L`être en relation thérapeutique en Analyse Transactionnelle

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L`être en relation thérapeutique en Analyse Transactionnelle
L’ETRE EN RELATION THERAPEUTIQUE EN ANALYSE
TRANSACTIONNELLE :
LA VERITE DE L’AMOUR OU L’AMOUR DE LA VERITE
William F.CORNELL et Frances BONDS-WHITE.
Traduction : Patrick Bailleau
Les années 90 ont vu s’opérer un glissement dans les théorisations cliniques au sein des approches
psychodynamiques orientées sur le Moi dont l’Analyse Transactionnelle. L’interprétation et l’insight
ne sont plus considérés comme les moyens premiers du changement thérapeutique. Des
thérapeutes de nombreuses et différentes orientations théoriques mettent dorénavant l’accent sur
les composantes relationnelles, transférentielles et contre-transférentielles du processus
thérapeutique. La littérature clinique est submergée par les modèles et le langage relationnel :
processus mutuel, empathie, accordage, attachement, holding, relations d’objet, connaissance
relationnelle implicite, intersubjectivité, réciprocité, synchronicité émotionnelle, connexion, moment
de rencontre et résonance. Ce « zeitgeist »1relationnel a été renforcé par la popularité des modèles
centrés sur la féminité tel que le modèle relationnel développé au Stone Center du Wellesley College
et les approches centrées sur le traumatisme qui tous les deux mettent l’accent sur le rôle relationnel
actif, maternant et correctif du thérapeute. Alors que ces approches maternantes/relationnelles ont
beaucoup fait pour corriger les styles unidirectionnels, paternalistes et autoritaires qui prévalaient
dans la psychanalyse classique et dans les orientations cognitives et comportementalistes, nous
voyons apparaître maintenant en Analyse Transactionnelle contemporaine des applications aveugles
de divers modèles relationnels qui pourtant, selon nous, mériteraient une critique sérieuse.
Dans «Analyse avec fin et analyse sans fin», un article clinique très approfondi écrit peu de temps
avant sa mort, Freud (1937/1964) se bagarrait toujours avec la nature du processus thérapeutique.
Pour lui, l’amour de la vérité – la volonté de reconnaître les réalités psychiques, de se regarder aussi
honnêtement que possible – était au coeur du processus thérapeutique. Nous considérons
également l’engagement en thérapie comme un engagement à une honnêteté absolue tant de la
part du client que du thérapeute. Il semble cependant que dans de nombreuses thérapies
contemporaines, le champ relationnel entre le thérapeute et le client soit passé de l’amour de la
vérité à la vérité de l’amour. Où l’expérience d’être l’objet de soins et d’être reflété dans un miroir
prenne le pas sur l’expérience d’affronter et de comprendre les réalités émotionnelles et celles
relatives aux traits de caractère. Nous avons personnellement tendance à penser que dans le long et
souvent difficile processus de la thérapie, c’est finalement l’amour de la vérité (une confrontation
avec celle-ci) qui est curatif.
Il y a toujours eu en Analyse Transactionnelle une tendance à mettre l’accent en psychothérapie sur
le changement personnel et la gestion des émotions plutôt que sur le combat pour une
compréhension plus profonde des ambivalences amour/haine qui sont le moteur de toutes relations
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Air du temps
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humaines. L’hypothèse centrale de cet article est que si l’Analyse Transactionnelle n’affronte pas et
n’aborde pas les aspects les plus noirs, les plus conflictuels du fonctionnement humain, nous serons
limités dans ce que nous offrons à nos clients, mais également sur le type de clients que nous
pourrons effectivement traiter.
Cet article examine donc les approches qui, en Analyse Transactionnelle, mettent l'accent sur
l’empathie, l'accordage et l'attachement comme outils premiers dans le répertoire thérapeutique. Il
part de l'hypothèse qu'une telle orientation peut susciter une forme subtile de reparentage, ce qui
représente une déviation considérable vis-à-vis de l'accent que mettait Berne sur la responsabilité
des personnes, le conflit intrapsychique, la manipulation interpersonnelle et la construction du
scénario de vie. Nous estimons que l'utilisation excessive des concepts relationnels dans l’Analyse
Transactionnelle contemporaine peut aboutir à une sur-simplification du processus thérapeutique, à
une emphase excessive mise sur l’activité du thérapeute et à une perte de l'idée que les conflits
intrapsychiques et interpersonnels sont les éléments fondamentaux de la psychothérapie.
L'ETAT DU MOI PARENT ET LE ROLE DU THERAPEUTE
Dès son origine, l'Analyse Transactionnelle a beaucoup insisté - que ce soit sous une forme ou une
autre - sur l'utilisation du Parent du thérapeute. La manière dont Berne le soulignait, que ce soit sous
l’angle structurel ou fonctionnel, représentait une correction importante de la position
psychanalytique classique de l'observateur neutre ainsi que des opérations mécaniques des modèles
comportementaux que Berne contestait de son vivant. Il y a depuis longtemps dans la théorie et les
techniques transactionnalistes une tendance contestable à projeter les "mauvais éléments" vers le
dehors, les attribuant à des défaillances parentales, du milieu et plus largement de la société. Cette
position projective a été incluse dans la théorie et le langage de l’Analyse Transactionnelle dès le
début et illustrée avec les notions berniennes de "père ogre" et de "mère sorcière" (1972), le terme
de "parent-flic" utilisé par Steiner (1974) et la totalité du modèle de reparentage (Schiff et autres,
1975, Schiff 1977). Bien trop souvent, le thérapeute en Analyse Transactionnelle se voit attribué le
rôle de fournisseur de « bonnes choses » plutôt que celui d’agent clarificateur de la manière dont le
client maintient des mécanismes de défense inefficaces, destructeurs de lui-même et d’autrui. Cette
dérive de la théorie de l’Analyse Transactionnelle génère logiquement une pression sur le thérapeute
pour qu'il adopte une position bon-parent/bon-objet vis-à-vis2 du client. Lorsque nous aidons un
client à "expérimenter suffisamment", pour prendre à titre d’exemple une formule de parentage
souvent utilisée en Analyse Transactionnelle, fréquemment, tout ce que nous avons réalisé n’est
qu’une fusion temporaire, narcissique et mutuellement gratifiante. Lorsque nous enveloppons le
client dans un miroir empathique bien accordé, nous induisons l'idée que peu de chose est
réellement réparé et que rien n'est réellement changé dans sa structure psychique. En apaisant la
détresse - celle du client comme celle du thérapeute – nous ne faisons rien d'autre qu’éliminer ou
différer les combats nécessaires au changement de la structure de caractère et à la maîtrise
psychologique. D’une manière plus problématique, nous risquons d'encourager un fantasme
enfantin et maternel, nostalgique et idéalisé, clivé des difficultés de la vie courante, sans parler du
mauvais côté de la nature humaine.
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En français dans le texte
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En se détachant de la psychanalyse de son époque, Berne eut pour objectif une critique radicale de
l’analyse traditionnelle du psychisme humain, celle utilisant l'association libre, l'interprétation des
rêves et d'autres techniques classiques. Il créa clairement une analyse transactionnelle et non pas
une psychothérapie relationnelle. Il ne suggéra nulle part dans ses écrits que c’est l’internalisation de
la relation thérapeutique qui guérit le client. La tâche du thérapeute analyste transactionnel est
plutôt de faciliter la réflexion du client sur les façons, les raisons et les croyances relatives à son style
de relation aux autres afin qu’il puisse faire le choix d’en changer. Le thérapeute est un observateur
prudent et honnête des structures relationnelles et des croyances qui y sont attachées. Chez Berne, il
est possible de le constater dans sa conceptualisation des jeux, des rackets et des scénarios. Il
observait, écoutait, réfléchissait, décrivait, interprétait, analysait et dérangeait la manière dont les
gens étaient en relation les uns avec les autres.
Berne défendait, en définitive, une thérapie unipersonnelle dans laquelle ces interactions étaient
analysées à la lumière des bénéfices sociaux et psychologiques que la personne pensait pouvoir en
retirer. Il a ainsi offert l’occasion de voir et de réfléchir à la manière dont la personne pense, se
comporte et de la changer. L'Analyse Transactionnelle de Berne vise à déstabiliser un cadre de
référence familier et défensif par la description, la confrontation, l'interprétation et l'humour. Il
semble tout à fait évident que son intention, en cela cohérente avec la vision psychanalytique
classique, était de modifier la structure et le fonctionnement intrapsychiques du client par des
interventions clarifiantes et non pas en fournissant une relation corrective.
« L'introspection […] retire le couvercle de la boîte noire et permet à l'Adulte de la personne de jeter
un œil dans son propre esprit pour voir comment il fonctionne : comment il assemble les phrases, d'où
viennent ses images et quelles voix gouvernent son comportement. » (Berne, 1972 p. 273)
C’est ainsi que, pour Berne, le traitement de groupe n’était pas un environnement contenant et
empathique, mais une matrice d’étude interpersonnelle. Dans Principes de traitement de groupe, il
passe en revue huit opérations thérapeutiques qui « constituent la technique de l’Analyse
Transactionnelle » (Berne, 1966 p.233). Ce sont : l’interrogation, la spécification, la confrontation,
l’explication, l’illustration (humour et comparaison), la confirmation, l’interprétation et la
cristallisation (pp.233-247). Ces opérations thérapeutiques sont soigneusement décrites, illustrées et
éclairées avec des recommandations sur quand et comment s'en servir ou pas. Remarquez que
l’empathie, le « holding » et l’attachement ne sont pas sur cette liste. Les interventions
thérapeutiques de Berne sont plutôt destinées à favoriser l'observation de soi et la curiosité, à
décontaminer et à stabiliser le fonctionnement de l'état du moi Adulte.
Berne (1966) y décrit ensuite "d'autres types d'interventions" (pp.248-249) pour lesquelles "le
thérapeute peut être amené à se conduire de manière délibérée en tant que Parent plutôt qu'en
Adulte pour une période plus ou moins longue, qui peut aller jusqu'à quelques années" (p.248). Ces
interventions parentales sont : soutien, réassurance, persuasion et exhortation ; lesquelles, suggèret-il, sont plus appropriées et nécessaires au traitement d'une schizophrénie avérée.
Malheureusement, il y a ici quelque chose de vague et de confus dans la manière dont Berne utilise
les mots, une confusion répétée à l’envi dans ses écrits et dans la pratique de l'Analyse
Transactionnelle. Le fait d'écrire Parent et Adulte avec des majuscules dans ce paragraphe laisse à
penser qu'il décrit le passage du thérapeute d'un état du moi Adulte possédant le pouvoir exécutif à
un état du moi Parent investi de celui-ci. Je doute que Berne ait eu l'intention de pousser le
thérapeute à devenir une figure parentale ; mais, de fait, ceci est devenu courant dans la pratique de
l’Analyse Transactionnelle.
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Le thérapeute analyste transactionnel utilise quelquefois explicitement l'état du moi Parent, comme
cela apparaît clairement dans sa description de fonctions parentales comme la permission, la
protection et la puissance (Bern, 1972):
« Nous pouvons maintenant parler avec une certaine assurance des "3P" en thérapie qui déterminent
l'efficacité du thérapeute : la puissance, la permission et la protection. Il doit donner à l'Enfant la
permission de désobéir aux injonctions et provocations du Parent. Pour pouvoir faire cela
efficacement, il doit être et se sentir puissant - pas tout-puissant - mais suffisamment puissant pour
traiter avec le Parent du patient. Il doit ensuite se sentir suffisamment puissant - et l'Enfant du client
doit le sentir suffisamment puissant - pour offrir de la protection face à la colère du Parent.
Ici les transactions sont : 1. Accrocher l'Adulte, ou attendre qu'il soit branché. 2. Faire alliance avec
l'Adulte. 3. Nommer votre plan et voir si l'Adulte l'approuve. 4. Si tout est clair, donner à l'Enfant la
permission de désobéir au Parent. Ceci doit être fait clairement et en termes explicitement impératifs,
sans "si", "et" ou "mais". 5. Offrir à l'Enfant la protection par rapport aux conséquences. 6. Renforcer
cela en disant à l'Adulte que ceci est juste. » (pp.374-375))
Berne s'occupe clairement de l'identification et de la gestion du conflit intrapsychique. L’utilisation
de l’état du moi Adulte par le thérapeute est décrite comme ayant pour objectif de renforcer le
fonctionnement de l’Adulte du client lors de son conflit avec l’état du moi Enfant. Il ne propose pas
d’expérience parentale empathique et corrective.
Tout se passe comme s'il disait au client : "Je suis assez solide pour faire face aux forces psychiques
qui se manifestent à l'intérieur de toi et travailler hors de leur portée. Tu peux constater qu'il est
possible de supporter le conflit interne qui accompagne le changement. Tu peux faire tes propres
choix." Berne modélise la possibilité de contenir, fournissant moins un milieu contenant qu’un milieu
facilitateur, pour se servir des termes de Bion et Winnicott. Il donne un modèle de contestation,
d'alignement sur l'Adulte et d’interventions à des moments soigneusement choisis pour permettre
au client de penser et sentir en toute autonomie. Il ne verrouille pas le domaine du "comme si" du
processus thérapeutique en devenant une figure parentale. Il s'appuie sur la force des attitudes
parentales de permission, protection et puissance pour susciter un espace psychologique dans lequel
le client a l’occasion de développer un fonctionnement autonome.
RECHERCHE MERE / NOURRISSON : IMPLICATIONS CLINIQUES .
Même si nous apprécions Berne et sa démarche thérapeutique, nous ne voulons pas passer sous
silence ses limites. Il est clair que la reconnaissance d’un insight cognitif, l’interprétation, l'analyse
des transactions, les schémas au tableau et les observations fines ne sont pas toujours suffisants
pour atteindre ces couches les plus profondes du psychisme qui parfois craignent et s’opposent à la
prise de conscience psychologique et au changement. L’Analyse Transactionnelle et d'autres
approches psychodynamiques ont commencé à regarder du côté de la recherche relative au
développement précoce de l'être humain afin d’approfondir la compréhension des troubles
préœdipiens. Une des forces des approches mettant l'accent sur l'empathie et l'attachement est en
fait l'attention portée aux expériences formatrices de l'époque préverbale puisque les difficultés
rencontrées dans les premiers mois de la vie peuvent être à l'origine de décisions scénariques
ultérieures.
Berne avait peu de notions concernant la relation préverbale mère/nourrisson. Dans Que dites-vous
après avoir dit Bonjour ? (1972), ce qu'il dit des influences sur le développement du scénario de
l'époque prénatale et de la période de la petite enfance est un tout petit peu plus qu’une liste
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astucieuse de "titres à propos de l'allaitement" et de "scènes de salle de bain". Il semble n'avoir
accordé que peu ou pas d'importance aux observations de Winnicott sur les relations mèrenourrisson (1958d, 1965) bien que celles-ci fussent publiées à l'époque même où il écrivait.
La recherche mère/nourrisson effectuée depuis la mort de Berne - comprenant, entre autres, Mahler
(1975), D.N. Stern (1985), Tronick (1999), Lachmann et Beebe (1996), Emde (1988), Ainsworth (1969)
et Main (1995) entre autres… - a grandement enrichi notre compréhension des éléments somatiques
et relationnels du scénario. Cette recherche a montré combien complexe était le développement du
psychisme infantile avec l'intégration progressive et constante du fonctionnement limbique, sensorimoteur et cognitif (Bucci, 1997; Downing, 1995, Lichtenberg, 1989). Les dernières années ont aussi
vu l'application progressive à la psychothérapie adulte de la recherche sur les nourrissons. Ces
hypothèses cliniques sont importantes. Il est cependant tout aussi important de comprendre que la
relation thérapeutique adulte n'est pas un reflet ou une réédition de la relation mère-nourrisson. Il
est incontestable qu'avec beaucoup de clients, des aspects du vécu relationnel mère-nourrisson vont
apparaître dans le processus thérapeutique ; mais il en sera de même avec de nombreux autres
aspects et plusieurs autres époques du développement psychique. Green (2000) a écrit une critique
incontournable des applications cliniques des recherches sur les relations mère-nourrisson et
proposé un rappel puissant sur la complexité des forces en jeu lors de la psychothérapie d’un adulte.
Un volume entier de l’Infant Mental Health Journal (Tronick, 1998b) a été consacré à une série
d'articles produits par le Change Process Study Group de Boston traitant de l'application de la
recherche sur les nourrissons à la psychothérapie des adultes. Ces premières tentatives sont
intéressantes, fascinantes mais ont pas mal de défauts. Dans cette revue, discutant d'un point de vue
critique les articles, Modell (1998) met en garde contre :
« L'analogie entre les dyades nourrisson et les dyades adultes [qui] ne tient pas sur plusieurs points.
Premièrement la dyade thérapeutique adulte, contrairement à la dyade mère-nourrisson, n'est pas un
processus défini biologiquement ; deuxièmement, les deux participants d'une dyade thérapeutique
adulte sont chargés du poids de leurs souvenirs affectifs du passé ; alors que dans la dyade mèrenourrisson, le passé du nourrisson ne fait que commencer. Le changement thérapeutique chez l'adulte
comporte une réécriture de la mémoire affective. Il existe, en particulier dans les cas de traumatismes,
une clause implicite – transcender et modifier le passé – qui n'est pas à l’ordre du jour chez le
nourrisson. » (pp. 342-343).
Une trop grande importance accordée à la relation mère-nourrisson en tant que modèle pour la
psychothérapie introduit de force la régression dans la relation thérapeutique et dévalorise
l’expérience vécue de l’adulte. L’attention portée à l’accordage, la réponse en miroir ou la régulation
mutuelle qui sont issus de l'accent mis sur la relation mère-nourrisson sont un des aspects du
développement psychique ; mais le nourrisson et le jeune enfant ont aussi des capacités motrices,
des compétences cognitives, de compréhension de soi et d'individuation.
Lichtenberg (1983, 1989 ; Lichtenberg, Lachmann et Fosshage, 1992) a présenté une application
détaillée de la recherche sur les nourrissons relative aux forces de développement actives durant
toute l'existence humaine et lors de la psychothérapie des adultes. Dans une théorie de la motivation
qui ressemble remarquablement au concept de Berne sur les « faims » humaines, Lichtenberg (1989)
décrit cinq systèmes de motivation présents à la naissance et opérationnels tout au long de la vie. Ce
sont:
1. La régulation psychique des besoins physiologiques
2. Le système attachement-appartenance
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3. Le système d'exploration-affirmation
4. Le système de retrait-répulsion
5. Le système sensualité-sexualité.
Le système des motivations de Lichtenberg comprend, premièrement les capacités évolutives du
nourrisson et de l’enfant à utiliser ses facultés psychologiques pour répondre aux besoins et aux
pressions physiologiques. Le système attachement-appartenance fait référence pour sa part à la
formation et au maintien des liens parent/nourrisson, enrichissant ainsi le travail de Bowlby et de ses
successeurs, travail bien connu de la plupart des praticiens en analyse transactionnelle. Le système
d'exploration-affirmation correspond à la capacité d’agression et d’engagement dans le monde, soit
pour sa propre protection, soit pour réaliser des désirs accrus, tandis que le système de retraitrépulsion décrit la capacité à se retirer du monde pour se reposer, pour être dans l’intimité ou pour
assurer sa propre protection. Le système sensualité-sexualité reflète enfin l’importance centrale et
permanente du corps en relation avec soi-même et les autres. Les « faims » relationnelles ne sont
qu'un des éléments de ce système de motivation qui met l'accent aussi bien sur la différenciation et
la compétence que sur l'attachement dans la relation et sur le contact chez le nourrisson et le jeune
enfant.
Nous suggérons fortement que tout modèle exhaustif de psychothérapie comprenne chacun de ces
systèmes de motivation en faisant attention à ne pas idéaliser l’un au détriment des autres.
BOWLBY ET W INNICOTT : ACCEDER A UNE POSTURE THERAPEUTIQUE
La compréhension des processus psychiques du nourrisson est apparue comme une nouvelle prise de
conscience aux psychologues du Moi et leur permit de travailler plus systématiquement et plus
efficacement avec les troubles du développement de la petite enfance. La vie psychique des
nourrissons a toutefois été étudiée par les successeurs de Klein et la British Independent/Middle
School pendant des dizaines d'années. Des analysants de Ferenczi - en particulier Mélanie Klein qui
commença à faire des conférences en Angleterre en 1925 et Michael Balint qui émigra de Hongrie en
Angleterre en 1939 - abordèrent la manière dont les nourrissons appréhendaient, percevaient et
vivaient les relations à l'objet interne et externe. Fairbairn (1952), Guntrip (1961), Winnicott (1958c,
1965), Balint (1969), Bion (1977) et Bollas (1987, 1989) s’appuyèrent sur ces travaux. Des années
avant les recherches faites en Amérique à partir de l’observation directe des nourrissons, ces
théoriciens ont vu que les fondations de la structure psychique et des processus inconscients
s'enracinaient dans le vécu des premiers mois de la vie. Ils soulignèrent l'importance essentielle de la
relation mère-nourrisson, postulèrent que la curiosité était une pulsion fondamentale et le fantasme
un mécanisme essentiel de l'activité mentale. En parallèle avec les travaux de ces théoriciens de la
relation d'objet, Bowlby (1969) menait ses recherches sur les nourrissons et les jeunes enfants qui le
conduisirent à ses théories sur la séparation, l'attachement, la perte et la base « secure ».
Dans l'actuelle pratique de l'Analyse Transactionnelle, des « versions » de l'accent mis par Bowlby sur
les schémas d'attachement, l’environnement "holding" de Winnicott et l' "accordage" empathique de
Kohut remplacent la conceptualisation initiale du Parent Nourricier. Il y a beaucoup d’éléments
positifs dans ces ajouts à la pratique de l'Analyse Transactionnelle. Toutefois, ces derniers temps,
notre lecture de la littérature traitant de l’Analyse Transactionnelle et notre participation à des
préparations et à des processus d'examens, nous ont amené à être de plus en plus inquiet sur la
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compréhension erronée et l'amalgame faits de théories et de techniques disparates. Un mélange a
été fait des idées de Bowlby (un modèle ethnologique fondé sur les pulsions instinctuelles), avec
celles de Kohut (un modèle relationnel élaborées pour traiter de la réticence des psychologues
américain du Moi à travailler avec des thèmes préœdipiens) et celles de Winnicott (observateur des
interactions mère-enfant) sans pour autant observer les différences essentielles entre ces modèles
théoriques. Ce « hachis » de théories crée une illusion de convergence des idées et des techniques
cliniques. Pour ceux qui n’appartiennent pas à la communauté de l’Analyse Transactionnelle, ce
mélange d’idées sape la solidité de multiples efforts engagés pour en approfondir la théorie. Afin de
contribuer à cet approfondissement et à une nécessaire clarification, nous nous concentrerons ici sur
les concepts et les techniques qui - dans des discussions actuelles - sont le plus fréquemment citées :
ceux de Bowlby, Winnicott et Kohut.
Lorsque l’on examine l'application à la psychothérapie adulte des travaux de Bowlby et de la théorie
de l'attachement (Bowlby, 1979; Gaines, 1997 ; Holmes, 1996; Karen, 1998), nous trouvons des
descriptions de la relation et du processus thérapeutiques qui sont remarquablement similaires à
celles de Berne. Les thérapeutes de l'attachement utilisent un concept de "modèles opérationnels
internes" (Bowlby, 1979, pp.117-118) qu'on ne peut pas vraiment différencier de l'essence de la
théorie bernienne du scénario. Dans la description que Bowlby (pp.145-149) donne des tâches du
thérapeute, il parle pratiquement comme Berne. La base « secure » (pp.145-146), concept
fondamental dans le modèle de Bowlby, n'est pas une immersion empathique, mais une fondation
solide à partir de laquelle le client peut s'explorer lui-même et explorer le monde. Bowlby l’invite à
observer ses schémas relationnels et les croyances sous-jacentes :
« Pour l'aider à voir à quel point les situations dans lesquelles il s'enferrait et les réactions typiques à
celles-ci, y compris ce qui pouvait se passer entre le thérapeute et lui-même, pouvaient être comprises
en termes d’expériences qu'il avait réellement vécues avec des figures d'attachement pendant son
enfance et son adolescence (et qu'il avait peut-être encore). Et de quoi étaient faites ses réponses à
l'époque (et le sont peut-être encore). » (p.146).
De plus, les thérapeutes utilisant la théorie de l'attachement soulignent maintenant le
développement par le client de "la fonction réflexive du soi" (Fonagy, Steele, Moran et Higgitt 1991;
Holmes, 1996), ce qui, à nouveau, est remarquablement en accord avec l'accent mis par Berne sur la
capacité de l'état du moi Adulte à observer la personne dans sa globalité.
Dans le modèle de la relation d'objet de Winnicott, il existe un développement progressif et en
différenciation permanente qui va de la dépendance absolue à la dépendance relative, puis à la
relative indépendance et enfin à l'interdépendance. Ceci se fait en parallèle avec le développement
de l'interaction avec la personne qui s'occupe dès le début de l'enfant, interaction qui va de la fusion
avec l’objet à la relation avec celui-ci, puis à la destruction de l’objet et enfin à la possibilité de s’en
servir. Pour Winnicott, le rôle de cette personne comprend une première phase de "préoccupation
maternelle primaire" (Winnicott, 1958b, pp.300-305) qui commence dès la grossesse et se poursuit
pendant les premières semaines de la vie du nourrisson. Il décrit la mère comme étant dans un état
de conscience particulier avec un ressenti d'elle-même et de son corps axé presque exclusivement
sur l'existence somatique du nourrisson. Dans sa description de la fonction « holding » dans le
parentage d'un tout-petit, Winnicott met en évidence une phase de parentage protectrice et
provisoire qui s'ancre profondément dans le corps. Il montre la fonction de l’environnement «
holding » comme devant amener à l'enfant le monde de la réalité en doses assimilables. Il voit la
fonction « holding » comme un besoin se manifestant encore et encore tout au long de la vie lors des
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phases de transition de l'enfance et de l'adolescence et lors de moments de graves pertes, de
tensions et de désorganisations dans la vie adulte.
La fonction « holding » est cependant plus complexe que l’apport de sécurité et de capacité
empathique à l’enfant. Winnicott souligne que pendant la petite enfance il y a des périodes où le
parent ne fait pas que porter et entourer le nourrisson, il tient bon contre lui afin de survivre malgré
ses exigences agressives et ses demandes pressantes. Un point essentiel dans la pensée de Winnicott
est l'importance qu’il accorde au fait que le parent survive aux agressions et à la haine du nourrisson
sans punir et riposter. Alors que les ratés parentaux sont inévitables et constituent une force saine
pour le développement, les représailles ne le sont pas. La sécurité que procure le fait que le parent
survive à l'agression du nourrisson rend peu à peu celui-ci capable d'être seul et bien en présence de
l'autre. Winnicott postulait que le vrai moi ne pouvait émerger que dans cette solitude « secure ».
Winnicott voyait des parallèles entre ces idées et le traitement de clients difficiles et régressifs :
« L’analyste, la technique et le cadre analytiques ont pour élément commun la capacité ou non de
survivre aux attaques destructrices du patient… Dans la pratique psychanalytique, les changements
positifs qui peuvent se produire en ce domaine peuvent être profonds. Ils ne dépendent pas du travail
d'interprétation. Ils dépendent de la capacité de l'analyste à survivre aux attaques, ce qui suppose et
comprend l'idée de l'absence de représailles. » (p.91)
Slochower (1992) propose une excellente discussion de cas sur cet aspect du concept de Winnicott
de "holding" qui – pour le thérapeute - a bien moins à voir avec une compréhension « accordée » du
client qu'avec le fait de contenir ses propres affects et de survivre au comportement de ses patients.
Le nourrisson « winnicottien » (et son patient) est un être complexe et pas seulement le réceptacle
passif des largesses parentales (ou thérapeutiques). Winnicott définit l'agression comme un
mouvement inhérent à la vie, qui commence avec le premier coup de pied du tout-petit. Le
nourrisson que Winnicott décrit de manière remarquablement semblable à ce que l'on voit lors
d'observations directes de ceux-ci et dans les recherches menées sur eux, est un être actif,
ambivalent et agressif, qui s'éloigne du parent autant qu'il s'en rapproche. Ses observations mèrenourrisson, comme ses écrits cliniques, sont remplis de paradoxes délicieux.
Dans un article sur "Le développement émotionnel primaire" par exemple, il observe:
« Je veux simplement noter une autre raison pour laquelle le bébé ne se satisfait pas de la satisfaction.
Il se sent mis de côté. On pourrait dire qu'il avait l'intention de porter une attaque cannibale et il qu’il
a été écarté par un opiacé, le biberon. Au mieux, il peut différer l'attaque. » (Winnicott, 1945/1958c,
p.154.)
Combien de fois le thérapeute offre-t-il, sciemment ou non, empathie et réconfort - l’opiacé, le
biberon – pour éviter l'ambivalence ou l'agressivité d'un client ?
Le nourrisson « winnicottien » s'impatiente du « holding » ou d'être nourri. Son développement
implique une pression puissante qui pousse au conflit et à la différenciation. Souvent à l'initiative du
nourrisson, les activités parentales primaires évoluent. Elles passent de l’apport de réconfort et de
réponse aux besoins physiologiques et affectifs du bébé à l’encouragement et l’expression de leur
joie vis-à-vis de son activité motrice, de son indépendance et de sa compétence. Selon Winnicott, le
psychisme habite progressivement le corps et le nourrisson commence à différencier soi et l'autre.
En développant sa capacité motrice et sa conscience de soi, il passe une autre étape.
« Le Moi amorce la relation à l'objet. Avec un maternage suffisamment bon au début, le bébé n’est
pas soumis à une gratification instinctuelle sauf si son Moi participe. Ainsi il ne s'agit pas tant de
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donner satisfaction au bébé que de lui permettre de trouver et d’accepter l'objet (le sein, le biberon,
le lait etc.) » (Winnicott, 1965, pp.59-60)
Le bébé « winnicottien » (et le client) est un individu agité, impatient et exigeant, bien plus intéressé
par la compétence et la différenciation que par le contact permanent et la nourriture. Comme
Winnicott le décrit clairement dans son article classique "Haine et Contre-transfert" (Winnicott,
1947/1958a), la mère « winnicottienne » et le thérapeute, ne sont pas toujours des créatures
d'accordage et de contact. Il souligne que, si la mère ne peut pas supporter sa propre haine envers
son bébé, elle ne pourra pas davantage supporter qu'il la haïsse. Aucun affect véritable ni aucun
véritable Soi ne pourra ainsi émerger. A la place, le faux Self montrera du sentimentalisme et le vrai
Self demeurera caché.
L’ EMPATHIE THERAPEUTIQ UE : UNE CRITIQUE
Le caractère central attaché à la posture empathique en psychothérapie est issu en grande partie de
l'œuvre de Kohut et d'autres psychologues du Soi. Lorsque Moses (1988) examine en détail le rôle
que tient l'empathie dans la psychothérapie, il met en évidence que Kohut était, au début de ses
travaux, précautionneux sinon carrément sceptique quant à l'utilisation de l'empathie. Il met en
garde contre une "régression vers la subjectivité qui tournerait au sentimentalisme" (Kohut tel que
cité par Moses, 1988, p.301) et contre l'empathie "lorsqu'elle fait partie d'une attitude visant à guérir
directement en proposant une compréhension aimante…" (p.307). Vers la fin de sa vie toutefois,
Kohut en était venu à considérer l'empathie et l'effet-miroir comme des facteurs de guérison,
mettant en garde contre les conséquences de l'échec de l'empathie et plaidant pour la mise en place
d'une longue période de validation de la réalité du client. Durant cette période, la responsabilité du
thérapeute consiste à démontrer comment il ou elle comprend ce que ce ressent le client. Cette
attitude le met dans le rôle du bon objet du Soi, comme on a pu le voir dans « The theory and
Practice of Self Psychology » (White et Weiner, 1986):
« Fondamentalement la tâche du thérapeute est de s'efforcer de devenir le bon objet du Soi. Il devra
tenter de manière empathique de comprendre où le patient adulte n'a pas pu recevoir l'oxygène
émotionnel dont il avait besoin pour développer un Soi sain… Et commencer à combler ce vide. »
(p.36)
Ce modèle estime que la psychopathologie est ancrée dans des déficits et des déficiences du
développement et que de ce fait, la position du thérapeute/analyste consiste à réparer en
remplissant les manques et en fournissant des substances nutritives émotionnelles.
Erskine et Trautmann sont vraisemblablement les représentants de cette approche qui s’expriment
le mieux dans la littérature relative à l’Analyse Transactionnelle contemporaine.
Comme ma conception du « scénario de vie et des états du moi est de les considérer comme des
tentatives de compensation, de gestion du besoin relationnel et de la perte du contact interne, la
thérapie peut être centrée sur la relation elle-même » (Erskine, 1980,1988). Selon ce point de vue,
l’objet de l'analyse des états du moi ou du scénario n’est pas de créer une structure nouvelle, plus
utile ; mais plutôt de réunir des informations sur les besoins relationnels non satisfaits, comment la
personne s'en est sortie et, plus important encore, comment les besoins relationnels d’aujourd'hui
peuvent être satisfaits (Erskine et Trautmann, 1996). Ces tâches thérapeutiques se font au moyen de
méthodes orientées vers le contact et centrées sur la relation :
- Le questionnement sur l'expérience phénoménologique du client, le processus transférentiel, le
système d’adaptation et la vulnérabilité.
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- L’accordage aux affects du client, à son rythme, à son niveau de fonctionnement en termes de
développement et à ses besoins relationnels.
- Et l’implication qui reconnaît et valorise le côté unique du client. (Erskine, 1997, p.15)
Cette description de la tâche essentielle en thérapie est maintenant répandue dans la pratique de
l'Analyse Transactionnelle, qu'elle soit baptisée reparentage, parentage, parentage correcteur,
empathie ou attachement. Si l'origine de la psychopathologie est liée au milieu environnant, alors
l’argument est valable et la psychothérapie doit fournir un environnement compensateur dans
l'essentiel de ses tâches. Storr (1988) nous rappelle que lorsqu'on demandait à Freud en quoi
consistait la santé, il répondait que c'était la capacité d'aimer et de travailler. Storr faisait remarquer
que "les relations humaines sont un moyeu autour duquel s'enroule la vie d'une personne, mais que
ce n'est pas nécessairement le moyeu". (p.15)
D.N Stern (1985) écrivit au sujet de l’empathie dans le cadre de la recherche parent-nourrisson :
« Vu sous cet angle [intersubjectivité et psychologie du Soi] le "système" parent-nourrisson et le
"système" thérapeute-patient paraissent avoir des éléments parallèles… Je veux toutefois introduire
quelques précautions et ne pas tracer des analogies par trop proches. Ce que l'on entend par
utilisation thérapeutique de l'empathie est extrêmement complexe selon nous. Cela implique
l'intégration de caractéristiques qui comportent ce que nous appelons le fait d'être en relation verbale
avec une intersubjectivité centrale ce que Schafer (1968) a appelé "empathie générative" et ce que
Basch (1983) nomme "empathie mature"… L’accordage entre une mère et son nourrisson et
l’empathie entre un thérapeute et son patient agissent à différents niveaux de complexité, dans
différents domaines et en définitive à des fins différentes. » (pp.219-220)
Moses (1988) a écrit : "Actuellement, la théorie et l’usage des techniques empathiques sont remplies
d'illusions, d'erreurs et de mauvaises applications au point que ce concept est utilisé de manière
réellement exagérée. Il en perd toute signification spécifique et son emploi a échappé à tout
contrôle." (p.578) Il regrette que « sans examen approfondi », l'empathie « se soit glissée
inconsciemment et universellement dans notre vocabulaire clinique."(p.579) Parmi les inconvénients
qu’il voit à l'empathie, il y a le risque que le processus de traitement et le thérapeute soient tenus en
otage par les blessures et les vulnérabilités narcissiques du client ou du thérapeute. Le thérapeute
pourrait être préoccupé du fait d'être perçu comme un objet insensible ou persécuteur. Il pourrait
craindre aussi d'apparaître aux yeux du client ou à ses propres yeux comme un objet stupide, qui ne
saisit rien ou qui ne peut pas ou ne veut pas comprendre. Dans l'illusion de l'empathie suffisante "le
thérapeute évite d'affronter la peur de ne pas comprendre le patient, ou pire, de laisser le patient
s'apercevoir qu'il ne comprend pas, que certaines expériences dépassent sa capacité de
compréhension." (p.590). Le souhait commun et la pression qui s'ensuit en faveur de l'empathie
thérapeutique et de l'accordage peuvent générer un processus dans lequel la compréhension
thérapeutique se situe davantage dans l’effort et l'esprit du thérapeute que dans celui du client ; un
fait qui, nous le pensons, troublerait Berne et nous trouble certainement.
Ne pas connaître ou ne pas comprendre l'autre peut créer un espace riche, même s’il est quelque
peu angoissant. Bollas (1989) conteste l'exigence américaine de savoir et de comprendre:
« Aux Etats-Unis d'Amérique, alors que nombreux sont ceux qui intentent des poursuites à propos de
vétilles, les psychanalystes peuvent peut-être vivre dans la crainte que les patients ne leur intentent
un procès parce que les thérapeutes ne savent pas ce qu'ils font. De fait, d'autres praticiens de la
santé mentale, armés de leur manuel diagnostique – le DSM III – peuvent exercer munis de leurs
certitudes. Mais pour moi, cette absence de savoir est une réalisation en soi. » (p.62)
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Pour Bollas, comme pour Winnicott, l'échec de l'empathie, loin de créer inévitablement ou de raviver
une blessure narcissique, peut offrir un espace créatif et des opportunités. Bollas s'investit bien
davantage dans la mise en place d'un espace différencié et imaginatif que dans un contact
harmonieux et une capacité relationnelle bien accordée.
Les travaux de Stark (1999) entrent dans le débat actuel à propos des processus relationnels en
psychothérapie en définissant trois modes d'action et d'interaction thérapeutiques centraux et
permanents. Elle n'en privilégie aucun, n'accorde pas davantage de valeur à l'un plutôt qu'à l'autre.
Elle définit les objectifs thérapeutiques de différents aspects de la capacité d’être en relation
thérapeutique, suggérant qu'une psychothérapie exhaustive exige différentes façons d’être en
relation au cours du traitement. Elle définit le premier mode comme aboutissant à la connaissance
au moyen de l’insight et de l'interprétation, modèle fondé sur le conflit intrapsychique, structurel,
comme en psychanalyse classique où Berne a fait ses débuts. Le second mode thérapeutique se base
sur les modèles de la privation et du manque dans le développement et la structure. Dans cette
approche, l'action essentielle en thérapie consiste pour le thérapeute à proposer une expérience
relationnelle corrective, ce que nous voyons accentué dans les approches actuelles de l'Analyse
Transactionnelle, approches centrées sur l'accordage et l'attachement. Comme le résume Stark, "le
second mode met l'accent sur 1) La participation réelle du thérapeute comme nouveau bon objet. 2)
La réelle gratification des besoins par le thérapeute et plus généralement 3) L’apport au patient par
le thérapeute d'une expérience corrective (émotionnelle) (p.28). Le troisième mode thérapeutique
est celui de l'authenticité et de l'intersubjectivité, de la rencontre thérapeutique de deux personnes
réelles dans l'ici et maintenant, ce qui met à jour et modifie les croyances et les comportements
archaïques.
Dans la description que Stark fait de ces modes, le modèle du manque (mode 2) met l'accent sur
l'absence de bonnes choses dans la vie du client, alors que la perspective relation
d'objet/intersubjectivité du mode 3 considère ce qu'il y a de mauvais dans la motivation du client et
e
dans son fonctionnement. Dans le 3 mode,
« le thérapeute participe de façon authentique à une relation réelle avec le patient – l'intention étant
à la fois d'enrichir ce que le patient comprend de sa dynamique relationnelle et d'approfondir le
niveau de leur implication commune. De ce fait, dans le troisième mode, le thérapeute visant
l'intersubjectivité pourrait choisir de diriger l'attention du patient sur 1°) l'impact du patient sur le
thérapeute 2°) l'impact du thérapeute sur le patient ou 3°) leur implication dans l'ici et maintenant (ou
manque d'engagement). » (p.126).
Dans cette perspective, le thérapeute accorde une grande attention à la manière dont le client crée
et maintient - au moyen de réelles interactions, projections et distorsions fantasmées - les mauvais
objets et des relations inefficaces et destructrices.
Le propre style de Berne et celui caractéristique des praticiens classiques en Analyse
Transactionnelle, se basaient certainement sur le modèle que Stark décrivait comme le mode 1. Nous
suggérons que les modèles d’Analyse Transactionnelle se fondant sur le reparentage, l’attachement
et l'accordage sont des exemples du mode 2. Nous ne plaidons pas pour une attitude thérapeutique
distante et neutre ou pour une position d'interprétation permanente et de confrontation (Cornell,
1994, 1997, 2000). Nous soutenons ici que, si l'empathie, l'accordage ou l'attachement sont peutêtre des conditions nécessaires pour un changement thérapeutique, ils ne sont pas suffisants pour
un changement psychologique durable. Notre souci ici est que lorsque l'empathie et/ou
l'attachement sont présentés comme des facteurs de guérison, on introduit dans le processus
thérapeutique un sérieux déséquilibre. La théorie clinique de l’Analyse Transactionnelle a progressé
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de manière significative depuis Berne, mais nous suggérons avec force qu’il y a dans son modèle
original des éléments qui sont toujours de grande valeur. Nous pensons de plus qu’il faut - pour que
l’Analyse Transactionnelle soit une psychothérapie efficace et exhaustive - qu’elle comprenne un
processus commun et réalisé : la capacité d’être en relation et ce, en complément de la relation
conditionnelle avec le thérapeute. Nous plaidons pour que la compréhension de l’importance d'un
espace thérapeutique plus complexe et plus conflictuel ait sa place à l'intérieur même de la
littérature de l’Analyse Transactionnelle.
Q UESTIONNEMENT, PERTURBATION ET CREATIVITE
Bollas (1989) considère le thérapeute et un processus thérapeutique équilibré comme assurant la
double fonction d'apaiser et de perturber le client. Il définit deux tâches fondamentales et
permanentes dans le travail avec la relation de transfert : l’élaboration et la déconstruction.
L'élaboration a à voir avec des états de rêverie mutuelle au cours desquels le thérapeute entre dans
le champ du désir transférentiel du client afin d'ouvrir la communication inconsciente thérapeuteclient à de nouvelles possibilités d'expression de soi et de souhaits relationnels. L'état réceptif
tranquille, l'inactivité et les longs silences du thérapeute jouent ici un rôle crucial. Le silence du
thérapeute permet au client de vivre une liberté intrapsychique et associative propice à la
découverte de soi et à une solitude constructive en présence de l'autre. Dans la fonction de
déconstruction, le thérapeute joue le rôle d'une force dérangeante à l'intérieur du champ
interpersonnel du client, offrant des interprétations, un questionnement et des interruptions assez
semblables à la manière dont Berne travaillait. Renik (1996) propose une perspective similaire :
Ce que veut le patient de l'analyste – et, dans le meilleur des cas, obtient - est un point de vue
différent du sien propre. On peut espérer que le point de vue de l'analyste soit particulièrement
sagace, mais on ne peut pas le présumer et il n'est pas besoin qu'il le soit. La compétence et l'autorité
requise de l'analyste ne reposent pas en définitive sur le fait que sa vision des conflits du patient soit
forcément plus pertinente que celle du patient lui-même ; mais plutôt, sur le fait que l'analyste puisse
proposer une autre vision, une nouvelle manière de construire la réalité, dont le patient peut se servir
– ou non – selon les avantages qu'il lui trouve (p.508)
D.B. Stern (1998) oppose l'empathie et la fonction thérapeutique du "questionnement" décrite par
Sullivan:
La tolérance de l'incertitude et l'ambiguïté font partie de la pratique clinique du questionnement
détaillé (Sullivan, 1954). Le but de la psychanalyse menée selon ces principes n'est pas forcément de
savoir ce que le patient ne sait pas, mais bien plutôt de préciser que le patient ne sait pas, et où et
quand ce fait de ne pas savoir survient. Le psychanalyste qui se fonde sur le questionnement n'a pas à
connaître le patient avant que le patient ne le fasse. (p.602-603)
Notre manière de penser est semblable à celle de Stern et le modèle que nous souhaitons proposer
ici est un changement ou un développement des concepts d'accordage et d'attachement. Stern
reconnaît que les questions du thérapeute peuvent provenir parfois de ce que, de manière
empathique, il imagine être l’expérience du client ; mais il prône que la tâche du thérapeute est
d'identifier ce qui manque dans le vécu du client et non de le combler. Combler les manques dans le
vécu est la responsabilité et le choix du client. La manière de voir de Stern est que le thérapeute
"doive souhaiter stimuler la curiosité du patient vis-à-vis des expériences qu’il n'a jamais élaborées"
(p.601). La formulation appartient au client, pas au thérapeute ; comme Berne pourrait dire : les
décisions sont celles du client pas celles du thérapeute.
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Dans « The Empathic Imagination », Margulies (1989) formule les usages thérapeutiques de
l’étonnement et de l’empathie, non en termes de relation et d’accordage, mais de découverte de Soi.
Je suis intéressé ici par le défi d'une perception dans l’instant et en particulier de possibilités pour le
soi de concevoir un soi nouveau. En d'autres termes, par l'activité thérapeutique de créativité envers
l'image du soi, par l'ouverture de nouvelles possibilités de la perception de soi. (p.10)
L'utilisation que Margulies fait de l'empathie l'amène à entamer un processus créatif plutôt que
compensatoire avec les clients. Dans son modèle, l'empathie est un moyen de s'étonner, de mettre
au défi, de questionner, de revitaliser, quelquefois de percuter la vision du monde du client, ce qui
est très différent d’adhérer ou de se fondre dans ce que le client a réellement vécu. La curiosité du
thérapeute concernant le sens que le client a donné à son vécu peut éveiller celle du client et amener
ce dernier à se poser des questions sur ses croyances fondamentales sous-jacentes.
C ONCLUSION
Nous avons élaboré ici à partir des travaux de Margulies, D.B Stern, Stark et Bollas, entre autres, pour
donner aux thérapeutes en Analyse Transactionnelle un cadre plus large permettant de cerner les
principales tâches et le travail du thérapeute ainsi que la relation thérapeutique. Nous trouvons ces
perspectives cohérentes avec les positions originelles de Berne, avec toutefois une profondeur de
compréhension et d'implication affectives qu’il n'a pas abordées de son vivant.
Il nous semble essentiel que les analystes transactionnels s’inspirent des sources originelles pour
comprendre de manière plus approfondie le développement humain. Les écrits de Winnicott,
Bowlby, Kohut et d’autres sont souvent considérablement plus complexes que ne les présentent les
formations et les pratiques en Analyse transactionnelle. Les travaux de Winnicott et Bowlby - enrichis
des recherches plus récentes de D.N. Stern, Emde et d’autres qui observent comment les vrais
enfants interagissent avec les parents – commencent à nous apprendre quelles sont les normes du
développement humain. Ce savoir permet au thérapeute d'identifier les déviations vis-à-vis de ces
dernières lorsqu’elles sont présentées par le client. Il lui est essentiel pour comprendre les décisions
précoces et la formation du scénario. Il lui donne également des points de référence pour répondre à
ses questions à propos de ce qui suscite ces privations et déviations chez chaque personne en
particulier. Et il lui permet de savoir, enfin, comment elles sont maintenues comme défenses dans la
vie de l'adulte. Nous pensons en outre que c'est la curiosité conjointe du thérapeute et du client à
explorer son vécu qui est en définitive facteur de guérison plutôt que le soulagement de la
souffrance psychique qui s'est développée à cause de ces expériences.
La souffrance, l'ambiguïté, le paradoxe et le conflit sont inévitables dans la vie. Ils sont indispensables
dans une psychothérapie en profondeur et - de façon plus importante encore - ils peuvent devenir
des ressources de vitalité dans la vie réelle. Après un demi-siècle d'écrits sur la psychanalyse et la
nature de l'être humain, Freud se demandait toujours ce qu'était le cœur du processus
thérapeutique. Pour lui en définitive, c'était l'amour de la vérité - la volonté et la capacité d’accepter
la réalité du soi - qui était l'essentiel de l’effort thérapeutique. Berne nous a offert un modèle précis
d’auto-examen, transaction par transaction. Les modèles de parentage, d'accordage et
d'attachement en Analyse Transactionnelle laissent entendre que c'est la vérité de l'amour qui est le
centre de la psychothérapie. Ces théoriciens pensent que c'est pour le client le fait d'intégrer l'amour
du thérapeute, sa compréhension et ce qu'il amène d'éléments correcteurs qui lui permettent de
quitter le cabinet et de bâtir une vie différente. Sans dénigrer le fait de vivre en thérapie l'empathie
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et l'attachement comme un élément de facilitation du processus thérapeutique, nous mettons en
garde contre la tentation romantique et idéalisatrice de la vertu curative qu'ils comportent. Notre
suggestion est que c'est le développement progressif de la capacité du client à être curieux, à s'autoexaminer, à se différencier et à entrer dans des conflits relationnels au sein de la relation
thérapeutique qui sera utilisée en dehors du cabinet et qui constituera les bases d'un changement
structurel et interpersonnel.
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