Document numérique - Orientation Pays de la Loire
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Claire DESPREZ Université de Nantes Faculté des Sciences Economiques et de Gestion DESS Economie du Développement Local et de l’Emploi LES PROCESSUS D’EVOLUTION DES « BAS NIVEAUX DE QUALIFICATION » LE CAS MOULINEX Mémoire réalisé sous la direction d’Arnaud. DU CREST SEPTEMBRE 2002 1 2 INTRODUCTION 3 La reprise partielle du groupe Moulinex par Seb a entraîné, en Basse Normandie, la fermeture totale des sites de Cormelles le Royal, Falaise, Alençon et partiellement St Lô, laissant sur le chemin près de 3000 salariés, sans compter l’effectif du siège en Ile de France, et mettant en péril l’emploi de ceux qui travaillent dans les entreprises soustraitantes du groupe. On dénombre environ 330 emplois supprimés à Bayeux, 1283 à Cormelles le Royal et 323 à Falaise. La fermeture des sites Moulinex représente à la fois une terrible amputation du potentiel industriel, mais aussi un traumatisme social et psychologique. La mission qui m’a été attribuée, dans le cadre de mon stage effectué à la Mission de Revitalisation Sociale et Economique, consistait à élaborer des cibles préférentielles de prospection afin d’optimiser le reclassement des salariés de Moulinex. Mon premier réflexe a été de tenter d’identifier le profil de ces derniers, afin d’étudier les transferts de compétences possibles. Mais je me suis rapidement rendu compte des limites d’une telle démarche appliquée au reclassement des anciens salariés de Moulinex. Ma première difficulté a été de repérer précisément les compétences des personnes restant à reclasser, en fonction du poste qu’elles occupaient à la fermeture de l’usine. Les discours des acteurs du reclassement différaient: certains prônaient la polyvalence, la rapidité d’exécution des tâches et l’autonomie des « Moulinex », d’autres semblaient plus sceptiques quant aux réelles compétences de ces derniers. Ma réflexion s’est également heurtée à divers obstacles qui dépassaient largement le cadre des problèmes de mutations professionnelles et de transfert de compétence. Les changements de métier théoriques, à partir des aires de mobilité professionnelle initiés par l’ANPE, se sont avérés difficilement applicables au cas Moulinex, car bien trop éloignés de la réalité d’un tel reclassement. Il m’a donc semblé intéressant, de mettre en perspective les spécificités du reclassement de la partie de ces anciens salariés de Moulinex, que l’on qualifierait intuitivement de « bas niveaux de qualification », dans la mesure où il est difficile de leur attribuer des compétences précises. Le cas Moulinex s’inscrit au cœur d’un problème que notre société peine à résoudre, la reconversion d'adultes de faible niveau scolaire, ayant tenu durablement des emplois routiniers et sclérosants, classés au bas de l'échelle des emplois. 4 En quoi le reclassement de ces salariés pose problème? Les difficultés les plus grandes dans un processus de reconversion tel que celui de Moulinex relèvent-elles d’un niveau de qualification trop bas ou s’expliquent-elles par une situation infiniment plus complexe ? Lors de l'établissement du plan social, les syndicats ont axé leur négociation sur l'obtention d'une prime exceptionnelle au détriment de moyens financiers destinés à des outils de reconversion. En effet, il leur a été proposé de dégager une somme qui permettrait le financement de primes à l'embauche, mais cette offre a été refusée car elle amputait leur prime de 10 000 francs. Les syndicats ont sacrifié un outil de reclassement qui a fait ses preuves pour garder leur prime intacte. Ces choix, associés à la forte demande de dérogations pour mesures d'âge et pour le dispositif amiante, la moitié de la population concernée par le plan social ayant en moyenne plus de 25 ans d'ancienneté, ne révèlent-ils pas une volonté non avouée de ne pas reprendre le chemin du travail? Quel est l'impact des mesures proposées par les acteurs de la reconversion (l'Etat, les collectivités territoriales, les cellules de reclassement)? Apportent-elles des solutions pertinentes aux problèmes rencontrés par les salariés dans leur reclassement? Notre travail de recherche va s’organiser autour de deux parties : ⇒ La première partie comprend trois chapitres. Le premier chapitre présente le contexte de notre étude. Les précisions apportées sur le vécu des Moulinex avant la fermeture de leur usine nous apporterons un éclairage sur la suite de notre réflexion. Le deuxième chapitre vise à enrichir notre recherche d’outils conceptuels. Il commence par tenter de définir ce que l’on qualifie, dans le jargon de la formation et de la reconversion, les “ bas niveaux de qualification” et de mettre en évidence l'interaction entre l'organisation du travail et la construction des compétences de cette “catégorie”. Puis, nous mettrons en perspective les processus de sélection mis en œuvre sur le marché du travail. Etant donnée que la formule "bas niveau de qualification" contient l’idée que cette population poserait au reclassement un problème particulier, elle implique de caractériser la nature des problèmes rencontrés par les salariés Moulinex, ce que nous verrons dans la troisième partie de ce chapitre. ⇒ La deuxième partie concerne les solutions apportées aux anciens salariés de Moulinex, afin de les aider dans leur reclassement. Les deux premiers chapitres analysent les actions menées par les acteurs de la reconversion, un chapitre étant exclusivement 5 consacré aux cellules de reclassement. Le dernier chapitre propose des pistes pour l'action à mener à l'avenir. Nous allons ainsi procéder à une analyse de processus socio-économiques. La première partie se veut une analyse du construit social et historique qui entoure l’émergence d'une catégorie qui pose des problèmes de reclassement. La dimension psychologique qui apparaît dans le reclassement des anciens salariés de Moulinex est prise en compte dans notre étude, mais ne relève pas d’une analyse cognitive. L’effet des plans sociaux sur l’emploi est un problème d’actualité. En juin dernier, le gouvernement Raffarin jugeait insuffisant le bilan global des plans sociaux qui ont défrayé la chronique de ces dernières années et dont Moulinex fait partie: 15 contrats à durée indéterminée, pour les 526 licenciés par Bata en décembre 2001, 180 CDI pour les 2862 salariés inscrits dans les cellules de reclassement de Moulinex (en Basse Normandie) depuis janvier 2002, 80 reclassements (selon les syndicats) pour 600 suppressions d’emploi par Alstom-Belfort en mai 2001. Aux protestations, les spécialistes du reclassement opposent leur impuissance devant l’absence de qualifications, le manque de mobilité, le faible dynamisme du bassin d’emploi local, qui se combinent pour expliquer leur degré variable de réussite. A qui incombe “l’inefficacité” des plans sociaux ? Nous allons, à travers cette étude, tenter d’expliquer les raisons de ces bilans négatifs et donner des outils de réflexion permettant une meilleure compréhension du problème que posent de tels reclassements. 6 PARTIE I 7 CHAPITRE I : L’EFFONDREMENT D’UN PILER DE L’ELECTROMENAGER DES ANNEES 60 SECTION I : L’ERE MOULINEX Fondée il y a plus de 70 ans, la firme familiale s'est développée dans les 30 années de prospérité économique, (les fameuses trente glorieuses), après les années 50 et est devenu le leader dans les appareils ménagers, électroménagers et les divers équipement de cuisine. § 1 Une décentralisation dans « la chlorophylle » Quand le jeune ingénieur Jean Mandelet cherche, en 1937, à agrandir sa manufacture d'emboutissage créée cinq ans plus tôt à Bagnolet, il ne lui vient pas à l'idée de s'installer dans l'Orne. Mais l'une de ses secrétaires, Jeanne Cabaret, connaît une filature désaffectée dans sa ville natale. C'est alors le début d'une longue histoire entre Moulinex et la Normandie. Jean Mantelet commence par implanter, en 1937, à la filature d'Ozé, une ancienne manufacture de Chanvre et de textile à Alençon, l'usine de la SA "Le moulin-légume", basée depuis 1932 en région parisienne. En 1957, peu de temps après l'invention du premier moulin à café, la société prend le nom de Moulinex. Vont alors s'implanter sur le territoire bas normand, des usines Moulinex à Argentan (1958), Falaise (1960), Cormelles-le-Royal (1963), Saint-Lô (1971), Domfront(1973), Bayeux (1975), Carpiquet (1985). Les implantations de ces usines dans des petites villes de campagne, dans une région très conservatrice avec en arrière plan une forte influence catholique, ont permis à la firme de bénéficier d'une main d'œuvre docile et respectueuse, procédant des traditions agricoles. En effet, des milliers d'ouvrières ont été recrutées parmi les femmes et les filles d'agriculteurs de la région, que l'avènement du tracteur a rendues moins utiles dans les fermes1. Peu à peu, la génération Moulinex est ainsi née. "C'était tellement une référence incontournable dans la région qu'il n'y a pas une seule famille, depuis 1937, qui n'ait pas donné un ou une employé(e) à l'usine"2. "L'usine de Cormelles le Royal a eu également recours à de la main d'œuvre portugaise. 1 en 1945, plus de 30 % de la population française vivait de la production agricole, 10 %, 20 ans plus tard et moins de 5% aujourd'hui 2 Pierre Lepoitevin, ancien responsable de l'entretien des bâtiments 8 Les salaires y étaient inférieurs à ceux de la région parisienne (les salaires minimaux pouvaient être jusqu'à 20 % inférieurs à ceux de la région parisienne) et les collectivités locales donnaient des avantages divers pour attirer les industries qui, disaiton alors, se "décentralisaient dans la chlorophylle". § 2 Une entreprise paternaliste et familiale Tous ont connu le "père Mantelet", mort en janvier 1991. Tous ont fabriqué le moulin à café électrique que leur patron avait imaginé en voyant ses ouvriers garer leurs Solex devant l'usine. "Puisqu'on met un moteur sur une bicyclette, on peut en mettre un sur les appareils ménagers!" avait-il déclaré. Passionné par son entreprise, qu'il considérait comme son "unique enfant", Jean Mandelet faisait la bise tous les matins et interdisait littéralement tout licenciement. Il a d'ailleurs dirigé son entreprise jusqu' à 86 ans, âge de sa mort, sans envisager sa succession. "Il y avait une véritable culture d'entreprise chez nous. Monsieur Mandelet, le patron et fondateur de Moulinex venait parfois nous voir, sur les stands des foires. On ne le considérait pas comme le patron, c'était le papy". Cathy, ancien agent de production chez Moulinex. Moulinex était une entreprise très familiale, "les gens y entraient de père en fils. On avait tous un frère, un cousin qui travaillait là". "C'était là notre unique horizon. On démarrait dans la vie grâce à Moulinex. Mes filles ont également débuté ici." Marie-Claude, Agent de production chez Moulinex. Beaucoup de couples ce sont formés au sein de l'entreprise. Si on prend l'exemple de l'usine de Cormelles le Royal, 84 couples y travaillaient avant sa fermeture. Pour ses salariés Moulinex était bien plus qu'une entreprise dans laquelle ils travaillaient, c'était également un lieu de sociabilité. "On se connaissait tous(…) On travaillait, on mangeait, on faisait des activités ensemble, du sport, ou des voyages avec le comité d'entreprise. Quand l'un d'entre nous avait besoin d'un coup de main pour sa maison, on allait tous l'aider le week-end". Cathy, ancien agent de production chez Moulinex. Moulinex, c'était également le challenge omnisports Jean Mandelet, grande rencontre sportive annuelle, au cours de laquelle toutes les usines de Moulinex 9 s'affrontaient dans la convivialité sur les terrains et les salles de la ville organisatrice, mais aussi les divers challenges inter- entreprises (football, cross, ball-trap, cela variait selon les années) et les rencontres inter-ateliers sportives. § 3 De nombreux avantages Les anciens salariés de Moulinex ont connu un environnement de travail particulièrement confortable. Des mesures sociales importantes venaient renforcer leur salaire direct: ils pouvaient bénéficier de logements sociaux ou d'aides au logement3, de cars de ramassage gratuits, de remboursements kilométriques, de la cantine, d'une mutuelle. L'entreprise mettait également à disposition de ses salariés une assistante sociale, des infirmières et un médecin. Les salariés de l'usine pouvaient également profiter des réductions cinéma, des colonies de vacances, des voyages organisés et des sorties, de l'arbre de Noël du CCE. Le Comité d'entreprise était financé à hauteur de 0.1% de la masse salariale pour les frais de fonctionnement, somme à laquelle venait s'ajouter le budget "actions sociales et culturelles". Dans les locaux de l'usine de Cormelles le Royal, on trouvait un gymnase, des terrains de tennis, une bibliothèque, une ludothèque. Des services étaient également proposés au sein de l'usine comme le prêt de matériel d'entretien de la maison, à bas prix. De même, différents sports étaient proposés et pratiqués dans chaque usine. Dans les années 1980, par exemple, chaque usine avait sa section tennis de table. § 4 Une forte présente syndicale Les salariés Moulinex étaient représentés par six formations syndicales : FO, CFDT, CFTC, CGC, CGT et SYDIS. LA SYDIS est un syndicat maison issu de la scission de la CFDT. Ces formations syndicales défendaient activement les intérêts des ouvriers. Elles faisaient fortement pression sur la direction pour réduire le temps de travail. A la fermeture de l’usine, le temps de travail s’élevait à 31.50 heures par semaine. § 5 La formation chez Moulinex Créée en 1961, le Centre Professionnel de Moulinex est devenu, en 1961, l'Ecole Technique Privée Moulinex. Elle formait des professionnels à la sortie de l'école obligatoire, à 14 ans (des fraiseurs, ajusteurs, tourneurs, dessinateurs…) qui étaient 3 cf :« L’aide au logement en faveur du personnel », Le point de rencontre Moulinex, (novembre 1975), n°5 10 systématiquement embauchés après leur formation. Les trois principales disciplines enseignées étaient l'ajustage mécanique, l'électro-technique et le dessin industriel, auxquelles s'ajoutaient un ensemble de matières communes aux trois sections: français, mathématiques modernes, mathématiques classiques, hygiène, législation, économie, anglais, automatisme, mécanique, sport. Vers 1990, quand Moulinex a commencé à geler ses embauches, l'ETPM a été transformée en lycée professionnel: les deux premières années étaient organisées par le CFAI, les deux autres par l'ADFI (association pour le développement et la Formation Industrielle). En ce qui concerne la formation continue4, en 1984, le Plan d'Egalité des Chances a donné le coup d'envoi des formations générales au niveau du groupe. Dans le même temps, un accord d'entreprise relatif au déroulement de carrière du personnel de production était signé. C'est sur cette base qu'une politique de formation s'est construite dans tous les établissements. Les actions de formation pouvaient être sectorielles: de courte durée, elles étaient destinées à l'entretien et au perfectionnement des connaissances et s'adressaient à toutes les catégories professionnelles. Elles pouvaient également être générales: plus longues, elles étaient destinées à aider la progression des populations confrontées à un environnement de travail en grande mutation; remises à niveau, adaptation, qualification, tel était leur objet. Le Plan d'égalité des Chances a été suivi par les agents de production intéressés. Parmi les personnes engagées dans cette voie, certains ont atteint le niveau requis, passant ainsi d'un emploi d'agent de production à un poste d'ouvrière professionnelle, d'autres ont suivi la formation sans passer le CAP et sont donc devenu agent de production qualifiés, les autres ont obtenu le CAP d'électromécanique ou de tournage. Les réflexions qui ont suivi l'accord sur l'évolution de carrière du personnel de production, ont donné naissance à une formation intitulée "force 92". L'objectif de cette formation était, d'après A. Boennec, directeur du personnel et des ressources humaines du Calvados de l’époque, de "préparer le personnel aux mutations technologiques qui sont déjà en route dans l'entreprise et lui offrir des perspectives d'évolution professionnelle". 4 cf M.JULIENNE, (1989), « Formation : préparer l’avenir », Point de rencontre Moulinex, n°57, p21-24 11 Le programme commençait par une remise à niveau générale en calcul, français et une initiation à l'informatique, le but étant "d'apprendre aux gens à réapprendre"5. Puis les stagiaires étaient initiés à la mécanique, l'automatisme, la soudure, les techniques de plastique. Cette formation débouchait sur un CAP d'agent qualifié de production, diplôme mis au point avec l'AFPA. En 1996, le changement organisationnel issu du plan Blayau a produit des effets de requalification des ouvriers. La direction de M.BLAYAU a été marquée par l'arrivée chez Moulinex de cadres issus de l'équipementier automobile VALEO et/ou formés à la culture du système de Production Valéo (SPV), lequel a été transposé sous le sigle de Système de Production Moulinex (SPM). La plupart des salariés de lignes de montage et d'assemblage (qui comptaient 15 à 20 personnes) ont été regroupés en îlots6 de cinq à dix personnes. A travers cette réorganisation et la mise en place de méthodes industrielles (Kan-Ban7, Juste à temps8, 5 S9, Smed10) et de management (communication), les ouvriers du montage et de l'assemblage ont acquis des compétences de polyvalence, d'autonomie, de gestion de la qualité, de réactivité… La démarche SPM a introduit dans les usines "une culture de l'amélioration continue de la productivité" chez les encadrant de proximité, notamment les chefs de groupe, ainsi que parmi les opératrices d'assemblage, pour l'essentiel des femmes. § 6 Une certitude ancrée dans l’esprit des Moulinex, que le Groupe ne pouvait disparaître En 1996, Moulinex est élu marque du siècle par un échantillon représentatif de la population française. Symbole de la libération de la femme à en croire son slogan ("Moulinex libère la femme!") et synonyme de vie quotidienne confortable, Moulinex était devenu une marque incontournable dans le paysage français. Les publicités Moulinex baignaient ses salariés dans une sorte de certitude que l’électroménager ne pouvait disparaître. 5 A. Boennec, directeur du personnel et des ressources humaines du Calvados Petite usine à l’intérieur de l’usine avec ses clients et fournisseurs internes 7 Processus permettant de répondre aux besoins réels de la production grâce à un système de fiches envoyées au manutentionnaire chargé, en amont, de réapprovisionner la ligne. Le kanban("signe visuel en japonais" précise la nature des pièces, leur origine et leur destination 8 système d'organisation de la production qui permet de réduire les stocks à leur strict minimum. Les matières premières et les fournitures doivent pouvoir être livrées à l'endroit et au moment précis où elles sont demandées. 9 Eliminer/ranger/nettoyer-inspecter/ définir le standard/ respecter le standard, méthode d’amélioration du cadre de travail et de l’inspection des moyens 10 Méthode de changement rapide d’outils pour réduire la taille des lots 6 12 Comme les politiciens nationaux et locaux pouvaient se targuer d'avoir joué un rôle dans ces transferts industriels "en douceur" et en garantir quelques bénéfices, principalement la possibilité de trouver du travail dans sa région d'origine et ainsi d'y rester, il y persistait une croyance dans la possibilité que les politiques et les syndicats puissent influer sur l'évolution économique. Cependant, cette croyance s'est érodée peu à peu lors des tentatives successives d'adapter le process de production à la pression économique mondiale, ce qui signifiait pour les travailleurs la perte progressive de certains avantages, de plus dures conditions de travail et finalement différentes façons de diminuer les effectifs (non-remplacement des partants, retraites anticipées, utilisation des travailleurs temporaires ou à temps partiel, etc..) d'où un sentiment croissant d'insécurité. SECTION II : LA TRAGEDIE MOULINEX § 1 Une firme à la dérive Pourtant, derrière la belle façade, Moulinex, l'empire du petit électroménager est déjà attaqué par les fabricants asiatiques, et notamment les Coréens. Lorsque Jean Mantelet est terrassé par une attaque cardiaque, à 86 ans, aucune solution de reprise n'est prête. Les trois cadres les plus proches du vieil homme paralysé et aphasique se succèdent à son chevet pour le convaincre d'organiser un RES (rachat de l'entreprise par ses salariés). Dans cette atmosphère de fin de règne, ils luttent entre eux, parfois physiquement, pour lui arracher la direction. Quand Jean Mantelet meurt, en 1991, Moulinex est un bateau ivre, secoué par le rachat inutile et coûteux de l'allemand Krups : l'ultime péché d'orgueil d'un groupe en décadence. La pagaille est accentuée par les élus de Basse-Normandie, qui assurent parfois les fins de mois. Du coup, plus rien ne se décide chez le premier employeur de la région sans leur signature. Le président du conseil régional a même pendant longtemps siégé au conseil de surveillance : « Dans une maison à la dérive, sans véritable patron, on s'est tourné de plus en plus vers les politiques », reconnaît le sénateur Alain Lambert. Moulinex s'enfonce dans le rouge pendant que Seb, l'éternel rival, résiste et s'adapte à la concurrence en innovant, en délocalisant et en réalisant des gains de productivité. En Normandie, les inévitables plans sociaux, tardent tellement qu'ils ne redressent plus rien du tout. Quand Pierre Blayau, ex-président de Pont-à-Mousson et de Pinault-PrintempsRedoute, prend les manettes en 1996, il est consterné. Les prix de revient de Moulinex 13 sont de 30% supérieurs à ceux de Seb. Fort de ses soutiens politiques, notamment celui de Martine Aubry, il met en place un vaste « plan Robien » de réduction du temps de travail, moyennant de généreuses aides publiques. Malheureusement, un début de redressement est balayé par la crise russe, où le groupe réalisait près de 800 millions de francs de chiffre d'affaires, soit environ 10% de ses ventes. Pour sortir de ce nouveau bourbier, le patron n'aura plus qu'une seule obsession : marier le groupe à tout prix. Il sollicite Seb, qui refuse. Pendant l'hiver 2000, il accepte les avances d'El.Fi, un groupe financier familial, italien et fort secret, dirigé par Luigi Novicelli. Déjà propriétaire en France des machines, frigos ou cuisinières Brandt (Vedette, De Dietrich...), El.Fi va marier les deux sociétés. Le nouveau poids lourd pèse environ 2,6 milliards d'euros (18 milliards de francs) de chiffre d'affaires. Mais d'emblée cette union se présente mal : « Les Italiens se sont montrés épouvantables », affirme Alain Minc, exclu du nouveau conseil d'administration. « Les nouveaux propriétaires ne connaissaient rien à ce business, rien à la manière de diriger une société cotée en Bourse, rien au marché français », ajoute un ancien cadre. Plus grave : ils n'ont pas eu les moyens de leurs ambitions. Leur filiale Brandt était déjà mal en point. « C'est le mariage de deux canards boiteux. Ils n'avaient aucune chance de s'envoler », dit un ancien cadre du groupe. Après 800 millions de francs de pertes l'an passé, le groupe perd maintenant environ 2 millions de francs par jour. A la fin de l'été 2001, plombé par ses 5 milliards de francs de dettes, il a logiquement coulé, entraînant avec lui ses 22 000 salariés dans le monde, dont 11 000 salariés en France. § 2 Une longue et angoissante période d'incertitude quant à l'avenir de Moulinex Les travailleurs de Moulinex qui avaient déjà été alertés par moult plans sociaux et par la fusion avec Brandt furent laissés pendant sept mois dans une incertitude très angoissante, sachant qu’ils devraient faire face à une inévitable restructuration mais laissés dans l’ignorance totale de ce que serait sa nature et sa dimension. Le 25 avril 2001, la sentence tombe : le groupe Moulinex - Brandt propose le regroupement total des 16 usines françaises (11.000 travailleurs sur un total de 22.000 travailleurs européens) avec la fermeture définitive des deux usines les plus importantes en Normandie: 14 • Alençon (Orne), 1100 travailleurs, l’usine mère, la première à avoir été en activité fabriquant du petit électroménager dont la production serait en partie transférée au Mexique (fers à repasser). • Cormelles le Royal (Calvados) 1.300 travailleurs fabriquant des fours à micro ondes dont la production serait totalement abandonnée parce que perdant de l’argent et ne pouvant soutenir la concurrence asiatique. Les syndicats ne pouvaient faire autre chose que refuser ce plan de restructuration car les travailleurs des usines condamnées se mirent aussitôt en grève avec occupation. Jusqu’aux vacances du 21 juillet, toutes les usines Moulinex connurent une production chaotique et quelques-unes d’entre elles : Alençon, Bayeux, Cormelles, Falaise, toutes en Normandie étaient souvent totalement fermées et occupées. A la fin des vacances, la situation ne s’était guère améliorée même si les syndicats tentaient de reprendre le contrôle de la lutte, avec par exemple, une grève de 2 heures le 25 août. Durant la nuit du 29 août, l’équipe de nuit à l’usine d’Alençon recommença l’occupation érigeant des barricades pour bloquer l’entrée de l’usine. Les occupations recommencent ailleurs dans la plupart des usines Moulinex dont la production est alors totalement bloquée. La réplique du groupe Moulinex - Brandt, suite au refus du holding italien de mettre plus d’argent dans la restructuration envisagée avant les vacances, fut de se mettre en faillite. Les travailleurs étaient totalement abandonnés dans cette opération avec les syndicats et les autorités locales tentant de présenter des plans alternatifs pour maintenir les usines en activité, tous ces plans plus ou moins viables principalement parce que ni les uns ni les autres n’avaient de pouvoir de lever les contributions financières nécessaires pour les mettre une œuvre et certainement allaient à l’encontre de visées financières plus importantes. Il était bien évident, considérant les interventions étatiques ou multinationales dans les restructurations déjà évoquées qui se déroulaient au même moment à grand renfort de publicité (précisément parce que les médiations politiques ou syndicales pouvaient prétendre avoir trouvé une solution pour les travailleurs), que les possibilités d’action des travailleurs, étaient assez limitées si toutes les usines devaient être fermées en cas de faillite. Au même moment, dans une opération bien concertée le bruit était répandu, un peu partout dans les médias relayant les syndicats et les allées du pouvoir que l’entreprise pouvait être vendue, en tout ou en détail et que bien sûr il importait pour les travailleurs 15 de ne pas « décourager un éventuel repreneur : cela paraissait raisonnable » et, à l’appel des syndicats, toute grève et occupation cessait le 10 septembre 2001. L’opération commençait à accentuer leur angoisse démoralisante en les embarquant dans des spéculations sans fin sur la « confiance » qu’on pouvait avoir envers les prétendants à la reprise, alors qu’ils n’avaient en fait aucun moyen de juger de la solidité des dites propositions. Sauf de faire confiance à la parole des syndicats et des autorités qui n’avaient d’ailleurs pas plus de moyens d’en juger malgré leurs prétentions mais ce qui leur permettait de se remettre en selle dans un rôle qu’ils tenaient parfaitement dans cette tragicomédie. Ainsi depuis le 10 septembre et pendant plus d’un mois toutes les usines Moulinex étaient supposées travailler normalement mais pourtant avec des arrêts dus à de problèmes d’approvisionnement ou avec une production réduite ; les travailleurs réduits ainsi au chômage technique restaient indemnisés. Ils restaient, peut être sans trop y croire, persuadés qu’ils ne devaient pas troubler le « jeu de la reprise » même s’ils suivaient les sempiternelles manifestations de rue appelées et contrôlées par les syndicats pour « faire pression » en vue d’un règlement (sur lequel ils n’avaient pourtant aucun pouvoir). Les syndicats informaient régulièrement, avec commentaires, les travailleurs sur les hauts et les bas des négociations en cours pour donner aux travailleurs un nouveau patron. Après maints et maints palabres et de spéculations financières, l’administrateur provisoire accepta la dissociation des deux firmes Moulinex et Brandt et la reprise de Moulinex par son principal concurrent en France, le groupe SEB, Brandt restant dans le holding italien El-Fi. L’annonce de cette « fin heureuse » précisait que SEB était plus intéressé par les filiales étrangères de Moulinex, ce qui lui permettait d’avoir des bases de pénétration en Amérique du Nord et en Amérique du Sud ; comme SEB avait déjà des usines en France opérant dans les mêmes secteurs que Moulinex, il n’était pas difficile de prévoir ce qu’étaient les non - dits de l’accord de reprise. Pour les travailleurs de Moulinex c’était un nouveau plan de restructuration, plus ou moins la copie conforme de ce qui avait provoqué l’explosion de grève le 27 avril : ils avaient seulement changé de patron pour la mise en œuvre de la guillotine. Les deux principales usines du groupe, Alençon et Cormelles restaient définitivement fermées et les autres devaient subir des « dégraissements plus ou moins conséquents ». 16 § 3 La révolte des laissés pour compte Il ne leur restait plus qu’une seule issue alors qu’il était évident qu’ils ne pourraient plus empêcher la dislocation du groupe et les fermetures d’usines: se battre pour obtenir des indemnités de licenciement plus substantielles et des promesses plus sérieuses de reclassement. Le jour même de l’annonce de la reprise et des intentions du repreneur, les usines condamnées d’Alençon et de Cormelles étaient de nouveau occupées et bloquées. Comme les discussions menées par les syndicats et les actions ponctuelles légales ne conduisaient nulle part après 20 jours de palabres, les travailleurs de Cormelles le Royal prirent le mors aux dents et mirent en place spontanément une méthode radicale de lutte. Celle ci ne s’étendit pas à Alençon où la CFDT pouvait se prévaloir d’une plus grande influence qui lui permettait un plus grand contrôle et le maintien de la lutte dans ses limites légales. Le 13 novembre, les travailleurs de Cormelles (leur usine devant être fermée définitivement avec plus de 1100 licenciements) qui occupaient déjà l’usine empilèrent à différents endroits stratégiques de l’usine des produits inflammables (bouteilles de gaz, bidons d’essence, autres produits chimiques inflammables, etc..) et affichèrent clairement leurs intentions à la porte de l’usine avec une banderole proclamant fièrement : « Du fric ou Boum ! ». Et pour montrer leur volonté, ces travailleurs de Moulinex mirent le feu à certains bâtiments de « leur » usine. Personne ne tenta de les arrêter alors que les discussions continuaient avec les autorités pour tenter de régler « le problème ». Les différences dans les méthodes de lutte à Alençon et à Cormelles peuvent être vues dans le fait que la police n’intervint nullement à l’usine de Cormelles alors que dans le même temps, les mêmes forces de l’ordre intervinrent brutalement pour empêcher les travailleurs d’Alençon entraînés par la CFDT d’envahir le siège du MEDEF à Alençon ( c’était dans ce dernier cas, le type même d’objectif traditionnel de la part des syndicats). C’est sans doute l’action des travailleurs de Cormelles et certainement la crainte que leur méthode de lutte ne s’étende aux autres usines Moulinex qui accéléra le règlement du conflit, lequel intervint dans la semaine même. Cet ultime « plan social » accepté par tous les syndicats, à l’exception de la CFDT qui ne voulait pas perdre la face à Alençon pour avoir modéré les troupes, autorisait le redressement judiciaire à licencier 17 3.700 travailleurs sur 5.600 avec la fermeture définitive, entre autres, des usines d’Alençon et de Cormelles et des coupes sombres dans les autres usines. Les travailleurs devaient, en cas d’accord, évacuer immédiatement les usines occupées pour que la production puisse reprendre. Le montant des indemnités supplémentaires, n’étaient pas les mêmes pour tous les travailleurs, variant en fonction de l’ancienneté de 30.000 à 80.000 F. Soit environ 22 800 euros pour une ouvrière de base ayant trente ans d’ancienneté. Comme le « plan social » devait être accepté par les travailleurs en grève, cette division en fonction de l’ancienneté, fut accentuée par un vote par usine et non par un vote global. Le résultat du vote était en quelque sorte connu d’avance. Comme la CFDT avait refusé de signer le « plan social » en raison de sa position dominante à Alençon, elle ne pouvait faire dans cette usine autre chose qu’un baroud d’honneur sous peine de perdre la face ; ils maintinrent pendant quelques jours l’occupation tout en ne changeant rien à ses méthodes légales de lutte et continuant d’exercer le strict contrôle de cet ultime combat. Les salariés de l’usine de Bayeux et Falaise se sont, quant à eux, résignés au protocole d’accord impliquant la levée du blocus de l’usine. § 4 Les « Moulinex », une population à reclasser Aux termes du plan social, les anciens salariés ont reçu une prime additionnelle en complément des indemnités conventionnelles, d’autres mesures venant compléter le dispositif et un espace emploi a vu le jour dans chaque site fermé. Nous verrons plus précisément l’ampleur du dispositif mis en place dans la deuxième partie. En terme de qualification, parmi les personnes à reclasser, trois populations différentes étaient à distinguer11 : • Les outilleurs, régleurs, professionnels, techniciens et cadres dotés de diplômes et/ ou de qualification transférables • La part non diplômée des catégories précédentes ainsi que les opérateurs de montage-assemblage ayant appris sur le tas et/ ou mobiles dans l’usine, dotés de qualifications propres à Moulinex 11 cf F.GRINSBOURGER et B.ROY, (2002), Les conditions du reclassement des salariés de MoulinexAlençon, DS&O, p17 18 • Une population composée de salariés peu mobiles dans l’usine, fréquemment en inaptitude partielle (nombreuses déclarations de TMS) et n’ayant plus l’usage de la lecture et de l’écriture. A l’heure du bilan, les personnes dotées de qualifications transférables ont, dans l’ensemble, retrouvé facilement un emploi. En revanche, les deux dernières catégories citées ci-dessus, rencontrent des difficultés importantes de reclassement. Il est très tentant d’en conclure que le « bas niveau de qualification » de ces personnes est responsable de leur inemployabilité. Mais nous allons voir, dans le chapitre suivant, que cette explication est bien trop réductrice et que l’exclusion de ces personnes du marché du travail, relève de la convergence de différents phénomènes. 19 CHAPITRE II : L’EMERGENCE D’UNE CATEGORIE QUI RENCONTRE DES PROBLEMES DE RECONVERSION Nous allons voir dans ce chapitre, par quel processus une partie des anciens salariés de Moulinex se retrouvent éloignés de l’accès au marché du travail. SECTION I : « BAS NIVEAUX DE QUALIFICATION » UNE CATEGORIE PROBLEMATIQUE Depuis la fermeture de leur usine, de nombreux anciens salariés de Moulinex voient leur "niveau" rendu soudain responsable de la précarité de leur situation. Pourtant, hier, nul ne mettait en doute leur qualification: même si aucun diplôme ne l'attestait, ils étaient implicitement reconnus par leur employeur. § 1 Qu’entend-on par « Bas Niveau de qualification » ? Dans la mesure où, le système de la qualification codifie des prestations en travail repérées par l’intermédiaire de postes hiérarchisés, la population ayant un bas niveau de qualification est celle qui occupe les postes situés en bas de l'échelle des qualifications. La définition de cette population ne sera plus qu'une question d'échelle, selon qu'on choisira les nomenclatures socioprofessionnelles de l'INSEE, les grilles de conventions collectives et de curseur (à quel niveau place t'on la frontière qui sépare les niveaux bas des niveaux plus élevés). « La catégorie “ bas niveau de qualification ” désigne, en théorie, l’absence des compétences requises par les diplômes de niveau V. Mais cette notion est relative. Tous les employeurs n’ont pas les mêmes référents ni les mêmes finalités : une qualification reconnue dans un schéma organisationnel donné ne l’est pas nécessairement dans un autre. On peut d’ailleurs affirmer sans risque que, quels que soient nos diplômes, nos savoir-faire et nos compétences, nous seront toujours le “ bas niveau de qualification ” de quelques autres.(…) “ Bas niveau de qualification ” ne désigne pas davantage les chômeurs. Sont couramment désignés comme “ Bas niveau de qualification ”, les salariés d’entreprise que la direction n’entend pas nécessairement licencier, mais pour lesquels elle ressent l’urgence d’une formation »12. 12 définition H.LESUEUR 20 L’appellation “ bas niveau de qualification ” pose quelques problèmes de définition et de contenus, voire entraîne de la confusion. De même, « les notions de “ faible” ou de “ bas niveau”, entraînant des critères très variables en fonction de la référence choisie ajoutent encore à la difficulté »13. Elles ne permettent pas de construire une catégorie sociologiquement satisfaisante et ne renvoient pas toujours à une réalité quant à l’emploi occupé et l’activité conduite. Comme le suggérait un article publié dans la revue Education permanente « parler de "bas niveau ", n’est-ce pas un peu court »14ou socialement utile et facilitateur ? En effet, « en période de plein emploi, il n’y a pas de cela si longtemps, parlait-on de "bas niveaux de qualification " ? Cette notion même est tout à fait relative »15 et surtout utile pour expliquer ou légitimer les difficultés d’insertion. Durant de nombreuses années, l’appareil de production s’est contenté du “faible” niveau d’habiletés professionnelles d’un grand nombre d’opérateurs et que la “catégorie” dite des “ Bas niveaux de qualification” est apparue du fait de l’évolution de ce dernier. Dans un contexte de pénurie de main d’œuvre, l’adaptation des individus aux exigences de l’appareil de production a pu se réaliser sans poser de problèmes majeurs. L’adaptation rapide aux emplois ouvriers de masses paysannes au début de l’ère industrielle, de femmes pendant les deux guerres mondiales constitue des exemples historiques. C’est au contraire dans une situation de pénurie d’emplois qu’apparaît le vocable désignant les “ bas niveau ” dont les problèmes d’emploi se posent avec acuité. Afin de faire accepter comme inévitable des plans sociaux, certains secteurs largement utilisateurs, et en d’autres temps producteurs, de ce type de main d’œuvre eurent recours à cette “catégorie”. Dans la plupart des cas, ce qualificatif « appliqué à une personne généralement à son insu, ne correspond ni à un niveau de validation, ni à un type d’emploi, et pas d’avantage à une caractéristique personnelle. Sa seule validité correspondrait à la traduction momentanée d’une partie de la population confrontée à une nécessaire adaptation de nouvelles organisations de travail »16 . Il traduit également parfois, l’impossibilité des gestionnaires à trouver un emploi à tout le monde. 13 Introduction de C.VINCENT, (1993), Spécial « Bas niveaux de qualification », Revue de l’IRES, n°13, H.LESUEUR,(1993), Stratégie pour l'insertion professionnelle, Education permanente, AFPA n°7, juillet, p26 15 Ibid, p 25 et 26 16 Ibid, p 31. 14 21 L’appellation “bas niveau de qualification” a été, en grand partie, fabriquée pour nommer un groupe social diffus, mais surtout, pour servir le discours et les actions mises en place dans le cadre de modernisation et de restructuration de l’appareil productif. § 2 La catégorie "Bas niveaux de qualification", un héritage de l'histoire de la production Le qualificatif “bas niveau de qualification” est utilisé dans le langage courant pour désigner une certaine partie de la main-d'œuvre. Nous allons nous appuyer sur l’article de J.D Oester17 pour montrer qu’il résume une situation complexe, créée depuis des décennies par divers acteurs sociaux, en un qualificatif attribué à un acteur particulier. A/ Le système taylorien : un appauvrissement du contenu des taches L'organisation des bas niveaux de qualification s'est développée à partir du système taylorien: l'homme-ouvrier servait la machine dans le cadre d'une organisation tournée entièrement vers la production. Cette organisation était définie de façon technique et bureaucratique par le management à partir de ce qui était repéré comme mesurable et nécessaire à l'atteinte des objectifs de l'entreprise. L'épanouissement de l'ouvrier n'en faisait pas partie. On savait bien que le contenu des tâches appauvries nuisait à l'intérêt du travail, mais l'époque était convaincue que le bonheur de vivre viendrait avec l'abondance matérielle. Le plaisir de vivre avait quitté les ateliers, mais on allait le retrouver à la sortie, après la paie, et la durée de travail pourrait être réduite du fait de l'accroissement de la productivité. En fait, la durée du travail n'a pas été réduite de façon constante et le temps gagné a été utilisé pour produire d'avantage. La motivation était créée par des salaires élevés et par l'abondance de la main-d'œuvre, et la discipline était requise. Ce système a bien fonctionné pendant quelque temps, mais il a fini par se révéler moins intéressant. La dureté des temps et l'habitude de la docilité de la population laborieuse font qu'elle s'avère être malléable, d'autant plus facilement que cette population provient des régions rurales françaises, européennes ou africaines, et quelle n'a donc pas connu d'autres formes d'activité industrielle. L'idéologie productive aidant, la population ouvrière a épousé le modèle qu'on lui proposait et y a même trouvé ses habitudes, ses conforts et ses joies. La docilité et l'absence d'initiative requise a été obtenue. 17 J.D OESTER, (1992), "Bas niveaux de qualification: il s'agit des ouvriers ou d'un mode d'organisation», Education permanente, n°111, juillet, pp.107-119 22 Une telle main d'œuvre demandant toujours davantage d'assistance et de surveillance devenait plus difficile et plus lourde à conduire. Il a fallu renforcer l'encadrement de proximité en élevant ses effectifs et en les débarrassant de ces autres tâches, plus qualifiées, qui ont été affectées à des ateliers et services spécifiques. B/ Vers l’indigence intellectuelle Cette nouvelle organisation a provoqué l’émergence d’exécutants sans qualification, encadrés par une maîtrise à leur mesure, travaillant dans un univers technique administratif ou commercial échappant à leur entendement, sous la conduite d'un management technique qui déployait toute son ingéniosité et son talent pour empêcher les ouvriers de se tromper et de se blesser, les confinant ainsi dans une contribution plus passive. Progressivement, le recrutement des entreprises a pu devenir de moins en moins exigeant, jusqu'à leur permettre d'accueillir des analphabètes ou des étrangers sachant à peine s'exprimer en français et n'ayant parfois aucune culture technique. La déqualification des postes était telle qu’en huit jours, ces nouveaux ouvriers donnaient satisfaction sur un poste de travail ; quelques années plus tard, leur contenu d’activité avait peu varié, alors qu’ils montaient dans leur vie quotidienne des capacités supérieures. Les situations de vie quotidienne, en effet, prennent en compte à tout moment les nouvelles capacités acquises : en dehors de l’entreprise, l’écrit est proposé continuellement, même aux illettrés, et ne pas savoir lire est coûteux, ne pas savoir compter l’est plus encore. On peut dire que, par la variété des situations proposées et par le coût des situations d’aide, les situations de vie quotidienne épousent d’une certaine manière la dynamique de développement de la personne et l’amènent à se doter de capacités nouvelles. Mais de ces capacités, l’entreprise bien souvent ne sait que faire, et généralement, les ignore. Les postes de travail non qualifiés se caractérisent par une très faible durée de formation, destinée seulement à faciliter la prise en main du poste, et au cours de laquelle est montré au nouvel arrivant quel geste exécuter, à quel moment et quel résultat obtenir. Dans la plupart des ateliers organisés autour de postes de bas niveaux de qualification, on a intégré le faible niveau de connaissance générale des gens qui y travaillent voire leur méconnaissance de la langue française. Dans le secteur où la hiérarchie de proximité dirige sans expliquer, la faiblesse et l’imprécision de la 23 communication de la communication orale jointes à l’absence d’écrit utilisable font que notre homme doit s’outiller pour recueillir, dans ce qui lui est intelligible de son proche environnement technique et relationnel, les indices dont il a besoin. Il va ainsi se constituer de façon empirique, par essais et erreurs, un outillage d’informations et de moyens de facilitations basés sur sa perception de telle caractéristique de la tâche, qu’il mettra en relation avec telle procédure et avec telle réaction qu’il aura perçu de l’environnement. Il parvient ainsi à se construire un système de prévision qui lui permet de combiner outils, situations, temps et produits, le but étant de le placer en situation de sécurité en lui permettant de satisfaire les exigences de l’encadrement sans qu’il se mette en difficulté avec les autres ouvriers. C / Un système en désuétude Tant que la gamme de produits fabriqués par l'entreprise et la demande de la clientèle n'ont pas varié trop vite, et tant que les techniques utilisées dans les entreprises sont restées les mêmes sur de longues période, une telle organisation s'est montrée relativement efficace. Avec le durcissement de la concurrence, lorsqu'il a fallu diversifier la production et moderniser les moyens, ce type d'organisation ne pouvait plus vivre, et c'est au niveau du poste de travail que cette fragilité s'est révélée. La diversification des produits et l'irrégularité des flux de production auxquelles les entreprises ont été conduites, ainsi que l'arrivée d'installations industrielles réclamant la maîtrise de processus techniques plus avancés entraînent la disparition des organisations du travail basées sur l'emploi de la main d'œuvre peu qualifiée, et les ouvriers habitués à des postes de bas niveaux de qualification vont être les premiers à en souffrir. D'autant plus que l'entreprise, dans un premier temps, identifie presque toujours ses difficultés d'adaptation à la seule présence d'un personnel de faible niveau de connaissances de base. Or ce ne sont pas seulement les ouvriers de faible niveau de qualification qui sont un frein à l'évolution de l'entreprise, c'est aussi tout un dispositif de production qui s'est organisé autour de la sous-qualification des postes d'exécution. Lors de la transformation de ces organisations de bas niveaux utilisatrices d’un travail “scientifiquement” parcellisé, le qualificatif qui aurait du s’appliquer à la structure a été apposé sur les individus. En ce sens, on pourrait être tenté de conclure que « les Bas niveaux de qualification », ça n’existe pas. Qu’il n’existe que « des postes bas niveaux de qualification, ceux qui font appel à une part réduite des capacités généralement 24 présentées par un salaire moyen (…). Qu’il n’existe (que ) des gens enclavés dans le sous développement des organisations »18. Un dirigeant a plus vite changé de langage que ne se modifie la culture de ceux, ouvriers et agents de maîtrise, qui se conforment à l’ancien modèle depuis l’éternité de leur propre vie e de leur mémoire. Voilà pourquoi ceux là sont à la traîne. § 3 : Une appellation erronée, mais une réalité sociale L’appellation “ bas niveaux de qualification” s’avère peu signifiante ou ne l’est que dans sa fonction de discriminant social, comme stigmate d’incompétence et d’incapacités chroniques. Etre “ bas niveaux de qualification”, c’est aussi ne pas être autre chose. Toute classification génère une exclusion et ne peut rendre compte d’une personne. Figer ainsi un individu dans une catégorie ne peut que renforcer les mécanismes d’étayage qui vont à l’encontre de l’autonomisation prétendument recherchée. Néanmoins, cette appellation témoigne de l’existence dans et hors des entreprises, de travailleurs en difficulté face à des situations de travail qui se complexifient et qui font de plus en plus appel à la mobilisation de l’appareil cognitif ; même si « le postulat selon lequel les nouveaux emplois requièrent des compétences fondamentalement différentes de celles que possédaient les salariés dans les formes d’organisation du travail plus traditionnelles mérite d’être réexaminé attentivement en se gardant de tout déterminisme technique »19. La catégorie socioprofessionnelle existe et pose problème en matière d’emploi depuis plus d’une décennie puisque cette catégorie a vu entre 1982 et 1989 ses « effectifs d’actifs occupés se réduire de 15%, soit plus du double de la perte des ouvriers qualifiés(et que ) dans la seconde moitié des années 80 (…) les effectifs ONQ continuent de décroître en valeur relative et absolue »20. C’est sans doutes en son sein, mais pas exclusivement, que les travailleurs pouvant rencontrer des difficultés face aux évolutions du process de production se trouvent potentiellement en grand nombre, en tenant compte du fait que paradoxalement, « sur un nombre de 4 137 000 emplois non qualifiés en 1994 18 J.D OESTER, (1992), « "Bas niveaux de qualification »: il s'agit des ouvriers ou d'un mode d'organisation», Education permanente, n°111, juillet, p.112 19 J.PAILHOUS et G.VERGNAUD, (1989), Adultes en reconversion, Faible qualification, insuffisance de la formation ou difficultés d'apprentissage, Paris, La documentation française, . 20 L.TANGUY, (1991), Quelle formation pour les ouvriers et les employés en France?, Paris, La Documentation Française, p 69. 25 (les femmes) sont les plus nombreuses à occuper un emploi non qualifié bien qu’elles soient mieux formées que les hommes »21et qu’elles représentent 60 % de cette catégorie. Ce chiffre montre combien la menace « bas niveaux de qualification » pèse sur un très grand nombre d’actifs qui occupent des postes de travail qui ne requièrent pas de qualification apparente et normée. Menace d’autant plus forte que dans la population active, 9 260 304 22individus ne possèdent aucun diplôme ou le CEP ou encore le BEPC seul. Section II: les processus de sélection sociale dans le sphère du travail La constitution d'une catégorie "Bas Niveaux de Qualification" renvoie à la convergence de phénomènes étroitement liés. La configuration du marché de l'emploi et l'absence de revalorisation du statut social associé au passage en formation. § 1: Les processus de rejet de l'appareil productif De l’analyse des opérations de licenciements et de l’observation de la transformation de la structure des emplois au cours des trente dernières années, il ressort que les rejets sur le marché du travail ont principalement concerné les personnes qui occupaient les emplois les moins qualifiés. Les ouvriers ont été touchés et ont connu des difficultés de réinsertion liées à l’obsolescence de leurs qualifications. Mais les principaux flux d’inscription au chômage ont concerné les manœuvres, les O.S et les employés non qualifiés. A / Les différenciations sectorielles23 Dans un secteur comme l'automobile, le processus d'automatisation a conduit à la fois à comprimer fortement les effectifs et à conserver uniquement la main d'œuvre considérée comme la plus apte à s'adapter aux nouveaux postes de travail; compte tenu de l'organisation de la production (forte taylorisation) et des modes de gestion de main d'œuvre antérieurs (par exemple, recrutement massif d'immigrés), ce processus a conduit à mettre au chômage une population qui, dans la majeure partie des cas, ne pouvait que connaître de graves difficultés de réinsertion. 21 A.BIHR et R.PFEFFERKORN, (1996), Hommes, femmes, l’introuvable égalité, Edition de l’atelier, p 77. Enquête sur l’emploi 1995, INSEE, p.107 23 cf J.PAILHOUS et G.VERGNAUD, (1989), Adultes en reconversion, Faible qualification, insuffisance de la formation ou difficultés d'apprentissage, Paris, La documentation française, p 24 22 26 Dans d'autres secteurs, les mécanismes de rejet sont plus complexes à appréhender. Dans le textile par exemple, il y a eu à la fois de nombreuses fermetures d'établissements et de nombreuses créations. Le processus de vulnérabilité des "bas niveaux" y est donc différent de celui de l'automobile. D'autre part, malgré l'automatisation de ce secteur, y subsistent des besoins importants en main d'œuvre peu qualifiée (notamment chez les sous-traitants ou dans les ateliers de confection de petite taille capables d'adapter très rapidement la production à la demande. Ces modalités de gestion sectorielle de la main d'œuvre ne sont pas sans incidence sur les caractéristiques même de la population des chômeurs et expliquent pour une part leurs difficultés de réinsertion. B/ Les différentiations selon les catégories de main d'œuvre Au delà de cette dimension sectorielle, certains mécanismes plus globaux du fonctionnement du marché du travail influent directement sur les caractéristiques des populations touchées par le chômage. La vulnérabilité de la main d’œuvre âgée, par exemple, ne s’explique pas seulement par des raisons telles qu’une santé déficiente ou l’obsolescence d’une qualification. Comparativement à d’autres pays, où les syndicats exercent un certain contrôle sur les procédures de licenciement, les entreprises françaises font souvent supporter les licenciements par les personnes les plus âgées. En France, les salariés sortent tôt (58 ans et demi) du marché. Le taux d’activité des 55-59 ans n’est que de 48, 1 % (contre 75 % entre 50 et 55 ans), le douzième d’Europe. La mise en œuvre à grande échelle de dispositifs de préretraites financées par la collectivité et le développement des mesures visant à encourager l’embauche des jeunes a accentué la tendance et a contribué à l’accélération des effets de substitution d’une main d’œuvre jeune à une main d’œuvre âgée. De plus, le recours de plus en plus systématique à des formes de flexibilités « externes », comme le CDD et l’ajustement des effectifs au plus près des besoins des entreprises, joint à la tendance à se détacher de la main d'œuvre âgée, accroît la sélectivité au chômage. 27 § 2 Les processus de sélectivité à l'embauche Ce ne sont pas tant les caractéristiques individuelles de personnes labellisées « bas niveau » qui permettent de comprendre leur exclusion plus ou moins durable de l’emploi que les processus de sélection sur le marché du travail. Il existe de la part des recruteurs, et de façon plus générale des gestionnaires qui évaluent la qualité du travail, une tendance à des comportements de sur-sélection qui créent des problèmes de chômage. Pour démontrer les mécanismes qui engendrent une sélection à l’embauche, nous allons nous appuyer sur l’analyse de F. EYMARD-DUVERNAY, lors de son intervention, au colloque sur les difficultés de recrutement. A/ Le problème de l’information Bien qu'étudié par les économistes français, ce problème a été particulièrement approfondi par les économistes américains qui l'ont qualifié de "problème de la discrimination statistique". Ce problème relève d'un mécanisme cognitif simple: quand l’information est coûteuse et difficile à obtenir, l’évaluateur a tendance à se fier à des données immédiates, observables telles que le sexe, l’âge…qu’il croit corrélées à la qualité du travail, pour prendre sa décision. D’où l’enclenchement de processus de discrimination qui peuvent expliciter la persistance du chômage. Ces problèmes informationnels liés au coût de l’information, à la pénurie de l’information, vont créer des biais d’évaluation qui ont des conséquences sociales importantes et qui vont aussi rejeter vers l’inemployabilité. Si l’on fait des comparaisons internationales, on s’aperçoit que le marché français du travail, par rapport au marché anglais en particulier, est sous-équipé au niveau des intermédiaires des systèmes d’information. B/ Le problème de valeur L’évaluation d’un candidat à un emploi est conditionnée par une conception de la qualité du travail. Un bon travail dépend d’une convention pouvant varier d’une entreprise à l’autre, d’un pays à l’autre et évoluer dans le temps. L.Boltanski et Eve Chiapello nous montrent, dans Le nouvel esprit du capitalisme24, qu’une nouvelle convention du travail, liée à des transformations profondes des modes de gestion de l’entreprise, émerge depuis 24 L.BOLTANSKI, E.CHIAPELLO, (1999), Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 843 p 28 une vingtaine d’années. On est passé de l’entreprise institution, de type fordienne à « l’entreprise en réseau ». Avant, l’évaluation du travail était fondée sur des postes de travail; maintenant, les postes sont rendus flexibles compte tenu des incertitudes de l’environnement et on assiste à l'émergence de la logique compétence. Chaque emploi est décomposé en compétences qui peuvent être recomposées de façon flexible. L'appui sur un profil de poste n'est donc plus une méthode d'évaluation puisqu'on suppose que les postes ne sont pas stables. Repérer les habilités est fort complexe et exige un travail d’observation et d’analyse précis des situations de travail car ces compétences objectives non objectivées (donc non reconnues socialement) qui ne se disent que rarement comme telles et se présentent rarement sous la forme classiquement appréhendable du savoir (codifié) et répondent essentiellement à une logique pratique25. Les nouveaux principes d'évaluation n'étant pas clairement identifiés et pas encore instrumentés, on assiste à des dérives. Le rôle excessif donné au diplôme comme compétence générale, compétence à se former à toutes nouvelles compétences, en est un exemple. Dans la mesure où elles en ont le choix, les entreprises qui recrutent préfèrent des candidats plus diplômés, réputés plus compétents et plus adaptables. On se focalise sur des pseudo qualités générales telles que le "savoir-être" ou les capacités de communication qui sont censées pouvoir ouvrir à toutes les compétences. « on peut penser ainsi que, au bout du compte, certains employeurs (et pas seulement eux) sont certainement victimes de leurs représentations très scolaires de ce qu’est un être « qualifié » et des manières dont on peut certifier l’existence d’une qualification »26. Les formes de sélection s'exerçant à l'encontre des salariés résultent donc de "la difficulté à décrire et à désigner les compétences qui doivent être acquises sur d'autres modes que le mode scolaire traditionnel (…) la difficulté à trouver des formes de validation (ou de certification) d’acquis qui ne peuvent se mesurer en termes de connaissances disciplinaires ou en terme de maîtrise de raisonnements formels"27. Le processus de sélectivité à l'embauche tend à privilégier un niveau formel de formation au détriment de l'expérience, les compétences générales et les capacités supposées d'adaptation au détriment des savoir-faire et des compétences professionnelles. 25 B . LAHIRE, (1993), « La raison des plus faibles », Presse universitaire de Lille, p 55-56 « La raison des plus faibles », op.cit. p55-56 27 F.Eymar Duvernay 26 29 Des décisions politiques importantes ont été prises ces dernières années. La formation étant perçue comme la solution à tous nos maux, on s’est convaincu de la nécessité d’augmenter le niveau de formation, en plaçant la barre au niveau du bac à 72, 74 ou 80% d’une classe d’âge en formation initiale. Cela explique en partie les premières statistiques sur le chômage de longue durée révélant que les salariés ayant occupé des emplois classés au bas de l’échelle des emplois formaient une part grandissante d’un chômage d’exclusion. Et que non seulement il y avait un problème de reconversion des OS des industries traditionnelles, non seulement il y avait un problème général lié à la réduction des postes de travail peu qualifiés dans l’industrie et dans le tertiaire, mais au surplus, on assistait à des licenciements de substitution, où des salariés d’age intermédiaire, détenteurs d’une compétence jugée obsolète, étaient remplacés par des jeunes de plus haut niveau scolaire, ce que l’on a appelé les OS bacheliers. Bref, une tendance lourde à la sélectivité sur le marché du travail au détriment d’adultes peu qualifiés, certes expérimentés, mais dont la compétence était jugée peu transférable. Si les sociétés de recrutement sur-évaluent les compétences nécessaires, ce raisonnement est peu adapté aux entreprises d'intérim qui font le contraire actuellement. Celles-ci ne trouvent plus les compétences nécessaires pour les emplois qui leurs sont demandés et envoient donc vers les entreprises des travailleurs en les sur qualifiants ce dont se plaignent très fortement les employeurs qui les accueillent. Cependant, les sociétés d'intérim contribuent également à une sélection de la main d'œuvre en privilégiant les personnes immédiatement opérationnelles et expérimentées. C/ Les comportements des entreprises en matière de mobilité et de qualification de la main d’œuvre Les observations faites par le LAST, dans une vingtaine d’entreprises, mettent en évidence que, contrairement à la perception courante, elles opèrent, chaque fois qu’elles le peuvent, une « transformation qualifiante des “bas niveaux de qualification” plutôt qu’une politique de substitution. D’abord parce que « le développement des compétences attendues des “bas niveaux de qualification” relève plus souvent, semble-t-il des “petits pas” que des “grands bonds”…les évolutions nécessaires n’impliquent pas une embauche massive de main-d’œuvre diplômée en remplacement de la main-d’œuvre non qualifié en place…Une politique d’appel systématique à une main-d’œuvre diplômée comporte le risque d’aboutir à une situation critique de surqualification, une fois maîtrisés les changements techniques et organisationnels engagés. Cette surqualification 30 est source de dysfonctionnements bien connus : turn-over, démotivation, revendications salariales alors que la main d’œuvre en place qui a acquis une qualification en interne apparaît souvent captive de l’entreprise… Le plus souvent, les entreprises se bornent à opérer une substitution “en douceur”à l’occasion des départs en retraite et des démissions…La transformation qualifiante ne concerne en effet, dans bien des cas, qu’une partie de la main d’œuvre non qualifiée, ce qui donne aux entreprises la possibilité d’organiser une sélection interne aux « bas niveaux de qualification ». Cette préférence pour une politique de transformation qualifiante s’explique aussi par « l’importance affirmée du consensus social, de l’identité de l’entreprise construite autour d’une même culture…Une politique de substitution , outre le risque du conflit social et de dégradation de l’image de l’entreprise qu’elle fait courir, peut amener un clivage jeunes/vieux au sein même d’un atelier ou entre différents ateliers, générateur de tensions et préjudiciable à l’adhésion au projet d’entreprise. »28 Mais seules les entreprises qui connaissent une croissance ou une stabilité de leurs effectifs peuvent pratiquer une transformation qualifiante. La formation des salariés tenant ou ayant tenu un emploi classé au bas de l'échelle des emplois intervient le plus souvent à titre curatif, voire "thérapeutique", bien plus qu'à titre préventif. Dans la majorité des cas, les salariés accèdent à la formation suite à la perte de leur emploi. On sait en effet que les salariés non ou peu qualifiés ont beaucoup moins de chances, d'après les statistiques, de bénéficier d'une formation dans l'emploi que les salariés qualifiés. Les entreprises qui sont contraintes de licencier rejettent en priorité sur le marché de l’emploi la main d’œuvre la moins qualifiée. Celle-ci se trouve alors placée en situation de compétition pour les emplois face à une main-d’œuvre mieux formée. Dans la mesure où elles en ont le choix, les entreprises qui recrutent préfèrent des candidats plus diplômés, réputés plus compétents et plus adaptables. Ces observations ont un double intérêt. Elles montrent le caractère déterminant de ce que F.Stankiewicz appelle « la contrainte globale de l’emploi » dans les processus d’exclusion. Sans qu’il soit nécessaire d’invoquer des pratiques de gestion de maind’œuvre particulièrement préjudiciables aux BNQ, le simple jeu des restructurations et des licenciements dans un contexte de diminution des besoins en main d’œuvre, suffit à 28 F.STANKIEWICZ, R.FOUDI, M.H TRELCAT, Les « bas niveaux de qualification », l’entreprise et le marché du travail : l’impact de la formation, (LAST) 31 expliquer le rejet progressif des personnes les moins qualifiées sur les franges du marché de travail. Elles montrent qu’il n’est pas non plus nécessaire de faire appel à l’inadaptation de cette main d’œuvre aux exigences découlant des mutations technologiques pour comprendre leur maintien dans une situation de chômage prolongé ; c’est parce qu’elles se sont trouvées dans une entreprise ou dans un secteur soumis à des mouvements importants de restructuration qu’elles n’ont pu bénéficier d’une adaptation de leurs compétences et que leur infériorité dans la concurrence pour les emplois s’est trouvée, en quelque sorte, « révélée » à l’occasion de leur licenciement. Les politiques publiques visant à freiner les processus d’exclusion ne peuvent avoir d’effets importants que si elles agissent de manière structurelle sur les conditions de mobilisation et de qualification de la main-d’œuvre. Par exemple en intervenant résolument en amont des processus de restructuration et en favorisant des processus de gestion anticipée des compétences, sans attendre la mise en chômage. Mais aussi en encourageant la mise en place de formations qui ne visent pas seulement l'adaptation immédiate aux changements techniques mais aussi l'acquisition de compétences transférables dans d'autres entreprises, au cas où les salariés auraient à subir l'épreuve de la mobilité externe. Dans cette perspective, la formation des adultes peu qualifiés ne devrait plus être conçue selon une logique "d'écarts à combler" ou de "déficits à rattraper" mais plutôt selon une logique de développement d'aptitudes et de capacités d'adaptation à des situations professionnelles variées. « Il faut imposer la formation tout au long de la vie, inciter les entreprises à une meilleure gestion prévisionnelle des effectifs. On entend encore trop souvent de discours du type : les plus de 50 ans sont trop chers et ne peuvent plus s’adapter » Tant que la pression sociale et politique continuera à exiger de l’appareil de formation qu’il trouve massivement des solutions de type curatif à des problèmes qui n’ont que très partiellement pour origine des difficultés d’apprentissage des adultes peu qualifiés, il n’y aura pas lieu de s’étonner du faible « rendement » des actions engagées. CONCLUSION La notion de “ bas niveaux de qualification” s’est donc développée dans le cadre d’organisations centrées sur les postes de travail à contenus appauvris. Elle s’applique à un état de fait constitué d’après une représentation des besoins qui prévalait à une période de l’histoire de notre société, et dans le système de valeurs qu’ont bâti là-dessus des gens 32 de notre époque, les uns en organisant le monde, les autres pour s’y conformer, tous de la façon qui leur paraissait la plus intéressante pour eux.29 Il est évident que les gens présentent des capacités actuelles et potentielles différentes les unes des autres, pour des raisons où le culturel et la génétique ont leur part. Mais l’amenuisement culturel et cognitif qu’on observe chez les salariés confinés de longues tâches dans des tâches de bas niveau de qualification est d’une autre nature : il est le résultat d’une situation professionnelle dont les personnes n’ont pas pu ou n’ont pas su se dégager à temps, et qu’aucune pratique philosophique ou culturelle n’est venue compenser. Par ailleurs, les travailleurs ne sont complètement identifiés ni par le poste qu’ils occupaient, ni par le savoir précis qu’ils possèdent, ni par le temps ou le mode d’apprentissage qu’ils ont reçu, mais sont désignés par le mouvement d’ensemble du système industriel. On devient bas niveau de qualification lorsque le nombre d’emplois diminue, et en premier lieu ceux auxquels on peut le plus rapidement prétendre ; on le devient lorsque la qualification générale des travailleurs disponibles sur le marché s’accroît ; on peut le devenir lorsqu’on est trop vieux, ou femme, ou immigré, et ceci avec les mêmes compétences et les mêmes savoirs qui permettraient, dans d’autres circonstances, de réussir une reconversion ou une requalification. L'émergence de l'expression "bas niveaux de qualification" inégalement répandue selon les types d'acteurs, les institutions et les contextes d'action traduit un ensemble de difficultés rencontrées par les praticiens de l'emploi, du placement, de l'orientation, de la formation et de la reconversion. 29 J.D OESTER, (1992), « "Bas niveaux de qualification ”: il s'agit des ouvriers ou d'un mode d'organisation», Education permanente, n°111, juillet, pp.117 33 CHAPITRE III LES PROBLEMES RENCONTRES PAR LES AGENTS DE PRODUCTION DE MOULINEX Nous avons vu précédemment que la catégorie “ bas niveaux de qualification” échappe à toute définition scientifique et qu’il est alors vain de vouloir en déterminer les contours. La catégorie indéfinissable des bas niveaux de qualification ne peut se comprendre que si on l’analyse comme une catégorie opératoire dans les pratiques et en approfondissant ce qui, dans ces pratiques, “fait problème”. Nous allons donc nous interroger sur la nature des difficultés rencontrées, identifier les éléments qui posent problème dans le reclassement des agents de productions de Moulinex. SECTION I: LE PROFIL DES PERSONNES RESTANT A RECLASSER EN MASSE Restent à reclasser, majoritairement des femmes, agents de production, âgés en moyenne entre 45 et 50 ans. § 1 Une population aux compétences, pour une large part, « invisibles », bien qu’existantes « J'ai suivi mon cousin à l'école Moulinex, à coté de l'usine. Destinée aux garçons essentiellement, elle formait des techniciens. A l'époque, Moulinex n'en trouvait pas dans la région. J'y suis entré à 14 ans et demi, après la cinquième. C'était en 1969. A l'école, la partie pratique était assurée par des ouvriers. En sortant de là, avec le CAP en poche, on était sûr d'être embauché dans une usine Moulinex (…) Je suis entré à l'outillage, là ou on fabrique les moules qui servent à fondre les pièces des fers à repasser ou des cafetières. Et j'y suis resté. » A / Des compétences non reconnues La majorité des ouvriers ont une formation initiale de niveau VI, ce qui correspond au Certificat d'Etudes, certains ont le BEPC. Parmi eux, certains ont perdu l’usage courant de la lecture, de l’écriture et du calcul. Comme nous pouvons le constater, avant le plan Blayau, la formation continue s'inscrivait dans une démarche personnelle et volontaire. Le plan Blayau a permis d'initier 34 une partie du personnel à l'amélioration continue. Même si, à la fermeture des sites, le management de proximité n'en était qu'à ses débuts et la polyvalence se cantonnait à la maintenance de premier niveau, les anciens salariés de Moulinex n’en ont pas moins acquis des compétences transférables. La grande majorité des salariés n'a connu que le groupe Moulinex, l'ancienneté moyenne étant de l'ordre de 25 à 30 années. Ces anciens salariés ont connu, au cours de leur longue carrière chez Moulinex, des postes très divers sur des sites-intégrés, et donc offrant une grande diversité de postes. Ils ont parfois même été mobiles sur d’autres sites, dont ou vers lesquels ils ont été mutés, ou parfois temporairement déplacés. Les usines Moulinex étaient des usines intégrées qui ont longtemps fonctionné sur un mode quasiment "autarcique", comme de nombreuses usines fonctionnant à l'époque sur un mode "fordien". Les sites fabriquaient eux même leur énergie, leurs machinesoutils, les moteurs des articles électro-ménagers. Ils rassemblaient donc de très nombreux métiers et process industriels. Ils possédaient des bureaux de Méthodes et d'Etudes. L'externalisation progressive des produits, de métiers et de process, de sous-ensembles (moteurs) par sous-traitance, redistribution entre les sites Moulinex ou délocalisation a réduit le spectre des compétences valorisées (les ex Moulinex disposaient de compétences qui n’étaient plus valorisées à la fermeture du site). Une part importante des compétences acquises au fil de trajectoires diversifiées et des changements organisationnels n'a pas fait l'objet d'une reconnaissance, ni à travers des diplômes, ni à travers des certifications (ainsi de la polyvalence et des débuts de polycompétence acquis à travers la démarche SPM, Système de Production Moulinex). L'apprentissage sur le tas et en alternance n'a donc pas toujours donné lieu à des diplômes reconnus à l'extérieur. De plus, parmi les personnes ayant suivi ces formations, certaines n'ont pas obtenu de diplôme, même si l'on peut penser qu'elles avaient le niveau requis. La représentation d’une population relativement âgée et formée essentiellement sur le tas ne doit pas être réduite à celle d’ “une population sans qualification”. Les changements d’affectation, d’équipes, de postes de travail, de produits et de modèles, de rythmes de travail et de formes d’organisation témoignent d’une capacité d’adaptation. De même, au cours de leur parcours au sein du groupe, les salariés ont acquis une relative polyvalence et des capacités de travail collectif. 35 B / Une difficulté à valoriser ses compétences Non seulement, les compétences de ces agents de production sont plus diversifiées que ce que traduisent les qualifications, mais, en plus ces derniers éprouvent des difficultés à les valoriser. La majorité des adhérents des cellules parviennent difficilement à expliquer ce qu'ils faisaient quand ils travaillaient chez Moulinex. Pour eux, "expliquer", c'est faire voir, montrer, et non dire des choses formalisées et d écrire des procédures détachées de l’effectivité du métier. Les anciens agents de production ne sont pas dénués de connaissances théoriques mais la manière dont elles ont été acquises, c'est à dire en dehors de toute explicitation verbale et de tout retour théorique sur la pratique, n'emprunte pas nécessairement le détour d'un langage technique. Ils éprouvent donc des difficultés à effectuer le travail de symbolisation ou de formalisation à partir des éléments acquis par la pratique. Il semble donc nécessaire d'aider les adhérents des cellules à expliciter les savoirs qui étaient mobilisés dans leur activité antérieure et ainsi de leur permettre de passer d'un "savoir faire" à un "savoir dire". § 2 Une expérience professionnelle circonscrite à l’entreprise Moulinex La plupart du personnel n'a connu que le groupe de Moulinex au cours de sa carrière professionnelle, l’ancienneté moyenne étant de l’ordre de 25 à 30 ans. Sa culture est donc mono-entreprise et de surcroît celle d’un grand groupe. Par conséquent, ils ont une mauvaise connaissance du marché du travail et de ses contraintes, ainsi qu’une réelle appréhension à le découvrir. De plus, on peut constater de leur part, une réelle difficulté à appréhender l’intégration de structures de taille réduite, nécessitant plus de polyvalence et surtout une implication différente dans les relations internes. De plus, ils ont tendance à rejeter ce type de structures (PME-PMI), qui induit une perte en terme d’avantages sociaux. Enfin, ils n'ont pas été préparés à la confrontation aux changement du monde du travail: la précarisation des emplois, les temps partiels, et l'éclatement des lieux de travail, la baisse des rémunérations des postes de travail les moins qualifiés (engendrée par la mondialisation et l’emploi précaire). On remarque donc une résistance à appréhender des contrats de travail notablement différents, notamment en termes de conditions de travail (refus de travailler le week end), de rémunération et de classification. 36 "J'ai travaillé chez un sous-traitant. Il a fallu se battre pour obtenir une pause déjeuner de 30 minutes! Et en plus, on nous mettait une pression infernale. Je suis travailleur, mais je ne veux pas être un esclave." Jean, 45 ans, ancien salarié de Moulinex30 Les anciens salariés de Moulinex s’avèrent également peu mobiles, en particulier les personnes de premier niveau de qualification. Leur recherche se limite, selon les cas, au canton ou au département. Certaines personnes évoquent le fait qu'elles "n'aiment pas conduire", d'autres appréhendent de parcourir les routes sinueuses en hiver… § 3 Une population affaiblie par la fermeture des sites A / Une population sous "état de choc" Les salariés de Moulinex ont, dans l'ensemble été choqués par la brutale fermeture de leur usine. La fermeture des sites Moulinex a provoqué un sentiment de révolte. "Le 11 septembre, le "jour des tours", il était 11h30 quand on nous a dit que Moulinex, c'était fini. A 12h, on devait quitter l'usine. On nous a renvoyé comme des malpropres, après 30 ans de boîte". Nicole, ancienne salarié de Moulinex. Les ex-Moulinex se voient privés de leur dignité de travailleur, de l’estime de soi, du sentiment d’être utiles et leur place dans la société. La fermeture de l’usine représente pour eux, une rupture et un traumatisme que l’on a effacé derrière les impératifs économiques et financiers, les diktats de la modernisation, les nouvelles règles du jeu de la mondialisation. B / La difficulté à faire le deuil « Comment voulez-vous faire le deuil du travail de toute une vie ? »Jean-Luc, régulateur de machine pendant 17 ans. "Tirer un trait sur vingt ans de boulot ne se fait pas du jour au lendemain. La plupart des gens que je vois n'imaginent même pas qu'ils puissent faire autre chose. Leurs repères se sont subitement effondrés(…)". Daniel Tihay, responsable formation. Pour accéder à un transfert de compétences, la personne concernée doit faire le deuil de son identité professionnelle. Ce n’est pas facile pour un ouvrier chômeur qui s’accroche à ce qui lui reste de son image professionnelle, sa compétence. Le travail de deuil de son image professionnelle peut durer longtemps, plus d’un an, deux ans, trois 30 "Le reclassement des Moulinex au ralenti", Ouest France, 6 septembre 2002, p 5. 37 ans. Cette durée exige un accompagnement fidèle, d’autant plus que le changement d’image va souvent vers une disqualification sociale31. C / Un manque de d’assurance, de confiance en soi On peut déceler chez les anciens salariés de Moulinex une absence d’autonomie liée à un travail fortement prescrit, assorti de nombreux interdits. Ces difficultés participent également d’un apprentissage sur le tas, au coup par coup, dans et par le travail, que la grande majorité des Moulinex a connu dès l’adolescence où ils sont entrés à l’usine, au sortir de la scolarité obligatoire, et dont ils ont évidemment un grand mal à se défaire. Cette longue expérience dans un même endroit, imprime chez beaucoup une image négative d’eux même, en tant qu’ouvrier d’usine, et parce qu’ils ont quitté l’école très jeune, renforce, chez eux, une absence de confiance. D / Un niveau élevé de crainte et d’appréhension quant à l’avenir Moulinex était pour ses anciens salariés bien plus qu’un simple lieu de travail, c'était également pour eux un lieu de sociabilité. Toute l'organisation de leur vie gravitait autour de cette entreprise. De plus, le personnel Moulinex a connu un environnement de travail particulièrement sécurisant avec des mesures sociales internes importantes qui venaient renforcer le salaire direct, un encadrement fort et le soutien régulier des représentants du personnel et des organisations syndicales, qui étaient particulièrement présents dans la vie de l’usine. Lorsqu’un individu perd son emploi, il ne perd pas seulement le moyen de gagner sa vie et celle de sa famille, il est également privé de la fréquentation d’un lieu où il avait ses habitudes, de l’essentiel de ses occupations et, à terme de la compagnie de ses camarades. La première réaction résultant du choc est faite d’un mélange de refus et d’incompréhension. Les anciens salariés de Moulinex ont perdu leurs projets, leurs repères et l’assurance d’une vie maîtrisée. Le plan social ayant déstructuré la « communauté Moulinex », chacun se trouve soudainement extrait de ce monde et placé seul face à un avenir à reconstruire. Confrontés aujourd’hui à un avenir incertain, et conscients des épreuves qu’ils vont devoir traverser, ils manifestent un degré élevé de crainte, qui peut devenir dans 31 A. DU CREST, (2000), Les difficultés de recrutement en période de chômage, l'Harmattan, p38 38 certains cas paralysant. Cette appréhension aigue de l’avenir est particulièrement marqué chez le personnel féminin, conscient de l’handicap que représente sont faible niveau de qualification sur le marché de l’emploi et qui est parfois dans une situation personnelle problématique (une femme seule avec un enfant à charge, par exemple). Certains, effrayés par la précarité, préfèrent opter pour la stabilité de chômage dans la mesure où il garantit une relative stabilité. Ils ne font pas de différence entre des prestations sociales et le revenu (faible) d'un emploi alimentaire. " Qu'est ce qu'on va devenir? Pas question de retourner à l'école à 15 ans de la retraite. Mon seul diplôme en poche, c'est le CAP de monteuse câbleuse, non reconnu par les autres entreprises. J'aurais aimé faire du commerce, mais même les jeunes ne trouvent pas d'emplois! je vais retourner à l'usine, sauf si je dois prendre la place d'une intérimaire. Un emploi pour moi, c'est un de moins pour mes gamins (…)". E / Une résistance au changement32 Pour certains, leur histoire d'acteurs faite de situations d'échecs successifs (familiaux, scolaires et professionnels), ne leur permet plus de se projeter dans le moyen ou le long terme. Tout projet, qui s'est antérieurement traduit par un résultat d'échec, probabilise dans leur représentation la reproduction de l'échec. Leurs relations aux normes différentes de celles des acteurs insérés parce que les moyens de transmission de ces normes (familles, écoles, association, entreprise) s'affaiblissent ou disparaissent à mesure que le chômage se pérennise. L'intuition morale de justice et d'égalité est frustrée par une expérience situationnelle qui place le chômeur en victime. Ainsi, les chômeurs savent que leurs chances d'insertion sont réduites dans un marché de l'emploi saturé où ils se trouvent en concurrence avec des chômeurs plus formés et compétents. Les efforts de rattrapage qui leur sont demandés sont en disproportion avec des résultats escomptés qui se limitent à l'occupation de postes sans prestige, mal payés et fortement méprisés par le corps social. La fragilité sociale et affective de certains chômeurs les conduit à se montrer plus exigeants devant les conditions de certains emplois. 32 J. GAUTRAT, « Déficit de compétences ou déficit de socialisation des chômeurs ¨ Bas niveau de qualification ¨ », P 76 39 SECTION II : LA CONFIGURATION DU MARCHE DE L’EMPLOI Non seulement le bassin de l’emploi connaît actuellement des difficultés, mais surtout, les profils des anciens salariés de Moulinex restant à reclasser ne cadrent pas avec les offres d’emplois proposés. § 1 Le ralentissement de la conjoncture économique Après quatre années consécutives d'amélioration, la situation économique et de l'emploi de Basse-Normandie a subi en 2001 un ralentissement sensible. A cet égard, les tendances enregistrées en Basse-Normandie sont en tous point identiques à celles observées dans les autres économies régionales. Ce ralentissement de la conjoncture est la conséquence de la baisse significative du taux de croissance qui est passé, au plan national, de 3.1% au premier trimestre 2001 à 0.9% au quatrième semestre 2001. La première conséquence tangible de cette inflexion a été, dès juin 2001, une reprise de la progression du chômage, qui avait pourtant connu une baisse continue depuis quatre ans. Au plan départemental, le Calvados demeure le département le plus affecté par la demande d'emploi (9.2% de taux de chômage), tandis que la Manche (8.2%) et l'Orne (8.1%) demeurent en retrait. Le taux de chômage des différents bassins d'emploi a connu une hausse parfois considérable comme à Vire et à Flers-Argentan (supérieure à 14%), plus généralement située entre 3% et 7%. Trois bassins conservent un taux de chômage supérieur à 9%: Caen 9.3%, Lisieux 9.4% et surtout Cherbourg, 10.4 %. Alors qu'en 2000, les effectifs dans les établissements de plus de 50 salariés avaient connu une exceptionnelle croissance (la création de 4000 emplois, dont plus de 1900 dans le secteur industriel), en 2001, le solde est négatif (-367) et ce uniquement en raison de la baisse de l'emploi dans l'industrie (1 800 emplois). Toutefois, l'ASSEDIC, dans ses estimations de l'emploi salarié pour l'année 2001, met en évidence une évolution encore positive avec une croissance de 0.9% représentant plus de 3000 emplois supplémentaires crées, soit 5000 dans le tertiaire, 1000 dans la construction et une perte de 3000 emplois dans l'industrie. Parmi les paramètres traduisant la baisse d'activité enregistrée en 2001, il faut signaler le recours au chômage partiel qui, après avoir atteint un quasi-plancher en 2000, a connu une multiplication par trois en 2001, en passant de 68 700 à 208 000 journées. 40 L'année 2001 a été caractérisée par une succession de sinistres économiques. La fermeture des quatre établissements de Moulinex a engendré plus de 3 100 licenciements au plan régional (dont plus de 1600 femmes) et a mis en difficulté ses fournisseurs et ses sous-traitants (une centaine d'entreprises et près de 1000 emplois induits sont menacés). En 1997, Pierre Blayau (l'ex-PDG) avait externalisé plusieurs des activités de la soustraitance. Quatre ans plus tard, les sociétés issues de l'essaimage sont les premières menacées. Cinq entreprises ont déposé le bilan, dont la fonderie Vaujois à Mondeville (106 salariés) et Yves-Bernard au Molay Littry (13 emplois); et "cinq à six sociétés, fragilisées par les créances importantes, pourraient connaître le même sort"33 estime la Direction Régionale de l'Industrie. Plus de 15 millions d'euros sont recensés à ce jour. Pour l'instant, les sous traitants résistent et multiplient les mesures de sauvegarde comme le chômage partiel, grâce à un dispositif spécifique mis en place par l’Etat, sous le contrôle actif du Trésorier Payeur Général. Mais elles devront très vite trouver de nouveaux marchés. A la disparition de ce groupe symbolique et emblématique de l'industrie régionale, s'est ajoutée une succession de restructurations, voire de fermeture d'établissements industriels dont la concomitance a plongé l'économie bas-normande dans un climat de profonde morosité. Il en a été ainsi des problèmes rencontrés par les unités CIT- Alcatel, par Philips-Composant, soit la suppression de 350 emplois, Syléa à Vire(280 emplois supprimés suite à la fermeture du site), Isoroy à Saint-Pierre-surDives (150 emplois en cause), disparition de Lysnor à la Ferrière-aux Etangs (110 emplois supprimés), la fermeture de la SOCCOMA à Cherbourg (engendrant 80 emplois en moins) et plus généralement les difficultés rencontrées par Vaujois à Caen, Eurocel à Dives-sur-Mer, CS Electronics à Honfleur (75 licenciements), Socoval à Cherbourg, Odon Delcroix à Flers, Socopa à Coutances, Mic et Cogésal-Motta à Argentan…Globalement, l'ensemble de ces évènements, y compris Moulinex, correspond à la probable disparition de plus de 4 500 emplois industriels directs à court et moyen termes. § 2 L'inégalité homme-femme face au chômage En terme de structure du chômage, l'année 2001 a été caractérisée par l'augmentation de la demande d'emploi chez les hommes et les jeunes: +8.7% pour les hommes et 9.2% pour les jeunes tandis que le chômage féminin n'augmentait que de 0.9%. Ainsi, à la fin 2001, les femmes représentaient 50.2% de l'ensemble des 33 Cg P.DURON, (2001), "Construire l'après Moulinex", Questions d'actualité, n°5. 41 demandeurs d'emplois contre 52.4 % à la fin 2000. Cette évolution particulièrement nette confirme bien le caractère structurel du chômage féminin et conjoncturel du chômage masculin. Le chômage touche davantage de femmes que d’hommes ; ce chômage s’est développé de façon concomitante de l’expansion de l’emploi féminin ces vingt dernières années. En effet, de 1986 à 1996, le taux d’activité des femmes âgées de plus de quinze ans n’a cessé de croître. Il est passé de 45.9% à 48.5%, atteignant même 80% pour les femmes de 25 à 39 ans. Il a été accompagné d’une progression concomitante de leur taux de chômage (15.6% en 1996 contre 11.5%pour les hommes34). Cet emploi féminin a épousé de nouvelles formes de travail rangées sous le vocable de professions féminines, rangées aussi sous le signe des emplois précaires ; il est de ce fait caractérisé par sa faible diversification, par sa forte concentration sur les mêmes activités. Actuellement sur 455 professions répertoriées, dix huit d’entre elles sont féminisées à 75 % et plus35. En 1996, six groupes professionnels, non cadres, rassemblaient plus de 60% des femmes en emploi (instituteur, profession intermédiaire de la santé et du travail social, employé de la Fonction publique, employé administratif d’entreprise, employé de commerce, personnel de services directs aux particuliers). De même, les possibilités de stabilisation de l’activité professionnelle par un contrat à durée indéterminée dépendent fortement du niveau de diplôme atteint. Si les différences entre femmes et hommes sont ténues au plus hauts niveaux de diplômes, elles sont beaucoup plus nettes en dessous du baccalauréat. L’activité à temps partiel concerne principalement les femmes de niveau d’étude secondaire. En 1996, Le nombre d’emplois à temps partiel correspondait à 28,9% pour les femmes contre 4,6% pour les hommes. 34 T.COUPPIE, D.EPIPHANE, C.FOURNIER, (1997), Insertion professionnelle et début de carrière, les inégalités entre hommes et femmes résistent-elles au diplôme ?, Céreq BREF, n°135 35 Déjà, au XVIIIème siècle Etienne BOILEAU, dans le Livre des métiers indiquait que sur 321 métiers recencés, 108 seulement étaient accessibles aux femmes. Sur un historique de travail féminin (cf. L’emploi au féminin, (1992), La documentation française) Les professions les plus féminisées sont dans l’ordre, de 100% à 75% : -assistante maternelle et travailleuse familiale-Institutrice -employé de maison, femme de ménage -Agent de bureau de la fonction publique -secrétaire Employé administrative d’entreprise -aide familiale -Employé de services comptables -sténo-dactylographe -Agent de service hospitalier -aide soignante -Vendeuse en alimentation -infirmière -Agent de service des établissements d’enseignement -Commis administratif de la fonction publique -Ouvrière de confection 42 CONCLUSION Pendant des années, certains salariés de Moulinex ont tenu des emplois dont les caractéristiques résident dans le fait qu’ils ont été conçus, découpés et en définitive formés pour employer des personnes sans formation. Ces personnes se sont converties au travail industriel par un simple apprentissage social. Ils se sont souvent reconvertis d'eux même d'un travail industriel à un autre travail industriel, sans qu'intervienne une formation organisée. Dans un contexte de mutation du travail et de résorption des emplois peu qualifiés, une formation de type scolaire s'avérait ne pas être nécessaire. Aujourd'hui, la réduction des postes de travail peu qualifiés dans l'industrie et le tertiaire ainsi que les licenciements de substitution, où des salariés d'age intermédiaire, détenteurs d'une compétence jugée obsolète, sont remplacés par des jeunes de plus haut niveau scolaire, compliquent la reconversion des anciens ouvriers de Moulinex. De cette situation émerge une “catégorie” de licenciés dont la reconversion pose des problèmes du fait de leur profil (qualifications morcelées), leur moyenne d’âge (45/50ans), de leur mobilité réduite, mais aussi des difficultés du bassin d’emploi. Leur profil est loin de cadrer idéalement avec les offres de l’ANPE36, ils s’adaptent difficilement aux modalités de recherche d’emploi et aux exigences du marché du travail, tant d’obstacles venant entraver un retour à l’emploi rapide. Le reclassement des anciens salariés de Moulinex est d’autant plus problématique, que ces derniers ont été marqués par la fermeture brutale de leur usine et ont parfois du mal à rebondir. Ils ont besoin de temps pour comprendre qu’après des années de bons et loyaux services, ils se retrouvent licenciés. Certains découragés par la perspective d’un avenir en pointillé, ont tendance à considérer que l’horizon est définitivement barré pour eux. 36 Agence Nationale pour l’Emploi 43 PARTIE II : COMMENT GERER LES FREINS AU RECLASSEMENT DES ANCIENS SALARIES DE MOULINEX 44 CHAPITRE I : L’INTERVENTION DE L’ETAT POUR AIDER LA BASSE NORMANDIE A REBONDIR Nous allons voir, dans un premier temps, l'étendue du dispositif mis en place par l’Etat pour faire face à cette catastrophe économique est sociale. SECTION I : LE CONTENU DU PLAN SOCIAL Le gouvernement a retenu comme premier objectif prioritaire de rechercher et de mettre en œuvre une solution pour chaque salarié Moulinex placé hors de champ de la reprise. Ainsi, le plan social signé le 21 novembre 2001, par cinq des six organisations syndicales concernées, fait-il appel à un effort exceptionnel de l’Etat, par défaut de capacité de l’entreprise Moulinex sous l’administration judiciaire, les pouvoirs publics on mis sur la table 230 millions d'euro ( un milliard et demi de francs), dont 128 millions d'euros pour les seules mesures sociales. § 1 Les mesures d'aide aux salariés Le plan social propose des mesures d’aides au retour à l’emploi, en complément des mesures qui pourront être financées par l’entreprise. Des conventions de conversion37 et des congés de conversion38ont été proposés à chaque salarié. Ces dispositifs sont accompagnés de formations permettant le reclassement. Les mesures de soutien au retour à l’emploi s’ajoutent des mesures d’âges telles que l’allocation pour chômeurs âgés (ACA), ou l’allocation spéciale du Fonds national pour l’emploi (AS-FNE)39. Le plan social a également prévu des aides à la mobilités, des Allocation Temporaires Dégressives afin d’encourager l’embauche des salariés licenciés et 37 Le salarié doit être âgé de moins de 57ans et justifier d'au moins 2 ans d'ancienneté. Il perçoit une allocation spécifique de conversion correspondant à 83.4% du salaire journalier de référence pendant les 61 premiers jours, puis 70.4% du salaire pendant les 4 mois suivants. Le salarié bénéficie d'un statut particulier de travailleur privé d'emploi en conversion. A l'issue, d'une période de 6 mois, il bascule dans l'ARE. 38 Le salarié voit son contrat de travail suspendu et perçoit une allocation de conversion correspondant à 65%de son salaire brut moyen des 12 derniers mois(au minimum, 85% du SMIC); pendant une période de 10mois, si celle-ci a plus de 50 ans.A l'issue de ce congés, il bascule dans l'ARE. Cette période doit être utilisée pour préparer une évolution ou une reconversion. 39 Cette mesure permet aux salariés âgés d'au moins 56 ans de bénéficier d'une allocation jusqu'à liquidation de leur retraite. 45 compenser ou atténuer les écarts de salaire avec les emplois proposés ainsi que des aides à la création d’entreprise. A ces différentes mesures est venu se greffer, plus tardivement, le dispositif amiante. La mesure amiante permet, pour les personnes de plus de 50 ans, volontaires, de réduire leurs temps d’activité du tiers du temps d’exposition avec une prise en charge à 65% du salaire brut de la dernière année travaillée. Elle est versée jusqu’à ce que le bénéficiaire puisse prétendre à une retraite complète. Chaque salarié de Moulinex s’est vu proposer un statut, à l’exception des salariés qui travaillent dans les cellules liquidatives (60 salariés) et les salariés protégés (salariés en charge d’un mandat syndical) qui jusqu’à ces derniers temps n’étaient pas encore licenciés (ils sont au nombre de 116 non licenciés sur 158 de l’effectif de départ). § 2 Les cellules de reclassement Des cellules de reclassement ont été mises en place sur chaque site touché, à partir du mois de janvier, pour une durée de douze mois. Un avenant à la convention de financement des cellules pourra autoriser la prolongation, pendant 6 mois, du dispositif d’aide à la recherche d’emploi pour les salariés de plus de 50 ans non reclassés à l’issue de la première période mentionnée ci-dessus. En coordination avec ces cellules, 17 agents de l’ANPE (équivalent temps pleins) seront affectés à l’accompagnement des salariés vers l’emploi. Ces cellules de reclassement ont été mises en place pour accompagner les démarches individuelles. SECTION II : LA CONVENTION DE REDYNAMISATION, UN DISPOSITIF VISANT LA REINDUSTRIALISATION Le gouvernement a retenu comme deuxième objectif prioritaire de recréer, dans chaque bassin concerné, un nombre d'emploi équivalent au nombre d'emplois supprimés par ces fermetures. L'État, le Conseil Régional, les Conseils généraux et les collectivités locales concernées ont décidé de conjuguer des moyens financiers exceptionnels pour favoriser en plus du reclassement des salariés, la reconversion des sites et la revitalisation économique du territoire. 46 C’est l’objet de la convention de redynamisation, signée le 1er février 2002 en appui au plan social, qui, dans le cadre des orientations du Contrat de Plan Etat-Région, dont il est prévu d’accélérer certaines mesures, ajoute un ensemble cohérent d’actions et de financements nouveaux de 103 ME mobilisés sur trois ans par l’Etat (30.49 Meuros), la région (30.49 Meuros), les collectivités locales (34.19ME), et le FEDER (7.78 ME). § 1 Les mesures de réindustrialisation Le préfet de Basse Normandie a été mandaté pour négocier avec les collectivités locales un programme de mesures destinées à soutenir l'emploi et le développement économique dans chacun des territoires touchés par la restructuration de Moulinex. Ces mesures comportent des actions de réindustrialisation favorisant l'implantation d'entreprises nouvelles, des programmes de soutien à certains pôles d'activité existants et filières et des actions spécifiques aux zones directement touchées par les restructurations de Moulinex. A / Aider et soutenir les entreprises sous-traitantes La fermeture de Moulinex a mis en difficulté, environ 39 entreprises. Quatre d’entre elles ont déposé le bilan, il était par conséquent urgent d’arrêter l’hémorragie en leur venant rapidement en aide, notamment en mettant en place les mesures moratoires nécessaires en matière de créances fiscales et sociales et en leur faisant bénéficier de prêts spéciaux et des avances remboursables de la Région et des Départements. Enfin, pour donner à certaines entreprises les moyens de prospérer sans Moulinex, une action collective de diversifications commerciales les a été mise en place. Une dizaine d’entre elles ont mises en relation avec des cabinets spécialisés pour rebâtir leur stratégie commerciale. B / Soutenir et favoriser les projets de création d’entreprises Un certain nombre de salariés de Moulinex ou de sous-traitants souhaitent créer leur entreprise. Pour les aider à mener à bien leur projet, ils bénéficient d’un premier niveau de soutien dans le cadre de la convention de redynamisation, jusqu’à la création effective de leur entreprise. Afin de leur donner toutes les chances de réussir, ils peuvent également bénéficier d’un accompagnement renforcé dans le cadre des dispositifs existants, notamment à travers les réseaux consulaires (Entreprendre en France), et les différentes plates-formes d’initiative locale réparties sur tout le territoire régional. 47 C / Sauvegarder et réaffecter les sites Moulinex La reprise partielle du groupe Moulinex a pour conséquence la libération de quatre sites (Cormelles le Royal, Falaise, Bayeux, Alençon) et par conséquent agir en urgence pour éviter que ceux-ci deviennent des friches industrielles, faciliter leur acquisition par les collectivités locales, négocier avec les administrateurs judiciaires, leur libération pour pouvoir procéder rapidement à leur réaffectation industrielle. Des études de réaménagement globales sont actuellement en cours. Ainsi l'Etat et les collectivités locales ont mis en place le financement des requalifications nécessaires à la remise des sites sur le marché. D / Permettre la création de nouvelles zones d’activité La convention de conversion prévoit la création de nouvelles zones d’activité dans les zones concernées par la fermeture totale ou partielle du groupe Moulinex. E / Redéfinir de nouvelles modalités d’aides aux projets d’entreprises Un système d’avances remboursables à taux nul va permettre d’aider temporairement les sous-traitants Moulinex et soutenir de façon pérenne l’investissement des entreprises régionales, quelles que soient leur taille et leur localisation, en création ou en développement, dans les secteurs de l’industrie, des services à l’industrie ou à fort potentiel de croissance. L’aide est plafonnée en fonction des investissements réalisés et des concours bancaires obtenus. Un nouveau régime d’aides aux PME destiné à prendre en compte des investissements matériels (terrains, bâtiments, équipements, …) et immatériels (transferts de technologie, brevets, licences…) ainsi que les loyers dus dans le cadre de l’éxécution d’un crédit bail, a pour objectif de soutenir les projets de création, d’acquisition, de reprise ou d’extension des PME sur tout le territoire régional. F / Soutenir les pôles d’activités et les filières La filière plasturgie Mouliste d’Alençon est confortée autour de l’ISPA et de l’ISMO par le renforcement des compétences et des capacités d’expertise, le rayonnement national et international du pôle et la création d’une pépinière d’entreprises de la plasturgie et du secteur mouliste. L’objectif est de dynamiser la filière Plasturgie Mouliste d’Alençon, de participer à l’amélioration de sa visibilité, et de contribuer à l’image d’une région innovante à la pointe de ce qui se fait de mieux en plasturgie. 48 Le pôle agro-alimentaire de Saint-Lô et le site de Bayeux sont soutenus pour l’accueil et le développement d’activités industrielles, ainsi que pour le renforcement de la qualité et du niveau de l’offre de formation. Le pôle de compétence caennais matériaux électroniques de Caen, compte environ 200 chercheurs qui travaillent dans la recherche de matériaux spécifiques pour l’électronique, les capteurs, les catalyseurs capables d’éliminer les polluants, les matières plastiques ou les composites pour automobile. Les entreprises bas-normandes sont utilisatrices de ce type de matériaux et de procédés innovants, à condition de renforcer l’analyse de leurs besoins en terme d’utilisation (traitement de surface, association de matériaux,…) et de dynamiser et faciliter les collaborations entre chercheurs et industriels autour de thèmes communs. Pour y parvenir, il convient de renforcer l’animation technologique du Centre National de Recherche Technologique (CNRT) créé autour du laboratoire mixte Philips/ISMRA. A cette fin, des professionnels de la diffusion technologique devront prendre en charge les contacts entre les partenaires et le suivi des prestations ou des recherches contractuelles, tout en incitant à l’émergence de travaux en partenariat sur la base d’appels à projets de recherche en commun et d’acquisition d’équipements appropriés. G / Développer de nouvelles filières Dans l’Orne, le désenclavement du bassin d’Alençon constitue une priorité. Des études sont actuellement menées dans le but de raccorder l’agglomération aux réseaux de télécommunication à haut débit, de mettre en œuvre des boucles locales pour les zones d’activité et d’aménager une pépinière d’entreprises câblée. Des formations de téléacteur et de conseiller WEB vont être organisées sur le site de Montfoulon-Alençon-Damigny. Dans la Manche et le Calvados, les conseillers généraux vont dégager des fonds importants pour le développement des boucles locales à haut débit sur les sites concernés par la reprise partielle de Moulinex. A Caen, un dossier a été déposé pour la création d’un Institut Supérieur de l’Internet qui réponde à la charte nationale des écoles de l’internet. Ce projet apportera à la Basse Normandie les moyens de devenir un pôle de notoriété internationale, capable de fédérer les entreprises, les industriels, les universitaires et de créer les synergies nécessaires à la création de nouvelles activités. 49 Enfin, la Basse-Normandie en se dotant il y a douze ans de la première caméra positron et en procédant à la création d’un pôle d’excellence en imagerie physiologique et métabolique, dispose au niveau national d’une avance importante. Il convient donc de la conforter en pérennisant les atouts du pôle d’imagerie médicale. A cet effet, les engagements inscrits au contrat de plan Etat/Région destinés à doter le pôle d’un équipement d’imagerie par résonance magnétique à haut champ ont été accélérés. H / Les actions structurantes Au financement d'actions nouvelles viendront s'ajouter l'accélération d'actions prévues par le contrat de plan dans le domaine de l'éducation, de la recherche et des infrastructures de transport. En effet, il est prévu d'améliorer l'accessibilité de l'agglomération caennaise, d'accélérer les constructions universitaires et de renforcer l'action publique de la politique de la ville dans la restructuration urbaine du quartier de Perseigne, limitrophe du site Moulinex d’Alençon. La convention prévoit également la réalisation d'opérations relevant de crédits de droit commun (une agence d'urbanisme et de développement de l'aire urbaine) ou l'adaptation aux sites Moulinex de certains dispositifs fiscaux ou financiers (compensations FNCTP, ZRU40 Alençon). § 2 L'intervention de sociétés de reconversion La reconversion des sites bénéficie d’un dispositif spécifique coordonné par la mission régionale de revitalisation économique placée auprès du Préfet de Région, et s’appuyant sur l’intervention des sociétés de reconversion choisies dans le cadre d’une consultation nationale qui a associé l’Etat et le Conseil Régional : • SOFIREM Conseil pour les zones de conversion de Caen-Bayeux, Falaise et Saint-Lô, avec mission de recréer 2 300 emplois. • GERIS Consultant pour les zones de conversion d’Alençon-Argentan et Flers, avec mission de recréer 1 300 emplois. Leur intervention revêt la forme de conseils et d’aides au montage de projets d’entreprise en création ou en développement, créateurs d’emplois dans les bassins touchés. Les projets agréés seront financés par des prêts bancaires qui bénéficieront d’une garantie à hauteur de 70% accordée par SOFARIS à partir d’un fonds alimenté par l’Etat et la Région. 40 Zone de Revitalisation Urbaine 50 Cette convention s'inscrit dans une logique d'aménagement du territoire dans la mesure où ces dispositifs ont pour objectif de renforcer les atouts des trois départements( Calvados, de l'Orne et de la Manche) de la région Basse Normandie, dont certains estiment qu'"elle ne sait pas se vendre". Venant s'ajouter aux 121.96 millions d'euros du plan social, la convention prévoit une ventilation des aides publiques en fonction des zones géographiques, des filières industrielles et de la formation professionnelle. SECTION III : LA MOBILISATION DE MOYENS DE FORMATION Le plan social prévoit la possibilité pour les anciens salariés de Moulinex de recourir à une formation professionnelle, dès lors que celle ci facilite leur retour à l'emploi durable. Le Service Public de L'Emploi a donc mis à disposition des ex-Moulinex, le "service d'appui à la construction d'un projet", mis en œuvre par les services d'orientation professionnelle de l'AFPA, afin de les aider à élaborer et finaliser leur projet de formation. Pour l'année 2002, l’Etat a commandé 800 prestations, sur l'ensemble de la région, à l'AFPA et 500 bilans de compétence à l’ANPE, pour répondre aux besoins des anciens salariés de Moulinex. Ce service s'inscrit dans le cadre de la complémentarité de service entre les cellules de reclassement, l'ANPE et l'AFPA. Lorsque les cellules de reclassement ou l'ANPE décèlent un besoin de formation, elles passent le relai à l'AFPA; cette dernière définit le parcours le mieux adapté aux objectifs de la personne et à son profil, et l'accompagne dans la mise en œuvre du plan d'action défini jusqu'à l'inscription dans une action de formation et la garanti de son financement. SECTION V : LE SUIVI DES ACTIONS Ces actions font l’objet d’une coordination étroite assurée par un dispositif de pilotage et de suivi associant l’Etat et l’ensemble des partenaires, collectivités publiques cocontractantes, élus, parlementaires, partenaires économiques et sociaux. § 1 Un contrôle de l'Etat Toutes les six semaines, les services publics de l'Etat, les collectivités territoriales et les représentants du personnel désignés par les organisations syndicales se réunissent 51 avec chaque cellule de reclassement pour faire un point d'étape de reclassement, sous la co-présidence de la MIRE et de la Direction Départementale du Travail. L'objectif de ces commissions de suivi est d'amener les différents acteurs à réfléchir ensemble et à collaborer de façon constructive. Lors de ces réunions, pilotées par le délégué à la revitalisation économique et sociale, les différents partenaires tentent d'analyser ensemble les difficultés rencontrées dans le reclassement et d'apporter des solutions concrètes. Ces réunions sont le terrain de débats animés entre les syndicats, les cellules de reclassement et les services publiques de l'Etat. Différents sujets y sont traités comme les derniers résultats statistiques du reclassement, le déroulement des formations, le cas particulier des travailleurs handicapés, salariés protégés et autres. § 2 Les comités d’agrément Pour avancer vers l'objectif que l'État et l'ensemble des collectivités locales et territoriales concernées se sont fixé, c'est à dire la création de 2300 emplois sur le bassin d'emploi du Calvados et 1300 sur celui d'Alençon, pour compenser le nombre d'emplois supprimés par Moulinex, un comité d'industrialisation se tient tous les mois, dans chaque département, co-présidé par le Préfet de département et la MIRE. Ces réunions rassemblent, tous les mois, les services publiques de l’Etat, Les collectivités locales et territoriales, la MIRE et les sociétés de reconversion. Les comités d'agrément sont saisis pour validation des projets de création ou de développement d'entreprises dans les bassins d'emplois affectés par la fermeture de sites Moulinex, avant qu'ils soient soumis aux institutions qui peuvent participer à leur financement. Ces réunions sont le lieu de négociations de la part de la MIRE visant l'embauche d'anciens salariés de Moulinex dans les nouvelles entreprises susceptibles de s'implanter sur les anciens sites Moulinex. A cette occasion, l’équipe de la Mire a l’occasion de mettre en avant les qualités distinctives d’expérience, d’adaptation, de polyvalence, de travail collectif des salariés à reclasser. CONCLUSION Face à l’ampleur des conséquences sociales, économiques et territoriales de cette restructuration, le gouvernement a choisi de jouer la solidarité nationale en mobilisant des 52 moyens exceptionnels en faveur du reclassement des salariés, de la reconversion des sites, et de la revitalisation économique. Le plan social touche l’aspect social dans sa globalité. A travers ses mesures, il permet d’assurer aux anciens salariés de Moulinex soit une solution définitive (les mesures d’âge), soit la mise en œuvre de conditions favorables pour un retour à l’emploi. Le plan de réindustrialisation, quant à lui, vise la redynamisation d’un bassin d’emploi sinistré par la fermeture des sites Moulinex. Il tente ainsi d’agir sur le contexte du reclassement. Cependant, dans la mesure où les projets de réindustrialisation se construisent sur le long terme, ils ne peuvent apporter de solution au reclassement, dans l’immédiat. Les ex-Moulinex, qui ont besoin de retrouver un emploi rapidement, ne peuvent donc pas, dès maintenant, bénéficier de la totalité des créations d’emplois qui découlera de la réindustrialisation. De plus, les emplois créés par ces projets ne correspondent pas toujours au profil des moulinex. La mise en œuvre des moyens de ce dispositif est validée par le comité des financeurs soit une animation et une coordination attentives. Les réunions visent ainsi à créer une synergie entre les différents acteurs et à apporter une certaine souplesse dans l’application du dispositif. Cependant, ces dispositifs ne peuvent suffire à résoudre les problèmes de motivation et les blocages des salariés venant fortement freiner les actions de reclassement. 53 CHAPITRE II: LA DYNAMIQUE DES CELLULES FACE AUX PROBLEMES RENCONTRES PAR LES ANCIENS SALARIES DE MOULINEX Outre des mesures visant à agir sur un contexte économique hostile et à garantir les conditions financières nécessaires pour rebondir, le reclassement des anciens salariés de Moulinex nécessite un accompagnement. C’est pour cette raison que des cellules de reclassement ont été mises en place dans chaque site. A travers l’exemple de la cellule emploi C, nous allons voir quels types d’actions ont été mises en place pour permettre à ces de surmonter les obstacles au reclassement recensés. SECTION I : LA CELLULE EMPLOI, UNE COMPOSITION AXEE SUR LA COMPLEMENTARITE Conscient de l’histoire et de la forte culture d’entreprise des salariés concernés par la fermeture du site ainsi que des pressions diverses qui risquaient de s’exercer sur la mission, le cabinet a choisi d’intégrer à son équipe des salariés volontaires issus du groupe Moulinex. En effet, le secrétariat de la cellule est constitué d’anciens salariés du site Moulinex. Quant à l’équipe des conseillers-emploi, elle est constituée, pour partie, d’anciens salariés du groupe. Le cabinet s’est engagé à former ces personnes, motivées par le projet, à ses techniques et à les orienter tout au long du projet, tout en leur assurant un suivi du transfert de compétences. Il est prévu que ces salariés s’orientent vers un reclassement au fur et à mesure de la diminution des effectifs à reclasser ou qu’ils restent jusqu’à la fin de la mission et rejoignent ensuite des structures spécialisées dans ce type d’activité. Un tel système a l’avantage d’avoir en son sein des consultants capables de parler le langage de l’entreprise, de comprendre précisément les compétences des anciens salariés de Moulinex et de mieux percevoir les compétences de ces derniers. De plus, pour les anciens Moulinex, il s’avère plus rassurant de parler à des gens qui ont un vécu proche (la même culture d’entreprise et le même traumatisme suite à la fermeture de l’usine). Au démarrage de la cellule, l’équipe était constituée de vingt consultants, dont trois pilotes de reclassement. Ces salariés ont été sélectionnés sur la base des 54 compétences, de leurs motivation, et de leur mobilité intellectuelle pour entreprendre un projet utile et impliquant. Leur formation se passe pour partie hors antenne-emploi et pour partie sur l’antenne. Dans cette équipe se mêlent anciens salariés de Moulinex qui travaillaient sur le site, consultants recrutés localement et intervenants issus du cabinet ayant remporté l’appel d’offre. Une telle composition permet des apports en terme de méthodes, connaissance des compétences et du vécu des anciens salariés Moulinex, ainsi qu’une meilleure appréhension du bassin d’emploi. SECTION II : LE DISCOURS DE LA CELLULE § 1 Le positionnement de la cellule Dans sa mission, la cellule s’appuie sur deux principes généraux: • Agir au plus près du terrain • Individualiser les solutions Le reclassement est basé sur la recherche d’une solution individuelle pour chaque ancien salarié de Moulinex. Mais l’emploi salarié n’est pas la seule voie pour réussir ce reclassement, la recherche et la détection de toutes les initiatives, compétences ou projets doivent être menées par chaque consultant. La cellule de reclassement insiste sur la nécessité de prendre en compte, dans le travail sur l’individu, à la fois le contexte du reclassement (ce qui est extérieur à l’entreprise) et le passé de l’entreprise. § 2 Le discours tenu par la cellule à ses adhérents Lors des réunions de présentation de la cellule emploi aux adhérents, les conseillers emploi ont insisté sur le fait que « nul n’est seul face à son problème d’emploi ». Ils ont présenté la cellule comme étant un lieu ressource où les moyens de réussir sont rassemblés(secrétariat, journaux, annuaires, affichage des offres d’emplois) et où des conseillers professionnels sont présents pour les aider, guider, le soutenir et leur permettre de progresser. Par ailleurs, les conseillers emploi encouragent régulièrement les salariés à capitaliser des expériences professionnelles. Missions en intérim, contrats à durée 55 déterminé, évaluation en Milieu de Travail (EMT)41 permettent de maintenir un lieu avec le monde du travail. Il est important de garder un rythme, de multiplier les expériences et de se faire connaître des employeurs, tel est le discours tenu par la cellule emploi. Cette expérience est l'occasion de découvrir un nouveau métier, un nouveau cadre d'entreprise. Les anciens salariés Moulinex ont parfois du mal à formuler un projet professionnel Un Essai en Milieu de Travail est le moyen de valider un projet professionnel. Ce type d’expérience permet d'inscrire une nouvelle expérience sur un curriculum vitae se résumant souvent au parcours effectué chez Moulinex, et ainsi, de montrer aux potentiels employeurs qu'on est motivé et déterminé à retrouver un emploi. De plus, les ex-Moulinex doivent garder à l’esprit que ces courtes périodes d’emploi sont l’occasion de faire ses preuves et peuvent déboucher sur un contrat de longue durée. Dans un climat de frilosité vis à vis des Moulinex, il semble important de mettre en avant sa volonté de travailler et de "tourner la page Moulinex". Multiplier les expériences professionnelles est également un moyen reprendre confiance en soi et de surmonter ses appréhensions. En effet, se confronter à un nouveau terrain est l’occasion pour les adhérents de la cellule de se rendre compte de ce qu’ils sont capables de faire et que des compétences acquises chez Moulinex peuvent être utilisées auprès de nouveaux employeurs. SECTION III : LES ACTION DE LA CELLULE § 1 Le suivi individuel Chaque salarié est pris en charge par un conseiller emploi, qui est son interlocuteur privilégié pendant la durée du programme. Ce dernier a pour mission d’accueillir et de conseiller chacun de ses interlocuteurs. Ces entretiens permettent de faire le point sur l’état d’avancement des démarches entreprises par la personne, d’analyser les difficultés rencontrées, de fixer des objectifs d’action et d’aider ainsi chacun à progresser jusqu’à la concrétisation. Le choix d’une formation ou d’un nouveau métier intervient après avoir travaillé, parfois, pendant des années sur le même poste et à la suite d’un échec professionnel. Dans 41 Les EMT permettent aux adhérents des cellules d'être accueillis dans une société pendant dix jours au maximum. 56 ces conditions, les adhérents de la cellule ont des difficultés à se positionner sur le marché du travail. Les entretiens individuels et personnalisés permettent alors de préciser les objectifs de chacun. Les échanges en tête à tête permettent de faire le point des aspects personnels de la recherche d’emploi, de fixer des objectifs personnels d’emploi et les besoins en formation. Les conseillers emploi ont pour rôle de déceler les obstacles pouvant entraver le reclassement et d’éviter que leurs adhérents s’engagent dans des orientations vouées à l’échec. Comme nous l’avons vu précédemment, certaines personnes ont plus de difficultés que d’autres à faire le « deuil » de leur identité passé et ont besoin d’un accompagnement long, confiant et fidèle. Les entretiens individuels donnent l’occasion aux conseillers, de prendre en charge ces personnes d’une manière distincte de ceux qui s’avèrent plus rapidement actifs, et d’apporter ainsi, une réponse personnalisée. En effet, ils favorisent l’établissement d’une relation de confiance entre les adhérents et leurs conseillers permettant d’aborder les aspects psychologiques liés à la perte d’emploi. De plus, le chômage induit une perte de repères : petit à petit l’individu perd l’habitude de se lever le matin, d’avoir des contraires d’horaire et s’éloigne ainsi progressivement des contraintes du monde du travail, ce qui peut poser problème lors de son retour à l’emploi. Les entretiens, en astreignant l’individu à passer à la cellule régulièrement, permettent à la personne de garder des repères dans le temps. § 2 Les ateliers techniques de recherche d'emploi L’employabilité suppose l’identification des compétences acquises, et leur mise en regard des compétences requises par telle ou telle entreprise. Il faut connaître ce qu’on a à offrir, savoir mettre en valeur les aspects les plus positifs, savoir communiquer efficacement. Divers ateliers ont donc été mis en place pour aider les adhérents des cellules à se repositionner sur le marché de l’emploi. A / La formation initiale à la recherche d’emploi Les ateliers de recherche d’emploi interviennent après un travail en amont basé sur la connaissance de soi même et du marché de l’emploi devant découler sur un projet professionnel. Des réunions animées par des professionnels permettent d’informer les personnes intéressées par certaines pistes d’emploi, ou de leur faire découvrir un métier. Chacun peut poser librement ses questions et bénéficier de réponses. 57 La cellule emploi aide ses adhérents à réaliser leur bilan professionnel, à découvrir leur nouveau travail et comment trouver sa place dans le paysage professionnel. Au final les personnes doivent avoir défini leurs objectifs et se préparer à construire leur travail. B / Les ateliers thématiques classiques de recherche d’emploi Le parcours du demandeur d'emploi est balisé de travaux à effectuer tels que le tri des annonces, l’élaboration d’un curriculum vitae attrayant, la rédaction de lettres de motivation, et d'épreuves comme l'entretien d'embauche. Des ateliers permettent aux anciens salariés de Moulinex de bénéficier d’un encadrement dans l’élaboration de leurs outils de recherche d’emploi : atelier lettre de motivation, téléphone et recherche d’emploi, bâtir son argumentaire... Sont également proposés des ateliers sur l’entretien de recrutement et les techniques de recrutement à connaître pour convaincre l’employeur. C / Les ateliers complémentaires Une initiation à l’informatique est proposée aux adhérents pour optimaliser leur recherche d’emploi. L’utilisation d’internet facilite la recherche d’emploi et donne accès à de nombreuses offres d’emplois ; par exemple, on peut consulter régulièrement le site de l’ANPE par le biais d’une simple connexion à internet. Cependant, l’informatique introduit des difficultés particulières, certaines spécifiques aux plus âgés, d'autres communes aux jeunes et aux âgés, mais auxquelles les plus jeunes peuvent s'avérer être plus sensibles dans certaines conditions. Les représentations les plus négatives à l'égard du travail informatique, sont avant tout le fait de ceux qui n'utilisent pas du tout ces outils. Tant que le cap de l'utilisation de cet outil n'a pas été franchi, la perception de l'informatique est peu positive. Il est donc nécessaire de démystifier l'informatique et de donner les moyens de se familiariser avec ces outils. De même, il arrive qu'au cours de la procédure de recrutement, on demande au candidat de passer des tests. Souvent suivis d'un entretien, les tests sont la clef d'accès à un emploi ou à une formation. Les tests de niveau permettent de ne pas se lancer dans un parcours de formation sans être capable d'assimiler ce qui est enseigné. Il faut alors acquérir préalablement des connaissances de base qui permettront de suivre avec profit la formation dispensée. Les tests de personnalité, quant à eux, visent à vérifier si la voie vers laquelle on souhaite s'orienter correspond à son profil. Ces tests sont souvent perçus par les adhérents des cellules comme synonyme d'examen, de sélection, voir même d'élimination. Pour échapper à cette crainte, pour aider 58 les adhérents à surmonter cette épreuve, la cellule emploi a organisé des ateliers destinés à "démystifier les tests". Lors de ces ateliers, l'animateur explique comment ces tests se déroulent, met en garde sur les pièges à éviter et conseille les ex-Moulinex, le but étant de les familiariser avec l'épreuve. § 3 L’accompagnement dans le parcours pour l’entrée en formation A / Le choix de la formation Deux cas de figure se présentent : certains souhaitent rester dans le secteur de l’industrie et s’inscrivent dans des formations courtes, comme le CACES, leur permettant une insertion rapide sur le marché du travail ; d’autres ne veulent plus entendre parler de ce secteur et préfèrent s’orienter vers des métiers du tertiaire. Pour certains, la fermeture de Moulinex est perçue comme un tremplin, l’occasion d’accéder à un métier qui correspond mieux à leurs aspirations. « L’usine ? pour rien au monde je ne voudrais y retourner. On fait tout le temps la même chose. Finalement mon licenciement, c’est une chance », Nathalie. La formation garanti certes un maintien dans les « circuits » de l’emploi (et, à ce titre, elle permet de préserver la situation des individus au regard des systèmes de protection sociale et de revenus de remplacement) mais il n’est pas certain qu’elle modifie substantiellement le processus de sélectivité du marché du travail. C’est pourquoi sont proposés aux Moulinex uniquement les formations permettant l’accès à des métiers dont le taux de tension est élevé42. B / L’exemple des métiers de la santé Les métiers de la santé constituent aujourd’hui et constitueront dans l’avenir des opportunités d’emploi de plus en plus nombreuses. Les métiers d’aide soignante, assistante de vie sont donc des métiers d’avenir. Cependant, l’accès au métier d’aide soignante nécessite un diplôme d’Etat. Une formation de préparation au concours d’entrée en école et une assistance à l’année d’école au CHU de Caen sont en cours de mise en place. Quant au métier d’assistante de vie, métier s’exerçant soit en aide à domicile, soit en maison de retraite, il exige un CAFAD. Après une prise de contact avec l’ADMR, l’ASSAD, Caen Famille Service, une formation en alternance sera assurée par ces associations en partenariat avec l’antenne et les Maisons de retraite. 42 Rapport offre/ demande d’emploi 59 L’antenne emploi s’est inscrite dans une démarche de facilitation de l’accès à ces métiers en organisant des sessions spécifiques « Moulinex » de préparation, organisées par un de conseiller emploi, ancienne infirmière qui connaît bien le domaine de la santé. Un travail en amont a consisté à : • • • Présenter les métiers Dédramatiser les cas apparents Déceler les personnes, que la formation aurait risqué de mettre en échec, pour les orienter vers d’autres pistes mieux adaptées à leur profil. • Accompagner les volontaires, reconnus aptes, dans une formation de préparation aux concours C / L’importance du suivi au cours de l’entrée en formation Si l’on se place du point de vue du salarié, l’entrée en formation intervient à la suite d’un double échec : • • D’un licenciement, alors que le salarié obtenait, selon toute vraisemblance, des performances jugées suffisantes pour tenir son ancien emploi jusqu’au licenciement ; D’une difficulté à trouver un nouvel emploi, liée à la concurrence entre salariés dans un contexte de pénurie d’emplois. Pour certains, les conditions de travail chez Moulinex, se sont traduites par l’appauvrissement des capacités d’apprendre et de changer, par une perte de savoirs initiaux, et par des rigidifications qui deviennent de véritables handicaps. Le travail répétitif et l’organisation taylorienne, qui entravant initiative et autonomie et rendent donc improbable toute situation nouvelle ou inattendue, sont aux antipodes des conditions nécessaires au travail de la mémoire, qui requiert des apprentissages nouveaux. Ce sont aussi des conditions contraires au développement de l’assurance ou de la confiance en soi dans le travail, y compris en cas de difficulté. De plus, les capacités qu’ont tous les hommes à apprendre, à modifier leur comportement, ont tendance à diminuer avec l’âge ; la reconversion est une opération presque toujours plus délicate que la formation initiale, même si elle peut s’appuyer sur des compétences acquises au cours de la vie active. Les compétences peuvent elles même faire obstacle : changer est difficile. La pédagogie et les contenus scolaires sont souvent source d’appréhension pour certains, à cause de leur caractère académique, de la rigidité des progressions, voire de 60 l’expérience négative qu’en ont fait certains de leurs années d’écoles : elles ne leur ont procuré aucun pouvoir valorisant43. Pour toutes ces raisons, il était important de déceler les personnes capables de passer le concours, moyennant une préparation, afin d’éviter un échec qui aurait pu s’avérer particulièrement destructeur pour la personne. La préparation aux concours exigeait un encadrement de proximité et un investissement particulier de la part du conseiller emploi. Il a fallu garder constamment contact avec les candidats, les rassurer et les soutenir moralement, pour permettre aux adhérents de surmonter les obstacles rencontrés. Il est nécessaire de permettre à chaque sujet de pouvoir mettre en évidence sa capacité à se transformer ce qui lui permettra de prendre conscience des moyens dont il dispose pour changer et acquérir de nouvelles compétences. Pari réussi, à ce jour, les douze personnes ayant préparé le concours ont été admis à l’école d’aide soignante. § 4 La collecte d’emplois Des recherches d’offres d’emploi sont effectuées sur internet par les conseillers emploi, en particulier sur le site de la Mairie de Caen qui a régulièrement des postes à pourvoir. Un centre de téléservices est chargé de démarcher les entreprises par téléphone. Cette entreprise de phoning se fixe un secteur à prospecter chaque semaine et contacte toutes ces entreprises, en ce référant au listing du Compas. Lorsque le centre de téléservices obtient des offres d’emploi, il envoie les fiches de poste, par fax, à la cellule de reclassement. Un conseiller emploi est chargé de récupérer les offres d’emploi obtenues par Telpro et de les numéroter. Tous les soirs, en réunion, il répartit les fiches de postes entre les chargés de mission. Le conseiller emploi qui prend une offre est chargé de récupérer auprès de ses collègues les cv des personnes pouvant être intéressé par cette dernière. 43 L’institution scolaire opère un monopole radical dans notre société, monopole qui exclu la personne de tout mode d’acquisition de savoir ou de pouvoir autre. Par le discours dominant, les individus intègrent le fait que l’échec scolaire doive signifier échec social. Ainsi, paradoxalement, l’institution scolaire « toute puissante » génère un flot d’exclus. Voir sur ce sujet I.ILLICH, (1973), La convivialité, Paris seuil, 158 p 61 Sachant que le marché connu de l’emploi (petites annonces, offres ANPE, APEC) ne représente que 30% du marché du travail, leur démarche s’oriente essentiellement vers la prospection des postes à pourvoir dans les 70% du marché caché. Bien que certains employeurs soient lassés par des prospection similaires fréquentes, ils s’avèrent, la plupart du temps coopératifs et intéressés par cet offre de service de recrutement. La prospection des entreprises permet donc de recueillir d’autres offres que celles proposées par les biais classiques. Cependant, de nombreuses offres collectées ne correspondent pas au profil des Moulinex. SECTION III : LES FREINS VENANT ENTRAVER L’ACTION DES CELLULES EMPLOI § 1 L'aspect pervers des dispositifs d'accompagnement: A / L’ambiguïté autour du Congé de conversion Deux mesures de soutien au retour à l'emploi ont été proposées aux anciens salariés de Moulinex : le congé de conversion et la convention de conversion. A l'origine, le congé de conversion était destiné aux personnes qui souhaitaient suivre une formation qualifiante et de longue durée. La convention de conversion de courte durée visait un retour rapide sur le marché de l'emploi. Les congés de conversion qui consistent en une suspension et non une rupture du contrat de travail, ont eu tendance à induire, consciemment ou inconsciemment, des comportements attentistes chez les salariés y ayant adhéré. De plus, il semblerait que le terme "congé" ait été mal interprété par ses adhérents et qu’il ait eu pour effet une certaine démobilisation. Or la durée de ce statut amène les personnes concernées au delà des congés d’été et retarde d’autant une réelle implication de leur part. Beaucoup ont ainsi raté des offres d’emploi intéressantes et risquent de pâtir de leur longue période de passivité. A partir de septembre, d’une part les offres d’emplois issues de la prospection devraient se raréfier, d’autre part, il va être difficile de justifier neuf mois d’inactivité auprès des employeurs. Certains ont choisi délibérément cette mesure pour toucher des indemnités le plus longtemps possible, l’idée étant de jongler entre les différentes mesures proposées pour ne plus avoir à retravailler. Par exemple, certains ont choisi ce statut (durée de 10 mois et de 16 mois pour les plus de 50 ans) pour reculer leur basculement dans l’ARE (allocation de 62 retour à l’emploi), en prévision d’une entrée proche dans le dispositif amiante qui les emmènerait jusqu’à la retraite à 60 ans. B / L’amalgame de fait autour de l’intervention de l’Etat Le fait que l’Etat intervienne à travers le plan social, pour palier à la défaillance de Moulinex, a parfois semé la confusion dans les esprits. Certain n’ont pas compris que leur reclassement impliquait un investissement de leur part et attendent que la cellule leur trouve un emploi similaire à celui qu’ils occupaient précédemment. Ils s’enferment donc dans une attitude passive, en attendant qu’on leur trouve une solution. § 2 La présence de catégories cumulant des handicaps freinant le reclassement A / Les personnes victimes de problèmes de santé Les personnes handicapées Cette catégorie comprend les personnes handicapées reconnues par la Cotorep et les adhérents atteints de maladies professionnelles reconnus par la sécurité sociale. Les personnes victimes de pathologies physiques On a également pu constater la présence de personnes souffrant de pathologies physiques, non déclarées officiellement qui les conduisent à refuser des postes réclamant des qu’ils ne peuvent plus accomplir (problèmes de dos ou d’épaules, difficultés à soulever des charges…personnes dont la station debout ou assise, ainsi que la répétition des gestes est rendue difficile). Ainsi, on a pu remarquer le cas d’adhérents qui, au cours d’un essai en milieu de travail, se rendent compte que leur état physique ne leur permettait pas de terminer leur mission. Dans l’ensemble, beaucoup d’anciens salariés de Moulinex sont usés physiquement par leurs nombreuses années d’usine. Les personnes atteintes de pathologies psychologiques et / ou de problèmes d’hygiène alimentaire Certaines personnes souffrent de pathologie venant entraver leur réinsertion sur le marché du travail. En effet, on a pu constater la présence de personnes révélant de graves états dépressifs ou des problèmes d’hygiène alimentaire. Un conseiller emploi me confiait qu’un de ses adhérents, victime de l’alcoolisme, oubliait régulièrement ses rendez-vous à la cellule ou d’effectuer des démarches à effectuer dans le cadre de sa recherche d’emploi. 63 Parmi les personnes atteintes de pathologies psychologiques, certains le sont de longue date, des problèmes familiaux anciens ou les inquiétudes liées à l’incertitude récurrente de leur avenir professionnel chez Moulinex ayant déclenché les premiers troubles, pour d’autres la fermeture définitive du Groupe a été à l’origine d’un véritable traumatisme psychologique. Non seulement ce type de pathologie empêche une recherche d’emploi active, mais il réduit également les chances d’embauche. En effet, une entreprise, pour des raisons de sécurité et par souci de rendement, ne va pas courir le risque de recruter un candidat ne présentant pas tout signe de sobriété ou d’équilibre. B / Le cas des salariés protégés Les cellules de reclassement vont bientôt devoir accueillir parmi leurs adhérents les salariés protégés. Du fait de leur engagement syndical qui les a amenés à s’impliquer dans la conduite du plan social et de sa mise en place, ils n’ont pas généralement pas consacré suffisamment de temps à leur recherche d’emploi. Par conséquent, ils ne pourront bénéficier des services de l’antenne emploi que sur une période de courte durée. De plus, ils commencent à appréhender l’hostilité que les employeurs risquent de manifester à leur égard, au delà des problèmes de qualification qui sont les leurs. § 3 La présence de freins conjoncturels A / Une tendance des salaires à la baisse La baisse des revenus du travail est provoquée par la mondialisation qui pousse à la baisse le niveau de rémunération des postes de travail les moins qualifiés44, par le développement des temps partiels (voir très partiels) également en augmentation. Cette pression à la baisse, qui explique la reprise de l’augmentation des inégalités de revenus, après une période de réduction, réduit l’écart entre les minimas sociaux et les revenus des moins qualifiés. Certains se refusent donc à reprendre un emploi d’autant plus que du temps de Moulinex, ils bénéficiaient en plus du SMIC, d’une prime d’ancienneté et d’un treizième mois. Le refus d’emploi (et non de travail) de certains s’explique donc par la baisse du niveau de rémunération du travail, alors que les revenus sociaux demeurent stables. 44 la part des salariés rémunérés au SMIC est en augmentation 64 J.Gautrat45 fait une hypothèse venant compléter notre propos, selon laquelle « les efforts, pour acquérir le savoir nécessaire aux emplois subalternes ne donnent pas accès à un objectif social normalisé par notre société, mais seulement à un autre statut subalterne « à vie » qui peut difficilement être considéré comme un objectif mobilisateur d’acteur. Autrement dit, la barre de l’exclusion que l’administration place au niveau du chômage pourrait se trouver dans les représentations sociales au niveau des emplois subalternes. Si la différence de représentation entre un statut de chômeur et celui d’un smicard reste faible, le peu d’attractivité des emplois subalternes devra être compensé par des efforts bien plus considérables pour aider les bas niveaux de qualification à occuper ces emplois ». B / Le miroir aux alouettes du projet Connair Pour rappel, le groupe Connair, connu en France pour sa filière Babyliss, avait déposé une déclaration d'intention, auprès des administrateurs judiciaires chargés du dossier Moulinex, pour proposer la reprise des usines dont SEB se séparait. ConairBabyliss avait fait miroiter la relance des sites non repris par SEB en affirmant être prêt à "reprendre la totalité des quelque 5 500 ex-salariés de Moulinex qui le souhaitent". Malgré les récentes décisions judiciaires, certains s'accrochent encore à l'espoir de retourner sur le site. "Les salariés ne voient de salut que dans le démarrage des usines", M.Muller, délégué CGT de Cormelles le Royal46. C / La spécificité rurale Dans certains secteurs ruraux ou semi-ruraux, de nombreuses personnes, souvent des couples, d'un certain âge, en fin de vie professionnelle, affichent clairement leur volonté de ne pas retravailler, malgré les mises en garde des conseillers emplois du style « méfiez vous vous n'aurez bientôt que 60% de votre ancien salaire… ». Il semblerait que ces personnes, ancrées dans des réseaux de solidarité familiaux et amicaux, ne placent pas la réussite dans le travail. Usées par leurs années d'usine, elles préfèrent organiser leur vie différemment en faisant un peu de travail au noir, en entretenant un potager…On constate 45 J.GAUTRAT, « Déficit de compétences ou déficit de socialisation des chômeurs « bas niveau de qualification » », dans F.GINSBOURGER, V.MERLE, G.VERGNAUD,(1992), Formation et apprentissage des adultes qualifiés, La documentation française, Paris, p 78. 46 A.DEBOUTE, "La vie après Moulinex", Le journal du Dimanche, le 03 mars 2002, p 13. 65 donc un phénomène de retour à l’autarcie rurale. Les dispositifs publics perçus sont, dans ce cas, considérés comme un supplément, un appoint de ressource. § 4 Le déficit d’image des Moulinex L'image des salariés menaçant de faire sauter l'usine de Cormelles le Royal et allumant plusieurs incendies en différents points de l'usine est restée gravée dans les esprits. On ne compte plus les articles parus sur Moulinex, mettant en avant la lutte des syndicats pour obtenir des mesures financières, critiquer le reclassement… Les employeurs locaux ont tendance à appréhender les Moulinex comme étant une population révoltée, âgée et sans qualifications. Harcelés par les cabinets de reclassement qui rivalisent d’arguments pour reclasser les victimes des plans sociaux, ils se méfient des salariés de culture mono-entreprise, habitués à un cadre de travail confortable. De plus, l’attitude maladroite de certains salariés de Moulinex, sans doutes mal préparés et peu conscients des nouvelles règles du marché, ont renforcé les préjugés de certaines entreprises. Avec les indemnités de licenciement et la prime de départ, beaucoup sont partis avec près de 20 000 euros. Une somme qui suscite les jalousies, surtout dans les petites villes comme Falaise, et qui déchaîne les propos malveillants. La généralisation des « Moulinex » et les amalgames portent préjudices aux personnes qui sont en recherche active d’un emploi. § 5 Les freins au reclassement propres à la cellule emploi La cellule emploi C est la seule cellule emploi installée dans les locaux de l'ancienne usine Moulinex, pour des raisons tenant à la rareté de l’offre immobilière de la ville. Le fait que les anciens Moulinex viennent dans leurs anciens locaux pour suivre les ateliers de la cellule ne les aide pas à rompre avec leur passé, leurs habitudes et ne favorise pas une réelle prise de conscience de la fin du groupe Moulinex. Il est difficile pour eux de faire le deuil de leur vie passée à l’usine a lors qu’ils continuent à fréquenter les mêmes lieux. Nous avons déjà insisté sur la nécessité d’accorder une attention particulière à chaque adhérent de la cellule et de l’accompagner régulièrement dans ces démarches. D’après A.COHEN, directeur des ressources humaines de DMC à Loos « les cabinets estiment à environ 25 le nombre maximal de salariés devant être affectés à un consultant,( 30 à 40 pour les cadres) ». Or à la cellule de reclassement C, les conseillers emplois ont chacun en charge le suivi d’une centaine de personnes. Même si certains adhérents sont déjà 66 orientés, voir ont retrouvé un emploi, ces conditions ne semblent pas être favorables à un suivi régulier des personnes. CONCLUSION Les actions mises en place par la cellule contribuent à faire évoluer les adhérents de la cellule sur la voie d’une démarche active de recherche d’emploi, mais de nombreux freins au reclassement persistent encore. Surmonter ces obstacles nécessite que la cellule emploi soit réactive et qu’elle fasse preuve de capacités aiguës d’adaptation. Parce que le reclassement met en jeu un ensemble de paramètre, l’individu et tout ce qui le constitue (son histoire, ses échecs passés, ses difficultés personnelles, familiales, financières…), pris dans un contexte particulier (le marché de l'emploi, les organismes de formation et leurs spécificités…), il s'avère souvent complexe et lent. 67 CHAPITRE III : LA NECESSITE D’APPROCHES ORIGINALES ET SPECIFIQUES Les personnes les plus qualifiées et les plus motivées commencent à retrouver le chemin de l’emploi, qu’elles soient engagées dans une formation ou en CDD, CDI. Restent à reclasser une majorité de personnes qui semblent développer un certain découragement face à leur reclassement, induisant un réel refus de s’engager dans une recherche d’emploi active. Plus nous allons avancer dans le temps et plus il faudra trouver des solutions individuelles et originales. Nous allons voir dans ce chapitre, les pistes actuellement exploitées pour aller dans ce sens. SECTION I LA PROXIMITE, UN MOYEN DE LUTTER CONTRE LES FREINS A LA MOBILITE ? Lors de mes visites dans les trois cellules de reclassement du Calvados, la faible mobilité géographique était évoquée à maintes reprises comme étant l'un des principaux freins au reclassement des Moulinex. Prenons l’exemple de la cellule emploi de Falaise, 28 personnes n'ayant pas le permis ont été identifiées et le motif de la distance est fréquemment évoqué lors des refus d'OVE47 sur des distances de 35 à 50 kilomètres. De même, l'étude cartographique concernant le lieu d'habitation des anciens salariés de Moulinex m'a permis de constater que ces derniers n’étaient pas concentrés uniquement dans les villes où les usines Moulinex étaient localisées. Au contraire, les exMoulinex sont très dispersés sur le territoire. Guidés par le souci d’apporter des solutions originales et individualisées, il nous est alors venu l’idée de rapprocher certains Moulinex des entreprises artisanales localisées prêt de chez eux. L’embauche dans des entreprises artisanales semblait être un bon moyen pour résoudre les problèmes de mobilité. § 1 : La mobilité, un frein au reclassement La mobilité semble être un passeport pour l'emploi. Il est vrai que ceux qui acceptent de se déplacer trouvent plus facilement un emploi, mais la capacité à se déplacer dépend de multiples facteurs, de personnes et de contexte. A / Les déplacements domicile-travail Début 1999, près de 337 500 Bas-Normands devaient chaque jour quitter leur commune pour aller travailler, soit 62% des actifs ayant des emplois48. Ces déplacements reflètent deux logiques distinctes de localisation des activités et des hommes. Alors que 47 Offre Valable d'Emploi Cent pour cent Basse Normandie, Les villes étendent leur influence, INSEE Basse Normandie, n°97, juillet 2001 48 68 les Bas-Normands privilégient depuis une trentaine d'années l'installation dans des communes de taille moyenne situées dans des grandes périphéries urbaines, les entreprises restent concentrées dans les plus grandes villes. Ainsi, les cent communes les plus peuplées de la région concentrent 68% des emplois pour seulement 48% des actifs exerçant une activité. Ce phénomène ancien s'est poursuivi au cours des dix dernières années. Le développement d'activités économiques est, en effet, intervenu sur un nombre réduit de communes. A l'opposé la population en situation d'activité a crû sur des territoires plus vastes. Une telle spécialisation des territoires, avec d'une part des communes résidentielles et de l'autre des zones à orientation économique, ne pouvait qu'entraîner une intensification des déplacements liés à l'activité professionnelle. Dans le Calvados, plus urbain et fortement marqué par les mouvements de péri-urbanisation, les déplacements, déjà les plus nombreux ont continué à s'accroître : plus de 160 000 actifs Calvadosiens quittent désormais leur commune pour rejoindre leur travail. En 1999, un Bas Normand qui change de commune pour se rendre sur son lieu de travail parcourt en moyenne 13,2 kilomètres (à vol d'oiseau) contre 11,8 kilomètre en 1990, cet allongement ayant touché tous les territoires de la région. Aujourd'hui, les actifs qui parcourent les distances quotidiennes les plus importantes sont ceux de l'espace rural calvadosien autour de Falaise, de Villers-Bocage et de Bayeux. Si les déplacements sont plus fréquents dans la zone à dominante urbaine (64% des actifs occupés doivent quitter leur commune contre 58% dans le rural), ils couvrent en moyenne de plus faibles distances (12,2 kilomètres pour l'urbain, contre 15,4 kilomètres en zone rurale). On continue donc à travailler plus souvent dans sa commune de résidence à la campagne qu'en ville, mais la distance à parcourir est plus importante pour ceux qui doivent se déplacer. B / Les freins structurels à la mobilité Lors de mon étude cartographique, j’ai été surprise de constater que certaines personnes domiciliées aux environs de Falaise ou Caen se déplaçaient tous les jours pour travailler sur le site de Bayeux. Ce constat ne coïncidait pas avec le discours des cellules qui mettaient en avant le manque de mobilité des anciens Moulinex, comme frein au reclassement. J’ai par la suite appris que, du temps de Moulinex, la plupart n’avait pas besoin de moyens de locomotion, dans la mesure où des ramassages par bus étaient organisés et le groupe avait pris en considération le covoiturage dans l’application des 35 heures. L’absence de moyens de déplacement (notamment le fait que beaucoup ne possèdent pas le permis), qui, du temps de Moulinex ne posait pas un problème en soi, 69 pénalise aujourd’hui certaines personnes compte tenu des exigences de mobilité géographique du bassin d’emploi. Une enquête de l'ANPE auprès de 1200 établissements déclarant avoir renoncé à embaucher, faute de candidatures adéquates, révèle que plus de la moitié de ces établissements ne sont pas accessibles sans voiture. Non seulement, la distance domiciletravail augmente, mais les moyens de transport ont diminué. Les transports en commun régionaux obéissent à la loi nationale: Il y a des transports vers le chef-lieu du département, mais pas ou peu de transports entre les souspréfectures. Il n'existe plus de train entre les villes secondaires, les horaires des bus, financés par les Conseils Généraux, sont calqués sur les horaires scolaires et non sur ceux des salariés. De plus, les équipes alternées et les successions d'horaires éclatés engendrés par les 35 heures rendent souvent impossible le covoiturage. C'est d'ailleurs principalement pour cette raison, que les transports en commun ne sont plus organisés qu'en fonction des horaires scolaires. Les personnes, ne possédant pas de voiture, sont obligées de se déplacer à bicyclette ou en mobylette et donc ont une distance maximum, ce qui constitue un vrai frein au recrutement. C / Les freins à la mobilité liés à la personne Le manque de mobilité n’est pas uniquement constaté chez les personnes sans permis ou sans moyens de locomotion, il relève plutôt d’une tendance générale. Des OVE sont régulièrement refusées en raison des kilomètres à parcourir. Pourquoi tant de résistance à la mobilité ? Diverses observations sur les comportements différenciés de mobilité révèlent que la mobilité quotidienne présente non seulement des contrastes d’une catégorie socioprofessionnelle à l’autre, mais varient fortement selon le sexe, l’âge, le niveau d’éducation, le statut d’occupation du logement ou le revenu du ménage49. La capacité de mobilité est d'autant plus faible que le niveau d'études atteint est faible, et que le salaire est bas. Ces deux facteurs sont à la fois liés et indépendants, dans la mesure où le niveau d'étude permet d'accéder souvent au salaire, mais aussi à la culture, à la compréhension des autres mondes. La propriété du logement peut être un frein important. Dans les zones où l'emploi décline, les logements perdent leur valeur au point de ne pas couvrir les emprunts en cours ou de ne pas permettre d’envisager un achat dans une autre région, quand la vente ne 49 Cf par exemple Brigitte Baccaini, Les trajets domicile-travail en Ile-de-France, Economie et Statistique n°294-295, 1996. 70 devient tout simplement pas possible50. Cela représente un frein important dans la mesure où, 57% des français sont propriétaires de leur logement. "Reste tous ceux comme Jean-Luc qui a acheté une maison l'an dernier à Cormelles, et dont la femme a également été licenciée de Moulinex. Un cas de figure fréquent à Alençon, Bayeux et Falaise"51 Ce qui renforce une résistance éventuelle, des anciens salariés de Moulinex, à des mutations réside dans le fait (corroborant cette sédentarisation) que, trouvant du travail quasiment sur place, ils ont bâti leur foyer - maison, jardin, une sorte de confort relatif, acquis au prix d’un certain endettement, pensant, après des décades d’existence de ces industries locales que cela durerait quasi éternellement. Malgré leurs mutations sur d'autres sites éloignés, ils ont gardé le même lieu d'habitat. La fermeture de l’usine locale dans une région où souvent à des kilomètres à la ronde il n’y a pas d’autres industries signifie donc bien plus que la perte d’un emploi et constitue un mélange plutôt explosif de réactions complexes contre un pénible bouleversement de la vie des travailleurs concernés. Il est donc difficile, pour eux, de perdre ce repère : près de leur lieu d’habitation se trouve leur cercle de sociabilité (famille, amis). D’une manière générale, les coûts d’accès à l’emploi, frais de déplacements, achat d’un moyen de locomotion, frais de garde des enfants, s’avèrent dissuasifs, d’autant plus s’il s’agit d’abandonner un « revenu minimum garanti » pour un emploi plus ou moins précaire (CDD, temps partiel…).Un salaire faible, et qui plus est un salaire faible à temps partiel, n'incite pas à effectuer des déplacements quotidiens de 10, 20 ou 50 kilomètres. "Elles ont toutes refusé les postes proposés parce que les frais de route n'étaient pas remboursés pour des postes de quelques heures par mois…" D.Jonquet, Déléguée syndicale § 2 L’intérêt de prospecter les entreprises artisanales Jusqu’à présent, seules les grandes entreprises de plus de 10 salariés avaient été prospectées, parfois même à plusieurs reprises, par les cellules. En ciblant les grandes entreprises, voire les très grandes entreprises, les antennes de reclassement avaient pour objectif de recueillir en masse, des offres d’emploi à proposer à leurs adhérents. Le secteur des entreprises artisanales avait été négligé car jugé peu pourvoyeur d’emplois et mal adapté au profil des Moulinex. 50 51 A.DU CREST, (2000), Les difficultés de recrutement en période de chômage, l'Harmattan, p62-65 A.DEBOUTE, "La vie après Moulinex", Le journal du Dimanche, le 03 mars 2002, p 13. 71 A / Des structures créatrices d’emploi Les très petites entreprises (TPE)52 sont celles qui ont le plus embauché en 2000, leurs effectifs se renforçant de quelques 5100 salariés. En revanche, les 80 très grandes entreprises implantées en Basse Normandie n'ont fait que maintenir leurs effectifs basnormands, la progression de l'intérim, sensible dans les grands établissements industriels, compensant dans une certaine mesure cette absence globale de créations d'emplois. En 2001, la Basse-Normandie a vu s'accentuer le décalage entre les entreprises et établissement de grandes firmes, orientés vers les marchés internationaux, et les entreprises régionales, souvent des PME, œuvrant au niveau local ou national. Alors que les premiers ont subit de plein fouet les effets du ralentissement de l'économie mondiale, les secondes ont continué de profiter de la bonne tenue de la consommation des ménages. Le secteur artisanal qui représente 15% de la population active régionale, a poursuivi sa croissance tant aux plans du nombre d'entreprises que des salariés, sous l'impulsion notamment des activités du bâtiment et des services. L'artisanat reste un pilier de l'activité en zone rurale. Un salarié sur cinq du secteur privé travaille chez un artisan. La tendance au recrutement semble donc se trouver dans les petites structures au rayonnement local. Dans la mesure où les entreprises artisanales semblent contribuer fortement à cette tendance, il parait intéressant d’envisager leur prospection. B / Un encadrement rassurant La plupart des personnes restant à reclasser ont une culture mono-entreprise, ce qui génère des inquiétudes quant à leur avenir professionnel. Un accompagnement de qualité, dans les entreprises d'accueil, peut leur permettre de surmonter les difficultés éprouvées pour acquérir une certaine confiance en eux. Or les entreprises de petite taille sont dans la capacité de proposer un accompagnement de qualité, rendu possible par la proximité et l'écoute du personnel par la hiérarchie. Elles peuvent aider la personne à surmonter son manque de confiance en elle (particulièrement handicapant chez certains) ainsi que lui permettre de réaliser des transferts positifs et élaborer des compétences nouvelles. C / Les Moulinex, un profil qui peut intéresser ces structures Lors d’un entretien à la Chambre des métiers, le chargé de mission rencontré nous a fait part des difficultés de recrutement rencontrées par ces entreprises. D’une part les entreprises artisanales peinent à trouver des gens qualifiés, d’autre part ce type de structure n’attire pas toujours les jeunes. Il y a dix ans, la position de l’offreur d’emploi était plus confortable que celle du demandeur. Aujourd’hui, on peut comparer la situation à celle d’il y a vingt ans. La génération post 1968 qui entrait sur le marché du travail était sans doute aussi infidèle, exigeante, changeante et mobile que les jeunes qui rentrent aujourd’hui sur le marché du travail. Les entreprises artisanales peuvent donc être intéressés par une population travailleuse, plus mature et plus stable. L’effet proximité domicile-travail, peut représenter une garantie de fidélité pour l’entreprise employeuse. Dans la mesure où les Moulinex ont la possibilité de suivre une formation, leur profil peut intéresser les entreprises artisanales qui se plaignent de ne pas trouver des gens suffisamment qualifiés. On pourrait envisager la participation de ces employeurs, dans la définition de la formation nécessaire à la personne recrutée. 52 données de l’INSEE Basse Normandie, juin 2001 72 § 3 La prospection des entreprises artisanales, une piste à retenir ? Les entreprises artisanales sont souvent des structures de très petite taille, rares sont celles qui ont plus de deux salariés. Par conséquent, elles ont rarement des offres d’emploi à pourvoir. Par exemple, à Bayeux, sur 35 entreprises prospectées, 5 offres d’emplois ont été collectées. A / Les entreprises prospectées : un bilan mitigé Les entreprises artisanales appartiennent souvent au secteur du bâtiment ; en effet, on dénombre de nombreuses entreprises de ce type dans la plomberie, la couverture, l’installation d’électricité, peinture et revêtement de sols. Or, non seulement ce secteur exige des compétences particulières et induit des conditions de travail difficiles (port de charges lourdes…) mais il attire également peu les Moulinex. De même les propositions d’offres ne correspondent souvent pas au profil des Moulinex, on recense des propositions d’embauche d’électriciens, peintre en bâtiment, plongeur etc. Seules les propositions faites dans l’hôtellerie ou dans les entreprises de nettoyage peuvent coïncider, mais on peut supposer que beaucoup les refuseraient compte tenu des conditions de travail : ce sont des temps partiels, du travail saisonnier…. Le profil des Moulinex ne correspond pas idéalement à celui recherché par ce type d’entreprises. Les artisans cherchent des gens autonomes, avec un goût du travail bien fait. Etant donnée la petite taille de leur structure, ils ont besoin de personnes disposant de compétences pointues dans de nombreux domaines et donc attachent une grande importance à la polyvalence. Cependant, les artisans se sont montrés, dans l’ensemble, intéressés par la démarche. Même si le profil des Moulinex ne correspond pas totalement à leurs attentes, la perspective d’embaucher quelqu’un de formé et motivé retient leur attention. B / Des adhérents motivés par cette démarche La démarche a été bien accueillie par les adhérents de cellules. Ces derniers s’avèrent plus coopératifs et réceptifs lorsqu’on leur évoque la possibilité de retrouver un emploi qui ne nécessite pas de parcourir de longues distances journalières. L’effet proximité semble même influer sur la motivation des anciens salariés de Moulinex. La perspective d'occuper un poste proche de son domicile a, en effet, eu un impact sur la mobilisation d’adhérents peu actifs dans leur recherche d’emploi. Si l'on prend l'exemple de la cellule F, sur les huit personnes identifiées comme recherchant plus ou moins activement un emploi (dont deux personnes absolument pas mobiles car ne disposant ni de permis et/ ou de moyens de transport), on pensait récupérer deux curriculum vitae, alors que nous en avons récupéré la totalité. Parmi ces personnes, un salarié protégé encore peu actif dans sa recherche d’emploi a accepté de participer à la démarche. De plus, l’idée de trouver un emploi à proximité de son domicile semble rendre les adhérents moins sélectifs par rapport aux offres d’emploi proposées. Nous citerons, en exemple, le cas d’une personne qui souhaite être chauffeur scolaire mais qui a accepté que son CV soit déposé dans des agences de nettoyage du fait de la proximité de ces entreprises. Cet exemple nous laisse à penser que la proximité peut rendre les personnes 73 moins difficiles, plus souples quant aux conditions de travail (emploi à temps partiels, flexibilité des horaires, rémunération avoisinant le SMIC…). Nous avons vu précédemment, que les anciens salariés de Moulinex envisagent difficilement leur intégration dans de petites structures, en raison des exigences de ces dernières en terme de polyvalence et d’implication personnelle dans l’entreprise, ainsi que de l’absence d’avantages sociaux. Nous nous attendions donc à rencontrer des réticences à ce propos. Or, il semblerait que l’aspect proximité ait, une fois de plus, gommé les résistances à l’emploi. § 4 Quelques axes de travail à retenir pour l’avenir Bien que les résultats de notre expérience ne soient pas très probants, il parait tout de même intéressant de garder la perspective d’un recours aux entreprises artisanales à l’esprit. Cette piste semble pouvoir apporter des réponses aux adhérents des cellules, dans certains cas de figure. Il n’est pas question de prospecter de la même manière que les entreprises de plus grande dimension, c’est-à-dire toutes les entreprises artisanales sans distinction, en leur demandant leurs besoins en terme d’embauche. Il s’agit d’identifier les personnes très peu mobiles ou susceptibles de trouver leur intérêt dans un rapprochement avec des structures de ce type et de procéder, par la suite, à une prospection ciblée. Nous pouvons imaginer le scénario suivant : • Repérer les personnes qui ne disposent pas de moyen de transport, qui s’avèrent peu mobiles quelque soit la raison et / ou qui pourraient être intéressées par des postes dans ce type de structure • Vérifier leurs motivations, leur désir de retravailler et qu’elles sont prêtes à travailler dans ce type de structure qui s’avère souvent moins attractif qu’un grand groupe. • Sélectionner dans les fichiers de la Chambre des métiers, les entreprises localisées dans les cantons proches du domicile des personnes et dont le secteur d’activité correspond au profil de la personne et à ses attentes. • Prospecter les entreprises sélectionnées au préalable en basant son argumentaire sur le profil de la personne, ce qu’elle peut apporter à la structure… SECTION II : LE PROGRAMME COMPLEMENTAIRE DE MOBILISATION DES SALARIE Après six mois de fonctionnement, l’antenne emploi a pu constater une insuffisance de sa fréquentation, malgré toutes ses actions, et une insuffisance de résultats dans le reclassement. Consciente de la nécessité « de renforcer, sans délai, les actions de mobilisation de tous les ex-salariés de Moulinex, afin qu’ils s’engagent dans une démarche active de 74 recherche d’emploi » 53, la cellule de reclassement a procédé à une identification des adhérents nécessitant un accompagnement spécifique, car en grandes difficultés. Cette identification a abouti à l’élaboration d’un programme spécifique et mieux adapté aux difficultés de ces publics, dont la mise en place est prévue en septembre. § 1 Le repérage des personnes posant problème Dans un premier temps, la cellule a identifié quatre types de population présentant de grandes difficultés. Ces grandes catégories correspondent à celles que nous avons identifiées précédemment : • Les adhérents victimes d’un handicap lié à un problème de santé • Les femmes et les hommes sans qualification • Les salariés protégés • Les personnes confrontés à une inadéquation majeure du projet personnel au marché du travail Chaque adhérent de cellule, restant à reclasser a, par la suite, fait l’objet d’une identification très précise selon dix sept critères : • • • • • 2 critères sont liés à l’âge : ils visent à identifier les personnes rencontrant des problèmes causés par leur âge et celles qui sont susceptibles de bénéficier du dispositif amiante 4 critères permettent de repérer les problèmes de santé :handicaps moteurs, maladies et maladies professionnelles, accompagnement psychologique, hygiène alimentaire 5 critères sont relatifs aux problèmes pratiques : L’illettrisme, l’absence de moyens de locomotion, les problèmes de qualification, la rareté des postes en adéquation avec le profil et les formations refusées. 2 critères permettent de repérer les personnes touchées par des difficultés financières, dont un concerne uniquement les couples. Sont également repérés les ex-Moulinex sous tutelle, les salariés protégés, les personnes isolées et autres… Ces critères font l’objet d’une grille analyse révélant un panorama des personnes en difficultés restant à reclasser. § 2 Les actions en cours de mise en place « Ce programme prévoit la constitution de nouveaux groupes de travail, de profils homogènes, de taille limitée à une dizaine de candidats, la démarche visant, dans une meilleure proximité individuelle, à mieux mobiliser chacun au sein du groupe pour le situer réellement sur une voie active de recherche d’emploi, en veillant à ce qu’il se tienne à son comportement jusqu’à son reclassement ». Ce programme comprend des entretiens de dédramatisation visant à « canaliser et gérer des craintes et des angoisses fortes non exprimées », une analyse du marché du travail dont l’objectif est de « démontrer la réalité du marché de l’emploi au regard des compétences immédiates du candidat » ainsi que des actions pour « piloter positivement 53 ANTENNE EMPLOI MOULINEX-GROUPE IGS, Programme d’amélioration de la mobilisation en vue du retour à l’emploi des ex-salariés du groupe Moulinex du site de Cormelles le Royal, 25 juillet 2002. 75 une action personnelle de recherche d’emploi » dont le but est de « créer une dynamique et la maintenir ». Ces actions vont reposer sur des passages de la théorie, à la pratique ainsi que sur des alternances de travail individuel et de travail de groupe. Au-delà des apports théoriques, il sera fait essentiellement recours à des mises en situation et des analyses de situations vécues. CONCLUSION Divers projets sont actuellement en cours de réflexion pour optimiser le reclassement des anciens salariés de Moulinex. La cellule peut compter sur le soutien d’autres acteurs pour atteindre cet objectif. Les syndicats sont, par exemple, chargés de rétablir le contact avec les personnes qui ont déserté la cellule emploi et que cette dernière ne parvient plus à contacter. De même, l’association CAP EMPLOI assure un suivi personnalisé des personnes reconnues handicapées par le COTOREP. Les cellules de reclassement sont conscientes de la nécessité de procéder à des actions ciblant la démotivation des salariés, leurs blocages tels que nous les avons analysés, et qui freinent les actions de reclassement et la transformation en contrats de travail des opportunités d’emploi provenant de la prospection des agents et conseillers de l’antenne. Cependant, le fait qu’ils établissent leurs catégories sur des critères objectifs révèle leurs difficultés à déterminer des profils psychologiques homogènes. 76 CONCLUSION 77 Bercés par la douce illusion que le groupe Moulinex ne pouvait disparaître, ses salariés, pris en charge par une entreprise qui leur garantissait une relative sécurité et un certain confort de vie, n’étaient pas préparés à ce brutal revirement de situation. La fermeture des sites Moulinex a mis en difficulté une population plutôt âgée, majoritairement féminine et dont le niveau de qualification est considéré par le marché du travail comme étant « bas » du fait d’un manque de diplômes normés. Pour certains, leur carrière professionnelle exclusivement consacrée au groupe, à tenir des postes routiniers, au contenu appauvri, au bas de l’échelle des emplois n’a pas favorisé le développement de grandes capacités de changement et d’adaptation. C’est pourquoi, beaucoup se retrouvent aujourd’hui, démunis face aux nouvelles contraintes du marché du travail. Ce ne sont pas tant les caractéristiques individuelles de ces personnes qui permettent de comprendre leur exclusion plus ou moins durable de l’emploi, que les processus de sélection sur le marché du travail. Le problème a pour fondement le décalage supposé croissant entre une masse d’individus de faible « niveau » et les exigences de plus en plus élevées pour avoir une bonne chance d’accéder à l’employabilité. La forte croissance de la population de « bas niveau de qualification » est liée à des politiques spécifiées de sélection et de gestion de la main d’œuvre par les entreprises françaises, dans le contexte d’un système national de mobilité déterminé. De même, il n’y a un problème de bas niveaux de qualification que lorsqu’il y a un déficit d’emploi et donc suppression de tous les mécanismes locaux d’ajustement. Les bas niveaux de qualification et les problèmes qu’ils posent se multiplient dès lors que les conditions d’emploi sont telles qu’il est à tout moment préférable pour l’employeur de remplacer le travailleur en place, plutôt que de le réadapter à de nouvelles conditions. Conformément à un plan social âprement discuté, pouvoirs publics et collectivités locales se sont mobilisés, afin de favoriser le reclassement des salariés restant et pour redynamiser le bassin d’emploi. Un dispositif d’envergure inscrit dans une démarche globale a été mis en place pour agir sur le plan social et économique. Les cellules de reclassement créées doivent travailler sur deux fronts : celui des entreprises et celui des hommes. Dans les deux cas, la situation apparaît compliquée. Le bassin d’emploi de Basse Normandie, sinistré par la fermeture des usines du groupe et de ses sous-traitants, ne comprend pas de gros employeurs en pleine expansion capables d’absorber d’un coup une grande quantité d’anciens salariés de Moulinex. La région se caractérise surtout par un tissu de PME qui souffrent du ralentissement de la conjoncture. De plus, un certain nombre d'employeurs préfèrent perdre des marchés plutôt que d'embaucher du personnel n'ayant pas les compétences souhaitées. Ils préfèrent la sécurité d'une situation connue et maîtrisée, à l'inconnue d'embauches incertaines. Parallèlement, 78 certains anciens salariés de Moulinex craignent de reprendre un emploi, par peur de revivre des situations d'échecs. La situation du chômage, même faiblement indemnisée, rivalise avec l'inconnu des emplois précaires ou éloignés. L’individu constitue le support, le point de passage obligé de toute action. En dernier ressort, c’est lui qui vit l’exclusion, c’est lui qui fait la reconversion. C’est à cette réalité que sont confrontés les conseillers emploi des cellules de reclassement. Sans activité du sujet, rien n’est possible. Les cellules emploi doivent donc mettre en place des actions qui suscitent motivation et mobilisation de leurs adhérents. De plus, être soumis pendant de nombreuses années à un travail répétitif sous contraintes temporelles élevées engendre des pathologies. Les cellules emploi doivent traiter distinctement les personnes atteintes de graves handicaps en leur proposant des actions spécifiques, qui prennent en compte leurs problèmes. Un reclassement efficace nécessite que la cellule soit capable d’anticiper les problèmes rencontrés par certains, et qu’elle monte des actions adaptées à ces problèmes. La proximité entre la cellule de reclassement (conseillers emploi) et l’adhérent semble un gage de résultat et un élément clef du reclassement. Chaque personne à reclasser doit sentir qu’elle n’est pas abandonnée à son propre sort mais qu’elle est soutenue par la cellule emploi. C’est d’ailleurs, sans doute pour cette raison que les cellules, dont le nombre d’adhérents est peu élevé obtiennent le plus de résultats en terme de reclassement. De même, une organisation structurée et une répartition claire des rôles favorisent une certaine réactivité de la part de la cellule. La circulation et l’échange d’informations au sein d’une équipe structurée permet de faire remonter rapidement les problèmes et d’y remédier. Il faut également garder à l’esprit que les adhérents, déboussolés par la fermeture de leur usine, pour la plupart, ont besoin de repères. Ils doivent, à tout moment, être en mesure d’identifier le rôle de chaque membre de la cellule emploi. Comme nous pouvons le constater, de tels reclassements sont laborieux et lents, dans la mesure où ils reposent sur différents paramètres et sont à traiter en masse dans l’urgence. Le nombre de plans sociaux a singulièrement augmenté ces derniers mois, à tel point que les licenciements pour causes économiques accusent une hausse de 43 % en un an et que ce rythme risque de se poursuivre. Inquiet par la multiplication de ces annonces de plans sociaux, le gouvernement réfléchit actuellement à des solutions pour prévenir les licenciements massifs. François Fillon, Ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, souhaite mettre en place des structures, « cellules de veille », chargées d’anticiper et d’amortir les licenciements massifs. Ces cellules de veille permettraient79 elles vraiment d’empêcher les destructions d’emplois causées par les restructurations ? Ces dernières ne sont-elles pas inévitables dans un contexte de recherche de productivité et de recours aux nouvelles technologies ? La mise en place de mesures se limitant à atténuer les effets négatifs sur l’emploi des plans sociaux ne suffit pas. Il faut également convaincre l’entreprise de construire en amont la qualification de ses salariés. Plutôt que de se complaire dans l’idée que les plus de 50 ans sont trop chers et ne peuvent plus s’adapter, il semble nécessaire d’imposer la formation tout au long de la vie par des organisation du travail plus qualifiantes et d’inciter les entreprises à une meilleure gestion prévisionnelle des effectifs. De même, il faudrait agir simultanément sur la demande d'emploi, en assurant un accompagnement des demandeurs d'emploi et sur l'offre d'emploi, en incitant l'embauche de certains publics. Dans le cas présent, on pourrait imaginer la mise en place d'actions pour motiver les artisans à recruter les anciens salariés de Moulinex et faciliter leur embauche. 80 BIBLIOGRAPHIE Ouvrages A. BIHR et R. PFEFFERKORN, (1996), Hommes, femmes, l’introuvable égalité, Edition de l’atelier L. BOLTANSKI, E. CHIAPELLO, (1999), Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 843 p A. DU CREST, (2000), Les difficultés de recrutement en période de chômage, l'Harmattan, 173 p F. GINSBOURGER, V. MERLE, G. VERGNAUD, (1992), Formation et apprentissage des adultes peu qualifiés, La documentation française, 239 p I.ILLICH, (1973), La convivialité, Paris seuil, 158 p B LAHIRE, (1993), La raison des plus faibles, Presse universitaire de Lille B. MARTIN, (1993), L'emploi par la formation Les populations en grande difficulté, Chronique sociale, 145 p . J. PAILHOUS et G.VERGNAUD, (1989), Adultes en reconversion, Faible qualification, insuffisance de la formation ou difficultés d'apprentissage, Paris, La documentation française, 102 p. L. TANGUY, (1991), Quelle formation pour les ouvriers et les employés en France?, Paris, La Documentation Française Rapports d’étude F. STANKIEWICZ, R. FOUDI, M.H TRELCAT, « Les"bas niveaux de qualification", l’entreprise et le marché du travail : l’impact des formations », LAST. F.GRINSBOURGER et B.ROY, (2002), « Les conditions du reclassement des salariés de Moulinex-Alençon », DS&O, 21 p GARON BONVALOT, « Rapport d'activité n°3, Cellule de reclassement Moulinex Falaise», juillet 2002 81 Articles H. LESUEUR, (1993), "Stratégie pour l'insertion professionnelle", Education permanente, AFPA n°7 J.D OESTER, (1992), "Bas niveaux de qualification: il s'agit des ouvriers ou d'un mode d'organisation", Education permanente, n°111, juillet, pp.107-119 Revues, Journaux, magazines P. BOTTOIS, (3 mai 2001), « La Basse-Normandie prépare l’après Moulinex », L’usine Nouvelle, n°2777, p 17 A. DEBOUTE, « La vie après Moulinex », Le journal du Dimanche, le 03 mars 2002, p 13. F. GIROT, « La Basse Normandie espère rebondir après Moulinex », 16 janvier 2002, Le Monde G. LE DU, « Moulinex: le reclassement petit à petit », le 30 avril 2002, Ouest France, p 6 G. LE DU, « A Cormelles-le-Royal et Bayeux, le plan social est approuvé », Ouest France, le 19 septembre 2001 J. PALLU, « Alençon tente de croire à l'après Moulinex », Le nouvel Eco, le 22 novembre 2001 N.TATU, « La malédiction Moulinex », Le nouvel observateur, p 90 M.JULIENNE, (1989), « Formation : préparer l’avenir », Point de rencontre Moulinex, n°57, p21-24 82 SOMMAIRE INTRODUCTION _________________________________________________ 3 PARTIE I________________________________________________________ 7 Chapitre I : L’effondrement d’un piler de l’électroménager des années 60 8 SECTION I : L’ERE MOULINEX ________________________________ 8 § 1 Une décentralisation dans « la chlorophylle » ___________________ 8 § 2 Une entreprise paternaliste et familiale ________________________ 9 § 3 De nombreux avantages ___________________________________ 10 § 4 Une forte présente syndicale _______________________________ 10 § 5 La formation chez Moulinex _______________________________ 10 § 6 Une certitude ancrée dans l’esprit des Moulinex, que le Groupe ne pouvait disparaître_______________________________________________________ 12 SECTION II : LA TRAGEDIE MOULINEX _______________________ 13 § 1 Une firme à la dérive _____________________________________ 13 § 2 Une longue et angoissante période d'incertitude quant à l'avenir de Moulinex 14 § 3 La révolte des laissés pour compte___________________________ 17 § 4 Les « Moulinex », une population à reclasser __________________ 18 Chapitre II : L’émergence d’une catégorie qui rencontre des problèmes de reconversion ________________________________________________________ 20 SECTION I : « BAS NIVEAUX DE QUALIFICATION » UNE CATEGORIE PROBLEMATIQUE ________________________________________________ 20 § 1 Qu’entend-on par « Bas Niveau de qualification » ? _____________ 20 § 2 La catégorie "Bas niveaux de qualification", un héritage de l'histoire de la production ______________________________________________________ 22 § 3 : Une appellation erronée, mais une réalité sociale ______________ 25 Section II: les processus de sélection sociale dans le sphère du travail ____ 26 § 1: Les processus de rejet de l'appareil productif __________________ 26 § 2 Les processus de sélectivité à l'embauche _____________________ 28 CONCLUSION ______________________________________________ 32 Chapitre III Les problèmes rencontrés par les agents de production de Moulinex 34 SECTION I: LE PROFIL DES PERSONNES RESTANT A RECLASSER EN MASSE _________________________________________________________________ 34 83 § 1 Une population aux compétences, pour une large part, « invisibles », bien qu’existantes_____________________________________________________ 34 § 2 Une expérience professionnelle circonscrite à l’entreprise Moulinex 36 § 3 Une population affaiblie par la fermeture des sites ______________ 37 SECTION II : LA CONFIGURATION DU MARCHE DE L’EMPLOI __ 40 § 1 Le ralentissement de la conjoncture économique _______________ 40 § 2 L'inégalité homme-femme face au chômage ___________________ 41 Conclusion____________________________________________________ 43 PARTIE II : COMMENT GERER LES FREINS AU RECLASSEMENT DES ANCIENS SALARIES DE MOULINEX _____________________________________________ 44 Chapitre I : L’intervention de l’Etat pour aider la Basse Normandie à rebondir 45 SECTION I : LE CONTENU DU PLAN SOCIAL___________________ 45 § 1 Les mesures d'aide aux salariés _____________________________ 45 § 2 Les cellules de reclassement _______________________________ 46 SECTION II : LA CONVENTION DE REDYNAMISATION, UN DISPOSITIF VISANT LA REINDUSTRIALISATION________________________________ 46 § 1 Les mesures de réindustrialisation ___________________________ 47 § 2 L'intervention de sociétés de reconversion ____________________ 50 SECTION III : LA MOBILISATION DE MOYENS DE FORMATION _ 51 SECTION V : LE SUIVI DES ACTIONS__________________________ 51 § 1 Un contrôle de l'Etat______________________________________ 51 § 2 Les comités d’agrément ___________________________________ 52 CONCLUSION ______________________________________________ 52 Chapitre II: La dynamique des cellules face aux problèmes rencontrés par les anciens salariés de Moulinex___________________________________________ 54 SECTION I : LA CELLULE EMPLOI, UNE COMPOSITION AXEE SUR LA COMPLEMENTARITE _____________________________________________ 54 SECTION II : LE DISCOURS DE LA CELLULE ___________________ 55 § 1 Le positionnement de la cellule _____________________________ 55 § 2 Le discours tenu par la cellule à ses adhérents__________________ 55 SECTION III : LES ACTION DE LA CELLULE ___________________ 56 § 1 Le suivi individuel _______________________________________ 56 § 2 Les ateliers techniques de recherche d'emploi __________________ 57 § 3 L’accompagnement dans le parcours pour l’entrée en formation ___ 59 84 § 4 La collecte d’emplois _____________________________________ 61 SECTION III : LES FREINS VENANT ENTRAVER L’ACTION DES CELLULES EMPLOI__________________________________________________________ 62 § 1 L'aspect pervers des dispositifs d'accompagnement: _____________ 62 § 2 La présence de catégories cumulant des handicaps freinant le reclassement 63 § 3 La présence de freins conjoncturels __________________________ 64 § 4 Le déficit d’image des Moulinex ____________________________ 66 § 5 Les freins au reclassement propres à la cellule emploi ___________ 66 CONCLUSION ______________________________________________ 67 Chapitre III : La nécessité d’approches originales et spécifiques _______ 68 SECTION I LA PROXIMITE, UN MOYEN DE LUTTER CONTRE LES FREINS A LA MOBILITE ? ___________________________________________________ 68 § 1 : La mobilité, un frein au reclassement _______________________ 68 § 2 L’intérêt de prospecter les entreprises artisanales _______________ 71 § 3 La prospection des entreprises artisanales, une piste à retenir ? ____ 73 § 4 Quelques axes de travail à retenir pour l’avenir_________________ 74 SECTION II : LE PROGRAMME COMPLEMENTAIRE DE MOBILISATION DES SALARIE_________________________________________________________ 74 § 1 Le repérage des personnes posant problème ___________________ 75 § 2 Les actions en cours de mise en place ________________________ 75 CONCLUSION ______________________________________________ 76 CONCLUSION __________________________________________________ 77 BIBLIOGRAPHIE _______________________________________________ 81 SOMMAIRE ____________________________________________________ 83 85