Le marché du livre et le prix imposé en Suisse

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Le marché du livre et le prix imposé en Suisse
Rapport final
Le marché du livre et le
prix imposé en Suisse
Felix Neiger
Dr. Josef Trappel
Bâle, Septembre 2001
621 - 5671
Résumé
Le présent rapport a été commandé en novembre 2000 par l’Office fédéral de la culture (OFC) en
collaboration avec le Secrétariat d’État à l’Économie (SECO). Les résultats de l’enquête doivent
contribuer à donner les bases d’une vue globale de la situation du marché du livre en Suisse. Au
centre de l’intérêt figurent les effets possibles et probables de la suppression du prix imposé sur les
marchés du livre en Suisse.
Prognos a choisi dans ce but une démarche qui a englobé les groupes d’intérêt concernés de la
branche dans le déroulement global de la procédure. Prognos a eu recours aux connaissances
spécialisées de la branche aussi bien pour la recherche de données que pour l’évaluation des
conséquences de l’abolition du prix imposé pour le livre. A la fin, Prognos a conduit un processus
de consultation avec pour but de soumettre les conclusions élaborées à un examen critique. Ceci a
conduit encore une fois à une discussion intensive avec les représentants de tous les intérêts de la
branche.
Caractéristique du marché suisse du livre
La Suisse ne connaît pas de marché du livre homogène. Il est bien plus constitué de trois marchés
du livre en grande partie indépendants organisés par régions linguistiques et qui se différencient en
beaucoup de points. En particulier, il s’est développé sur chacun des trois marchés une forme
propre de fixation des prix.
Pour les livres de langue allemande, les éditeurs fixent le prix de vente public de manière
obligatoire. Cette pratique est inadmissible selon le jugement de la Commission de la Concurrence
(WEKO) du 6 septembre 1999 et de la Commission de recours pour les questions de concurrence.
Le jugement n’est cependant pas encore applicable car le Tribunal fédéral a accordé un effet
suspensif le 22 août 2001 suite au recours et demande à cet égard formulés par le Schweizer
Buchhändler- und Verlegerverband et le Börsenverein des Deutschen Buchhandels.
Pour les livres de langue française, seuls les éditeurs suisses fixent le prix du livre de manière
obligatoire, les livres importés de France ne sont officiellement pas soumis au prix imposé en
Suisse. Et ce malgré le fait que, depuis la réintroduction du prix imposé en 1981, les éditeurs
français fixent le prix public imposé des nouvelles parutions pour une période de deux ans. En
réalité, la grande majorité des livres importés de France sont pratiquement partout vendus au
même prix par l’application d’une série de mécanismes informels sur le marché.
Les livres de langue italienne ne sont formellement pas soumis au prix imposé. Malgré ce fait, les
libraires de Suisse italienne n’ont qu’une faible possibilité d’intervenir dans la formation du prix de
vente car les éditeurs italiens impriment leurs prix de vente recommandés (en lires) sur les
ouvrages. Des prix de ventes plus élevés en Suisse incitent visiblement la population italophone à
un tourisme d’achat plus intense vers l’Italie.
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Malgré les différents mécanismes de formation du prix de vente dans les trois régions linguistiques
les libraires dans la Suisse entière n’ont que très peu de marge de manœuvre pour une fixation
indépendante du prix de vente. Selon cette perspective, les trois régions linguistiques ne sont pas
des marchés indépendants mais doivent être considérés comme des marchés partiels des pays
voisins respectifs. Une réglementation unique valable en Suisse pour l’ensemble du marché des
trois régions linguistiques –par exemple en ce qui concerne l’admissibilité de l’instrument de
politique des médias que constitue le prix imposé – paraît pour cette raison peu concluante.
Les trois marchés du livre en Suisse atteignent ensemble un chiffre d’affaire de presque un milliard
de francs. Les presque trois quarts sont représentés par la Suisse allemande, presque un quart par
la Suisse romande et 3% par la Suisse italienne.
Un dense réseau national de points de vente de livres, approvisionné en Suisse romande et en
Suisse allemande par des systèmes logistiques efficaces mis en place par les grossistes, assure,
au moins dans ces régions, une fourniture de livres couvrant l’ensemble du territoire et ce à un
niveau très élevé, même en comparaison internationale. Les compétences des grossistes en
Suisse romande et en Suisse allemande sont démontrées de manière impressionnante par leur
capacité à livrer dans les 24 heures à n’importe quelle librairie un assortiment de plus de 300'000
titres. A l’opposé, la clientèle des librairies suisses italiennes, marché sur lequel il n’existe pas de
grossiste, doit s’attendre à un délai de livraison de plusieurs jours avant que ses commandes
soient exécutées.
Le commerce de détail du livre en Suisse est fondamentalement composé de trois types
d’entreprises: les librairies, les entreprises de vente du commerce des médias et les points de
vente de livres étrangers à la branche.
Parmi les librairies sont prises en compte toutes les entreprises qui se sont spécialisées dans le
commerce de détail du livre, à côté des librairies traditionnelles figurent aussi les librairies par
Internet. La librairie de détail se distingue des autres canaux de vente par le fait qu’elle offre à sa
clientèle l’accès à tous les titres disponibles sur le marché. De cette façon elle assure une fonction
importante de politique culturelle. En comparaison internationale, la librairie de détail en Suisse
occupe une position forte, elle concentre près de trois quarts du chiffre d’affaire de détail global de
ventes de livres. L’importance de la librairie par Internet est encore faible, ce canal de distribution
n'atteint actuellement que 3% du marché, il enregistre cependant de loin les plus forts taux de
développement.
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Tabelle 1
Structure du commerce de détail du livre en Suisse
Commerce
Commerce du
du livre
livre
de
détail
de détail
Librairie
Librairie de
de détail
détail
TradiTraditionnelles
tionnelles
Internet
Internet
Chaînes
Chaînes du
du commerce
commerce
des
des médias
médias
Chaînes
Chaînes du
du
commerce
commerce des
des
médias
médias
Ex Libris
Librairies
Librairies
indépendantes
indépendantes
Chaînes
Chaînes de
de
librairies
librairies
Clubs
Clubs du
du livre
livre
P.ex. Der Club
NSB
France Loisir
Euroclub
Points
Points de
de vente
vente
étrangers
étrangers àà la
la branche
branche
Chaînes
Chaînes du
du
commerce
commerce
de
de détail
détail
Autres
Autres points
points
de
de vente
vente
Grands distributeurs
Grandes surfaces
Supermarchés
Kiosque
Stations service
P.ex. Payot
Dans la librairie traditionnelle, les grandes entreprises de la librairie de détail ont pu augmenter leur
chiffre d’affaire de façon significative ces dernières années – surtout grâce à des extensions de
surface et partiellement aussi par le rachat d’entreprises – alors que les plus petites librairies ont
dû en même temps subir de sensibles pertes de chiffres d’affaire. Beaucoup de moyennes et
petites librairies n’ont pas une rentabilité suffisante et ne survivent souvent que parce que le
propriétaire renonce à un revenu adéquat. Les baisses de chiffre d’affaire expérimentées ces
dernières années conduisent pour cette raison rapidement ces entreprises à une situation où leur
existence est menacée.
Entre 1995 et 1998 seulement, le nombre de librairies a baissé de plus de 10%. En ce moment, il
existe encore environ 600 librairies en Suisse, soit une pour environ 10’000 habitants. En
comparaison avec l’étranger, la concentration de la branche est encore relativement faible. A part
Payot, avec 12 succursales en Suisse romande qui représentent environ un quart du chiffre
d’affaire de détail de la librairie dans cette région, il n’existe encore en Suisse aucune chaîne de
librairies. L’entrée sur le marché de Phönix à Bâle et Berne devrait cependant signaler le début
d’une nouvelle vague de concentration. La plus grande chaîne de librairies allemandes a repris
avec Jäggi et Stauffacher deux des grandes librairies de Suisse allemande devenant ainsi le leader
du marché suisse allemand (devant Orell Füssli). Entre-temps, Orell Füssli a pour sa part repris la
librairie « Räber Bücher » à Lucerne et ainsi rejoint Phönix en terme de chiffre d’affaires.
Par la disparition du marché des entreprises, le processus de concentration dans la librairie de
détail améliore d’une part les conditions économiques cadre pour les entreprises restantes. D’autre
part, et selon l’avis des connaisseurs de la branche, disparaissent souvent justement les librairies
qui s’investissent le plus –de manière particulièrement méritante sur le plan culturel – pour
l’encouragement du talent et des nouveaux auteurs.
Le groupe des chaînes du commerce de détail des médias n’est actuellement représenté que
par deux entreprises : Ex Libris avec 155 points de vente et Bertelsmann à qui appartiennent
actuellement tous les clubs du livre en Suisse. Les deux entreprises ensemble ont une part de
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marché de plus de 10%. Les deux groupes vendent aussi, en plus des livres, des CDs, des
cassettes vidéo, des DVDs et d’autres marchandises. Ils ne commandent cependant pas pour
leurs clients les ouvrages qu’ils n’ont pas en stock.
La FNAC, principale chaîne française du commerce des médias, occupe une position particulière.
L’assortiment et les services de son département livres sont équivalents à ceux d’une librairie de
détail traditionnelle mais dans le même temps l’offre de la FNAC est beaucoup plus diversifiée. En
plus des CDs, des cassettes vidéo, des DVDs, la FNAC offre des articles photos et de
l’électronique de divertissement de même que des billets pour des manifestations et d’autres
services (par ex. voyages).
En plus des 700 points de ventes représentés par les librairies de détail 15'000 à 20'000 points de
vente étrangers à la branche vendent des livres. D’un côté, les grands distributeurs, les chaînes
de grandes surfaces et les supermarchés prennent dans leur assortiment quelques douzaines de
titres de vente facile (souvent des best-sellers en format de poche). De l’autre côté, les kiosques,
stations d’essence vendent des livres de poches, des cartes routières, des calendriers etc. Enfin,
chaque commerce de détail en Suisse peut compter parmi les points de vente de livres lorsqu’il
offre en plus de son assortiment la littérature spécialisée correspondante. Le part de marché des
points de vente étrangers à la branche s’établit vers 17%.
Les 500 éditeurs de livres environ domiciliés en Suisse publient chaque année plus de 10'000
nouveaux titres1 ce qui est remarquable en comparaison internationale. Aucun de ces éditeurs – à
l’exception de Diogenes – n’a une importance économique sur son marché linguistique au-delà des
frontières nationales. Les éditeurs occupent au total 2'900 personnes. A peine 50 éditeurs
occupent plus de 10 employés, pas même dix entreprises ont un effectif de plus de 50
collaborateurs. Beaucoup des plus grands éditeurs ont passé en mains étrangères durant les
dernières années et n’ont plus qu’un bureau en Suisse. Selon les connaisseurs de la branche, ce
sont les nombreux petits éditeurs qui ont une grande importance en terme de politique culturelle
car se sont surtout eux qui permettent l’accès au public des jeunes auteurs
Les éditeurs de livres domiciliés en Suisse font ensemble un chiffre d’affaire d’un peu plus d’un
milliard de CHF dont à peine la moitié seulement avec la publication de livres. Environ la moitié de
la production suisse de livre est exportée. Sur les 225 millions CHF de chiffre d’affaire restant
réalisé en Suisse, les éditions scolaires cantonales réalisent à elles seules environ 100 millions de
CHF.
Depuis le milieu des années 90, les chiffres d’affaire des éditeurs de livres se sont développés au
même rythme que l’évolution économique globale (Ø2% par an). C’est cependant surtout le chiffre
d’affaire réalisé avec des activités hors édition (Ø 5% par an) et, depuis 1997, avec l’exportation de
livres (Ø 18% par an) qui a augmenté. Les exportations de livres se sont de nouveau très
fortement développées depuis 1997 alors qu’elles avaient baissé de manière très marquée dans
les trois années précédentes.
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Sans la littérature grise, c.à d. la littérature qui n‘est pas destinée au marché du livre, par ex. thèses, rapports
d‘entreprises etc.
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Quatre sur cinq livres vendus en Suisse sont importés. Les importations de livres ont augmenté
depuis 1988 de 430 millions CHF à 650 millions CHF (2000), ce qui représente une hausse de
50%2.
Les auteurs sont au moins au début de leur activité professionnelle toujours tributaires des
éditeurs suisses (premières œuvres). Pour cette raison, les auteurs actifs en Suisse ont une
relation étroite avec les éditeurs suisses. Il existe en Suisse au total à peine 1'400 auteurs et 110
parmi eux vivent actuellement exclusivement de l’écriture, cependant ils gagnent seulement entre
36'000 et 40'000 CHF. De plus 140 auteurs vivent principalement de l’écriture, presque deux tiers
de tous les auteurs obtiennent moins que 20% de leur revenu par l’écriture.
Globalement, on peut décrire les marchés suisses comme étant de petite dimension avec peu
d’acteurs importants. C’est seulement dans le commerce des droits que la Suisse joue un rôle
important au-delà des frontières. Zürich s’est développé après la deuxième guerre mondiale
comme le centre international des agences littéraires sur le marché germanophone.
Expériences à l’étranger avec l’abolition du prix imposé
Dans le domaine de l’abolition du prix imposé, on ne peut se référer qu’aux expériences de la
Suède, de la France et de la Grande-Bretagne. Ce sont jusqu’à aujourd’hui les seuls pays qui ont
réalisé un changement de système, du prix imposé au prix libre. Alors que la France est revenue
au prix imposé après seulement deux ans, la Suède (depuis 1970) et la Grande-Bretagne (depuis
1995) ont aboli le prix imposé de façon durable.
Il existait en Suède jusqu’en 1970 un marché du livre fortement réglementé et qui assurait un
approvisionnement de l’ensemble du territoire à un très haut niveau. Ce marché a été libéralisé en
1970 avec cependant un coût très élevé pour l’État. D’autres restrictions ont été abolies en même
temps que le prix imposé en librairie (monopole des librairies de détail sur les „livres de qualité“,
obligation d’achat des livres suédois). Ce fait est souvent passé sous silence dans les rapports sur
les expériences suédoises. De cette façon, il naît facilement la fausse impression que les
changements marqués sont exclusivement dus à l’abolition du prix imposé.
L’entrée des grandes surfaces sur le marché du livre de détail en Suède après 1970 a conduit à
des changements structurels d’une grande importance. Ces points de vente ont les premiers
baissé le prix des best-sellers et augmenté le prix de tous les autres livres. De cette manière, la
concurrence sur les prix a augmenté pour tous les points de vente, concurrence à laquelle 130
parmi 483 librairies n’ont pas résisté entre 1970 et 1988 et ont disparu (diminution de 17%). Les
gagnants de cette concurrence sur les prix en Suède furent les clubs du livre et les grandes
surfaces qui augmentèrent considérablement leurs parts de marché. En conséquence, les
librairies se sont regroupées en chaînes afin d’améliorer leur position sur le marché.
Le nombre de titres publiés en Suède n’a pas plus baissé après l’abolition du prix imposé que le
prix des livres en général.
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on doit cependant savoir à ce sujet que les éditeurs suisses en mains étrangères produisent surtout à l‘étranger, ce
qui veut dire qu‘ils doivent importer leurs livres destinés au marché suisse.
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Pour compenser les problèmes structurels de la librairie, le Ministère suédois de la culture a établi
un vaste programme de subventions qui prévoit des paiements directs pour la production de livres
aussi bien que pour la création de librairies.
En Grande-Bretagne, le Net Book Agreement (NBA) a été aboli de facto par le départ d’acteurs
importants du marché. A la suite, les grandes librairies, les supermarchés ainsi que les librairies
Internet ont réduit le prix de vente d’un nombre très limité de best-sellers. L’augmentation des prix
du livre a cependant été globalement supérieure de 8% à l’indice des prix à la consommation entre
les années 1995 et 2000.
Malgré des prix de vente généralement plus élevés, le chiffre d’affaire global de la librairie a
augmenté considérablement après la suppression du NBA. Les observateurs de la branche
l’attribuent à la plus grande présence des livres en dehors de la librairie traditionnelle
(supermarchés, grandes surfaces etc.). Cependant la forte conjoncture britannique et le climat de
consommation favorable à cette période ont contribué à un développement positif du marché. La
part en augmentation des ménages à faible revenu qui achètent des livres est remarquable. La
plupart de ces livres appartiennent à la catégorie des best-sellers.
Comme en Suède, le nombre de titres publiés annuellement en Grande-Bretagne n’a pas diminué.
Pour la plupart des auteurs, l’abolition du NBA a eu des conséquences négatives dans le sens où
les éditeurs ont de plus en plus eu tendance à les associer au rendement net d’un titre. La majorité
des auteurs est ainsi dans une situation financière globalement plus mauvaise qu’avant l’abolition
du prix imposé.
Conditions cadre pour une évolution
La digitalisation dans la branche du livre (textes dynamiques, Hypertexte, Hypermedia, Publication
électronique, E-Book, Impression à la demande, On-Line entre autres) n’a jusqu'à présent laissé
que des traces isolées dans le processus de création de valeur ajoutée. Une nouvelle organisation
générale provoquée par la digitalisation et révolutionnant toute la chaîne de création de valeur
ajoutée, n’est pas attendue avant 2006.
La publication électronique, les E-books et l’impression à la demande ne sont jusqu'à présent
significatifs que pour des niches du marché de relativement peu d’importance. Le domaine de la
littérature spécialisée scientifique (et surtout les périodiques) est le plus touché par ces
changements.
La digitalisation n’a jusqu'à présent pas eu de conséquence durable sur le système du prix imposé
du livre en Suisse. On pourrait seulement compter avec des effets sensibles au moment où la
diffusion digitale directe de textes aux lecteurs se substituera à une part importante du marché du
livre. Ceci n’est actuellement pas en vue.
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Thèses sur les conséquences d’une libéralisation des prix
Même après l’abolition du prix imposé, la clientèle achetant des livres ne décide majoritairement
pas sur la base du prix de l’endroit où elle achètera un livre. Dans la plupart des cas, ce seraient
l’importance de l’assortiment, la bonne présentation de l’offre, la qualité du conseil ainsi que
l’emplacement et l’aménagement de la librairie qui ont une très grande importance. Dans la règle,
les acheteurs ne se laissent guider par le prix que lorsque cet avantage peut être utilisé sans effort
notable (comparaison de prix, trajet supplémentaire).
Une abolition du prix imposé ne conduirait à priori pas à une compétition ruineuse sur les prix.
Dans les librairies aussi, le prix n’est qu’un parmi des nombreux instruments du marketing. Les
librairies qui ont un marketing professionnel pratiquent une politique de prix très différenciée qui, au
moyen de mesures ponctuelles, a pour but d’encourager un comportement de la clientèle amenant
une augmentation de revenus et empêcher un comportement qui nuirait à cette augmentation.
Après l’abolition du prix imposé, on pourrait s’attendre à ce que les best-sellers deviennent
nettement meilleur marché, et que tous les autres titres deviennent tendanciellement plus chers. Le
commerce utiliserait probablement la nouvelle liberté dans l’établissement du prix de vente pas
seulement pour baisser le prix des environ 100 best-sellers paraissant annuellement mais aussi
pour augmenter les prix partout là où la faible sensibilité au prix de la clientèle le permet (par
exemple pour la littérature scientifique).
Une abolition du prix imposé en Suisse accélèrerait le processus de concentration déjà en cours
au niveau du commerce de détail. Les grandes librairies aussi bien que les entreprises du
commerce de détail étrangères à la branche (grands distributeurs, supermarchés, grandes
surfaces etc.) développeraient leur assortiment de livres au détriment des plus petites librairies et
de nouveaux concurrents apparaîtraient sur le marché. Les plus petites librairies perdraient leurs
parts de marché plus rapidement qu’aujourd’hui, le nombre de cessations de commerce
augmenterait.
Le développement de la concentration et la puissance en augmentation des chaînes nationales et
internationales sur le marché pourraient aussi bien influencer de manière négative et à long terme
la qualité de service des grossistes que les pratiques commerciales des éditeurs établis en Suisse.
Les grossistes sont aujourd’hui capables d’exécuter les commandes dans les 24 heures et cela
grâce à la densité élevée de librairies. Une diminution de cette densité pourrait avoir comme
conséquence que ce service ne pourrait plus être garanti par les grossistes sur l’ensemble du
territoire pour des raisons de coûts, et ce d’autant plus que les grandes chaînes de librairies
exerceraient une pression accrue sur les marges des grossistes. Pour les éditeurs aussi la
puissance en augmentation des librairies sur le marché aurait pour résultat une diminution des
marges et de plus un accès plus limité au marché du commerce de détail.
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Les petites librairies et les petits éditeurs seraient particulièrement touchés par une abolition du
prix imposé car leur activité commerciale est aujourd’hui déjà marquée par l’engagement individuel
et le renoncement à une rentabilité adéquate. L’accélération de la concentration leur enlèverait un
temps précieux nécessaire pour s’adapter aux nouvelles conditions du marché (assortiment,
orientation vers la clientèle, marketing).
Le nombre des librairies et des éditeurs qui encouragent les auteurs suisses diminuera plus
rapidement que jusqu’à maintenant dans le cadre d’un processus de concentration accéléré.
Les auteurs perdraient avec l’abolition du prix imposé une base fiable pour le calcul de leurs
honoraires et seraient plus associés par les éditeurs au risque d’édition. Cette pratique
représenterait une difficulté supplémentaire pour la relève littéraire.
Dans le même temps, l’abolition du prix imposé mettrait plus de gens en contact avec les livres
(plus de promotion, nouveaux points de vente de livres). Cet effet profiterait en premier lieu aux
titres de masse du genre divertissement et littérature pratique (best-sellers) mais ni à la littérature
dont la publication représente un risque important ni au grand domaine de la littérature spécialisée.
Une abolition unilatérale et sans compensation du prix imposé en Suisse aurait des conséquences
graves sur les deux autres pays germanophones. Les libraires allemands et autrichiens pourraient
acheter leurs livres en Suisse sans avoir signé l’accord fiduciaire (Sammelrevers) et contourner
ainsi sans problème le prix imposé dans leurs pays. De la même manière, les librairies par Internet
pourraient livrer depuis la Suisse des clients allemands ou autrichiens en contournant le prix
imposé établi sur ces marchés
C’est pourquoi, une abolition unilatérale du prix imposé en Suisse signifierait plus ou moins
rapidement la fin du prix imposé organisé en Allemagne sur base contractuelle grâce à l’accord
fiduciaire (et sur base légale en Autriche).
Prognos a essayé de montrer avec les 25 thèses quelles répercutions devraient être attendues au
cas où le prix imposé serait aboli en Suisse.
Une évaluation scientifique des effets, avec pour but d’arriver à une affirmation méthodique si les
avantages ou les désavantages seraient plus importants dans le cas d’une abolition du prix imposé
ne faisait pas partie du mandat de Prognos.
Prognos a cependant eu grâce au mandat de l’Office fédéral de la culture la possibilité dans les
derniers mois de se confronter de manière intensive avec tous les aspects du prix du livre en
Suisse et ce comme jamais personne n’avait eu l’occasion de le faire auparavant. Pour cette
raison, et comme il n’est plus prévu de procéder à une étude scientifique des avantages et des
inconvénients, Prognos, arrivé au terme de son travail a aussi la préoccupation de communiquer à
son mandant à quelle conclusion Prognos est arrivé sur la question du prix imposé :
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Prognos arrive à la conclusion que les désavantages d’un abandon du système du prix imposé
(augmentation de prix pour la majorité des titres, accélération de la concentration dans le
commerce du détail de livres, diminution des prestations de service chez les grossistes,
détérioration des conditions de développement pour la création littéraire du pays, contournement
des systèmes de prix imposé en Allemagne et en Autriche) sont supérieurs aux avantages de la
suppression (baisse du prix des best-sellers, animation de la concurrence).
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