Électrophysiologie comparée des canaux calciques L et T du

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Électrophysiologie comparée des canaux calciques L et T du
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Électrophysiologie comparée des canaux calciques L et T
du système cardiovasculaire : données actuelles
S. Richard*, J. Nargeot*
RÉSUMÉ. Dans les myocytes du cœur et des vaisseaux, l’entrée d'ions calcium (Ca2+) est assurée principalement par les canaux calciques vol tage-dépendants, dont il existe deux grandes classes : les canaux de type L, qui jouent un rôle essentiel reconnu dans l’initiation du couplage
excitation-contraction (E-C), et les canaux de type T, plus énigmatiques, qui pourraient être impliqués dans le contrôle d’activités électriques
automatiques et de processus trophiques liés au développement ou au remodelage cellulaire. L’importance physiologique des canaux cal ciques, la variété de leurs voies de régulation et la richesse de leurs sites pharmacologiques en font des cibles thérapeutiques de choix lors
des dysfonctionnements liés à l’homéostasie calcique. Cet exposé a pour objet de proposer un “cliché” des connaissances et concepts actuels.
Les avancées récentes concernant la physiologie, la pharmacologie naissante et l’élucidation de la structure moléculaire des canaux T sont
également présentées.
Mots-clés : Courants calciques - Calcium - Cœur - Vaisseaux - Fonction - Régulation - Pharmacologie - Structure.
CANAUX CALCIQUES ET FONCTION CARDIOVASCULAIRE
Notions de canal ionique
Les courants ioniques, qui traversent les membranes biologiques et génèrent l’activité électrique des cellules, s’écoulent
de manière passive à travers des pores aqueux. Ces “canaux ”
s’ouvrent (ou se ferment) en réponse à un stimulus physiologique spécifique qui peut être le potentiel de membrane, la
fixation d’un ligand chimique (neurotransmetteur, hormone)
sur un site récepteur, la fixation d’un messager intracellulaire
ou encore l’étirement de la membrane plasmique (1). Les
canaux ioniques permettent un passage sélectif d’ions, selon
leur gradient de concentration. En plus de leur sélectivité –
qui détermine leur type (canaux sodiques, calciques, potassiques et chlore en ce qui concerne les canaux activés par le
potentiel) – et de leur mode d’activation, les canaux ioniques
sont caractérisés par leur comportement cinétique, qui dépend
du potentiel et du temps, et par leur conductance intrinsèque
(1). Ces propriétés sont autant d’éléments importants de la
signalisation ionique et électrique transmembranaire. Les
canaux calciques du système cardiovasculaire – de type L et
de type T – appartiennent à la famille des canaux activés par
le voltage. Ils sont fermés au potentiel de membrane de repos
(potentiel diastolique pour les cellules cardiaques par
exemple) et s’ouvrent sous l’effet de la dépolarisation membranaire.
CNRS, UPR 1142, Institut de Génétique humaine, Montpellier.
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998
Canaux calciques cardiovasculaires
Diversité : types L et T. C’est sur le tissu cardiaque que
l’on a mis en évidence, il y a trente ans, l’existence des canaux
L (1). Pourtant, la multiplicité des canaux calciques,
soupçonnée dès 1975 sur les œufs de poisson, est devenue
évidente au cours de la décennie suivante (1-4). La technique
du patch-clamp a permis d’en caractériser plusieurs
types, en particulier sur les neurones (types L, T, N, P, Q, R :
tableau I), distingués par leurs propriétés électrophysiolo-
Tableau I. Classification des canaux calciques et correspondance gène-type fonctionnel avec la localisation chromosomique
(5, 6).
Classification
génétique
Classification
fonctionnelle
Localisation
chromosomique
Localisation
tissulaire
α1A
α1B
α1C
P/Q
N
L
19p13.1-.2
9q34
12p13.3
α1D
L
3p14.3
α1S
α1E
α1F
α1G
α1Η
L
neurones
neurones
cœur,
ubiquitaire
neuroendocrine,
autre ?
muscle, autre ?
neurones
rétine
cerveau, cœur ?
cœur, cerveau ?
R?
L?
T
Τ
1q31-q32
1q25-q31
Xp11
17q22
16p13.3
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giques et pharmacologiques. Les gènes correspondant à ces
canaux ont été clonés, et leur localisation chromosomique
déterminée (5, 6). Au niveau cardiovasculaire, seuls les
canaux de type L et de type T sont présents (2-4, 6). Il existe
des variants musculaire (α1 S) et neuroendocrine (α1 D) des
canaux L avec des isoformes générées par épissage alternatif,
(6). La structure moléculaire de deux types de canal T détectés dans le cerveau et le cœur (α 1G et α 1H) vient tout juste
d’être élucidée (7, 8). Il existe probablement une véritable
famille de canaux T avec des différences fonctionnelles.
Rôles physiologiques
Des canaux L
– Dans le cœur. Les canaux L, dits “sensibles aux dihydropyridines (DHPs)”, sont ubiquitaires, mais ils sont largement
majoritaires dans le cœur (tableaux I et II). Ils ont deux rôles
essentiels. Premièrement, un rôle électrogène : le courant
entrant d’ions Ca2+ contribue au maintien du plateau du potentiel d’action (PA) cardiaque. Il participe également à la phase
diastolique tardive du PA sinusal. Deuxièmement, les ions
Ca2+ sont utilisés en tant que signaux chimiques pour déclencher une libération massive de Ca2+ stocké dans le réticulum
sarcoplasmique (RS), ce qui provoque l’activation des protéines contractiles suite à l’élévation du Ca2+ libre intracellulaire. Malgré cet effet d’amplification du RS, il existe une corrélation certaine entre l’amplitude du courant L et la contraction. Ce phénomène confère donc aux canaux L une importance primordiale dans le contrôle de la contraction. Sur le
plan pharmacologique tout agent qui module l’amplitude du
courant calcique L a des effets inotropes attendus.
Tableau II. Distribution comparée des courants L et T dans
divers tissus cardiovasculaires (modèles animaux) (4, 8).
Localisation
Type L
Type T
Cœur
ventricule
atrium
conducteur
nœud sino-atrial
+++
+++
++
+++
-/+
++
+
+
Veines
azygos
saphène
porte
++
++
++
+
+
+
Artères
aorte
coronaire
mésentérique
artérioles rénales
++
+++
+++
+++
+/+/+/++
– Dans les vaisseaux. Les canaux L sont impliqués dans le
développement et le maintien du tonus contractile.
L’ouverture des canaux cardiaques et vasculaires procède de
modalités différentes. Au niveau cardiaque, elle est initiée par
la dépolarisation engendrée par le courant sodique rapide responsable de la phase de montée du PA. Une contraction rapide, de type phasique, fait suite à l’entrée de Ca2+. Au niveau
des cellules artérielles, moins polarisées au repos que les cellules cardiaques, les canaux calciques sont recrutés lors d’une
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dépolarisation membranaire beaucoup plus lente qui est induite, par exemple, par des forces mécaniques ou par l’activation
de cascades de messagers intracellulaires lors de la fixation
d’un neurotransmetteur ou d’une hormone sur leur récepteur
membranaire. Les variations de tension qui en résultent sont
de type tonique, c’est-à-dire lentes et maintenues. L’ouverture
de canaux potassiques – activée par le Ca2+, le potentiel ou
l’ATP – provoque en retour une hyperpolarisation et la fermeture (désactivation) des canaux calciques. C’est le principe du
mode d’action de certains agents vasodilatateurs (levcromakalim, diazoxide, pinacidil). Les veines ont un comportement
intermédiaire plus proche de celui du cœur.
Des canaux T
– Dans le cœur. La présence des courants T est beaucoup plus
aléatoire que celle des courants L (tableau II). Dans le ventricule adulte, cette variabilité dépend de l’espèce considérée
(tableau III). Les courants T sont présents dans le tissu ventriculaire de cobaye, par exemple, et totalement absents chez
le rat et chez l’homme. Ils ont aussi une amplitude beaucoup
plus faible que les courants L, ce qui suggère qu’ils n’ont pas
de rôle majeur dans la signalisation liée au couplage E-C. En
revanche, les courants T sont exprimés dans les cellules ventriculaires de rat néonatal, disparaissant par la suite au cours
du développement. Ils peuvent cependant être réexprimés
dans les myocytes adultes en culture primaire vraisemblablement en relation avec la dédifférenciation (10).
Tableau III. Variabilité des courants T dans le ventricule de
modèles animaux et chez l’homme.
Myocytes ventriculaires
fraîchement isolés
en culture primaire
Adultes
cobaye
rat
homme
++
-
?
++
?
Néonatals
rat
++
++
Dans le cœur adulte, les courants T sont surtout distribués
dans les cellules de l’oreillette, du nœud sino-atrial du sinus
venosus et du tissu conducteur (tableau II). Ils semblent jouer
un rôle électrogène au niveau de la phase de dépolarisation
diastolique précoce du PA sinusal. Il est à noter qu’ils n’ont, à
ce jour, jamais été mis en évidence dans le tissu cardiaque
humain adulte, vraisemblablement à cause de l’accès limité
aux tissus susceptibles de l’exprimer. Pourtant, on notera que
les isoformes α 1G et surtout α 1H sont représentées dans le
tissu cardiaque humain (7, 8).
– Dans les vaisseaux. Les courants de type T sont exprimés
dans des vaisseaux ayant une activité électrique automatique
comme celle des veines (tableau II) et liée à un rôle électrogène. Mais ils sont aussi exprimés dans des artères qui ne
génèrent pas de PA (tableaux II et IV). Ils pourraient participer au tonus de base des petites artères dites “de résistance”,
avec un rôle potentiel dans l’hypertension artérielle, mais cela
reste à démontrer. Enfin, alors qu’ils sont exprimés de manièLa Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998
Tableau IV. Variabilité des courants T dans le ventricule de
divers modèles animaux.
Myocytes atériels
Aorte adulte
rat
lignée de rat
homme
fraîchement isolés
(phénotype
contractile)
-
en culture primaire
(phénotype
synthétique)
++
++
++
Aorte néonatale
rat
lignée humaine
-
++
++
Coronaire adulte
cobaye
homme
++
-
?
++
Artériole rénale adulte
rat
++
?
re aléatoire dans les myocytes fraîchement isolés à partir de
gros troncs artériels, les canaux T sont, au contraire, très
exprimés dans les cultures primaires et les lignées cellulaires
(tableau IV). C’est le cas des myocytes coronaires humains
qui, fraîchement isolés, sont en phénotype contractile et n’expriment que les courants L (11). Les courants T n’apparaissent
qu’après plusieurs jours en culture. Leur expression est associée à un changement phénotypique des cellules qui se dédifférencient et prolifèrent. Le canal T est exprimé spécifiquement lors de la transition G1/S du cycle cellulaire qui précède
la réplication du matériel génétique nécessaire à la future cellule fille avant la division cellulaire (12). Un rôle dans l’activation de gènes est possible ; il pourrait intervenir dans des
conditions normales au cours du développement et anormales
au cours de la pathologie (12).
En résumé. Les courants calciques ont un rôle électrogé nique et sont utilisés comme signaux chimiques transmem branaires dans le cœur et des vaisseaux. Les canaux L
contribuent au maintien de la dépolarisation membranaire
et initient la contraction des myocytes. Les courants T
seraient associés à l’automatisme des cellules du rythme.
Ils pourraient aussi constituer un signal particulier pour
des processus liés à l’activité proliférative ou trophique des
myocytes.
canal “calcique”, cela dès les années 50 (1). La technique du
“voltage-imposé” a, au cours de la décennie suivante, permis
d’esquisser les bases fonctionnelles et la pharmacologie de ce
qui allait devenir, au cours des années 80, le canal de type L.
Le développement concomitant des techniques du patchclamp (développées par les Drs Neher et Sackmann, prix
Nobel de médecine en 1991) et de la cellule isolée grâce à des
enzymes, a ensuite permis une éclosion de connaissances et
de concepts nouveaux (découverte des canaux T en particulier). Il est devenu possible de mesurer les courants ioniques
d’une cellule – et même d’un canal – unique, ce qui a rendu
accessible à l’investigation électrophysiologique la plupart
des tissus qui ne l’étaient pas auparavant. Il est ainsi devenu
possible d’étudier les canaux ioniques de cellules cardiaques
et vasculaires autrefois impossibles à étudier en voltageclamp. Les études ont même pu être étendues à certains tissus
du système cardiovasculaire humain prélevés au cours de la
chirurgie.
Principe et intérêt. Le principe du patch-clamp est le suivant : une micropipette de verre de faible diamètre (1 à 2 µm
à la pointe) est descendue par micromanipulation au contact de
la membrane d’une cellule. Une cohésion forte entre la pointe
de cette pipette et la membrane cellulaire (résistance électrique
de l’ordre du GΩ) est assurée grâce à une aspiration appliquée
à l’intérieur de la pipette. La pipette, remplie d’une solution
saline conductrice, permet d’enregistrer soit le courant microscopique (environ 10-12 ampères) qui s’écoule à travers un seul
canal piégé sous la petite portion de membrane à l’extrémité
de la pipette (configuration canal unique, figure 1), soit le
courant électrique macroscopique (10-9 ampères) qui correspond à l’activité des milliers de canaux de toute la cellule
(configuration cellule entière, figure 1), ce qui est possible
lorsque la portion de membrane sous la pointe de la pipette est
déchirée par une aspiration plus forte. Cette ouverture met en
communication le milieu intracellulaire et le milieu intrapipette, permettant un accès électrique à l’intérieur de la cellule. Le contrôle de la composition des milieux intra- et extracellulaires permet d’isoler le courant calcique des autres cou-
PROPRIÉTÉS FONCTIONNELLES COMPARÉES DES CANAUX
L ET T
Patch-clamp et canaux calciques
Historique et apports. Les canaux L et T ont des propriétés biophysiques, pharmacologiques et de régulation fort différentes. Il existe également des différences notables entre
canaux L cardiaques et vasculaires qui justifient des études
phénoménologiques précises. Si la compréhension moderne
de la diversité, de la structure et de la fonction des canaux calciques a été permise grâce à une approche multidisciplinaire,
c’est l’électrophysiologie qui a donné naissance au concept de
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998
Figure 1. Principe général et configurations principales du voltageimposé en patch-clamp.
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rants. Le patch-clamp est devenu incontournable pour les
études réalisées en potentiel imposé, technique qui permet de
fixer le potentiel de la membrane et d’étudier les propriétés
électrophysiologiques des canaux ioniques. Cette méthodologie est très utilisée pour étudier la régulation des canaux
ioniques et le mécanisme d’action des molécules pharmacologiques. Les paramètres électrophysiologiques qui gouvernent
le fonctionnement des canaux calciques sont importants à
prendre en compte pour mesurer et comprendre le mode d’action des molécules qui se lient spécifiquement sur le récepteurcanal et les effets qui en résultent.
États fonctionnels élémentaires des canaux calciques
On distingue trois états de base des canaux calciques : un état
fermé (F), non conducteur, qui prédomine au potentiel de
membrane de repos ; un état ouvert (O), conducteur, activé
de manière transitoire par la dépolarisation membranaire ; un
état inactivé (I), non conducteur, recruté par une dépolarisation plus soutenue. Il existe un équilibre dynamique entre chacun de ces trois états F, O et I (figure 2). Cet équilibre peut
être déplacé lors de la fixation préférentielle d’un ligand sur
un état particulier du canal plutôt que sur un autre. L’affinité
désactivation
Figure 2. Schéma des états fonctionnels élémentaires des canaux
calciques et les diverses transitions possibles.
d’une molécule peut donc être modulée par l’état conformationnel du récepteur-canal (exemple : effets voltage-dépendants des DHPs) et le ligand peut stabiliser le canal dans cet
état.
Pour déterminer la gamme des potentiels capables d’ouvrir les
canaux calciques, l’expérimentateur applique à la cellule, via
la pipette de patch, des dépolarisations d’amplitudes connues.
Il mesure ensuite l’amplitude des courants recueillis pour
chaque dépolarisation. La relation courant/potentiel ainsi
établie permet de déterminer la valeur du potentiel seuil
d’activation et la valeur pour laquelle le courant atteint une
amplitude maximale (tous les canaux activables sont conducteurs). Cette relation permet de déterminer une courbe dite
“d’activation à l’état stable” (figure 3).
L’état F et l’état I, bien qu’étant tous deux non conducteurs,
sont différents. L’état O est inaccessible à partir de l’état I
(réfractaire). Le canal doit nécessairement transiter par l’état
fermé pour s’ouvrir. Cette transition (I F) nécessite d’hyperpolariser la membrane pendant une période de temps suffisamment longue. Dans un contexte de physiologie, il est
important de déterminer à partir de quels potentiels de repos
les canaux calciques peuvent s’ouvrir. En faisant varier le
potentiel diastolique avant une dépolarisation test (fixée, qui
active le maximum de canaux), on détermine la fraction de
ces canaux qui est inactivée pour chaque dépolarisation
conditionnante (figure 3). On observe une diminution du courant qui correspond donc à la fraction des canaux inactivés.
On détermine ainsi la courbe d’inactivation voltage-dépendante à l’état stable, dite encore “de disponibilité du canal à
l’ouverture” (figure 3), qui fournit de précieuses indications
pour le physiologiste. À noter qu’une fraction importante (~
50 %) des canaux T et L est inactivée pour des dépolarisations
conditionnantes qui sont insuffisantes pour induire l’ouverture. Ceci reflète un passage direct (F I). À noter également
le croisement des deux courbes – d’activation et de disponibilité – qui détermine une fenêtre de potentiels. Dans cette
fenêtre, le voltage est insuffisant pour inactiver tous les
Figure 3. Courbes de conductance (symboles
vides) et de disponibilité à l’ouverture (symboles
pleins) du canal T (carrés) et du canal L (ronds)
déterminées sur des myocytes d’aorte de rat
adulte (culture primaire). Les transitions entre
les états F et I, F et O du canal sont superposées
(en haut) pour chaque courbe. Les protocoles de
stimulation sont représentés.
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La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998
canaux, et suffisant pour ouvrir une fraction significative de
canaux activables. Cette fraction de canaux génère donc un
courant permanent dit “de fenêtre”. Lorsque le potentiel de
membrane de repos d’une cellule est inclus dans la fenêtre, il
y a possibilité pour un influx basal maintenu de Ca2+ qui peut
avoir un rôle physiologique majeur.
Propriétés électrophysiologiques des canaux L et T
Ce sont les propriétés électrophysiologiques et des critères
pharmacologiques qui ont permis de démontrer l’existence
des canaux de type T. Si l’on compare les courants T et L, ils
se distinguent par leurs propriétés cinétiques (figure 4) et
électrophysiologiques (tableau V).
Figure 4. Décours typique d’un courant T transitoire (à gauche) et
d’un courant L soutenu (à droite) enregistrés sur un myocyte coro naire humain en culture primaire.
Tableau V. P ropriétés électrophysiologiques générales des
courants T et L.
Propriétés
électrophysiologiques
Type T
Type L
Seuil d’activation
> - 70 mV
- 40 mV
Activable à partir de potentiels
diastoliques
< - 50 mV
< - 10 mV
Courant de fenêtre
compris entre
- 70 mV
et - 50 mV
- 30 mV
et - 10 mV
Cinétique d’activation
lente
rapide
Cinétique d’inactivation
rapide
lente
Cinétique de désactivation
lente
rapide
Perméabilité
Ca2+ = Ba2+
Ca2+ < Ba2+
Conductance élémentaire
7-8 pS
22-25 pS
Dans ce tableau, aucune distinction entre les propriétés des
courants cardiaques et vasculaires n’a été faite. Il est cependant intéressant de noter que, malgré une homologie structurale des canaux qui les génèrent (variants issus d’un même
gène), les courants de type L du cœur et des vaisseaux ont des
propriétés très différentes sur le plan cinétique. Par exemple,
les courants des artères coronaires sont beaucoup plus soutenus que les courants cardiaques chez l’homme (11). En l’état
actuel des connaissances, il n’existe pas d’évidence pour des
différences entre les canaux T cardiaques et vasculaires.
Principales régulations des canaux L et T
Canaux L. Les canaux calciques de type L sont modulés par
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998
une très grande variété d’agents et de mécanismes (9). Nous
avons choisi de focaliser sur les aspects les mieux connus et
qui concernent le mode d’action d’agents thérapeutiques
inotropes et chronotropes.
Tout d’abord, l’activité du canal calcique de type L dépend
étroitement du rythme cardiaque. Une accélération de la fréquence de dépolarisations répétitives provoque une augmentation de l’amplitude, et surtout un ralentissement important
de l’inactivation du courant L, ce qui conduit à une entrée
accrue de Ca2+ pendant chaque dépolarisation (13). C’est l’intervalle de temps diastolique entre deux stimulations successives qui module le mode de fonctionnement du canal. Cette
régulation est favorisée par la stimulation bêta-adrénergique,
et semble jouer un rôle important dans les mécanismes
d’adaptation du cœur à l’exercice et au stress. Elle est altérée
lors de l’insuffisance sévère (13). Elle est aussi altérée par des
médicaments comme les antagonistes calciques et les agents
bêtabloquants qui, à ce niveau, contribueraient à diminuer la
surcharge calcique intracellulaire. Cette dépendance vis-à-vis
de la fréquence cardiaque ne semble pas exister au niveau des
cellules vasculaires.
De nombreux transmetteurs et hormones modulent l’activité
des canaux calciques. Ces régulations induisent une modulation (diminution ou augmentation) du courant macroscopique
qui peut s’exercer soit par une voie membranaire rapide (protéines G, par exemple sur les neurones), soit par une voie
intracellulaire plus lente (cascades de seconds messagers
intracellulaires : AMPc, GMPc, Ca2+). Les seconds messagers
ont pour cibles diverses protéines kinases capables, par phosphorylation, d’accroître ou de diminuer l’activité basale du
canal. La régulation physiologique majeure du canal L cardiaque est assurée par la stimulation bêta-adrénergique.
L’activation de l’adénylate cyclase, couplée à la protéine G
reliée aux récepteurs bêta-adrénergiques (β1, β2), stimule la
production d’AMPc qui active la protéine kinase A impliquée
dans la phosphorylation du canal. L’effet principal est une
augmentation de la probabilité d’ouverture des canaux (9). La
phosphorylation module les propriétés électriques du canal.
Par exemple, elle rend le canal plus sensible au voltage en
abaissant son seuil d’ouverture de - 40 mV à - 50 mV.
Malgré leur grande homologie structurale, les canaux calciques cardiaques et vasculaires ont des modalités de régulation souvent différentes, voire antinomiques. Par exemple, le
courant calcique de type L des artères est insensible à la phosphorylation AMPc-dépendante, ce qui est cohérent avec les
effets vasorelaxants de l’AMPc. L’ exemple du NO, qui active une voie GMPc-kinase, est également intéressant. Chez
l’homme, le NO a un puissant effet agoniste sur le courant
calcique cardiaque, tandis qu’il a un effet inhibiteur sur le
courant calcique des cellules de l’artère coronaire
(11, 14). Ces deux exemples illustrent très clairement comment, en dépit de liens de parenté étroits sur le plan de la
structure, les canaux L cardiaques et vasculaires sont fort différents sur le plan fonctionnel. Il est fondamental de prendre
en compte ces différences dans la définition de stratégies
thérapeutiques.
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Canaux T. Les connaissances concernant les voies de régulation des canaux T des mammifères par des messagers intracellulaires sont fragmentaires et, par conséquent, les implications physiologiques sont assez mal connues. On peut citer
des régulations possibles par la kinase C et des protéines G (2).
Structure des canaux L et T
Bien que l’objectif de cet article ne soit pas de détailler la
structure et les relations structure-fonction des canaux calciques (5), on ne saurait occulter les avancées importantes de
ces dernières années. Les concepts nés des investigations
électrophysiologiques ont en effet été étayés par les avancées
plus récentes de deux autres disciplines : la biochimie structurale et la biologie moléculaire. Dès les années 80, la nature multiprotéique du canal calcique de type L était établie
grâce à l’utilisation de ligands spécifiques tels que les DHPs.
On a pu ainsi déterminer la structure des canaux L constitués
de quatre sous-unités (α1, α2-δ, β et γ). La composante centrale est la sous-unité α 1 transmembranaire (figure 5). Elle
forme le pore et possède les sites récepteurs aux antagonistes
calciques. Elle est nécessaire et suffisante pour permettre l’influx ionique. Cependant, son activité est amplifiée par la
coexpression des autres sous-unités. En particulier, la sousunité β cytosoluble est considérée comme un régulateur endogène de l’activité canalaire.
La protéine α1C cardiaque est homologue à 95 % à l’isoforme
α1C vasculaire. Les petites différences entre ces deux isoformes résultent d’une régulation génique importante : l’épissage différentiel. Il apparaît dans la structure du gène codant
pour l’isoforme α1C plusieurs régions (six au total) pour lesquelles il existe différentes séquences possibles pouvant s’interchanger et générer ainsi des variants d’α1C. Ces protéines
variantes présentent donc une différence pour de très petites
régions (dix à trente acides aminés). Il est intéressant de noter
que le variant vasculaire d’α1C (région IVS3) est présent dans
Figure 5. Arrangement moléculaire des canaux L et T.
le tissu cardiaque embryonnaire. Les différentes isoformes
d’α1C peuvent avoir des pharmacologies différentes.
On a longtemps soupçonné que les propriétés assez différentes des canaux T et des canaux L sont sous-tendues par des
structures différentes. Le clonage, très attendu depuis plusieurs années, des canaux T confirme ce fait. Deux isoformes,
α1G et α1H, viennent d’être clonées dans le cerveau et le cœur
(7, 8, 15). Par ailleurs, aucune sous-unité β classique ne
semble associée à la sous-unité principale (figure 5).
Les études structure-fonction ont permis de cartographier les
principales propriétés des canaux L (figure 6). Les régions
d’α1C impliquées dans l’activation, l’inactivation, le pore et
les sites de fixation aux trois grandes classes d’antagonistes
calciques sont localisées. À noter que le site de liaison aux
benzothiazépines (ex. : diltiazem) se superpose en partie avec
le site aux DHPs puisqu’il est retrouvé en IVS6 (5). Le site
aux phénylalkylamines (ex. : vérapamil) est retrouvé sur une
région intracellulaire d’α1C, proche de l’embouchure du pore
(prolongement du segment S6). Ces données indiquent que
ces molécules bloquent le canal par son extrémité intracellu-
Domaines
Sites DHP
Site BTZ
Sélectivité
Site
Figure 6. Cartographie molé culaire des principaux sites
fonctionnels des canaux L
(α1C) (3). La zone d’interac tion avec la sous-unité β est
montrée ainsi que le site de
régulation par la A kinase
anchoring protein impliquée
dans la phosphorylation
protéine kinase A dépendante
du canal.
Partie sensible
au voltage
Sites de
phosphorylation
DHP : d i hydropyridine. PAA : phénylalkylamine. BTZ : benzothiazépine.
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La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998
laire. Une autre conclusion importante de ces études est que
les sites de fixation spécifique – à haute affinité – pour les
trois grandes familles d’antagonistes calciques sont tous
situés à proximité du pore du canal. Il devient aujourd’hui
possible d’optimiser le développement chimique de ces molécules en confrontant leur structure à l’environnement moléculaire du récepteur que constitue le pore du canal de type L.
Des études similaires sur les canaux T sont maintenant rendues possibles à partir des clones, ce qui devrait permettre
l’essor de la pharmacologie des canaux T et peut-être de
mieux cerner leur(s) rôle(s) fonctionnel(s).
En résumé. Les courants calciques T et L ont des proprié tés électrophysiologiques, structurales et de régulation
très différentes. Ces propriétés permettent de les distin guer facilement et suggèrent des rôles physiologiques dif férents. Le canal L semble beaucoup plus sensible aux
voies de régulation métaboliques.
RÔLE DES CANAUX L ET T DANS LA PATHOLOGIE CARDIOVASCULAIRE
Canaux L
Peu de données montrent des effets précis de la pathologie sur
l’expression ou les propriétés fonctionnelles élémentaires des
canaux calciques de type L. On notera que les effets de l’hypertrophie (au stade compensé) varient globalement entre
aucun changement et une augmentation de la densité des
canaux (3). En revanche, au cours de l’insuffisance cardiaque
sévère, la densité des canaux L semble abaissée significativement (3). L’utilisation de médicaments qui régulent négativement l’activité des canaux L, et qui conduisent donc à des
effets inotropes négatifs, vise à minimiser la surcharge calcique intracellulaire et la consommation énergétique du myocarde pour préserver sa survie.
Les données concernant une altération des voies de modulation des canaux L au cours de l’insuffisance cardiaque sévère
sont beaucoup plus précises. Par exemple, il est clairement
établi que la stimulation de l’activité des canaux L par les
catécholamines est altérée, en partie suite à une diminution de
la densité des récepteurs bêta-adrénergiques membranaires.
La modulation de l’activité des canaux par la fréquence de stimulation – impliquée dans la relation force-fréquence – est
aussi largement altérée (3, 13). Il semble que cette modification fonctionnelle aille aussi dans le sens de minimiser la
demande énergétique, le myocarde déterminant un fonctionnement en mode économique et non en mode performant. Au
niveau vasculaire, il y a peu de données – par ailleurs contradictoires – concernant une augmentation de la densité des
canaux L au cours de l’hypertension artérielle.
Canaux T
Des données expérimentales à partir de plusieurs modèles animaux suggèrent que l’expression des canaux type T est associée à la période de croissance (rôle trophique ?) lors du déveLa Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998
loppement de processus hypertrophiques (3). L’endothéline,
puissant vasoconstricteur qui induit une hypertrophie cardiaque, augmente la synthèse d’ADN et de protéines et pourrait élever la densité des canaux T dans les myocytes ventriculaires de rat néonatal en culture. Une expression accrue des
canaux calciques de type T a aussi été décrite dans les myocytes de l’oreillette de rat adulte dans le cas de tumeurs
atriales favorisant la sécrétion de l’hormone de croissance.
Une augmentation de la densité des canaux T ainsi qu’une
modification des cinétiques d’activation et d’inactivation ont
aussi été observées dans le myocarde de hamsters atteints de
cardiomyopathie congénitale, ce qui pourrait contribuer à la
surcharge calcique à l’origine d’arythmies dans cette forme de
cardiomyopathie génétique. Mais, dans tous les cas, les mécanismes qui régulent l’expression de ce canal restent inconnus.
À noter qu’aucun canal de type T n’a pu être mis en évidence
sur des myocytes humains isolés à partir de ventricules en
insuffisance sévère (cœurs ischémiques ou dilatés).
Le canal T semble jouer un rôle important en relation avec
l’activité proliférative et l’activité synthétique des myocytes
vasculaires. Étant donné la présence de type T dans les cellules prolifératives, les inhibiteurs des canaux T pourraient
réduire la prolifération anormale des cellules musculaires
lisses observées lors d’une lésion vasculaire (16).
En résumé. La densité et les voies majeures de régulation
des canaux L sont altérées au cours de l’insuffisance car diaque. L’expression ou la réexpression des canaux T est
souvent associée à un remodelage des cellules cardiaques
et vasculaires. On peut citer les phénomènes hypertro phiques et la prolifération des cellules vasculaires qui
impliquent l’acquisition de phénotypes cellulaires
proches de ceux des stades précoces du développement.
PHARMACOLOGIE COMPARÉE DES CANAUX L ET T
Des cibles pharmacologiques incontournables
Qu’elles impliquent une dysrégulation des canaux calciques
(expression, régulation) ou non, les pathologies cardiovasculaires sont souvent associées à une élévation de la concentration du Ca2+ intracellulaire (ischémie, hypertension, insuffisance cardiaque). Les canaux calciques constituent donc une
Tableau VI. Principaux agents modulateurs utilisés en thérapeutique.
Agents
thérapeutiques
Visée
Type T
Type L
Ouvreurs de canaux
potassiques
vasculaire
?
inhibition
Bêtabloqueurs
cardiaque
pas d’effet
inhibition
Bêta-agonistes
cardiaque
pas d’effet
augmentation
Antagonistes
calciques
vasculaire
et cardiaque
inhibition
selon agent
inhibition
169
D
O
S
S
I
E
R
cible pharmacologique d’intérêt pour le thérapeute. Ils possèdent, en effet, des propriétés remarquables pour le pharmacologue (tableau VI). Ces propriétés incluent la régulation par
de nombreux neurotransmetteurs et hormones, constituant
autant de voies pharmacologiques possibles, et la présence de
nombreux sites spécifiques (sur le canal lui-même) qui, lorsqu’ils sont occupés, peuvent rendre le canal non activable par
le voltage (ex. : antagonistes calciques). Ils sont également la
cible indirecte de molécules ayant pour effet premier d’ouvrir
des canaux potassiques, et donc d’hyperpolariser la membrane pour induire leur fermeture. Jusqu’à maintenant, les
canaux L étaient les cibles thérapeutiques privilégiées.
Modulation indirecte des canaux L via l’AMPc
Tous les agents pharmacologiques ciblant la phosphorylation
AMPc-dépendante du canal L ont des effets inotropes. Ces
agents peuvent interférer avec cette voie à plusieurs niveaux.
On distingue ainsi :
– les agonistes/antagonistes du récepteur bêta-adrénergique
qui agissent à l’entrée du système. Les bêtabloqueurs sont les
plus utilisés en thérapeutique, notamment pour traiter l’insuffisance cardiaque ;
– d’autres transmetteurs ou hormones qui empruntent cette
voie ;
– les inhibiteurs de phosphodiestérase, qui empêchent la
dégradation de l’AMPc ;
– les inhibiteurs des phosphatases, qui empêchent la déphosphorylation du canal. Il est intéressant de noter que l’acétylcholine, qui inhibe le courant calcique uniquement lorsque
celui-ci a été augmenté au préalable par les bêta-agonistes,
peut être considéré comme un antagoniste naturel de la stimulation sympathique au niveau cardiaque. L’acétylcholine
active les récepteurs muscariniques (M2) couplés à la sousunité inhibitrice de la protéine G (Gi) : il en résulte une diminution de l’activité de l’adénylate cyclase.
Modulation dire c te des canaux L par les antago n i s tes
calciques
Principales classes. Les inhibiteurs calciques ont un rôle
bien établi dans le traitement d’une large gamme de pathologies cardiovasculaires allant de l’angine de poitrine à l’athérosclérose et à l’hypertension. Outre leur effet vasodilatateur
et inotrope négatif cardiaque, ils ralentissent le rythme sinusal
Tableau VII. Principales classes d’antagonistes calciques, leur
spécificité et leur mode d’action.
Antagonistes
calciques
Type T
Type L
Action sur
le type L
Dihydropyridines
+
+++
voltagedépendante
Phénylalkylamines
+
++
fréquencedépendante
++
fréquencedépendante
++
voltageet fréquencedépendante
(neuronal)
Benzothiazépines
+
(neuronal)
Mibéfradil
170
+++
et la conduction atrioventriculaire. Les inhibiteurs calciques
incluent des classes chimiques hétérogènes et se fixent sur des
sites récepteurs distincts (tableau VII). Les groupes principaux sont les DHPs, les benzothiazépines (BTZ), les phénylalkylamines (PAA), dont les principaux chefs de file sont respectivement la nifédipine, le diltiazem et le vérapamil. Ces
agents, dont on n’a pu jusqu’à ce jour mettre en évidence
d’équivalents endogènes, sont tous des ligands synthétiques
qui agissent en empêchant l’ouverture des canaux. Ils ont, au
niveau moléculaire, des modes d’action différents (tableau
VII).
Notion de sélectivité tissulaire. Il existe une sélectivité tissulaire – entre cœur et vaisseaux – des inhibiteurs calciques.
Cette sélectivité trouve son fondement dans la manière dont le
potentiel de membrane de repos cellulaire contrôle l’affinité
des molécules pour leur site récepteur. Par exemple, le diltiazem et le vérapamil peuvent inhiber la conduction atrioventriculaire et être utilisés plus spécifiquement dans le traitement
des tachycardies supra-ventriculaires. Les DHPs ont un profil
nettement vasculaire.
Les PAA et, à un degré moindre, les BTZ, qui ont un tropisme cardiaque et vasculaire relativement équilibré, ont un effet
inhibiteur très dépendant de la fréquence d’activation du canal
calcique, ce qui détermine leur profil cardiaque. Ceci est certainement favorisé par une meilleure affinité de la molécule
pour le canal lorsque celui-ci est en conformation “état
ouvert” (O). Par contraste, les DHPs ont une meilleure affinité pour l’état “inactivé” (I) favorisé par la dépolarisation
membranaire. Il s’ensuit que l’effet des DHPs est très “voltage-dépendant” (figure 7).
Figure 7. Effet voltage-dépendant de l’isradipine (0,1 µM) sur
le courant transitant via les canaux calciques d’un myocyte coro naire humain. Noter l’inhibition beaucoup plus dépendante aux
potentiels diastoliques plus dépolarisés.
En d’autres termes, les DHPs ont un effet beaucoup plus puissant sur des tissus dépolarisés, où la probabilité de trouver le
canal à l’état inactivé est beaucoup plus forte, que dans un tissu
polarisé (où l’état fermé prédomine). Les DHPs piègent le
canal à l’état inactivé et empêchent son ouverture ultérieure.
On comprend ainsi leur effet vasodilatateur, plus puissant que
celui des deux autres classes, sur les muscles vasculaires,
beaucoup moins polarisés que le muscle cardiaque. Les DHPs
sont capables de relaxer les muscles lisses vasculaires à des
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998
concentrations qui n’ont que peu d’effet sur le cœur. Par
ailleurs, il est aussi possible que, bien que les canaux calciques de type L cardiaque et vasculaire soient très semblables, des différences dans la nature et la stochiométrie de
sous-unités annexes (comme la sous-unité β) régulatrices de
l’activité basale du pore (sous-unité α1) contribuent aussi à la
sélectivité tissulaire. Cette forte sélectivité des DHPs pour le
muscle lisse vasculaire est un élément essentiel dans le traitement des pathologies cardiovasculaires.
Des molécules caméléons : un intérêt potentiel ? Il est
intéressant que de noter certaines DHPs ont des effets moléculaires caméléons : elles ont des effets agonistes et antagonistes. Ces effets mixtes trouvent leur origine au niveau des
stéréo-isomères optiques de la molécule. Par exemple, le (-)
Bay K 8644 est un agoniste pur. À l’ inverse, le (+)-Bay K
8644 est un antagoniste pur. Cependant, le niveau du potentiel
de membrane de la cellule est un facteur qui peut déterminer
le sens de l’effet. Les agonistes ne sont pas utilisables en thérapeutique, puisque l’effet inotrope positif cardiaque serait
associé à un effet vasoconstricteur. Pourtant, la synthèse de
molécules présentant une activité agoniste sur des cellules
polarisées (de type cardiaque) et une activité antagoniste sur
des cellules dépolarisées (de type vaisseau) pourrait présenter
un certain intérêt.
Mibéfradil : le premier antagoniste sélectif des canaux
T. Les antagonistes des canaux utilisés en thérapeutique cardiovasculaire sont des inhibiteurs des canaux L. Ils peuvent
avoir une action sur le canal T mais pour des concentrations
plus élevées, suggérant des effets classés – a priori – comme
non spécifiques. Cependant, un inhibiteur sélectif (17, 18)
(seulement dans le contexte cardiovasculaire) a été développé. Il s’agit du mibéfradil, qui présente des propriétés antihypertensives et antiangineuses. Sur le plan moléculaire, le point
nouveau qui mérite d’être mis en exergue concerne la présence d’un site pharmacologique spécifique à haute affinité pour
cette molécule “anticalcique” sur le canal T. Ce site est également présent sur les canaux L, mais l’affinité de la molécule
est nettement moins bonne (figure 8). Il est évident que la
compréhension des bases moléculaires qui sous-tendent l’inversion de la sélectivité L classique versus T (commune à tous
les autres antagonistes calciques), dans le cas du mibéfradil,
présente un intérêt essentiel pour la compréhension de la
structure et de la pharmacologie des canaux calciques.
Par ailleurs, les effets très particuliers du mibéfradil sur les
canaux L ajoutent à l’originalité de cette molécule. L’effet
inhibiteur sur le courant L est à la fois fortement voltagedépendant (comme une DHP) et fréquence-dépendant
(comme une PAA) (19). Ce profil original pourrait aussi, en
sus des effets sélectifs du canal T, avoir un grand intérêt pour
la mise en place de stratégies thérapeutiques à visée cardiovasculaire. En particulier, la voltage-dépendance de l’action
du mibéfradil sur le type L pourrait expliquer en partie l’effet
vasorelaxant, l’absence d’effet inotrope négatif et la bradycardie qui sont caractéristiques de cette molécule. À ce
niveau, la part respective des effets T et des effets L reste à
déterminer précisément.
La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998
Figure 8. Courbes dose-réponse de l’inhibition des courants L et T
réalisées sur 7 cellules de cœur de rat néonatal à partir de concen trations croissantes de mibéfradil (fréquence de stimulation de
0,1Hz et potentiel de repos de -100 mV).
En résumé. Les canaux calciques sont des cibles pharma cologiques privilégiées pour toute dysrégulation impli quant l’homéostasie calcique, en particulier au niveau
vasculaire. Jusqu'à maintenant, les stratégies thérapeu tiques privilégiaient le canal L. Les données récentes
concernant la structure, la présence d’un site pharmaco logique à haute affinité et une implication possible dans
la pathologie cardiovasculaire positionnent le canal T
comme une cible pharmacologique potentielle.
PERSPECTIVES
Les avancées récentes des connaissances dans le domaine des
canaux calciques T et L garantissent une évolution intéressante des approches qui tendent à comprendre la pathophysiologie cardiovasculaire et à optimiser les stratégies thérapeutiques de normalisation des dysrégulations du calcium intracellulaire. Le clonage du canal T de type T, qui vient de lever
le voile sur son identité moléculaire, va permettre, en sus des
études structure-fonction importantes pour la pharmacologie,
de développer des outils moléculaires précieux (ex. : anticorps spécifiques). Les avancées parallèles des connaissances
des nombreux mécanismes de régulation intrinsèques (par les
sous-unités auxiliaires) et extrinsèques (par les cascades
métaboliques) devraient aussi enrichir la panoplie des agents
pharmacologiquement actifs sur les canaux L. La découverte
de différences subtiles, tissu-dépendantes, en particulier
sur les cellules humaines, constituera une source d’informations importantes pour des applications pharmacologiques
plus ciblées.
171
D
R
O
S
É F É R E N C E S
S
I
E
R
B I B L I O G R A P H I Q U E S
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G A S T R O N O M I E
Les essais en ouvert d’Alex Corton
Le 9 septembre 1898, Elisabeth von
Habsbourg, née Wittelsbach, séjournait à l’hôtel Beau-Rivage, au bord du Léman. Elle y
dîna de homard, de céteaux et de fraises. Puis
elle partit le lendemain se faire poignarder à
quelques mètres de là par Luigi Lucheni, un
halluciné prétendant ainsi accomplir un acte
salvateur pour l’humanité. Le nigaud.
L’établissement conserve, dans une vitrine,
quelques souvenirs de l’inoubliable altesse.
L’actuel propriétaire s’est considérablement
démené pour que, le jour du centenaire de son
arrivée à l’hôtel, une statue de bronze représentative soit inaugurée, sur la pelouse bordant le bâtiment, les yeux fixés sur les fenêtres
du petit salon d’encoignure et de la chambre
qu’occupait l’impératrice. L’intérêt historique
de tout cela est très relatif, mais c’est ainsi.
Les personnes illustres rapportent toujours des
sous. Les hôtels et restaurants retiennent
volontiers comme argument réputatif, commercialement porteur, la fréquentation anecdotique d’un personnage marquant.
12. Richard S., Nargeot J. T-type calcium currents of vascular smooth muscle
cells : a role in cellular proliferation. In : Low-voltage-actived T-type calcium
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channel by the new Ca antagonist Ro 40-5967. Consequence on heart rate and
cardiac output. Biophys J 1997 ; 72 : A256.
Remerciements. Nous remercions l’Association française contre
les Myopathies, la Fondation de France (contrat 97003982 à SR)
et la Fondation pour la Recherche médicale Languedoc-Roussillon
(SR) pour le soutien financier apporté à nos recherches.
Par conséquent, je tiens absolument à préciser,
pour la postérité, que j’ai personnellement
moi-même fait halte sous les marbres, les
stucs et les ors de l’hôtel Beau-Rivage. Je
conserverai longtemps en mémoire ce midi
d’août, sur la terrasse habilement ombrée, afin
que les rayons du soleil genevois n’altèrent
pas ce teint nacré qui constitue ma carnation
naturelle.
Le menu était d’une simplicité élégante, gaspacho de tomates au homard, filets de perchette en duxelle, pois gourmands et haricots,
sorbet vanille accompagné d’une tuile aux
amandes arachnéenne. Un vin rouge vaudois
léger et frais nous laissa la tête libre pour d’actives activités post-prandiales. Les choix de
Sissi étaient les bons.
Cependant, les parrainages historiques sont à
aborder avec méfiance. Qu’importe que
Napoléon ait dormi dans tel lit, si le meuble
est aujourd’hui le siège d’une colonie de
puces. J’ai souvenance d’un repas pris dans
une auberge proche de Mauléon, où le restaurateur s’enorgueillissait du passage de René
Coty. Le malheureux avait probablement été
traîné là, en guet-apens, par des élus locaux et
le bureau du comice agricole, dont probablement le mastroquet était le pourvoyeur habituel. Toujours est-il que j’ai demandé l’addition avant la fin du repas, contristé par la
médiocrité masquée sous les auspices du dernier président de la Quatrième République.
Tenterai-je un parallèle entre son épouse et
celle de François-Joseph ? Toutes deux, soucieuses de simplicité, furent bousculées par le
protocole et les voyages officiels. Germaine
Coty, lorsqu’on vint lui annoncer la cooptation de son mari à la magistrature suprême,
s’occupait à la confection d’une tarte aux
pommes. Une photo d’agence de presse l’immortalise, ses larges hanches ceintes d’un
tablier poudreux de farine. Les tâches ménagères ont leur noblesse. Si l’on s’y investissait
davantage, on aurait moins la tête aux bêtises.
Alex Corton, gastrologue de garde
Hôtel Beau-Rivage,
13, quai du Mont-Blanc,
1201 Genève, Suisse
Tél. : (00) 41 22 716 66 66
ANNONCEURS : Éditions du Vidal®, p. 184.
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