Document numérique - Orientation Pays de la Loire

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Document numérique - Orientation Pays de la Loire
Claire DESPREZ
Université de Nantes
Faculté des Sciences Economiques et de Gestion
DESS Economie du Développement Local et de l’Emploi
LES PROCESSUS D’EVOLUTION DES « BAS NIVEAUX DE
QUALIFICATION »
LE CAS MOULINEX
Mémoire réalisé sous la direction d’Arnaud. DU CREST
SEPTEMBRE 2002
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2
INTRODUCTION
3
La reprise partielle du groupe Moulinex par Seb a entraîné, en Basse Normandie,
la fermeture totale des sites de Cormelles le Royal, Falaise, Alençon et partiellement St
Lô, laissant sur le chemin près de 3000 salariés, sans compter l’effectif du siège en Ile de
France, et mettant en péril l’emploi de ceux qui travaillent dans les entreprises soustraitantes du groupe. On dénombre environ 330 emplois supprimés à Bayeux, 1283 à
Cormelles le Royal et 323 à Falaise. La fermeture des sites Moulinex représente à la fois
une terrible amputation du potentiel industriel, mais aussi un traumatisme social et
psychologique.
La mission qui m’a été attribuée, dans le cadre de mon stage effectué à la Mission
de Revitalisation Sociale et Economique, consistait à élaborer des cibles préférentielles de
prospection afin d’optimiser le reclassement des salariés de Moulinex. Mon premier
réflexe a été de tenter d’identifier le profil de ces derniers, afin d’étudier les transferts de
compétences possibles. Mais je me suis rapidement rendu compte des limites d’une telle
démarche appliquée au reclassement des anciens salariés de Moulinex. Ma première
difficulté a été de repérer précisément les compétences des personnes restant à reclasser,
en fonction du poste qu’elles occupaient à la fermeture de l’usine. Les discours des
acteurs du reclassement différaient: certains prônaient la polyvalence, la rapidité
d’exécution des tâches et l’autonomie des « Moulinex », d’autres semblaient plus
sceptiques quant aux réelles compétences de ces derniers. Ma réflexion s’est également
heurtée à divers obstacles qui dépassaient largement le cadre des problèmes de mutations
professionnelles et de transfert de compétence.
Les changements de métier théoriques, à partir des aires de mobilité
professionnelle initiés par l’ANPE, se sont avérés difficilement applicables au cas
Moulinex, car bien trop éloignés de la réalité d’un tel reclassement. Il m’a donc semblé
intéressant, de mettre en perspective les spécificités du reclassement de la partie de ces
anciens salariés de Moulinex, que l’on qualifierait intuitivement de « bas niveaux de
qualification », dans la mesure où il est difficile de leur attribuer des compétences
précises.
Le cas Moulinex s’inscrit au cœur d’un problème que notre société peine à
résoudre, la reconversion d'adultes de faible niveau scolaire, ayant tenu durablement des
emplois routiniers et sclérosants, classés au bas de l'échelle des emplois.
4
En quoi le reclassement de ces salariés pose problème? Les difficultés les plus
grandes dans un processus de reconversion tel que celui de Moulinex relèvent-elles d’un
niveau de qualification trop bas ou s’expliquent-elles par une situation infiniment plus
complexe ?
Lors de l'établissement du plan social, les syndicats ont axé leur négociation sur
l'obtention d'une prime exceptionnelle au détriment de moyens financiers destinés à des
outils de reconversion. En effet, il leur a été proposé de dégager une somme qui
permettrait le financement de primes à l'embauche, mais cette offre a été refusée car elle
amputait leur prime de 10 000 francs. Les syndicats ont sacrifié un outil de reclassement
qui a fait ses preuves pour garder leur prime intacte. Ces choix, associés à la forte
demande de dérogations pour mesures d'âge et pour le dispositif amiante, la moitié de la
population concernée par le plan social ayant en moyenne plus de 25 ans d'ancienneté, ne
révèlent-ils pas une volonté non avouée de ne pas reprendre le chemin du travail?
Quel est l'impact des mesures proposées par les acteurs de la reconversion (l'Etat, les
collectivités territoriales, les cellules de reclassement)? Apportent-elles des solutions
pertinentes aux problèmes rencontrés par les salariés dans leur reclassement?
Notre travail de recherche va s’organiser autour de deux parties :
⇒ La première partie comprend trois chapitres.
Le premier chapitre présente le contexte de notre étude. Les précisions apportées
sur le vécu des Moulinex avant la fermeture de leur usine nous apporterons un éclairage
sur la suite de notre réflexion.
Le deuxième chapitre vise à enrichir notre recherche d’outils conceptuels. Il
commence par tenter de définir ce que l’on qualifie, dans le jargon de la formation et de la
reconversion, les “ bas niveaux de qualification” et de mettre en évidence l'interaction
entre l'organisation du travail et la construction des compétences de cette “catégorie”.
Puis, nous mettrons en perspective les processus de sélection mis en œuvre sur le marché
du travail.
Etant donnée que la formule "bas niveau de qualification" contient l’idée que cette
population poserait au reclassement un problème particulier, elle implique de caractériser
la nature des problèmes rencontrés par les salariés Moulinex, ce que nous verrons dans la
troisième partie de ce chapitre.
⇒ La deuxième partie concerne les solutions apportées aux anciens salariés de
Moulinex, afin de les aider dans leur reclassement. Les deux premiers chapitres analysent
les actions menées par les acteurs de la reconversion, un chapitre étant exclusivement
5
consacré aux cellules de reclassement. Le dernier chapitre propose des pistes pour l'action
à mener à l'avenir.
Nous allons ainsi procéder à une analyse de processus socio-économiques. La
première partie se veut une analyse du construit social et historique qui entoure
l’émergence d'une catégorie qui pose des problèmes de reclassement. La dimension
psychologique qui apparaît dans le reclassement des anciens salariés de Moulinex est
prise en compte dans notre étude, mais ne relève pas d’une analyse cognitive.
L’effet des plans sociaux sur l’emploi est un problème d’actualité. En juin dernier,
le gouvernement Raffarin jugeait insuffisant le bilan global des plans sociaux qui ont
défrayé la chronique de ces dernières années et dont Moulinex fait partie: 15 contrats à
durée indéterminée, pour les 526 licenciés par Bata en décembre 2001, 180 CDI pour les
2862 salariés inscrits dans les cellules de reclassement de Moulinex (en Basse
Normandie) depuis janvier 2002, 80 reclassements (selon les syndicats) pour 600
suppressions d’emploi par Alstom-Belfort en mai 2001. Aux protestations, les spécialistes
du reclassement opposent leur impuissance devant l’absence de qualifications, le manque
de mobilité, le faible dynamisme du bassin d’emploi local, qui se combinent pour
expliquer leur degré variable de réussite. A qui incombe “l’inefficacité” des plans
sociaux ? Nous allons, à travers cette étude, tenter d’expliquer les raisons de ces bilans
négatifs et donner des outils de réflexion permettant une meilleure compréhension du
problème que posent de tels reclassements.
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PARTIE I
7
CHAPITRE I : L’EFFONDREMENT D’UN PILER DE
L’ELECTROMENAGER DES ANNEES 60
SECTION I : L’ERE MOULINEX
Fondée il y a plus de 70 ans, la firme familiale s'est développée dans les 30 années
de prospérité économique, (les fameuses trente glorieuses), après les années 50 et est
devenu le leader dans les appareils ménagers, électroménagers et les divers équipement de
cuisine.
§ 1 Une décentralisation dans « la chlorophylle »
Quand le jeune ingénieur Jean Mandelet cherche, en 1937, à agrandir sa
manufacture d'emboutissage créée cinq ans plus tôt à Bagnolet, il ne lui vient pas à l'idée
de s'installer dans l'Orne. Mais l'une de ses secrétaires, Jeanne Cabaret, connaît une
filature désaffectée dans sa ville natale. C'est alors le début d'une longue histoire entre
Moulinex et la Normandie. Jean Mantelet commence par implanter, en 1937, à la filature
d'Ozé, une ancienne manufacture de Chanvre et de textile à Alençon, l'usine de la SA "Le
moulin-légume", basée depuis 1932 en région parisienne. En 1957, peu de temps après
l'invention du premier moulin à café, la société prend le nom de Moulinex. Vont alors
s'implanter sur le territoire bas normand, des usines Moulinex à Argentan (1958), Falaise
(1960), Cormelles-le-Royal (1963), Saint-Lô (1971), Domfront(1973), Bayeux (1975),
Carpiquet (1985).
Les implantations de ces usines dans des petites villes de campagne, dans une
région très conservatrice avec en arrière plan une forte influence catholique, ont permis à
la firme de bénéficier d'une main d'œuvre docile et respectueuse, procédant des traditions
agricoles. En effet, des milliers d'ouvrières ont été recrutées parmi les femmes et les filles
d'agriculteurs de la région, que l'avènement du tracteur a rendues moins utiles dans les
fermes1. Peu à peu, la génération Moulinex est ainsi née. "C'était tellement une référence
incontournable dans la région qu'il n'y a pas une seule famille, depuis 1937, qui n'ait pas
donné un ou une employé(e) à l'usine"2. "L'usine de Cormelles le Royal a eu également
recours à de la main d'œuvre portugaise.
1
en 1945, plus de 30 % de la population française vivait de la production agricole, 10 %, 20 ans plus tard et
moins de 5% aujourd'hui
2
Pierre Lepoitevin, ancien responsable de l'entretien des bâtiments
8
Les salaires y étaient inférieurs à ceux de la région parisienne (les salaires
minimaux pouvaient être jusqu'à 20 % inférieurs à ceux de la région parisienne) et les
collectivités locales donnaient des avantages divers pour attirer les industries qui, disaiton alors, se "décentralisaient dans la chlorophylle".
§ 2 Une entreprise paternaliste et familiale
Tous ont connu le "père Mantelet", mort en janvier 1991. Tous ont fabriqué le
moulin à café électrique que leur patron avait imaginé en voyant ses ouvriers garer leurs
Solex devant l'usine. "Puisqu'on met un moteur sur une bicyclette, on peut en mettre un
sur les appareils ménagers!" avait-il déclaré.
Passionné par son entreprise, qu'il considérait comme son "unique enfant", Jean
Mandelet faisait la bise tous les matins et interdisait littéralement tout licenciement. Il a
d'ailleurs dirigé son entreprise jusqu' à 86 ans, âge de sa mort, sans envisager sa
succession.
"Il y avait une véritable culture d'entreprise chez nous. Monsieur Mandelet, le
patron et fondateur de Moulinex venait parfois nous voir, sur les stands des foires. On ne
le considérait pas comme le patron, c'était le papy". Cathy, ancien agent de production
chez Moulinex.
Moulinex était une entreprise très familiale, "les gens y entraient de père en fils.
On avait tous un frère, un cousin qui travaillait là".
"C'était là notre unique horizon. On démarrait dans la vie grâce à Moulinex. Mes filles
ont également débuté ici." Marie-Claude, Agent de production chez Moulinex.
Beaucoup de couples ce sont formés au sein de l'entreprise. Si on prend l'exemple
de l'usine de Cormelles le Royal, 84 couples y travaillaient avant sa fermeture.
Pour ses salariés Moulinex était bien plus qu'une entreprise dans laquelle ils
travaillaient, c'était également un lieu de sociabilité.
"On se connaissait tous(…) On travaillait, on mangeait, on faisait des activités
ensemble, du sport, ou des voyages avec le comité d'entreprise. Quand l'un d'entre nous
avait besoin d'un coup de main pour sa maison, on allait tous l'aider le week-end". Cathy,
ancien agent de production chez Moulinex.
Moulinex, c'était également le challenge omnisports Jean Mandelet, grande
rencontre sportive annuelle, au cours de laquelle toutes les usines de Moulinex
9
s'affrontaient dans la convivialité sur les terrains et les salles de la ville organisatrice, mais
aussi les divers challenges inter- entreprises (football, cross, ball-trap, cela variait selon
les années) et les rencontres inter-ateliers sportives.
§ 3 De nombreux avantages
Les anciens salariés de Moulinex ont connu un environnement de travail
particulièrement confortable. Des mesures sociales importantes venaient renforcer leur
salaire direct: ils pouvaient bénéficier de logements sociaux ou d'aides au logement3, de
cars de ramassage gratuits, de remboursements kilométriques, de la cantine, d'une
mutuelle. L'entreprise mettait également à disposition de ses salariés une assistante
sociale, des infirmières et un médecin.
Les salariés de l'usine pouvaient également profiter des réductions cinéma, des
colonies de vacances, des voyages organisés et des sorties, de l'arbre de Noël du CCE. Le
Comité d'entreprise était financé à hauteur de 0.1% de la masse salariale pour les frais de
fonctionnement, somme à laquelle venait s'ajouter le budget "actions sociales et
culturelles".
Dans les locaux de l'usine de Cormelles le Royal, on trouvait un gymnase, des
terrains de tennis, une bibliothèque, une ludothèque. Des services étaient également
proposés au sein de l'usine comme le prêt de matériel d'entretien de la maison, à bas prix.
De même, différents sports étaient proposés et pratiqués dans chaque usine. Dans les
années 1980, par exemple, chaque usine avait sa section tennis de table.
§ 4 Une forte présente syndicale
Les salariés Moulinex étaient représentés par six formations syndicales : FO,
CFDT, CFTC, CGC, CGT et SYDIS. LA SYDIS est un syndicat maison issu de la
scission de la CFDT. Ces formations syndicales défendaient activement les intérêts des
ouvriers. Elles faisaient fortement pression sur la direction pour réduire le temps de
travail. A la fermeture de l’usine, le temps de travail s’élevait à 31.50 heures par semaine.
§ 5 La formation chez Moulinex
Créée en 1961, le Centre Professionnel de Moulinex est devenu, en 1961, l'Ecole
Technique Privée Moulinex. Elle formait des professionnels à la sortie de l'école
obligatoire, à 14 ans (des fraiseurs, ajusteurs, tourneurs, dessinateurs…) qui étaient
3
cf :« L’aide au logement en faveur du personnel », Le point de rencontre Moulinex, (novembre 1975), n°5
10
systématiquement embauchés après leur formation. Les trois principales disciplines
enseignées étaient l'ajustage mécanique, l'électro-technique et le dessin industriel,
auxquelles s'ajoutaient un ensemble de matières communes aux trois sections: français,
mathématiques modernes, mathématiques classiques, hygiène, législation, économie,
anglais, automatisme, mécanique, sport. Vers 1990, quand Moulinex a commencé à geler
ses embauches, l'ETPM a été transformée en lycée professionnel: les deux premières
années étaient organisées par le CFAI, les deux autres par l'ADFI (association pour le
développement et la Formation Industrielle).
En ce qui concerne la formation continue4, en 1984, le Plan d'Egalité des Chances
a donné le coup d'envoi des formations générales au niveau du groupe. Dans le même
temps, un accord d'entreprise relatif au déroulement de carrière du personnel de
production était signé. C'est sur cette base qu'une politique de formation s'est construite
dans tous les établissements.
Les actions de formation pouvaient être sectorielles: de courte durée, elles étaient
destinées à l'entretien et au perfectionnement des connaissances et s'adressaient à toutes
les catégories professionnelles. Elles pouvaient également être générales: plus longues,
elles étaient destinées à aider la progression des populations confrontées à un
environnement de travail en grande mutation; remises à niveau, adaptation, qualification,
tel était leur objet.
Le Plan d'égalité des Chances a été suivi par les agents de production intéressés.
Parmi les personnes engagées dans cette voie, certains ont atteint le niveau requis, passant
ainsi d'un emploi d'agent de production à un poste d'ouvrière professionnelle, d'autres ont
suivi la formation sans passer le CAP et sont donc devenu agent de production qualifiés,
les autres ont obtenu le CAP d'électromécanique ou de tournage.
Les réflexions qui ont suivi l'accord sur l'évolution de carrière du personnel de
production, ont donné naissance à une formation intitulée "force 92". L'objectif de cette
formation était, d'après A. Boennec, directeur du personnel et des ressources humaines du
Calvados de l’époque, de "préparer le personnel aux mutations technologiques qui sont
déjà en route dans l'entreprise et lui offrir des perspectives d'évolution professionnelle".
4
cf M.JULIENNE, (1989), « Formation : préparer l’avenir », Point de rencontre Moulinex, n°57, p21-24
11
Le programme commençait par une remise à niveau générale en calcul, français et une
initiation à l'informatique, le but étant "d'apprendre aux gens à réapprendre"5.
Puis les stagiaires étaient initiés à la mécanique, l'automatisme, la soudure, les
techniques de plastique. Cette formation débouchait sur un CAP d'agent qualifié de
production, diplôme mis au point avec l'AFPA.
En 1996, le changement organisationnel issu du plan Blayau a produit des effets
de requalification des ouvriers. La direction de M.BLAYAU a été marquée par l'arrivée
chez Moulinex de cadres issus de l'équipementier automobile VALEO et/ou formés à la
culture du système de Production Valéo (SPV), lequel a été transposé sous le sigle de
Système de Production Moulinex (SPM). La plupart des salariés de lignes de montage et
d'assemblage (qui comptaient 15 à 20 personnes) ont été regroupés en îlots6 de cinq à dix
personnes. A travers cette réorganisation et la mise en place de méthodes industrielles
(Kan-Ban7, Juste à temps8, 5 S9, Smed10) et de management (communication), les ouvriers
du montage et de l'assemblage ont acquis des compétences de polyvalence, d'autonomie,
de gestion de la qualité, de réactivité… La démarche SPM a introduit dans les usines "une
culture de l'amélioration continue de la productivité" chez les encadrant de proximité,
notamment les chefs de groupe, ainsi que parmi les opératrices d'assemblage, pour
l'essentiel des femmes.
§ 6 Une certitude ancrée dans l’esprit des Moulinex, que le Groupe ne pouvait
disparaître
En 1996, Moulinex est élu marque du siècle par un échantillon représentatif de la
population française. Symbole de la libération de la femme à en croire son slogan
("Moulinex libère la femme!") et synonyme de vie quotidienne confortable, Moulinex était
devenu une marque incontournable dans le paysage français. Les publicités Moulinex
baignaient ses salariés dans une sorte de certitude que l’électroménager ne pouvait
disparaître.
5
A. Boennec, directeur du personnel et des ressources humaines du Calvados
Petite usine à l’intérieur de l’usine avec ses clients et fournisseurs internes
7
Processus permettant de répondre aux besoins réels de la production grâce à un système de fiches
envoyées au manutentionnaire chargé, en amont, de réapprovisionner la ligne. Le kanban("signe visuel en
japonais" précise la nature des pièces, leur origine et leur destination
8
système d'organisation de la production qui permet de réduire les stocks à leur strict minimum. Les
matières premières et les fournitures doivent pouvoir être livrées à l'endroit et au moment précis où elles
sont demandées.
9
Eliminer/ranger/nettoyer-inspecter/ définir le standard/ respecter le standard, méthode d’amélioration du
cadre de travail et de l’inspection des moyens
10
Méthode de changement rapide d’outils pour réduire la taille des lots
6
12
Comme les politiciens nationaux et locaux pouvaient se targuer d'avoir joué un
rôle dans ces transferts industriels "en douceur" et en garantir quelques bénéfices,
principalement la possibilité de trouver du travail dans sa région d'origine et ainsi d'y
rester, il y persistait une croyance dans la possibilité que les politiques et les syndicats
puissent influer sur l'évolution économique. Cependant, cette croyance s'est érodée peu à
peu lors des tentatives successives d'adapter le process de production à la pression
économique mondiale, ce qui signifiait pour les travailleurs la perte progressive de
certains avantages, de plus dures conditions de travail et finalement différentes façons de
diminuer les effectifs (non-remplacement des partants, retraites anticipées, utilisation des
travailleurs temporaires ou à temps partiel, etc..) d'où un sentiment croissant d'insécurité.
SECTION II : LA TRAGEDIE MOULINEX
§ 1 Une firme à la dérive
Pourtant, derrière la belle façade, Moulinex, l'empire du petit électroménager est
déjà attaqué par les fabricants asiatiques, et notamment les Coréens. Lorsque Jean
Mantelet est terrassé par une attaque cardiaque, à 86 ans, aucune solution de reprise n'est
prête. Les trois cadres les plus proches du vieil homme paralysé et aphasique se succèdent
à son chevet pour le convaincre d'organiser un RES (rachat de l'entreprise par ses
salariés). Dans cette atmosphère de fin de règne, ils luttent entre eux, parfois
physiquement, pour lui arracher la direction. Quand Jean Mantelet meurt, en 1991,
Moulinex est un bateau ivre, secoué par le rachat inutile et coûteux de l'allemand Krups :
l'ultime péché d'orgueil d'un groupe en décadence.
La pagaille est accentuée par les élus de Basse-Normandie, qui assurent parfois les
fins de mois. Du coup, plus rien ne se décide chez le premier employeur de la région sans
leur signature. Le président du conseil régional a même pendant longtemps siégé au
conseil de surveillance : « Dans une maison à la dérive, sans véritable patron, on s'est
tourné de plus en plus vers les politiques », reconnaît le sénateur Alain Lambert.
Moulinex s'enfonce dans le rouge pendant que Seb, l'éternel rival, résiste et
s'adapte à la concurrence en innovant, en délocalisant et en réalisant des gains de
productivité. En Normandie, les inévitables plans sociaux, tardent tellement qu'ils ne
redressent plus rien du tout.
Quand Pierre Blayau, ex-président de Pont-à-Mousson et de Pinault-PrintempsRedoute, prend les manettes en 1996, il est consterné. Les prix de revient de Moulinex
13
sont de 30% supérieurs à ceux de Seb. Fort de ses soutiens politiques, notamment celui de
Martine Aubry, il met en place un vaste « plan Robien » de réduction du temps de travail,
moyennant de généreuses aides publiques. Malheureusement, un début de redressement
est balayé par la crise russe, où le groupe réalisait près de 800 millions de francs de chiffre
d'affaires, soit environ 10% de ses ventes.
Pour sortir de ce nouveau bourbier, le patron n'aura plus qu'une seule obsession :
marier le groupe à tout prix. Il sollicite Seb, qui refuse. Pendant l'hiver 2000, il accepte les
avances d'El.Fi, un groupe financier familial, italien et fort secret, dirigé par Luigi
Novicelli. Déjà propriétaire en France des machines, frigos ou cuisinières Brandt
(Vedette, De Dietrich...), El.Fi va marier les deux sociétés. Le nouveau poids lourd pèse
environ 2,6 milliards d'euros (18 milliards de francs) de chiffre d'affaires. Mais d'emblée
cette union se présente mal : « Les Italiens se sont montrés épouvantables », affirme Alain
Minc, exclu du nouveau conseil d'administration. « Les nouveaux propriétaires ne
connaissaient rien à ce business, rien à la manière de diriger une société cotée en Bourse,
rien au marché français », ajoute un ancien cadre. Plus grave : ils n'ont pas eu les moyens
de leurs ambitions. Leur filiale Brandt était déjà mal en point. « C'est le mariage de deux
canards boiteux. Ils n'avaient aucune chance de s'envoler », dit un ancien cadre du
groupe.
Après 800 millions de francs de pertes l'an passé, le groupe perd maintenant
environ 2 millions de francs par jour. A la fin de l'été 2001, plombé par ses 5 milliards de
francs de dettes, il a logiquement coulé, entraînant avec lui ses 22 000 salariés dans le
monde, dont 11 000 salariés en France.
§ 2 Une longue et angoissante période d'incertitude quant à l'avenir de
Moulinex
Les travailleurs de Moulinex qui avaient déjà été alertés par moult plans sociaux et
par la fusion avec Brandt furent laissés pendant sept mois dans une incertitude très
angoissante, sachant qu’ils devraient faire face à une inévitable restructuration mais
laissés dans l’ignorance totale de ce que serait sa nature et sa dimension. Le 25 avril 2001,
la sentence tombe : le groupe Moulinex - Brandt propose le regroupement total des 16
usines françaises (11.000 travailleurs sur un total de 22.000 travailleurs européens) avec la
fermeture définitive des deux usines les plus importantes en Normandie:
14
•
Alençon (Orne), 1100 travailleurs, l’usine mère, la première à avoir été en
activité fabriquant du petit électroménager dont la production serait en partie
transférée au Mexique (fers à repasser).
•
Cormelles le Royal (Calvados) 1.300 travailleurs fabriquant des fours à micro
ondes dont la production serait totalement abandonnée parce que perdant de
l’argent et ne pouvant soutenir la concurrence asiatique.
Les syndicats ne pouvaient faire autre chose que refuser ce plan de restructuration
car les travailleurs des usines condamnées se mirent aussitôt en grève avec occupation.
Jusqu’aux vacances du 21 juillet, toutes les usines Moulinex connurent une production
chaotique et quelques-unes d’entre elles : Alençon, Bayeux, Cormelles, Falaise, toutes en
Normandie étaient souvent totalement fermées et occupées. A la fin des vacances, la
situation ne s’était guère améliorée même si les syndicats tentaient de reprendre le
contrôle de la lutte, avec par exemple, une grève de 2 heures le 25 août. Durant la nuit du
29 août, l’équipe de nuit à l’usine d’Alençon recommença l’occupation érigeant des
barricades pour bloquer l’entrée de l’usine. Les occupations recommencent ailleurs dans
la plupart des usines Moulinex dont la production est alors totalement bloquée. La
réplique du groupe Moulinex - Brandt, suite au refus du holding italien de mettre plus
d’argent dans la restructuration envisagée avant les vacances, fut de se mettre en faillite.
Les travailleurs étaient totalement abandonnés dans cette opération avec les
syndicats et les autorités locales tentant de présenter des plans alternatifs pour maintenir
les usines en activité, tous ces plans plus ou moins viables principalement parce que ni les
uns ni les autres n’avaient de pouvoir de lever les contributions financières nécessaires
pour les mettre une œuvre et certainement allaient à l’encontre de visées financières plus
importantes. Il était bien évident, considérant les interventions étatiques ou
multinationales dans les restructurations déjà évoquées qui se déroulaient au même
moment à grand renfort de publicité (précisément parce que les médiations politiques ou
syndicales pouvaient prétendre avoir trouvé une solution pour les travailleurs), que les
possibilités d’action des travailleurs, étaient assez limitées si toutes les usines devaient
être fermées en cas de faillite.
Au même moment, dans une opération bien concertée le bruit était répandu, un
peu partout dans les médias relayant les syndicats et les allées du pouvoir que l’entreprise
pouvait être vendue, en tout ou en détail et que bien sûr il importait pour les travailleurs
15
de ne pas « décourager un éventuel repreneur : cela paraissait raisonnable » et, à l’appel
des syndicats, toute grève et occupation cessait le 10 septembre 2001.
L’opération commençait à accentuer leur angoisse démoralisante en les
embarquant dans des spéculations sans fin sur la « confiance » qu’on pouvait avoir envers
les prétendants à la reprise, alors qu’ils n’avaient en fait aucun moyen de juger de la
solidité des dites propositions. Sauf de faire confiance à la parole des syndicats et des
autorités qui n’avaient d’ailleurs pas plus de moyens d’en juger malgré leurs prétentions
mais ce qui leur permettait de se remettre en selle dans un rôle qu’ils tenaient parfaitement
dans cette tragicomédie.
Ainsi depuis le 10 septembre et pendant plus d’un mois toutes les usines Moulinex
étaient supposées travailler normalement mais pourtant avec des arrêts dus à de
problèmes d’approvisionnement ou avec une production réduite ; les travailleurs réduits
ainsi au chômage technique restaient indemnisés. Ils restaient, peut être sans trop y croire,
persuadés qu’ils ne devaient pas troubler le « jeu de la reprise » même s’ils suivaient les
sempiternelles manifestations de rue appelées et contrôlées par les syndicats pour « faire
pression » en vue d’un règlement (sur lequel ils n’avaient pourtant aucun pouvoir). Les
syndicats informaient régulièrement, avec commentaires, les travailleurs sur les hauts et
les bas des négociations en cours pour donner aux travailleurs un nouveau patron.
Après maints et maints palabres et de spéculations financières, l’administrateur
provisoire accepta la dissociation des deux firmes Moulinex et Brandt et la reprise de
Moulinex par son principal concurrent en France, le groupe SEB, Brandt restant dans le
holding italien El-Fi. L’annonce de cette « fin heureuse » précisait que SEB était plus
intéressé par les filiales étrangères de Moulinex, ce qui lui permettait d’avoir des bases de
pénétration en Amérique du Nord et en Amérique du Sud ; comme SEB avait déjà des
usines en France opérant dans les mêmes secteurs que Moulinex, il n’était pas difficile de
prévoir ce qu’étaient les non - dits de l’accord de reprise.
Pour les travailleurs de Moulinex c’était un nouveau plan de restructuration, plus
ou moins la copie conforme de ce qui avait provoqué l’explosion de grève le 27 avril : ils
avaient seulement changé de patron pour la mise en œuvre de la guillotine. Les deux
principales usines du groupe, Alençon et Cormelles restaient définitivement fermées et les
autres devaient subir des « dégraissements plus ou moins conséquents ».
16
§ 3 La révolte des laissés pour compte
Il ne leur restait plus qu’une seule issue alors qu’il était évident qu’ils ne
pourraient plus empêcher la dislocation du groupe et les fermetures d’usines: se battre
pour obtenir des indemnités de licenciement plus substantielles et des promesses plus
sérieuses de reclassement. Le jour même de l’annonce de la reprise et des intentions du
repreneur, les usines condamnées d’Alençon et de Cormelles étaient de nouveau occupées
et bloquées. Comme les discussions menées par les syndicats et les actions ponctuelles
légales ne conduisaient nulle part après 20 jours de palabres, les travailleurs de Cormelles
le Royal prirent le mors aux dents et mirent en place spontanément une méthode radicale
de lutte. Celle ci ne s’étendit pas à Alençon où la CFDT pouvait se prévaloir d’une plus
grande influence qui lui permettait un plus grand contrôle et le maintien de la lutte dans
ses limites légales.
Le 13 novembre, les travailleurs de Cormelles (leur usine devant être fermée
définitivement avec plus de 1100 licenciements) qui occupaient déjà l’usine empilèrent à
différents endroits stratégiques de l’usine des produits inflammables (bouteilles de gaz,
bidons d’essence, autres produits chimiques inflammables, etc..) et affichèrent clairement
leurs intentions à la porte de l’usine avec une banderole proclamant fièrement : « Du fric
ou Boum ! ». Et pour montrer leur volonté, ces travailleurs de Moulinex mirent le feu à
certains bâtiments de « leur » usine.
Personne ne tenta de les arrêter alors que les discussions continuaient avec les
autorités pour tenter de régler « le problème ». Les différences dans les méthodes de lutte
à Alençon et à Cormelles peuvent être vues dans le fait que la police n’intervint nullement
à l’usine de Cormelles alors que dans le même temps, les mêmes forces de l’ordre
intervinrent brutalement pour empêcher les travailleurs d’Alençon entraînés par la CFDT
d’envahir le siège du MEDEF à Alençon ( c’était dans ce dernier cas, le type même
d’objectif traditionnel de la part des syndicats).
C’est sans doute l’action des travailleurs de Cormelles et certainement la crainte
que leur méthode de lutte ne s’étende aux autres usines Moulinex qui accéléra le
règlement du conflit, lequel intervint dans la semaine même. Cet ultime « plan social »
accepté par tous les syndicats, à l’exception de la CFDT qui ne voulait pas perdre la face à
Alençon pour avoir modéré les troupes, autorisait le redressement judiciaire à licencier
17
3.700 travailleurs sur 5.600 avec la fermeture définitive, entre autres, des usines
d’Alençon et de Cormelles et des coupes sombres dans les autres usines.
Les travailleurs devaient, en cas d’accord, évacuer immédiatement les usines
occupées pour que la production puisse reprendre. Le montant des indemnités
supplémentaires, n’étaient pas les mêmes pour tous les travailleurs, variant en fonction de
l’ancienneté de 30.000 à 80.000 F. Soit environ 22 800 euros pour une ouvrière de base
ayant trente ans d’ancienneté. Comme le « plan social » devait être accepté par les
travailleurs en grève, cette division en fonction de l’ancienneté, fut accentuée par un vote
par usine et non par un vote global. Le résultat du vote était en quelque sorte connu
d’avance. Comme la CFDT avait refusé de signer le « plan social » en raison de sa
position dominante à Alençon, elle ne pouvait faire dans cette usine autre chose qu’un
baroud d’honneur sous peine de perdre la face ; ils maintinrent pendant quelques jours
l’occupation tout en ne changeant rien à ses méthodes légales de lutte et continuant
d’exercer le strict contrôle de cet ultime combat.
Les salariés de l’usine de Bayeux et Falaise se sont, quant à eux, résignés au
protocole d’accord impliquant la levée du blocus de l’usine.
§ 4 Les « Moulinex », une population à reclasser
Aux termes du plan social, les anciens salariés ont reçu une prime additionnelle en
complément des indemnités conventionnelles, d’autres mesures venant compléter le
dispositif et un espace emploi a vu le jour dans chaque site fermé. Nous verrons plus
précisément l’ampleur du dispositif mis en place dans la deuxième partie.
En terme de qualification, parmi les personnes à reclasser, trois populations
différentes étaient à distinguer11 :
•
Les outilleurs, régleurs, professionnels, techniciens et cadres dotés de diplômes
et/ ou de qualification transférables
•
La part non diplômée des catégories précédentes ainsi que les opérateurs de
montage-assemblage ayant appris sur le tas et/ ou mobiles dans l’usine, dotés de
qualifications propres à Moulinex
11
cf F.GRINSBOURGER et B.ROY, (2002), Les conditions du reclassement des salariés de MoulinexAlençon, DS&O, p17
18
•
Une population composée de salariés peu mobiles dans l’usine, fréquemment en
inaptitude partielle (nombreuses déclarations de TMS) et n’ayant plus l’usage de
la lecture et de l’écriture.
A l’heure du bilan, les personnes dotées de qualifications transférables ont, dans
l’ensemble, retrouvé facilement un emploi. En revanche, les deux dernières catégories
citées ci-dessus, rencontrent des difficultés importantes de reclassement.
Il est très tentant d’en conclure que le « bas niveau de qualification » de ces
personnes est responsable de leur inemployabilité. Mais nous allons voir, dans le chapitre
suivant, que cette explication est bien trop réductrice et que l’exclusion de ces personnes
du marché du travail, relève de la convergence de différents phénomènes.
19
CHAPITRE
II :
L’EMERGENCE
D’UNE
CATEGORIE
QUI
RENCONTRE DES PROBLEMES DE RECONVERSION
Nous allons voir dans ce chapitre, par quel processus une partie des anciens
salariés de Moulinex se retrouvent éloignés de l’accès au marché du travail.
SECTION I : « BAS NIVEAUX DE QUALIFICATION » UNE CATEGORIE
PROBLEMATIQUE
Depuis la fermeture de leur usine, de nombreux anciens salariés de Moulinex
voient leur "niveau" rendu soudain responsable de la précarité de leur situation. Pourtant,
hier, nul ne mettait en doute leur qualification: même si aucun diplôme ne l'attestait, ils
étaient implicitement reconnus par leur employeur.
§ 1 Qu’entend-on par « Bas Niveau de qualification » ?
Dans la mesure où, le système de la qualification codifie des prestations en travail
repérées par l’intermédiaire de postes hiérarchisés, la population ayant un bas niveau de
qualification est celle qui occupe les postes situés en bas de l'échelle des qualifications. La
définition de cette population ne sera plus qu'une question d'échelle, selon qu'on choisira
les nomenclatures socioprofessionnelles de l'INSEE, les grilles de conventions collectives
et de curseur (à quel niveau place t'on la frontière qui sépare les niveaux bas des niveaux
plus élevés).
« La catégorie “ bas niveau de qualification ” désigne, en théorie, l’absence des
compétences requises par les diplômes de niveau V. Mais cette notion est relative. Tous
les employeurs n’ont pas les mêmes référents ni les mêmes finalités : une qualification
reconnue dans un schéma organisationnel donné ne l’est pas nécessairement dans un
autre. On peut d’ailleurs affirmer sans risque que, quels que soient nos diplômes, nos
savoir-faire et nos compétences, nous seront toujours le “ bas niveau de qualification ”
de quelques autres.(…) “ Bas niveau de qualification ” ne désigne pas davantage les
chômeurs. Sont couramment désignés comme “ Bas niveau de qualification ”,
les
salariés d’entreprise que la direction n’entend pas nécessairement licencier, mais pour
lesquels elle ressent l’urgence d’une formation »12.
12
définition H.LESUEUR
20
L’appellation “ bas niveau de qualification ” pose quelques problèmes de
définition et de contenus, voire entraîne de la confusion. De même, « les notions de
“ faible” ou de “ bas niveau”, entraînant des critères très variables en fonction de la
référence choisie ajoutent encore à la difficulté »13. Elles ne permettent pas de construire
une catégorie sociologiquement satisfaisante et ne renvoient pas toujours à une réalité
quant à l’emploi occupé et l’activité conduite.
Comme le suggérait un article publié dans la revue Education permanente « parler
de "bas niveau ", n’est-ce pas un peu court »14ou socialement utile et facilitateur ? En
effet, « en période de plein emploi, il n’y a pas de cela si longtemps, parlait-on de "bas
niveaux de qualification " ? Cette notion même est tout à fait relative »15 et surtout utile
pour expliquer ou légitimer les difficultés d’insertion.
Durant de nombreuses années, l’appareil de production s’est contenté du
“faible” niveau d’habiletés professionnelles d’un grand nombre d’opérateurs et que la
“catégorie” dite des “ Bas niveaux de qualification” est apparue du fait de l’évolution de
ce dernier. Dans un contexte de pénurie de main d’œuvre, l’adaptation des individus aux
exigences de l’appareil de production a pu se réaliser sans poser de problèmes majeurs.
L’adaptation rapide aux emplois ouvriers de masses paysannes au début de l’ère
industrielle, de femmes pendant les deux guerres mondiales constitue des exemples
historiques. C’est au contraire dans une situation de pénurie d’emplois qu’apparaît le
vocable désignant les “ bas niveau ” dont les problèmes d’emploi se posent avec acuité.
Afin de faire accepter comme inévitable des plans sociaux, certains secteurs largement
utilisateurs, et en d’autres temps producteurs, de ce type de main d’œuvre eurent recours à
cette “catégorie”. Dans la plupart des cas, ce qualificatif « appliqué à une personne
généralement à son insu, ne correspond ni à un niveau de validation, ni à un type
d’emploi, et pas d’avantage à une caractéristique personnelle. Sa seule validité
correspondrait à la traduction momentanée d’une partie de la population confrontée à
une nécessaire adaptation de nouvelles organisations de travail »16 . Il traduit également
parfois, l’impossibilité des gestionnaires à trouver un emploi à tout le monde.
13
Introduction de C.VINCENT, (1993), Spécial « Bas niveaux de qualification », Revue de l’IRES, n°13,
H.LESUEUR,(1993), Stratégie pour l'insertion professionnelle, Education permanente, AFPA n°7, juillet,
p26
15
Ibid, p 25 et 26
16
Ibid, p 31.
14
21
L’appellation “bas niveau de qualification” a été, en grand partie, fabriquée pour
nommer un groupe social diffus, mais surtout, pour servir le discours et les actions mises
en place dans le cadre de modernisation et de restructuration de l’appareil productif.
§ 2 La catégorie "Bas niveaux de qualification", un héritage de l'histoire de la
production
Le qualificatif “bas niveau de qualification” est utilisé dans le langage courant
pour désigner une certaine partie de la main-d'œuvre. Nous allons nous appuyer sur
l’article de J.D Oester17 pour montrer qu’il résume une situation complexe, créée depuis
des décennies par divers acteurs sociaux, en un qualificatif attribué à un acteur particulier.
A/ Le système taylorien : un appauvrissement du contenu des taches
L'organisation des bas niveaux de qualification s'est développée à partir du
système taylorien: l'homme-ouvrier servait la machine dans le cadre d'une organisation
tournée entièrement vers la production.
Cette organisation était définie de façon
technique et bureaucratique par le management à partir de ce qui était repéré comme
mesurable et nécessaire à l'atteinte des objectifs de l'entreprise.
L'épanouissement de l'ouvrier n'en faisait pas partie. On savait bien que le contenu
des tâches appauvries nuisait à l'intérêt du travail, mais l'époque était convaincue que le
bonheur de vivre viendrait avec l'abondance matérielle. Le plaisir de vivre avait quitté les
ateliers, mais on allait le retrouver à la sortie, après la paie, et la durée de travail pourrait
être réduite du fait de l'accroissement de la productivité. En fait, la durée du travail n'a pas
été réduite de façon constante et le temps gagné a été utilisé pour produire d'avantage. La
motivation était créée par des salaires élevés et par l'abondance de la main-d'œuvre, et la
discipline était requise. Ce système a bien fonctionné pendant quelque temps, mais il a
fini par se révéler moins intéressant.
La dureté des temps et l'habitude de la docilité de la population laborieuse font
qu'elle s'avère être malléable, d'autant plus facilement que cette population provient des
régions rurales françaises, européennes ou africaines, et quelle n'a donc pas connu d'autres
formes d'activité industrielle. L'idéologie productive aidant, la population ouvrière a
épousé le modèle qu'on lui proposait et y a même trouvé ses habitudes, ses conforts et ses
joies. La docilité et l'absence d'initiative requise a été obtenue.
17
J.D OESTER, (1992), "Bas niveaux de qualification: il s'agit des ouvriers ou d'un mode d'organisation»,
Education permanente, n°111, juillet, pp.107-119
22
Une telle main d'œuvre demandant toujours davantage d'assistance et de
surveillance devenait plus difficile et plus lourde à conduire. Il a fallu renforcer
l'encadrement de proximité en élevant ses effectifs et en les débarrassant de ces autres
tâches, plus qualifiées, qui ont été affectées à des ateliers et services spécifiques.
B/ Vers l’indigence intellectuelle
Cette nouvelle organisation a provoqué l’émergence d’exécutants sans
qualification, encadrés par une maîtrise à leur mesure, travaillant dans un univers
technique administratif ou commercial échappant à leur entendement, sous la conduite
d'un management technique qui déployait toute son ingéniosité et son talent pour
empêcher les ouvriers de se tromper et de se blesser, les confinant ainsi dans une
contribution plus passive.
Progressivement, le recrutement des entreprises a pu devenir de moins en moins
exigeant, jusqu'à leur permettre d'accueillir des analphabètes ou des étrangers sachant à
peine s'exprimer en français et n'ayant parfois aucune culture technique. La
déqualification des postes était telle qu’en huit jours, ces nouveaux ouvriers donnaient
satisfaction sur un poste de travail ; quelques années plus tard, leur contenu d’activité
avait peu varié, alors qu’ils montaient dans leur vie quotidienne des capacités supérieures.
Les situations de vie quotidienne, en effet, prennent en compte à tout moment les
nouvelles capacités acquises : en dehors de l’entreprise, l’écrit est proposé
continuellement, même aux illettrés, et ne pas savoir lire est coûteux, ne pas savoir
compter l’est plus encore. On peut dire que, par la variété des situations proposées et par
le coût des situations d’aide, les situations de vie quotidienne épousent d’une certaine
manière la dynamique de développement de la personne et l’amènent à se doter de
capacités nouvelles. Mais de ces capacités, l’entreprise bien souvent ne sait que faire, et
généralement, les ignore.
Les postes de travail non qualifiés se caractérisent par une très faible durée de
formation, destinée seulement à faciliter la prise en main du poste, et au cours de laquelle
est montré au nouvel arrivant quel geste exécuter, à quel moment et quel résultat obtenir.
Dans la plupart des ateliers organisés autour de postes de bas niveaux de
qualification, on a intégré le faible niveau de connaissance générale des gens qui y
travaillent voire leur méconnaissance de la langue française. Dans le secteur où la
hiérarchie de proximité dirige sans expliquer, la faiblesse et l’imprécision de la
23
communication de la communication orale jointes à l’absence d’écrit utilisable font que
notre homme doit s’outiller pour recueillir, dans ce qui lui est intelligible de son proche
environnement technique et relationnel, les indices dont il a besoin. Il va ainsi se
constituer de façon empirique, par essais et erreurs, un outillage d’informations et de
moyens de facilitations basés sur sa perception de telle caractéristique de la tâche, qu’il
mettra en relation avec telle procédure et avec telle réaction qu’il aura perçu de
l’environnement. Il parvient ainsi à se construire un système de prévision qui lui permet
de combiner outils, situations, temps et produits, le but étant de le placer en situation de
sécurité en lui permettant de satisfaire les exigences de l’encadrement sans qu’il se mette
en difficulté avec les autres ouvriers.
C / Un système en désuétude
Tant que la gamme de produits fabriqués par l'entreprise et la demande de la
clientèle n'ont pas varié trop vite, et tant que les techniques utilisées dans les entreprises
sont restées les mêmes sur de longues période, une telle organisation s'est montrée
relativement efficace. Avec le durcissement de la concurrence, lorsqu'il a fallu diversifier
la production et moderniser les moyens, ce type d'organisation ne pouvait plus vivre, et
c'est au niveau du poste de travail que cette fragilité s'est révélée. La diversification des
produits et l'irrégularité des flux de production auxquelles les entreprises ont été
conduites, ainsi que l'arrivée d'installations industrielles réclamant la maîtrise de
processus techniques plus avancés entraînent la disparition des organisations du travail
basées sur l'emploi de la main d'œuvre peu qualifiée, et les ouvriers habitués à des postes
de bas niveaux de qualification vont être les premiers à en souffrir.
D'autant plus que l'entreprise, dans un premier temps, identifie presque toujours
ses difficultés d'adaptation à la seule présence d'un personnel de faible niveau de
connaissances de base. Or ce ne sont pas seulement les ouvriers de faible niveau de
qualification qui sont un frein à l'évolution de l'entreprise, c'est aussi tout un dispositif de
production qui s'est organisé autour de la sous-qualification des postes d'exécution.
Lors de la transformation de ces organisations de bas niveaux utilisatrices d’un
travail “scientifiquement” parcellisé, le qualificatif qui aurait du s’appliquer à la structure
a été apposé sur les individus. En ce sens, on pourrait être tenté de conclure que « les Bas
niveaux de qualification », ça n’existe pas. Qu’il n’existe que « des postes bas niveaux de
qualification, ceux qui font appel à une part réduite des capacités généralement
24
présentées par un salaire moyen (…). Qu’il n’existe (que ) des gens enclavés dans le sous
développement des organisations »18.
Un dirigeant a plus vite changé de langage que ne se modifie la culture de ceux,
ouvriers et agents de maîtrise, qui se conforment à l’ancien modèle depuis l’éternité de
leur propre vie e de leur mémoire. Voilà pourquoi ceux là sont à la traîne.
§ 3 : Une appellation erronée, mais une réalité sociale
L’appellation “ bas niveaux de qualification” s’avère peu signifiante ou ne l’est
que dans sa fonction de discriminant social, comme stigmate d’incompétence et
d’incapacités chroniques. Etre “ bas niveaux de qualification”, c’est aussi ne pas être autre
chose. Toute classification génère une exclusion et ne peut rendre compte d’une personne.
Figer ainsi un individu dans une catégorie ne peut que renforcer les mécanismes d’étayage
qui vont à l’encontre de l’autonomisation prétendument recherchée.
Néanmoins, cette appellation témoigne de l’existence dans et hors des entreprises,
de travailleurs en difficulté face à des situations de travail qui se complexifient et qui font
de plus en plus appel à la mobilisation de l’appareil cognitif ; même si « le postulat selon
lequel les nouveaux emplois requièrent des compétences fondamentalement différentes de
celles que possédaient les salariés dans les formes d’organisation du travail plus
traditionnelles mérite d’être réexaminé attentivement en se gardant de tout déterminisme
technique »19.
La catégorie socioprofessionnelle existe et pose problème en matière d’emploi
depuis plus d’une décennie puisque cette catégorie a vu entre 1982 et 1989 ses « effectifs
d’actifs occupés se réduire de 15%, soit plus du double de la perte des ouvriers
qualifiés(et que ) dans la seconde moitié des années 80 (…) les effectifs ONQ continuent
de décroître en valeur relative et absolue »20. C’est sans doutes en son sein, mais pas
exclusivement, que les travailleurs pouvant rencontrer des difficultés face aux évolutions
du process de production se trouvent potentiellement en grand nombre, en tenant compte
du fait que paradoxalement, « sur un nombre de 4 137 000 emplois non qualifiés en 1994
18
J.D OESTER, (1992), « "Bas niveaux de qualification »: il s'agit des ouvriers ou d'un mode
d'organisation», Education permanente, n°111, juillet, p.112
19
J.PAILHOUS et G.VERGNAUD, (1989), Adultes en reconversion, Faible qualification, insuffisance de
la formation ou difficultés d'apprentissage, Paris, La documentation française, .
20
L.TANGUY, (1991), Quelle formation pour les ouvriers et les employés en France?, Paris, La
Documentation Française, p 69.
25
(les femmes) sont les plus nombreuses à occuper un emploi non qualifié bien qu’elles
soient mieux formées que les hommes »21et qu’elles représentent 60 % de cette catégorie.
Ce chiffre montre combien la menace « bas niveaux de qualification » pèse sur un
très grand nombre d’actifs qui occupent des postes de travail qui ne requièrent pas de
qualification apparente et normée. Menace d’autant plus forte que dans la population
active, 9 260 304 22individus ne possèdent aucun diplôme ou le CEP ou encore le BEPC
seul.
Section II: les processus de sélection sociale dans le sphère du travail
La constitution d'une catégorie "Bas Niveaux de Qualification" renvoie à la
convergence de phénomènes étroitement liés. La configuration du marché de l'emploi et
l'absence de revalorisation du statut social associé au passage en formation.
§ 1: Les processus de rejet de l'appareil productif
De l’analyse des opérations de licenciements et de l’observation de la
transformation de la structure des emplois au cours des trente dernières années, il ressort
que les rejets sur le marché du travail ont principalement concerné les personnes qui
occupaient les emplois les moins qualifiés. Les ouvriers ont été touchés et ont connu des
difficultés de réinsertion liées à l’obsolescence de leurs qualifications. Mais les principaux
flux d’inscription au chômage ont concerné les manœuvres, les O.S et les employés non
qualifiés.
A / Les différenciations sectorielles23
Dans un secteur comme l'automobile, le processus d'automatisation a conduit à la
fois à comprimer fortement les effectifs et à conserver uniquement la main d'œuvre
considérée comme la plus apte à s'adapter aux nouveaux postes de travail; compte tenu de
l'organisation de la production (forte taylorisation) et des modes de gestion de main
d'œuvre antérieurs (par exemple, recrutement massif d'immigrés), ce processus a conduit à
mettre au chômage une population qui, dans la majeure partie des cas, ne pouvait que
connaître de graves difficultés de réinsertion.
21
A.BIHR et R.PFEFFERKORN, (1996), Hommes, femmes, l’introuvable égalité, Edition de l’atelier, p 77.
Enquête sur l’emploi 1995, INSEE, p.107
23
cf J.PAILHOUS et G.VERGNAUD, (1989), Adultes en reconversion, Faible qualification, insuffisance
de la formation ou difficultés d'apprentissage, Paris, La documentation française, p 24
22
26
Dans d'autres secteurs, les mécanismes de rejet sont plus complexes à
appréhender. Dans le textile par exemple, il y a eu à la fois de nombreuses fermetures
d'établissements et de nombreuses créations.
Le processus de vulnérabilité des "bas niveaux" y est donc différent de celui de
l'automobile. D'autre part, malgré l'automatisation de ce secteur, y subsistent des besoins
importants en main d'œuvre peu qualifiée (notamment chez les sous-traitants ou dans les
ateliers de confection de petite taille capables d'adapter très rapidement la production à la
demande.
Ces modalités de gestion sectorielle de la main d'œuvre ne sont pas sans incidence
sur les caractéristiques même de la population des chômeurs et expliquent pour une part
leurs difficultés de réinsertion.
B/ Les différentiations selon les catégories de main d'œuvre
Au delà de cette dimension sectorielle, certains mécanismes plus globaux du
fonctionnement du marché du travail influent directement sur les caractéristiques des
populations touchées par le chômage.
La vulnérabilité de la main d’œuvre âgée, par exemple, ne s’explique pas
seulement par des raisons telles qu’une santé déficiente ou l’obsolescence d’une
qualification. Comparativement à d’autres pays, où les syndicats exercent un certain
contrôle sur les procédures de licenciement, les entreprises françaises font souvent
supporter les licenciements par les personnes les plus âgées. En France, les salariés sortent
tôt (58 ans et demi) du marché. Le taux d’activité des 55-59 ans n’est que de 48, 1
% (contre 75 % entre 50 et 55 ans), le douzième d’Europe. La mise en œuvre à grande
échelle de dispositifs de préretraites financées par la collectivité et le développement des
mesures visant à encourager l’embauche des jeunes a accentué la tendance et a contribué à
l’accélération des effets de substitution d’une main d’œuvre jeune à une main d’œuvre
âgée.
De plus, le recours de plus en plus systématique à des formes de flexibilités
« externes », comme le CDD et l’ajustement des effectifs au plus près des besoins des
entreprises, joint à la tendance à se détacher de la main d'œuvre âgée, accroît la sélectivité
au chômage.
27
§ 2 Les processus de sélectivité à l'embauche
Ce ne sont pas tant les caractéristiques individuelles de personnes labellisées « bas
niveau » qui permettent de comprendre leur exclusion plus ou moins durable de l’emploi
que les processus de sélection sur le marché du travail. Il existe de la part des recruteurs,
et de façon plus générale des gestionnaires qui évaluent la qualité du travail, une tendance
à des comportements de sur-sélection qui créent des problèmes de chômage.
Pour démontrer les mécanismes qui engendrent une sélection à l’embauche, nous
allons nous appuyer sur l’analyse de F. EYMARD-DUVERNAY, lors de son
intervention, au colloque sur les difficultés de recrutement.
A/ Le problème de l’information
Bien qu'étudié par les économistes français, ce problème a été particulièrement
approfondi par les économistes américains qui l'ont qualifié de "problème de la
discrimination statistique".
Ce problème relève d'un mécanisme cognitif simple: quand l’information est
coûteuse et difficile à obtenir, l’évaluateur a tendance à se fier à des données immédiates,
observables telles que le sexe, l’âge…qu’il croit corrélées à la qualité du travail, pour
prendre sa décision. D’où l’enclenchement de processus de discrimination qui peuvent
expliciter la persistance du chômage.
Ces problèmes informationnels liés au coût de l’information, à la pénurie de
l’information, vont créer des biais d’évaluation qui ont des conséquences sociales
importantes et qui vont aussi rejeter vers l’inemployabilité. Si l’on fait des comparaisons
internationales, on s’aperçoit que le marché français du travail, par rapport au marché
anglais en particulier, est sous-équipé au niveau des intermédiaires des systèmes
d’information.
B/ Le problème de valeur
L’évaluation d’un candidat à un emploi est conditionnée par une conception de la
qualité du travail. Un bon travail dépend d’une convention pouvant varier d’une entreprise
à l’autre, d’un pays à l’autre et évoluer dans le temps. L.Boltanski et Eve Chiapello nous
montrent, dans Le nouvel esprit du capitalisme24, qu’une nouvelle convention du travail,
liée à des transformations profondes des modes de gestion de l’entreprise, émerge depuis
24
L.BOLTANSKI, E.CHIAPELLO, (1999), Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 843 p
28
une vingtaine d’années. On est passé de l’entreprise institution, de type fordienne à
« l’entreprise en réseau ». Avant, l’évaluation du travail était fondée sur des postes de
travail; maintenant, les postes sont rendus flexibles compte tenu des incertitudes de
l’environnement et on assiste à l'émergence de la logique compétence. Chaque emploi est
décomposé en compétences qui peuvent être recomposées de façon flexible.
L'appui sur un profil de poste n'est donc plus une méthode d'évaluation puisqu'on
suppose que les postes ne sont pas stables. Repérer les habilités est fort complexe et exige
un travail d’observation et d’analyse précis des situations de travail car ces compétences
objectives non objectivées (donc non reconnues socialement) qui ne se disent que
rarement comme telles et se présentent rarement sous la forme classiquement
appréhendable du savoir (codifié) et répondent essentiellement à une logique pratique25.
Les nouveaux principes d'évaluation n'étant pas clairement identifiés et pas encore
instrumentés, on assiste à des dérives. Le rôle excessif donné au diplôme comme
compétence générale, compétence à se former à toutes nouvelles compétences, en est un
exemple. Dans la mesure où elles en ont le choix, les entreprises qui recrutent préfèrent
des candidats plus diplômés, réputés plus compétents et plus adaptables. On se focalise
sur des pseudo qualités générales telles que le "savoir-être" ou les capacités de
communication qui sont censées pouvoir ouvrir à toutes les compétences. « on peut
penser ainsi que, au bout du compte, certains employeurs (et pas seulement eux) sont
certainement victimes de leurs représentations très scolaires de ce qu’est un être
« qualifié » et des manières dont on peut certifier l’existence d’une qualification »26.
Les formes de sélection s'exerçant à l'encontre des salariés résultent donc de "la
difficulté à décrire et à désigner les compétences qui doivent être acquises sur d'autres
modes que le mode scolaire traditionnel (…) la difficulté à trouver des formes de
validation (ou de certification) d’acquis qui ne peuvent se mesurer en termes de
connaissances disciplinaires ou en terme de maîtrise de raisonnements formels"27.
Le processus de sélectivité à l'embauche tend à privilégier un niveau formel de
formation au détriment de l'expérience, les compétences générales et les capacités
supposées d'adaptation au détriment des savoir-faire et des compétences professionnelles.
25
B . LAHIRE, (1993), « La raison des plus faibles », Presse universitaire de Lille, p 55-56
« La raison des plus faibles », op.cit. p55-56
27
F.Eymar Duvernay
26
29
Des décisions politiques importantes ont été prises ces dernières années. La
formation étant perçue comme la solution à tous nos maux, on s’est convaincu de la
nécessité d’augmenter le niveau de formation, en plaçant la barre au niveau du bac à 72,
74 ou 80% d’une classe d’âge en formation initiale. Cela explique en partie les premières
statistiques sur le chômage de longue durée révélant que les salariés ayant occupé des
emplois classés au bas de l’échelle des emplois formaient une part grandissante d’un
chômage d’exclusion. Et que non seulement il y avait un problème de reconversion des
OS des industries traditionnelles, non seulement il y avait un problème général lié à la
réduction des postes de travail peu qualifiés dans l’industrie et dans le tertiaire, mais au
surplus, on assistait à des licenciements de substitution, où des salariés d’age
intermédiaire, détenteurs d’une compétence jugée obsolète, étaient remplacés par des
jeunes de plus haut niveau scolaire, ce que l’on a appelé les OS bacheliers. Bref, une
tendance lourde à la sélectivité sur le marché du travail au détriment d’adultes peu
qualifiés, certes expérimentés, mais dont la compétence était jugée peu transférable.
Si les sociétés de recrutement sur-évaluent les compétences nécessaires, ce
raisonnement est peu adapté aux entreprises d'intérim qui font le contraire actuellement.
Celles-ci ne trouvent plus les compétences nécessaires pour les emplois qui leurs sont
demandés et envoient donc vers les entreprises des travailleurs en les sur qualifiants ce
dont se plaignent très fortement les employeurs qui les accueillent. Cependant, les sociétés
d'intérim contribuent également à une sélection de la main d'œuvre en privilégiant les
personnes immédiatement opérationnelles et expérimentées.
C/ Les comportements des entreprises en matière de mobilité et de qualification
de la main d’œuvre
Les observations faites par le LAST, dans une vingtaine d’entreprises, mettent en
évidence que, contrairement à la perception courante, elles opèrent, chaque fois qu’elles le
peuvent, une « transformation qualifiante des “bas niveaux de qualification” plutôt
qu’une politique de substitution. D’abord parce que « le développement des compétences
attendues des “bas niveaux de qualification” relève plus souvent, semble-t-il des “petits
pas” que des “grands bonds”…les évolutions nécessaires n’impliquent pas une
embauche massive de main-d’œuvre diplômée en remplacement de la main-d’œuvre non
qualifié en place…Une politique d’appel systématique à une main-d’œuvre diplômée
comporte le risque d’aboutir à une situation critique de surqualification, une fois
maîtrisés les changements techniques et organisationnels engagés. Cette surqualification
30
est source de dysfonctionnements bien connus : turn-over, démotivation, revendications
salariales alors que la main d’œuvre en place qui a acquis une qualification en interne
apparaît souvent captive de l’entreprise… Le plus souvent, les entreprises se bornent à
opérer une substitution “en douceur”à l’occasion des départs en retraite et des
démissions…La transformation qualifiante ne concerne en effet, dans bien des cas,
qu’une partie de la main d’œuvre non qualifiée, ce qui donne aux entreprises la
possibilité d’organiser une sélection interne aux « bas niveaux de qualification ». Cette
préférence pour une politique de transformation qualifiante s’explique aussi par
« l’importance affirmée du consensus social, de l’identité de l’entreprise construite
autour d’une même culture…Une politique de substitution , outre le risque du conflit
social et de dégradation de l’image de l’entreprise qu’elle fait courir, peut amener un
clivage jeunes/vieux au sein même d’un atelier ou entre différents ateliers, générateur de
tensions et préjudiciable à l’adhésion au projet d’entreprise. »28
Mais seules les entreprises qui connaissent une croissance ou une stabilité de leurs
effectifs peuvent pratiquer une transformation qualifiante. La formation des salariés tenant
ou ayant tenu un emploi classé au bas de l'échelle des emplois intervient le plus souvent à
titre curatif, voire "thérapeutique", bien plus qu'à titre préventif. Dans la majorité des cas,
les salariés accèdent à la formation suite à la perte de leur emploi. On sait en effet que les
salariés non ou peu qualifiés ont beaucoup moins de chances, d'après les statistiques, de
bénéficier d'une formation dans l'emploi que les salariés qualifiés.
Les entreprises qui sont contraintes de licencier rejettent en priorité sur le marché
de l’emploi la main d’œuvre la moins qualifiée. Celle-ci se trouve alors placée en
situation de compétition pour les emplois face à une main-d’œuvre mieux formée. Dans la
mesure où elles en ont le choix, les entreprises qui recrutent préfèrent des candidats plus
diplômés, réputés plus compétents et plus adaptables.
Ces observations ont un double intérêt. Elles montrent le caractère déterminant de
ce que F.Stankiewicz appelle « la contrainte globale de l’emploi » dans les processus
d’exclusion. Sans qu’il soit nécessaire d’invoquer des pratiques de gestion de maind’œuvre particulièrement préjudiciables aux BNQ, le simple jeu des restructurations et
des licenciements dans un contexte de diminution des besoins en main d’œuvre, suffit à
28
F.STANKIEWICZ, R.FOUDI, M.H TRELCAT, Les « bas niveaux de qualification », l’entreprise et le
marché du travail : l’impact de la formation, (LAST)
31
expliquer le rejet progressif des personnes les moins qualifiées sur les franges du marché
de travail. Elles montrent qu’il n’est pas non plus nécessaire de faire appel à
l’inadaptation de cette main d’œuvre aux exigences découlant des mutations
technologiques pour comprendre leur maintien dans une situation de chômage prolongé ;
c’est parce qu’elles se sont trouvées dans une entreprise ou dans un secteur soumis à des
mouvements importants de restructuration qu’elles n’ont pu bénéficier d’une adaptation
de leurs compétences et que leur infériorité dans la concurrence pour les emplois s’est
trouvée, en quelque sorte, « révélée » à l’occasion de leur licenciement.
Les politiques publiques visant à freiner les processus d’exclusion ne peuvent
avoir d’effets importants que si elles agissent de manière structurelle sur les conditions de
mobilisation et de qualification de la main-d’œuvre. Par exemple en intervenant
résolument en amont des processus de restructuration et en favorisant des processus de
gestion anticipée des compétences, sans attendre la mise en chômage. Mais aussi en
encourageant la mise en place de formations qui ne visent pas seulement l'adaptation
immédiate aux changements techniques mais aussi l'acquisition de compétences
transférables dans d'autres entreprises, au cas où les salariés auraient à subir l'épreuve de
la mobilité externe. Dans cette perspective, la formation des adultes peu qualifiés ne
devrait plus être conçue selon une logique "d'écarts à combler" ou de "déficits à rattraper"
mais plutôt selon une logique de développement d'aptitudes et de capacités d'adaptation à
des situations professionnelles variées.
« Il faut imposer la formation tout au long de la vie, inciter les entreprises à une
meilleure gestion prévisionnelle des effectifs. On entend encore trop souvent de discours
du type : les plus de 50 ans sont trop chers et ne peuvent plus s’adapter »
Tant que la pression sociale et politique continuera à exiger de l’appareil de
formation qu’il trouve massivement des solutions de type curatif à des problèmes qui
n’ont que très partiellement pour origine des difficultés d’apprentissage des adultes peu
qualifiés, il n’y aura pas lieu de s’étonner du faible « rendement » des actions engagées.
CONCLUSION
La notion de “ bas niveaux de qualification” s’est donc développée dans le cadre
d’organisations centrées sur les postes de travail à contenus appauvris. Elle s’applique à
un état de fait constitué d’après une représentation des besoins qui prévalait à une période
de l’histoire de notre société, et dans le système de valeurs qu’ont bâti là-dessus des gens
32
de notre époque, les uns en organisant le monde, les autres pour s’y conformer, tous de la
façon qui leur paraissait la plus intéressante pour eux.29
Il est évident que les gens présentent des capacités actuelles et potentielles
différentes les unes des autres, pour des raisons où le culturel et la génétique ont leur part.
Mais l’amenuisement culturel et cognitif qu’on observe chez les salariés confinés de
longues tâches dans des tâches de bas niveau de qualification est d’une autre nature : il est
le résultat d’une situation professionnelle dont les personnes n’ont pas pu ou n’ont pas su
se dégager à temps, et qu’aucune pratique philosophique ou culturelle n’est venue
compenser.
Par ailleurs, les travailleurs ne sont complètement identifiés ni par le poste qu’ils
occupaient, ni par le savoir précis qu’ils possèdent, ni par le temps ou le mode
d’apprentissage qu’ils ont reçu, mais sont désignés par le mouvement d’ensemble du
système industriel. On devient bas niveau de qualification lorsque le nombre d’emplois
diminue, et en premier lieu ceux auxquels on peut le plus rapidement prétendre ; on le
devient lorsque la qualification générale des travailleurs disponibles sur le marché
s’accroît ; on peut le devenir lorsqu’on est trop vieux, ou femme, ou immigré, et ceci avec
les mêmes compétences et les mêmes savoirs qui permettraient, dans d’autres
circonstances, de réussir une reconversion ou une requalification.
L'émergence de l'expression "bas niveaux de qualification" inégalement répandue
selon les types d'acteurs, les institutions et les contextes d'action traduit un ensemble de
difficultés rencontrées par les praticiens de l'emploi, du placement, de l'orientation, de la
formation et de la reconversion.
29
J.D OESTER, (1992), « "Bas niveaux de qualification ”: il s'agit des ouvriers ou d'un mode
d'organisation», Education permanente, n°111, juillet, pp.117
33
CHAPITRE III LES PROBLEMES RENCONTRES PAR LES AGENTS DE
PRODUCTION DE MOULINEX
Nous avons vu précédemment que la catégorie “ bas niveaux de qualification”
échappe à toute définition scientifique et qu’il est alors vain de vouloir en déterminer les
contours. La catégorie indéfinissable des bas niveaux de qualification ne peut se
comprendre que si on l’analyse comme une catégorie opératoire dans les pratiques et en
approfondissant ce qui, dans ces pratiques, “fait problème”.
Nous allons donc nous interroger sur la nature des difficultés rencontrées,
identifier les éléments qui posent problème dans
le reclassement des agents de
productions de Moulinex.
SECTION I: LE PROFIL DES PERSONNES RESTANT A RECLASSER
EN MASSE
Restent à reclasser, majoritairement des femmes, agents de production, âgés en
moyenne entre 45 et 50 ans.
§ 1 Une population aux compétences, pour une large part, « invisibles », bien
qu’existantes
« J'ai suivi mon cousin à l'école Moulinex, à coté de l'usine. Destinée aux garçons
essentiellement, elle formait des techniciens. A l'époque, Moulinex n'en trouvait pas dans
la région. J'y suis entré à 14 ans et demi, après la cinquième. C'était en 1969. A l'école, la
partie pratique était assurée par des ouvriers. En sortant de là, avec le CAP en poche, on
était sûr d'être embauché dans une usine Moulinex (…) Je suis entré à l'outillage, là ou
on fabrique les moules qui servent à fondre les pièces des fers à repasser ou des
cafetières. Et j'y suis resté. »
A / Des compétences non reconnues
La majorité des ouvriers ont une formation initiale de niveau VI, ce qui correspond
au Certificat d'Etudes, certains ont le BEPC. Parmi eux, certains ont perdu l’usage courant
de la lecture, de l’écriture et du calcul.
Comme nous pouvons le constater, avant le plan Blayau, la formation continue
s'inscrivait dans une démarche personnelle et volontaire. Le plan Blayau a permis d'initier
34
une partie du personnel à l'amélioration continue. Même si, à la fermeture des sites, le
management de proximité n'en était qu'à ses débuts et la polyvalence se cantonnait à la
maintenance de premier niveau, les anciens salariés de Moulinex n’en ont pas moins
acquis des compétences transférables.
La grande majorité des salariés n'a connu que le groupe Moulinex, l'ancienneté
moyenne étant de l'ordre de 25 à 30 années. Ces anciens salariés ont connu, au cours de
leur longue carrière chez Moulinex, des postes très divers sur des sites-intégrés, et donc
offrant une grande diversité de postes. Ils ont parfois même été mobiles sur d’autres sites,
dont ou vers lesquels ils ont été mutés, ou parfois temporairement déplacés.
Les usines Moulinex étaient des usines intégrées qui ont longtemps fonctionné sur
un mode quasiment "autarcique", comme de nombreuses usines fonctionnant à l'époque
sur un mode "fordien". Les sites fabriquaient eux même leur énergie, leurs machinesoutils, les moteurs des articles électro-ménagers. Ils rassemblaient donc de très nombreux
métiers et process industriels. Ils possédaient des bureaux de Méthodes et d'Etudes.
L'externalisation progressive des produits, de métiers et de process, de sous-ensembles
(moteurs) par sous-traitance, redistribution entre les sites Moulinex ou délocalisation a
réduit le spectre des compétences valorisées (les ex Moulinex disposaient de compétences
qui n’étaient plus valorisées à la fermeture du site).
Une part importante des compétences acquises au fil de trajectoires diversifiées et
des changements organisationnels n'a pas fait l'objet d'une reconnaissance, ni à travers des
diplômes, ni à travers des certifications (ainsi de la polyvalence et des débuts de polycompétence acquis à travers la démarche SPM, Système de Production Moulinex).
L'apprentissage sur le tas et en alternance n'a donc pas toujours donné lieu à des diplômes
reconnus à l'extérieur. De plus, parmi les personnes ayant suivi ces formations, certaines
n'ont pas obtenu de diplôme, même si l'on peut penser qu'elles avaient le niveau requis.
La représentation d’une population relativement âgée et formée essentiellement
sur le tas ne doit pas être réduite à celle d’ “une population sans qualification”. Les
changements d’affectation, d’équipes, de postes de travail, de produits et de modèles, de
rythmes de travail et de formes d’organisation témoignent d’une capacité d’adaptation. De
même, au cours de leur parcours au sein du groupe, les salariés ont acquis une relative
polyvalence et des capacités de travail collectif.
35
B / Une difficulté à valoriser ses compétences
Non seulement, les compétences de ces agents de production sont plus diversifiées
que ce que traduisent les qualifications, mais, en plus ces derniers éprouvent des
difficultés à les valoriser. La majorité des adhérents des cellules parviennent difficilement
à expliquer ce qu'ils faisaient quand ils travaillaient chez Moulinex. Pour eux, "expliquer",
c'est faire voir, montrer, et non dire des choses formalisées et d écrire des procédures
détachées de l’effectivité du métier.
Les anciens agents de production ne sont pas dénués de connaissances théoriques
mais la manière dont elles ont été acquises, c'est à dire en dehors de toute explicitation
verbale et de tout retour théorique sur la pratique, n'emprunte pas nécessairement le
détour d'un langage technique. Ils éprouvent donc des difficultés à effectuer le travail de
symbolisation ou de formalisation à partir des éléments acquis par la pratique.
Il semble donc nécessaire d'aider les adhérents des cellules à expliciter les savoirs
qui étaient mobilisés dans leur activité antérieure et ainsi de leur permettre de passer d'un
"savoir faire" à un "savoir dire".
§ 2 Une expérience professionnelle circonscrite à l’entreprise Moulinex
La plupart du personnel n'a connu que le groupe de Moulinex au cours de sa
carrière professionnelle, l’ancienneté moyenne étant de l’ordre de 25 à 30 ans. Sa culture
est donc mono-entreprise et de surcroît celle d’un grand groupe.
Par conséquent, ils ont une mauvaise connaissance du marché du travail et de ses
contraintes, ainsi qu’une réelle appréhension à le découvrir.
De plus, on peut constater de leur part, une réelle difficulté à appréhender
l’intégration de structures de taille réduite, nécessitant plus de polyvalence et surtout une
implication différente dans les relations internes. De plus, ils ont tendance à rejeter ce type
de structures (PME-PMI), qui induit une perte en terme d’avantages sociaux.
Enfin, ils n'ont pas été préparés à la confrontation aux changement du monde du
travail: la précarisation des emplois, les temps partiels, et l'éclatement des lieux de travail,
la baisse des rémunérations des postes de travail les moins qualifiés (engendrée par la
mondialisation et l’emploi précaire). On remarque donc une résistance à appréhender des
contrats de travail notablement différents, notamment en termes de conditions de travail
(refus de travailler le week end), de rémunération et de classification.
36
"J'ai travaillé chez un sous-traitant. Il a fallu se battre pour obtenir une pause
déjeuner de 30 minutes! Et en plus, on nous mettait une pression infernale. Je suis
travailleur, mais je ne veux pas être un esclave." Jean, 45 ans, ancien salarié de
Moulinex30
Les anciens salariés de Moulinex s’avèrent également peu mobiles, en particulier
les personnes de premier niveau de qualification. Leur recherche se limite, selon les cas,
au canton ou au département. Certaines personnes évoquent le fait qu'elles "n'aiment pas
conduire", d'autres appréhendent de parcourir les routes sinueuses en hiver…
§ 3 Une population affaiblie par la fermeture des sites
A / Une population sous "état de choc"
Les salariés de Moulinex ont, dans l'ensemble été choqués par la brutale fermeture
de leur usine. La fermeture des sites Moulinex a provoqué un sentiment de révolte.
"Le 11 septembre, le "jour des tours", il était 11h30 quand on nous a dit que
Moulinex, c'était fini. A 12h, on devait quitter l'usine. On nous a renvoyé comme des malpropres, après 30 ans de boîte". Nicole, ancienne salarié de Moulinex.
Les ex-Moulinex se voient privés de leur dignité de travailleur, de l’estime de soi,
du sentiment d’être utiles et leur place dans la société. La fermeture de l’usine représente
pour eux, une rupture et un traumatisme que l’on a effacé derrière les impératifs
économiques et financiers, les diktats de la modernisation, les nouvelles règles du jeu de
la mondialisation.
B / La difficulté à faire le deuil
« Comment voulez-vous faire le deuil du travail de toute une vie ? »Jean-Luc,
régulateur de machine pendant 17 ans.
"Tirer un trait sur vingt ans de boulot ne se fait pas du jour au lendemain. La
plupart des gens que je vois n'imaginent même pas qu'ils puissent faire autre chose. Leurs
repères se sont subitement effondrés(…)". Daniel Tihay, responsable formation.
Pour accéder à un transfert de compétences, la personne concernée doit faire le
deuil de son identité professionnelle. Ce n’est pas facile pour un ouvrier chômeur qui
s’accroche à ce qui lui reste de son image professionnelle, sa compétence. Le travail de
deuil de son image professionnelle peut durer longtemps, plus d’un an, deux ans, trois
30
"Le reclassement des Moulinex au ralenti", Ouest France, 6 septembre 2002, p 5.
37
ans. Cette durée exige un accompagnement fidèle, d’autant plus que le changement
d’image va souvent vers une disqualification sociale31.
C / Un manque de d’assurance, de confiance en soi
On peut déceler chez les anciens salariés de Moulinex une absence d’autonomie
liée à un travail fortement prescrit, assorti de nombreux interdits. Ces difficultés
participent également d’un apprentissage sur le tas, au coup par coup, dans et par le
travail, que la grande majorité des Moulinex a connu dès l’adolescence où ils sont entrés à
l’usine, au sortir de la scolarité obligatoire, et dont ils ont évidemment un grand mal à se
défaire. Cette longue expérience dans un même endroit, imprime chez beaucoup une
image négative d’eux même, en tant qu’ouvrier d’usine, et parce qu’ils ont quitté l’école
très jeune, renforce, chez eux, une absence de confiance.
D / Un niveau élevé de crainte et d’appréhension quant à l’avenir
Moulinex était pour ses anciens salariés bien plus qu’un simple lieu de travail,
c'était également pour eux un lieu de sociabilité. Toute l'organisation de leur vie gravitait
autour de cette entreprise. De plus, le personnel Moulinex a connu un environnement de
travail particulièrement sécurisant avec des mesures sociales internes importantes qui
venaient renforcer le salaire direct, un encadrement fort et le soutien régulier des
représentants du personnel et des organisations syndicales, qui étaient particulièrement
présents dans la vie de l’usine.
Lorsqu’un individu perd son emploi, il ne perd pas seulement le moyen de gagner
sa vie et celle de sa famille, il est également privé de la fréquentation d’un lieu où il avait
ses habitudes, de l’essentiel de ses occupations et, à terme de la compagnie de ses
camarades. La première réaction résultant du choc est faite d’un mélange de refus et
d’incompréhension.
Les anciens salariés de Moulinex ont perdu leurs projets, leurs repères et
l’assurance d’une vie maîtrisée. Le plan social ayant déstructuré la « communauté
Moulinex », chacun se trouve soudainement extrait de ce monde et placé seul face à un
avenir à reconstruire.
Confrontés aujourd’hui à un avenir incertain, et conscients des épreuves qu’ils
vont devoir traverser, ils manifestent un degré élevé de crainte, qui peut devenir dans
31
A. DU CREST, (2000), Les difficultés de recrutement en période de chômage, l'Harmattan, p38
38
certains cas paralysant. Cette appréhension aigue de l’avenir est particulièrement marqué
chez le personnel féminin, conscient de l’handicap que représente sont faible niveau de
qualification sur le marché de l’emploi et qui est parfois dans une situation personnelle
problématique (une femme seule avec un enfant à charge, par exemple). Certains, effrayés
par la précarité, préfèrent opter pour la stabilité de chômage dans la mesure où il garantit
une relative stabilité. Ils ne font pas de différence entre des prestations sociales et le
revenu (faible) d'un emploi alimentaire.
" Qu'est ce qu'on va devenir? Pas question de retourner à l'école à 15 ans de la
retraite. Mon seul diplôme en poche, c'est le CAP de monteuse câbleuse, non reconnu par
les autres entreprises. J'aurais aimé faire du commerce, mais même les jeunes ne trouvent
pas d'emplois! je vais retourner à l'usine, sauf si je dois prendre la place d'une
intérimaire. Un emploi pour moi, c'est un de moins pour mes gamins (…)".
E / Une résistance au changement32
Pour certains, leur histoire d'acteurs faite de situations d'échecs successifs
(familiaux, scolaires et professionnels), ne leur permet plus de se projeter dans le moyen
ou le long terme. Tout projet, qui s'est antérieurement traduit par un résultat d'échec,
probabilise dans leur représentation la reproduction de l'échec.
Leurs relations aux normes différentes de celles des acteurs insérés parce que les
moyens de transmission de ces normes (familles, écoles, association, entreprise)
s'affaiblissent ou disparaissent à mesure que le chômage se pérennise.
L'intuition morale de justice et d'égalité est frustrée par une expérience
situationnelle qui place le chômeur en victime. Ainsi, les chômeurs savent que leurs
chances d'insertion sont réduites dans un marché de l'emploi saturé où ils se trouvent en
concurrence avec des chômeurs plus formés et compétents.
Les efforts de rattrapage qui leur sont demandés sont en disproportion avec des
résultats escomptés qui se limitent à l'occupation de postes sans prestige, mal payés et
fortement méprisés par le corps social. La fragilité sociale et affective de certains
chômeurs les conduit à se montrer plus exigeants devant les conditions de certains
emplois.
32
J. GAUTRAT, « Déficit de compétences ou déficit de socialisation des chômeurs ¨ Bas niveau de
qualification ¨ », P 76
39
SECTION II : LA CONFIGURATION DU MARCHE DE L’EMPLOI
Non seulement le bassin de l’emploi connaît actuellement des difficultés, mais
surtout, les profils des anciens salariés de Moulinex restant à reclasser ne cadrent pas avec
les offres d’emplois proposés.
§ 1 Le ralentissement de la conjoncture économique
Après quatre années consécutives d'amélioration, la situation économique et de
l'emploi de Basse-Normandie a subi en 2001 un ralentissement sensible.
A cet égard, les tendances enregistrées en Basse-Normandie sont en tous point
identiques à celles observées dans les autres économies régionales. Ce ralentissement de
la conjoncture est la conséquence de la baisse significative du taux de croissance qui est
passé, au plan national, de 3.1% au premier trimestre 2001 à 0.9% au quatrième semestre
2001. La première conséquence tangible de cette inflexion a été, dès juin 2001, une
reprise de la progression du chômage, qui avait pourtant connu une baisse continue depuis
quatre ans.
Au plan départemental, le Calvados demeure le département le plus affecté par la
demande d'emploi (9.2% de taux de chômage), tandis que la Manche (8.2%) et l'Orne
(8.1%) demeurent en retrait. Le taux de chômage des différents bassins d'emploi a connu
une hausse parfois considérable comme à Vire et à Flers-Argentan (supérieure à 14%),
plus généralement située entre 3% et 7%. Trois bassins conservent un taux de chômage
supérieur à 9%: Caen 9.3%, Lisieux 9.4% et surtout Cherbourg, 10.4 %.
Alors qu'en 2000, les effectifs dans les établissements de plus de 50 salariés
avaient connu une exceptionnelle croissance (la création de 4000 emplois, dont plus de
1900 dans le secteur industriel), en 2001, le solde est négatif (-367) et ce uniquement en
raison de la baisse de l'emploi dans l'industrie (1 800 emplois).
Toutefois, l'ASSEDIC, dans ses estimations de l'emploi salarié pour l'année 2001,
met en évidence une évolution encore positive avec une croissance de 0.9% représentant
plus de 3000 emplois supplémentaires crées, soit 5000 dans le tertiaire, 1000 dans la
construction et une perte de 3000 emplois dans l'industrie.
Parmi les paramètres traduisant la baisse d'activité enregistrée en 2001, il faut
signaler le recours au chômage partiel qui, après avoir atteint un quasi-plancher en 2000, a
connu une multiplication par trois en 2001, en passant de 68 700 à 208 000 journées.
40
L'année 2001 a été caractérisée par une succession de sinistres économiques. La
fermeture des quatre établissements de Moulinex a engendré plus de 3 100 licenciements
au plan régional (dont plus de 1600 femmes) et a mis en difficulté ses fournisseurs et ses
sous-traitants (une centaine d'entreprises et près de 1000 emplois induits sont menacés).
En 1997, Pierre Blayau (l'ex-PDG) avait externalisé plusieurs des activités de la soustraitance. Quatre ans plus tard, les sociétés issues de l'essaimage sont les premières
menacées. Cinq entreprises ont déposé le bilan, dont la fonderie Vaujois à Mondeville
(106 salariés) et Yves-Bernard au Molay Littry (13 emplois); et "cinq à six sociétés,
fragilisées par les créances importantes, pourraient connaître le même sort"33 estime la
Direction Régionale de l'Industrie. Plus de 15 millions d'euros sont recensés à ce jour.
Pour l'instant, les sous traitants résistent et multiplient les mesures de sauvegarde comme
le chômage partiel, grâce à un dispositif spécifique mis en place par l’Etat, sous le
contrôle actif du Trésorier Payeur Général. Mais elles devront très vite trouver de
nouveaux marchés.
A la disparition de ce groupe symbolique et emblématique de l'industrie régionale,
s'est ajoutée une succession de restructurations, voire de fermeture d'établissements
industriels dont la concomitance a plongé l'économie bas-normande dans un climat de
profonde morosité. Il en a été ainsi des problèmes rencontrés par les unités CIT- Alcatel,
par Philips-Composant, soit la suppression de 350 emplois, Syléa à Vire(280 emplois
supprimés suite à la fermeture du site), Isoroy à Saint-Pierre-surDives (150 emplois en
cause), disparition de Lysnor à la Ferrière-aux Etangs (110 emplois supprimés), la
fermeture de la SOCCOMA à Cherbourg (engendrant 80 emplois en moins) et plus
généralement les difficultés rencontrées par Vaujois à Caen, Eurocel à Dives-sur-Mer, CS
Electronics à Honfleur (75 licenciements), Socoval à Cherbourg, Odon Delcroix à Flers,
Socopa à Coutances, Mic et Cogésal-Motta à Argentan…Globalement, l'ensemble de ces
évènements, y compris Moulinex, correspond à la probable disparition de plus de 4 500
emplois industriels directs à court et moyen termes.
§ 2 L'inégalité homme-femme face au chômage
En terme de structure du chômage, l'année 2001 a été caractérisée par
l'augmentation de la demande d'emploi chez les hommes et les jeunes: +8.7% pour les
hommes et 9.2% pour les jeunes tandis que le chômage féminin n'augmentait que de
0.9%. Ainsi, à la fin 2001, les femmes représentaient 50.2% de l'ensemble des
33
Cg P.DURON, (2001), "Construire l'après Moulinex", Questions d'actualité, n°5.
41
demandeurs d'emplois contre 52.4 % à la fin 2000. Cette évolution particulièrement nette
confirme bien le caractère structurel du chômage féminin et conjoncturel du chômage
masculin.
Le chômage touche davantage de femmes que d’hommes ; ce chômage s’est
développé de façon concomitante de l’expansion de l’emploi féminin ces vingt dernières
années. En effet, de 1986 à 1996, le taux d’activité des femmes âgées de plus de quinze
ans n’a cessé de croître. Il est passé de 45.9% à 48.5%, atteignant même 80% pour les
femmes de 25 à 39 ans. Il a été accompagné d’une progression concomitante de leur taux
de chômage (15.6% en 1996 contre 11.5%pour les hommes34).
Cet emploi féminin a épousé de nouvelles formes de travail rangées sous le
vocable de professions féminines, rangées aussi sous le signe des emplois précaires ; il est
de ce fait caractérisé par sa faible diversification, par sa forte concentration sur les mêmes
activités. Actuellement sur 455 professions répertoriées, dix huit d’entre elles sont
féminisées à 75 % et plus35. En 1996, six groupes professionnels, non cadres,
rassemblaient plus de 60% des femmes en emploi (instituteur, profession intermédiaire de
la santé et du travail social, employé de la Fonction publique, employé administratif
d’entreprise, employé de commerce, personnel de services directs aux particuliers).
De même, les possibilités de stabilisation de l’activité professionnelle par un
contrat à durée indéterminée dépendent fortement du niveau de diplôme atteint. Si les
différences entre femmes et hommes sont ténues au plus hauts niveaux de diplômes, elles
sont beaucoup plus nettes en dessous du baccalauréat. L’activité à temps partiel concerne
principalement les femmes de niveau d’étude secondaire. En 1996, Le nombre d’emplois
à temps partiel correspondait à 28,9% pour les femmes contre 4,6% pour les hommes.
34
T.COUPPIE, D.EPIPHANE, C.FOURNIER, (1997), Insertion professionnelle et début de carrière, les
inégalités entre hommes et femmes résistent-elles au diplôme ?, Céreq BREF, n°135
35
Déjà, au XVIIIème siècle Etienne BOILEAU, dans le Livre des métiers indiquait que sur 321 métiers
recencés, 108 seulement étaient accessibles aux femmes. Sur un historique de travail féminin (cf. L’emploi
au féminin, (1992), La documentation française)
Les professions les plus féminisées sont dans l’ordre, de 100% à 75% :
-assistante maternelle et travailleuse familiale-Institutrice
-employé de maison, femme de ménage
-Agent de bureau de la fonction publique
-secrétaire
Employé
administrative
d’entreprise
-aide familiale
-Employé
de
services
comptables
-sténo-dactylographe
-Agent
de
service
hospitalier
-aide soignante
-Vendeuse
en
alimentation
-infirmière
-Agent de service des établissements d’enseignement
-Commis administratif de la fonction publique
-Ouvrière
de
confection
42
CONCLUSION
Pendant des années, certains salariés de Moulinex ont tenu des emplois dont les
caractéristiques résident dans le fait qu’ils ont été conçus, découpés et en définitive
formés pour employer des personnes sans formation. Ces personnes se sont converties au
travail industriel par un simple apprentissage social. Ils se sont souvent reconvertis d'eux
même d'un travail industriel à un
autre travail industriel, sans qu'intervienne une
formation organisée. Dans un contexte de mutation du travail et de résorption des emplois
peu qualifiés, une formation de type scolaire s'avérait ne pas être nécessaire.
Aujourd'hui, la réduction des postes de travail peu qualifiés dans l'industrie et le
tertiaire ainsi que les licenciements de substitution, où des salariés d'age intermédiaire,
détenteurs d'une compétence jugée obsolète, sont remplacés par des jeunes de plus haut
niveau scolaire, compliquent la reconversion des anciens ouvriers de Moulinex.
De cette situation émerge une “catégorie” de licenciés dont la reconversion pose
des problèmes du fait de leur profil (qualifications morcelées), leur moyenne d’âge
(45/50ans), de leur mobilité réduite, mais aussi des difficultés du bassin d’emploi. Leur
profil est loin de cadrer idéalement avec les offres de l’ANPE36, ils s’adaptent
difficilement aux modalités de recherche d’emploi et aux exigences du marché du travail,
tant d’obstacles venant entraver un retour à l’emploi rapide.
Le reclassement des anciens salariés de Moulinex est d’autant plus problématique,
que ces derniers ont été marqués par la fermeture brutale de leur usine et ont parfois du
mal à rebondir. Ils ont besoin de temps pour comprendre qu’après des années de bons et
loyaux services, ils se retrouvent licenciés. Certains découragés par la perspective d’un
avenir en pointillé, ont tendance à considérer que l’horizon est définitivement barré pour
eux.
36
Agence Nationale pour l’Emploi
43
PARTIE II : COMMENT GERER LES FREINS AU
RECLASSEMENT DES ANCIENS SALARIES DE MOULINEX
44
CHAPITRE I : L’INTERVENTION DE L’ETAT POUR AIDER LA BASSE
NORMANDIE A REBONDIR
Nous allons voir, dans un premier temps, l'étendue du dispositif mis en place par
l’Etat pour faire face à cette catastrophe économique est sociale.
SECTION I : LE CONTENU DU PLAN SOCIAL
Le gouvernement a retenu comme premier objectif prioritaire de rechercher et de
mettre en œuvre une solution pour chaque salarié Moulinex placé hors de champ de la
reprise.
Ainsi, le plan social signé le 21 novembre 2001, par cinq des six organisations
syndicales concernées, fait-il appel à un effort exceptionnel de l’Etat, par défaut de
capacité de l’entreprise Moulinex sous l’administration judiciaire, les pouvoirs publics on
mis sur la table 230 millions d'euro ( un milliard et demi de francs), dont 128 millions
d'euros pour les seules mesures sociales.
§ 1 Les mesures d'aide aux salariés
Le plan social propose des mesures d’aides au retour à l’emploi, en complément
des mesures qui pourront être financées par l’entreprise. Des conventions de conversion37
et des congés de conversion38ont été proposés à chaque salarié. Ces dispositifs sont
accompagnés de formations permettant le reclassement.
Les mesures de soutien au retour à l’emploi s’ajoutent des mesures d’âges telles
que l’allocation pour chômeurs âgés (ACA), ou l’allocation spéciale du Fonds national
pour l’emploi (AS-FNE)39.
Le plan social a également prévu des aides à la mobilités, des Allocation
Temporaires Dégressives afin d’encourager l’embauche des salariés licenciés et
37
Le salarié doit être âgé de moins de 57ans et justifier d'au moins 2 ans d'ancienneté. Il perçoit une
allocation spécifique de conversion correspondant à 83.4% du salaire journalier de référence pendant les 61
premiers jours, puis 70.4% du salaire pendant les 4 mois suivants. Le salarié bénéficie d'un statut particulier
de travailleur privé d'emploi en conversion. A l'issue, d'une période de 6 mois, il bascule dans l'ARE.
38
Le salarié voit son contrat de travail suspendu et perçoit une allocation de conversion correspondant à
65%de son salaire brut moyen des 12 derniers mois(au minimum, 85% du SMIC); pendant une période de
10mois, si celle-ci a plus de 50 ans.A l'issue de ce congés, il bascule dans l'ARE. Cette période doit être
utilisée pour préparer une évolution ou une reconversion.
39
Cette mesure permet aux salariés âgés d'au moins 56 ans de bénéficier d'une allocation jusqu'à liquidation
de leur retraite.
45
compenser ou atténuer les écarts de salaire avec les emplois proposés ainsi que des aides à
la création d’entreprise.
A ces différentes mesures est venu se greffer, plus tardivement, le dispositif
amiante. La mesure amiante permet, pour les personnes de plus de 50 ans, volontaires, de
réduire leurs temps d’activité du tiers du temps d’exposition avec une prise en charge à
65% du salaire brut de la dernière année travaillée. Elle est versée jusqu’à ce que le
bénéficiaire puisse prétendre à une retraite complète.
Chaque salarié de Moulinex s’est vu proposer un statut, à l’exception des salariés
qui travaillent dans les cellules liquidatives (60 salariés) et les salariés protégés (salariés
en charge d’un mandat syndical) qui jusqu’à ces derniers temps n’étaient pas encore
licenciés (ils sont au nombre de 116 non licenciés sur 158 de l’effectif de départ).
§ 2 Les cellules de reclassement
Des cellules de reclassement ont été mises en place sur chaque site touché, à partir
du mois de janvier, pour une durée de douze mois. Un avenant à la convention de
financement des cellules pourra autoriser la prolongation, pendant 6 mois, du dispositif
d’aide à la recherche d’emploi pour les salariés de plus de 50 ans non reclassés à l’issue
de la première période mentionnée ci-dessus.
En coordination avec ces cellules, 17 agents de l’ANPE (équivalent temps pleins)
seront affectés à l’accompagnement des salariés vers l’emploi.
Ces cellules de reclassement ont été mises en place pour accompagner les
démarches individuelles.
SECTION II : LA CONVENTION DE REDYNAMISATION, UN
DISPOSITIF VISANT LA REINDUSTRIALISATION
Le gouvernement a retenu comme deuxième objectif prioritaire de recréer, dans
chaque bassin concerné, un nombre d'emploi équivalent au nombre d'emplois supprimés
par ces fermetures.
L'État, le Conseil Régional, les Conseils généraux et les collectivités locales
concernées ont décidé de conjuguer des moyens financiers exceptionnels pour favoriser
en plus du reclassement des salariés, la reconversion des sites et la revitalisation
économique du territoire.
46
C’est l’objet de la convention de redynamisation, signée le 1er février 2002 en
appui au plan social, qui, dans le cadre des orientations du Contrat de Plan Etat-Région,
dont il est prévu d’accélérer certaines mesures, ajoute un ensemble cohérent d’actions et
de financements nouveaux de 103 ME mobilisés sur trois ans par l’Etat (30.49 Meuros),
la région (30.49 Meuros), les collectivités locales (34.19ME), et le FEDER (7.78 ME).
§ 1 Les mesures de réindustrialisation
Le préfet de Basse Normandie a été mandaté pour négocier avec les collectivités
locales un programme de mesures destinées à soutenir l'emploi et le développement
économique dans chacun des territoires touchés par la restructuration de Moulinex.
Ces mesures comportent des actions de réindustrialisation favorisant l'implantation
d'entreprises nouvelles, des programmes de soutien à certains pôles d'activité existants et
filières et des actions spécifiques aux zones directement touchées par les restructurations
de Moulinex.
A / Aider et soutenir les entreprises sous-traitantes
La fermeture de Moulinex a mis en difficulté, environ 39 entreprises. Quatre
d’entre elles ont déposé le bilan, il était par conséquent urgent d’arrêter l’hémorragie en
leur venant rapidement en aide, notamment en mettant en place les mesures moratoires
nécessaires en matière de créances fiscales et sociales et en leur faisant bénéficier de prêts
spéciaux et des avances remboursables de la Région et des Départements. Enfin, pour
donner à certaines entreprises les moyens de prospérer sans Moulinex, une action
collective de diversifications commerciales les a été mise en place. Une dizaine d’entre
elles ont mises en relation avec des cabinets spécialisés pour rebâtir leur stratégie
commerciale.
B / Soutenir et favoriser les projets de création d’entreprises
Un certain nombre de salariés de Moulinex ou de sous-traitants souhaitent créer
leur entreprise. Pour les aider à mener à bien leur projet, ils bénéficient d’un premier
niveau de soutien dans le cadre de la convention de redynamisation, jusqu’à la création
effective de leur entreprise. Afin de leur donner toutes les chances de réussir, ils peuvent
également bénéficier d’un accompagnement renforcé dans le cadre des dispositifs
existants, notamment à travers les réseaux consulaires (Entreprendre en France), et les
différentes plates-formes d’initiative locale réparties sur tout le territoire régional.
47
C / Sauvegarder et réaffecter les sites Moulinex
La reprise partielle du groupe Moulinex a pour conséquence la libération de quatre
sites (Cormelles le Royal, Falaise, Bayeux, Alençon) et par conséquent agir en urgence
pour éviter que ceux-ci deviennent des friches industrielles, faciliter leur acquisition par
les collectivités locales, négocier avec les administrateurs judiciaires, leur libération pour
pouvoir procéder rapidement à leur réaffectation industrielle. Des études de
réaménagement globales sont actuellement en cours. Ainsi l'Etat et les collectivités
locales ont mis en place le financement des requalifications nécessaires à la remise des
sites sur le marché.
D / Permettre la création de nouvelles zones d’activité
La convention de conversion prévoit la création de nouvelles zones d’activité dans
les zones concernées par la fermeture totale ou partielle du groupe Moulinex.
E / Redéfinir de nouvelles modalités d’aides aux projets d’entreprises
Un système d’avances remboursables à taux nul va permettre d’aider
temporairement les sous-traitants Moulinex et soutenir de façon pérenne l’investissement
des entreprises régionales, quelles que soient leur taille et leur localisation, en création ou
en développement, dans les secteurs de l’industrie, des services à l’industrie ou à fort
potentiel de croissance. L’aide est plafonnée en fonction des investissements réalisés et
des concours bancaires obtenus.
Un nouveau régime d’aides aux PME destiné à prendre en compte des
investissements matériels (terrains, bâtiments, équipements, …) et immatériels (transferts
de technologie, brevets, licences…) ainsi que les loyers dus dans le cadre de l’éxécution
d’un crédit bail, a pour objectif de soutenir les projets de création, d’acquisition, de
reprise ou d’extension des PME sur tout le territoire régional.
F / Soutenir les pôles d’activités et les filières
La filière plasturgie Mouliste d’Alençon est confortée autour de l’ISPA et de
l’ISMO par le renforcement des compétences et des capacités d’expertise, le rayonnement
national et international du pôle et la création d’une pépinière d’entreprises de la
plasturgie et du secteur mouliste. L’objectif est de dynamiser la filière Plasturgie Mouliste
d’Alençon, de participer à l’amélioration de sa visibilité, et de contribuer à l’image d’une
région innovante à la pointe de ce qui se fait de mieux en plasturgie.
48
Le pôle agro-alimentaire de Saint-Lô et le site de Bayeux sont soutenus pour
l’accueil et le développement d’activités industrielles, ainsi que pour le renforcement de la
qualité et du niveau de l’offre de formation.
Le pôle de compétence caennais matériaux électroniques de Caen, compte environ
200 chercheurs qui travaillent dans la recherche de matériaux spécifiques pour
l’électronique, les capteurs, les catalyseurs capables d’éliminer les polluants, les matières
plastiques ou les composites pour automobile. Les entreprises bas-normandes sont
utilisatrices de ce type de matériaux et de procédés innovants, à condition de renforcer
l’analyse de leurs besoins en terme d’utilisation (traitement de surface, association de
matériaux,…) et de dynamiser et faciliter les collaborations entre chercheurs et industriels
autour de thèmes communs. Pour y parvenir, il convient de renforcer l’animation
technologique du Centre National de Recherche Technologique (CNRT) créé autour du
laboratoire mixte Philips/ISMRA. A cette fin, des professionnels de la diffusion
technologique devront prendre en charge les contacts entre les partenaires et le suivi des
prestations ou des recherches contractuelles, tout en incitant à l’émergence de travaux en
partenariat sur la base d’appels à projets de recherche en commun et d’acquisition
d’équipements appropriés.
G / Développer de nouvelles filières
Dans l’Orne, le désenclavement du bassin d’Alençon constitue une priorité. Des
études sont actuellement menées dans le but de raccorder l’agglomération aux réseaux de
télécommunication à haut débit, de mettre en œuvre des boucles locales pour les zones
d’activité et d’aménager une pépinière d’entreprises câblée. Des formations de téléacteur
et de conseiller WEB vont être organisées sur le site de Montfoulon-Alençon-Damigny.
Dans la Manche et le Calvados, les conseillers généraux vont dégager des fonds
importants pour le développement des boucles locales à haut débit sur les sites concernés
par la reprise partielle de Moulinex.
A Caen, un dossier a été déposé pour la création d’un Institut Supérieur de
l’Internet qui réponde à la charte nationale des écoles de l’internet. Ce projet apportera à
la Basse Normandie les moyens de devenir un pôle de notoriété internationale, capable de
fédérer les entreprises, les industriels, les universitaires et de créer les synergies
nécessaires à la création de nouvelles activités.
49
Enfin, la Basse-Normandie en se dotant il y a douze ans de la première caméra
positron et en procédant à la création d’un pôle d’excellence en imagerie physiologique et
métabolique, dispose au niveau national d’une avance importante. Il convient donc de la
conforter en pérennisant les atouts du pôle d’imagerie médicale. A cet effet, les
engagements inscrits au contrat de plan Etat/Région destinés à doter le pôle d’un
équipement d’imagerie par résonance magnétique à haut champ ont été accélérés.
H / Les actions structurantes
Au financement d'actions nouvelles viendront s'ajouter l'accélération d'actions
prévues par le contrat de plan dans le domaine de l'éducation, de la recherche et des
infrastructures de transport. En effet, il est prévu d'améliorer l'accessibilité de
l'agglomération caennaise, d'accélérer les constructions universitaires et de renforcer
l'action publique de la politique de la ville dans la restructuration urbaine du quartier de
Perseigne, limitrophe du site Moulinex d’Alençon. La convention prévoit également la
réalisation d'opérations relevant de crédits de droit commun (une agence d'urbanisme et
de développement de l'aire urbaine) ou l'adaptation aux sites Moulinex de certains
dispositifs fiscaux ou financiers (compensations FNCTP, ZRU40 Alençon).
§ 2 L'intervention de sociétés de reconversion
La reconversion des sites bénéficie d’un dispositif spécifique coordonné par la
mission régionale de revitalisation économique placée auprès du Préfet de Région, et
s’appuyant sur l’intervention des sociétés de reconversion choisies dans le cadre d’une
consultation nationale qui a associé l’Etat et le Conseil Régional :
•
SOFIREM Conseil pour les zones de conversion de Caen-Bayeux, Falaise et
Saint-Lô, avec mission de recréer 2 300 emplois.
•
GERIS Consultant pour les zones de conversion d’Alençon-Argentan et Flers,
avec mission de recréer 1 300 emplois.
Leur intervention revêt la forme de conseils et d’aides au montage de projets
d’entreprise en création ou en développement, créateurs d’emplois dans les bassins
touchés. Les projets agréés seront financés par des prêts bancaires qui bénéficieront d’une
garantie à hauteur de 70% accordée par SOFARIS à partir d’un fonds alimenté par l’Etat
et la Région.
40
Zone de Revitalisation Urbaine
50
Cette convention s'inscrit dans une logique d'aménagement du territoire dans la
mesure où ces dispositifs ont pour objectif de renforcer les atouts des trois départements(
Calvados, de l'Orne et de la Manche) de la région Basse Normandie, dont certains
estiment qu'"elle ne sait pas se vendre".
Venant s'ajouter aux 121.96 millions d'euros du plan social, la convention prévoit
une ventilation des aides publiques en fonction des zones géographiques, des filières
industrielles et de la formation professionnelle.
SECTION III : LA MOBILISATION DE MOYENS DE FORMATION
Le plan social prévoit la possibilité pour les anciens salariés de Moulinex de
recourir à une formation professionnelle, dès lors que celle ci facilite leur retour à l'emploi
durable.
Le Service Public de L'Emploi a donc mis à disposition des ex-Moulinex, le
"service d'appui à la construction d'un projet", mis en œuvre par les services d'orientation
professionnelle de l'AFPA, afin de les aider à élaborer et finaliser leur projet de formation.
Pour l'année 2002, l’Etat a commandé 800 prestations, sur l'ensemble de la région, à
l'AFPA et 500 bilans de compétence à l’ANPE, pour répondre aux besoins des anciens
salariés de Moulinex.
Ce service s'inscrit dans le cadre de la complémentarité de service entre les
cellules de reclassement, l'ANPE et l'AFPA. Lorsque les cellules de reclassement ou
l'ANPE décèlent un besoin de formation, elles passent le relai à l'AFPA; cette dernière
définit le parcours le mieux adapté aux objectifs de la personne et à son profil, et
l'accompagne dans la mise en œuvre du plan d'action défini jusqu'à l'inscription dans une
action de formation et la garanti de son financement.
SECTION V : LE SUIVI DES ACTIONS
Ces actions font l’objet d’une coordination étroite assurée par un dispositif de
pilotage et de suivi associant l’Etat et l’ensemble des partenaires, collectivités publiques
cocontractantes, élus, parlementaires, partenaires économiques et sociaux.
§ 1 Un contrôle de l'Etat
Toutes les six semaines, les services publics de l'Etat, les collectivités territoriales
et les représentants du personnel désignés par les organisations syndicales se réunissent
51
avec chaque cellule de reclassement pour faire un point d'étape de reclassement, sous la
co-présidence de la MIRE et de la Direction Départementale du Travail. L'objectif de ces
commissions de suivi est d'amener les différents acteurs à réfléchir ensemble et à
collaborer de façon constructive.
Lors de ces réunions, pilotées par le délégué à la revitalisation économique et
sociale, les différents partenaires tentent d'analyser ensemble les difficultés rencontrées
dans le reclassement et d'apporter des solutions concrètes.
Ces réunions sont le terrain de débats animés entre les syndicats, les cellules de
reclassement et les services publiques de l'Etat. Différents sujets y sont traités comme les
derniers résultats statistiques du reclassement, le déroulement des formations, le cas
particulier des travailleurs handicapés, salariés protégés et autres.
§ 2 Les comités d’agrément
Pour avancer vers l'objectif que l'État et l'ensemble des collectivités locales et
territoriales concernées se sont fixé, c'est à dire la création de 2300 emplois sur le bassin
d'emploi du Calvados et 1300 sur celui d'Alençon, pour compenser le nombre d'emplois
supprimés par Moulinex, un comité d'industrialisation se tient tous les mois, dans chaque
département, co-présidé par le Préfet de département et la MIRE.
Ces réunions rassemblent, tous les mois, les services publiques de l’Etat, Les
collectivités locales et territoriales, la MIRE et les sociétés de reconversion. Les comités
d'agrément sont saisis pour validation des projets de création ou de développement
d'entreprises dans les bassins d'emplois affectés par la fermeture de sites Moulinex, avant
qu'ils soient soumis aux institutions qui peuvent participer à leur financement.
Ces réunions sont le lieu de négociations de la part de la MIRE visant l'embauche
d'anciens salariés de Moulinex dans les nouvelles entreprises susceptibles de s'implanter
sur les anciens sites Moulinex. A cette occasion, l’équipe de la Mire a l’occasion de
mettre en avant les qualités distinctives d’expérience, d’adaptation, de polyvalence, de
travail collectif des salariés à reclasser.
CONCLUSION
Face à l’ampleur des conséquences sociales, économiques et territoriales de cette
restructuration, le gouvernement a choisi de jouer la solidarité nationale en mobilisant des
52
moyens exceptionnels en faveur du reclassement des salariés, de la reconversion des sites,
et de la revitalisation économique.
Le plan social touche l’aspect social dans sa globalité. A travers ses mesures, il
permet d’assurer aux anciens salariés de Moulinex soit une solution définitive (les
mesures d’âge), soit la mise en œuvre de conditions favorables pour un retour à l’emploi.
Le plan de réindustrialisation, quant à lui, vise la redynamisation d’un bassin
d’emploi sinistré par la fermeture des sites Moulinex. Il tente ainsi d’agir sur le contexte
du reclassement. Cependant, dans la mesure où les projets de réindustrialisation se
construisent sur le long terme, ils ne peuvent apporter de solution au reclassement, dans
l’immédiat. Les ex-Moulinex, qui ont besoin de retrouver un emploi rapidement, ne
peuvent donc pas, dès maintenant, bénéficier de la totalité des créations d’emplois qui
découlera de la réindustrialisation. De plus, les emplois créés par ces projets ne
correspondent pas toujours au profil des moulinex.
La mise en œuvre des moyens de ce dispositif est validée par le comité des
financeurs soit une animation et une coordination attentives. Les réunions visent ainsi à
créer une synergie entre les différents acteurs et à apporter une certaine souplesse dans
l’application du dispositif.
Cependant, ces dispositifs ne peuvent suffire à résoudre les problèmes de
motivation et les blocages des salariés venant fortement freiner les actions de
reclassement.
53
CHAPITRE II: LA DYNAMIQUE DES CELLULES FACE AUX
PROBLEMES RENCONTRES PAR LES ANCIENS SALARIES DE
MOULINEX
Outre des mesures visant à agir sur un contexte économique hostile et à garantir
les conditions financières nécessaires pour rebondir, le reclassement des anciens salariés
de Moulinex nécessite un accompagnement. C’est pour cette raison que des cellules de
reclassement ont été mises en place dans chaque site.
A travers l’exemple de la cellule emploi C, nous allons voir quels types d’actions
ont été mises en place pour permettre à ces de surmonter les obstacles au reclassement
recensés.
SECTION I : LA CELLULE EMPLOI, UNE COMPOSITION AXEE SUR
LA COMPLEMENTARITE
Conscient de l’histoire et de la forte culture d’entreprise des salariés concernés par
la fermeture du site ainsi que des pressions diverses qui risquaient de s’exercer sur la
mission, le cabinet a choisi d’intégrer à son équipe des salariés volontaires issus du
groupe Moulinex. En effet, le secrétariat de la cellule est constitué d’anciens salariés du
site Moulinex. Quant à l’équipe des conseillers-emploi, elle est constituée, pour partie,
d’anciens salariés du groupe.
Le cabinet s’est engagé à former ces personnes, motivées par le projet, à ses
techniques et à les orienter tout au long du projet, tout en leur assurant un suivi du
transfert de compétences. Il est prévu que ces salariés s’orientent vers un reclassement au
fur et à mesure de la diminution des effectifs à reclasser ou qu’ils restent jusqu’à la fin de
la mission et rejoignent ensuite des structures spécialisées dans ce type d’activité.
Un tel système a l’avantage d’avoir en son sein des consultants capables de parler
le langage de l’entreprise, de comprendre précisément les compétences des anciens
salariés de Moulinex et de mieux percevoir les compétences de ces derniers. De plus, pour
les anciens Moulinex, il s’avère plus rassurant de parler à des gens qui ont un vécu proche
(la même culture d’entreprise et le même traumatisme suite à la fermeture de l’usine).
Au démarrage de la cellule, l’équipe était constituée de vingt consultants, dont
trois pilotes de reclassement. Ces salariés ont été sélectionnés sur la base des
54
compétences, de leurs motivation, et de leur mobilité intellectuelle pour entreprendre un
projet utile et impliquant. Leur formation se passe pour partie hors antenne-emploi et pour
partie sur l’antenne.
Dans cette équipe se mêlent anciens salariés de Moulinex qui travaillaient sur le
site, consultants recrutés localement et intervenants issus du cabinet ayant remporté
l’appel d’offre. Une telle composition permet des apports en terme de méthodes,
connaissance des compétences et du vécu des anciens salariés Moulinex, ainsi qu’une
meilleure appréhension du bassin d’emploi.
SECTION II : LE DISCOURS DE LA CELLULE
§ 1 Le positionnement de la cellule
Dans sa mission, la cellule s’appuie sur deux principes généraux:
•
Agir au plus près du terrain
•
Individualiser les solutions
Le reclassement est basé sur la recherche d’une solution individuelle pour chaque
ancien salarié de Moulinex. Mais l’emploi salarié n’est pas la seule voie pour réussir ce
reclassement, la recherche et la détection de toutes les initiatives, compétences ou projets
doivent être menées par chaque consultant.
La cellule de reclassement insiste sur la nécessité de prendre en compte, dans le
travail sur l’individu, à la fois le contexte du reclassement (ce qui est extérieur à
l’entreprise) et le passé de l’entreprise.
§ 2 Le discours tenu par la cellule à ses adhérents
Lors des réunions de présentation de la cellule emploi aux adhérents, les
conseillers emploi ont insisté sur le fait que « nul n’est seul face à son problème
d’emploi ». Ils ont présenté la cellule comme étant un lieu ressource où les moyens de
réussir sont rassemblés(secrétariat, journaux, annuaires, affichage des offres d’emplois) et
où des conseillers professionnels sont présents pour les aider, guider, le soutenir et leur
permettre de progresser.
Par ailleurs, les conseillers emploi encouragent régulièrement les salariés à
capitaliser des expériences professionnelles. Missions en intérim, contrats à durée
55
déterminé, évaluation en Milieu de Travail (EMT)41 permettent de maintenir un lieu avec
le monde du travail. Il est important de garder un rythme, de multiplier les expériences et
de se faire connaître des employeurs, tel est le discours tenu par la cellule emploi.
Cette expérience est l'occasion de découvrir un nouveau métier, un nouveau cadre
d'entreprise. Les anciens salariés Moulinex ont parfois du mal à formuler un projet
professionnel Un Essai en Milieu de Travail est le moyen de valider un projet
professionnel.
Ce type d’expérience permet d'inscrire une nouvelle expérience sur un curriculum
vitae se résumant souvent au parcours effectué chez Moulinex, et ainsi, de montrer aux
potentiels employeurs qu'on est motivé et déterminé à retrouver un emploi. De plus, les
ex-Moulinex doivent garder à l’esprit que ces courtes périodes d’emploi sont l’occasion
de faire ses preuves et peuvent déboucher sur un contrat de longue durée. Dans un climat
de frilosité vis à vis des Moulinex, il semble important de mettre en avant sa volonté de
travailler et de "tourner la page Moulinex".
Multiplier les expériences professionnelles est également un moyen reprendre
confiance en soi et de surmonter ses appréhensions. En effet, se confronter à un nouveau
terrain est l’occasion pour les adhérents de la cellule de se rendre compte de ce qu’ils sont
capables de faire et que des compétences acquises chez Moulinex peuvent être utilisées
auprès de nouveaux employeurs.
SECTION III : LES ACTION DE LA CELLULE
§ 1 Le suivi individuel
Chaque salarié est pris en charge par un conseiller emploi, qui est son interlocuteur
privilégié pendant la durée du programme. Ce dernier a pour mission d’accueillir et de
conseiller chacun de ses interlocuteurs.
Ces entretiens permettent de faire le point sur l’état d’avancement des démarches
entreprises par la personne, d’analyser les difficultés rencontrées, de fixer des objectifs
d’action et d’aider ainsi chacun à progresser jusqu’à la concrétisation.
Le choix d’une formation ou d’un nouveau métier intervient après avoir travaillé,
parfois, pendant des années sur le même poste et à la suite d’un échec professionnel. Dans
41
Les EMT permettent aux adhérents des cellules d'être accueillis dans une société pendant dix jours au
maximum.
56
ces conditions, les adhérents de la cellule ont des difficultés à se positionner sur le marché
du travail. Les entretiens individuels et personnalisés permettent alors de préciser les
objectifs de chacun. Les échanges en tête à tête permettent de faire le point des aspects
personnels de la recherche d’emploi, de fixer des objectifs personnels d’emploi et les
besoins en formation. Les conseillers emploi ont pour rôle de déceler les obstacles
pouvant entraver le reclassement et d’éviter que leurs adhérents s’engagent dans des
orientations vouées à l’échec.
Comme nous l’avons vu précédemment, certaines personnes ont plus de difficultés
que d’autres à faire le « deuil » de leur identité passé et ont besoin d’un accompagnement
long, confiant et fidèle. Les entretiens individuels donnent l’occasion aux conseillers, de
prendre en charge ces personnes d’une manière distincte de ceux qui s’avèrent plus
rapidement actifs, et d’apporter ainsi, une réponse personnalisée. En effet, ils favorisent
l’établissement d’une relation de confiance entre les adhérents et leurs conseillers
permettant d’aborder les aspects psychologiques liés à la perte d’emploi.
De plus, le chômage induit une perte de repères : petit à petit l’individu perd
l’habitude de se lever le matin, d’avoir des contraires d’horaire et s’éloigne ainsi
progressivement des contraintes du monde du travail, ce qui peut poser problème lors de
son retour à l’emploi. Les entretiens, en astreignant l’individu à passer à la cellule
régulièrement, permettent à la personne de garder des repères dans le temps.
§ 2 Les ateliers techniques de recherche d'emploi
L’employabilité suppose l’identification des compétences acquises, et leur mise en
regard des compétences requises par telle ou telle entreprise. Il faut connaître ce qu’on a à
offrir, savoir mettre en valeur les aspects les plus positifs, savoir communiquer
efficacement. Divers ateliers ont donc été mis en place pour aider les adhérents des
cellules à se repositionner sur le marché de l’emploi.
A / La formation initiale à la recherche d’emploi
Les ateliers de recherche d’emploi interviennent après un travail en amont basé sur
la connaissance de soi même et du marché de l’emploi devant découler sur un projet
professionnel. Des réunions animées par des professionnels permettent d’informer les
personnes intéressées par certaines pistes d’emploi, ou de leur faire découvrir un métier.
Chacun peut poser librement ses questions et bénéficier de réponses.
57
La cellule emploi aide ses adhérents à réaliser leur bilan professionnel, à découvrir
leur nouveau travail et comment trouver sa place dans le paysage professionnel. Au final
les personnes doivent avoir défini leurs objectifs et se préparer à construire leur travail.
B / Les ateliers thématiques classiques de recherche d’emploi
Le parcours du demandeur d'emploi est balisé de travaux à effectuer tels que le tri
des annonces, l’élaboration d’un curriculum vitae attrayant, la rédaction de lettres de
motivation, et d'épreuves comme l'entretien d'embauche. Des ateliers permettent aux
anciens salariés de Moulinex de bénéficier d’un encadrement dans l’élaboration de leurs
outils de recherche d’emploi : atelier lettre de motivation, téléphone et recherche
d’emploi, bâtir son argumentaire... Sont également proposés des ateliers sur l’entretien de
recrutement et les techniques de recrutement à connaître pour convaincre l’employeur.
C / Les ateliers complémentaires
Une initiation à l’informatique est proposée aux adhérents pour optimaliser leur
recherche d’emploi. L’utilisation d’internet facilite la recherche d’emploi et donne accès à
de nombreuses offres d’emplois ; par exemple, on peut consulter régulièrement le site de
l’ANPE par le biais d’une simple connexion à internet.
Cependant, l’informatique introduit des difficultés particulières, certaines
spécifiques aux plus âgés, d'autres communes aux jeunes et aux âgés, mais auxquelles les
plus jeunes peuvent s'avérer être plus sensibles dans certaines conditions. Les
représentations les plus négatives à l'égard du travail informatique, sont avant tout le fait
de ceux qui n'utilisent pas du tout ces outils. Tant que le cap de l'utilisation de cet outil
n'a pas été franchi, la perception de l'informatique est peu positive. Il est donc nécessaire
de démystifier l'informatique et de donner les moyens de se familiariser avec ces outils.
De même, il arrive qu'au cours de la procédure de recrutement, on demande au
candidat de passer des tests. Souvent suivis d'un entretien, les tests sont la clef d'accès à
un emploi ou à une formation. Les tests de niveau permettent de ne pas se lancer dans un
parcours de formation sans être capable d'assimiler ce qui est enseigné. Il faut alors
acquérir préalablement des connaissances de base qui permettront de suivre avec profit la
formation dispensée. Les tests de personnalité, quant à eux, visent à vérifier si la voie vers
laquelle on souhaite s'orienter correspond à son profil.
Ces tests sont souvent perçus par les adhérents des cellules comme synonyme
d'examen, de sélection, voir même d'élimination. Pour échapper à cette crainte, pour aider
58
les adhérents à surmonter cette épreuve, la cellule emploi a organisé des ateliers destinés à
"démystifier les tests". Lors de ces ateliers, l'animateur explique comment ces tests se
déroulent, met en garde sur les pièges à éviter et conseille les ex-Moulinex, le but étant de
les familiariser avec l'épreuve.
§ 3 L’accompagnement dans le parcours pour l’entrée en formation
A / Le choix de la formation
Deux cas de figure se présentent : certains souhaitent rester dans le secteur de
l’industrie et s’inscrivent dans des formations courtes, comme le CACES, leur permettant
une insertion rapide sur le marché du travail ; d’autres ne veulent plus entendre parler de
ce secteur et préfèrent s’orienter vers des métiers du tertiaire. Pour certains, la fermeture
de Moulinex est perçue comme un tremplin, l’occasion d’accéder à un métier qui
correspond mieux à leurs aspirations.
« L’usine ? pour rien au monde je ne voudrais y retourner. On fait tout le temps la
même chose. Finalement mon licenciement, c’est une chance », Nathalie.
La formation garanti certes un maintien dans les « circuits » de l’emploi (et, à ce
titre, elle permet de préserver la situation des individus au regard des systèmes de
protection sociale et de revenus de remplacement) mais il n’est pas certain qu’elle modifie
substantiellement le processus de sélectivité du marché du travail. C’est pourquoi sont
proposés aux Moulinex uniquement les formations permettant l’accès à des métiers dont
le taux de tension est élevé42.
B / L’exemple des métiers de la santé
Les métiers de la santé constituent aujourd’hui et constitueront dans l’avenir des
opportunités d’emploi de plus en plus nombreuses. Les métiers d’aide soignante,
assistante de vie sont donc des métiers d’avenir. Cependant, l’accès au métier d’aide
soignante nécessite un diplôme d’Etat. Une formation de préparation au concours d’entrée
en école et une assistance à l’année d’école au CHU de Caen sont en cours de mise en
place. Quant au métier d’assistante de vie, métier s’exerçant soit en aide à domicile, soit
en maison de retraite, il exige un CAFAD. Après une prise de contact avec l’ADMR,
l’ASSAD, Caen Famille Service, une formation en alternance sera assurée par ces
associations en partenariat avec l’antenne et les Maisons de retraite.
42
Rapport offre/ demande d’emploi
59
L’antenne emploi s’est inscrite dans une démarche de facilitation de l’accès à ces
métiers en organisant des sessions spécifiques « Moulinex » de préparation, organisées
par un de conseiller emploi, ancienne infirmière qui connaît bien le domaine de la santé.
Un travail en amont a consisté à :
•
•
•
Présenter les métiers
Dédramatiser les cas apparents
Déceler les personnes, que la formation aurait risqué de mettre en échec, pour les
orienter vers d’autres pistes mieux adaptées à leur profil.
•
Accompagner les volontaires, reconnus aptes, dans une formation de préparation
aux concours
C / L’importance du suivi au cours de l’entrée en formation
Si l’on se place du point de vue du salarié, l’entrée en formation intervient à la
suite d’un double échec :
•
•
D’un licenciement, alors que le salarié obtenait, selon toute vraisemblance, des
performances jugées suffisantes pour tenir son ancien emploi jusqu’au
licenciement ;
D’une difficulté à trouver un nouvel emploi, liée à la concurrence entre salariés
dans un contexte de pénurie d’emplois.
Pour certains, les conditions de travail chez Moulinex, se sont traduites par
l’appauvrissement des capacités d’apprendre et de changer, par une perte de savoirs
initiaux, et par des rigidifications qui deviennent de véritables handicaps. Le travail
répétitif et l’organisation taylorienne, qui entravant initiative et autonomie et rendent donc
improbable toute situation nouvelle ou inattendue, sont aux antipodes des conditions
nécessaires au travail de la mémoire, qui requiert des apprentissages nouveaux. Ce sont
aussi des conditions contraires au développement de l’assurance ou de la confiance en soi
dans le travail, y compris en cas de difficulté.
De plus, les capacités qu’ont tous les hommes à apprendre, à modifier leur
comportement, ont tendance à diminuer avec l’âge ; la reconversion est une opération
presque toujours plus délicate que la formation initiale, même si elle peut s’appuyer sur
des compétences acquises au cours de la vie active. Les compétences peuvent elles même
faire obstacle : changer est difficile.
La pédagogie et les contenus scolaires sont souvent source d’appréhension pour
certains, à cause de leur caractère académique, de la rigidité des progressions, voire de
60
l’expérience négative qu’en ont fait certains de leurs années d’écoles : elles ne leur ont
procuré aucun pouvoir valorisant43.
Pour toutes ces raisons, il était important de déceler les personnes capables de
passer le concours, moyennant une préparation, afin d’éviter un échec qui aurait pu
s’avérer particulièrement destructeur pour la personne.
La préparation aux concours exigeait un encadrement de proximité et un
investissement particulier de la part du conseiller emploi. Il a fallu garder constamment
contact avec les candidats, les rassurer et les soutenir moralement, pour permettre aux
adhérents de surmonter les obstacles rencontrés.
Il est nécessaire de permettre à chaque sujet de pouvoir mettre en évidence sa
capacité à se transformer ce qui lui permettra de prendre conscience des moyens dont il
dispose pour changer et acquérir de nouvelles compétences.
Pari réussi, à ce jour, les douze personnes ayant préparé le concours ont été admis
à l’école d’aide soignante.
§ 4 La collecte d’emplois
Des recherches d’offres d’emploi sont effectuées sur internet par les conseillers
emploi, en particulier sur le site de la Mairie de Caen qui a régulièrement des postes à
pourvoir.
Un centre de téléservices est chargé de démarcher les entreprises par téléphone.
Cette entreprise de phoning se fixe un secteur à prospecter chaque semaine et contacte
toutes ces entreprises, en ce référant au listing du Compas. Lorsque le centre de
téléservices obtient des offres d’emploi, il envoie les fiches de poste, par fax, à la cellule
de reclassement.
Un conseiller emploi est chargé de récupérer les offres d’emploi obtenues par
Telpro et de les numéroter. Tous les soirs, en réunion, il répartit les fiches de postes entre
les chargés de mission. Le conseiller emploi qui prend une offre est chargé de récupérer
auprès de ses collègues les cv des personnes pouvant être intéressé par cette dernière.
43
L’institution scolaire opère un monopole radical dans notre société, monopole qui exclu la personne de
tout mode d’acquisition de savoir ou de pouvoir autre. Par le discours dominant, les individus intègrent le
fait que l’échec scolaire doive signifier échec social. Ainsi, paradoxalement, l’institution scolaire « toute
puissante » génère un flot d’exclus. Voir sur ce sujet I.ILLICH, (1973), La convivialité, Paris seuil, 158 p
61
Sachant que le marché connu de l’emploi (petites annonces, offres ANPE, APEC)
ne représente que 30% du marché du travail, leur démarche s’oriente essentiellement vers
la prospection des postes à pourvoir dans les 70% du marché caché. Bien que certains
employeurs soient lassés par des prospection similaires fréquentes, ils s’avèrent, la plupart
du temps coopératifs et intéressés par cet offre de service de recrutement. La prospection
des entreprises permet donc de recueillir d’autres offres que celles proposées par les biais
classiques. Cependant, de nombreuses offres collectées ne correspondent pas au profil des
Moulinex.
SECTION III : LES FREINS VENANT ENTRAVER L’ACTION DES
CELLULES EMPLOI
§ 1 L'aspect pervers des dispositifs d'accompagnement:
A / L’ambiguïté autour du Congé de conversion
Deux mesures de soutien au retour à l'emploi ont été proposées aux anciens
salariés de Moulinex : le congé de conversion et la convention de conversion. A l'origine,
le congé de conversion était destiné aux personnes qui souhaitaient suivre une formation
qualifiante et de longue durée. La convention de conversion de courte durée visait un
retour rapide sur le marché de l'emploi.
Les congés de conversion qui consistent en une suspension et non une rupture du
contrat de travail, ont eu tendance à induire, consciemment ou inconsciemment, des
comportements attentistes chez les salariés y ayant adhéré. De plus, il semblerait que le
terme "congé" ait été mal interprété par ses adhérents et qu’il ait eu pour effet une certaine
démobilisation. Or la durée de ce statut amène les personnes concernées au delà des
congés d’été et retarde d’autant une réelle implication de leur part. Beaucoup ont ainsi
raté des offres d’emploi intéressantes et risquent de pâtir de leur longue période de
passivité. A partir de septembre, d’une part les offres d’emplois issues de la prospection
devraient se raréfier, d’autre part, il va être difficile de justifier neuf mois d’inactivité
auprès des employeurs.
Certains ont choisi délibérément cette mesure pour toucher des indemnités le plus
longtemps possible, l’idée étant de jongler entre les différentes mesures proposées pour ne
plus avoir à retravailler. Par exemple, certains ont choisi ce statut (durée de 10 mois et de
16 mois pour les plus de 50 ans) pour reculer leur basculement dans l’ARE (allocation de
62
retour à l’emploi), en prévision d’une entrée proche dans le dispositif amiante qui les
emmènerait jusqu’à la retraite à 60 ans.
B / L’amalgame de fait autour de l’intervention de l’Etat
Le fait que l’Etat intervienne à travers le plan social, pour palier à la défaillance de
Moulinex, a parfois semé la confusion dans les esprits. Certain n’ont pas compris que
leur reclassement impliquait un investissement de leur part et attendent que la cellule leur
trouve un emploi similaire à celui qu’ils occupaient précédemment. Ils s’enferment donc
dans une attitude passive, en attendant qu’on leur trouve une solution.
§ 2 La présence de catégories cumulant des handicaps freinant le
reclassement
A / Les personnes victimes de problèmes de santé
Les personnes handicapées
Cette catégorie comprend les personnes handicapées reconnues par la Cotorep et
les adhérents atteints de maladies professionnelles reconnus par la sécurité sociale.
Les personnes victimes de pathologies physiques
On a également pu constater la présence de personnes souffrant de pathologies
physiques, non déclarées officiellement qui les conduisent à refuser des postes réclamant
des qu’ils ne peuvent plus accomplir (problèmes de dos ou d’épaules, difficultés à
soulever des charges…personnes dont la station debout ou assise, ainsi que la répétition
des gestes est rendue difficile). Ainsi, on a pu remarquer le cas d’adhérents qui, au cours
d’un essai en milieu de travail, se rendent compte que leur état physique ne leur permettait
pas de terminer leur mission. Dans l’ensemble, beaucoup d’anciens salariés de Moulinex
sont usés physiquement par leurs nombreuses années d’usine.
Les personnes atteintes de pathologies psychologiques et / ou de problèmes
d’hygiène alimentaire
Certaines personnes souffrent de pathologie venant entraver leur réinsertion sur le
marché du travail. En effet, on a pu constater la présence de personnes révélant de graves
états dépressifs ou des problèmes d’hygiène alimentaire.
Un conseiller emploi me
confiait qu’un de ses adhérents, victime de l’alcoolisme, oubliait régulièrement ses
rendez-vous à la cellule ou d’effectuer des démarches à effectuer dans le cadre de sa
recherche d’emploi.
63
Parmi les personnes atteintes de pathologies psychologiques, certains le sont de
longue date, des problèmes familiaux anciens ou les inquiétudes liées à l’incertitude
récurrente de leur avenir professionnel chez Moulinex ayant déclenché les premiers
troubles, pour d’autres la fermeture définitive du Groupe a été à l’origine d’un véritable
traumatisme psychologique.
Non seulement ce type de pathologie empêche une recherche d’emploi active,
mais il réduit également les chances d’embauche. En effet, une entreprise, pour des
raisons de sécurité et par souci de rendement, ne va pas courir le risque de recruter un
candidat ne présentant pas tout signe de sobriété ou d’équilibre.
B / Le cas des salariés protégés
Les cellules de reclassement vont bientôt devoir accueillir parmi leurs adhérents
les salariés protégés. Du fait de leur engagement syndical qui les a amenés à s’impliquer
dans la conduite du plan social et de sa mise en place, ils n’ont pas généralement pas
consacré suffisamment de temps à leur recherche d’emploi. Par conséquent, ils ne
pourront bénéficier des services de l’antenne emploi que sur une période de courte durée.
De plus, ils commencent à appréhender l’hostilité que les employeurs risquent de
manifester à leur égard, au delà des problèmes de qualification qui sont les leurs.
§ 3 La présence de freins conjoncturels
A / Une tendance des salaires à la baisse
La baisse des revenus du travail est provoquée par la mondialisation qui pousse à
la baisse le niveau de rémunération des postes de travail les moins qualifiés44, par le
développement des temps partiels (voir très partiels) également en augmentation. Cette
pression à la baisse, qui explique la reprise de l’augmentation des inégalités de revenus,
après une période de réduction, réduit l’écart entre les minimas sociaux et les revenus des
moins qualifiés.
Certains se refusent donc à reprendre un emploi d’autant plus que du temps de
Moulinex, ils bénéficiaient en plus du SMIC, d’une prime d’ancienneté et d’un treizième
mois. Le refus d’emploi (et non de travail) de certains s’explique donc par la baisse du
niveau de rémunération du travail, alors que les revenus sociaux demeurent stables.
44
la part des salariés rémunérés au SMIC est en augmentation
64
J.Gautrat45 fait une hypothèse venant compléter notre propos, selon laquelle « les
efforts, pour acquérir le savoir nécessaire aux emplois subalternes ne donnent pas accès
à un objectif social normalisé par notre société, mais seulement à un autre statut
subalterne « à vie » qui peut difficilement être considéré comme un objectif mobilisateur
d’acteur. Autrement dit, la barre de l’exclusion que l’administration place au niveau du
chômage pourrait se trouver dans les représentations sociales au niveau des emplois
subalternes. Si la différence de représentation entre un statut de chômeur et celui d’un
smicard reste faible, le peu d’attractivité des emplois subalternes devra être compensé
par des efforts bien plus considérables pour aider les bas niveaux de qualification à
occuper ces emplois ».
B / Le miroir aux alouettes du projet Connair
Pour rappel, le groupe Connair, connu en France pour sa filière Babyliss, avait
déposé une déclaration d'intention, auprès des administrateurs judiciaires chargés du
dossier Moulinex, pour proposer la reprise des usines dont SEB se séparait. ConairBabyliss avait fait miroiter la relance des sites non repris par SEB en affirmant être prêt à
"reprendre la totalité des quelque 5 500 ex-salariés de Moulinex qui le souhaitent".
Malgré les récentes décisions judiciaires, certains s'accrochent encore à l'espoir de
retourner sur le site.
"Les salariés ne voient de salut que dans le démarrage des usines", M.Muller,
délégué CGT de Cormelles le Royal46.
C / La spécificité rurale
Dans certains secteurs ruraux ou semi-ruraux, de nombreuses personnes, souvent
des couples, d'un certain âge, en fin de vie professionnelle, affichent clairement leur
volonté de ne pas retravailler, malgré les mises en garde des conseillers emplois du style
« méfiez vous vous n'aurez bientôt que 60% de votre ancien salaire… ». Il semblerait que
ces personnes, ancrées dans des réseaux de solidarité familiaux et amicaux, ne placent pas
la réussite dans le travail. Usées par leurs années d'usine, elles préfèrent organiser leur vie
différemment en faisant un peu de travail au noir, en entretenant un potager…On constate
45
J.GAUTRAT, « Déficit de compétences ou déficit de socialisation des chômeurs « bas niveau de
qualification » », dans F.GINSBOURGER, V.MERLE, G.VERGNAUD,(1992), Formation et
apprentissage des adultes qualifiés, La documentation française, Paris, p 78.
46
A.DEBOUTE, "La vie après Moulinex", Le journal du Dimanche, le 03 mars 2002, p 13.
65
donc un phénomène de retour à l’autarcie rurale. Les dispositifs publics perçus sont, dans
ce cas, considérés comme un supplément, un appoint de ressource.
§ 4 Le déficit d’image des Moulinex
L'image des salariés menaçant de faire sauter l'usine de Cormelles le Royal et
allumant plusieurs incendies en différents points de l'usine est restée gravée dans les
esprits. On ne compte plus les articles parus sur Moulinex, mettant en avant la lutte des
syndicats pour obtenir des mesures financières, critiquer le reclassement…
Les employeurs locaux ont tendance à appréhender les Moulinex comme étant une
population révoltée, âgée et sans qualifications. Harcelés par les cabinets de reclassement
qui rivalisent d’arguments pour reclasser les victimes des plans sociaux, ils se méfient des
salariés de culture mono-entreprise, habitués à un cadre de travail confortable. De plus,
l’attitude maladroite de certains salariés de Moulinex, sans doutes mal préparés et peu
conscients des nouvelles règles du marché, ont renforcé les préjugés de certaines
entreprises.
Avec les indemnités de licenciement et la prime de départ, beaucoup sont partis
avec près de 20 000 euros. Une somme qui suscite les jalousies, surtout dans les petites
villes comme Falaise, et qui déchaîne les propos malveillants. La généralisation des
« Moulinex » et les amalgames portent préjudices aux personnes qui sont en recherche
active d’un emploi.
§ 5 Les freins au reclassement propres à la cellule emploi
La cellule emploi C est la seule cellule emploi installée dans les locaux de
l'ancienne usine Moulinex, pour des raisons tenant à la rareté de l’offre immobilière de la
ville. Le fait que les anciens Moulinex viennent dans leurs anciens locaux pour suivre les
ateliers de la cellule ne les aide pas à rompre avec leur passé, leurs habitudes et ne
favorise pas une réelle prise de conscience de la fin du groupe Moulinex. Il est difficile
pour eux de faire le deuil de leur vie passée à l’usine a lors qu’ils continuent à fréquenter
les mêmes lieux.
Nous avons déjà insisté sur la nécessité d’accorder une attention particulière à chaque
adhérent de la cellule et de l’accompagner régulièrement dans ces démarches. D’après
A.COHEN, directeur des ressources humaines de DMC à Loos « les cabinets estiment à
environ 25 le nombre maximal de salariés devant être affectés à un consultant,( 30 à 40
pour les cadres) ». Or à la cellule de reclassement C, les conseillers emplois ont chacun
en charge le suivi d’une centaine de personnes. Même si certains adhérents sont déjà
66
orientés, voir ont retrouvé un emploi, ces conditions ne semblent pas être favorables à un
suivi régulier des personnes.
CONCLUSION
Les actions mises en place par la cellule contribuent à faire évoluer les adhérents de la
cellule sur la voie d’une démarche active de recherche d’emploi, mais de nombreux freins
au reclassement persistent encore. Surmonter ces obstacles nécessite que la cellule emploi
soit réactive et qu’elle fasse preuve de capacités aiguës d’adaptation.
Parce que le reclassement met en jeu un ensemble de paramètre, l’individu et tout ce qui
le constitue (son histoire, ses échecs passés, ses difficultés personnelles, familiales,
financières…), pris dans un contexte particulier (le marché de l'emploi, les organismes de
formation et leurs spécificités…), il s'avère souvent complexe et lent.
67
CHAPITRE III : LA NECESSITE D’APPROCHES ORIGINALES ET
SPECIFIQUES
Les personnes les plus qualifiées et les plus motivées commencent à retrouver le chemin
de l’emploi, qu’elles soient engagées dans une formation ou en CDD, CDI. Restent à
reclasser une majorité de personnes qui semblent développer un certain découragement
face à leur reclassement, induisant un réel refus de s’engager dans une recherche d’emploi
active. Plus nous allons avancer dans le temps et plus il faudra trouver des solutions
individuelles et originales. Nous allons voir dans ce chapitre, les pistes actuellement
exploitées pour aller dans ce sens.
SECTION I LA PROXIMITE, UN MOYEN DE LUTTER CONTRE LES
FREINS A LA MOBILITE ?
Lors de mes visites dans les trois cellules de reclassement du Calvados, la faible mobilité
géographique était évoquée à maintes reprises comme étant l'un des principaux freins au
reclassement des Moulinex. Prenons l’exemple de la cellule emploi de Falaise, 28
personnes n'ayant pas le permis ont été identifiées et le motif de la distance est
fréquemment évoqué lors des refus d'OVE47 sur des distances de 35 à 50 kilomètres.
De même, l'étude cartographique concernant le lieu d'habitation des anciens
salariés de Moulinex m'a permis de constater que ces derniers n’étaient pas concentrés
uniquement dans les villes où les usines Moulinex étaient localisées. Au contraire, les exMoulinex sont très dispersés sur le territoire.
Guidés par le souci d’apporter des solutions originales et individualisées, il nous est alors
venu l’idée de rapprocher certains Moulinex des entreprises artisanales localisées prêt de
chez eux. L’embauche dans des entreprises artisanales semblait être un bon moyen pour
résoudre les problèmes de mobilité.
§ 1 : La mobilité, un frein au reclassement
La mobilité semble être un passeport pour l'emploi. Il est vrai que ceux qui
acceptent de se déplacer trouvent plus facilement un emploi, mais la capacité à se
déplacer dépend de multiples facteurs, de personnes et de contexte.
A / Les déplacements domicile-travail
Début 1999, près de 337 500 Bas-Normands devaient chaque jour quitter leur
commune pour aller travailler, soit 62% des actifs ayant des emplois48. Ces déplacements
reflètent deux logiques distinctes de localisation des activités et des hommes. Alors que
47
Offre Valable d'Emploi
Cent pour cent Basse Normandie, Les villes étendent leur influence, INSEE Basse Normandie, n°97,
juillet 2001
48
68
les Bas-Normands privilégient depuis une trentaine d'années l'installation dans des
communes de taille moyenne situées dans des grandes périphéries urbaines, les entreprises
restent concentrées dans les plus grandes villes. Ainsi, les cent communes les plus
peuplées de la région concentrent 68% des emplois pour seulement 48% des actifs
exerçant une activité.
Ce phénomène ancien s'est poursuivi au cours des dix dernières années. Le
développement d'activités économiques est, en effet, intervenu sur un nombre réduit de
communes. A l'opposé la population en situation d'activité a crû sur des territoires plus
vastes. Une telle spécialisation des territoires, avec d'une part des communes résidentielles
et de l'autre des zones à orientation économique, ne pouvait qu'entraîner une
intensification des déplacements liés à l'activité professionnelle. Dans le Calvados, plus
urbain et fortement marqué par les mouvements de péri-urbanisation, les déplacements,
déjà les plus nombreux ont continué à s'accroître : plus de 160 000 actifs Calvadosiens
quittent désormais leur commune pour rejoindre leur travail.
En 1999, un Bas Normand qui change de commune pour se rendre sur son lieu de
travail parcourt en moyenne 13,2 kilomètres (à vol d'oiseau) contre 11,8 kilomètre en
1990, cet allongement ayant touché tous les territoires de la région. Aujourd'hui, les actifs
qui parcourent les distances quotidiennes les plus importantes sont ceux de l'espace rural
calvadosien autour de Falaise, de Villers-Bocage et de Bayeux.
Si les déplacements sont plus fréquents dans la zone à dominante urbaine (64%
des actifs occupés doivent quitter leur commune contre 58% dans le rural), ils couvrent en
moyenne de plus faibles distances (12,2 kilomètres pour l'urbain, contre 15,4 kilomètres
en zone rurale). On continue donc à travailler plus souvent dans sa commune de résidence
à la campagne qu'en ville, mais la distance à parcourir est plus importante pour ceux qui
doivent se déplacer.
B / Les freins structurels à la mobilité
Lors de mon étude cartographique, j’ai été surprise de constater que certaines personnes
domiciliées aux environs de Falaise ou Caen se déplaçaient tous les jours pour travailler
sur le site de Bayeux. Ce constat ne coïncidait pas avec le discours des cellules qui
mettaient en avant le manque de mobilité des anciens Moulinex, comme frein au
reclassement. J’ai par la suite appris que, du temps de Moulinex, la plupart n’avait pas
besoin de moyens de locomotion, dans la mesure où des ramassages par bus étaient
organisés et le groupe avait pris en considération le covoiturage dans l’application des 35
heures. L’absence de moyens de déplacement (notamment le fait que beaucoup ne
possèdent pas le permis), qui, du temps de Moulinex ne posait pas un problème en soi,
69
pénalise aujourd’hui certaines personnes compte tenu des exigences de mobilité
géographique du bassin d’emploi.
Une enquête de l'ANPE auprès de 1200 établissements déclarant avoir renoncé à
embaucher, faute de candidatures adéquates, révèle que plus de la moitié de ces
établissements ne sont pas accessibles sans voiture. Non seulement, la distance domiciletravail augmente, mais les moyens de transport ont diminué.
Les transports en commun régionaux obéissent à la loi nationale: Il y a des
transports vers le chef-lieu du département, mais pas ou peu de transports entre les souspréfectures. Il n'existe plus de train entre les villes secondaires, les horaires des bus,
financés par les Conseils Généraux, sont calqués sur les horaires scolaires et non sur ceux
des salariés.
De plus, les équipes alternées et les successions d'horaires éclatés engendrés par
les 35 heures rendent souvent impossible le covoiturage. C'est d'ailleurs principalement
pour cette raison, que les transports en commun ne sont plus organisés qu'en fonction des
horaires scolaires.
Les personnes, ne possédant pas de voiture, sont obligées de se déplacer à
bicyclette ou en mobylette et donc ont une distance maximum, ce qui constitue un vrai
frein au recrutement.
C / Les freins à la mobilité liés à la personne
Le manque de mobilité n’est pas uniquement constaté chez les personnes sans permis ou
sans moyens de locomotion, il relève plutôt d’une tendance générale. Des OVE sont
régulièrement refusées en raison des kilomètres à parcourir. Pourquoi tant de résistance à
la mobilité ?
Diverses observations sur les comportements différenciés de mobilité révèlent que la
mobilité quotidienne présente non seulement des contrastes d’une catégorie socioprofessionnelle à l’autre, mais varient fortement selon le sexe, l’âge, le niveau
d’éducation, le statut d’occupation du logement ou le revenu du ménage49.
La capacité de mobilité est d'autant plus faible que le niveau d'études atteint est faible, et
que le salaire est bas. Ces deux facteurs sont à la fois liés et indépendants, dans la mesure
où le niveau d'étude permet d'accéder souvent au salaire, mais aussi à la culture, à la
compréhension des autres mondes.
La propriété du logement peut être un frein important. Dans les zones où l'emploi
décline, les logements perdent leur valeur au point de ne pas couvrir les emprunts en cours
ou de ne pas permettre d’envisager un achat dans une autre région, quand la vente ne
49
Cf par exemple Brigitte Baccaini, Les trajets domicile-travail en Ile-de-France, Economie et Statistique
n°294-295, 1996.
70
devient tout simplement pas possible50. Cela représente un frein important dans la mesure
où, 57% des français sont propriétaires de leur logement.
"Reste tous ceux comme Jean-Luc qui a acheté une maison l'an dernier à
Cormelles, et dont la femme a également été licenciée de Moulinex. Un cas de figure
fréquent à Alençon, Bayeux et Falaise"51
Ce qui renforce une résistance éventuelle, des anciens salariés de Moulinex, à des
mutations réside dans le fait (corroborant cette sédentarisation) que, trouvant du travail
quasiment sur place, ils ont bâti leur foyer - maison, jardin, une sorte de confort relatif,
acquis au prix d’un certain endettement, pensant, après des décades d’existence de ces
industries locales que cela durerait quasi éternellement. Malgré leurs mutations sur
d'autres sites éloignés, ils ont gardé le même lieu d'habitat. La fermeture de l’usine locale
dans une région où souvent à des kilomètres à la ronde il n’y a pas d’autres industries
signifie donc bien plus que la perte d’un emploi et constitue un mélange plutôt explosif de
réactions complexes contre un pénible bouleversement de la vie des travailleurs
concernés. Il est donc difficile, pour eux, de perdre ce repère : près de leur lieu
d’habitation se trouve leur cercle de sociabilité (famille, amis).
D’une manière générale, les coûts d’accès à l’emploi, frais de déplacements, achat
d’un moyen de locomotion, frais de garde des enfants, s’avèrent dissuasifs, d’autant plus
s’il s’agit d’abandonner un « revenu minimum garanti » pour un emploi plus ou moins
précaire (CDD, temps partiel…).Un salaire faible, et qui plus est un salaire faible à temps
partiel, n'incite pas à effectuer des déplacements quotidiens de 10, 20 ou 50 kilomètres.
"Elles ont toutes refusé les postes proposés parce que les frais de route n'étaient
pas remboursés pour des postes de quelques heures par mois…" D.Jonquet, Déléguée
syndicale
§ 2 L’intérêt de prospecter les entreprises artisanales
Jusqu’à présent, seules les grandes entreprises de plus de 10 salariés avaient été
prospectées, parfois même à plusieurs reprises, par les cellules. En ciblant les grandes
entreprises, voire les très grandes entreprises, les antennes de reclassement avaient pour
objectif de recueillir en masse, des offres d’emploi à proposer à leurs adhérents. Le
secteur des entreprises artisanales avait été négligé car jugé peu pourvoyeur d’emplois et
mal adapté au profil des Moulinex.
50
51
A.DU CREST, (2000), Les difficultés de recrutement en période de chômage, l'Harmattan, p62-65
A.DEBOUTE, "La vie après Moulinex", Le journal du Dimanche, le 03 mars 2002, p 13.
71
A / Des structures créatrices d’emploi
Les très petites entreprises (TPE)52 sont celles qui ont le plus embauché en 2000, leurs
effectifs se renforçant de quelques 5100 salariés. En revanche, les 80 très grandes
entreprises implantées en Basse Normandie n'ont fait que maintenir leurs effectifs basnormands, la progression de l'intérim, sensible dans les grands établissements industriels,
compensant dans une certaine mesure cette absence globale de créations d'emplois.
En 2001, la Basse-Normandie a vu s'accentuer le décalage entre les entreprises et
établissement de grandes firmes, orientés vers les marchés internationaux, et les
entreprises régionales, souvent des PME, œuvrant au niveau local ou national. Alors que
les premiers ont subit de plein fouet les effets du ralentissement de l'économie mondiale,
les secondes ont continué de profiter de la bonne tenue de la consommation des ménages.
Le secteur artisanal qui représente 15% de la population active régionale, a poursuivi sa
croissance tant aux plans du nombre d'entreprises que des salariés, sous l'impulsion
notamment des activités du bâtiment et des services. L'artisanat reste un pilier de l'activité
en zone rurale. Un salarié sur cinq du secteur privé travaille chez un artisan.
La tendance au recrutement semble donc se trouver dans les petites structures au
rayonnement local. Dans la mesure où les entreprises artisanales semblent contribuer
fortement à cette tendance, il parait intéressant d’envisager leur prospection.
B / Un encadrement rassurant
La plupart des personnes restant à reclasser ont une culture mono-entreprise, ce qui génère
des inquiétudes quant à leur avenir professionnel. Un accompagnement de qualité, dans
les entreprises d'accueil, peut leur permettre de surmonter les difficultés éprouvées pour
acquérir une certaine confiance en eux.
Or les entreprises de petite taille sont dans la capacité de proposer un accompagnement de
qualité, rendu possible par la proximité et l'écoute du personnel par la hiérarchie. Elles
peuvent aider la personne à surmonter son manque de confiance en elle (particulièrement
handicapant chez certains) ainsi que lui permettre de réaliser des transferts positifs et
élaborer des compétences nouvelles.
C / Les Moulinex, un profil qui peut intéresser ces structures
Lors d’un entretien à la Chambre des métiers, le chargé de mission rencontré nous a fait
part des difficultés de recrutement rencontrées par ces entreprises. D’une part les
entreprises artisanales peinent à trouver des gens qualifiés, d’autre part ce type de
structure n’attire pas toujours les jeunes.
Il y a dix ans, la position de l’offreur d’emploi était plus confortable que celle du
demandeur. Aujourd’hui, on peut comparer la situation à celle d’il y a vingt ans. La
génération post 1968 qui entrait sur le marché du travail était sans doute aussi infidèle,
exigeante, changeante et mobile que les jeunes qui rentrent aujourd’hui sur le marché du
travail. Les entreprises artisanales peuvent donc être intéressés par une population
travailleuse, plus mature et plus stable. L’effet proximité domicile-travail, peut
représenter une garantie de fidélité pour l’entreprise employeuse.
Dans la mesure où les Moulinex ont la possibilité de suivre une formation, leur profil peut
intéresser les entreprises artisanales qui se plaignent de ne pas trouver des gens
suffisamment qualifiés. On pourrait envisager la participation de ces employeurs, dans la
définition de la formation nécessaire à la personne recrutée.
52
données de l’INSEE Basse Normandie, juin 2001
72
§ 3 La prospection des entreprises artisanales, une piste à retenir ?
Les entreprises artisanales sont souvent des structures de très petite taille, rares sont celles
qui ont plus de deux salariés. Par conséquent, elles ont rarement des offres d’emploi à
pourvoir. Par exemple, à Bayeux, sur 35 entreprises prospectées, 5 offres d’emplois ont
été collectées.
A / Les entreprises prospectées : un bilan mitigé
Les entreprises artisanales appartiennent souvent au secteur du bâtiment ; en effet, on
dénombre de nombreuses entreprises de ce type dans la plomberie, la couverture,
l’installation d’électricité, peinture et revêtement de sols. Or, non seulement ce secteur
exige des compétences particulières et induit des conditions de travail difficiles (port de
charges lourdes…) mais il attire également peu les Moulinex.
De même les propositions d’offres ne correspondent souvent pas au profil des Moulinex,
on recense des propositions d’embauche d’électriciens, peintre en bâtiment, plongeur etc.
Seules les propositions faites dans l’hôtellerie ou dans les entreprises de nettoyage
peuvent coïncider, mais on peut supposer que beaucoup les refuseraient compte tenu des
conditions de travail : ce sont des temps partiels, du travail saisonnier….
Le profil des Moulinex ne correspond pas idéalement à celui recherché par ce type
d’entreprises. Les artisans cherchent des gens autonomes, avec un goût du travail bien
fait. Etant donnée la petite taille de leur structure, ils ont besoin de personnes disposant de
compétences pointues dans de nombreux domaines et donc attachent une grande
importance à la polyvalence.
Cependant, les artisans se sont montrés, dans l’ensemble, intéressés par la
démarche. Même si le profil des Moulinex ne correspond pas totalement à leurs attentes,
la perspective d’embaucher quelqu’un de formé et motivé retient leur attention.
B / Des adhérents motivés par cette démarche
La démarche a été bien accueillie par les adhérents de cellules. Ces derniers s’avèrent plus
coopératifs et réceptifs lorsqu’on leur évoque la possibilité de retrouver un emploi qui ne
nécessite pas de parcourir de longues distances journalières. L’effet proximité semble
même influer sur la motivation des anciens salariés de Moulinex. La perspective
d'occuper un poste proche de son domicile a, en effet, eu un impact sur la mobilisation
d’adhérents peu actifs dans leur recherche d’emploi. Si l'on prend l'exemple de la cellule
F, sur les huit personnes identifiées comme recherchant plus ou moins activement un
emploi (dont deux personnes absolument pas mobiles car ne disposant ni de permis et/ ou
de moyens de transport), on pensait récupérer deux curriculum vitae, alors que nous en
avons récupéré la totalité. Parmi ces personnes, un salarié protégé encore peu actif dans sa
recherche d’emploi a accepté de participer à la démarche.
De plus, l’idée de trouver un emploi à proximité de son domicile semble rendre les
adhérents moins sélectifs par rapport aux offres d’emploi proposées. Nous citerons, en
exemple, le cas d’une personne qui souhaite être chauffeur scolaire mais qui a accepté que
son CV soit déposé dans des agences de nettoyage du fait de la proximité de ces
entreprises. Cet exemple nous laisse à penser que la proximité peut rendre les personnes
73
moins difficiles, plus souples quant aux conditions de travail (emploi à temps partiels,
flexibilité des horaires, rémunération avoisinant le SMIC…).
Nous avons vu précédemment, que les anciens salariés de Moulinex envisagent
difficilement leur intégration dans de petites structures, en raison des exigences de ces
dernières en terme de polyvalence et d’implication personnelle dans l’entreprise, ainsi que
de l’absence d’avantages sociaux. Nous nous attendions donc à rencontrer des réticences à
ce propos. Or, il semblerait que l’aspect proximité ait, une fois de plus, gommé les
résistances à l’emploi.
§ 4 Quelques axes de travail à retenir pour l’avenir
Bien que les résultats de notre expérience ne soient pas très probants, il parait tout
de même intéressant de garder la perspective d’un recours aux entreprises artisanales à
l’esprit. Cette piste semble pouvoir apporter des réponses aux adhérents des cellules, dans
certains cas de figure.
Il n’est pas question de prospecter de la même manière que les entreprises de plus
grande dimension, c’est-à-dire toutes les entreprises artisanales sans distinction, en leur
demandant leurs besoins en terme d’embauche. Il s’agit d’identifier les personnes très
peu mobiles ou susceptibles de trouver leur intérêt dans un rapprochement avec des
structures de ce type et de procéder, par la suite, à une prospection ciblée.
Nous pouvons imaginer le scénario suivant :
•
Repérer les personnes qui ne disposent pas de moyen de transport, qui s’avèrent
peu mobiles quelque soit la raison et / ou qui pourraient être intéressées par des
postes dans ce type de structure
•
Vérifier leurs motivations, leur désir de retravailler et qu’elles sont prêtes à
travailler dans ce type de structure qui s’avère souvent moins attractif qu’un
grand groupe.
•
Sélectionner dans les fichiers de la Chambre des métiers, les entreprises
localisées dans les cantons proches du domicile des personnes et dont le secteur
d’activité correspond au profil de la personne et à ses attentes.
•
Prospecter les entreprises sélectionnées au préalable en basant son argumentaire
sur le profil de la personne, ce qu’elle peut apporter à la structure…
SECTION II : LE PROGRAMME COMPLEMENTAIRE DE MOBILISATION
DES SALARIE
Après six mois de fonctionnement, l’antenne emploi a pu constater une insuffisance de sa
fréquentation, malgré toutes ses actions, et une insuffisance de résultats dans le
reclassement.
Consciente de la nécessité « de renforcer, sans délai, les actions de mobilisation de tous
les ex-salariés de Moulinex, afin qu’ils s’engagent dans une démarche active de
74
recherche d’emploi » 53, la cellule de reclassement a procédé à une identification des
adhérents nécessitant un accompagnement spécifique, car en grandes difficultés. Cette
identification a abouti à l’élaboration d’un programme spécifique et mieux adapté aux
difficultés de ces publics, dont la mise en place est prévue en septembre.
§ 1 Le repérage des personnes posant problème
Dans un premier temps, la cellule a identifié quatre types de population présentant de
grandes difficultés. Ces grandes catégories correspondent à celles que nous avons
identifiées précédemment :
•
Les adhérents victimes d’un handicap lié à un problème de santé
•
Les femmes et les hommes sans qualification
•
Les salariés protégés
•
Les personnes confrontés à une inadéquation majeure du projet personnel au
marché du travail
Chaque adhérent de cellule, restant à reclasser a, par la suite, fait l’objet d’une
identification très précise selon dix sept critères :
•
•
•
•
•
2 critères sont liés à l’âge : ils visent à identifier les personnes rencontrant des
problèmes causés par leur âge et celles qui sont susceptibles de bénéficier du
dispositif amiante
4 critères permettent de repérer les problèmes de santé :handicaps moteurs,
maladies et maladies professionnelles, accompagnement psychologique, hygiène
alimentaire
5 critères sont relatifs aux problèmes pratiques : L’illettrisme, l’absence de
moyens de locomotion, les problèmes de qualification, la rareté des postes en
adéquation avec le profil et les formations refusées.
2 critères permettent de repérer les personnes touchées par des difficultés
financières, dont un concerne uniquement les couples.
Sont également repérés les ex-Moulinex sous tutelle, les salariés protégés, les
personnes isolées et autres…
Ces critères font l’objet d’une grille analyse révélant un panorama des personnes
en difficultés restant à reclasser.
§ 2 Les actions en cours de mise en place
« Ce programme prévoit la constitution de nouveaux groupes de travail, de profils
homogènes, de taille limitée à une dizaine de candidats, la démarche visant, dans une
meilleure proximité individuelle, à mieux mobiliser chacun au sein du groupe pour le
situer réellement sur une voie active de recherche d’emploi, en veillant à ce qu’il se
tienne à son comportement jusqu’à son reclassement ».
Ce programme comprend des entretiens de dédramatisation visant à « canaliser et gérer
des craintes et des angoisses fortes non exprimées », une analyse du marché du travail
dont l’objectif est de « démontrer la réalité du marché de l’emploi au regard des
compétences immédiates du candidat » ainsi que des actions pour « piloter positivement
53
ANTENNE EMPLOI MOULINEX-GROUPE IGS, Programme d’amélioration de la mobilisation en vue
du retour à l’emploi des ex-salariés du groupe Moulinex du site de Cormelles le Royal, 25 juillet 2002.
75
une action personnelle de recherche d’emploi » dont le but est de « créer une dynamique
et la maintenir ».
Ces actions vont reposer sur des passages de la théorie, à la pratique ainsi que sur des
alternances de travail individuel et de travail de groupe. Au-delà des apports théoriques, il
sera fait essentiellement recours à des mises en situation et des analyses de situations
vécues.
CONCLUSION
Divers projets sont actuellement en cours de réflexion pour optimiser le reclassement des
anciens salariés de Moulinex. La cellule peut compter sur le soutien d’autres acteurs pour
atteindre cet objectif. Les syndicats sont, par exemple, chargés de rétablir le contact avec
les personnes qui ont déserté la cellule emploi et que cette dernière ne parvient plus à
contacter. De même, l’association CAP EMPLOI assure un suivi personnalisé des
personnes reconnues handicapées par le COTOREP.
Les cellules de reclassement sont conscientes de la nécessité de procéder à des actions
ciblant la démotivation des salariés, leurs blocages tels que nous les avons analysés, et qui
freinent les actions de reclassement et la transformation en contrats de travail des
opportunités d’emploi provenant de la prospection des agents et conseillers de l’antenne.
Cependant, le fait qu’ils établissent leurs catégories sur des critères objectifs révèle leurs
difficultés à déterminer des profils psychologiques homogènes.
76
CONCLUSION
77
Bercés par la douce illusion que le groupe Moulinex ne pouvait disparaître, ses salariés,
pris en charge par une entreprise qui leur garantissait une relative sécurité et un certain
confort de vie, n’étaient pas préparés à ce brutal revirement de situation.
La fermeture des sites Moulinex a mis en difficulté une population plutôt âgée,
majoritairement féminine et dont le niveau de qualification est considéré par le marché du
travail comme étant « bas » du fait d’un manque de diplômes normés. Pour certains, leur
carrière professionnelle exclusivement consacrée au groupe, à tenir des postes routiniers,
au contenu appauvri, au bas de l’échelle des emplois n’a pas favorisé le développement de
grandes capacités de changement et d’adaptation. C’est pourquoi, beaucoup se retrouvent
aujourd’hui, démunis face aux nouvelles contraintes du marché du travail.
Ce ne sont pas tant les caractéristiques individuelles de ces personnes qui
permettent de comprendre leur exclusion plus ou moins durable de l’emploi, que les
processus de sélection sur le marché du travail.
Le problème a pour fondement le
décalage supposé croissant entre une masse d’individus de faible « niveau » et les
exigences de plus en plus élevées pour avoir une bonne chance d’accéder à
l’employabilité. La forte croissance de la population de « bas niveau de qualification » est
liée à des politiques spécifiées de sélection et de gestion de la main d’œuvre par les
entreprises françaises, dans le contexte d’un système national de mobilité déterminé.
De même, il n’y a un problème de bas niveaux de qualification que lorsqu’il y a un
déficit d’emploi et donc suppression de tous les mécanismes locaux d’ajustement. Les bas
niveaux de qualification et les problèmes qu’ils posent se multiplient dès lors que les
conditions d’emploi sont telles qu’il est à tout moment préférable pour l’employeur de
remplacer le travailleur en place, plutôt que de le réadapter à de nouvelles conditions.
Conformément à un plan social âprement discuté, pouvoirs publics et collectivités
locales se sont mobilisés, afin de favoriser le reclassement des salariés restant et pour
redynamiser le bassin d’emploi. Un dispositif d’envergure inscrit dans une démarche
globale a été mis en place pour agir sur le plan social et économique.
Les cellules de reclassement créées doivent travailler sur deux fronts : celui des
entreprises et celui des hommes. Dans les deux cas, la situation apparaît compliquée. Le
bassin d’emploi de Basse Normandie, sinistré par la fermeture des usines du groupe et de
ses sous-traitants, ne comprend pas de gros employeurs en pleine expansion capables
d’absorber d’un coup une grande quantité d’anciens salariés de Moulinex. La région se
caractérise surtout par un tissu de PME qui souffrent du ralentissement de la conjoncture.
De plus, un certain nombre d'employeurs préfèrent perdre des marchés plutôt que
d'embaucher du personnel n'ayant pas les compétences souhaitées. Ils préfèrent la sécurité
d'une situation connue et maîtrisée, à l'inconnue d'embauches incertaines. Parallèlement,
78
certains anciens salariés de Moulinex craignent de reprendre un emploi, par peur de
revivre des situations d'échecs. La situation du chômage, même faiblement indemnisée,
rivalise avec l'inconnu des emplois précaires ou éloignés.
L’individu constitue le support, le point de passage obligé de toute action. En dernier
ressort, c’est lui qui vit l’exclusion, c’est lui qui fait la reconversion. C’est à cette réalité
que sont confrontés les conseillers emploi des cellules de reclassement. Sans activité du
sujet, rien n’est possible. Les cellules emploi doivent donc mettre en place des actions qui
suscitent motivation et mobilisation de leurs adhérents.
De plus, être soumis pendant de nombreuses années à un travail répétitif sous
contraintes temporelles élevées engendre des pathologies. Les cellules emploi doivent
traiter distinctement les personnes atteintes de graves handicaps en leur proposant des
actions spécifiques, qui prennent en compte leurs problèmes.
Un reclassement efficace nécessite que la cellule soit capable d’anticiper les
problèmes rencontrés par certains, et qu’elle monte des actions adaptées à ces problèmes.
La proximité entre la cellule de reclassement (conseillers emploi) et l’adhérent semble un
gage de résultat et un élément clef du reclassement. Chaque personne à reclasser doit
sentir qu’elle n’est pas abandonnée à son propre sort mais qu’elle est soutenue par la
cellule emploi. C’est d’ailleurs, sans doute pour cette raison que les cellules, dont le
nombre d’adhérents est peu élevé obtiennent le plus de résultats en terme de reclassement.
De même, une organisation structurée et une répartition claire des rôles favorisent
une certaine réactivité de la part de la cellule. La circulation et l’échange d’informations
au sein d’une équipe structurée permet de faire remonter rapidement les problèmes et d’y
remédier. Il faut également garder à l’esprit que les adhérents, déboussolés par la
fermeture de leur usine, pour la plupart, ont besoin de repères. Ils doivent, à tout moment,
être en mesure d’identifier le rôle de chaque membre de la cellule emploi.
Comme nous pouvons le constater, de tels reclassements sont laborieux et lents,
dans la mesure où ils reposent sur différents paramètres et sont à traiter en masse dans
l’urgence. Le nombre de plans sociaux a singulièrement augmenté ces derniers mois, à tel
point que les licenciements pour causes économiques accusent une hausse de 43 % en un
an et que ce rythme risque de se poursuivre. Inquiet par la multiplication de ces annonces
de plans sociaux, le gouvernement réfléchit actuellement à des solutions pour prévenir les
licenciements massifs. François Fillon, Ministre des affaires sociales, du travail et de la
solidarité, souhaite mettre en place des structures, « cellules de veille », chargées
d’anticiper et d’amortir les licenciements massifs. Ces cellules de veille permettraient79
elles vraiment d’empêcher les destructions d’emplois causées par les restructurations ?
Ces dernières ne sont-elles pas inévitables dans un contexte de recherche de productivité
et de recours aux nouvelles technologies ?
La mise en place de mesures se limitant à atténuer les effets négatifs sur l’emploi
des plans sociaux ne suffit pas. Il faut également convaincre l’entreprise de construire en
amont la qualification de ses salariés. Plutôt que de se complaire dans l’idée que les plus
de 50 ans sont trop chers et ne peuvent plus s’adapter, il semble nécessaire d’imposer la
formation tout au long de la vie par des organisation du travail plus qualifiantes et
d’inciter les entreprises à une meilleure gestion prévisionnelle des effectifs.
De même, il faudrait agir simultanément sur la demande d'emploi, en assurant un
accompagnement des demandeurs d'emploi et sur l'offre d'emploi, en incitant l'embauche
de certains publics. Dans le cas présent, on pourrait imaginer la mise en place d'actions
pour motiver les artisans à recruter les anciens salariés de Moulinex et faciliter leur
embauche.
80
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages
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Moulinex, n°57, p21-24
82
SOMMAIRE
INTRODUCTION _________________________________________________ 3
PARTIE I________________________________________________________ 7
Chapitre I : L’effondrement d’un piler de l’électroménager des années 60 8
SECTION I : L’ERE MOULINEX ________________________________ 8
§ 1 Une décentralisation dans « la chlorophylle » ___________________ 8
§ 2 Une entreprise paternaliste et familiale ________________________ 9
§ 3 De nombreux avantages ___________________________________ 10
§ 4 Une forte présente syndicale _______________________________ 10
§ 5 La formation chez Moulinex _______________________________ 10
§ 6 Une certitude ancrée dans l’esprit des Moulinex, que le Groupe ne pouvait
disparaître_______________________________________________________ 12
SECTION II : LA TRAGEDIE MOULINEX _______________________ 13
§ 1 Une firme à la dérive _____________________________________ 13
§ 2 Une longue et angoissante période d'incertitude quant à l'avenir de Moulinex 14
§ 3 La révolte des laissés pour compte___________________________ 17
§ 4 Les « Moulinex », une population à reclasser __________________ 18
Chapitre II : L’émergence d’une catégorie qui rencontre des problèmes de
reconversion ________________________________________________________ 20
SECTION I : « BAS NIVEAUX DE QUALIFICATION » UNE CATEGORIE
PROBLEMATIQUE ________________________________________________ 20
§ 1 Qu’entend-on par « Bas Niveau de qualification » ? _____________ 20
§ 2 La catégorie "Bas niveaux de qualification", un héritage de l'histoire de la
production ______________________________________________________ 22
§ 3 : Une appellation erronée, mais une réalité sociale ______________ 25
Section II: les processus de sélection sociale dans le sphère du travail ____ 26
§ 1: Les processus de rejet de l'appareil productif __________________ 26
§ 2 Les processus de sélectivité à l'embauche _____________________ 28
CONCLUSION ______________________________________________ 32
Chapitre III Les problèmes rencontrés par les agents de production de Moulinex 34
SECTION I: LE PROFIL DES PERSONNES RESTANT A RECLASSER EN MASSE
_________________________________________________________________ 34
83
§ 1 Une population aux compétences, pour une large part, « invisibles », bien
qu’existantes_____________________________________________________ 34
§ 2 Une expérience professionnelle circonscrite à l’entreprise Moulinex 36
§ 3 Une population affaiblie par la fermeture des sites ______________ 37
SECTION II : LA CONFIGURATION DU MARCHE DE L’EMPLOI __ 40
§ 1 Le ralentissement de la conjoncture économique _______________ 40
§ 2 L'inégalité homme-femme face au chômage ___________________ 41
Conclusion____________________________________________________ 43
PARTIE II : COMMENT GERER LES FREINS AU RECLASSEMENT DES ANCIENS
SALARIES DE MOULINEX _____________________________________________ 44
Chapitre I : L’intervention de l’Etat pour aider la Basse Normandie à rebondir 45
SECTION I : LE CONTENU DU PLAN SOCIAL___________________ 45
§ 1 Les mesures d'aide aux salariés _____________________________ 45
§ 2 Les cellules de reclassement _______________________________ 46
SECTION II : LA CONVENTION DE REDYNAMISATION, UN DISPOSITIF
VISANT LA REINDUSTRIALISATION________________________________ 46
§ 1 Les mesures de réindustrialisation ___________________________ 47
§ 2 L'intervention de sociétés de reconversion ____________________ 50
SECTION III : LA MOBILISATION DE MOYENS DE FORMATION _ 51
SECTION V : LE SUIVI DES ACTIONS__________________________ 51
§ 1 Un contrôle de l'Etat______________________________________ 51
§ 2 Les comités d’agrément ___________________________________ 52
CONCLUSION ______________________________________________ 52
Chapitre II: La dynamique des cellules face aux problèmes rencontrés par les
anciens salariés de Moulinex___________________________________________ 54
SECTION I : LA CELLULE EMPLOI, UNE COMPOSITION AXEE SUR LA
COMPLEMENTARITE _____________________________________________ 54
SECTION II : LE DISCOURS DE LA CELLULE ___________________ 55
§ 1 Le positionnement de la cellule _____________________________ 55
§ 2 Le discours tenu par la cellule à ses adhérents__________________ 55
SECTION III : LES ACTION DE LA CELLULE ___________________ 56
§ 1 Le suivi individuel _______________________________________ 56
§ 2 Les ateliers techniques de recherche d'emploi __________________ 57
§ 3 L’accompagnement dans le parcours pour l’entrée en formation ___ 59
84
§ 4 La collecte d’emplois _____________________________________ 61
SECTION III : LES FREINS VENANT ENTRAVER L’ACTION DES CELLULES
EMPLOI__________________________________________________________ 62
§ 1 L'aspect pervers des dispositifs d'accompagnement: _____________ 62
§ 2 La présence de catégories cumulant des handicaps freinant le reclassement
63
§ 3 La présence de freins conjoncturels __________________________ 64
§ 4 Le déficit d’image des Moulinex ____________________________ 66
§ 5 Les freins au reclassement propres à la cellule emploi ___________ 66
CONCLUSION ______________________________________________ 67
Chapitre III : La nécessité d’approches originales et spécifiques _______ 68
SECTION I LA PROXIMITE, UN MOYEN DE LUTTER CONTRE LES FREINS A
LA MOBILITE ? ___________________________________________________ 68
§ 1 : La mobilité, un frein au reclassement _______________________ 68
§ 2 L’intérêt de prospecter les entreprises artisanales _______________ 71
§ 3 La prospection des entreprises artisanales, une piste à retenir ? ____ 73
§ 4 Quelques axes de travail à retenir pour l’avenir_________________ 74
SECTION II : LE PROGRAMME COMPLEMENTAIRE DE MOBILISATION DES
SALARIE_________________________________________________________ 74
§ 1 Le repérage des personnes posant problème ___________________ 75
§ 2 Les actions en cours de mise en place ________________________ 75
CONCLUSION ______________________________________________ 76
CONCLUSION __________________________________________________ 77
BIBLIOGRAPHIE _______________________________________________ 81
SOMMAIRE ____________________________________________________ 83
85

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