Ma Famille, Nos Séries et Moi - Bibliothèque de Sciences Po Lyon
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Ma Famille, Nos Séries et Moi - Bibliothèque de Sciences Po Lyon
Institut d’Etudes Politiques Robin Drelangue Mémoire réalisé Sous la direction de Max Sanier Ma Famille, Nos Séries et Moi Etude de réception des séries télévisées humoristiques ivoiriennes Migration, liens familiaux et culture ordinaire Soutenu le 3 Septembre 2013 Dans le cadre du séminaire Sociologie des acteurs et enjeux du champ culturel Jury Max Sanier et Philippe Corcuff Table des matières Remerciements . . Introduction . . Comment travailler? L’étude de réception . . Sur quoi travailler: Le choix du sujet . . Projeter la croyance: le choix du médium culturel . . Qui interroger ? Resserrer l’enquête et accepter la contrainte . . Distance et proximité: les nouvelles formes d’enquête . . Chapitre 1: La nostalgie du pays: interroger la migration . . Chercher les racines, réaliser des boutures . . Le retour au pays . . Amitiés, cuisine et différences . . Le magasin . . Guerre civile et conflits culturels . . Le migrant et conflit . . Les frictions culturelles: au-delà de la définition politique d’intégration . . Chapitre 2 : Des séries au fort potentiel sensible : pratiques, famille et liens profonds . . Où et quand préfère-t-on la télévision et ses programmes? . . Du domicile et du divertissement . . Internet comme solution de repli puis support principal . . Le médium comme lien familial . . « House chat » . . De la fin du genre chez un public ivoirien ? . . Chapitre 3 : La société de l’ordinaire . . Humour et amour : la série télévisée comme un ordinaire dramatisé . . Un apprentissage moral . . Théâtralité : série télévisée et catharsis moderne . . La télévision, une habitude culturelle et sociale? . . Du quotidien télévisé . . Individus et pratiques télévisuelles: une carte de visite sociale . . Conclusion . . Bibliographie . . Ouvrages scientifiques . . Articles scientifiques . . Articles de presse . . Ressources Web . . Annexes . . Index des séries télévisées citées . . Entretiens . . Gretta . . Philippe-Auguste . . 5 6 8 9 9 11 12 14 14 16 17 18 19 20 21 26 26 26 32 33 35 39 43 43 43 44 47 47 48 51 57 57 57 58 59 60 60 62 62 71 Iconographie . . Résumé . . Mots-clés . . 79 80 80 Remerciements Remerciements A mon directeur de mémoire, Max Sanier, pour ses encouragements, sa vision du monde et ses précieux conseils, A Philippe Corcuff, pour son travail sur les séries télévisées et les cultures ordinaires, Aux interrogés, avec qui j’ai eu grand plaisir à discuter et partager, A David Simon, Graham Lineham, Shawn Ryan et Alexandre Astier pour leur contribution au monde télévisé, A mes parents, pour leur soutien sans faille dans mon travail, A Félix et Laure pour leurs idées brillantes, A Delphine, pour sa patience et ses paroles sincères 5 Ma Famille, Nos Séries et Moi Introduction Il n’est pas juste de qualifier la télévision aussi durement que le font les nombreux hommes 1 qui l’habitent. Un simple coup d’oeil aux pages de citations répandues sur Internet révèle une haine grossière, maladive et injustifiée des «intellectuels» qui pourtant l’habitent depuis sa création. Bernard Pivot, Jean d’Ormesson, Woody Allen, Jean Amadou, tous expriment l’inquiétude et le mépris envers le médium télévisé. La réalité de cette animosité, c’est essentiellement le choc de notions antinomiques de culture. D’un côté une vision étroite, bourgeoise, confortable, livresque de la culture, celle que l’on conçoit uniquement en édition blanche, en fondation d’art contemporain, en art et essais. De l’autre, une culture étendue, populaire ou plus simplement, ordinaire. Ordinaire car elle s’attache au quotidien. Malgré tout, il est bon d’éviter l’écueil de diviser la notion de culture, de la rendre parcellaire. Il est en effet essentiel de souligner la porosité, avançons même, le mélange existant entre art contemporain et émission de variété. Souvent inavouables, les pratiques culturelles révèlent, certes des comportements de groupe mais également des bascules, le cadre supérieur se baladant à la fête de village et faisant une pause pour écouter la fanfare, au même titre que l’employé possédant une reproduction des «Nymphéas» de Claude Monet dans sa salle à manger. Ces exemples, certes fantasques, sont une réalité pourtant tenace dans la société. On évitera d’ailleurs à l’avenir la notion de porosité, se rapportant à des constructions de cloisons culturelles. On y préférera la notion de culture commune, au sens de partage mais également de quotidien comme l’évoque Sandra Laugier, offrant les possibilités de ponts au dessus des disparités. Disparités que l’on ne peut ignorer et pouvant exister au sein de la société, qu’elles soient économiques, matérielles, scolaires, spatiales. Cependant, les «disparités culturelles» ne peuvent honnêtement être constatées, ou bien en manifestant une hypocrisie, militant alors classiquement pour l’accès à une certaine forme de culture «élitiste» et en hiérarchisant les pratiques culturelles. Cette hypocrisie n’est pas dangereuse par sa capacité à offrir l’accès à certaines pratiques culturelles mais l’est par sa capacité à nier la légitimité culturelle des autres espaces de la société. On pourrait évoquer par exemple les BBC Proms, programmation de musique classique datant de la fin du 19ème siècle et remis au goût du jour en offrant la possibilité d’obtenir des billets à prix très bas (moyennant une position debout) pour des spectacles d’interprètes généralement bien plus onéreux. Dans la même idée, le Festival Radio France et Montpellier Languedoc-Rousillon a réalisé une série de concerts en entrée libre entre le 11 et 25 Juillet 2013. Nuance toutefois, il serait trop simple d’invoquer la gratuité comme unique moteur d’accessibilité. Cette négation se fait par des notions telles que le «manque de goût», «l’abrutissement». Récemment visés, on peut compter les programmes télévisés type «télé-réalité», la musique 1 6 Il suffit par exemple d’effectuer une recherche aussi simple que « télévision » sur Evene.fr Introduction 2 3 électronique, Internet et les réseaux sociaux , les jeux-vidéos . C’est bien la hiérarchisation des pratiques culturelles qui creuse les écarts. Le concept intellectuel de «culture» s’est lui-même originellement construit par opposition à ce qui alors n’était pas considéré comme un divertissement «noble» (nous y reviendront). L’opéra, la haute-couture ou bien l’art contemporain étaient alors (et sont pour certains) encore des modes d’expression et d’échange privilégiés, des instruments de domination culturelle, terme que l’on peut emprunter à Bourdieu et à rapprocher de l’idée que le champ culturel est un champ de bataille de classes selon Gramsci, de classements 4 et de hiérarchies liées à l’habitus selon Bourdieu. Cette idée de culture supérieure se retrouve également dans le travail de Richard 5 Hoggart , «La Culture du Pauvre», reflétant la notion de hiérarchie de la culture et de construction de milieux culturels en conflit les uns avec les autres. On observe alors, comme précédemment évoqué un dénigrement systématique de la culture «populaire», «underground». On ne peut que souligner en réaction à cette vision assez figée de la culture, la capacité qu’ont certaines pratiques à évoluer, à s’universaliser et à transcender les couches sociales. Ainsi, l’exemple de l’analyse de Jean Baudrillard concernant le 6 graffiti , répercutant selon lui «cette litanie de Sioux, cette litanie subversive de l’anonymat, l’explosion symbolique de ces noms de guerre au coeur de la métropole blanche» se verrait complétée par l’évolution qu’a pris le graffiti au tournant des années 2000. Aussi avec 7 l’exposition «TAG» au Grand Palais , censée lui donner des «Lettres de Noblesse», lire ici de légitimité et de hiérarchie, le graffiti s’est adouci, s’est institutionnalisé. Cependant que peut-on réellement tirer de la saveur d’un graffiti sur une toile, l’extraire de son milieu naturel et poétique, c’est à dire la rue et le rendre aphone en neutralisant sa visée contestataire? Cette question de l’ancrage des pratiques en rapport avec les classes semble toutefois problématique dans ce sens où elle pose la question de la culture comme ouvertement conquérante. Ce débat classique est un écueil dans lequel je souhaite ne pas orienter mon travail puisqu’il pourrait exister des pratiques culturelles «transclasses» avouées ou non, liées à d’autres caractéristiques sociales telles que l’âge, le sexe, l’ethnicité. Le cinéma, 2 Pour prendre un exemple proche, de nombreuses conversations à l’IEP moquant l’usage intime du blog, d’outils tels que Facebook et du discours écrit et ses failles (phénomène internet de «Grammar Nazis», intolérance orthographique). Classiquement, le dénigrement d’un «langage texto». 3 Où la thématique de «Violence et jeux-vidéos» revient très souvent, comme dans les paroles de Bernard Debré député UMP, s’exprimant concernant l’affaire Clément Méric sur son blog le 6 Juin 2013 ( http://www.bernarddebre.fr/actualites/ la_mort_d_un_militant_d_extr__me_gauche ) ou bien dans celles de Laure Manaudou à propos de l’affaire Merah. Cette thématique des «jeux-vidéos violents» repose sur les mêmes mécanismes de condamnation sociale des pratiques culturelles que celle touchant les Comics aux Etats-Unis dans les années 50 sous l’impulsion du psychiatre Fredric Wertham dans son ouvrage : « Seduction of the Innocent : the influence of comics books on today’s youth », Rinehart & Company, 1954 4 «Conversations with Bourdieu: The Johannesburg Moment» de Burawoy M., Von Holdt K., Wits University Press, 2012, Chap. 3 «Cultural Domination: Gramsci Meets Bourdieu», trad. par Grégory Bekhtari, Mathieu Bonzom et Ugo Palheta pour la Revue Contretemps. http://www.contretemps.eu/lectures/domination-culturelle-quand-gramsci-rencontre-bourdieu 5 On notera aux sujets de Gramsci, Hoggart et Bourdieu qu’ils sont tous trois issus de classes populaires de la société européenne. Rurale pour Bourdieu et Gramsci, Hoggart vient quant à lui d’une zone ouvrière. 6 «Kool Killer ou l’Insurrection par les Signes» in «L’échange Symbolique et la mort», Baudrillard J., Gallimard, Paris, 1976, pp. 118-128 7 Cette exposition s’est tenue du 27 mars 2009 au 3 mai 2009 au Grand Palais, à Paris. Source: Site officiel de l’exposition http://www.tagaugrandpalais.com/ 7 Ma Famille, Nos Séries et Moi la télévision (et plus particulièrement les séries télévisées) reflèterait potentiellement cette culture ordinaire. Ce travail tendra donc à aller réfléchir dans la direction d’une culture partagée, de questionner sa réalité en expliquant les liens entre télévision, culture, famille et identités. La télévision sera ainsi un objet d’étude placé sous le spectre du médium, du catalyseur plutôt que sous celui de l’ancrage et de l’attribut social. Comment travailler? L’étude de réception Invoquer l’étude de réception n’est pas une mince affaire. Longtemps sujette à une catégorisation bâtarde, quelque part entre l’ethnologie et la sociologie, l’étude de réception est également, comme l’explicite Brigitte Le Grignou, le fruit d’une «histoire et d’une filiation disputée» entre la tradition critique des «cultural studies» et la tradition empirique issue des travaux de Lazarsfeld sur les « effets limités » et plus en profondeur, du courant des «usages et gratifications». La théorie des «usages et gratifications» est le produit du travail de Elihu Katz, Jay G. Blumler et Michael Gurevitch. Ces derniers voient en 1973, une résurgence des études de réception: Les chercheurs observent alors une similarité des travaux de recherche, ces derniers pointant dans l’usage des médias par le public une forme de volonté ou de besoin des individus d’interagir et/ou «s’indépendentiser» des autres et ainsi tirer des gratifications sociales, des aspects positifs de l’usage des médias. Katz, Blumler et Gurevitch y découpent dans ces études de réception une suite de 35 besoins (et donc d’usage des médias) qu’ils répartissent sous 5 catégories, suivant une logique de répartition proche des travaux de Laswell ou Maslow : ∙ ∙ ∙ ∙ Besoins cognitifs: Obtenir des informations, du savoir Besoins affectifs: S’émouvoir, prendre du plaisir, avoir des sentiments Besoins d’intégration personnels: Crédibilité, Stabilité, Statut Besoins d’intégration sociale: Echange avec la famille et les amis (Mis à jour avec l’arrivée des réseaux sociaux et plus largement d’Internet) ∙ Besoins de décompression : Evasion et divertissement 8 Depuis les années 90, le courant des études de réception semble avoir vécu une réconciliation et avoir effectué une combinaison entre les «cultural studies» et le «courant 9 empirique» comme le résume Brigitte Le Grignou. Même si cette forme d’études offre toujours des antagonismes entre communautés scientifiques, il semble bon de s’y fier puisqu’elle doit, pour être saine et offrir des réflexions intéressantes, se lier au concept de transdisciplinarité. Ce pot-pourri que peut sembler être l’étude de réception, quelque part entre sociologie, et ethnologie offre en effet des résonances « cruciales » dans les disciplines qu’il touche. 9 8 Se refuser à la transdisciplinarité relève d’un manque de clairvoyance concernant à la fois l’actualité de la recherche scientifique et la société. Certes, on constate une critique de la transdisciplinarité en ce qu’elle représente une vision «totalisante» de la recherche, offrant des thèses de structures, à la frontière d’un ordre global. Cependant, ce n’est pas Brigitte Le Grignou «Du Côté du Public: Usages et réceptions de la télévision», Ed. Economica, 2003 Introduction comme cela qu’il convient d’envisager la transdisciplinarité. Il est essentiel de se représenter ce concept comme une opportunité de récolter techniques et savoirs, non pas dans l’optique d’atteindre la vérité d’une construction sociale fixe et baignée de lumière divine, mais dans celle d’offrir des clés de compréhension, soumises à péremption il faut se l’accorder, mais donnant de plus grande chance d’envisager les interactions entre individus. Cette étude reste donc bercée de la conviction que cette collusion entre modes de recherche est le moyen le plus sûr de saisir le fait social. Cette étude prendra donc en compte le «pourquoi» de l’usage de la télévision, plus particulièrement de la télévision issue du pays d’origine. Nous nous proposons donc de tâcher de répondre aux hypothèses suivantes : Y’a-t-il nostalgie du pays? La culture est-elle mobile ? Le médium peut-il être un souvenir commun, un patrimoine? Quels sont les ponts entre attache intime, programme télévisé et identité? La série télévisée comme pratique culturelle ordinaire est-elle importante au sein d’une société? Sur quoi travailler: Le choix du sujet Le choix de ce sujet nécessite, semble-t-il, une explication. Il est originellement le produit d’un autre sujet. Je souhaitais, alors au début de mon travail, analyser la réception des personnages africains dans les films américains par un public africain. Se sont alors dressés plusieurs problèmes majeurs, le média, le public, le support. Projeter la croyance: le choix du médium culturel L’amalgame entre afro-américain et africain au niveau culturel relève du fantasme, non assumé et de l’idée qu’il doit forcément exister des liens entre ces populations, basés sur la simple couleur de peau. Les rapports culturels entre Etats-Unis et Afrique sont bien sûr 10 réels, exportation de films , star système, appropriation des symboliques et des produits 11 culturels américains en Afrique , mais ne peuvent être les révélateurs réels d’une attache forte entre acteurs noirs américains et public noir africain. En réalité, cette hypothèse initiale aurait pu être vérifiée, questionnée, mais m’a finalement semblé être trop fantaisiste pour réaliser un sujet d’étude. En revanche, ce fut l’occasion de faire face à une situation inédite pour moi, celle de se retrouver face à un ethnocentrisme, et devoir faire éclater la pellicule qui empêche de prendre en compte les pratiques réelles des futurs interrogés. 10 Aussi bien par DVD qu’à travers la télévision et notamment dans le cas ivoirien du câble et des chaînes françaises telles que Canal +. 11 L’exemple de Nollywood et de l’industrie cinématographique au Nigéria est une piste de ces influences américaines en Afrique. Le travail du photographe Sud-Africain Pieter Hugo sur les réinterprétations des affiches de films américains sous formes de peintures murales et autour des acteurs locaux de l’industrie cinématographique illustre cette relation étroite entre Etats-Unis et Afrique. En terme de production télévisuelle, Abidjan est le pendant francophone du Nigéria. http://fluctuat.premiere.fr/Diaporamas/Hollywoodrevu-par-Nollywood-3490484 et http://www.pieterhugo.com/nollywood/ 9 Ma Famille, Nos Séries et Moi Pieter Hugo« Escort Kama » Nigeria, 2008 12 J’ai donc décidé suite à la lecture d’un article du magazine Jeune Afrique sur l’essor des séries télévisées en Afrique de me focaliser sur le média télévisé. Le choix de la série télévisée est alors apparu comme un objet d’étude bien plus approprié, pour ne pas dire légitime, puisque ce type d’œuvre est plus largement partagé, plus souvent proposé à la télévision, plus simple à réaliser localement et ayant trouvé depuis les années 90 son public, 13 14 productions locales comme importations . Egalement, la motivation de la consommation culturelle n’est plus motivée par un «soi-disant» concept racial mimétique. Ainsi, on a pu constater dans une interview de Cissé Mohammed Lamine, directeur des programmes pour 15 RTI2 , que la chaîne a décidé de se «tourner vers les Télénovelas indiennes (...), décidé 12 13 http://www.jeuneafrique.com/Article/DEPAFP20090826T094126Z/ «Ma Famille» de Akissi Delta (2002-2007), «Faut pas fâcher» de Guédéba Martin (Années 90), «On est où là?» de Ana Ballo (2008-En cours de diffusion) pour ne citer que les plus importantes. 14 Ainsi, de nombreuses telenovelas, séries télévisées brésiliennes, vénézuéliennes, (Source: Bernardo Gutiérrez, La Vanguardia, in Courrier International HS « Brésil » Juin-Juillet-Août 2013) ou bien même indiennes. 15 10 Chaîne de proximité diffusant feuilletons, divertissements et magazines, anciennement appellée TV2. Introduction de (se) débarrasser des Télénovelas brésiliennes parce qu’elles ne tiennent pas compte 16 de (la) réalité». Prétexte à l’étude des liens familiaux et sociaux en ce qu’elle porte d’aspect de culture ordinaire, la série télévisée ivoirienne humoristique repose majoritairement sur l’illustration fictionnelle de moments de famille, de «drama» comme peut le dire Gretta, de vivreensemble, de sociabilité et d’échanges entre individus. L’étude de la réception d’un tel support semble alors un excellent vecteur de découverte des relations intimes des enquêtés avec leur famille et leur identité. Qui interroger ? Resserrer l’enquête et accepter la contrainte Le choix de la Côte-d’Ivoire s’est imposé par envie de fédérer les entretiens par des références communes et autour de la francophonie, facilitant l’échange avec l’enquêté. D’un premier entretien avec G., originaire d’Abidjan, j’ai voulu garder une unité disons, nationale. En effet, les références culturelles se devaient d’être communes et ressérées, encore une fois afin d’éviter les généralisations et de faciliter le travail et la conversation. Fortement ancrées dans l’étroitesse du paysage audiovisuel ivoirien (hors bouquet Canal 17 +, très populaire en Afrique Francophone ), les séries télévisées sont immanquables à la télévision ivoirienne. Cette orientation vers la Côte-d’Ivoire a également dégagé des racines plus anciennes. Suite à une discussion autour de mon sujet avec ma mère, j’ai ainsi pu apprendre que j’étais plus intimement lié que je ne croyais à la Côte-d’Ivoire, mon grandcousin, Jean-Baptiste Kébé Mémél, étant lui-même immigré ivoirien, chirurgien à Paris. Précisons également qu’il s’agit ici d’un travail sur l’éloignement et la migration, au sens où j’ai choisi d’interroger des membres de la diaspora ivoirienne, qu’ils soient aux EtatsUnis ou en France. Autre point important, l’aspect diasporique est assez notable dans le sens où il révèle une distance entre l’enquêté et son pays et donc parfois une complexité à continuer à obtenir les séries télévisées. Le jeu sur les racines et le possible sentiment du manque est 18 également important et influence la perception de l’importance des liens familiaux. En observant les différents interrogés, on notera une cohérence entre eux, malheureuse ou non, elle ne peut être ignorée. En effet, ils ont tous entre 22 et 25 ans, sont pour la plupart étudiants (sauf Katia) et ont tous quitté la Côte-d’Ivoire entre 2000 et 2002 (sauf PhilippeAuguste qui est venu en France en 2011 pour ses études). Ce manque de diversité en terme d’âge s’explique par la difficulté que j’ai pu rencontrer lors de la prise de contact. J’ai tenté à trois reprises l’approche des milieux africains lyonnais, ce qui aurait pu être une belle opportunité mais je me suis heurté au silence des boîtes mails et téléphones du 19 CIRAL puis à une expérience malheureuse d’intermédiaire peu fiable qui m’a fait patienter plusieurs fois. 16 Source: Abidjan.net : «Des Télénovelas brésiliennes aux télénovelas indiennes - Cissé Mohamed Lamine explique» - http:// news.abidjan.net/h/412492.html 17 Cela apparaissant à plusieurs reprises dans les entretiens, notamment avec Gretta et Ivoire. 18 On précise que par famille, on peut éventuellement rapprocher les notions de cercles proches d’amitié, pour des raisons à la fois de commodité mais également de perception de la familiarité en Côte-d’Ivoire et sa capacité à s’étendre aux branches et à s’éloigner du schéma très nucléaire européen (père-mère-enfant). On évoquera donc la famille au sens large s’il y a raison de le faire comme tel. 19 Communauté Ivoirienne de Rhône-Alpes 11 Ma Famille, Nos Séries et Moi J’ai finalement opté pour une technique plus « débrouillarde » en réalisant mes 20 entretiens comme mon premier avec Gretta , c’est-à-dire en demandant à des amis, des connaissances si ils comptaient dans leurs proches des ivoiriens. Ivoire fut donc contactée par le biais d’une camarade de classe, Katia fut rencontrée à un mariage, Hermann est l’ami d’enfance d’un ancien de l’IEP de Lyon et Philippe-Auguste est le cousin de Gretta, à Lyon. Distance et proximité: les nouvelles formes d’enquête Cette proximité entre les interrogés et moi-même semble aller à l’encontre de la logique de rupture épistémologique et de neutralité mais puisqu’il me semblait essentiel d’obtenir un lien intime, ce rapprochement (fonctionnant dans le cas d’Hermann comme une chaîne de solidarité puisqu’il me déclara avant le début de l’entretien: «Je le fais parce que Karim est un pote et que si c’est ton pote, on doit pouvoir s’entendre») était essentiel. Cette proximité était nécessaire d’autant plus que ces entretiens se sont tous déroulés à distance. Originellement, cette distance s’explique par l’impossibilité de me rendre aux Etats-Unis pour effectuer l’entretien avec Gretta. Puis petit à petit, Ivoire et Hermann en 21 région parisienne, Katia en Belgique et Philippe-Auguste à Lyon , la prise de contact par Facebook (instrument important de cette étude, en terme de méthodologie et d’approche) et la communication par Skype ou téléphone se sont imposées. Capture d’écran de la prise de contact avec Gretta 20 21 12 Alors ancienne camarade de chambre universitaire d’une amie commune. Et moi-même à proximité de Nîmes. Introduction A la fois commode physiquement, puisque l’interrogé est dans un endroit qui lui convient, où il se sent à l’aise, chez lui, que discursivement, l’entretien tel qui a été conduit lors de ce travail, tente de se rapprocher de la méthodologie de l’entretien compréhensif décrit par Kaufmann comme «un ton à trouver beaucoup plus proche de celui de la conversation entre deux individus égaux que du questionnement administré de haut». On entendra par discursivement le déroulement de l’entretien, où l’enquêteur est en quelque sorte dématérialisé en tant que questionneur mais semble «prendre des nouvelles» 22 et accorder aux réponses de l’enquêté une valeur de «parole d’or» , bref «rompre la hiérarchie». Par exemple, j’ai ainsi dû rassurer Philippe-Auguste avant le début de l’entretien alors qu’il me disait «espérer bien répondre aux questions», présentant mon travail comme une discussion plus qu’un questionnaire, format trop froid et administratif. L’usage des réseaux sociaux est donc réellement un point important en ce qui concerne cette étude. Loin de vouloir prétendre à l’innovation dans le domaine de l’enquête sociologique, le lien Internet a cela d’intéressant qu’il peut apparaître comme durable en 23 certains aspects. Ainsi, pour au moins deux enquêtés , il y a eu un choix de m’ajouter comme «ami» sur Facebook et ainsi de me laisser pénétrer dans leur univers intime que j’ai alors pu survoler. Les contenus diffusés, les photographies, tous ces éléments que j’ai pu observer m’étant en effet d’une certaine façon, offerts, au même titre que la confiance qu’ils m’ont accordée en me laissant devenir leur «ami». Cette décision s’est prise de leur côté à la suite de l’entretien et je n’aurai jamais pris moi-même l’initiative d’effectuer une telle requête. Cela dit, il est notable de constater que si je peux moi-même accéder à leur vie «intime», du moins, celle qu’ils partagent avec leurs amis, leur famille, ils ont également accès à la mienne. J’ai donc dû faire preuve d’une certaine rigueur et d’un certain sérieux sur Facebook. Ce mélange de l’intime entre l’enquêteur et les enquêtés s’est d’ailleurs accompagné chez Gretta, d’une volonté de suivre le travail. J’entends par là l’envoi de messages instantanés demandant si «Tout va bien?», si «je m’en sortais» et qu’il ne «fallait pas hésiter à demander des contacts». Cette sollicitude s’expliquera plus tard par un certain militantisme de la part de Gretta concernant «l’Africanité», sur lequel nous reviendrons plus tard. Egalement, j’ai pu recevoir de la part de Gretta des «merci» pour m’intéresser à «son pays» et travailler dessus. Il y a donc, une fois de plus, un comportement clairement militant chez cette enquêtée. A l’inverse, Hermann, avant le début de notre entretien téléphonique, m’a lui-même interrogé sur le pourquoi du sujet. Pourquoi l’avais-je contacté? J’ai donc dû dévoiler certains éléments, comme son appartenance à la diaspora ivoirienne et mon travail sur la télévision. Il s’est alors empressé de conclure: «Je ne vois pas ce que tu vas bien pouvoir dire sur la Côte-d’Ivoire», remettant en cause le sujet de l’entretien avant même qu’il ne commence. Malgré tout, il reste que c’est Hermann qui a su me donner les éléments les plus précis en terme de programme (notamment en ce qui concerne les horaires, les grilles de diffusion, les lieux d’échange et certaines habitudes). 22 23 Jean-Claude Kaufmann, «L’entretien compréhensif», 2011, Armand Colin, A savoir Philippe-Auguste et sa cousine Gretta. 13 Ma Famille, Nos Séries et Moi Chapitre 1: La nostalgie du pays: interroger la migration J'ai passé un bon mois dans c’qu'on appelle le tiers-monde Et si j'avais assez d'oseille j'ramènerais tout l'monde « Tontons du Bled, » Album «Les Princes de la Ville» par Rim’K et DJ Mehdi, 1999 Chercher les racines, réaliser des boutures La télévision offre, par sa capacité à diffuser des éléments qui sont assimilés, intégrés dans 24 la culture du public , une catalyse essentielle de construction de l’identité pour ce dernier, plus particulièrement lorsqu’il devient mobile, migrant. Point essentiel de cette étude, la mobilité et la migration peuvent être décomposées lors des entretiens en trois points: ∙ ∙ ∙ Les racines, à savoir la Côte-d’Ivoire où l’ensemble des enquêtés sont nés et ont vécu leurs jeunes années (au plus tard, jusqu’à Philippe Auguste qui l’a quittée en 2011). La nouvelle implantation et les nouvelles constructions sociales (France, Etats-Unis) Le retour aux racines (Voyages aléatoires liées aux aléas économiques des enquêtés ou réel mode de vie partagée entre deux pays comme dans le cas de la mère de Gretta, quelque part entre Etats-Unis et Côte-d’Ivoire.) Ce phénomène de dynamique migratoire a été théorisé en partie par le chercheur Alain Tarrius sous la notion de «transmigrant, comprendre une population «formée de migrants en tournées internationales, de chez eux à chez eux (...)». Egalement, Tarrius signale un point important concernant l’idée de racines et plus particulièrement le rapport au pays natal: «Les renouveaux méthodologiques et théoriques liés à l’apparition de la transmigration des étrangers pauvres aboutissent à la contestation du postulat selon lequel le lieu, du village à la nation, et les hiérarchies identitaires qui lui sont liées, façonnent exclusivement notre vie sociale. (...) Pour les transmigrants, les temporalités des rencontres, des transactions, des côtoiements, des interactions, des échanges proches et distants, précèdent le choix des 25 emplacements d’étapes, leur donnent sens, usages et formes». 24 25 Pour l’auteur, il ferait donc sens de considérer la fin du choix géographique de la migration et de se focaliser sur les interactions et les opportunités comme moteur du «transmigrant». Finalement vite balayées donc, les attaches géographiques (on signalera par exemple En sa qualité de culture ordinaire. Alain Tarrius « Des transmigrants en France », Multitudes 2/2012 (n° 49), p. 42-52.; www.cairn.info/revue- multitudes-2012-2-page-42.htm 14 Chapitre 1: La nostalgie du pays: interroger la migration que Katia après avoir quitté la Côte-d’Ivoire, est allée s’installer en France puis travaille désormais en Belgique, que Gretta a quitté la Côte-d’Ivoire pour aller s’installer aux EtatsUnis puis vivre un an en Espagne) ne peuvent pas être des points de fixation culturels. Le bagage doit être plus mince, plus aisé à transporter. En cela, la visionnage de séries télévisées ou l’écoute de musique par le biais d’Internet est un formidable outil d’entretien du biome culturel communautaire de l’individu en diaspora. Au même titre et nous le constaterons plus tard dans cette étude, les traditions orales et écrites comme les recettes de cuisine, le partage du repas et les « conversations télé » peuvent être intégrés dans ce « bagage diasporique », ouvert aux autres. Ces pratiques culturelles sont ainsi tant de « cartes de visites » du migrant permettant une définition de son identité personnelle mais également la volonté de partager cette identité. Dans le cas actuel, les enquêtés sont tous des étudiants, mais pour au moins deux d’entre eux, le mouvement est fortement lié à la volonté de commerce ou d’acquisition de savoir (Le père de Gretta est un «businessman», Philippe Auguste est en France car « (pour) les études, il n’y pas de formation supérieure, professionnelle ou dans ce secteur en Côted’Ivoire» selon lui). Ces «opportunités économiques occidentales» liées à une volonté ou à un réel «retour au pays» peuvent s’expliquer par une situation politique complexe en Côted’Ivoire que nous évoquerons en deuxième partie de ce premier chapitre. Cependant, les départs peuvent être également motivés par des raisons plus personnelles, comme dans le cas de la famille de Katia, où le couple parental s’étant déchiré, la situation locale ne pouvait plus suivre. Gretta est partie en 2003 et a ainsi quitté le pays à l’âge de 11 ans. De même pour Hermann qui a dû quitter la Côte-d’Ivoire en 2003, à 15 ans. Katia est partie plus tôt, à savoir en 2002, lors de ses 13 ans, elle bénéficie de la double-nationalité au même titre que 26 27 Ivoire . Pour les chercheurs Richard Banégas et Ruth Marshall-Fratani, l’automne 2002 , correspond à «la radicalisation de la violence politique, la généralisation de la guerre et l’internationalisation d’un conflit qui menace l’équilibre de toute l’Afrique de 28 l’Ouest» Fortement impliquée dans ce conflit, la France également ne peut être évincée du schéma ivoirien puisqu’elle commencera tout d’abord par assurer un «service minimum» (à savoir protection des ressortissants et mise en place d’un «cessez-le-feu») puis par l’imposition, 29 à travers les accords Kléber, dit « de Marcoussis » , caduques, offrant le spectacle d’un 30 «néo-protectorat» . Ce «néo-protectorat», terrifiant d’incompétence diplomatique, explique 26 Le père de Katia est de nationalité ivoirienne et sa mère, de nationalité française. La mère de Ivoire est de nationalité ivoirienne et son père, de nationalité française. 27 Plus particulièrement à partir du 19 Septembre 2002, où va se dérouler la tentative de putsch contre le président Laurent Gbagbo. 28 Richard Banégas et Ruth Marshall-Fratani « Côte d'Ivoire, un conflit régional ? », Politique africaine1/2003 (N° 89), p 5-11, URL : www.cairn.info/revue-politique-africaine-2003-1-page-5.htm. 29 Prévoyant le maintien en place du Président Gbagbo et l’entrée des opposants au régime dans les ministères de l’Intérieur et de la Défense, formant ainsi un gouvernement de réconciliation, cela sous contrôle des troupes de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest) et de la France (Opération Licorne). Source : Christophe Champin, Latifa Mouaoued « Côte d’Ivoire, 10 ans de Crise », frise interactive sur RFI.fr , 02.11.2010, modifié le 18.07.2011 URL : http://www.rfi.fr/afrique/20101102-cote-ivoire-10ans-crise 30 Richard Banégas et Ruth Marshall-Fratani « Côte d'Ivoire, un conflit régional ? », Politique africaine1/2003(N°89), p. 5-11. 15 Ma Famille, Nos Séries et Moi cependant l’intimité des liens entre France et Côte-d’Ivoire et le constat de la France comme terre d’asile pour les réfugiés ivoiriens. Le retour au pays Le phénomène de «retour au pays» est très différent suivant les entretiens. Cela s’explique par des situations sociales et économiques assez diverses. En effet, bien que les interrogés bénéficient tous d’un statut d’étudiants, leur origines sociales conditionnent leur capacité et leur volonté de rentrer. Katia, qui «crève d’envie d’y retourner», n’y est pas «retournée depuis que (sa famille) a déménagé» mais n’a finalement pas pu y aller pour cause «d’augmentation du billet d’avion». Cette volonté de revenir en Côte-d’Ivoire s’explique par une volonté de retrouver ses racines, de faire «ce processus de retour aux sources». Elle parle volontiers d’un «gros 31 vide» et explique qu’elle a recommencé à s’intéresser à son pays il y a «environ 2 ans» , notamment à travers de «petites comédies ivoiriennes» trouvées sur Internet, «des spots publicitaires ivoiriens, à retourner voir des sites ivoiriens sur la politique, l’économie, la culture». Jusqu’ici, elle n’est jamais retournée en Côte-d’Ivoire puisqu’elle a vécu avec sa mère et ses soeurs à Vannes dans le Morbihan, la Bretagne étant la région dont est originaire sa mère. Cette dernière n’a jamais poussé ses filles vers la Côte-d’Ivoire et Katia a insisté à plusieurs reprises pour préciser que cette décision est une «démarche personnelle». Pour ce qui est de Hermann, on retrouve plus ou moins la même raison de l’impossible retour, à savoir que «le billet coûte cher». Cependant, ce dernier ajoute à cela une raison moins économique et plus personnelle, c’est que «là-bas, ça travaille». N’étant pas intégré dans le planning professionnel de sa famille là-bas, il ne peut venir quand cela lui convient (particulièrement économiquement) et se voit alors éternel touriste, dépendant des obligations professionnelles de ses proches restés en Côte-d’Ivoire. Famille éclatée, le père d’Hermann est en effet resté en Côte-d’Ivoire avec ses frères alors que sa mère est partie en France, où Hermann a des cousins. Ivoire, par le biais de sa mère qui «vit plus ou moins», y va elle très souvent, «en moyenne tous les deux mois», ce qui implique un coût énorme, ne serait-ce qu’en terme de voyage. Elle souhaite s’engager professionnellement dans la vie ivoirienne, dans une agence de publicité forte de 22 succursales en Afrique, au sein de laquelle elle aimerait réaliser un stage afin de «restructurer», ces dernières ayant «un peu de mal à communiquer entre eux». Cette entreprise est celle de sa mère, «pas assez moderne». Pour le moment cependant, sa présence en Côte-d’Ivoire se cantonne à des activités de loisirs, comme «voir des amis», elle reconnaît y aller en «vacances». Gretta est retournée l’été dernier à Abidjan pour effectuer un stage, dans lequel elle reconnaît ne pas avoir «levé le petit pouce». Elle est pourtant comblée de son séjour de deux mois en Côte-d’Ivoire et a été hébergée dans la maison familiale qui n’a «pas changé». Cette notion de «non-changement» pourrait être justifiée par le fait que sa mère fait encore des allers-retours très fréquents entre Abidjan et le Maryland, aux Etats-Unis, à raison de 6 mois sur le sol américain et 6 mois en Côte-d’Ivoire. Selon Gretta, cette dernière ne «s’est pas vraiment adaptée aux Etats-Unis». Dans le cas précis de Gretta, on constate une double description. A la fois un retour aux sources et une forme militante identitaire pour la fille et un déracinement profond pour la mère. Gretta dit ainsi: 31 16 Soit en 2002. Chapitre 1: La nostalgie du pays: interroger la migration «Je ne me considère pas du tout américaine-noire. (...). Moi, je me considère africaine premièrement et un peu américaine. Je n’ai pas vraiment les idées américaines, je n’ai pas ce sens de fierté d’être américaine et d’habiter dans le meilleur pays du monde, fière des libertés que l’on accorde aux citoyens (...). Mais je me sens un peu américaine dans le sens où je pense que j’habite dans le pays où il y a beaucoup d’opportunités et je pense que si tu travailles vraiment dur, tu peux arriver à tes fins». Ce mouvement de retour aux sources, Gretta lui reconnaît une certaine fraîcheur, auparavant «assimilée à la culture américaine», elle n’avait pas «envie de repartir en arrière», dans le «passé». Amitiés, cuisine et différences La diaspora se caractérise par un rapport constant entre «identités et territoires (...) 32 notamment à travers la mémoire collective». Cette idée de territorialité est fortement définie chez les géographes autour de lieux 33 (sanctuaires, lieux commémoratifs, rues, places ...) que l’on qualifiera de «solides». Cependant, les lieux de rassemblement des diasporas sont également «diffus». Ces lieux diffus de diaspora sont les réseaux d’amitiés, de discussion et de partage. La territorialité des amitiés est présente dans les entretiens sous plusieurs formes. Pour Gretta, on ne compte «pas vraiment d’amis ivoiriens» pour elle-même mais pour ses «deux frères, ils ont énormément d’amis ivoiriens» au point qu’elle ne peut «même pas les compter. Ils viennent, ils passent dans la maison». L’espace privé est donc mis à contribution puisqu’il constitue un endroit de retrouvailles privées, loin des symboliques identitaires fortes inscrites dans les définitions géographiques de la diaspora. Aussi, Hermann parle «d’amis qui viennent, (...), à la maison, la daronne met un film, on met un film, on reste devant, on discute». Ces moments de rassemblements permettent en effet le partage d’un moment de convivialité et de culture commune. Ivoire, elle aussi, a conservé des amis ivoiriens à Paris. Elle dit «reproduire le schéma (qu’ils avaient) en Côte-d’Ivoire d’être les uns sur les autres mais ils sont chez moi tous les jours, H24, ils débarquent quand ils veulent». Ce schéma de bande, Ivoire dit le vivre encore plus intensément lorsqu’elle se trouve en Côte-d’Ivoire, se déplaçant toujours à «15 ou 20». C’est alors un «tout autre rapport au groupe». Le déplacement dans les lieux publics pour elle est donc plus restreint en France puisqu’elle va par exemple prendre un café, «à la limite seule ou avec deux copines». On a donc un cantonnement de cet esprit de communauté au simple domaine de l’habitat, du privé. Force est de constater que la vie d’Ivoire s’est déplacée d’un pays à l’autre, conservant ses amis, ces derniers ayant pu «grandir ensemble», «les parents sont copains parce qu’ils étaient à l’école ensemble». A l’inverse, Katia n’a «pas d’amis ivoiriens et encore moins africains, (...), ça ne se compte même pas sur les doigts d’une main». En revanche, elle a pu reprendre contact avec sa famille, en Côte-d’Ivoire dont elle avait été coupée depuis son arrivée en France. Ainsi, 32 Michel Bruneau « Les territoires de l'identité et la mémoire collective en diaspora », L'Espace géographique 4/2006 (Tome 35), p. 328-333 URL : www.cairn.info/revue-espace-geographique-2006-4-page-328.htm 33 Au sens locatif du terme : On citera en exemple la Place Djébraïl Bahadourian dans le quartier de la Guillotière au sein du 7ème arrondissement de la ville de Lyon, reflétant le passage d’une des diaspora les plus connues, la diaspora arménienne, Djébraïl Bahadourian ayant fondé, suite à son immigration en France liée au génocide arménien, une épicerie fine bien connue des lyonnais. (Source: Site de l’épicerie Bahadourian; http://www.bahadourian.com/epicerie-en-ligne.php ) 17 Ma Famille, Nos Séries et Moi un «oncle qui venait un peu plus souvent» et dans la région, a pu lui permettre de renouer avec sa famille. Egalement, son «retour aux sources» se fait par le biais d’une cousine qui lui fait découvrir une série télévisée intitulée «On est où là?». Cet évènement s’ancre aussi dans le cadre privé puisqu’adaptée en Bande-Dessinée, cette série est offerte à Katia par sa soeur lors des fêtes de Noël 2012. Depuis, elle les a «toutes achetées et cet été, le film sort!». Elle continue également, sans amis ivoiriens, de tenir des pratiques de son pays d’origine comme la cuisine. Elle dit adorer «manger ivoirien, faire des repas ivoiriens, inviter des amis à manger ivoirien», cela étant lié au fait que «petite, en Côte-d’Ivoire, (elle) adorait déjà faire à manger» avec «l’armée d’employés qui cuisinait» pour la famille. Aussi, Philippe-Auguste qui dit s’être demandé en arrivant «Où est-ce que je peux trouver des trucs que je mangeais chez moi?», adore faire la cuisine traditionnelle ivoirienne même s’il reconnaît que sa soeur ne le trouve pas bon cuisinier. Ces pratiques de rassemblements, de cuisine, de fêtes, sont un moyen comme un autre de retrouver ou de trouver ses attaches culturelles et identitaires. Le constat est qu’il existe une certaine forme de militantisme dans ces pratiques. Pour autant, il ne faut pas donner à ce terme un esprit conquérant, violent mais y voir une façon de partager sa culture et de se mêler avec les populations également présentes sur le territoire. Ainsi, PhilippeAuguste dit apprécier d’avoir retrouvé ses amis ivoiriens du lycée mais également avoir envie «d’autre chose, (...) de voir ailleurs», et affirme «qu’à une fête ivoirienne, tu vas trouver des chinois, des thaïlandais, de tout». Il maintient aussi que les ivoiriens sont «ceux qui se mélangent le plus parmi les africains». Etrangement, cette vision de la Côte-d’Ivoire semble s’exprimer chez Philippe-Auguste en réaction à des idées politiques qui ont jalonné les années 2000 et particulièrement l’idée d’ivoirité, sorte de préférence nationale, liée à des concepts économiques de «consommer ivoirien» débordant sur des notions d’exclusion, de nationalisme inquiétant et discriminatoire liées à une vision restrictive et ethnonationaliste 34 de la citoyenneté. Philippe-Auguste défend alors d’une certaine manière, «l’utopie d’un monde sans frontières et fraternel inspirant ceux qui s’y 35 reconnaissent comme ceux qui s’y réfèrent». Le magasin Géographiquement, Gretta pense être dans une zone où la diaspora ivoirienne est peu représentée ou du moins être dans une «communauté pas aussi large par rapport aux 36 anglophones» . Elle dit ne «pas avoir accès aux films de (son) pays d’origine» et pas les «moyens d’avoir les CD, les DVD», de même qu’ils ne peuvent pas regarder la «télé ivoirienne». Les africains anglophones bénéficient de «magasins qui leur vendent de la nourriture de leurs propres pays, des gens qui emportent des trucs que tu trouves que en Afrique». Pour trouver des biens, Gretta doit donc passer par des magasins africains n’étant pas spécialisés sur son pays, parce qu’il «n’y a pas un ivoirien qui a ouvert ce genre de magasin ici». 34 « Ivoirité, immigration et nationalité », Politique africaine 2/2000 (N° 78), p. 63-64. URL : www.cairn.info/revue-politique- africaine-2000-2-page-63.htm. 35 Chantal Bordes-Benayoun « La diaspora ou l'ethnique en mouvement », Revue européenne des migrations internationales 1/2012 (Vol. 28), p. 13-31 URL : www.cairn.info/revue-europeenne-des-migrations-internationales-2012-1page-13.htm 36 18 «Les libériens, les nigériens, les ghanéens (...)» Chapitre 1: La nostalgie du pays: interroger la migration Le magasin est important pour le migrant puisqu’il représente un point de repère sensible pour retrouver certaines attaches, aussi bien en terme d’alimentation que de pratiques culturelles. Ainsi, on y trouve «des films de leurs pays d’origines» pour Gretta. 37 Philippe-Auguste lui dit que lorsque «tu arrives en France» , le magasin est le «premier repère». Lyonnais, Philippe-Auguste compare alors les magasins de Saxe-Gambetta, qu’il qualifie de «référence», où il fréquente à la fois un magasin indien distribuant de nombreux 38 produits africains et également un autre magasin, lui, essentiellement ivoirien. Hermann, à Paris, a plus de chance pour trouver les biens ivoiriens dont lui ou sa mère ont besoin. A la recherche des DVD de comiques africains, Hermann conseille de se rendre vers Châteaud’Eau, dans le 10ème arrondissement, connu pour ses coiffeurs ou Château-Rouge, où il n’y «que ça», le quartier entre la Goutte d’Or et Clignancourt, dans le 18ème arrondissement de la capitale, connaissant, pour m’y être rendu moi-même, un impressionnant marché distribuant des denrées exotiques. Urban Oasis 8, Richard Vantielcke Guerre civile et conflits culturels Hermann, Gretta, Katia, Ivoire ont quitté la Côte-d’Ivoire entre 2001 et 2003, suite à la guerre civile ayant éclaté au sein du pays. Philippe-Auguste n’est quant à lui qu’un récent migrant puisqu’il est arrivé en France il y a maintenant deux ans pour des raisons scolaires. 37 Le «tu arrives» semble ici englober un migrant fantasmé, une personnalisation de l’Africain mobile, sorte d’«Englishman in New-York», comme dans la chanson de Sting. 38 Le Madras Bazar, Mais attention à ne pas acheter de bananes plantain dans ce dernier, Philippe-Auguste, lui, dit préfèrer aller prendre les produits frais dans le magasin ivoirien. 19 Ma Famille, Nos Séries et Moi Le migrant et conflit L’importance du conflit en Côte-d’Ivoire est inestimable en terme de retombées. Nous ne nous prêterons pas à une analyse poussée des raisons et des répercussions géopolitiques de cet évènement majeur pour le pays. Justifions cependant cette décision par deux idées simples: la première étant que le sujet de cette étude, bien entendu, ne peut esquiver cette crise mais que justement n’a pas de portée scientifique et géopolitique, le risque ayant été de noyer la réflexion autour des pratiques culturelles et télévisuelles. La deuxième idée est que la crise ivoirienne est certes un point de départ à une réflexion sur les mouvements diasporiques, créées dans la violence et du départ forcé, dans une optique sociologique mais nous n’en faisons pas la thèse principale de ce travail. Nous évoquerons ainsi la guerre civile puisque cette dernière apparaît dans les entretiens mais nous la lierons intimement à la thématique du «conflit culturel», où l’interrogé, de par son aspect mobile, connaît des frictions, aussi bien avec son pays d’accueil que son pays d’origine. La guerre civile que nous avons déjà brièvement évoquée précédemment résonne dans les paroles des interrogés comme un bruit de fond, un point de départ, leur départ (sauf dans le cas de Philippe-Auguste). Cet événement majeur de la vie sociale ivoirienne a eu des effets socio-économiques, traumatiques, sensibles dans les vies des interrogés, qui audelà du fantasme de l’unité dans la crise, révèle des fractures. Fondement de la diaspora, le conflit peut se révéler comme facteur de division. En effet, le risque étant que «l’usage sociologique» selon Bordes-Benayoun, penche pour «une vision communautaire». Comme l’exprime la chercheuse, «la valorisation de la diaspora s’explique pour partie par la fascination qu’exercent la solidarité et le sens de l’entraide, stéréotypes qui sont volontiers associés aux diasporas, face aux excès de l’individualisme. Cette surestimation du communautaire conduit alors à mésestimer la dispersion. Or le phénomène de la diaspora, au sens de la dispersion, est exponentiel. La dispersion affecte le groupe lui-même, non seulement pour des raisons compréhensibles, liées à la diversification linguistique et culturelle engendrée par l’éclatement spatial, mais aussi parce que les relations aux autres sont constamment retravaillées dans 39 l’expérience diasporique». Pour Gretta, la guerre a été symbole d’effondrement économique. Son père avait alors une société et lorsqu’il y a eu «la crise politique, ça lui a causé une crise économique dans ses affaires». Il choisit donc de partir. Gretta rapporte que son père justifia ce départ par le fait que «c’était un coup trop dur et il ne pouvait maintenir le même style de vie qu’avant». Cependant, elle maintient qu’il a «claqué trop d’argent» et qu’il a «mal géré ses affaires». Amère, elle regrette la situation de ses parents, arrivés aux Etats-Unis, obligés de faire des «boulots de merde, des trucs qu’(elle) n’arrive même pas à imaginer». Mais nous y reviendrons par la suite. Concernant la guerre civile, Hermann n’en parle pas ou bien du moins, pas là où je m’y attendais. Cela s’explique peut-être par mon approche de l’interrogé. En effet, sa rencontre s’est faite par l’intermédiaire d’un ami qui a commencé par me dire : «Ecoute, tu peux lui poser toutes les questions que tu veux, mais je te préviens, il est chrétien et pro-Gbagbo, donc évite de parler du conflit ou il va se fermer, il n’aime pas en parler». Je décide alors de ne pas trop l’interroger de front mais de ruser, en demandant dans quel contexte il est arrivé 39 Chantal Bordes-Benayoun « La diaspora ou l'ethnique en mouvement », Revue européenne des migrations internationales 1/2012 (Vol. 28), p. 13-31 20 Chapitre 1: La nostalgie du pays: interroger la migration en France mais ce dernier ne donne pas de détail sur son départ en 2003. Puis, alors que nous discutons de la place des femmes devant la télévision, il finit par me dire: «Elles sont à la recherche de ces émotions qu’elles ne trouvent pas toujours, tu sais la Côte-d’Ivoire, c’est un pays pas facile depuis le début des années 2000 (...). Elle veulent voir autre chose que de la souffrance, ça fait du bien.» Nous reviendrons sur cette partie de la discussion dans le deuxième chapitre de cette étude mais j’ai jugé important de la faire apparaître tout d’abord dans cette première partie puisqu’elle intègre sensiblement le conflit aux thématiques de pratiques culturelles. Philippe-Auguste, même s’il n’a pas immigré au moment le plus fort de la crise ivoirienne reconnaît des liens entre crise ivoiriennes et migration. Selon lui, «il y a eu énormément d’événements en Côte-d’Ivoire et le pays est passé d’un rythme ralenti au point zéro». Pour lui, cela va même plus loin puisqu’il affirme que «l’art est mort» en Côte-d’Ivoire, la faute à l’absence de «structures artistiques fiables». Cela s’explique pour lui par la guerre et le ralentissement du pays. Pour Ivoire, le conflit est intimement un souvenir traumatique qui prend ses racines dans les pratiques télévisées. Elle raconte alors : 40 «C’est la RTI . Quand on a été rapatriés et quand il y a eu la guerre, ça a été déclenché à la télé surtout. Je me souviens, gamine, assise devant la télé en entendant des choses affreuses à la télé (...). C’est vrai que la télé ivoirienne, j’ai un peu de mal.» Il semble alors que la pratique culturelle, l’activité de loisir qu’est de regarder la télévision s’est muée en rejet, la télévision ivoirienne ayant véhiculé pour Ivoire, un grand nombre de contenus l’ayant dégoûtée. Imaginant au prime abord ce constat de la part d’Ivoire comme fermant la conversation, il s’est en réalité montré extrêmement intéressant puisqu’offrant une nouvelle vision très «occidentale» du conflit et une conception de la télévision ivoirienne et de la culture de la Côte-d’Ivoire démarquée du discours des autres interrogés. Cet aspect du dialogue sociologique et de l’entretien met en évidence ce que nous appelons dans cette étude le conflit culturel, qui sont en réalité les frictions entre ce que les interrogés considèrent comme leurs schémas référentiels socio-culturels (ce qui est bien pour la société, quelle est la bonne culture, le bon goût) et la société dans laquelle ils vivent réellement. Entre leur conceptualisation de ce qui est juste culturellement et de ce qui les entoure, sans nécessairement mettre en opposition d’un côté une culture ivoirienne positive et la culture du pays d’accueil négative. Les frictions culturelles: au-delà de la définition politique d’intégration Assez rapidement et lors du premier entretien, la question de «l’adaptation» apparaît. Eternel débat entre chercheurs et modèles politiques, à la française, assimilation ou anglosaxon de droit à la différence pour grossir le trait, la question de l’intégration, de l’adaptation ou peu importe finalement le terme met en jeu les notions d’entrée de l’individu dans la communauté. Cette entrée de l’individu dans la communauté est conditionnée par plusieurs facteurs dont la liste suivante n’est évidemment pas exhaustive: 40 ∙ Appartenance à une communauté nationale ∙ Appartenance à une religion Radio Télévision Ivoirienne 21 Ma Famille, Nos Séries et Moi ∙ ∙ ∙ ∙ Métiers et éducation Langue Orientation sexuelle Situation économique Cette idée d’adaptation est particulièrement forte pour un migrant puisque d’une certaine 41 façon, il existe, de manière contestable, un sentiment de culpabilisation et de culpabilité en cas «d’échec» de cet adaptation. Cependant, en revenant à la notion de transmigrant de Tarrius, développée en amont, force est de constater que l’adaptation n’est pas un automatisme ou un dû et que la culpabilisation n’est que reliquat politique de temps plus colonisateurs. Bien entendu, ces temps ont marqué les entrelacs entre pays (La France et l’Afrique du Nord et de l’Ouest en est un exemple) mais ne justifient pas un dû, celui de s’adapter. Cette prise de position est bien entendu volontaire, critiquable, mais le modeste travail effectué donne un aperçu fugace de cette situation migratoire pouvant être en souffrance. Autre facette du conflit culturel, la question du rejet. Il n’est évidemment pas question de valoriser une culture que le chercheur juge comme bonne mais d’effectuer une lecture des relations qu’entretiennent les interrogés avec leurs pratiques culturelles. On constate dans les entretiens, un rejet des créations artistiques ou de divertissement de la Côte-d’Ivoire. Bien entendu, ce rejet joue sur une gamme nuancée de la détestation en passant par la nostalgie, l’affection, jusqu’à la pratique habituelle et appréciée. Le risque de cette étude est de ne pas prendre en compte les avis des interrogés pour leur préférer une vision enchantée 42 ou critique des objets culturels qui leur sont propres. Cette caractéristique de l’enquête, visant à écouter et prendre en compte les opinions des interrogés ne doit pas pour autant, comme l’évoque Kaufmann, «se laisser bercer» par 43 les «fables» des interrogés . Ces schémas narratifs («Je ne regarde jamais la télé (...), je 44 pense que c’est une perte de temps» ), assumés ou pas par les interrogés, se voient par la suite contrebalancées par les révélations (sur leurs pratiques en réalité de la télévision: avec les parents, avant, sur l’ordinateur) spontanées lors des entretiens. On constate donc des frictions culturelles chez les interrogés, plus ou moins importantes. Dans le cas de l’entretien avec Katia, elle a décidé de me parler de sa mère. Cette dernière effectuant un blocage total concernant la Côte-d’Ivoire. Ce blocage, d’ordre 45 émotionnel , a des répercussions sur les pratiques culturelles de sa fille, Katia. Elle raconte alors: «J’adore faire des repas ivoiriens, inviter des amis à manger ivoirien. Elle (sa mère donc), n’a pas voulu venir, elle a prétendu être fatiguée, puis en fin de compte, je lui ai redemandé le lendemain parce que je sentais qu’il y avait eu un souci. Elle a fini par avouer que ça la rendait mal. Elle n’avait pas envie d’y penser.». 41 Particulièrement dans des discours politiques comme en ont été témoins les débats sur l’identité nationale tenus sous la présidence de la République de Mr. Nicolas Sarkozy. 42 43 44 45 22 Au sens artistique, jugeant de la qualité esthétique d’une oeuvre. Jean-Claude Kaufmann, «L’entretien Compréhensif», Armand Colin, Paris, 2011 Dans l’entretien avec Gretta, en guise de première parole. Puisqu’il est lié au départ du pays suite à sa séparation amoureuse. Chapitre 1: La nostalgie du pays: interroger la migration Cette fracture émotionnelle liée au père absent est présente également chez Katia et ses soeurs, très fortement chez la plus jeune. Les frictions culturelles ont également été présentes chez Katia dans sa jeunesse, alors qu’elle était d’une certaine façon migrante en Côte-d’Ivoire: «On avait pas un rythme de vie ostentatoire, parce que l’on vivait dans un quartier où il n’y avait que des pures souches. Pourtant, nous, on était des blancs, même moi, qui suis considérée comme noire en France, là-bas, j’étais une blanche». Au-delà de la couleur de peau, Katia se sent très différente de son père, puisqu’elle ne «se voit pas faire des activités culturelles ou physiques avec (son) père. Il est à mille lieues de savoir ce qui (lui) plaît. A un moment donné, il y a un fossé culturel». Le fossé culturel apparaît dans l’autre sens chez Gretta puisqu’elle raconte les problèmes «d’adaptation» qu’a pu connaître sa mère. Très liés au langage, puisqu’elle «ne parle pas anglais» même si elle a «pris des cours dans des églises, des bibliothèques, des cours gratuits, qui ne sont pas vraiment intensifs», cette «adaptation compliquée a débouché sur un «découragement». Les allers retours de sa mère entre Abidjan et le Maryland pour Gretta sont vécus comme un échec. Elle l’explique par la difficulté «pour une personne qui a la quarantaine de s’adapter ici (aux Etats-Unis)» et «d’oublier sa fierté, sa dignité parce que tu te rabaisses beaucoup». La langue, même maîtrisée, semble apparaître comme une réelle barrière à l’adaptation, l’intégration pour Gretta puisque même si son «père parle anglais», il ne peut pas «comprendre l’humour américain». «Il comprend ce qu’il se dit (...) mais si c’est pour regarder des trucs qui sont un peu plus nuancés, où il y a des blagues, des suggestions, des références culturelles, c’est un peu trop. Il n’arriverait pas à rire». Aussi, Hermann, ne peut supporter les films ivoiriens, qu’il juge mauvais, car manquant de moyens. On ne peut, selon lui, pas voir un «film de guerre ivoirien», trop coûteux ou bien si on le voit, il sera de «mauvaise qualité». Gretta abonde dans le sens de Hermann et explique que «la grande majorité des ivoiriens regardent des trucs produits en Europe parce qu’ils ne considèrent pas que ce qui est fait en Côte-d’Ivoire est de bonne qualité et ça les intéresse pas trop». Selon elle, ce n’est «pas un phénomène nouveau». Ivoire, elle, dit détester la télévision ivoirienne, puisqu’elle ressasse ce «souvenir gamin» et qu’elle est convaincue que ses amis partagent ce traumatisme «assis, devant la télé en train de pleurer et en entendant des conneries, des choses abominables comme tu peux l’imaginer». Elle est d’ailleurs peu séduite par les séries ou films ivoiriens, où «ils ne vont pas mettre les pays comme la France en avant». Dans ces séries, les «Français sont méchants». Le pays dans lequel Ivoire a grandi diffuse des programmes qui ne lui conviennent plus. Elle désirerait d’ailleurs travailler dans «la com’» en Côte-d’Ivoire pour changer la télévision et «faire autre chose que de la manipulation en terme de pub, de programmes télévisés, que ce soit plus instructif que manipulateur». De même ambition, Philippe-Auguste, catastrophé par l’oisiveté qui selon lui touche son pays (exception faite des «boîtes de nuit, (...) seule chose que nous avons» et où les «enfants de 13 ans (...) 46 sont en train de boire d’alcool» ) souhaite «développer le secteur du divertissement pour pousser les enfants vers d’autres choses qu’ils devraient faire». Ivoire et Philippe-Auguste semblent convaincus du bien-fondé de leur position. Tous deux parlent de changer le pays, Ivoire me parlant de la télévision comme du «moyen principal pour abrutir les populations et leur raconter ce que l’on veut, leur faire croire des choses» et Philippe-Auguste étant plus concerné par les «mauvaises moeurs» de la jeunesse. 46 On sent alors un certain lyrisme dans ses propos, les « fables » de Kaufmann peut-être ? 23 Ma Famille, Nos Séries et Moi De ces deux discours, on peut imaginer un rejet de la télévision et plus largement du loisir tel qu’il est pratiqué par la population. Ce rejet symbolise cette friction culturelle. Dominique Wolton, pose la question suivante à ce genre de constat dans l’introduction de sa théorie critique de la télévision: «Quelle autre activité culturelle et sociale mobilise autant de passions, si peu de réflexion et tant de lieux communs sur son pouvoir, son influence, la bêtise du 47 public, la passivité du spectateur, l’aliénation de l’image?» Le discours de Philippe-Auguste est à nuancer puisqu’il confère aux «mauvaises moeurs» 48 une origine dans la fin des «émissions intéressantes» à la télévision. Il ne se positionne pas comme Ivoire dans un rejet du support mais dans le rejet de la programmation actuelle, engendrant une forme délaissée de télévision et de divertissement. Egalement, il déplore la fin des «parcs d’attraction, (...), des toboggans, des parcs aquatiques, des patinoires» et trouve «triste de dire ça mais (ses) deux dernières années, en première et en terminales ont été vraiment nulles». Il confie d’ailleurs que son départ pour la France est clairement motivé par une volonté de réussite scolaire. En Côte-d’Ivoire, il n’y a pas pour Philippe-Auguste de «formation supérieure, professionnelle». S’orientant vers des études de design, Philippe-Auguste va plus loin: «L’art est mort, il n’y vraiment plus aucune structure artistique fiable». Cette rupture totale avec les institutions de la Côte-d’Ivoire est à considérer également comme un conflit culturel et un cynisme vis-à-vis de son pays d’origine. Les frictions culturelles pouvant exister entre migrants et leurs pays d’origine ou d’accueils sont révélatrices de la difficulté de justifier une appartenance à un territoire défini. Revenant à l’idée de territoire virtuel, sorte de cartographie mouvante des peuples en migration (et quelle population ne l’est pas?), le «bagage culturel», ce que Bourdieu 49 appelle «capital culturel» est un des points de fixation des attaches individuelles à une communauté ou comme l’exprime Brigitte Le Grignou dans le cadre de la pratique de la télévision, Un groupe éphémère, collectivité physiquement assemblée ou « purement spirituelle », dans les termes de Tarde (1901), pour pratiquer une activité 50 commune (…) Il est impossible cependant de ne pas voir dans ces entretiens la multiplicité des influences et choix de vie, tantôt considérés comme «blancs là-bas, tantôt cuisinant ivoirien pour ses amis, tantôt considérant la télévision comme «moyen principal d’abrutir les populations», tantôt reconnaissant passer une après-midi agréable «à 50 devant la télé chez la grandmère». Après ce premier chapitre aux allures de panorama à humble fondement 51 ethnologique , s’expliquant par une volonté de l’enquêteur de «mener la discussion» lors 47 48 Dominique Wolton, «Eloge du grand public, une théorie critique de la télévision», Champs Essais, Flammarion, 1990 Ces émissions sont pour Philippe-Auguste les «émissions de divertissements pour les enfants l’après-midi» qui étaient «comme le Club Dorothée, un moment de l’après-midi où de 14 heures à 17 heures» le public pouvait regarder des «dessins animés, des productions européennes, françaises, allemandes». 49 50 Pierre Bourdieu, «La Distinction. Critique Sociale du Jugement», Editions de Minuit, Coll. Sens Commun, 1979 Brigitte Le Grignou, « Du Côté du Public. Usages et réceptions de la télévision », Ed. Economica, 2003 51 En ce sens que ce travail ne s’est pas concentré sur un seul aspect de la vie des interrogés mais a tenté de s’ouvrir à d’autres de leurs pratiques comme leurs habitudes d’achat, les repas occasionnels, leurs rapports familiaux… 24 Chapitre 1: La nostalgie du pays: interroger la migration des entretiens, nous aiguillons cette réflexion vers les séries télévisées, élément central de cette recherche.En effet, les questions concernant cette pratique culturelle ont été, au même titre que les questions concernant la famille et les rapports de genre, les plus posées aux cours des entretiens. 25 Ma Famille, Nos Séries et Moi Chapitre 2 : Des séries au fort potentiel sensible : pratiques, famille et liens profonds Où et quand préfère-t-on la télévision et ses programmes? Les entretiens se sont particulièrement orientés vers les pratiques télévisuelles des interrogés. Comme défini en début de ce travail, la télévision et ses programmes sont des objets culturels ordinaires. La définition qu’offre Dominique Wolton de la télévision est la suivante : «Des images, et du lien social. Le divertissement et le spectacle renvoient à l’image, c’est-à-dire à la dimension technique. Le lien social renvoie à la communication, c’est-à-dire à la dimension sociale». C’est sur ce lien social que le travail a été engagé plus en profondeur. Parce que la télévision et plus spécifiquement les séries télévisées sont à considérer à la fois comme «reflet» et 52 «miroir» de la société. Nous avons donc choisi d’interroger les enquêtés sur leurs séries préférées et leurs pratiques télévisées, cela servant de « prétexte » à obtenir des informations sur les séries humoristiques ivoiriennes, pressentant en hypothèse leur importance en ce qui concerne les notions de familles, de migration, de genre et mécaniques sociales. La série télévisée ivoirienne, en plus d’être citée de nombreuses fois en exemple par les interrogés semble bénéficier d’un fort soutien de l’audience locale et d’être également le cheval de bataille de la production culturelle ivoirienne au point qu’on parle dans certains 53 médias de « « Printemps » des séries ivoiriennes » comme d’un phénomène de société. Après avoir longuement hésité sur l’intitulé «Télévision», le choix de garder cette typologie s’est imposé comme plus efficace en terme de clarté même si nous démontrerons que l’objet d’électro-ménager domestique a subi une mutation, particulièrement dans le rapport qu’entretiennent la consommation des séries et l’outil de communication Internet. Du domicile et du divertissement 52 Dominique Wolton, «Eloge du grand public, une théorie critique de la télévision», Champs Essais, Flammarion, 1990 53 Selay Marius Kouassi, « Côte-d’Ivoire : le « Printemps » des téléfilms ivoiriens », 17 avril 2012, Radio Nederland Wereldomroep. http://www.rnw.nl/afrique/article/c%C3%B4te-d%E2%80%99ivoire-le-printemps-des-t%C3%A9l %C3%A9films-ivoiriens 26 Chapitre 2 : Des séries au fort potentiel sensible : pratiques, famille et liens profonds Séries regardées Européennes / Américaines Côte-d’Ivoire Amérique Latine Gretta Hermann Katia PhilippeIvoire Auguste Greys Dexter,Doctor Dexter,Homeland,Roses Greys Spartacus,Vampire Anatomy,Vampire House,Games des Sables Anatomy,The Diaries,Scandal,Games Diaries,Scandal of (Jeune),Sous Walking of Thrones Thrones,Les le Soleil Dead,The Experts Misfits,Les Experts,Esprits Criminels,NewYork Police Judiciaire,Dessins animés (Jeune) Ma Famille,Faut Ma On est où là? Ma Faut pas pas fâcher!,Qui Famille,Spectacle Famille,Faut fâcher! fait ça? comiques : pas fâcher! Gohou Michel Ne donne pas Mari Mar de titres mais reconnaît en regarder, un peu à contrecoeur Sur la somme des entretiens effectués, j’ai eu la chance de rentrer en contact avec des pratiques variées de la télévision. Cependant, cela ne se présageait pas comme une évidence puisque, comme je l’avais déjà évoqué auparavant, les enquêtés sont tous issus du monde étudiant et sont âgés entre 21 et 25 ans. Pour rendre la lecture des pratiques plus digeste, ce travail fait le choix de présenter les séries en tableau auquel le lecteur peut se rapporter en début de chapitre et retrouver le résumé technique des séries télévisées en annexe. Les fréquences, les façons de regarder (à la maison, en famille, seul...), les préférences sont en revanche explicitées in situ. Cela s’explique par la volonté de vouloir rendre un questionnement non pas autour des séries en elle-même mais dans leur réception par les enquêtés. Être ou ne pas être « télé » : pratiques du divertissement télévisuel On constate en premier lieu dans les entretiens un clivage entre ceux qui assument regarder la télévision, assument la présence de cette dernière dans leur vie de tous les jours et ceux 54 qui n’y voit « qu’une perte de temps », qui se « passent aisément de programme télé » . Ces termes employés par certains des interrogés sont en adéquation avec ce que relevait le travail sociologique de Bernard Lahire, cité ici par Philippe Coulangeon : (…) il n’est pas rare que dans les classes supérieures et chez les diplômés, où il n’est pas rare que les téléspectateurs décrivent leurs habitudes – notamment le fait de suivre des programmes « populaires » ou « commerciaux », feuilletons, 54 Ici, Gretta et Katia. 27 Ma Famille, Nos Séries et Moi jeux, variétés, etc. – dans les termes d’un vice dégradant, d’une addiction dont on 55 cherche à se défaire. 56 Il en est effet socialement chargé d’accepter la « conversation télé », particulièrement lorsque cette dernière est essentielle à l’avancée du travail. Le fait de parler de ses pratiques télévisées révèle en effet de l’appartenance à une certaine classe sociale, un peu « prolo », en désaccord avec une vision du monde plus élitiste où la lecture est l’activité intellectuelle 57 et culturelle par excellence . Gretta dit ne jamais regarder la télévision. Etudiante, elle ne peut avoir de télévision puisqu’elle habite en cité. En revanche, elle regarde des séries, sur son ordinateur. Lors de son stage au cours de l’été 2012 à Abidjan, elle reconnaît avoir regardé la télévision mais « France 24, TV5, d’autres chaînes africaines, elle regardait les nouvelles quoi ». Elle se souvient d’avoir longtemps regardé Télé5, avec ses parents notamment, mais trouvait les films « bizarres ». Pour elle, la pratique de la télévision en Côte-d’Ivoire se limite aux informations et aux séries de comédie, qui d’ailleurs tendent à « diminuer avec le temps ». Il est vrai que « Ma Famille », le succès ivoirien s’est arrêté en 2007. Ses frères et sœurs ne peuvent pas non plus regarder la télévision puisqu’aux Etats-Unis, ils n’ont « pas accès à la télé ivoirienne » et son frère à Abidjan préfère « Canal et d’autres chaînes européennes ». Avec son père, elle regarde des émissions de Télé-Réalité, « comme COPS », série suivant des « policiers dans différentes villes américaines qui vont arrêter des gens, répondre à des crises. » Tout comme Gretta, Katia considère que « toutes les choses ne sont pas bonnes à voir » et se « passe aisément d’un programme télé ». Elle déclare cependant avoir regardé des « dessins animés, beaucoup de mangas. Puis en Côte-d’Ivoire, la première série que je regardais, c’est « La Rose des Sables » (…), « Sous le Soleil » aussi, pas mal… On avait le câble quoi ». 58 La « Rose des Sables » est un exemple frappant de souvenir éclair. Diffusé en 1999, ce 59 téléfilm n’a remporté presque aucun succès et arrive au milieu de la conversation en OVNI comme si Katia ne souhaitait me parler que de programmes qu’elle juge mauvais, pour appuyer son choix de ne pas regarder la télévision. En revanche, il lui arrive de regarder une série ivoirienne à l’audience assez restreinte puisqu’elle fonctionne majoritairement 60 grâce à Internet , intitulée « On est où là ? ». Cette série est pour elle, comme expliqué auparavant, une découverte faite grâce à sa cousine qui publie cette vidéo au moyen de son mur Facebook. Cela s’imbrique alors avec son regain d’intérêt pour la Côte-d’Ivoire. Ivoire regarde la télévision. Elle « regarde tout », à choisir, elle regarderait « les Experts ». Elle semble avoir une pratique quotidienne et assez automatisée de la télévision. 55 Philippe Coulangeon, « Sociologie des pratiques culturelles », Ed. La Découverte, Coll. Repères Sociologie, Paris 2005, Nouvelle Edition 2010 56 Dominique Boullier, « La Télévision telle qu’on la parle. Trois études éthnométhodologiques », L’Harmattan, Coll. Champs Visuels, 2003 57 58 59 60 28 Brigitte Le Grignou, « Du Côté du Public. Usages et réceptions de la télévision », Ed. Economica, 2003 En réalité un téléfilm allemand de 180 minutes L’œuvre bénéficie d’une note de 1,6/10 d’après 18 notations sur le site IMDB : http://www.imdb.com/title/tt0229055/. Nous y reviendrons par la suite Chapitre 2 : Des séries au fort potentiel sensible : pratiques, famille et liens profonds « Je ne me pose pas trop la question de si j’aime ou j’aime pas. Je suis plein de séries mais je regarde sur Internet, pas à la télé. Game of Thones, Spartacus, Scandal, Vampire Diaries (…). » Elle regarde au final deux séries identiques à celles de Gretta, « Vampire Diaries » et « Scandal ». « Scandal », dont je n’avais jamais entendu parler avant, met en avant une jeune avocate ambitieuse, ayant une liaison avec le Président des Etats-Unis et interprétée par Kerry Washington, comédienne afro-américaine connue notamment pour le rôle de Broomhilda, amour de Django, interprété par Jaime Foxx dans « Django Unchained » du réalisateur américain Quentin Tarantino. Il serait malhonnête de ne pas évoquer, à un degré certes très lointain, une forme d’attache ethnique et sociale au personnage d’Olivia Pope, jeune afro-américaine ambitieuse et séduisante, Gretta et Ivoire suivant toutes les deux un 61 parcours marqué par une certaine forme d’élitisme, des études supérieures de Gretta au 62 milieu aisé de Ivoire . La télévision, Ivoire la pratique généralement seule, « (…) toute seule, parce que j’ai rien à faire, pour comater, regarder sans regarder en fait. Un peu dans un état végétatif. C’est carrément individualisé, t’arrives, tu me parles, j’entends même pas ce que tu me dis. » 63 En revanche, Ivoire laisse transparaître un profond mépris envers la télévision ivoirienne , cela dû à son association de la télévision ivoirienne avec la guerre civile ayant poussé sa famille et ses proches à quitter le pays. Lorsqu’elle regarde des programmes ivoiriens, ce sont « des extraits pour rigoler dessus ». Elle trouve les « scénarios ridicules, les dialogues absurdes ». Cependant, ces programmes ont une place dans la famille puisqu’elle dit en avoir « parlé l’autre jour », sa mère ayant rapporté des DVD au domicile familial. Elle dit avoir regardé plus jeune des programmes comme « Faut pas fâcher » mais ne le fait plus actuellement. Hermann regarde « la télévision en général ». Soit en « Replay » ou en direct, il regarde beaucoup d’émissions d’informations (BFM…) et de Talk-Show (« On n’est pas couchés » présenté par Laurent Ruquier sur France 2, « Touche pas à mon poste » présenté par Cyril Hanouna sur Direct 8, nouvelle chaîne du Groupe Canal +). Il dit cependant ne pas regarder de fiction ou alors « par hasard ». En ce qui est de la fréquence, il reconnaît avoir « toujours regardé » et déjà en Côte-d’Ivoire même s’il n’y avait pas « mille chaînes ». Il se présente même comme un « dépendant » repenti. J’ai regardé beaucoup la télévision pendant un moment, mais vraiment beaucoup. Lorsqu’il est en Côte-d’Ivoire, il lui arrive de regarder des telenovelas, ces « trucs mexicains, brésiliens ». Par défaut, puisque « tous (ses) potes rentraient ». Alors que les telenovelas ont une diffusion quotidienne, les séries ivoiriennes occupent la case de 19h30, le vendredi, samedi et dimanche soir, « avant ou après le journal ». Hermann dit apprécier « Faut Pas Fâcher ». En France, cependant, il ne « fait pas la démarche de regarder » ces séries ivoiriennes sauf lorsqu’il est à la maison où sa mère ramène très souvent des DVD de comiques tels que Gohou Michel, « le gros truc ivoirien », très connu. 61 Gretta est en effet étudiante à Georgetown, université très prestigieuse de la Côte-Est des Etats-Unis où elle suit des cours d’espagnol et d’économie. 62 Ivoire raconte ainsi dans l’entretien que son père « change de boulot tout le temps. Il travaille pour Bolloré ». Sa mère quant à elle, est à la tête « d’une agence de pub en Afrique ». Elle-même suit une école de commerce comme son petit frère, l’autre étant en école d’architecture. 63 Où les programmes ne sont « pas super bien faits, en terme d’effets spéciaux » par exemple. 29 Ma Famille, Nos Séries et Moi Tu es à la maison, ta mère met (le DVD), tu n’as rien à faire alors tu regardes. La plupart du temps, Hermann ne reste pas regarder la télévision avec sa mère, surtout si c’est un « film, ça (le) gave ». Il « reste si c’est un spectacle par contre ». Philippe-Auguste offre une description de lui-même comme grand consommateur de télévision et de séries télévisées. Il offre une description de sa pratique de la télévision sous le prisme des chaînes qu’il préfère regarder: «(…)Mezzo, les documentaires comme Discovery Channel, National Geographic, les chaînes de la génération électronique comme Game One. » Egalement, il dit beaucoup regarder les chaînes d’informations et parle de France 24 comme de la « chaîne qu’il regarde le plus ». Cette habitude, il semble la tenir de son père qui est selon ses dires « un grand fan d’information », donc chez lui, en Côte-d’Ivoire, c’est cette chaîne qui « passe la plupart du temps ». Lorsque son père ne choisit pas, alors sa mère décide du programme, « prend le monopole » et oriente les programmes vers du divertissement comme les jeux télévisés : « Le Maillon Faible », « Money Drop ». Il y a donc, chez Philippe-Auguste, aussi bien en Côte-d’Ivoire qu’en France, une préférence pour les chaînes françaises. Le seul moment où « on zappe » vers les chaînes ivoiriennes, c’est lors des informations télévisées. Pour lui, « il n’y a pas d’émissions de divertissement » sur les « chaînes mortes » de la télévision ivoirienne. Il aime beaucoup les séries ivoiriennes telles que « Ma Famille » ou « Faut pas Fâcher » qui rappelons-le, se sont arrêtées toutes les deux dans le courant des années 2000. Il y a donc clairement une pratique segmentée du programme télévisée chez les interrogés. Cette pratique se divise en deux grandes catégories dans les entretiens : le programme local du pays d’accueil et le programme ivoirien, regardé en dilettante au moyen d’internet, par hasard, par habitude ou lors du retour au pays. Aussi, la série télévisée mondialisée, regardée sur Internet bénéficie d’une pratique spéciale Préférer la série télé, la passion du feuilleton Gretta pense que « aller sur Internet, aller sur Youtube, c’est pas la même expérience que d’avoir ça à la télé ». Gretta, en regardant seule la télévision et les séries télévisées 64 rompt alors en effet avec le modèle classique (poussiéreux ?) de télévision familiale , et offre peut-être également une attention moindre aux programmes qu’elle regarde, comme peut l’avouer Philippe-Auguste qui voit ça la plupart du temps comme « un truc de fond » où il « capte juste l’essentiel ». Pourtant, lorsqu’il s’agit de « The Walking Dead », sa série préférée, il dit avoir « vraiment besoin de me concentrer parce que c’est un truc qui m’intéresse et c’est une histoire ambiguë ». Comme l’évoque Brigitte Le Grignou, la série télévisée « se prête particulièrement bien, comme le roman-feuilleton, à des appropriations 65 « extra-littéraires » (…)». Cette idée est à rapprocher du travail de Philippe Corcuff autour du perfectionnisme et des cultures populaires, qui lors de son cours « Approches sociologiques et philosophiques des séries télévisées » évoque : « Le perfectionnisme peut marquer notre rapport aux cultures populaires. Cela peut être une grille d’analyse du contenu d’une série (scénario...) et rapport à ces séries (réception). Cette philosophie de la réception a été étendue de Cavell au cinéma vers les séries télévisées par Sandra Laugier. Il y a l’idée d’une 64 Et encore, peut-on qualifier cette pratique familiale de « modèle » ? Elle se doit d’être minorée par l’éventualité de la pratique solitaire de la télévision et l’évolution des modèles familiaux, l’émancipation des individus du foyer et leur mobilité économique. 65 30 Brigitte Le Grignou, « Du Côté du Public. Usages et réceptions de la télévision », Ed. Economica, 2003 Chapitre 2 : Des séries au fort potentiel sensible : pratiques, famille et liens profonds éducation cinématographique ou par la série télévisée. Cette éducation acquise par nos visions des films peut constituer un apprentissage de la valeur propre de son expérience (confiance en soi) à laquelle on apprend à faire confiance dans le rapport de ce qui se passe dans le film (les va et vient entre expériences fictives et réelles). Cavell va suggérer une proximité entre l’expérience du cinéma et certains traits de notre expérience. Cette parenté permet de comprendre comment on se laisse éduquer. On s’intéresse à sa propre expérience par l’expérience du film afin de trouver davantage les mots juste pour dire sa propre expérience. » Cette idée fondamentale de liant entre fiction et vie réelle dans une logique perfectionniste est à rapprocher, pour tempérer l’implication du spectateur, de la notion de « liminalité » mise en place par Jean Bianchi. Ce dernier définit ainsi une distanciation, dans le cas du feuilleton, de la série télévisée, entre le spectateur et le support, épaulée par la recherche d’une « crédibilité ». Cette distance et cette recherche de crédibilité sont le moteur principal de l’usage perfectionniste de la série télévisée, support qui « (…) fournit à son récepteur, par le moyen d’une simulation, l’occasion de tester ses systèmes de défense et ses systèmes de valeurs, de leur faire acquérir sur le terrain, sans risque de la fiction, davantage de souplesse adaptive. (…). La commutation fonctionne comme un sas, une zone franche et mobile entre le 66 monde familier et le monde inconnu. » Même si la distanciation évoquée par Bianchi apparaît comme une théorie satisfaisante, il serait mal d’éluder certaines caractéristiques du public africain qui, semble-t-il serait plus apte à la participation, au moins orale, dans l’œuvre qui lui est proposée de regarder. Aussi, Philippe-Auguste dit que (…) les séries avec ma mère, c’est le théâtre total. Ce qui est drôle, c’est qu’elle fait l’enquête avec l’inspecteur, c’est incroyable. Tu la vois devant la télé, tu as envie de lui dire : « Rentre dedans, vas-y ! » La recherche du divertissement et de l’amusement est essentielle dans la pratique culturelle et le tort que peuvent avoir certains chercheurs, tels que Bianchi est d’intellectualiser trop fortement la pratique. Ce rapport de franchise entre public et œuvre existe également dans le spectacle vivant. Le visionnage des spectacles de Gohou Michel ou de Adama 67 68 Dahico montre un public très réactif, participant avec dynamisme au spectacle. Aussi, la rencontre puis la discussion avec Naomi Fall, danseuse contemporaine française, membre de l’association GnagamiX basée à Bamako, au Mali, m’a conforté dans l’idée du bouleversement radical de point de vue concernant le rapport public-œuvre. « (…)Je suis la seule blanche de la compagnie, quand on va danser dans les rues, parce que c’est notre manière aussi de fonctionner, le public participe, commente, nous dit si il n’aime pas directement pendant que l’on danse, bref il est décomplexé par rapport à l’artiste et à l’œuvre, et ce n’est pas juste parce que nous dansons dans la rue(…) » 66 Bianchi Jean, « La promesse du feuilleton : structure d'une réception télévisuelle » In: Réseaux, 1990, volume 8 n°39. pp. 7-18. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reso_0751-7971_1990_num_8_39_1735 67 68 Tous deux grandes stars du « Stand-up » africain. Parfois de son propre chef, parfois sous l’impulsion du comique. 31 Ma Famille, Nos Séries et Moi Aparté mis à part, on peut constater que dans l’ensemble des entretiens, la fiction, et plus particulièrement la série télévisée, reçoivent la préférence des interrogés en terme 69 de programmes et qu’elle s’accompagne par une consommation presque boulimique. 70 Cependant, l’évolution des technologies, accompagnée d’un processus d’individualisation a modifié les façons de pratiquer la série télévisée. Internet comme solution de repli puis support principal Prenantes, puisque très denses, à la fois dans leur nombre, leur diversité et leur volume horaire, les séries télévisées sont d’autant plus attachantes qu’elles sont intimement liées depuis les années 2000 à une pratique libre, sinon libertaire. Le téléchargement 71 légal ou illégal a forgé cette pratique de la série télévisée, libre de toute grille de 72 programmation, d’horaire imposé . Le spectateur peut alors, s’il le veut, regarder la saison de sa série favorite d’une traite, attendre patiemment chaque semaine le nouvel épisode, les sous-titres adéquats, évidemment réalisé par une communauté de fans, les « fansubbers », passionnés effectuant leur travail dans une illégalité notoire mais respectés 73 et remerciés par les spectateurs des séries télévisées. Il ne semble pas y avoir de sentiment « d’emprisonnement » dans cette pratique de la série télévisée et l’on constate une déculpabilisation totale concernant le téléchargement illégal de la part des interrogés puisqu’elle est liée selon Mark Sweney aux failles des 74 « (…)options limitées du téléchargement légal et des délais de diffusion. » La série se regarde pour la plupart des interrogés, seul(e), devant son ordinateur. Devant l’ordinateur parce que la série passe en effet par Internet, facilitant sa découverte, sa consommation. Pour l’audience non-anglophone, c’est même la première étape, la diffusion télévisée n’arrivant qu’après pour des questions de traductions, d’achats de droits. L’abolition des droits de diffusion par la mise à disposition illégale des œuvres de fictions télévisées fluidifie et tend à faire connaître ces mêmes œuvres. Ainsi, The Guardian 75 définit la série HBO « Games of Thrones » comme « Most Pirated TV Show » avec 76 un record s’élévant à 4,28 millions de téléchargements selon les sources TorrentFreak . On ose imaginer que ce chiffre est encore loin de la réalité puisqu’il ne tient compte que 69 70 Gretta dit par exemple « Je regarde des séries sur mon ordinateur mais à part ça, je ne regarde pas la télé (…) » Lié à une indépendantisation, celle des études, de l’entrée dans le marché professionnel, phase transitoire où aucun ne semble encore être en couple ou installé en tant que tel. 71 Notamment en Amérique du Nord et en Europe du Nord grâce au système Netflix proposant des vidéos à la demande en flux continu et majoritairement des séries télévisées. 72 73 Hormis la sortie des nouveaux épisodes de la séries. Alexandre Pouchard, « Le fansub, sous-titrage illégal des séries télé par passion », 15/06/2010, sur Rue 89/Culture www.rue89.com/2010/06/15/le-fansub-le-sous-titrage-illegal-des-series-tele-par-passion-154999 74 « limited legal download options and airing delays. » Mark Sweney, « Games of Thrones most pirated TV Show », 24/12/2012, The Guardian Online http://www.theguardian.com/media/2012/dec/24/game-of-thrones-pirated-sky 75 76 32 Emission télévisée la plus téléchargée illégalement Mark Sweney, « Games of Thrones most pirated TV Show », 24/12/2012, The Guardian Online http:// Chapitre 2 : Des séries au fort potentiel sensible : pratiques, famille et liens profonds 77 des échanges virtuels comptabilisés sous protocole Torrent et pas des échanges plus « humains », comme l’échange par clé USB du fichier, par site d’hébergement privés (Dropbox, WeTransfer…) ou même du « streaming » que Hermann reconnaît utiliser. Internet est donc lié de très près à ce que Clément Combes qualifie de « sériphilie » qu’il définit comme un (…) néologisme manifestant une volonté de s’affranchir du déprécié statut de fan 78 (Jensen, 1992), tout en circonscrivant un objet passionnel spécifique. Forums faits de communautés de fan, sites dédiés, l’étude de Combes révèle une forte construction de lieux de partages et d’échanges passionnés sur Internet. Expérience télévisuelle ancrée dans le réel, Internet est le lieu de découverte, de suivi puis d’analyse, de réflexion, d’expression personnelle, pour le public autour des œuvres de fiction, où la 79 « conversation télé » est pleinement épanouie. Pour les séries ivoiriennes, la situation est quelque peu différente puisque la pratique télévisée se fait plus difficilement. Le facteur de diffusion de ces séries reste essentiellement 80 local et les vidéos se partagent sur Youtube, WatTV , ou bien à travers les réseaux sociaux tels que Facebook. C’est d’ailleurs sur Facebook que Katia dit avoir redécouvert les séries humoristiques ivoiriennes, avec l’exemple de « On est où là ? ». Les plateformes sociales d’échanges de données, comme Youtube sont une manière pour le public d’accéder à des objets culturels qu’ils ne pourraient pas en temps normal retrouver sur les canaux traditionnels (comme la télévision). Gretta dit d’ailleurs de son frère que «(...) quand il est à la maison, il est sur des sites ivoiriens, en train d’écouter de la musique, en train de regarder des clips sur Youtube (…) » Formidable outil de partage pour le migrant, Internet permet de suivre et garder contact avec certains aspects immatériels de sa culture personnelle (musique, émissions, séries télévisées) lorsque les médias classiques du pays d’accueil ne sont plus les mêmes que ceux du pays d’origine. Ainsi, une simple visite dans un lieu d’accueil bénéficiant d’un accès 81 à Internet et de postes informatiques, comme par exemple une bibliothèque municipale , offre le spectacle de nombreux migrants profitant d’une demi-heure de libre accès pour regarder clips, séries, informations concernant leur pays d’origine. Le médium comme lien familial Ma famille, on pourrait faire un film! Gretta 77 Protocole d’échange de données fonctionnant sur base de peer-to-peer, c’est à dire, un échange de données par petits paquets formant en finalité un fichier entre individus, recevant et émettant à la fois ces petits paquets de données. 78 Clément Combes « La consommation de séries à l'épreuve d'internet », Réseaux 1/2011 (n° 165), p. 137-163. www.cairn.info/revue-reseaux-2011-1-page-137.htm 79 Idem 80 81 Comme le décrit Hermann. On citera en exemple la BM de Lyon, celle de Part-Dieu ayant le parc informatique le plus large du fait de sa taille. 33 Ma Famille, Nos Séries et Moi Les prémisses de ce travail se sont construites intimement, en amont, et sont mêlées au premier entretien, celui que j’ai conduit en Février 2013 avec Gretta. Lorsqu’en conclusion de notre discussion, Gretta finit par s’exclamer « Ma famille, on pourrait faire un film ! », tout se met en place. Les premières hypothèses, celles concernant l’importance de la fiction dans les relations sociales, les théories évoquées lors des lectures de Philippe Corcuff dans son 82 cours sur les « Approches sociologiques et philosophiques des séries télévisées » , tous ces éléments rentrent en orbite puisque le témoignage de Gretta offre de surprenant ponts entre les agencements familiaux, entre acteurs de la cellule familiale et leurs consommations culturelles. Pourquoi intimement ? Il faut se l’avouer, le travail de recherche nécessite, il est clair, une forme d’autobiographie, comme peuvent en témoigner la méthodologie d’étude de Richard Hoggart, ou en tout cas, l’analyse qu’en fait Jean-Claude Passeron en présentation 83 de la première traduction de « La Culture du Pauvre » . Humblement et à un niveau bien 84 moindre, j’ai donc choisi de m’engager dans, comme le dit Passeron, « un travail sur soi à la fois sociologique et auto-analytique ». Intimement donc parce que la pratique familiale de la télévision et plus particulièrement de la fiction télévisée (aussi bien film que série télévisée) est une occupation que je reconnais avoir longtemps pratiquée et pratique encore. Ainsi, nombreux furent les étés où « Fort Boyard » marquait mes samedis soirs, où le ronronnement des enregistrements cassettes des films de deuxième partie de soirée le dimanche baignait la salle à manger et où encore maintenant, je partage presque un soir sur deux si ce n’est tous les soirs, un moment familial, disons même convivial lorsque je rentre au domicile parental. Deux choix peuvent alors s’offrir à moi en cas de « soirée télé » : Regarder les programmes que mes 85 parents ont choisi : « Hawai, Police d’Etat », « Boulevard du Palais », « Les Experts »… ou le film du soir. Ou alors, proposer mes propres ressources, ce qui généralement entraîne le visionnage d’une saison complète sur une courte période. Ainsi, l’intégralité de « Games of Thrones » fut visionné en l’espace de 3 semaines lors de l’été 2012. C’est donc également ce constat sur ma propre vie et mes habitudes qui a orienté ma recherche. La télévision, si souvent critiqué pour son individualisme, son oisiveté intellectuelle peut aussi être un vecteur de rassemblement, pas seulement dans une dimension purement virtuelle (un audimat, un public) mais également dans une dynamique concrète et plus particulièrement au sein du noyau familial, peu importe sa composition. Deuxième aspect de ce constat, la discussion autour de la télévision, et plus spécifiquement des productions télévisuelles, permet une conversation sur la famille, particulièrement lorsque que les supports discutés (ici, les séries télévisées ivoiriennes) tiennent elles-mêmes un discours sur la famille. Cette réflexion peut se rapprocher d’une des typologies de Mary Ellen Brown, dans son étude sur les Soap Opera et les conversations des femmes. Elle y situe plusieurs déplacements du discours lors d’une conversation sur les programmes télévisés : ∙ House chat : Discussion sur la vie familiale 82 83 84 Cours donné dans le cadre de son enseignement durant le premier semestre 2013 à l’Institut d’Etudes Politique de Lyon. Richard Hoggart, « La Culture du Pauvre », Editions de Minuit, Coll. Sens Commun, 1970 Jugé peu académique, l’usage de la première personne se retrouve de nombreuses fois dans cette étude, cela n’évente cependant en rien le travail puisqu’il fait figure de justification concernant la direction prise par ce dernier. 85 Qu’ils regardent d’ailleurs en version française, mon père maîtrisant mal l’anglais malgré tous les efforts de ma mère (professeur d’anglais retraitée) pour son apprentissage. 34 Chapitre 2 : Des séries au fort potentiel sensible : pratiques, famille et liens profonds ∙ Chatting : Confidences mutuelles ∙ Bitching : Mécontentement ou frustration liée à la place des femmes ∙ Scandal : Jugements moraux . 86 En revanche, et contrairement au travail de Mary Ellen Brown, notre travail n’a pas fait appel à des conversations de groupe même si cela aurait été nécessaire afin de mettre en évidence le pouvoir du groupe sur l’individu en terme de « goût culturel » ou l’absence d’un tel pouvoir. Cependant, l’idée d’avoir une bascule de la « conversation télé » vers une « conversation famille » est présente dans ce travail, bien évidemment conditionnée par des questions de l’enquêteur, mais en lien direct avec les paroles des interrogés. « House chat » Il est donc fortement question de famille lors de ces entretiens. On peut diviser sur le fond, les discours sur la famille en deux : ∙ L’implication familiale dans les pratiques télévisées ∙ « L’histoire de famille » Volontairement, il est amusant de jouer sur les mots tant cela ouvre des pistes en terme de réflexion. Lors de la discussion avec Gretta, son explication du fonctionnement familial ivoirien est tellement proche de sa description des schémas narratifs des séries que la question suivante lui est posée : - Ça, c’est des trucs que tu as vus dans la série ou en vrai ? - C’est des trucs de vie, réels, pas seulement dans les séries ! Les séries reproduisent ces situations mais c’est des situations qui sont très réelles. De la série « Ma Famille » à la famille, il n’y a alors qu’un pas qui forgera une des hypothèses principales de ce travail : les séries télévisées nourrissent les relations sociales au sein de l’espace familial et cet espace familial inspire les créateurs de ces mêmes séries télévisées en offrant un matériel brut pour la création d’une œuvre culturelle. Même si cette idée de vaet-vient d’influence entre œuvres culturelles et société n’est pas nouvelle, son application à un pan culturel tel que la télévision est une forme volontaire de prise de position. Pour aller plus loin, on peut qualifier la fiction télévision de « parent pauvre » du cinéma. Dès lors qu’il s’agit, en plus de sitcom africaines, bénéficiant de très faibles moyens financiers et d’un casting parfois difficile d’accès, le vernis de la banalité pourrait se montrer comme un repoussoir. Or, l’intérêt porté par les Ivoiriens pour ces séries, nous parlions auparavant du phénomène « d’accros » de la télévision, offrent une formidable vision sur la place d’importance dont bénéficie la série télévisée dans le pays. Cela mêlé à la pratique des séries télévisées par les migrants, on peut recueillir des expériences de vie sous couvert d’une discussion télévisée. Parler de soi et des siens : la série comme prétexte Ainsi Gretta tente donc de nous offrir, par petits exemples, sa vision de la famille africaine : Les familles africaines, par exemple, tu as le père qui a son frère ou sa sœur qui habite dans le foyer, parce qu’en général, le foyer, ce n’est pas papa, maman et enfants. La première partie de cette définition donne la perspective de la famille étendue et de l’importance des oncles et des tantes. Continuons. 35 Ma Famille, Nos Séries et Moi (…) Il y a toujours des problèmes qui s’engendrent comme ça avec ce genre de situation. Ou bien la femme qui a eu des enfants avant de connaître son mari, (…), donc elle a ses enfants dans le même foyer, ça aussi, ça produit des problèmes. (…). Ou il y a quasiment le monsieur qui a eu des enfants qui vivent dans la maison, qu’il a ramené après et la femme de la maison les élève (même si ce ne sont pas les siens NDLE) Gretta voit donc la famille recomposée ivoirienne comme porteuse de problèmes au sein du foyer. Ou il y a le monsieur qui trompe sa femme et la femme le sait mais elle ne lui parle pas de ça, donc il y a des tensions qui sont créées. Elle voit les relations familiales, amoureuses, comme problématiques mais minore cet aspect en lui donnant un pendant théâtral, dédramatisant ces situations de tension qu’elle même connaît. Elle a en effet une grande sœur, issue d’une première union de son père. 87 Cette grande sœur, par bien des aspects , cristallise ces tensions familiales et devient presque un sujet tabou, au sein d’une famille où On pourrait faire un film ! Ma famille c’est « drama », c’est toujours des histoires et quand on se parle, on se parle comme si on se dispute ! Tout le temps ! Tu connais, c’est les africains, quand ils se parlent c’est comme si ils font des histoires mais c’est pas vraiment des histoires. Les vraies fractures, les réelles failles résident alors peut-être dans le silence, les nondits. Sa sœur s’est, d’une certaine manière, trouvée en dehors de la logique de famille 88 étendue . Pour Gretta, elle a surtout préféré prendre un mode de vie très américain 89 (religion, habitat… ). Elle est mariée, elle a épousé un américain et (…) elle est devenue très religieuse. Donc ça c’est un truc qui m’a dérangé quand je suis allée la voir. (…) Ma famille, c’est une famille recomposée. Donc il y a ma mère qui a eu mon grand-frère qui est en Côte-d’Ivoire, elle a rencontré mon père et m’a eu moi. Mon père, il a eu ma grande sœur et mes deux autres grands frères (…). Deux idées peuvent se dégager d’un tel processus de séparation. Tout d’abord, la rupture avec la famille peut priver l’individu des « aides et des services que la famille élargie assure », tout autant de « soutiens à l’indépendance du couple, à la nouvelle famille et aux 90 membres qui la composent » . En effet, et toujours d’après François de Singly, « (…) la force et l’utilité du réseau familial peuvent donc soutenir le processus 91 d’individualisation de chacun » Cependant, revers de la médaille, la famille peut également se révéler comme étouffante par sa présence, niant les individualités, comme lorsque Gretta dit que les membres de sa famille : 87 88 89 90 91 36 Décrite puis omise lors des présentations familiales au début de l’entretien, puis largement évoquée en fin de discussion. « Il y a un froid qui s’est installé entre elle et mon père et ma mère, parce que ma mère, c’est pas sa mère. » Devenue très chrétienne, elle a choisi de vivre avec un blanc, en Indiana, loin du Maryland où vit le reste de sa famille. ème François de Singly, « Sociologie de la Famille Contemporaine », 4 éd, Armand Colin, Coll. Domaines et Approches, 2012 Idem Chapitre 2 : Des séries au fort potentiel sensible : pratiques, famille et liens profonds « veulent me voir tout le temps, ils ne comprennent pas que j’ai une vie, au dehors de la famille et que je me forme mon propre réseau social ici. Ils ne comprennent pas ça, que je ne considère pas le Maryland comme vraiment ma maison (…). Ce passage dans la conversation de la pratique culturelle à la vie intime s’effectue également lors de la conversation avec Katia. Lorsque je demande à cette dernière si elle échange beaucoup de vidéos ou de séries avec sa cousine, sa famille, elle préfère parler de ses relations familiales dans une tonalité plus personnelle : « Ma famille n’a jamais été très « famille » justement. On restait souvent entre nous, même pour Noël et en fin de compte, je n’ai jamais eu vraiment de vrais contacts familiaux, de cousins, de cousines avec les enfants de mes oncles et tantes. Je n’entretiens pas beaucoup de contact, ça reste très cordial. Trois choses intéressantes concernant cet extrait. Tout d’abord et nous l’avons évoqué, le 92 glissement de la « conversation télé » vers le « House Chat » . Secondement, la reprise de la typologie de dénégation « ne pas être très… ». Comme l’explique Dominique Boullier, (…) ce raccourci signale précisément une abolition de la distance : « être gâteaux », c’est aimer tellement les gâteaux qu’on peut résumer un trait de la personnalité par cette raison. On parle du goût, mais au-delà de la « raison », 93 plutôt de l’ordre de la pulsion et plus est de l’ordre de l’habitude. Etrangement, Boullier dénote cette forme de discours particulièrement dans son étude sur les pratiques télévisuelles et le fait d’ « être télé ». On ajoute que cette typologie apparaît dans la conversation avec Philippe-Auguste. « C’est là-bas (en Côte-d’Ivoire) que tout a commencé. On est une famille « très télé ». Il y a la télé partout. Du salon à la salle à manger en passant par les chambres. Il n’y a pas un endroit où tu vas pas trouver un écran noir. » On propose donc alors d’établir un lien entre la famille et la télévision dans le sens où ces deux derniers, attributs sociaux pour Katia peuvent être considérés par les acteurs comme une norme, un standard social : regarder la télévision ensemble, se rendre à des 94 repas dominicaux , faire « Noël en famille » forment une sorte de fantasme, convoité ou rejeté, c’est selon. Nous y reviendrons dans notre troisième chapitre: « La télévision, une habitude culturelle et sociale ? ». Les liens entre télévision sont très profonds puisque le même glissement se réalise une seconde fois dans la conversation avec Katia lorsque l’on évoque les séries télévisées ivoiriennes. « Ma grande sœur, elle est plus comme moi, elle s’y intéresse de près (aux séries ivoirienns, NDLR) mais pas trop. Par contre, ma petite sœur, c’est sûr que non. 92 M-E Brown, « Soap Opera and Women’s Talk. The Pleasure of Resistance », Sage, 1994, citée en exemple par Brigitte Le Grignou, « Du Côté du Public. Usages et réceptions de la télévision », Ed. Economica, 2003 93 Dominique Boullier, « La télévision telle qu’on la parle. Trois études ethnométhodologiques », L’Harmattan, Coll. Champs Visuels, 2003 94 Cité ici comme exemple personnel, moi-même n’ayant jamais vécu ce type de réunion, relevant du domaine du fantasme et des récits d’amis : « Je ne peux pas, j’ai « repas de famille » mais je t’assure, c’est très ennuyeux ». Ainsi, je pourrais être tenté de dire que chez moi également, nous ne sommes « pas très famille ». La suppression classique du déterminant lié à « repas de famille » signale également de la part des témoins, une ritualisation, une habitude, une pratique générale et non particulière du rassemblement familial qui tient presque de l’automatisation des rapports familiaux. 37 Ma Famille, Nos Séries et Moi Elle a une haine profonde envers mon père et donc ça a tendance à se répercuter sur la Côte-d’Ivoire en elle-même » Et donc sur les attributs et les pratiques culturelles par extension. Ce lien entre objets culturels et famille, Katia l’assume complétement. Elle finit par raconter : (…) je crois que j’ai (eu) beaucoup de rancœur envers mon père, de mépris aussi. Puis, finalement, ayant grandi, voyagé, j’ai compris que tout le monde pouvait aussi faire des erreurs et je ne lui en veux plus. Il n’y a pas de modèle familial parfait. Et le fait que j’ai re-eu envie de voir des séries télévisées ivoiriennes, c’est en fait parce que j’ai fait mon « mea culpa », je suis passée à autre chose. La conversation sur la télévision peut ainsi s’accompagner de descriptions finalement assez révélatrices sur la famille. La série et la télévision comme rendez-vous familial Pour Gretta, « les séries comiques, c’est le truc de famille, c’est le truc que tout le monde regarde ensemble ». Alors, on en parle, on en discute, on échange même comme dans le cas de Philippe-Auguste, vivant avec sa grande sœur à Lyon. « « Pretty Little Liars », c’est ma sœur qui m’a poussé à regarder ! Même si ce n’est pas forcément du goût de tout le monde, comme Hermann qui dit ne pas trop en regarder, ou alors par défaut (« On est là, à la maison, on regarde. Je préfère les 95 spectacles. »), il flotte une influence familiale dans le choix de ce qui est diffusé sur l’écran noir du salon (inévitable ?). « Je regarde quand ma mère ramène un DVD, on est entre ivoiriens, mais c’est 96 rare. Ma mère, elle achète des DVD . Quand j’ai des amis qui viennent, on est là, à la maison, la daronne met un film, on reste devant, on discute. Cette pratique est celle d’une télévision « bruit de fond », « matière à palabre », comme le dit Ivoire. L’accroche au programme se fait parce que l’on regarde du coin de l’œil, reconnaissant parfois des lieux, saisissant des références. Ces séries sont plaisantes pour les interrogés parce qu’elles « parlent de famille, parlent 97 de tout ! Ça traite un champ assez large, on parle de famille, on parle de l’éducation… » . Assez universelles, les séries comiques ivoiriennes semblent dans la bouche des interrogés comme très fédératrices. Pour Gretta, « tout le monde aimait ça. C’était un truc vraiment universel. « Faut pas fâcher ! », « Qui fait ça ? », c’était vraiment les trucs que tu ne peux pas ne pas regarder ! ». Ces séries sont aussi les symboles d’un temps révolu, les interrogés peuvent en parler au passé, un temps où la vie familiale était plus communautaire, où les 98 choix de vie n’avaient pas encore individualisés les interrogés. Tempérons enfin ce constat puisque il peut exister une pratique familiale divisée de la télévision comme en témoigne cet extrait de la conversation avec Philippe-Auguste : 95 96 Le « monopole » évoqué par Philippe-Auguste. Cela laisse entendre et Hermann le confirmera par la suite, que l’acte d’acheter, de rapporter un tel support au domicile est réservé à l’adulte et que cet acte est difficilement évitable pour l’enfant. Hermann, à 25 ans, habite toujours chez sa mère, pour des raisons « économiques ». 97 98 38 Extrait de l’entretien du 11/07/2013 avec Hermann Particulièrement les études. Chapitre 2 : Des séries au fort potentiel sensible : pratiques, famille et liens profonds « Chez moi, on est six. Donc, c’est compliqué ! (…) On a dû faire installer un genre de montage en série. Chaque télévision a un décodeur relié au décodeur principal et chacun peut regarder ce qu’il veut. Une télécommande pour six avec 54 chaînes sans compter les chaînes internationales, c’était compliqué. Quand un empiétait sur le programme de l’autre, c’était la guerre. » Fi donc du mythe du « vivre ensemble » et de la « convivialité à l’africaine » pourtant farouchement défendue plus tôt dans la conversation par Philippe-Auguste. Les pratiques télévisées peuvent en effet mettre à nu certains fantasmes chez les interrogés. Ainsi, et nous serions tentés de dire, à l’inverse, le regroupement familial télévisé se fait également 99 au sein de la famille d’Ivoire « Quand tout le monde est là le dimanche, on profite du week-end. On mange et après on regarde un film et tout le monde s’endort. Finalement, beaucoup de points convergence avec sa vie lorsqu’elle va « en vacances » en Côte-d’Ivoire, elle sait qu’en allant chez sa grand-mère « (…) il y aura du monde, télé ou pas télé. Donc, c’est vrai que les gens qui n’ont pas la télé autour de chez elle ont tendance à venir pour regarder donc c’est marrant et les débats sont très drôles, c’est sympa, y’a une bonne ambiance. Mais c’est vrai, que dans ma vie de tous les jours, j’ai pas du tout ce rapport à la télé. » Pourtant, elle reconnaît faire de ses dimanches après-midi, un moment de convivialité et de partage en famille. Ici, encore, on saisit le caractère non-assumé de ces moments de télévision où « les goûts personnels sont renvoyés à des goûts forgés ailleurs à travers des 100 univers d’appartenance ». De la fin du genre chez un public ivoirien ? Au-delà de la famille, ce travail cherche également ouvrir des pistes en terme de rapport homme-femme face à la télévision. A prendre bien entendu comme une ébauche, une partie des conversations s’est orientée, à des degrés plus ou moins bien acceptés par les interrogés, vers la thématique du genre, thématique sensible si il n’en existe pas une, mais qui a eu le mérite de mettre à nu certaines relations de domination et de contre-domination au sein des foyers et de confronter les différences de perceptions concernant les pratiques des séries télévisées. Alors, cette partie pourrait se réclamer du résumé effectué ci-dessous par Philippe Coulangeon : « De nombreuses études ont montré que les mêmes programmes peuvent faire l’objet d’appropriations et d’interprétations très hétérogènes selon les caractéristiques des téléspectateurs et selon les contextes de diffusion ». Le genre de l’interrogé est une de ces caractéristiques qui porte en son sein une grande importance en terme d’interprétation et on remarque une certaine fédération entre interrogés du même sexe dans les jugements concernant l’accessibilité et l’audimat des séries télévisées ivoiriennes. 99 100 Qui lorsque j’appelle Ivoire pour l’entretien, est d’ailleurs rassemblée dans le salon, devant « The Hobbit » de Peter Jackson. Dominique Boullier, « La télévision telle qu’on la parle. Trois études ethnométhodologiques », L’Harmattan, Coll. Champs Visuels, 2003 39 Ma Famille, Nos Séries et Moi Il apparaît au premier abord, que la pratique de la télévision en Côte-d’Ivoire et chez les migrants se fait de façon universelle. La question du genre est même en premier lieu complètement éloignée des codes de réflexion concernant les séries télévisées chez les interrogés. Ainsi, lorsque je demande à Katia si « les garçons et les filles regardent ensemble la télé », elle me répond que « Oui, tout le monde regarde en même temps. Evidemment, ça dépend, il y a des religions différentes, il y a beaucoup de musulmans en Côte-d’Ivoire mais oui, il me semble que tout le monde regarde ensemble et avec joie. » Philippe-Auguste, lui, abonde dans cette logique, particulièrement concernant le football (chose qu’il partage avec Ivoire). « En fait, j’ai du mal à voir une émission qui est plus réservée aux femmes qu’aux hommes, on partage tout en fait. Le football touche toute la population, c’est 101 comme regarder un match de foot en Italie. » Ivoire, pareillement, voit la télévision comme une pratique non-genrée puisque « tout le monde, mes frères, filles et garçons, tout le monde » la regarde. J’avais 14 ans et tous mes copains regardaient. Mais c’est vrai que la télé en Afrique, on regarde, tout le monde ensemble et c’est vrai qu’on ne choisit pas le programme pendant 4 heures. Et pourtant, au fil des entretiens, la dimension universelle de la pratique télévisuelle, football ou série télévisée, tend à se déliter, à se tempérer. Aussi Gretta évoque une nuance 102 concernant le sport à la télévision, traditionnellement pratique très masculine . « Les hommes regardent le football, donc les matchs qui se passent en France, en Angleterre, en Espagne. Et aussi bon, quand il y a la Coupe d’Afrique bien sûr. Ils ne manquent pas un match. Mais les femmes aussi quand il y a une grande Coupe (…). Parce que, s’il y a ton pays qui joue, on se rallie tous ensemble. Les matchs de ligue, ça c’est un truc d’homme. Et même les sports joués à l’école, dès qu’on est petit en général, bon, les filles participent mais c’est beaucoup plus les garçons qui jouent au football, au basket (…). » Les séries télévisées peuvent également s’adresser à un public plus spécifiques et plus genré. Ainsi, c’est un homme, Hermann qui reconnaît que les séries télévisées, particulièrement les telenovelas, s’adressent aux femmes avec une nuance dans la pratique toutefois. « Tout le monde (regarde), après, les mecs ça les arrange peut-être pas mais tout le monde regarde. Suffit que tu regardes pas, tu es tout seul dehors. » Malgré une certaine adhésion de surface de la totalité de la population, il semblerait donc que le choix télévisé puisse être imposé, d’un sexe à un autre. Hermann, toujours sur les séries télévisées dit que c’est sa 101 Ici, on souligne toute la dimension nationale, politique et unitaire que peut revêtir le football, revenant à 3 reprises dans les entretiens sans que je n’aborde de mon propre chef cette thématique. 102 Comme en témoigne le Tableau 6 de la « Sociologie des pratiques culturelles » de Philippe Coulangeon intitulé « L’audience de différents types de programmes télévisuels selon le sexe, la catégorie socio-professionnelle, l’âge et le diplôme », basé sur une étude INSEE de 2006 « Participation culturelle et sportive » avec un rapport de 73% pour les hommes contre 34 % pour les femmes. 40 Chapitre 2 : Des séries au fort potentiel sensible : pratiques, famille et liens profonds « (…) mère qui regarde. Je regarde surtout des spectacles mais pas des films parce que je trouve que souvent les histoires sont pas intéressantes et on va dire que c’est pas fort. » Il n’arrive pas à s’y intéresser et cela il tente de l’expliquer par le genre. « La plupart du temps, c’est parce que les séries, elles sont faites pour les mères. C’est les daronnes qui regardent ça. Le thème les accroche et les pères, tu vois, ils sont juste là. Ils regardent parce qu’ils n’ont pas le choix. Le « monopole » que Philippe-Auguste décrit serait-il aussi le rapport de sexe entre père et 103 mère au sein de la famille ? Cette segmentation, cette « démarcation » , entre telenovelas, où comme l’explique Gretta ce sont « largement les femmes qui regardent », et matchs de ligue de football, est une notion que l’on a déjà vu être analysée par des chercheurs tels que David Morley. Ces deux points : sports et soap operas dramatiques sont des points essentiels de définition du genre au sein du domicile familial. En témoignent ces deux citations de l’auteur : Les femmes, dans l’ensemble portent bien moins d’intérêt pour la télévision en 104 général, à l’exception de soap operas bien précis, qu’elles suivent. Et « Principalement, les seuls programmes télévisés dont les hommes acceptent de 105 parler librement sont sportifs » Éventuellement et comme en témoignent les discussions avec les interrogés, les pères 106 peuvent reconnaître aussi un intérêt dans les informations ou bien un désintérêt complet pour l’activité culturelle dans le cas de la famille de Gretta : « (…) « Faut pas fâcher », « Qui fait ça ? », c’était vraiment les trucs que tu ne peux pas ne pas regarder ! Mon père lui ne regardait pas trop ça parce que c’était un homme d’affaire donc il ne voulait pas trop perdre son temps avec ça : « j’ai d’autres choses à faire que de m’asseoir ici à regarder ça ». Mais ma mère et mes frères et sœurs, oui, tout le monde. » C’est ainsi prendre à l’envers le postulat suivant de David Morley : « Le modèle dominant des relations de genre dans la société (…) place la maison comme primairement définie pour les hommes comme un lieu de loisir – en comparaison à leur « temps industriel » d’emploi en dehors de la maison – alors que cette même maison est primairement définie pour les femmes comme 107 appartenant à la sphère du travail (…) » 103 104 Pour reprendre les termes de Gretta. « The women, on the whole, display far less interest in television in general, except for the particular soap operas which they are following. » Traduction personnelle. David Morley, « Family Television : Cultural Power and Domestic Leisure », Routledge, 1986 105 106 107 « In the main, the only television material that the men will admit to talking about is sport ». Traduction personnelle. « Mon père est un grand fan d’informations » pour Philippe Auguste. « The dominant model of gender relations within the society (…) is one in which the home is primarily defined for men as a site of leisure – in distinction to the « industrial time » of their employment outside the home – while the home is 41 Ma Famille, Nos Séries et Moi Deux remarques concernant ce postulat. La première concernant l’évolution, certes douce et lente, de la pratique du loisir entre hommes et femmes. Ainsi, les femmes interrogées lors des entretiens reconnaissent toutes, que ce soit elles ou leurs mères, profiter de moments de détente au sein du foyer, qu’il soit individuel ou familial. La deuxième remarque concerne l’aspect généraliste que Morley confère à ce postulat alors qu’il reconnaît par la suite avoir suivi un panel composé majoritairement d’une population ouvrière ou issue des classes moyennes. De plus, l’étude de Morley date de 1986 et reflète la fin de l’ère post-industrielle et n’offre pas les dynamiques actuelles de mélange entre vie privée et vie professionnelle (portable, ordinateur…). Cette tempérance ne vient pas pour autant à l’encontre des théories de Morley et de la division de genre fortement inégalitaire pouvant régner encore au sein des foyers comme en témoigne l’enquête « Emploi du Temps » menée par l’INSEE entre 2009 et 2010. Force est de constater que l’homme confère en moyenne 1,23 heure de son temps quotidien aux 108 tâches ménagères alors que la femme en offre 3,03 heures . Les rapports de genre au sein du domicile familial ne sont pas les mêmes et cela même en terme de pratiques télévisées et pourtant, en faisant fi des matchs de football et des telenovelas, il semble que les séries humoristiques arrivent à fédérer dans leur audience une cohérence de genre et d’âge. Fédératrices donc, les séries comiques ivoiriennes furent, et sont encore un rendez-vous hebdomadaire, suivi par la population, non genrés et véhiculant, semble-t-il, un certains nombres de valeurs en filigrane. Quelles sont ces valeurs et en quoi les séries ont une importance toute particulière dans cette société, ce sont les questionnements que nous tâcherons de développer dans le troisième chapitre de ce travail. primarily defined for women as a sphere of work (…) » Traduction personnelle. David Morley, « Family Television : Cultural Power and Domestic Leisure », Routledge, 1986 108 Enquête Emploi du temps 2009-2010 in INSEE Résultats n°130, Société, Juin 2012 http://www.insee.fr/fr/themes/ document.asp?ref_id=edt2010 42 Chapitre 3 : La société de l’ordinaire Chapitre 3 : La société de l’ordinaire Oho, mm, je me pose des questions, Oho, mm, devant la télévision. Je vais me tâter si je vais participer aux jeux. Telle est telle est ma télé, telle est telle est ta télé. Guy Béart, « La télé », 1967 Humour et amour : la série télévisée comme un ordinaire dramatisé Un apprentissage moral Lorsqu’il s’agit de décrire les séries ivoiriennes visionnées par les interrogés, ces derniers s’accordent tous sur une chose : c’est drôle ou sentimental. À travers un effet de loupe scénaristique, exagérant les situations sociales, les relations entre individus et les rapports au quotidien, les séries télévisées offrent au spectateur la possibilité de tisser des ponts entre situations fictionnelles et sa propre vie, la fiction faisant office de « terrain d’entraînement » de la vie. Cela peut s’expliquer par la volonté des réalisateurs de ces séries « quotidiennes » de se rapprocher de la réalité sociale et de la vie de son public. On a alors un jeu d’influence, un va-et-vient entre fiction et réalité sociale. D’un côté, la 109 fiction tente de s’approcher au plus près des enjeux de la « vie réelle » et de l’autre, les 110 spectateurs cherchent à intégrer, par « perfectionnisme » , les valeurs morales véhiculées par les séries télévisées. Sandra Laugier explique la puissance morale des séries télévisées par leur « polyphonie » : Elles portent une pluralité d’expression singulières, mettent en scène des 111 disputes et débats et sont imprégnées d’une atmosphère morale. C’est cette notion de « choix » entre différents comportements, mise en enjeu dans les séries télévisées, qui porte au spectateur la capacité de définition d’une morale, 112 raisonnée, impliquant la mise au point d’une maxime personnelle . C’est grâce à 109 C’est le fameux « effet de réel » théorisé par Roland Barthes et décrit par Muriel Mille dans son étude sur la série télévisée française « Plus Belle La Vie ». Muriel Mille « Rendre l'incroyable quotidien », Réseaux 1/2011 (n° 165), p. 53-81. www.cairn.info/ revue-reseaux-2011-1-page-53.htm. 110 L’objet culturel ordinaire peut en effet être une formidable inspiration en terme d’agissement moral, social, familial comme nous l’avons déjà développé brièvement dans notre deuxième chapitre, particulièrement autour du travail de Philippe Corcuff et Sandra Laugier. 111 Sandra Laugier « Vertus ordinaires des cultures populaires », Critique 1/2012 (n° 776-777), p. 48-61. www.cairn.info/ revue-critique-2012-1-page-48.htm. 112 Définie au sein de la première section des « Fondements de la Métaphysique des Mœurs », Emmanuel Kant, 1785 43 Ma Famille, Nos Séries et Moi leur dimension d’entraînement moral, d’échauffement à la réalité sociale que les séries télévisées permettent au spectateur de maximiser sa connaissance, son expérience des situations sociales et par la suite d’en tirer par comparaison, par mise en relation entre actions et valeurs morales, ce qui est bon en soi, le tout dans un cadre divertissant et 113 confortable . L’accroche aux personnages et le suivi de leur évolution revient au sein des entretiens comme en témoigne Gretta : « En général, ça se suit (les épisodes), ce n’est pas comme beaucoup de séries américaines qui ont un épisode qui raconte une histoire où il y a un conflit qui se résout à la fin, en général (dans les séries ivoiriennes NDLR) le conflit dure toute la série. Ça se suit et il y a des personnages au début de la série (…) et tu 114 les suis, tu suis l’évolution de leurs propres problèmes (…). Tu as beaucoup de couples et des groupes d’amis et c’est comme ça que les conflits se forment. » L’apprentissage moral au moyen de séries comiques semble être clairement assumé par les créateurs de ces séries. Karima Moussaïd, journaliste à Afrik.com, analyse plus particulièrement « Faut Pas Fâcher », dont le but est « (…)la prise de conscience des Ivoiriens face aux problèmes récurrents de leur 115 société(…) » Pour Hermann, « Faut Pas Fâcher » est une « super comédie » : « C’est une sorte de truc comique qui traite souvent des problèmes sociaux en Côte-d’Ivoire. Mais je trouve que niveau réalisme, (…), c’est pas génial mais c’est parce qu’ils ont pas les moyens financiers. Sinon, c’est très théâtralisé, tu regardes une séries, tu ne te sens pas plongé dedans, c’est vraiment le théâtre ». Théâtralité : série télévisée et catharsis moderne La question de théâtralité, de dramaturgie de cette série télévisée est centrale puisque l’on retrouve, à la fois dans l’article de Karima Moussaïd, où cette dernière rapproche la série comique du théâtre, « châtiant les mœurs par le rire » et à la fois dans les discours des interrogés. Ainsi Philippe Auguste, parle des séries télévisées comme d’une « métamorphose de la tragédie » : « (…)Ça touchait les populations parce qu’en fait, c’était une illustration des mœurs de la société, c’est de la catharsis. C’est se retrouver face à quelque chose que nous-même, on a déjà probablement vécu. (…) tu te retrouves, tu peux retrouver un personnage, une caractéristique d’un personnage que tu as ou un truc qui t’es arrivé. » 116 « L’effet de réel » est crucial pour que l’échange se fasse entre spectateur et série télévisée. Ce rapport au quotidien est ce qui a plu à Hermann, qui dit aimer « voir les lieux d’Abidjan » qu’il connaît. 113 Chez soi, chez sa famille, dans son canapé ou bien son lit. 114 Gohou Michel, par exemple, est un grand dragueur dans « Ma Famille » 115 Karima Moussaïd, « Abidjan : la télé qui apprend en faisant rire », 18/02/2001, Afrik.com http://www.afrik.com/ article2237.html 116 44 Barthes Roland. L'effet de réel. In: Communications, 11, 1968. Recherches sémiologiques le vraisemblable. pp. 84-89 Chapitre 3 : La société de l’ordinaire D’une part, les séries offrent, lorsqu’elles sont comiques, une approche humoristique 117 des problèmes sociaux et de l’autre, lorsqu’elles sont mélodramatiques , une dimension 118 romantique et des situations morales concernant les relations amoureuses et familiales. L’humour dans les séries télévisées est un premier volet important lors des entretiens. Pour Gretta, c’est « un truc vraiment comique avec des problèmes de famille, des problèmes d’argent, des problèmes de femme avec son mari qui la trompe, où il y a un enfant, des problèmes de tout le jour ». Ce mélange entre quotidien, séquences « ordinaires », familiales, et traitement humoristique, permet de mettre sur table les soucis quotidiens et, est, toujours selon Gretta, « Une façon d’oublier un peu ses propres problèmes donc tout le monde se réunit ensemble, ça réduit les tensions, s’il y a des tensions dans la famille. Tout le 119 monde rit ensemble, on a la possibilité de s’abstracter un peu de notre propre vie, de s’absorber dans la vie d’autres personnes et d’oublier ce qu’on a qui nous dérange, je pense que c’est pour cela que l’on regarde. » Il y a un transfert des problèmes personnels, sous le signe de l’humour, vers des problèmes de fiction, situations pourtant très proches « (…) des trucs de la vie réelle, pas seulement dans la série ! Les séries reproduisent ces situations (…) très réelles. » Mais dématérialisées, permettant une réflexion sur soi à travers les personnages, d’une manière plus détendue. Le pouvoir de l’acteur semble avoir d’emblée une symbolique militante et sociale très forte. Pour Hermann, Le comique, souvent, ça tourne autour des problèmes sociaux, par exemple, on va parler du chômage en Côte-d’Ivoire. Eventuellement, les humoristes (sont à rapprocher, NDLR), même si ce n’est pas du tout le même format, on va dire dans la dénonciation, dans le fait d’appuyer là où ça fait mal. Mais il n’y pas vraiment d’équivalent (en France, NDLR). Les séries télévisées à grande diffusion en Côte-d’Ivoire sont donc également très proches d’une télévision satirique, n’hésitant pas à critiquer le pouvoir. Pour Karima Moussaïd, « La RTI a privilégié une parole quasi libre, qui fait des sketches une scène où se dit ce qui dérange. On aurait tort de considérer l’émission comme un simple divertissement, car elle est d’abord et avant tout un moyen d’information qui dénonce ouvertement les tares de la société ivoirienne, s’impose en moralisateur 120 public et se moque des puissants. » En témoigne l’épisode « Nomination » de la série « On est où là ? » mettant en scène la malhonnêteté et l’incompétence gouvernementale ivoirienne, où le Président de la République récemment élu à plus de 98%, cherche à nommer des membres de sa propre famille au poste de Ministre de l’Alphabétisation et de l’Education Populaire. Problème, les deux frères sont analphabètes… 117 118 Telenovelas, séries indiennes… Des« émotions (qu’on) ne trouve pas toujours », forme de réenchantement du monde, selon Hermann. 119 Sic 120 Karima Moussaïd, « Abidjan : la télé qui apprend en faisant rire », 18/02/2001, Afrik.com http://www.afrik.com/ article2237.html 45 Ma Famille, Nos Séries et Moi Image extraite de l’épisode « Nomination », réalisé par Ana Ballo, « On est où là ? », 2006 Très codifiée, presque normée, les séries télévisées ivoiriennes offrent des repères sociaux quasi-inamovibles, notamment grâce à l’utilisation d’acteurs qui se cantonnent souvent dans les mêmes rôles : éternels dragueurs, femmes trompées, castratrices, ambitieux, la palette de caractères est certes large mais force les acteurs à offrir à l’infini les mêmes rôles. « T’as un acteur, comme le Gohou, il va faire 30 films et 30 fois le même personnage, c’est comme une série, tout marche par répétition, reproduction. » 121 déclare Hermann, suivi de près par Philippe-Auguste, concernant les rediffusions , « Ça (les séries télévisées) passe et repasse, c’est rabâché. Parfois tu as vu l’épisode cinquante fois, tu le connais par cœur, tu peux même le réciter, mieux que les leçons. » Ces personnages récurrents peuvent même agacer, voire insulter. Ainsi, Ivoire trouve que les séries devraient être « mieux choisies » et critique leur représentation des expatriés « Ils vont pas mettre les pays comme la France en avant par exemple. C’est plus des séries où les Français sont méchants. » Reflet d’une société ivoirienne, africaine, où le Français reste pour partie un colon, ce type de discours n’est pas étonnant. Ce constat permet une fois plus une conception cathartique des séries télévisées, les auteurs utilisant des trames scénaristiques et de mises en scène comme autant de loupes braquées sur la société qu’elles tentent de dépeindre, grossissant 121 Comme évoqué précédemment, de très nombreuses séries ivoiriennes se sont arrêtées au cours des années 2000 pour cause de difficultés financières. Pourtant, leur diffusion continue sur la RTI, à la manière de sitcoms françaises telles que « Un Gars, Une Fille », toujours diffusée sur Téva, 6ter, Paris Première, W9, Plug RTL, malgré son arrêt en 2001. 46 Chapitre 3 : La société de l’ordinaire certes le trait mais touchant souvent au plus juste. Cette manière de concevoir, d’écrire la télévision, chercher l’effet de réel, est essentielle au sein du processus d’acquisition et d’interprétation, de choix, par le spectateur. La télévision, une habitude culturelle et sociale? Après avoir constaté l’existence d’un fond perfectionniste dans la pratique télévisée, reposant sur des mécanismes d’expérience morale, de comparaison, « d’entraînement 122 éthique », on se doit de se pencher pour clore ce travail sur la forme que prend cette 123 pratique et sur les conclusions que l’on peut tirer de ces pratiques relevant de l’ordinaire, voire de l’habituel. Du quotidien télévisé De nombreux moments des conversations avec les interrogés révèlent, qu’au delà du plaisir, du divertissement, de la réflexion, la pratique télévisuelle est également une habitude, entrée dans l’agenda quotidien. La télévision et la pratique de la série télévisée, de la fiction peuvent être une présence essentielle, un prétexte à la conversation. « Quand j’ai des amis qui viennent, on est là, à la maison, la daronne met un film, on reste devant, on discute. La télévision peut représenter un rendez-vous quotidien, familial, de rassemblement, ayant une intensité presque plus importante que le programme regardé, le fond. Ainsi pour Gretta, les horaires fixes de diffusion ont eu une importance dans ses habitudes familiales. « (…) avant, les séries qui passaient c’était une certaine heure tous les soirs et tout le monde se réunit, on se met devant la télé, on regarde ensemble mais maintenant du coup, il y a plus ça et aller sur Internet et regarder de l’écran de ton ordinateur, ça ne donne plus la même envie. » Ainsi, concernant certaines diffusions de séries télévisées en Côte-d’Ivoire, notamment les séries plus « romantiques », l’habitude bouleverse clairement les horaires de travail. Ainsi, pour Philippe-Auguste, ces telenovelas et séries indiennes, « Ça touche énormément la population. Pour la classe populaire, les telenovelas, c’est comme le Saint-Graal. Ça parle de ça dans la rue. Je te dis pas, quand il est 19 heures, activités sociales, professionnelles, fonctionnelles, tout est arrêté pour aller regarder. » Hermann, comme nous l’évoquions précédemment, reconnaît regarder ces séries lorsqu’il rentre en Côte-d’Ivoire mais sous une certaine pression sociale. « Là-bas, j’essaie de sortir, surtout ne pas rester à la maison, aller sur la plage, en boîte, pratiquement toutes les vacances. Mais la télé, c’est hyper présent dans la vie des gens. Le soir, ils regardent tous la télé. Tu as des trucs mexicains, brésiliens, ils sont accros. Ils arrêtent tout et ils rentrent chez eux pour regarder ces trucs. A partir de 19 heures, y’a plus personne. Tu vois, au début, j’étais pas 122 123 Que nous avons observée au sein du deuxième chapitre. Certes humbles du fait du faible nombre d’entretiens réalisés, on ne peut en effet se permettre une étude quantitative. 47 Ma Famille, Nos Séries et Moi passionné mais quand tous mes potes rentraient, tu te sens bien obligé et tu rentres regarder. » Bien entendu, cette pression n’est même pas liée à l’impression de manquer de références au sein d’une conversation, mais bien de ne pas partager une pratique sociale et pas seulement culturelle. Le début de la série télévisée marque le retour à l’espace privé, la fin de la journée de travail. 124 Aussi parce que la télévision se pratique à l’intérieur, à la maison , elle est indissociable de l’habitude, de l’espace privé et l’on constate parfois donc une pratique ordonnée, presque désintéressée, de la culture ordinaire. Comme nous l’évoquions précédemment, la pratique pouvant être celle des séries télévisées peut prendre la forme 125 d’un bruit de fond, au même statut qu’écouter la radio, un CD . Je reconnais moi-même regarder certaines séries avec un certain détachement, laissant les épisodes tourner en travaillant, en cuisinant. Ce qui peut permettre, comme le dit Philippe-Auguste de « (…) capter juste l’essentiel. Au moins je peux faire un bon résumé de l’épisode. Parce que soit je suis occupé (…), j’ai mis la série et je la suis en même temps, soit je suis au téléphone et il y a la série en même temps. » Individus et pratiques télévisuelles: une carte de visite sociale Dans la pratique télévisée, il peut y avoir un versant relevant de l’habitude sociale, éventuellement d’une forme de pression. Je reconnais moi-même m’être intéressé à certaines séries telles que « Games of Thrones » ou « The Wire » à la fois par conseil : « Tu devrais vraiment regarder, je pense que ça te plairait » mais également par volonté de participer à des conversations évoquant ces objets culturels et dont j’étais totalement exclu puisque je ne partageais pas les références et les codes des séries évoquées. Cette idée que la série télévisée peut fonctionner comme carte de visite, ouvrant certaines relations, liant les individualités n’est pas une nouveauté. On trouve sur Internet de très nombreux forums de discussion autour des séries télévisées, bénéficiant d’une espérance de vie bien plus élevée que les forums dédiés à des films. Cela peut s’expliquer par la durée que peut prendre une série télévisée. Les forums de film regroupant d’ailleurs le plus de fan sont généralement issus d’œuvres en série, de sagas, telles que Star Wars pour ne citer qu’une des plus connues. Hermann explicite cela dans son entretien : « Tu t’accroches plus ou moins à des gens. Par exemple, je vais rencontrer des gens que je ne vois pas souvent. Tu vois, on n’a rien en commun et moi je vais parler d’une série et on va discuter. Ce n’est pas grand chose mais c’est ce qui maintient notre relation en vie, si je peux dire. » Parce qu’elles sont facilement accessibles (diffusion télévisée, téléchargements légaux ou illégaux), prenantes, s’étendant sur une longue période de diffusion et porteuses de valeurs morales ou du moins, d’un terreau de réflexion morale, les séries télévisées offrent comme n’importe quel objet culturel ordinaire la possibilité d’échanger, de confronter les opinions, de discuter des affinités, des sentiments, des préférences. La pratique de cette forme de débat, de réaction à la télévision est collectif pour Ivoire lorsqu’elle évoque sa vie en Côted’Ivoire : 124 125 48 Ou bien même à l’hôtel si l’on est en déplacement professionnel. En écrivant ces lignes, j’écoute de la musique par exemple. Chapitre 3 : La société de l’ordinaire « C’est vrai que chez ma grand-mère, qui habite encore là-bas, quand elle met la télé, 50 personnes devant et tout le monde est en train de commenter le truc donc tu mets ce que tu veux, comme émission, comme film, tu peux même mettre les publicités que c’est matière à palabre. (…). Ça fait 5 ans que j’ai pas allumé la RTI, sauf chez ma grand-mère où c’est allumé en permanence, mais c’est pas moi qui allume, je m’assois pas devant, j’écoute les gens parler et voilà. » Pour Katia, les pratiques culturelles, et plus particulièrement le visionnage de séries télévisées par les migrants, sont des clés d’intégration et d’identité. « J’imagine que ça dépend à quel point les migrants sont intégrés dans la culture du pays dans lequel ils résident et aussi depuis combien de temps. Et aussi à quel point les parents baignent leurs enfants dans la culture du pays où ils vivent. J’imagine qu’un ivoirien qui vient d’arriver en France par exemple et qui à l’âge d’être un adolescent a beaucoup plus de chance de s’attacher à une forme de « nostalgie ». » Encore une fois, la famille revient comme noyau central de la socialisation à travers les pratiques culturelles. La « redécouverte » des séries télévisées par Katia, qui a eu son importance dans la construction de son identité personnelle et donc de son rapport aux autres s’est d’ailleurs fait de manière fortuite mais à travers le spectre familial. « Je suis tombée dessus par hasard parce que ma cousine est ivoirienne et a publié sur Facebook une petite comédie qui s’appelle « On est où là ? » « L’accroche » se fait entre individus et n’est que plus forte si les individus sont loin d’une forme de facilité d’accès à son patrimoine culturel national. L’aspect immatériel des séries télévisées offre aussi la possibilité de conversations sur le pays d’origine entre migrants, de recréer ailleurs une société locale. Selon Philippe-Auguste, « (…), quand on a des discussions ensemble, on revient sur des sujets comme ça (les séries télévisées NDLR), c’est notre moyen de nous rattacher, de retourner à notre origine. C’est élémentaire, c’est quelque chose que l’on est obligé de faire. Je pense que tous les immigrés, toutes les nationalités quand on se retrouve entre nous, on parle de choses qui nous plaisent, qu’on a aimé faire, quand on était chez nous. » Garder des références communes, continuer à s’informer sur son pays d’origine, tout cela se faisant généralement par le biais d’Internet, ce comportement est également décrit par Gretta lorsqu’elle évoque ses frères. « (Mes frères) ont beaucoup plus d’amis ivoiriens et ils écoutent de la musique. (…) Il y a un de mes frères qui écoute que de la musique ivoirienne, alors que 126 de la musique ivoirienne, jamais la radio américaine dans sa voiture , c’est que des Cds avec de la musique ivoirienne et quand il est à la maison, il est sur des sites ivoiriens en train d’écouter de la musique, en train de regarder des clips sur Youtube. » Le ciblage d’œuvres culturelles précises par les individus permet au spectateur de se forger à la fois une morale mais également un réseau social puisque l’étendue des œuvres culturelles qu’il « consomme » va définir à la fois ses goûts, sa situation et ses affinités avec l’autre, peu importe la communauté dont il est originaire. Cependant, l’appartenance à un groupe conditionne la découverte d’œuvres culturelles, reproduisant certaines pratiques 126 Egalement un lieu très privé, du domaine du domicile. 49 Ma Famille, Nos Séries et Moi parentales, familiales, professionnelles. Cette influence forte de l’environnement social nucléaire, au sens familial, ethnique, religieux, n’est pour autant pas coercitive comme en témoigne Gretta : « Je ne veux pas dire retourner en arrière (concernant le visionnage de séries télévisées ivoiriennes NDLR) mais repartir dans le passé, regarder des choses que j’ai déjà vues auparavant, sinon ça me dérange pas de regarder ce genre de séries mais j’ai plus le temps en fait et en ce moment, je suis étudiante donc je me dis que j’ai déjà des habitudes que j’ai formé. Donc, de repartir encore, de reprendre ces séries là (les séries ivoiriennes NDLR), et les suivre, c’est une autre chose que je dois faire donc je préfère même pas le faire. » Après avoir longtemps regardé ces séries télévisées ivoiriennes, Gretta ne semble plus avoir l’envie de suivre avec attention ces sitcoms africaines. Elle y voue une pratique de surface, de forme, afin de maintenir quelques références cruciales à son identité africaine pour laquelle elle milite implicitement. Elle leur préfère les séries américaines, socialement plus intéressantes pour elle, vivant avec peu d’ivoiriens et sur un campus universitaire prestigieux. Hormis sa propre famille dont elle cherche à s’éloigner d’une certaine façon, elle éprouve une certaine nostalgie, particulièrement liée non pas aux relations directes avec la famille mais plutôt sur les conditions de vie, les habitudes du foyer, la télévision en étant une des plus importantes. Nous conclurons le dernier chapitre de ce travail par une dernière remarque d’ordre personnel. L’absence ou le faible attrait de l’étude des pratiques culturelles (télévision, cinéma, spectacle, lecture…) dans la sociologie de la famille, lorsqu’elle est réalisée aussi 127 bien par François de Singly que par Martine Segalen est une étrangeté, d’autant plus que de tels auteurs défendent des notions transpirant à travers la télévision comme l’éducation, l’espace privé, la socialisation. L’introduction sur la famille réalisée par Martine Segalen est déroutante en cela que le remplacement par mes soins du mot « famille » par le mot de « télévision » offre une définition calquée, similaire. 128 « Lieu du privé, la famille est en prise directe avec la société. Aussi les mutations sociales profondes qui concernent l’économie, la culture, l’espace urbain ont-elles des répercussions immédiates sur la vie quotidienne des individus qui s’exprime au sein d’une constellation de personnes liées par le 129 sang et/ou l’alliance . La famille n’est pas une simple caisse de résonance de 130 ces transformations, elle y participe de façon active. » Cette légère modification, très contestable en terme d’académisme offre pourtant le bénéfice d’un parallèle entre la famille et la télévision, cette dernière reprenant d’ailleurs nombreux codes de la première et un attachement particulier au domaine de l’intime. 127 ème François de Singly, « Sociologie de la Famille Contemporaine », 4 éd, Armand Colin, Coll. Domaines et Approches, 2012 128 Lire alors : télévision 129 Lire alors : Programmes télévisés communs. 130 Martine Segalen, « Sociologie de la Famille », Armand Colin, 2006 50 Conclusion Conclusion Je commencerai cette conclusion par une note plus personnelle, en un sens, puisqu’elle me concerne, mais pour autant ne venant pas à l’encontre du travail effectué puisqu’elle décrit la personnalisation, l’intime dans le travail universitaire. L’usage des sciences sociales et plus particulièrement de la sociologie se doit, à mon sens de porter une dose intime de l’individu réalisant le travail. À travers cette étude sur la télévision et les pratiques culturelles des migrants, j’ai pu moi-même me découvrir. Ces découvertes liées à mes pratiques culturelles ont découlé sur une meilleure perception de ce que je suis, familialement, culturellement. La non-révélation de cette première personne du singulier est une hypocrisie de 131 la recherche puisque cette dernière porte de toute façon l’empreinte du chercheur à travers le choix du sujet, son traitement, sa méthodologie. Je ne dis pas non plus que l’auteur est un créateur ex-nihilo mais au contraire qu’il est partie intégrante des faits et des paroles qu’il commente, qu’il observe. La neutralité totale et la rupture de l’épistémé doivent se munir d’une certaine humilité au même titre que l’individualité du rédacteur qui afin de saisir l’intime de l’interrogé doit jouer entre recul scientifique et confiance avec le sujet. L’application purement linguistique de ces termes est d’ailleurs amusante puisque la discipline scientifique réclame au premier abord d’un travail d’en connaître le sujet, l’identité singulière et intime, le « je ». Voilà pourquoi cette conclusion est tirée aussi bien sur les descriptions sociales qui m’ont été faites ainsi que certains faits, que sur ma propre condition en tant qu’étudiant masculin, blanc, issu de parents respectivement instituteur et professeur de collège, amateur d’œuvres de fiction qu’elles soient sous format vidéo ou livresques. La connaissance de ma propre identité, qui bien sûr ne peut se résumer à ces uniques 132 définitions, est un pan entier de ce travail, qui pour des raisons de commodité n’a pu transparaître intégralement. Il me semblait pour autant essentiel de préciser le caractère intime de ce travail, au-delà d’un simple feuillet de remerciements. Dans le cadre de son ethnographie, les mots de Jeanne Favret-Saada, résument ce gouffre des sciences sociales, le rapport scientifique d’une « non-personne à un sujet indéfini ». « Ainsi, l’ethnographie semble s’élaborer entre un individu qui serait une fois pour toutes cantonné dans la place du sujet de l’énoncé et un savant qui se désignerait lui-même comme un sujet de l’énonciation mais comme son sujet indéfini. L’indigène apparaît alors comme une monstruosité conceptuelle : assurément comme un sujet parlant puisque l’ethnographie est faite de ses dires ; mais comme un parlant non-humain (ici en italique) puisqu’il est exclu 133 qu’il occupe jamais la place du « je » dans quelque discours que ce soit. De 131 132 133 Qu’il soit en thèse, enseignant-chercheur ou simple rédacteur de mémoire. Je n’avais de toute manière pas la volonté de réaliser un mémoire sur moi-même. Le lecteur de ce travail sera forcé de constater qu’au fil de l’écriture, les modifications directes sur les paroles des interrogés, particulièrement la modification du « je » se sont estompés. J’ai fait le choix de laisser cette évolution pour laisser paraître la modification de mon rapport à l’interrogé et le caractère de plus en plus assumé de la personnalisation 51 Ma Famille, Nos Séries et Moi son côté, l’ethnographe se donne pour un être parlant (ici en italique) mais qui serait dépourvu de nom propre (ici en italique) puisqu’il se désigne par un pronom indéfini. Etrange dialogue que celui qui paraît se tenir entre ces êtres 134 fantastiques… » 135 C’est donc une construction en alternance entre première personne du singulier , précisant mon individualité et première personne du pluriel, soulignant l’aspect commun du travail et 136 la rigueur scientifique qui a baigné ma réflexion . En conclusion de ce travail, on donne alors à l’idée de commun plusieurs sens. Tout d’abord, l’approche d’une communauté, ivoirienne, liée par des références, des pratiques, des souvenirs, des objectifs de vie partagés, mais également une communauté des séries télévisées, évoquée à travers les forums internet, les entretiens avec les 137 interrogés. Dans ce travail, ce commun se trouve alors sur plusieurs cercles : nationalité, condition migratoire, famille, partage d’œuvres culturelles. La participation de l’interrogé à différents cercles est la condition essentielle de son individualité. Ces cercles peuvent bien entendu refléter chacun dans leur pratiques, coutumes, une forme de déterminisme social mais c’est l’union et l’adhésion de l’individu à ces différents cercles qui permettent la définition de son individualité, telle l’apparition de la forme centrale d’une rosace une 138 fois cette dernière achevée . On trouve alors un double mouvement, à la fois d’une construction de l’individu à travers ses pratiques et d’une évolution de ces pratiques par rapport à ce que l’individu leur apporte. Comme nous l’avons évoqué à travers la recherche de Muriel Mille sur la série française « Plus Belle la Vie », l’individu, à travers ses pratiques sociales offre un sujet de création culturelle, création se construisant à travers la recherche 139 de « l’effet de réel » et « l’enchantement » télévisé . Cependant, une simple approche en miroir embellissant, si l’on se fie à la théorie de l’enchantement défendue par Eric Macé, appliquerait à la télévision une théorie classiquement nombriliste. C’est alors que l’application d’une théorie perfectionnisme, issue des réflexions de Sandra Laugier sur Stanley Cavell met à jour la pratique du public vis-à-vis des séries télévisées et autres cultures ordinaires. Ce rapport éducatif, nous l’avons observé à la fois dans les articles 140 de presse mais également dans les discours des interrogés. Cette perception du public , révèle le pouvoir que ce dernier a sur ce qu’il regarde : le pouvoir de modifier lui-même sa des interrogés ainsi que l’imbrication du discours de l’interrogé au discours scientifique et théorique que j’ai appliqué au long de ce mémoire. Au même titre, j’ai fait le choix de garder leurs prénoms originaux, n’ôtant que leurs noms de famille afin de préserver une forme de secret d’identité. 134 135 Jeanne Favret-Saada, « Les mots, la mort, les sorts », Editions Gallimard, 1977 Aussi bien à travers l’usage direct du « Je », qu’à travers la narration de ma propre vie, des émissions télévisées que je suis, des séries télévisées que je pratique voire des membres de ma famille se rapprochant de près ou de loin au travail effectué. 136 Schéma d’entretien, lecture et citations sourcées. 137 138 Dénomination que l’on préfèrera à celle de « niveau », plus hiérarchisée et hiérarchisante. Cette conceptualisation en cercles laisse pour autant la place à de l’imprévu et n’offre pas la régularité de la figure géométrique. 139 Eric Macé, « La Télévision du Pauvre. Sociologie du « public participant » : une relation « enchantée » à la télévision », Hermès 11-12, 1992. 140 52 Ce qui est public est alors commun. Conclusion conception du monde et de la morale à travers l’usage des œuvres culturelles qu’il tient à 141 sa disposition . A l’inverse, lorsqu’en 1992, Eric Macé écrit: « (…) la banalisation de la télévision liée au passage d'un régime de rareté à un régime d'abondance se traduit par la transformation des téléspectateurs en consommateurs, en « public » vendu aux annonceurs par les chaînes de 142 télévision. » il convoque malheureusement les idées élitistes et dépassées de l’Ecole de Francfort concernant un public télévisé, qu’il qualifie de manière permanente de « populaire ». Sousjacente, l’idée d’enfermement du public aliéné à un menu télévisé, à un programme dont il ne peut décider de l’horaire, est présente dans le discours d’Eric Macé, à proximité de l’assujettissement aux discours publicitaires. Ce soi-disant assujettissement du public à la publicité, lié à la citation ultra-populaire du « temps de cerveau disponible » de Patrick Lelay, n’est en aucun cas le discours tenu par la majorité des interrogés sauf Ivoire, issue de la bourgeoisie et jugeant les Ivoiriens comme de pauvres manipulés, incapable de forger leur propre opinion concernant les programmes qu’ils regardent. Ce type de discours, qui en surface se veut protecteur du « pauvre », du « mal éduqué » met en réalité une distance forte entre « pauvres » et « riches » et convertit dans le discours le capital économique en capital culturel, rendant le pouvoir de réflexion et de jugement du spectateur télévisé impotent puisque ce dernier ne sait pas et ne peut pas savoir. Richard Hoggart n’est pas loin. Notre travail a tenté de mettre en évidence les nouvelles pratiques de la télévision et du visionnage des œuvres diffusées, particulièrement grâce à l’outil Internet. Le bouleversement des supports, l’évolution vers la « télévision à la demande » et le téléchargement illégal s’appliquent comme autant de pratiques libres, pour ne pas dire libertaires, de la culture. De plus en plus, ces nouvelles pratiques des œuvres culturelles tendent à être légitimée comme en témoigne la récente déclaration de Jeff Bewkes, le PDG de Time Warner, maison-mère de HBO, concernant la série « Games of Thrones », dont nous avons précédemment vu qu’elle était une des plus piratée du monde. Ainsi, pour Bewkes, les scores impressionnants du piratage sont « meilleurs qu’un Emmy », ces derniers aboutissant de tout façon sur une « augmentation des abonnements à HBO », les 143 pirates étant également ceux réalisant le « bouche-à-oreille » sur une série. C’est en cela que l’on convoque le commun sous un autre angle, attenant toutefois. Le commun, c’est l’ordinaire défini par Sandra Laugier : séries télévisées, cinéma, mais 144 aussi émissions de télé-crochet, de rencontres amoureuses . A travers l’extraordinaire 141 142 Œuvres auxquelles il choisit, de manière relative, d’être exposé. Eric Macé, « La Télévision du Pauvre. Sociologie du « public participant » : une relation « enchantée » à la télévision », Hermès 11-12, 1992. 143 144 http://www.adweek.com/news/television/bewkes-game-thrones-piracy-better-emmy-151738 On citera « l’Amour est dans le pré », réalisant le lundi 12 août la meilleure audience de la saison 2013 avec 5,5 millions de téléspectateurs, soit 28,1 % de part d’audience selon Médiamétrie. L’émission présentée par Karine Le Marchand offre la chance à des célibataires issus du monde rural de rencontrer et de trouver l’amour. Source : 20 Minutes.fr URL : http://www.20minutes.fr/ societe/1209753-20130813-audiences-tv-record-lamour-pre-nathalie-qualifiee-dinfecte-twittos 53 Ma Famille, Nos Séries et Moi 145 fiction des situations dépeintes , la mise en scène, l’expérience morale reste intacte. Puisque les séries reposent, qu’elles soient fantastiques, éloignées géographiquement, sur 146 des mécanismes d’exposition de situations problématiques, liées à des questionnements éthiques, elles deviennent de fait quotidiennes et ordinaires. Dans notre étude plus particulièrement, ces séries ont trait à la famille, aux écueils politiques et économiques de la société ivoirienne, des sujets de conversations que l’ont pourrait qualifier de commun. La culture du quotidien, celle pratiquée tous les jours et qui « sert » tous les jours, mettant en scène l’ordinaire et offrant à la réalité sociale un écho, un échauffement, un test à travers la fiction de cette réalité. La série télévisée telle que nous l’avons observée dans les 147 discours des interrogés, et à plus grande échelle, la culture , est une zone d’apprentissage moral où cette dernière notion est adoubée par l’humour et l’amour. Ces deux concepts sont essentiels au mécanisme culturel puisqu’ils relativisent les situations sociales ou les renforcent selon la proximité de ces dites situations. L’usage des « effets de réel » au sein des séries télévisées ivoiriennes apparaît certes comme grossier pour les interrogés mais fonctionne pourtant. Cela est peut-être à mettre sur le compte de la « théâtralité ». Plus ou moins assumée selon les programmes, les séries télévisées restent une présentation de la réalité, le quatrième mur, peu importe l’usage en étant fait, fonctionnant comme une porte vers la réflexion et le divertissement. Le commun, c’est aussi la famille, présente dans les conversations avec les interrogés aussi bien en tant qu’objet de la série, noyau central des problématiques, point de repère moral, que dans les pratiques culturelles télévisées, particulièrement dans le rapport au domicile et dans les relations de genre. Nous avons pu constater qu’au-delà d’un clivage de genre entre émissions sportives et telenovelas romantiquesnll, il existait une zone nongenrée en terme de public, les séries humoristiques assumant largement leur dimension morale, sinon impertinente. La télévision parle de la famille et la famille parle de la télévision (voir la sous-partie « House Chat »). La familiarité et le commun ouvrent donc sur des notions d’habitude, de rendez-vous, assumés (souvent) ou non (parfois, comme nous l’avons vu avec la description des telenovelas par Hermann), offrant une fois de plus une place centrale à la télévision dans son implication au sein de la réalité sociale. 145 Et quoi de plus fantastique et décalé qu’une émission telle que « Master Chef » mettant en scène des amateurs, apprentis cuisiniers réalisant des plats aussi ordinaires que les endives au jambon sur la musique épique tirée de la bande-originale de « Pirates des Caraïbes » ? 146 147 Sitcom : situation comedy En ce qu’elle est un ensemble d’objets culturels liés entre eux par leurs créateurs (public comme artistes) et les relations que ces derniers entretiennent entre eux. 54 Conclusion Illustration de la rubrique relative à la série télévisée « Ma Famille » sur le site de TV5 Cuisine, musique, télévision, séries télévisées, séries télévisées humoristiques, autant d’éléments qui peuvent se révéler comme des marqueurs d’identité sociale, aussi bien en terme de nationalité, de genre, d’ethnicité, de situation économique. Les pratiques culturelles migratoires, cependant, ne résident pas dans un concept de reproduction de son pays d’origine dans son pays d’accueil. Tout d’abord parce que le déplacement et l’implantation sur un nouveau territoire ne sont jamais définitifs, que les 148 migrations sont de plus en plus liées à des phénomènes de mouvement perpétuels , où la fréquence du déplacement varie selon les individus et leur situation sociale et nationale. Aussi parce qu’il est évident qu’il existe une forme de « nostalgie » mais que celle-ci n’est pas automatiquement synonyme d’enfermement, de repli identitaire. Au contraire, les pratiques culturelles (repas « typiques » entre amis, au delà des origines, acceptation de la discussion autour des séries télévisées ivoiriennes…) sont partagées avec motivation par les interrogés et engagent une réflexion autour de l’identité, de l’intégration, de la communauté et l’espace public. Toutes ces activités semblent liées à la confirmation d’une hypothèse : la culture est mobile parce qu’elle est emportée au loin par les migrants, mais aussi mobile car partagée, mélangée, instable et créative en somme. La facette « migratoire » du travail a pu porter à ma réflexion des sujets divers comme l’épicerie, la musique, la télévision, dans une optique quasi-ethnologique. Cependant, ce développement de ma part s’est aussi réalisé par besoin de confiance, de confidence dans la pratique de la conversation. Ce pendant ethnologique réalise donc une double tâche : la mise en confiance de l’interrogé par la narration et l’écoute attentive et sincère de son récit de vie et par la même occasion la délimitation et la saisie de certaines de ses habitudes culturelles ainsi que son opinion, son jugement sur sa propre vie (notamment familiale). Ce travail a permis en somme, à la fois de faire un état des lieu non-exhaustif de l’importance des séries dans la vie quotidienne, que cette vie soit celle d’un migrant ou 148 Et cela à des pratiques plus ou moins éloignées de la migration. Le déménagement professionnel peut, dans une certaine mesure à tempérer évidemment, être considéré comme une migration. 55 Ma Famille, Nos Séries et Moi bien d’un étudiant, d’observer les pratiques différenciées de la culture suivant le contexte individuel, familial, social des interrogés. Enfin, l’observation faite de l’usage numérique par les interrogés et son analyse par les médias et l’actualité scientifique a montré une modification des pratiques culturelles, habituelles et les actions des individus, à travers 149 de nouvelles manières d’échanger au sein de leurs communautés . Réseaux sociaux, téléchargement, culture à la demande, fin de la programmation télévisée classique, les nouveaux usages sociaux de la culture abolissent certaines frontières techniques entre public et œuvres et par la même occasion redéfinissent les enjeux économiques et moraux de la création culturelle. 149 Il est essentiel suite à certaines conclusions tirées dans ce travail concernant la porosité et les échanges entre milieux sociaux et culturels de mettre au pluriel la notion de communauté, à la fois par rigueur scientifique mais également en opposition à la notion de communautarisme, reflétant la fermeture, l’enfermement supposés d’individus au sein d’un seul cercle social. 56 Bibliographie Bibliographie Ouvrages scientifiques Jean Baudrillard «Kool Killer ou l’Insurrection par les Signes» in «L’échange Symbolique et la mort», Gallimard, Paris, 1976, pp. 118-128 Dominique Boullier, « La Télévision telle qu’on la parle. Trois études éthnométhodologiques », L’Harmattan, Coll. 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La vie du brillant mais misanthrophe médecin Gregory House confronté à des situations médicales et sociales inédites Les enquêtes d’une équipe de profileurs du FBI se déplaçant dans les EtatsUnis afin de résoudre des cas de meurtres en série. Série télévisée satirique ivoirienne traitant de réalités sociales sous le spectre de l’humour Adaptation des romans fantastiques de G.R.R Martin, une plongée dans les rapports de pouvoirs entre grandes féodalités : guerres, trahisons, amours tragiques, dragons… Une plongée dans les rapports sociaux, sentimentaux et professionels des membres du personnel médical du fictif « Seattle Grace Hospital » Les doutes d’un agent de la CIA, Carrie Mathison face à un héros national, Nicholas Brody, suspectant ce dernier de conspirer contre les Etats-Unis. A Miami, Las Vegas et Manhattan, trois équipes de la police scientifiques tâchent de résoudre les crimes auxquels elles sont confrontées Michel Bohiri, homme à femmes et époux et son ami Gohou Michel sont deux redoutables dragueurs qui n’hésitent pas à envoyer61 leurs conquêtes dans leurs Jeff Davis / CBS Faut pas fâcher ! Années 90 15 saisons – Milieu des - ??? épisodes années 2000 Guédéba Martin / La Première (RTI) Games of Thrones 17 avril 2011 – En production 3 saisons – 30 David Benioff, épisodes D.B. Weiss, George R. R. Martin / HBO Grey’s Anatomy 27 Mars 2005 – En production 9 saisons – 196 Shonda Rhimes / épisodes ABC Network Homeland 2 octobre 2011 – En production 2 saisons – 25 épisodes Howard Gordon, Alex Gansa et Gideon Raff / Showtime Les Experts 6 octobre 2000 – En production (pour Manhattan) 13 saisons – 295 épisodes Anthony E. Zuiker, Ann Donhue, Carol Mendelsohn / CBS Ma Famille 2002 2007 5 saisons – 300 épisodes Akissi Delta / La Première (RTI) 150 Marimar 31 janvier 1994 – 23 août 1994 1 saison – 75 épisodes Valeria Phillips, Inés Rodena, Carlos Romero / Televisa famille La vie amoureuse de Maria del Mar, jeune femme fleur bleue rencontrant le beau Sergio. Ma Famille, Nos Séries et Moi Entretiens Gretta Entretien réalisé le 23/02/2013 Est-ce que tu aimes bien regarder la télé? Euh, non, je ne regarde jamais la télé. Je suis étudiante donc on n’a pas vraiment la télé ici, j’habite en cité. Je regarde des séries sur mon ordinateur mais à part ça je ne regarde pas la télé et je pense que c’est une perte de temps, en général. Du coup, tu regardes quoi sur ton ordinateur? Bon, je regarde des séries vraiment américaines genre, je te dis les noms en anglais parce que je connais pas les équivalents en français, donc «Greys Anatomy», «Vampire Diaries» (rires). C’est embarassant. Il y a un truc que j’ai commencé à regarder, ça fait pas trop longtemps, ça s’appelle Scandal, avec Kerry Washington. Tu connais pas du tout? Non, tu sais généralement, si ça vient de commencer, nous on les a un an après, enfin un peu moins mais ça devient connu un peu plus tard. Donc ça parle d’une avocate, elle est pas vraiment avocate mais elle gère des crises pour des personnes qui sont vraiment en position de pouvoir, des sénateurs, des gens qui ont beaucoup de publicité et qui sont connus, qui ont des crises, par exemple, un homme qui est mort, qui meurt au lit avec sa maîtresse et qui ne veut pas que tout le monde soit au courant, bon. Donc la maîtresse les appelle pour qu’ils viennent dégager le corps et après le ramener chez lui, ce genre de truc. En même temps, elle sort avec le président des EtatsUnis (rires). C’est vraiment des trucs à dormir debout quoi. D’accord. Parce qu’elle travaillait, elle a géré sa campagne hum, c’est vraiment elle qui a permis qu’il soit élu et ils ont commencé à sortir ensemble pendant la campagne et après, elle travaillait dans la maison blanche mais quand sa femme elle s’est rendue compte qu’ils sortaient ensemble, elle est partie, elle a commencé à travailler, à faire son propre truc quoi. Toute seule. Donc il y a ça. C’est qui l’actrice principale? Kerry Washington. C’est celle qui a joué dans Ray Charles, tu connais le film? La noire avec, bon dans le film elle a les cheveux courts. Elle joue pas dans Django aussi? Oui, exactement. C’est les même acteurs, c’est Jamie Foxx, dans les deux! Il y a peut être quelque chose de sous-jacent entre les deux. Donc tu regardes pas la télé. Tu ne regardais pas la télé quand tu étais plus jeune? Quand j’étais à Abidjan, cet été, oui je regardais la télé. Je regardais France 24, TV5, des chaînes, d’autres chaînes africaines, je regardais les nouvelles quoi. D’accord, tu regardais que les nouvelles. 62 Annexes Euh, des fois des films, des séries, sur Canal, Canal+. Ouais. Et dans quelles... Comment ça se fait que tu es allée à Abidjan, cet été? Je suis partie, parce que je suis de Côte d’Ivoire, d’origine et ça fait 10 ans, non pas 10 ans, bon, 9 ans que j’habite aux Etats-Unis mais j’ai toujours ma fille là-bas et ma mère fait les allers-retours entre ici et Abidjan parce que elle s’est pas vraiment adaptée aux EtatsUnis. Donc, elle était déjà là bas. Et moi, j’étais en Espagne. Quand j’ai fini en Espagne, je suis allée directement à Abidjan pour la retrouver et y’a mon frère qu’est là bas aussi. Donc, j’ai passé deux mois là bas et j’ai fait un stage, c’est pour te dire. Mais c’est pas vraiment un stage parce que les stages là bas tu fais rien quoi. Tu observes ce qu’ils font et c’est tout. Tu ne lèves pas le petit pouce, c’est, c’est autre chose. Et du coup, tu étais hébergée dans ta famille là bas. Oui, on a notre maison là bas qu’on a depuis que je suis partie quoi. Ca n’a pas changé. �D’accord, donc tu es née à Abidjan. Oui, oui. Je suis restée là bas jusqu’à ce que j’avais 11 ans. Pourquoi, tu...? On est parti parce que mon père avait sa société qu’il gérait et quand il y a eu la crise politique, ça lui a causé une crise économique dans sa, dans ses affaires. Bon, lui il dit qu’il est parti parce que vraiment ç’était un coup trop dur et il pouvait maintenir le même style de vie qu’avant. Et c’est vrai mais c’est aussi parce qu’il a mal géré ses affaires quoi. Il a dépensé trop d’argent en même temps juste avant que... je dirais dans les années 2000, 1999, il a claqué plein d’argent, beaucoup trop d’argent dans une période de temps trop courte et après il a vraiment senti les effets durement. Et donc quand il y a eu la crise, il a pas pu s’en remettre et il a décidé de tout laisser tomber et de partir. Donc vous êtes tous parti ensemble aux Etats-Unis. Donc tu as des frères, c’est ça? Oui, j’avais un frère qui était déjà ici et une soeur aussi et mon père est venu avant nous. Et nous, on l’a retrouvé après, ma mère et moi. Et mes deux autres frères. Donc c’est d’abord les garçons qui sont partis au début? Après, vous les avez rejoint, non? Non, en fait, bon il y avait un garçon qui était là, déjà. Après mon père, après ma mère et moi et les deux autres garçons. Donc tu as un grand frère qui est plus âgé que toi. J’ai trois grands frères qui sont plus âgés que moi (rires). D’accord ok. Et donc maintenant de tes frères et soeurs, il y en a qui habite en Côte d’Ivoire? Oui, il y en a un qui habite en Côte d’Ivoire. Et les deux autres sont toujours là. Tu disais que ta mère, elle avait un peu du mal à vivre aux Etats-Unis. Ca veut dire quoi? Ca veut dire qu’elle a un peu le mal du pays ou...? Pas trop qu’elle a le mal du pays. C’est que elle parle pas anglais donc, elle a pas vraiment pu s’adapter et elle a jamais pu travailler. Elle a pris des cours mais, des cours dans des églises, dans des bibliothèques, des cours gratuits qui sont vraiment pas intensifs, qui lui ont pas permis de, d’approfondir ses connaissances en anglais. Et nous aussi, on a toujours parler en français à la maison. Donc, ça l’a pas aidé parce qu’elle a pas pu pratiquer et vraiment écouter quoi. Et donc elle s’est découragée après trois ans, quatre ans, elle s’est 63 Ma Famille, Nos Séries et Moi découragée, elle a commencé à faire des allers-retour. Donc, c’est ce qu’elle fait depuis je dirai, 2006. Elle y va, elle passe l’été là-bas et après elle revient. Ouais, elle revient quelques mois ici. Du coup, ça parle français à la maison donc ta mère elle regarde la télé en français? Ici, on a pas vraiment de chaîne française à part France 24, bon c’est pas vraiment une chaîne française parce qu’ils parlent aussi en anglais, donc c’est tout quoi. On avait Télé5 avant donc on regardait, mes parents regardaient des nouvelles, des films, des films un peu bizarres sur Télé5. C’est quoi les films un peu bizarres? Mais a part ça on pas la télé en français. D’accord, c’est quoi les films bizarres sur Télé5? Euh, il y a beaucoup de films canadiens (rires), qu’on arrive à peine à comprendre et des films français, je me rappelle pas vraiment des titres mais les films français sont vraiment bizarres, moi je trouve. (rires) Et ça, vous ne regardiez jamais de films ivoiriens? Hum, non, pas vraiment, c’est bizarre. Avant, on regardait beaucoup plus, la télé ivoirienne, les séries. Bon, quand j’étais à Abidjan cet été, on regardait les nouvelles ivoiriennes aussi mais des films ivoiriens, y’en a pas vraiment. C’est des séries, des séries de comédie. Mais, avant y’en avait beaucoup plus et ça s’est diminué avec le temps, donc pas vraiment. C’est à dire que toi t’en regardes presque plus ou alors c’est parce qu’ils en produisent plus? C’est parce qu’ils en produisent pas vraiment. Parce que... T’as des titres de séries, en tête? Y’en a une qu’on appellait «Faut pas fâcher», et si tu regardes, je suis sûre que si tu cherches sur Youtube, tu vas trouver. Et, y’a une autre qu’on appelle «Ma Famille». Ouais, «Ma Famille», je connais. Tu connais, ok. Et une autre qu’on appelle, euh, «Faut pas fâcher», ah, j’ai oublié le nom! Euh, attends, si je me rappelle, je te dirais après mais ça c’était vraiment les séries principales qu’on regardait. C’est quoi comme genre? C’est des trucs vraiment comiques avec des, des problèmes de famille quoi, ou des problèmes d’argent, des problèmes de femme avec son mari qui la trompe, où il y a un enfant qui, des trucs comme ça, des problèmes de tous les jours. Et c’est comique? Oui, c’est très comique (rires). Tu vas, si tu regardes des petits clips, tu vas t’éclater. D’accord, ça marche. Non mais c’est vrai que j’avais vu qu’il y en avait pas mal sur Internet mais après tu sais quand tu lances des recherches comme ça, t’es pas sûr forcément de tomber sur ce que regardent les gens. Tu sais si tes frères regardent des séries? 64 Annexes Non, ils regardent pas la télé ivoirienne, parce que bon, ici on en a pas, on a pas accès à la télé ivoirienne et mon frère qu’est à Abidjan, pfff, non il regarde pas vraiment la télé. Il regarde la télé mais il regarde Canal et d’autres chaînes européennes. Tu penses qu’il y a beaucoup d’ivoiriens qui regardent la télé européenne? Oui, largement, bon la grande majorité. Ils regardent des trucs produits en Europe parce que, ils considèrent pas que ce qui est fait en Côte d’Ivoire est de bonne qualité et ça les intéresse pas trop donc si tu vas chez quelqu’un, ce qui passe à la télé, c’est en général des trucs européens et ça depuis qu’on est petits. C’est un phénomène, c’est pas nouveau. Est-ce que tu penses que les garçons et les filles regardent ensemble ou c’est des choses qui sont un peu plus divisées? Je dirais que ouais, pour les séries qui passent à la télé où il y a vraiment une démarcation entre les femmes et les hommes parce qu’il y a beaucoup de feuilletons qui passent, des feuilletons de Brésil, d’autres pays d’Amérique Latine et ça, c’est, c’est largement les femmes qui regardent. Donc il y a des telenovellas, donc c’est des trucs traduits, traduits du Brésil, c’est marrant ça. Oui, c’est traduit en français, du Brésil. C’est vraiment des mauvaises traductions mais... C’est du sous-titres ou du doublage? C’est du doublage, c’est doublé. Donc c’est... Ca c’est les femmes. Donc c’est que des Latinos et des histoires d’amour. Oui, des histoires d’amour et d’argent. (rires) Ouais, en gros. Est-ce que tu sais ce que les hommes regardent? Les hommes regardent le football, donc les matchs qui passent, qui se passent en France, en Angleterre, en Espagne. Et aussi bon, quand il y a la coupe d’Afrique, bien sûr, ils manquent pas un match. Mais les femmes aussi quand il y a une grande coupe, la coupe d’Afrique est regardée aussi par les femmes. Parce que, si il y a ton pays qui joue, on se rallie tous ensemble. Les matchs de ligue, ça c’est un truc d’homme. Et même les sports joués à l’école, dès qu’on est petit en général, bon les filles participent mais c’est beaucoup plus les garçons qui jouent au football, au basket, des trucs comme ça. Bah alors, elles font quoi les filles, si elles jouent pas? Les filles, elles font la corde à sauter, elles jouent avec un élastique, t’as jamais vu les filles jouer avec un élastique? Si si, si si... Et, on joue aux billes, donc ça c’est fille et garçons. Et la marelle Ca arrive que du coup, les euh, tu me dis si je me trompe, du coup les programmes comiques, c’est un truc que tout le monde regarde ensemble? Oui, ça c’est le truc de famille, c’est le truc que tout le monde regarde ensemble. Pourquoi tu penses que les gens ils regardent ce genre de programme? 65 Ma Famille, Nos Séries et Moi Je pense que ça donne une façon d’oublier un peu ses propres problèmes donc tout le monde se réunit ensemble, ça réduit un peu les tensions, si il y a des tensions dans la famille. Tout le monde rit ensemble, on a la possibilité de, de s’abstracter un peu de notre propre vie, de s’absorber dans la vie d’autres personnes et d’oublier ce qu’on a qui nous dérange, je pense que c’est pour ça qu’on regarde tout ça ensemble. Tu penses qu’il y a des problèmes quand même dans les familles qui peuvent un peu se détendre? Oui, oui. Beaucoup, des problèmes il y en a beaucoup. Les familles africaines, par exemple, tu as le père qui a son frère ou sa soeur qui habite dans le foyer, parce qu’en général les foyers, c’est pas papa, maman et enfants. C’est papa, maman et le cousin, la cousine ou la nièce qui habite aussi avec eux donc il y a toujours des problèmes qui s’engendrent comme ça avec ce genre de situations. Ou la femme qui a eu des enfants avant, avant de connaître son mari donc elle a ses enfants, d’un mariage avant, dans le même foyer, donc ça, ça produit aussi des problèmes. Ou il y a le monsieur qui trompe sa femme et la femme le sait mais elle lui parle pas de ça, donc il y a des tensions qui sont créées. Ou il y a quasiment, le monsieur qui a eu des enfants hors-foyer et des enfants qui vivent dans la maison, qu’il a ramené après et la femme qui les élève (rires). Ca c’est trucs que t’as vu dans la série ou en vrai? Ah! Ca c’est des trucs de vie, réelle, pas seulement dans la série hein! Les séries reproduisent ces situations mais c’est des situations qui sont très réelles! Et donc, toi tu dis que tu regardes des trucs essentiellement sur ton ordinateur, enfin maintenant. Et tu partages plus trop de moment comme ça? Mais en même temps c’est vrai que t’habites plus avec tes parents. J’habite en cité, donc je partage plus vraiment de moment comme ça avec ma famille. Et quand je repars, bon c’est la télé américaine donc on a pas vraiment... C’est plus comme avant parce qu’on peut pas tous rire ensemble, pleurer devant la même chose parce qu’il y a ma mère qui parle pas vraiment anglais et mon père il parle anglais mais il comprendrait pas l’humeur, l’humour américain. Donc, on peut plus vraiment faire ça. Pourquoi il comprendrait pas l’humour américain? Bah, c’est un peu difficile pour lui. Bon il comprend ce qui se dit mais, il peut regarder la télé et s’éclater mais, si c’est pour regarder des trucs qui sont un peu plus nuancés où il y a des blagues, des suggestions, des références culturelles, c’est un peu trop quoi. Il arriverait pas à rire pour ça. C’est quoi les programmes que tu pourrais regarder avec lui par exemple? Euh, des rpogrammes genre de «reality tv» tu connais? Phénomène, donc des trucs comme «Cops», tu connais l’émission? C’est quoi? Ca suit des policiers dans différentes villes américaines qui vont arrêter des gens, répondre à des crises ou euh, ouais. Et ça c’est marrant? Oh, lui il trouve ça marrant (rires). Moi je trouve pas ça particulièrement marrant mais lui il s’amuse en regardant ça. Parce que les gens qu’ils montrent, qui passent dans ces séries là c’est vraiment des, le pire de l’Amérique quoi! Donc, ouais. 66 Annexes Donc d’un côté lui, ça peut peut-être le... Est-ce qu’il se sent américain ton père ou pas du tout, il se sent juste travailleur ivoirien aux Etats-Unis? Ouais, il se sent juste travailleur ivoirien. Il est fier d’avoir la nationalité américaine mais il se sent pas américain quoi. C’est peut-être pour ça que ça le fait rire de voir des «rednecks» se faire arrêter... Oui, bien sûr! C’est pour ça que ça le fait rire. Il regarde aussi un truc qu’on appelle «Judge Judy» et c’est une série je dirais qui suit les audiences d’une juge. Elle donne des verdicts sur des problèmes entre des individus. Je dirais par exemple, il y a une femme qui habite avec sa coloc et sa coloc ne paie pas le loyer ou est partie, laissée toute seule à payer le loyer pendant cinq mois, des trucs comme ça et ils viennent devant le juge qui va rendre sa décision. Ou une femme et un homme, la femme a trompé le monsieur et le monsieur veut divorcer mais ils sont, ils ont un enfant ensemble donc elle doit décider qui doit avoir la garde de l’enfant... Un peu comme «Ma Famille» quoi! Oui, (rires), les mêmes cas! Mais vraiment des histoires de fous! C’est marrant, tu fais les mêmes descriptions pour les deux. (rires). Parce que dans le genre, enfin pour revenir sur les séries ivoiriennes, c’est quoi en fait? Comment elles fonctionne d’après toi? C’est vrai que moi je ne connais pas. Comment ça marche un épisode? OK, je viens de me rappeler du troisième! C’est «Qui fait ça?». Euh, bon j’étais petite quand je regardais ces séries donc je me rappelle pas très bien, mais en général ça se suit, il n’y a jamais, c’est pas comme beaucoup de séries américaines qui ont un épisode qui raconte une histoire, il y a un conflit qui se résout à la fin, en général le conflit il dure toute la série. Ca se suit quoi et il y a des personnages que tu trouves, tu rencontres tous les personnages au début de la série, en général et tu les suis, tu suis l’évolution de leurs propres problèmes. Mais, y’a pas, en général c’est que des adultes. Y’a pas beaucoup d’enfants qui sont impliqués et je pense que bon c’est un truc de, les enfants sont pas vraiment recrutés pour paraître à la télé. En général à la télé c’est les adultes et donc t’as des couples, t’as beaucoup de couples et des groupes d’amis et c’est comme ça que les conflits se forment. Je me rappelle plus des histoires très précises parce que j’étais tellement petite, j’avais 10 ans, 9 ans. Est-ce que tu as des souvenirs, c’est vrai que ça remonte un peu à loin, tu te rappelles si vous aimiez tous regarder ça? Il n’y avait personne dans la famille qui n’était pas d’accord? Non, tout le monde aimait ça. C’était un truc vraiment universel. «Faut pas fâcher», «Qui fait ça?», c’était vraiment les trucs que tu ne peux pas ne pas regarder! Les feuilletons d’Amérique Latine oui, parce que c’est un peu, il y en a d’autres qui trouvaient un peu ça bête et futile mais les séries ivoiriennes quasiment tout le monde les regardait. Bon, à part, je pense que mon père lui ne regardait pas trop ça parce que c’était un homme d’affaire donc il voulait pas trop perdre son temps avec ça, je disais que «j’ai d’autre chose à faire que de m’asseoir ici à regarder ça» mais ma mère et mes frères et soeurs, oui, tout le monde. Et donc ça, c’était quand tu étais à Abidjan. Oui, quand j’étais à Abidjan. Et dès le moment où tu es partie au Etats-Unis, vous avez arrêté de regarder. Ouais, malheureusement. Parce que on a même pas de moyen d’avoir les CD, les DVD. On a internet à la maison, donc, je pourrais aller sur Youtube pour regarder des séries mais 67 Ma Famille, Nos Séries et Moi moi ça m’a vraiment, ça m’a jamais traversé l’esprit, à ce moment là j’étais un peu assimilée à la culture américaine donc... j’ai pas trop envie de repartir en arrière. Et maintenant si, ça me traverse l’esprit mais j’ai pas le temps en fait. Puis, c’est peut être l’idée que quand vous regardiez ça à la télé c’était à heure fixe donc ça faisait un rendez vous. Si c’est sur Internet tu te dis toujours, on va regarder une autre fois... Ouais, c’est pas la même chose. Pourquoi tu penses que c’est retourner en arrière que de regarder ces séries? Non, je veux pas dire retourner en arrière! Mais, repartir dans le passé, regarder des choses que j’ai déjà vu auparavant, sinon ça me dérange pas quoi de regarder ce genre de séries mais, j’ai plus le temps en fait et en ce moment je suis étudiante donc je me dis que, (silence) j’ai déjà des habitudes que j’ai formées donc de repartir encore, de reprendre ces séries là et les suivre c’est une autre chose que je dois faire donc je préfère même pas, même pas le faire. En même temps tu regardes des séries genre «Vampire Diaries» etcaetera (rires) donc ton temps tu le dépenses quand même à regarder des séries! Oui, je regarde autre chose, c’est vrai (rires)... Un peu plus général, est-ce que tu penses qu’il y a beaucoup de migrants qui regardent des films de leurs pays d’origine? Oui, énormément, les immigrants d’Afrique, les anglophones, énormément d’entre eux regardent des séries de leurs pays. Les libériens, les nigériens, les ghanéens, ça c’est sûr, je peux te dire, sans question quoi. Euh, les ivoiriens, pas autant parce qu’on a pas autant accès à, aux films de notre pays d’origine. Parce que on a pas, on a pas une communauté aussi large par rapport aux anglophones, il y a beaucoup plus de nigériens, de libériens, de ghanéens et d’autres qui parlent anglais ici, et eux ils sont beaucoup plus. On est soudés aussi les ivoiriens mais eux ils ont un réseau beaucoup plus étendu. Ils ont même des magasins qui leurs vendent de la nourriture de leur propre pays, des gens qui emportent des trucs que tu trouve que en Afrique quoi. Nous on a même pas ça. Nous pour acheter des trucs, nous, les ivoiriens, si on veut acheter des trucs qui sont produits juste en Côte d’Ivoire et bien on va dans le magasin de la ghanéen, du libérien ou du nigérien parce que y’a pas un ivoirien qui a ouvert ce genre de magasin ici. Ces mêmes magasins là ils vendent aussi des films, des films de leurs pays d’origine. Mais pas de Côte d’Ivoire? Non, en général non. Tu dis que c’est une petite communauté, mais tu habites où aux Etats-Unis? On habite à Maryland, c’est juste à côté d’ici (elle est alors à Georgetown, Université de Washington DC), y’a Maryland, Virginie et District of Columbia. Moi où j’habite c’est à une demi-heure de la cité et bon je rentre pas trop souvent mais au moins une fois par mois, je repars. Et y’a une grande concentration d’ivoirien dans cette zone. Et vous arrivez quand même toujours pas à trouver des films, c’est marrant ça. Vous avez des amis ivoiriens? Moi, j’ai pas vraiment d’amis ivoiriens mais mes frères, mes deux frères qui sont là ils ont énormément d’amis ivoiriens. Je peux même pas les compter (rires), ils viennent, ils passent dans la maison, je retiens pas les visages quoi. Et, eux, ils sont vraiment, ils sont 68 Annexes toujours connectés au milieu ivoirien. Moi, pas trop mais c’est confrontable, je suis toujours confortable avec mon côté ivoirien mais je suis plus autant connecté comme eux quoi. C’est à dire? Eux, ils regardent encore des films, des séries? Hum, non, non pas du tout. De la musique? Mais ils ont beaucoup plus d’amis ivoiriens et ils écoutent. Bon, alors y’a un de mes frères qui écoute que de la musique ivoirienne, alors QUE de la musique ivoirienne, jamais la radio américaine dans sa voiture, c’est que des CD avec de la musique ivoirienne et quand il est à la maison il est sur des sites ivoiriens en train d’écouter de la musique, en train de regarder des clips sur Youtube, il est vraiment ancré tu vois, ancré dans la culture. Voilà. Mais des films, des séries non parce que, je sais pas, je sais vraiment pas pourquoi on regarde pas. C’est peut être que aller sur Internet, aller sur Youtube, c’est pas la même expérience que d’avoir ça à la télé. Je pense que c’est pour ça. Parce qu’avant les séries qui passaient c’était une certaine heure tous les soirs et tout le monde se réunit, on se met devant la télé, on regarde ensemble mais maintenant du coup il y a plus ça et aller sur Internet et quoi regarder de l’écran de ton ordinateur c’est pas, je sais pas, ça donne même plus envie. Et tu disais que tu avais un frère qui vit vraiment ivoirien tout le temps mais l’autre?... L’autre il a beaucoup d’amis ivoiriens mais il est moins, moins ancré ancré dans la culutre. Il écoute aussi de la musique américaine, il a des amis américains et il est, en fait il est dans l’armée américaine en ce moment. Ca fait depuis novembre dernier, il est dans l’armée. Donc, il a un peu pris beaucoup d’habitudes américaines par rapport à mon autre frère. Il a quel âge? Il a 30 ans maintenant et l’autre il a 27 ans. Ouais, donc quand même. Toi tu as quel âge? Moi j’ai 21 ans. D’ac, comme moi. Oui (rires). Ouais donc du coup tu n’est pas la plus petite? Si, si je suis la plus petite! La dernière! Ca y est j’ai réussi à refaire le puzzle! Donc tu as une grande soeur? Oui, ma grande soeur elle a... Woaw, elle a peut être près de 40 ans. J’arrive pas à dire l’âge. J’aime bien le «peut être». Elle pourrait être ma mère (rires). J’ai aussi un grand frère, une grande soeur et à chaque fois je dis «peut être» 40 ans aussi. Je sais jamais vraiment l’âge, passé 30 ans... On compte même plus! Elle fait quoi elle? 69 Ma Famille, Nos Séries et Moi Elle, elle est à Indiana, donc c’est à peut-être trois heures d’avion et elle travaille dans un laboratoire scientifique qui fait des expériences, je pense. On se parlait pas trop. Attends, on a recommencé à se parler, ça fait peut être 2, 3 semaines! C’est vrai? On se parlait pas pendant au moins 2 ans avant ça. Parce qu’elle est venue ici pour beaucoup, elle est venue ici beaucoup plus tôt que nous et elle était étudiante donc elle avait 22 ans, 23 ans quand elle est venue et moi j’avais ptet 8 ans quand elle est partie de la Côte d’Ivoire. Donc je me rappelle même plus d’elle vraiment, j’ai pas de souvenirs marquants et... Bon quand j’étais petite on était vraiment proche, tout le monde me dit ça et j’étais son trésor, j’étais, l’amour, son amour dans sa vie mais quand elle est venue ici, moi j’avais plus contact avec elle et bon nous on était à Maryland et elle à Indiana. Je suis allée la voir quand j’avais p’têt 14 ans et elle, elle est mariée, elle a épousé un américain et elle est vraiment, elle est devenue très religieuse, donc ça c’est un truc qui m’a un peu dérangée quand je suis allée la voir. Et il y a un froid qui s’est installé entre elle et mon père et ma mère, parce que ma mère, c’est pas sa mère. Ma mère c’est... Ma famille c’est une famille recomposée. Donc il y a ma mère qui a eu mon grand frère qui est en Côte d’Ivoire, elle a rencontré mon père et elle m’a eu moi et mon père il a eu ma grande soeur et mes deux autres grands frères et après quand il a rencontré ma mère, ils m’ont eu. Donc il y a un froid qui s’est installé entre elle et ma mère et après entre elle et mon père et jusqu’à présent elle a pas de contact avec moi, euh avec mon père. Donc tu es la seule personne avec qui elle a refait un lien dans la famille. Hum, non elle parle aussi avec mes deux grands frères ouais... Et donc elle tu penses, à mon avis, elle regarde pas trop des séries ivoiriennes? Non, non paaaas du tout. (rires). Non, elle est vraiment assimilée à la culture américaine noire quoi. A la culture américaine quoi? Américaine-noire, black-american. Ok. Alors que toi tu te considérerais comment? Moi, (rires), c’est un peu difficile à répondre. Moi je me considère pas du tout américainenoire. Alors là, pas du tout. Moi je me considère africaine premièrement et un peu américain mais principalement africaine. Mais quand je dis américaine, je dis pas, hum, j’ai pas vraiment les idées américaines, j’ai pas ce sens de fierté d’être américaine et d’habiter dans le meilleur pays, dans la meilleure nation au monde, fière des libertés qu’on accorde aux citoyens ici, j’ai pas ce sens de fierté quoi. Hum, mais je me sens un peu américaine dans le sens où je pense que j’habites dans le pays où il y a beaucoup d’opportunités et je pense que si tu travailles vraiment dur, tu peux arriver à tes fins et tu peux aboutir quelque part où tu n’aurais jamais imaginé quoi. Donc j’ai repris ça de la culture américaine. Et tu penses que c’est pas la même par rapport à tes parents? Tu penses que c’est les Etats-Unis qui ont fait ou c’est toi...? Attends, je comprends pas bien la question. C’est...? C’est juste que par rapport à ce que tu me disais par rapport à ta mère qui ne s’est pas intégrée. C’est étrange que ça ait sauté une génération, comme ça. Oui, en fait, c’est beaucoup plus difficile d’une personne, pour une personne qui est quand même déjà âgée, qui a la quarantaine de s’adapter ici, ça demande vraiment d’oublier 70 Annexes en fait sa fierté quoi, sa, sa dignité parce que tu te rabaisses beaucoup ici quoi. Tu es une personne qui a été quelqu’un quand même dans ton pays d’origine, qui a vécu, qui a eu un niveau de vie quand même assez assez élevé en arrivant ici et c’est pas du tout la même chose parce que tu dois recommencer à zéro et mon père c’est ce qu’il a fait quoi. Il a fait des boulots vraiment de merde, des trucs qu’j’arrive même pas à imaginer, que j’aurais jamais pu faire moi même. Tu te rabaisses complètement, tu te retrouves avec des personnes qui ont un niveau intellectuel inférieur au tien et tout ça parce que tu as voulu recommencer une nouvelle dans ce pays quoi et ça demande beaucoup et ma mère elle a pas trop voulu faire ça. Elle a essayé hein, c’est pas pour dire qu’elle a pas essayé, elle a essayé de de trouver du travail mais déjà qu’elle parle pas anglais, ça lui a posé beaucoup beaucoup plus de difficulté et après un moment, elle a jeté l’éponge. Tandis que mon père il parlait déjà anglais, il parlait un peu anglais avant de venir ici et quand il est venu, il a pu travailler dans un restaurant où il avait un membre de sa famille qui a pu l’embaucher donc c’est vraiment là bas qu’il a pu s’adapter un peu, apprendre beaucoup plus l’anglais et après aller de l’avant. Mais ma mère elle a jamais eu cette opportunité là-même. Bon, je pense que j’ai déjà pas mal parlé. Ma famille c’est...! On pourrait faire un film. C’est vrai? Oui... (rires) (A ce moment, je lui dis que je coupe l’enregistreur pour prendre son nom, son prénom, son âge, son adresse ________ (Une fois les infos prises, elle me dit que Coralie, notre amie en commun a trouvé sa famille un peu folle, je décide alors de remettre l’enregistreur et de rediscuter 1 à deux minutes pour compléter) Elle les a rencontrés? Ah oui, elle a rencontré mon père et ma mère, deux fois. Elle a beaucoup plus vu mon père parce que, il est là, ma mère elle l’a rencontrée une ou deux fois. Pourquoi elle a dit ça? Parce que bon, c’est beaucoup de... Comment on dit «drama»? Y’a pas de...? Tu connais? Y’a pas d’équivalent en français, c’est vraiment... Ma famille c’est drama, c’est toujours des histoires et quand on se parle, on se parle comme si on se dispute tout le temps. Tu connais, c’est les africains, quand ils se parlent c’est comme si ils font des histoires mais c’est pas vraiment des histoires mais... Tout le temps des trucs comme ça, ils veulent me voir tout le temps, ils comprennent pas que j’ai une vie, au dehors de la famille et que je me forme mon propre réseau social ici, ils comprennent pas ça quoi, que je considère pas Maryland vraiment ma maison, ma maison parce que je suis étudiante et j’habites ici donc. Ouais, toujours des histoires sur ça... Philippe-Auguste Entretien réalisé le 17/07/2013 (…) 71 Ma Famille, Nos Séries et Moi Qu’est ce que tu fais dans la vie? J’ai fait une fac de ciné et la je vais rentrer en école de design, ce que j’aime faire le plus. A la base je devais être inscrit en école d’arts appliqués, je voulais faire du design industriel, de l’espace et le truc c’est que j’avais pas réussi a l’intégrer. Là, j’ai eu l’opportunité de sortir de ce système pour faire enfin ce que je voulais. J’ai passé un concours cette année, une école Condé. Ca a marché pour les deux, je vais faire un choix pour la rentrée 2013-2014. Tu resterais à Lyon ou tu partirais à Paris? Je resterais à Lyon, au moins pour un Bachelor puis suivre mes études alors. Côté loisir, que fais tu? Parce que là, c’est l’été! J’adore beaucoup la musique, je joue au piano depuis maintenant 20 années, j’ai une amie qui est musicienne, donc on compose des chansons pour elle, on essaye de lui faire la maquette de son album. J’ai travaillé aussi avec un ami qui est lui aussi musicien et qui veut faire de la musique pour les films. Donc là on est en train de monter un projet pour l’année prochaine, il y a un stage organisé à Lyon 2 pour réaliser un film et donc on compte s’inscrire pour réaliser notre premier. Sinon pour le moment, je cherche à rentrer chez moi et voir ma famille, ça fait deux ans que j’essaie de rentrer. Cet été, il y a pas énormément d’activité, j’ai été en Suisse au Montreux Jazz et puis c’est tout hein, je suis rentré y’a pas très longtemps. Ca t’arrive de regarder la télé? Oui, énormément, d’ailleurs, c’est un truc comme tic, dès que je rentre, j’allume la télé. Si je suis occupé, je dois avoir la télé allumée. C’est une sorte de catalyseur, j’aime être en contact avec les informations. Tu regardes quoi comme type de programme? Alors, je regarde beaucoup les chaînes comme Mezzo, les documentaires comme Discovery Channel, National Geographic, aussi souvent les chaines de la génération électronique comme Game One. Je regarde aussi les chaines d’informations comme Euronews, France 24, d’ailleurs c’est la chaine que je regarde le plus. TF1 aussi la plupart du temps pour ses émissions assez particulières, de distraction mais pas «Secret Story» hein, ça je supporte pas! Je sais pas pourquoi mais je peux pas, depuis sa sortie. Je suis un grand zappeur, dès que je tombe sur un truc qui m’intéresse, qui me touche, je reste dessus. Par exemple, hier soir, je faisais rien d’autre et puis je suis tombé sur une émission sur MTV et ils appelaient ça «Ma Grande Addiction». Je voyais des gens qui mangeaient des paquets de pop-corn, enfin l’emballage, j’ai trouvé ça trop fou. Ca t’arrive de regarder des séries? �Oui, des séries, oui! Alors tu veux? The Walking Dead, ensuite Dr House, j’ai regardé Greys Anatomy. J’ai regardé les Experts aussi, les trois bien sûr : Manhattan, Miami, Las Vegas. Aussi, bon, j’ai regardé The Misfits, Pretty Little Liars parce que c’est ma soeur qui m’a poussé et puis en fait y’en a tellement. J’ai du mal à choisir. Tu regardes beaucoup de séries alors? Oui. Tu te concentres sur la série ou c’est un truc de fond? Oui, la plupart du temps, c’est un truc de fond, je capte juste l’essentiel au moins je peux faire un bon résumé sur l’épisode. Parce que soit je suis occupé, je suis en train de 72 Annexes dessiner à côté, j’ai mis la série et je la suis en même temps, soit je suis au téléphone et y’a la série en même temps. Je suis jamais totalement concentré dessus. A moins que je regarde «The Walking Dead», là j’ai vraiment besoin de me concentrer parce que c’est un truc qui m’intéresse et c’est une histoire amibigüe. C’est vraiment intéressant, en fait c’est la série que j’aime le plus. J’adore les zombies, j’adore les films d’horreur. J’ai commencé à l’âge de 4 ans, c’était mon cousin qui venait me surveiller quand mes parents partaient en voyage et le truc c’est que lui c’était un fana de films d’horreur. Il avait au moins une playliste de films d’horreur quand il venait. Mon premier film d’horreur ça a été «L’exorciste» et ça je te jure que ça m’a lavé le cerveau. Pendant 2 semaines, je pouvais pas dormir seul. Et après, petit à petit, je me suis dans l’idée que les films d’horreur, c’était créé par les êtres humains donc il y avait pas à avoir peur. Donc petit comme ça je commençais à enfiler les films d’horreur les uns après les autres. De «La Mutante» à «Chucky» en passant par «Jack», c’était génial. Même le truc là, «Bozo le Clown», je sais plus trop quoi, le clown qui traquait les enfants, de Stephen King. Depuis ce temps, j’ai enfilé tellement de films d’horreur mais aujourd’hui, je retrouve plus, cette peur, ce frisson, de regarder un film. Trop d’effets spéciaux tue le caractère épouvante du film, c’est nul. J’adore les films d’horreur. Et je suis un fana de manga aussi. Tu as toujours regardé des séries? Non, les séries, c’est uniquement quand je suis arrivé ici (en France). J’avais pas grand chose à faire à la maison. Je faisais rien et je devais me trouver une occupation : soit je sors, soit je reste devant une série (rires). Comme tout bon étudiant on va dire! Tu es arrivé quand en France? J’entre dans ma troisième année. Je viens d’Abidjan. Dans quel contexte tu es parti de Côte-d’Ivoire? Scolaire, pour les études, y’a pas de formation supérieure, professionnelle ou dans ce secteur en Côte-d’Ivoire. Là-bas, l’art n’est pas considéré, il y a tout à faire, meme pas à refaire. L’art est mort, il n’y a vraiment plus plus plus aucune structure artistique fiable. Tes deux parents sont ivoiriens? Oui. Ca t’arrive de regarder la télévision quand tu es en Côte d’Ivoire? C’est là bas que ça a commencé. On est une famille «très télé». Il y a la télé partout. Du salon à la salle à manger en passant par les chambres. Il y a pas un endroit où tu va pas trouver un écran noir. C’est souvent allumé? Allumé pour rien parfois. Qu’est-ce qui passe à la télé chez toi? Mon père est un grand fan d’informations donc c’est ça qui passe la plupart du temps. Sinon quand il est pas là, c’est ma mère qui prend le monopole : «Au nom de la Vérité» sur TF1, les émissions entre midi et deux heures sur France 2, «Comment ça va bien?» et puis les jeux télévisés «Le Maillon Faible», «Money Drop». Sinon, moi la plupart du temps, je regardais plus des films téléchargés, horreur et action. Tant que ça bouge pas, ça risque de m’ennuyer à moins que l’histoire soit palpitante et un bon fond, une bonne trame, un truc intéressant à suivre. 73 Ma Famille, Nos Séries et Moi Vous regardez donc beaucoup la télé française, et la télé ivoirienne? Oui, pour les infos, c’est le seul moment où on zappe. Parce que je t’informe, c’est pas très intéressant, il y a pas d’émissions de divertissement. Moi, je trouve que ce sont des chaînes mortes. Je dis ça parce que mon pays a été frappé par la guerre, il y a eu énormément d’événements en Côte d’Ivoire et le pays est passé d’un rythme ralenti au point zéro. C’est à dire que rien ne bougeait, il n’y avait aucune information particulière, aucune nouveauté, on était enclavés, c’était terrible. C’est un peu triste de dire ça, mes deux dernières années, première puis terminale ont été vraiment nulles. Il y a pas de distraction en Côte d’Ivoire, c’est un peu particulier comme pays. Pour le moment, mais ça reprend petit à petit, depuis la libération. Aussi loin que tu te souviennes, il y a jamais eu de programmes télévisés qui t’ont marqué à la télé ivoirienne? Ah si! Les années 90, il y avait des émissions intéressantes. Il y avait des émissions de divertissement pour les enfants l’après-midi, moi j’aimais ça parce que c’était comme le Club Dorothée, un moment de l’après-midi où de 14 heures à 17 heures t’avait des dessinsanimées en liste comme ça! T’avais des dessins animées, des productions européennes, françaises, allemandes, Heidi, Goldorak des trucs comme ça. En fait la culture occidentale et américano-capitaliste a touché énormément une bonne partie de la planète et on était alertes, on connaissait tout ça. C’était bien. Il y avait tant de choses, tu savais que les enfants ils avaient des choses à faire. Là, tu vois les enfants traînent dans la rue, c’est terrible. Il y a plus de parcs d’attraction, il y a plus de kartings, il y avait des tobbogans, des parcs aquatiques, la patinoire et tout. Je te dis, quand tu rentres dans un pays au rythme zéro, c’est infernal. Il y a rien. Je sais vraiment pas de quoi de te parler. Mon père pourrait t’en parler, c’est lui qui l’a connu. Nous, on a pas eu cette chance. Parce qu’il y a eu la guerre, beaucoup d’éléments qui ont freiné le pays, rien ne me plait. Si tu demandes à ma soeur, elle te trouvera sûrement des trucs intéressants mais moi franchement non, j’étais blasé. C’est ici que j’ai découvert la distraction, sortir et découvrir plein de trucs. Chez moi, y’a pas plein de choses à faire. A moins que tu décides d’aller en boîte de nuit, c’est la seule chose que nous avons. C’est un peu dommage parce que ça affecte une bonne partie de la population et aujourd’hui tu peux trouver des enfants de 13 ans en boîte de nuit en train de boire de l’alcool, c’est assez tragique, c’est devenu presque normal. C’est ce que je regrette. Si je rentre chez moi, j’aimerai développer le secteur du divertissement pour pousser les enfants vers d’autres choses qu’ils devraient faire. Ce sont mes vraies ambitions. Tu y retournes en Côte d’Ivoire? Pas encore... Normalement, cette année, je sais pas encore. J’ai que des échos qui y sont allés. Tu as des amis ivoiriens à Lyon? Oui, les ivoiriens n’aiment pas trop le rythme de Paris, ils aiment aller en vacances à Paris mais pas y vivre. C’est pas un rythme qui leur va. Ca va vite! Comment ça se passe la vie quand on est un immigré ivoirien à Lyon? Comme tout le monde, on découvre un nouveau monde! Tu sais l’Afrique, c’est un univers convivial, c’est un monde où il y a énormément de partage. Et le monde européen, occidental, français, c’est très individualiste. Chaque personne lutte pour soi-même. Un exemple assez banal que l’on voit tous les jours dans le métro, on est tous ensemble dans le métro mais il n’y a pas une personne qui échange un mot avec l’autre. On se regarde à peine, dès que tu regardes une personne dans les yeux, la personne tout de suite peu t 74 Annexes avoir une réaction susceptible, penser que t’es en train de la juger et automatiquement ça peut passer au vinaigre. Alors qu’en Côte d’Ivoire, tu regardes une personne dans les yeux, elle va te regarder aussi et te dire bonjour. Et après peut-être s’approcher de toi et discuter. Ce sont des trucs, des déclics que j’ai plus ici, c’est assez spécial. Je suis sur Mars depuis que je suis arrivé. L’africain qui a vécu ici, qui est né ici et l’africain qui vient d’Afrique sont deux africains différents, même presque ils ne s’entendront pas. Ca arrive. Même si on est ivoiriens, a moins qu’ont découvrent des références communes, que peut-être leurs parents ont partagé avec eux, au niveau de la mentalité, de la façon de fonctionner, c’est pas pareil du tout. C’est spécial, c’est comme si tu rencontrais deux personnes qui sont censés se ressembler, la seule chose qui les lient, c’est la nourriture qu’ils ont bouffé petits et la culture que leurs parents leur ont inculqués. Sinon, la manière de fonctionner, la mentalité, tout le reste, c’est pas pareil. Croyez qu’ils sont plus français que nous. Ca t’arrive de cuisiner? De cuisiner ivoirien? Oui, j’ai dû apprendre en un an, parce que ça allait me manquer, ça c’est sur. Mais je cuisine plus comme un étudiant, c’est steak-pâtes, omelettes, frites. Seulement, quand c’est le week-end et tu as le temps de te faire plaisir, tu allumes la télé, tu tombes sur une recette, tu recopies, tu vas faire les courses et tu t’amuses. J’adore faire la cuisine, en cachette. Je dis ça parce qu’il y a ma soeur qui me critique à chaque fois parce que selon elle je ne suis pas un bon cuistot. Moi je préfère apprendre tout seul, je me cache. Tu vis avec ta soeur? Oui, elle est en éco-gestion. Tu cuisines traditionnel aussi? Oui. Il y a d’autres pratiques de Côte d’Ivoire que tu maintiens depuis que tu es en France? Oui, comme la Fête Nationale, supporter l’équipe de Côté d’Ivoire, parce que j’ai même demandé un abonnement à ma chaîne, c’est important. Certaines fêtes ivoiriennes, qu’on fête ici entre amis, ivoiriens ou bien on invite. En fait, c’est différent peut-être des autres ethnies ou nationalités africaines, je pense que les ivoiriens sont ceux qui se mélangent le plus parmi les africains. Vraiment, on reste pas enclavés. Tu vois, tu vas à une fête camerounaise, tu vas avoir que des camerounais alors qu’à une fête ivoirienne, tu vas trouver des chinois, des thaïlandais, de tout et on va essayer de partager notre culture avec eux, c’est ce qui fait la Côte-d’Ivoire. Tu as envie de partager et d’apprendre la culture de l’autre. C’est ce qui fait qu’on est pas tout le temps entre ivoiriens. J’ai plus d’amis suisses ou guadeloupéens ou réunionnais que ivoiriens. J’ai retrouvé énormément d’amis d’enfance ici ou d’amis avec qui j’ai fait le lycée qui sont venus à Lyon. C’est comme si ma famille s’était déplacée mais on fait pas toutes nos activités ensemble. A un moment, ça saoule. A un moment, on a envie d’autre chose, on essaie de voir ailleurs, on reste jamais dans le même truc, on change tout le temps. Tu sais si il y en a qui regardent des séries ivoiriennes? Toi, tu en regardes? Oui, sur Internet, pas à la télé. On a toujours besoin de retrouver notre humour. On fait plus de la comédie dans nos séries, avec un fond et une réflexion particulière. Tu trouvera jamais en Côte-d’Ivoire une série du même standing que Grease Anatomy ou Dr House En France non plus tu sais! 75 Ma Famille, Nos Séries et Moi Tu trouveras plus des choses qui ressemblent à «Nos Chers Voisins». Ca passe sur TF1, après le journal où il y a des gens qui habitent ensemble dans un immeuble. Un truc assez drôle entre ironie et pure et simple comédie. Tu as des titres de séries ivoiriennes en tête? Il y a «Ma Famille», «Faut pas fâcher». C’est un peu comme le créole chez nous, notre jargon, on supprime énormément d’articles comme par exemple «Faut pas te fâcher», on dira pas comme ça, on dira «Faut pas fâcher». Parfois quand je parle dans le rue, on me confond avec un créole! Ces deux séries qui me plaisent le plus. Mais les acteurs en solo, on adore quand ils font des sketches. Par exemple Gohou Michel qui a une grosse notoriété en France ou Gbi De Fer (le «Poing Levé» dans notre jargon). Ils me font extrêmement rire, c’est de la comédie. Ca passe souvent à la télé ces choses là? Ca passe et repasse, c’est rabâché. Parfois tu as vu l’épisode cinquante fois, tu le connais par coeur, tu peux même le réciter, mieux que les leçons. Tu sais si tes amis regardent ces séries là aussi? Oui, parce que la plupart du temps, quand on a des discussions ensemble, on revient sur des sujets comme ça, c’est notre moyen de nous rattacher, de retourner à notre origine. C’est élémentaire, c’est quelque chose que l’on est obligés de faire. Je pense que tous les immigrés, pour les études ou euh... chinois, toutes les nationalités, quand on se retrouve entre nous, on parle de choses qui nous plaisent, qu’on a aimé faire quand on était chez nous. Tu dis que tu regardes sur Internet… Oui, les deux plateformes qui diffusent le plus c’est WatTV et Youtube. Quand tu fais des recherches, tu tapes les premières lettres de la série et tu retrouves le lien. Ils postent des vidéos, c’est pas quotidien, ce n’est pas une chaîne, ce sont des extraits, des vidéos en passant. Ca t’arrive de fréquenter des épiceries africaines? Quand tu arrives en France, c’est ton premier repère. Tu te demandes «Où est-ce que je peux trouver des trucs que je mangeais chez moi?». Saxe-Gambetta, la référence et Guillotière. Je me repère aux lieux, je lis pas les pancartes parce que chez nous y’a plus de pancartes, je t’informe. C’est comme ça que je mémorise et il y a Madras Bazar, un magasin indien qui revend des produits africains. Par contre tu en as un autre pas loin dans la rue qui vend uniquement ivoirien. C’est mieux d’acheter les bananes plantain chez eux que à Madras. Est-ce que tu as entendu parler des telenovellas en Afrique? Bah oui! Ca touche énormément la population. Pour la classe populaire, les telenovellas c’est comme leur Saint-Graal. Ca parle de ça dans la rue. Je te dis pas, quand il est 19 heures, activités sociales, professionnelles, fonctionnelles, tout est arrêté pour aller regarder. Ça dure au maximum une quarantaine de minutes. Tout le monde regarde? Oui, toute la population, même moi, je ne peux pas le nier, il y en a qui sont très intéressants. Hommes comme femmes? 76 Annexes Hommes comme femmes, ça en parle à l’école, au travail. Il y a des programmes que les femmes ou les hommes regardent plus volontiers? Le football. Donc pas les femmes? Si! En fait, j’ai du mal à voir une émission qui est plus réservé aux femmes qu’aux hommes, on partage tout en fait. Le football touche toute la population, c’est comme regarder un match de foot en Italie, le pays est mobilisé, comme la Côte-d’Ivoire. Si les joueurs ont raté un match, ils ont du mal à rentrer au pays, c’est infernal. Je te jure on leur fait une crise. Les gars, ils vont les attendre à l’aéroport, prêt à les tabasser parce qu’ils n’ont pas gagné. C’est authentique, la dernière fois pendant la CAN quand on perdu en demi-finale, ils n’ont pas pu rentrer en Côte-d’Ivoire, ils ont fait un détour directement chez eux en Europe avant de venir, ils ont dû attendre que la population se calme. Pourquoi tu penses que les gens regardent les séries ivoiriennes? Je pense que cette addiction date de l’époque greco-romaine et c’est l’évolution, la métamorphose de la tragédie. Déjà, ça touchait les populations parce qu’en fait c’était une illustration des moeurs de la société, c’est de la catharsis. C’est se retrouver face à quelque chose que nous-même on a déjà probablement vécu. On s’exorcise en regardant ça, ça devient une addiction, comme pour les réseaux sociaux. Tu commences un truc et dès que ça te capture, captivé, tu n’en sors plus. La différence avec les réseaux sociaux, c’est que dans les séries, tu te retrouve, tu peux retrouver un personnage, une caractéristique d’un personnage que tu as ou un truc qui t’es arrivé. Moi, chez moi, c’est ça qui m’a captivé dans ces séries africaines, c’est que la plupart du temps ça touche l’amour. Un être humain fait la guerre, dort et fait l’amour, c’est simple. Si tu as tout ça dans une série, ça marche à tous les coups, c’est pour ça que ça marche. On qualifie ça de télé-poubelle, c’est efficace. L’être humain aime se voir être mis en scène. Ceux qui inventent ça sont des génies parce qu’ils chopent toutes les caractéristiques de l’humain normal, lambda et les transfèrent dans une série et le sublime. C’est ce qui fait que les gens aiment. Ils savent très bien que c’est idiot, les situations sont idiotes mais ce sont des situations de tous les jours. Tu connais la solution mais tu es quand même captivé. Tu regardes ces programmes là avec ta famille? Oui, le soir en mangeant. Tout le monde est d’accord pour regarder le même programme? Chez moi, on est six, donc c’est compliqué! Six gamins avec six personnalités différentes, y’en a pas un qui ressemble à l’autre même si on a des caractéristiques communes. Par exemple, on est tous des artistes de père en fils. On a pas forcément eu envie de faire ça de notre vie, moi je suis le premier à avoir eu envie d’en faire ma carrière. Mon père est dessinateur, autodidacte. Mon petit frère a commencé la sculpture et je te jure que pour son âge, c’est surprenant ce qu’il fait. Vu qu’on a des personnalités différentes et qu’on aime des programmes aussi différents, c’est un peu la gueguerre à la maison. On a dû faire installer un genre de montage en série. Chaque télévision a un décodeur relié au décodeur principal et chacun peut regarder ce qu’il veut là où il veut. Une télécommande pour six avec cinquante-quatre chaînes sans compter les chaînes internationales, c’était compliqué. Quand un empiétait sur le programme de l’autre, c’était la guerre. Il y a des moments où vous regardiez des choses ensemble? 77 Ma Famille, Nos Séries et Moi Oui, les dessins-animés et aussi les séries policières. Le soir, les séries avec ma mère, c’était le théâtre total. Ce qui est drôle c’est qu’elle fait l’enquête avec l’inspecteur c’est incroyable. Tu la vois devant la télé, tu as envie de lui dire «rentre dedans, vas-y!». On regarde les Experts, Esprits Criminels, New-York Police Criminelle. 78 Iconographie Iconographie ∙ Page 11/124 : « Pieter Hugo« Escort Kama » Nigeria, 2008 » ne dispose pas d’autorisation de diffusion. ∙ Page 25/124 : « Richard Vantielcke « Urban Oasis 8 » » ne dispose pas d’autorisation de diffusion. 79 Ma Famille, Nos Séries et Moi Résumé Ce travail se penche sur les séries télévisées humoristiques ivoiriennes en tant qu’objet culturel et social et plus largement sur les pratiques de la télévision dans notre société. Sociales dans leur dimension familiale, les séries télévisées, en tant qu’objets mobiles de la culture ordinaire, sont également porteuses de valeurs déterminées par le public. Avec une approche s’apparentant à une forme basique d’ethnologie, cette étude de réception ouvre à la réflexion sur les nouvelles pratiques du divertissement et de leurs implications sociales et morales, grâce au spectre de l’humour et de la famille, le tout dans un contexte migratoire. Mots-clés Migration; Séries télévisées ; Côte-d’Ivoire ; Sociologie ; Famille ; Culture ordinaire ; Humour ; Internet ; Genre ; Etude de réception ; Télévision 80