l`homme et l`eau

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l`homme et l`eau
I
L’HOMME ET L’EAU
Une goutte d’eau perle d’un robinet, un simple geste de la main
et de l’eau jaillit à profusion. Ce service, apparemment banal, est
l’aboutissement d’un long rapport, dune culture, de l’homme à
l’eau. L’une a façonné les civilisations comme elle a sculpté la
physionomie de la Terre, l’Autre a déployé tout son génie pour
maîtriser un élément qu’il craint et dont il ne peut se passer.
Elle est le sang des civilisations
L’histoire de l’humanité a été, pour une immense partie, déterminée par la
quête et la conquête de l’eau. Toutes les grandes civilisations sont nées de l’eau
et près de l’eau ; de sa maîtrise ont dépendu leur grandeur et leur puissance ;
de sa mauvaise gestion, leur décadence.
La carte des fleuves et celle des répartitions humaines se confondent. Les axes
fluviaux ont été, de tout temps, des voies privilégiées de circulation et
d’exploration, puis l’homme s’est établi dans les grandes vallées fluviales où
l’eau était disponible.
Le Nil, le Tigre et l’Euphrate, le Fleuve Jaune, le Yang-Tseu-Kiang, le
Mékong, l’Indus, le Gange ont généré et structuré des empires. La Loire, le
Danube, le Rhin, le Rhône, la Seine, la Garonne ont fait émerger des styles de
vie et des cultures originales qui sont restées ancrées à leurs rives.
Depuis le premier barrage érigé sur l’ordre d’un pharaon, la première digue
édifiée sur les directives d’un empereur Chinois, les hommes n’ont cessé de
vouloir maîtriser l’eau. Sans accès à l’eau, sans possibilité de contrôle sur elle,
toute vie organisée est impossible.
C’est pour arroser ses cultures que l’homme a établi ses premiers barrages et
la multitude d’aménagements hydrauliques, plus ingénieux les uns que les
autres. Il les a perfectionnés, ajustés, améliorés pendant des siècles, avant tout
au service de son agriculture, cela pour d’abord se nourrir, puis pour le
transport, puis pour son agrément !
Il a su développer de véritables cultures de l’eau : le riz, le papyrus….
Construire de toutes pièces d’admirables paysages d’eau : jardins flottants au
Mexique, en Birmanie, huertas de Murcie en Espagne, hortillonnage en
Picardie …
II
Puis il s’est attaché à utiliser l’eau come voie de communication, de transport.
Le flottage du bois, le transport des différents matériaux pour bâtir, le transport
des denrées alimentaires grâce à la batellerie, puis ensuite à la canaliser pour
l’asservir aux besoins de la vie quotidienne. Pour une bonne part la sculpture,
puis l’architecture qui nous entourent, ont été influencées par l’eau qui, de plus
a été de toutes les fêtes et a sculpté aussi les jardins.
Une des premières préoccupations d’un groupe humain, lorsqu’il se
sédentarise, est d’établir un réseau de circulation et de canalisations d’eau.
Les Sumériens, qui semblent-ils, sont les fondateurs de notre civilisation,
répartissaient l’eau du Tigre et de l’Euphrate, dont les crues étaient
imprévisibles, grâce à un vaste réseau de canaux alimentés par des roues à
aubes. Ce quelque3000 ans avant Jésus-Christ. Chacune des grandes villes de
Mésopotamie étaient au centre d’un réseau de canaux qu’elle gouvernait. Ne
pas curer et entretenir son canal équivalaient alors à une condamnation à mort.
Et force est de constater qu’avant même la civilisation égyptienne, les
Mésopotamiens avaient élaborés et construit un système de digues, de canaux,
de réservoir et de barrages plus complexe que n’en réaliseront les différentes
dynasties de Pharaons.
Puis Babylone érigera sa tour de Babel le long du Tigre, Nabuchodonosor
établira le premier pont sur l’Euphrate et Sennachérib réalisera l’un des
premiers aqueducs sur un canal long de quarante-huit kilométrés pour
alimenter Ninive en eau douce. Je fais remarquer que ces deux fleuves
mythiques sont aujourd’hui à l’origine de tensions importantes entre l’Irak, la
Jordanie et la Turquie qui en revendique l’exploitation. L’or bleu qui coule dans
les veines des deux fleuves jumeaux risque de devenir un enjeu planétaire dans
une pénurie d’eau douce annoncée pour les décennies à venir. Quand aux
anciennes terres de Mésopotamie, célébrées il ya cinq-milles ans pour leur
fertilité, elles sont, en grande partie, couvertes d’une couche de sel due à des
irrigations mal contrôlées.
Sur les rives de l’Indus, dans une vallée qui s’étend sur plus de mille-cinq-cent
kilomètres de l’Himalaya à la mer d’Oman, s’est développée une grande
civilisation fluviale dont les systèmes d’irrigation devaient être aussi
perfectionnés que ceux de la Mésopotamie. Ses villes, à l’image de MohenjoDaro, l’une de ses capitales étaient équipées de salles de bains, d’égouts
couverts et de colleteurs d’eau usée. Il n’en reste que de vagues souvenirs et de
rares vestiges, le temps et les crues de l’Indus ont petit à petit tout balayé.
Les Chinois, des millénaires avant la naissance du Christ, avaient entrepris de
quadriller de canaux d’irrigation et de navigation la vallée inhospitalière du
fleuve Jaune et des millions d’entre eux ont participé, à partir du Vie siècle
III
Avant J.-C., au creusement d’un grand canal de mille six cent km de long,
reliant Pékin à Hang-Tcheou, encore partiellement utilisé.
L’eau facteur de prospérité et de décadence
Dès le paléolithique, les hommes se sont fixés, pour passer la mauvaise saison
ou pour se sédentariser, au bord de fleuves dans lequel ils pêchent et dont ils ne
perturbent pas la naturalité. Les villages Gaulois ne font pas exception : en cas
de danger leurs populations se réfugient dans une citadelle située sur quelque
hauteur. A l’âge de fer se développe un certain transit de marchandises par voie
d’eau.
L’Empire Romain impose son mode de vie à une grande partie de l’Europe.
Les Romains n’apprécient pas plus les zones humides que les forêts profondes,
mais ils ne pouvaient se passer d’eau potable et de bains. L’eau est, pour eux au
cœur des questions d’urbanisme. Alors ils font drainer, endiguer et développer
une formidable toile d’araignée de conduites de briques et de pierres,
d’aqueducs, essentiellement souterrains, complémentés de bassins de stockage
pour conduire l’eau depuis les sources lointaines jusqu’aux fontaines, aux
thermes et aux jardins de leurs villes et de leurs villas. Ils vont doter Lutèce, le
futur Paris de thermes et de l’aqueduc d’Arcueil, long de vingt km que les
Normands détruiront au IV e siècle.
Le luxe de l’eau était omniprésent dans le monde Romain : il a été, cependant,
une des causes de sa décadence. En effet, les centaines de millions de litres
d’eau qu’amenaient à Rome, au IVème siècle AP J.-C. quelques 29 aqueducs,
étaient ensuite distribués vers 250 châteaux d’eau ou réservoirs puis, de là, vers
1359 fontaines publiques grâce à un ingénieux système de conduites de briques
et de pierres, mais aussi, de canalisations en plomb. L’on sait aujourd’hui que
l’ingestion répétée de sels de plomb expose à une maladie neurologique, connue
sous le nom de saturnisme. Les romains qui, de plus utilisaient une vaisselle en
plomb, se sont lentement mais sûrement empoisonnés.
Car, à l’image des mythes que l’eau a générés, ses rapports avec les hommes
ont toujours été placés sous le signe de l’ambivalence. Elle a été subie ou
domestiquée, source de richesses ou cause de décadence, à l’image de Venise
qui est menacée par les eaux qui ont fait sa splendeur.
IV
L’homme, en modifiant par ses interventions le régime, le trajet et la qualité de
l’eau, a provoqué des bouleversements dont les conséquences, sur un cycle
complexe qu’on ne savait appréhender dans sa globalité, étaient difficile à
prévoir. Plus d’un empire en a pâti. On dit qu’ont étés victimes d’une gestion
imprudente de l’eau la civilisation des Khmers dans sa démesure et celles des
Mayas qui n’ont pas su gérer les ressources hydriques de leur pays calcaire.
Forts d’expériences douloureuses nous savons désormais que toute
intervention irréfléchie sur le cycle de l’eau peut avoir des répercussions parfois
dramatiques.
Il fallait un pouvoir d’État sans faille pour gérer et exploiter les crues du Nil.
Ce lien liquide de 6000km de long a générer une formidable civilisation qui a
palpité au rythme immuable durant plus de cinq Millénaire.
À la fin Juin, avec la régularité d’un métronome, le Nil inférieur gonflé par les
pluies tropicales conjuguées à la fonte des neiges, amorce sa crue. Au début de
Juillet les eaux rouges parvenaient à Assouan en avant-garde du flot qui
submerge les terres, les fertilise et les abreuve ; c’était alors uns époque
d’élevage, de chasse, de pêche, celle aussi des grands travaux d’État. Le flot se
retirait entre le 15 et le 30 Octobre en abandonnant de riches alluvions ; c’était
alors la levée des céréales et des cultures irrigués. De Mars à Mi-juillet on
récoltait, mais c’était alors l’époque des maladies et des craints dans l’attente
du flot fécondateur.
C’était une civilisation de l’eau qui, avec des moyens hydrauliques très simples
et bien adaptés à base de canaux et de rigoles, savait optimiser la distribution
de l’eau ; les hommes de la vallée sacrée utilisaient le Nil pour touts leurs
déplacements et célébraient l’eau partout où elle se trouvait : dans les puits, les
bassins sacrés, et cela, dans le respect de pactes souscrits avec les dieux.
C’était une population qui tirait sa prospérité de son respect des équilibres du
régime des eaux. Le vieil ordre et le contrat seront rompus à l’ère industrielle
qui installe sur le Nil tout un complexe de machines élévatrices, de canaux à
écluses et de barrages dont la pièce maîtresse est le haut barrage d’Assouan,
mis en eau dans les année 1960 et qui retient un volume d’eau représentant cinq
fois le débit annuel moyen du NIL.
Certes, désormais, il est possible d’irriguer de vastes étendues et de produire
de l’électricité et la mise en eau du barrage d’Assouan a préservé l’Égypte des
inondations et des sécheresses des années 1970 qui se seraient transformées en
famines dramatiques dans un pays dont la population a été multipliée par dix en
un siècle. Mais, en contrepartie, on peut constater l’abaissement des nappes
phréatiques, ce qui provoque des intrusions de sels dans le delta,
l’anéantissement des pêcheries, le développement des bancs de sable et de
V
jacinthes d’eau sur les canaux et les rétentions de limons qui ne fertilisent plus
les terres irriguées.
Le barrage piège, dans le lac Nasser, les particules argileuses arrachées à la
montagne éthiopienne par le Nil Bleu, sans profit pour personne. Faute de
sédiments, le delta du Nil recule chaque jour un peu plus sous l’assaut des
vagues méditerranéennes ; faute de limons fertiles, force est d’employer des
doses massives d’engrais artificiels qui contribuent à la salinité des sols.
Parce que les conquistadors ignoraient tout de la fragilité et de la gestion des
zones humides et qu’ils voyaient dans l’eau une ennemie à combattre plutôt
qu’une alliée à ménager, par de labourages top profonds, des constructions de
pierres trop pesantes, des déboisements massifs et des drainages en règle, ils ont
détruit le formidable complexe de lacs bordés de roseaux et d’herbes lacustres
au cœur duquel brillait, comme un rêve d’argent une ville traversée de canaux
et parsemée de jardins flottants que les Aztèques avaient érigée au XIVème
siècle à plus de 2000 mètres dans la cuvette de Mexico.
Aujourd’hui la plus grande agglomération du monde continue à se
développer dans un contexte de pollution et de manque d’eau chronique ; sur le
cadavre d’un écosystème assassiné.
Je continuerai ce documentaire sur l’homme et l’eau dans un prochain
document qui fera suite, cher ami, donne moi tes impressions.
Jean-Claude CHAMINANT LE 03/11/2011

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