby sur les schémas d'attachement, l’environnement "holding" de Winnicott et l' "accordage" empathique de Kohut remplacent la conceptualisation initiale du Parent Nourricier. Il y a beaucoup d’éléments positifs dans ces ajouts à la pratique de l'Analyse Transactionnelle. Toutefois, ces derniers temps, notre lecture de la littérature traitant de l’Analyse Transactionnelle et notre participation à des préparations et à des processus d'examens, nous ont amené à être de plus en plus inquiet sur la 6 compréhension erronée et l'amalgame faits de théories et de techniques disparates. Un mélange a été fait des idées de Bowlby (un modèle ethnologique fondé sur les pulsions instinctuelles), avec celles de Kohut (un modèle relationnel élaborées pour traiter de la réticence des psychologues américain du Moi à travailler avec des thèmes préœdipiens) et celles de Winnicott (observateur des interactions mère-enfant) sans pour autant observer les différences essentielles entre ces modèles théoriques. Ce « hachis » de théories crée une illusion de convergence des idées et des techniques cliniques. Pour ceux qui n’appartiennent pas à la communauté de l’Analyse Transactionnelle, ce mélange d’idées sape la solidité de multiples efforts engagés pour en approfondir la théorie. Afin de contribuer à cet approfondissement et à une nécessaire clarification, nous nous concentrerons ici sur les concepts et les techniques qui - dans des discussions actuelles - sont le plus fréquemment citées : ceux de Bowlby, Winnicott et Kohut. Lorsque l’on examine l'application à la psychothérapie adulte des travaux de Bowlby et de la théorie de l'attachement (Bowlby, 1979; Gaines, 1997 ; Holmes, 1996; Karen, 1998), nous trouvons des descriptions de la relation et du processus thérapeutiques qui sont remarquablement similaires à celles de Berne. Les thérapeutes de l'attachement utilisent un concept de "modèles opérationnels internes" (Bowlby, 1979, pp.117-118) qu'on ne peut pas vraiment différencier de l'essence de la théorie bernienne du scénario. Dans la description que Bowlby (pp.145-149) donne des tâches du thérapeute, il parle pratiquement comme Berne. La base « secure » (pp.145-146), concept fondamental dans le modèle de Bowlby, n'est pas une immersion empathique, mais une fondation solide à partir de laquelle le client peut s'explorer lui-même et explorer le monde. Bowlby l’invite à observer ses schémas relationnels et les croyances sous-jacentes : « Pour l'aider à voir à quel point les situations dans lesquelles il s'enferrait et les réactions typiques à celles-ci, y compris ce qui pouvait se passer entre le thérapeute et lui-même, pouvaient être comprises en termes d’expériences qu'il avait réellement vécues avec des figures d'attachement pendant son enfance et son adolescence (et qu'il avait peut-être encore). Et de quoi étaient faites ses réponses à l'époque (et le sont peut-être encore). » (p.146). De plus, les thérapeutes utilisant la théorie de l'attachement soulignent maintenant le développement par le client de "la fonction réflexive du soi" (Fonagy, Steele, Moran et Higgitt 1991; Holmes, 1996), ce qui, à nouveau, est remarquablement en accord avec l'accent mis par Berne sur la capacité de l'état du moi Adulte à observer la personne dans sa globalité. Dans le modèle de la relation d'objet de Winnicott, il existe un développement progressif et en différenciation permanente qui va de la dépendance absolue à la dépendance relative, puis à la relative indépendance et enfin à l'interdépendance. Ceci se fait en parallèle avec le développement de l'interaction avec la personne qui s'occupe dès le début de l'enfant, interaction qui va de la fusion avec l’objet à la relation avec celui-ci, puis à la destruction de l’objet et enfin à la possibilité de s’en servir. Pour Winnicott, le rôle de cette personne comprend une première phase de "préoccupation maternelle primaire" (Winnicott, 1958b, pp.300-305) qui commence dès la grossesse et se poursuit pendant les premières semaines de la vie du nourrisson. Il décrit la mère comme étant dans un état de conscience particulier avec un ressenti d'elle-même et de son corps axé presque exclusivement sur l'existence somatique du nourrisson. Dans sa description de la fonction « holding » dans le parentage d'un tout-petit, Winnicott met en évidence une phase de parentage protectrice et provisoire qui s'ancre profondément dans le corps. Il montre la fonction de l’environnement « holding » comme devant amener à l'enfant le monde de la réalité en doses assimilables. Il voit la fonction « holding » comme un besoin se manifestant encore et encore tout au long de la vie lors des 7 phases de transition de l'enfance et de l'adolescence et lors de moments de graves pertes, de tensions et de désorganisations dans la vie adulte. La fonction « holding » est cependant plus complexe que l’apport de sécurité et de capacité empathique à l’enfant. Winnicott souligne que pendant la petite enfance il y a des périodes où le parent ne fait pas que porter et entourer le nourrisson, il tient bon contre lui afin de survivre malgré ses exigences agressives et ses demandes pressantes. Un point essentiel dans la pensée de Winnicott est l'importance qu’il accorde au fait que le parent survive aux agressions et à la haine du nourrisson sans punir et riposter. Alors que les ratés parentaux sont inévitables et constituent une force saine pour le développement, les représailles ne le sont pas. La sécurité que procure le fait que le parent survive à l'agression du nourrisson rend peu à peu celui-ci capable d'être seul et bien en présence de l'autre. Winnicott postulait que le vrai moi ne pouvait émerger que dans cette solitude « secure ». Winnicott voyait des parallèles entre ces idées et le traitement de clients difficiles et régressifs : « L’analyste, la technique et le cadre analytiques ont pour élément commun la capacité ou non de survivre aux attaques destructrices du patient… Dans la pratique psychanalytique, les changements positifs qui peuvent se produire en ce domaine peuvent être profonds. Ils ne dépendent pas du travail d'interprétation. Ils dépendent de la capacité de l'analyste à survivre aux attaques, ce qui suppose et comprend l'idée de l'absence de représailles. » (p.91) Slochower (1992) propose une excellente discussion de cas sur cet aspect du concept de Winnicott de "holding" qui – pour le thérapeute - a bien moins à voir avec une compréhension « accordée » du client qu'avec le fait de contenir ses propres affects et de survivre au comportement de ses patients. Le nourrisson « winnicottien » (et son patient) est un être complexe et pas seulement le réceptacle passif des largesses parentales (ou thérapeutiques). Winnicott définit l'agression comme un mouvement inhérent à la vie, qui commence avec le premier coup de pied du tout-petit. Le nourrisson que Winnicott décrit de manière remarquablement semblable à ce que l'on voit lors d'observations directes de ceux-ci et dans les recherches menées sur eux, est un être actif, ambivalent et agressif, qui s'éloigne du parent autant qu'il s'en rapproche. Ses observations mèrenourrisson, comme ses écrits cliniques, sont remplis de paradoxes délicieux. Dans un article sur "Le développement émotionnel primaire" par exemple, il observe: « Je veux simplement noter une autre raison pour laquelle le bébé ne se satisfait pas de la satisfaction. Il se sent mis de côté. On pourrait dire qu'il avait l'intention de porter une attaque cannibale et il qu’il a été écarté par un opiacé, le biberon. Au mieux, il peut différer l'attaque. » (Winnicott, 1945/1958c, p.154.) Combien de fois le thérapeute offre-t-il, sciemment ou non, empathie et réconfort - l’opiacé, le biberon – pour éviter l'ambivalence ou l'agressivité d'un client ? Le nourrisson « winnicottien » s'impatiente du « holding » ou d'être nourri. Son développement implique une pression puissante qui pousse au conflit et à la différenciation. Souvent à l'initiative du nourrisson, les activités parentales primaires évoluent. Elles passent de l’apport de réconfort et de réponse aux besoins physiologiques et affectifs du bébé à l’encouragement et l’expression de leur joie vis-à-vis de son activité motrice, de son indépendance et de sa compétence. Selon Winnicott, le psychisme habite progressivement le corps et le nourrisson commence à différencier soi et l'autre. En développant sa capacité motrice et sa conscience de soi, il passe une autre étape. « Le Moi amorce la relation à l'objet. Avec un maternage suffisamment bon au début, le bébé n’est pas soumis à une gratification instinctuelle sauf si son Moi participe. Ainsi il ne s'agit pas tant de 8 donner satisfaction au bébé que de lui permettre de trouver et d’accepter l'objet (le sein, le biberon, le lait etc.) » (Winnicott, 1965, pp.59-60) Le bébé « winnicottien » (et le client) est un individu agité, impatient et exigeant, bien plus intéressé par la compétence et la différenciation que par le contact permanent et la nourriture. Comme Winnicott le décrit clairement dans son article classique "Haine et Contre-transfert" (Winnicott, 1947/1958a), la mère « winnicottienne » et le thérapeute, ne sont pas toujours des créatures d'accordage et de contact. Il souligne que, si la mère ne peut pas supporter sa propre haine envers son bébé, elle ne pourra pas davantage supporter qu'il la haïsse. Aucun affect véritable ni aucun véritable Soi ne pourra ainsi émerger. A la place, le faux Self montrera du sentimentalisme et le vrai Self demeurera caché. L’ EMPATHIE THERAPEUTIQ UE : UNE CRITIQUE Le caractère central attaché à la posture empathique en psychothérapie est issu en grande partie de l'œuvre de Kohut et d'autres psychologues du Soi. Lorsque Moses (1988) examine en détail le rôle que tient l'empathie dans la psychothérapie, il met en évidence que Kohut était, au début de ses travaux, précautionneux sinon carrément sceptique quant à l'utilisation de l'empathie. Il met en garde contre une "régression vers la subjectivité qui tournerait au sentimentalisme" (Kohut tel que cité par Moses, 1988, p.301) et contre l'empathie "lorsqu'elle fait partie d'une attitude visant à guérir directement en proposant une compréhension aimante…" (p.307). Vers la fin de sa vie toutefois, Kohut en était venu à considérer l'empathie et l'effet-miroir comme des facteurs de guérison, mettant en garde contre les conséquences de l'échec de l'empathie et plaidant pour la mise en place d'une longue période de validation de la réalité du client. Durant cette période, la responsabilité du thérapeute consiste à démontrer comment il ou elle comprend ce que ce ressent le client. Cette attitude le met dans le rôle du bon objet du Soi, comme on a pu le voir dans « The theory and Practice of Self Psychology » (White et Weiner, 1986): « Fondamentalement la tâche du thérapeute est de s'efforcer de devenir le bon objet du Soi. Il devra tenter de manière empathique de comprendre où le patient adulte n'a pas pu recevoir l'oxygène émotionnel dont il avait besoin pour développer un Soi sain… Et commencer à combler ce vide. » (p.36) Ce modèle estime que la psychopathologie est ancrée dans des déficits et des déficiences du développement et que de ce fait, la position du thérapeute/analyste consiste à réparer en remplissant les manques et en fournissant des substances nutritives émotionnelles. Erskine et Trautmann sont vraisemblablement les représentants de cette approche qui s’expriment le mieux dans la littérature relative à l’Analyse Transactionnelle contemporaine. Comme ma conception du « scénario de vie et des états du moi est de les considérer comme des tentatives de compensation, de gestion du besoin relationnel et de la perte du contact interne, la thérapie peut être centrée sur la relation elle-même » (Erskine, 1980,1988). Selon ce point de vue, l’objet de l'analyse des états du moi ou du scénario n’est pas de créer une structure nouvelle, plus utile ; mais plutôt de réunir des informations sur les besoins relationnels non satisfaits, comment la personne s'en est sortie et, plus important encore, comment les besoins relationnels d’aujourd'hui peuvent être satisfaits (Erskine et Trautmann, 1996). Ces tâches thérapeutiques se font au moyen de méthodes orientées vers le contact et centrées sur la relation : - Le questionnement sur l'expérience phénoménologique du client, le processus transférentiel, le système d’adaptation et la vulnérabilité. 9 - L’accordage aux affects du client, à son rythme, à son niveau de fonctionnement en termes de développement et à ses besoins relationnels. - Et l’implication qui reconnaît et valorise le côté unique du client. (Erskine, 1997, p.15) Cette description de la tâche essentielle en thérapie est maintenant répandue dans la pratique de l'Analyse Transactionnelle, qu'elle soit baptisée reparentage, parentage, parentage correcteur, empathie ou attachement. Si l'origine de la psychopathologie est liée au milieu environnant, alors l’argument est valable et la psychothérapie doit fournir un environnement compensateur dans l'essentiel de ses tâches. Storr (1988) nous rappelle que lorsqu'on demandait à Freud en quoi consistait la santé, il répondait que c'était la capacité d'aimer et de travailler. Storr faisait remarquer que "les relations humaines sont un moyeu autour duquel s'enroule la vie d'une personne, mais que ce n'est pas nécessairement le moyeu". (p.15) D.N Stern (1985) écrivit au sujet de l’empathie dans le cadre de la recherche parent-nourrisson : « Vu sous cet angle [intersubjectivité et psychologie du Soi] le "système" parent-nourrisson et le "système" thérapeute-patient paraissent avoir des éléments parallèles… Je veux toutefois introduire quelques précautions et ne pas tracer des analogies par trop proches. Ce que l'on entend par utilisation thérapeutique de l'empathie est extrêmement complexe selon nous. Cela implique l'intégration de caractéristiques qui comportent ce que nous appelons le fait d'être en relation verbale avec une intersubjectivité centrale ce que Schafer (1968) a appelé "empathie générative" et ce que Basch (1983) nomme "empathie mature"… L’accordage entre une mère et son nourrisson et l’empathie entre un thérapeute et son patient agissent à différents niveaux de complexité, dans différents domaines et en définitive à des fins différentes. » (pp.219-220) Moses (1988) a écrit : "Actuellement, la théorie et l’usage des techniques empathiques sont remplies d'illusions, d'erreurs et de mauvaises applications au point que ce concept est utilisé de manière réellement exagérée. Il en perd toute signification spécifique et son emploi a échappé à tout contrôle." (p.578) Il regrette que « sans examen approfondi », l'empathie « se soit glissée inconsciemment et universellement dans notre vocabulaire clinique."(p.579) Parmi les inconvénients qu’il voit à l'empathie, il y a le risque que le processus de traitement et le thérapeute soient tenus en otage par les blessures et les vulnérabilités narcissiques du client ou du thérapeute. Le thérapeute pourrait être préoccupé du fait d'être perçu comme un objet insensible ou persécuteur. Il pourrait craindre aussi d'apparaître aux yeux du client ou à ses propres yeux comme un objet stupide, qui ne saisit rien ou qui ne peut pas ou ne veut pas comprendre. Dans l'illusion de l'empathie suffisante "le thérapeute évite d'affronter la peur de ne pas comprendre le patient, ou pire, de laisser le patient s'apercevoir qu'il ne comprend pas, que certaines expériences dépassent sa capacité de compréhension." (p.590). Le souhait commun et la pression qui s'ensuit en faveur de l'empathie thérapeutique et de l'accordage peuvent générer un processus dans lequel la compréhension thérapeutique se situe davantage dans l’effort et l'esprit du thérapeute que dans celui du client ; un fait qui, nous le pensons, troublerait Berne et nous trouble certainement. Ne pas connaître ou ne pas comprendre l'autre peut créer un espace riche, même s’il est quelque peu angoissant. Bollas (1989) conteste l'exigence américaine de savoir et de comprendre: « Aux Etats-Unis d'Amérique, alors que nombreux sont ceux qui intentent des poursuites à propos de vétilles, les psychanalystes peuvent peut-être vivre dans la crainte que les patients ne leur intentent un procès parce que les thérapeutes ne savent pas ce qu'ils font. De fait, d'autres praticiens de la santé mentale, armés de leur manuel diagnostique – le DSM III – peuvent exercer munis de leurs certitudes. Mais pour moi, cette absence de savoir est une réalisation en soi. » (p.62) 10 Pour Bollas, comme pour Winnicott, l'échec de l'empathie, loin de créer inévitablement ou de raviver une blessure narcissique, peut offrir un espace créatif et des opportunités. Bollas s'investit bien davantage dans la mise en place d'un espace différencié et imaginatif que dans un contact harmonieux et une capacité relationnelle bien accordée. Les travaux de Stark (1999) entrent dans le débat actuel à propos des processus relationnels en psychothérapie en définissant trois modes d'action et d'interaction thérapeutiques centraux et permanents. Elle n'en privilégie aucun, n'accorde pas davantage de valeur à l'un plutôt qu'à l'autre. Elle définit les objectifs thérapeutiques de différents aspects de la capacité d’être en relation thérapeutique, suggérant qu'une psychothérapie exhaustive exige différentes façons d’être en relation au cours du traitement. Elle définit le premier mode comme aboutissant à la connaissance au moyen de l’insight et de l'interprétation, modèle fondé sur le conflit intrapsychique, structurel, comme en psychanalyse classique où Berne a fait ses débuts. Le second mode thérapeutique se base sur les modèles de la privation et du manque dans le développement et la structure. Dans cette approche, l'action essentielle en thérapie consiste pour le thérapeute à proposer une expérience relationnelle corrective, ce que nous voyons accentué dans les approches actuelles de l'Analyse Transactionnelle, approches centrées sur l'accordage et l'attachement. Comme le résume Stark, "le second mode met l'accent sur 1) La participation réelle du thérapeute comme nouveau bon objet. 2) La réelle gratification des besoins par le thérapeute et plus généralement 3) L’apport au patient par le thérapeute d'une expérience corrective (émotionnelle) (p.28). Le troisième mode thérapeutique est celui de l'authenticité et de l'intersubjectivité, de la rencontre thérapeutique de deux personnes réelles dans l'ici et maintenant, ce qui met à jour et modifie les croyances et les comportements archaïques. Dans la description que Stark fait de ces modes, le modèle du manque (mode 2) met l'accent sur l'absence de bonnes choses dans la vie du client, alors que la perspective relation d'objet/intersubjectivité du mode 3 considère ce qu'il y a de mauvais dans la motivation du client et e dans son fonctionnement. Dans le 3 mode, « le thérapeute participe de façon authentique à une relation réelle avec le patient – l'intention étant à la fois d'enrichir ce que le patient comprend de sa dynamique relationnelle et d'approfondir le niveau de leur implication commune. De ce fait, dans le troisième mode, le thérapeute visant l'intersubjectivité pourrait choisir de diriger l'attention du patient sur 1°) l'impact du patient sur le thérapeute 2°) l'impact du thérapeute sur le patient ou 3°) leur implication dans l'ici et maintenant (ou manque d'engagement). » (p.126). Dans cette perspective, le thérapeute accorde une grande attention à la manière dont le client crée et maintient - au moyen de réelles interactions, projections et distorsions fantasmées - les mauvais objets et des relations inefficaces et destructrices. Le propre style de Berne et celui caractéristique des praticiens classiques en Analyse Transactionnelle, se basaient certainement sur le modèle que Stark décrivait comme le mode 1. Nous suggérons que les modèles d’Analyse Transactionnelle se fondant sur le reparentage, l’attachement et l'accordage sont des exemples du mode 2. Nous ne plaidons pas pour une attitude thérapeutique distante et neutre ou pour une position d'interprétation permanente et de confrontation (Cornell, 1994, 1997, 2000). Nous soutenons ici que, si l'empathie, l'accordage ou l'attachement sont peutêtre des conditions nécessaires pour un changement thérapeutique, ils ne sont pas suffisants pour un changement psychologique durable. Notre souci ici est que lorsque l'empathie et/ou l'attachement sont présentés comme des facteurs de guérison, on introduit dans le processus thérapeutique un sérieux déséquilibre. La théorie clinique de l’Analyse Transactionnelle a progressé 11 de manière significative depuis Berne, mais nous suggérons avec force qu’il y a dans son modèle original des éléments qui sont toujours de grande valeur. Nous pensons de plus qu’il faut - pour que l’Analyse Transactionnelle soit une psychothérapie efficace et exhaustive - qu’elle comprenne un processus commun et réalisé : la capacité d’être en relation et ce, en complément de la relation conditionnelle avec le thérapeute. Nous plaidons pour que la compréhension de l’importance d'un espace thérapeutique plus complexe et plus conflictuel ait sa place à l'intérieur même de la littérature de l’Analyse Transactionnelle. Q UESTIONNEMENT, PERTURBATION ET CREATIVITE Bollas (1989) considère le thérapeute et un processus thérapeutique équilibré comme assurant la double fonction d'apaiser et de perturber le client. Il définit deux tâches fondamentales et permanentes dans le travail avec la relation de transfert : l’élaboration et la déconstruction. L'élaboration a à voir avec des états de rêverie mutuelle au cours desquels le thérapeute entre dans le champ du désir transférentiel du client afin d'ouvrir la communication inconsciente thérapeuteclient à de nouvelles possibilités d'expression de soi et de souhaits relationnels. L'état réceptif tranquille, l'inactivité et les longs silences du thérapeute jouent ici un rôle crucial. Le silence du thérapeute permet au client de vivre une liberté intrapsychique et associative propice à la découverte de soi et à une solitude constructive en présence de l'autre. Dans la fonction de déconstruction, le thérapeute joue le rôle d'une force dérangeante à l'intérieur du champ interpersonnel du client, offrant des interprétations, un questionnement et des interruptions assez semblables à la manière dont Berne travaillait. Renik (1996) propose une perspective similaire : Ce que veut le patient de l'analyste – et, dans le meilleur des cas, obtient - est un point de vue différent du sien propre. On peut espérer que le point de vue de l'analyste soit particulièrement sagace, mais on ne peut pas le présumer et il n'est pas besoin qu'il le soit. La compétence et l'autorité requise de l'analyste ne reposent pas en définitive sur le fait que sa vision des conflits du patient soit forcément plus pertinente que celle du patient lui-même ; mais plutôt, sur le fait que l'analyste puisse proposer une autre vision, une nouvelle manière de construire la réalité, dont le patient peut se servir – ou non – selon les avantages qu'il lui trouve (p.508) D.B. Stern (1998) oppose l'empathie et la fonction thérapeutique du "questionnement" décrite par Sullivan: La tolérance de l'incertitude et l'ambiguïté font partie de la pratique clinique du questionnement détaillé (Sullivan, 1954). Le but de la psychanalyse menée selon ces principes n'est pas forcément de savoir ce que le patient ne sait pas, mais bien plutôt de préciser que le patient ne sait pas, et où et quand ce fait de ne pas savoir survient. Le psychanalyste qui se fonde sur le questionnement n'a pas à connaître le patient avant que le patient ne le fasse. (p.602-603) Notre manière de penser est semblable à celle de Stern et le modèle que nous souhaitons proposer ici est un changement ou un développement des concepts d'accordage et d'attachement. Stern reconnaît que les questions du thérapeute peuvent provenir parfois de ce que, de manière empathique, il imagine être l’expérience du client ; mais il prône que la tâche du thérapeute est d'identifier ce qui manque dans le vécu du client et non de le combler. Combler les manques dans le vécu est la responsabilité et le choix du client. La manière de voir de Stern est que le thérapeute "doive souhaiter stimuler la curiosité du patient vis-à-vis des expériences qu’il n'a jamais élaborées" (p.601). La formulation appartient au client, pas au thérapeute ; comme Berne pourrait dire : les décisions sont celles du client pas celles du thérapeute. 12 Dans « The Empathic Imagination », Margulies (1989) formule les usages thérapeutiques de l’étonnement et de l’empathie, non en termes de relation et d’accordage, mais de découverte de Soi. Je suis intéressé ici par le défi d'une perception dans l’instant et en particulier de possibilités pour le soi de concevoir un soi nouveau. En d'autres termes, par l'activité thérapeutique de créativité envers l'image du soi, par l'ouverture de nouvelles possibilités de la perception de soi. (p.10) L'utilisation que Margulies fait de l'empathie l'amène à entamer un processus créatif plutôt que compensatoire avec les clients. Dans son modèle, l'empathie est un moyen de s'étonner, de mettre au défi, de questionner, de revitaliser, quelquefois de percuter la vision du monde du client, ce qui est très différent d’adhérer ou de se fondre dans ce que le client a réellement vécu. La curiosité du thérapeute concernant le sens que le client a donné à son vécu peut éveiller celle du client et amener ce dernier à se poser des questions sur ses croyances fondamentales sous-jacentes. C ONCLUSION Nous avons élaboré ici à partir des travaux de Margulies, D.B Stern, Stark et Bollas, entre autres, pour donner aux thérapeutes en Analyse Transactionnelle un cadre plus large permettant de cerner les principales tâches et le travail du thérapeute ainsi que la relation thérapeutique. Nous trouvons ces perspectives cohérentes avec les positions originelles de Berne, avec toutefois une profondeur de compréhension et d'implication affectives qu’il n'a pas abordées de son vivant. Il nous semble essentiel que les analystes transactionnels s’inspirent des sources originelles pour comprendre de manière plus approfondie le développement humain. Les écrits de Winnicott, Bowlby, Kohut et d’autres sont souvent considérablement plus complexes que ne les présentent les formations et les pratiques en Analyse transactionnelle. Les travaux de Winnicott et Bowlby - enrichis des recherches plus récentes de D.N. Stern, Emde et d’autres qui observent comment les vrais enfants interagissent avec les parents – commencent à nous apprendre quelles sont les normes du développement humain. Ce savoir permet au thérapeute d'identifier les déviations vis-à-vis de ces dernières lorsqu’elles sont présentées par le client. Il lui est essentiel pour comprendre les décisions précoces et la formation du scénario. Il lui donne également des points de référence pour répondre à ses questions à propos de ce qui suscite ces privations et déviations chez chaque personne en particulier. Et il lui permet de savoir, enfin, comment elles sont maintenues comme défenses dans la vie de l'adulte. Nous pensons en outre que c'est la curiosité conjointe du thérapeute et du client à explorer son vécu qui est en définitive facteur de guérison plutôt que le soulagement de la souffrance psychique qui s'est développée à cause de ces expériences. La souffrance, l'ambiguïté, le paradoxe et le conflit sont inévitables dans la vie. Ils sont indispensables dans une psychothérapie en profondeur et - de façon plus importante encore - ils peuvent devenir des ressources de vitalité dans la vie réelle. Après un demi-siècle d'écrits sur la psychanalyse et la nature de l'être humain, Freud se demandait toujours ce qu'était le cœur du processus thérapeutique. Pour lui en définitive, c'était l'amour de la vérité - la volonté et la capacité d’accepter la réalité du soi - qui était l'essentiel de l’effort thérapeutique. Berne nous a offert un modèle précis d’auto-examen, transaction par transaction. Les modèles de parentage, d'accordage et d'attachement en Analyse Transactionnelle laissent entendre que c'est la vérité de l'amour qui est le centre de la psychothérapie. Ces théoriciens pensent que c'est pour le client le fait d'intégrer l'amour du thérapeute, sa compréhension et ce qu'il amène d'éléments correcteurs qui lui permettent de quitter le cabinet et de bâtir une vie différente. Sans dénigrer le fait de vivre en thérapie l'empathie 13 et l'attachement comme un élément de facilitation du processus thérapeutique, nous mettons en garde contre la tentation romantique et idéalisatrice de la vertu curative qu'ils comportent. Notre suggestion est que c'est le développement progressif de la capacité du client à être curieux, à s'autoexaminer, à se différencier et à entrer dans des conflits relationnels au sein de la relation thérapeutique qui sera utilisée en dehors du cabinet et qui constituera les bases d'un changement structurel et interpersonnel. 14 15