note préparatoire "L`emploi est-il le seul facteur d`intégration sociale

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note préparatoire "L`emploi est-il le seul facteur d`intégration sociale
Note préparatoire
Petit déjeuner du 20/09/12
L’emploi est-il le seul vecteur d’intégration sociale?
Le chômage est-il le seul facteur d’exclusion?
Perçu comme une activité méprisable sous l’Antiquité et la société féodale, il faut attendre le 18ème siècle pour
que le travail soit assimilé à une fonction de production qui apporte une rémunération à l’individu, puis le 19ème siècle
pour connaitre la glorification du travail, et les Trente Glorieuses pour assister à l’apogée de la fonction intégratrice du
travail.
Il semble, comme le souligne Dominique Meda dans son ouvrage « Le travail, une valeur en voie de disparition ? »
(1995), qu’aujourd’hui le travail ne soit plus autant valorisé par l’individu comme une source d’épanouissement, ni
caractérisé, tel que c’était le cas jusqu’au début des années 1980, comme « le système d’intégration sociale » en
France.
L’emploi, un vecteur essentiel d’intégration sociale… de plus en plus porteur d’exclusion
Si l’intégration sociale se mesure à l’intensité des échanges sociaux d’un individu, par lesquels il est lié à un groupe
constitutif d’une société globale, pour Emile Durkheim, la division du travail est la base du ciment social qui unit les
individus dans la société moderne : « Si la division du travail produit de la solidarité, […] ; c’est qu’elle a créé entre les
hommes tout un système de droits et devoirs qui les lient les uns aux autres de manière durable » (Emile Durkheim, De
la division du travail social, 1893).
En ce sens, l’emploi occupe une place essentielle dans la constitution du lien social parce qu’il apporte une identité
sociale (notre appartenance à une catégorie socioprofessionnelle définit notre place dans le processus de production économique). Il permet via la rémunération qui lui est rattachée, d’accéder à la consommation et de créer du lien
marchand, voire de donner le sentiment de contribuer au fonctionnement de la « cité » en payant des impôts.
Mais cette vision d’une société homogène, où chacun pouvait s’intégrer par sa place au sein d’une
interdépendance dans le travail, ce modèle d’intégration, est aujourd’hui mis à mal : d’abord parce qu’avec plus de 3
millions de chômeurs, une partie importante des travailleurs potentiels ne peut s’intégrer pleinement à la société par le
biais du travail ; mais aussi parce que l’apparition de nouvelles formes d’emplois est porteur d’exclusion.
L’enquête emploi INSEE-2010 révèle que sur les 25,6 millions de personnes ayant un emploi 3,1 millions sont salariées
sous statut précaire (CDD, intérim, temps partiel souvent subi).
En ajoutant le million de personnes (données INSEE 2009), qui exerce un emploi mais dispose, après avoir
comptabilisé les prestations sociales (primes pour l’emploi, allocations logement, etc.) ou intégré les revenus de leur
conjoint, d’un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté, on peut considérer qu’un nombre significatif de situations
d’emploi peut être source d’exclusion sociale et de précarité.
La notion de précarité est apparue en France à la fin des années 1970. Elle est à cette époque appliquée aux
familles et est très liée à ce qu’on appelait la nouvelle pauvreté. Il s’agit d’une condition sociale, d’une situation et d’un
processus menant à la pauvreté. Cette précarité a plusieurs dimensions : il peut s’agir d’une précarité de logement, de
vie de couple, de revenus, de santé, de liens sociaux et d’emploi. L’accumulation de ces types de précarité peut mettre
en « danger » l’individu.
Au début des années 1980, la précarité recouvre deux réalités sociales. D’une part, elle reste liée à la
pauvreté et d’autre part, elle se met à qualifier le statut des emplois. Le terme précarité apparaît au même moment dans
le code du travail : l’article L 124-4-4 instaure une prime pour l’intérimaire qui compense la précarité de sa situation, la
prime de précarité. Les emplois dits précaires sont ceux qui manquent de sécurité et de perspectives de carrière. Ces
termes sont ensuite utilisés couramment par l’administration sociale, dans la législation (exemple : loi du 12 juillet 1990
« favorisant la stabilité de l’emploi par l’adaptation du régime des contrats précaires ») et dans le champ statistique.
La constellation des emplois que l’on pourrait qualifier de précaires s’élargit ensuite fortement, et certains sociologues
estiment alors que c’est toute la société qui suit un processus de précarisation. Robert Castel parle « d’effritement de la
condition salariale, dont le développement du travail précaire est un des aspects les plus importants ». La précarisation
du travail permet, selon lui, de comprendre les processus qui produisent chômage et désaffiliation.
L’exclusion sociale, une dimension plurielle dans laquelle le chômage occupe un rôle majeur (voire déclencheur) mais non exclusif
Au sens de privation d’emploi, le chômage émerge avec le développement de la relation salariale et
l’institutionnalisation du contrat de travail, fin XIXème. A mesure que s’étendent le salariat et l’industrialisation, se
développe la codification du statut de chômeur et sa prise en compte au sein des institutions : création de caisses de
secours aux chômeurs par les syndicats fin 19ème ; premières mesures de secours des pouvoirs publics début 20ème ;
inscription dans la Constitution de 1946 ; création d’une mission publique de placement des travailleurs à la recherche
d’un emploi à la Libération ; puis création de l’Agence Nationale pour l’Emploi en 1967.
De la même manière que le travail est devenu un droit, le chômage devient un droit qui se traduit par un statut codifié.
Une des premières enquêtes sociologiques sur les impacts sociaux du chômage a été réalisée en 1931 à Marienthal
en Autriche où, suite à la fermeture d’une usine la plupart des ouvriers se sont retrouvés au chômage pendant plus
de 2 ans. L’étude a révélé des situations de dégradation de la vie privée, d’appauvrissement des activités sociales,
de déstabilisation de la perception du temps… qui aujourd’hui seraient désignées comme autant de pertes de liens
conduisant au processus d’exclusion sociale, de « déclassement » décrit par Pierre Bourdieu, ou de « désaffiliation »
selon Robert Castel.
Comme l’ont montré ces sociologues, la notion d’exclusion sociale ne désigne en effet pas un état mais correspond à
un processus complexe d’accumulations, lesquelles se renforcent mutuellement. La perte d’emploi a des conséquences
en termes de baisse de revenu et de perte de lien social, et peut conduire (notamment si elle est durable, brutale, ou
répétée) à des trajectoires complexes où s’entrecroisent d’autres problématiques (rupture familiale, santé, logement,
…). Ainsi, pour mesurer plus précisément l’exclusion sociale, l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion
Sociale, a utilisé dans son rapport 2011-2012 des indicateurs relatifs au non accès à certains droits considérés comme
fondamentaux autres que l’emploi montrant ainsi que les difficultés d’accès au logement, la précarité énergétique, le
taux de renoncement aux soins, …étaient autant de facteurs cumulatifs pouvant être pris en compte dans le processus
d’exclusion sociale.
Quelques questions pour lancer le débat :
Très mis à mal par plusieurs décennies de chômage massif (les « trente piteuses »), par la précarisation de l’emploi, par
l’éclatement des contrats de travail et autres statuts (auto-entrepreneurs, etc.) renvoyant à l’individualisation, le modèle
collectif de « l’emploi salarié, vecteur structurant d’intégration et de cohésion sociales » peut il encore fonctionner ?
Dans ce contexte le rêve d’un emploi intégrateur pour tout le monde est il encore réaliste ? Tout individu peut-il encore
être intégré selon le modèle standard ?
Quelles voies nouvelles en matière de sécurisation professionnelle, quelles politiques de prévention et de lutte contre
l’exclusion ? Faut-il renforcer et privilégier d’autres vecteurs d’intégration ?

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