IA 900 - Dossier

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IA 900 - Dossier
Dossier | Du champ à la fibre
Selon le Président de l’Union des industries textiles, Yves Dubief, « l’industrie textile française,
après des années de restructurations douloureuses, est engagée depuis 2010 dans un mouvement positif
de développement de son chiffre d’affaires et de ses exportations, grâce à une dynamique
d’innovation matérielle et immatérielle ». Bien que la consommation de produits textiles et
d’habillement soit passée, en France, de 31,8 Mds€ à 30,5 Mds€, entre 2011 et 2015, la filière
regroupe encore plus de 2 000 entreprises, toutes tailles confondues, elle emploie plus de
57 000 personnes en France. La filière représente, selon les derniers chiffres de 2015, un chiffre
d’affaires de 13 Mds€ et exporte pour 8,5 Mds€, ce qui représente une évolution de 5 %.
Ainsi Yves Dubief explique que « le rebond du secteur donne lieu chaque jour à des témoignages
valorisants d’acteurs dans la presse française ou étrangère, et suscite des manifestations d’intérêt
de plus en plus nombreuses de la part de créateurs d’entreprises, de start up, de spécialistes
du “crowdfunding” ». La filière cherche en tout cas à construire avec ses membres, et ses partenaires,
« la France du textile innovant ». Elle veut plus que jamais soutenir les « mutations positives ».
Q Sonia Rykiel, grande couturière
Une magnifique autodidacte
Féministe de la première heure, Sonia Rykiel a inventé avec une incroyable liberté une mode élégante et décontractée qui a
tout à la fois célébré et libéré le corps de la femme dans son quotidien. L’audace dont elle fait preuve en réinventant la maille,
le velours, en imposant les rayures, a influencé beaucoup de grands couturiers et a incarné une façon d’être, une allure.
U
ne grande dame de la mode française s’en est allée à 86 ans des
suites de la maladie de Parkinson
dont elle souffrait depuis près de 20 ans.
Celle que l’on appelait la reine du tri-
cot avait su créer au cœur des années
1960 un style reconnaissable entre tous,
dont la réputation internationale ne s’est
jamais démentie. C’est un certain style
Rive-gauche, un petit morceau de Saint-
12 | L’Information Agricole - N° 900 Septembre 2016
Germain-des-Prés qui nous a quitté, tant
Sonia Rykiel était associée à ce quartier
parisien et à son esprit bohème. Elle y a
fréquenté nombre d’écrivains et d’artistes
en participant dans son domaine au bouil-
Du champ à la fibre | Dossier
lonnement créatif de ce haut lieu de la
vie culturelle de la capitale. Avant même
mai 68, elle a contribué à la libération de
la femme avec des vêtements sans entraves
débarrassés des artifices et des diktats de
la mode des années 1950. Pour cela, elle
refuse les doublures, impose les coutures
à l’envers, supprime les ourlets, crée les
rayures colorées, réinvente le pull-over,
voilà en quelques signes distinctifs l’allure
Rykiel à la fois chic et désinvolte.
Pourtant, rien ne prédestinait Sonia Rykiel
à devenir une figure incontournable de la
mode. Née en 1930 à Paris dans une famille
juive d’origine russe et roumaine, elle est
l’aînée de cinq filles, dont l’enfance a été
gâchée par la guerre, et se comporte en véritable garçon manqué au sein de la maisonnée Flis, son nom de naissance. Elle grandit
dans une ambiance à la Tchekhov avec des
grands-mères qui mitonnent des bons petits
plats russes, une mère qui est navrée que sa
fille soit si rousse, et des conversations passionnées où il est question de politique, littérature et toutes formes d’art. Elle-même a
toujours eu besoin des mots tout au long de
sa vie, écrire et lire étaient aussi indispensable pour elle que faire l’amour ou créer.
Les livres étaient omniprésents autant dans
son appartement que dans sa boutique historique du boulevard Saint-Germain parmi
les vêtements.
Un mariage qui
change tout
C’est en se mariant en 1954 avec Sam Rykiel
que la mode entre littéralement dans sa vie,
même si à l’époque elle a pour ambition
d’avoir dix enfants. Rien ne lui plaît dans
le magasin de prêt-à-porter de son mari,
et alors qu’elle attend son premier enfant
elle fait fabriquer une robe de grossesse qui
l’embellit et ne ressemble à aucune autre.
Puis en 1962, elle demande à un représentant italien de lui faire un pull à sa convenance, le fait reprendre à sept reprises avant
d’obtenir satisfaction : il est court, près du
Photos D.R.
Loin de la mode
corps, en mailles fines et serrées, et ne ressemble en rien aux gros pulls qui se faisaient à l’époque.
C’est tout de suite un énorme succès, d’abord
dans la boutique de son mari, puis en couverture du magazine ELLE avec Françoise
Hardy, avant que Audrey Hepburn, Brigitte
Bardot, Sylvie Vartan et les magazines américains craquent pour ce petit pull moulant et lancent la carrière de Sonia Rykiel.
Sans avoir appris les règles ni les codes de
la mode, elle apporte une fraîcheur et une
liberté qui révolutionnent la perception que
les femmes ont de leur corps et du vêtement. Elle appelle cela la démode : principe
selon lequel il faut porter le vêtement pour
son propre corps et non en fonction des
diktats que la mode lui impose. Comme elle
disait : « Le pantalon, c’est la possibilité de
l’égalité entre les femmes qui ont de belles
jambes et celles qui n’en ont pas ».
Une réussite exemplaire
Une vocation est née devant l’engouement autour de ce petit pull, la nouvelle
styliste affranchie en imagine de toutes
sortes y compris avec des rayures, ce qui
devient une de ses marques de fabrique.
Elle crée ensuite des tuniques, pantalons,
robes qu’elle vend dans la boutique de son
mari jusqu’en 1968, date à laquelle naît la
maison Sonia Rykiel avec une première
collection et un premier défilé de mannequins heureuses de vivre, magnifique
particularité que la couturière perpétuera
jusqu’au bout dans cet univers plutôt froid
de la mode. Elle ose tout et chaque fois fait
mouche, le jogging en velours, la maille,
le strass, les inscriptions sur les pulls. En
1977, elle est la première à dessiner des
modèles pour les Trois Suisses. Elle crée
ensuite une collection homme, une autre
pour enfants, des parfums, des costumes
de spectacles, la décoration de grands
hôtels.
La consécration devient internationale, sa
fille Nathalie vient la seconder dès la fin
des années 1970 avant de reprendre le
flambeau en 1995 même si la créatrice à
la chevelure orange et aux yeux verts sera
toujours présente jusqu’en 2012 malgré la
maladie. La mère et la fille ont longtemps
résisté avant de s’associer avec un fonds
d’investissement chinois, après plus de
quarante ans d’indépendance et de totale
liberté. Cette femme, à la fois gourmande
de tous les plaisirs de la vie, notamment le
chocolat, les cigares, le bon vin, et grande
séductrice, ne s’est jamais départie de son
humour qui a même été présent jusqu’à ses
obsèques. Q
Michel Monsay
L’Information Agricole - N° 900 Septembre 2016 | 13
Dossier | Du champ à la fibre
Q Fibres et textiles intelligents
Des potentialités énormes
Depuis son apparition dans les années 2000, le textile intelligent ne cesse de surprendre et de s’élargir dans de nombreux
domaines au regard de sa capacité d’innovation. Elle s’inscrit ainsi dans l’ère des avancées technologiques mondiales.
innovation dans le domaine du textile remonte déjà au 19e siècle, avec
la révolution industrielle qui mit en
place de nouvelles méthodes de tissage
et de filature, et s’est cristallisée au milieu
des années 50 avec l’utilisation de matériaux aux propriétés innovantes tels que
le polyester ou l’acrylique (infroissables,
lavables facilement, etc.). Aujourd’hui, le
textile intelligent s’entend comme intégrant
des fibres ou composants réactifs qui permettent de communiquer, stocker de l’information ou encore opérer à des calculs
grâce à l’analyse des variations du milieu
environnant. Selon l’observatoire des textiles techniques français, en 2013, les 600
industries françaises du textile sont répertoriées dans le nord de la France (Nord-Pasde-Calais, Picardie), en Alsace-Lorraine,
en Normandie et en Rhône-Alpes. Toutefois le secteur des textiles intelligents est
davantage présent en Rhône-Alpes avec
des entreprises comme CETI, Innotex ou
encore l’Union des industries textiles1.
Le textile innovant par ailleurs touche de
nombreux secteurs tels que le sport, la
médecine, le transport, le bâtiment, l’architecture, la mode ou encore l’armée.
Photos D.R.
L
’
Des catégories variées
Du fait des domaines différents dans
lesquels l’innovation textile intervient,
on peut recenser plusieurs fonctionnalités de ce dernier à ce jour3. A titre
d’exemple, citons son rôle de protection,
notamment contre les agressions clima-
tiques, chimiques ou encore mécaniques
(exemples : dans le bâtiment ou les pays
à température extrême). Il peut également
servir à la communication (exemples : les
textiles à effets visuels ou réfléchissants),
au sport (en tant qu’isolant thermique et
respiratoire), à la santé (surveillance des
battements cardiaques, de la température,
du taux d’insuline, etc.) ou encore au bienêtre en termes de confort, de raffermissement ou de détente. Q
Théo Gning
1
Source : www.crossmedias.fr cité in article « Les Textiles intelligents en France », mars 2014.
2
Source : Ministère du redressement productif : La nouvelle
France industrielle, septembre 2013, cité in article « Les Textiles intelligents en France », op. cit.
3
Source : www.crossmedias.fr cité in article « Les textiles intelligents, la vraie révolution du XXIe siècle), janvier 2014.
14 | L’Information Agricole - N° 900 Septembre 2016
Du champ à la fibre | Dossier
Q Association européenne pour la laine
Un « minerai » comme un autre ?
En France, comme dans le reste de l’Europe, l’activité lainière a peu à peu disparu au cours du XXe siècle. La grande majorité
de la laine européenne est aujourd’hui exportée en Asie pour être transformée, puis importée sous forme de produits finis.
L’association européenne A.T.E.L.I.E.R.* tente de réinvestir cette filière.
’
Pour le maintien d’une
filière laine en Europe
Pourtant, il y a en Europe 100 millions de
moutons. Il existe un réel potentiel de valorisation de cette matière première produite
en grande quantité sur le sol européen,
pour peu que des initiatives soient prises
pour maintenir une filière laine dynamique
sur le territoire européen.
D.R.
L
homme s’est intéressé au pelage du
mouflon dès le néolithique, il y a
près de 8 000 ans. Dès lors, il a développé les caractéristiques lainières du mouton. Au fil des siècles, la laine a connu de
nombreuses évolutions, grâce à la sélection
variétale et au travail des éleveurs, ce qui a
permis le développement d’une multitude
de laines différentes, permettant à l’homme
de se vêtir plus confortablement. Le travail
de la laine a également été l’un des piliers
du développement industriel européen.
Pourtant, la laine souffre aujourd’hui d’une
faible valorisation en Europe et dans le
monde. Le prix de la laine brute dépend
des cours mondiaux. En quelques décennies, la laine est devenue pour certains une
banale matière première dont la valeur s’est
dépréciée avec l’arrivée du textile de synthèse. Pour les éleveurs, la tonte peut désormais être perçue une charge d’exploitation
se rajoutant aux autres, que la vente de la
laine ne permet pas toujours de couvrir.
Quant aux usines de transformation, elles
ont, pour la plupart d’entre elles, fermé tour
à tour au cours de la deuxième moitié du
XXe siècle.
Pour rappel, en 2011 l’Asie achetait 70 % de
la production française de laine. Cette laine
est transformée, puis revendue aux deux
principaux clients de l’Asie en matière de
textile que sont l’Europe et les Etats-Unis.
Elle regroupe aussi bien des éleveurs (de
moutons, chèvres angora ou cachemire,
lapins, alpagas…) que des tondeurs, filateurs, tisserands, petits industriels ou artisans, artistes ou chercheurs, qui ont tous en
commun la passion de la laine et la volonté
d’aller contre la fatalité économique.
Grâce à l’A.T.E.L.I.E.R.*, s’est notamment
mise en place une coopération entre éleveurs et transformateurs qui permet à
chaque éleveur qui le souhaiterait de faire
travailler « à façon » leur laine, et de recevoir
des produits finis issus de la laine de leur
troupeau.
Une étiquette « A.T.E.L.I.E.R.* » a également été créée pour garantir l’origine des
matières premières utilisées, ce qui permet
aux membres de l’association de mieux
valoriser leurs produits et de renforcer le
lien avec les consommateurs.
La promotion de la laine au sens large
constitue enfin l’une des actions phare de
l’association. Q
Quentin Dupetit
* A.T.E.L.I.E.R. : l’Association Textile Européenne de Liaison,
d’Innovation, d’Echange et de Recherche.
LA CHARTE D’ENGAGEMENTS DE L’A.T.E.L.I.E.R.
sUtiliser une matière première locale
Sélection rigoureuse des laines et garantie de l’origine
sContribuer à la maîtrise complète de la filière
Transformation par les membres eux-mêmes autant que possible ; contrôle de l’exécution et de la restitution en cas de sous-traitance
sConstituer un réseau d’entraide
Formation, achat de matériel, participation aux foires, catalogue commun…
sPromouvoir les produits par un label de qualité
Garantie de l’origine de la laine, du lieu de transformation et des conditions de travail
sTransformation dans des pays respectant les droits de l’homme et dans des entreprises
ou les conditions de travail respectent la dignité humaine
L’Information Agricole - N° 900 Septembre 2016 | 15
Dossier | Du champ à la fibre
Q Isabelle Quéhé, présidente de Universal Love
La mode « Made in local »
Isabelle Quéhé, présidente de l’association Universal Love, témoigne de son engagement à mettre en avant des créateurs de
marques éthiques respectueuses des hommes et de l’environnement sur toute la chaîne de fabrication d’un vêtement.
U
niversal Love est une association
qui, au travers d’événements festifs à
Paris, fait découvrir des créateurs qui
n’ont pas de réseau de distribution.
Des icônes
de la mode éthique
Ma rencontre avec la créatrice de mode
bangladaise Bibi Russel m’a permis de comprendre les difficultés des tisseurs locaux
à avoir des débouchés et à faire perdurer
leurs savoir-faire. Des tonnes de vêtements
sont triées en Inde et en Afrique par des
personnes qui n’ont jamais eu l’opportunité
de les porter elles-mêmes. Ces fripes, vendues sur les marchés locaux, déstabilisent
le potentiel de création locale. Omou Sy,
une créatrice sénégalaise, avait en tête de
faire une collection de vêtements locaux
au prix de ces fripes. Ces rencontres m’ont
donné envie d’aider ces femmes en organisant des défilés de mode et des shows
room afin qu’elles proposent leurs créations
à un public professionnel. De cette idée est
né le salon Etical Fashion Show qui rassemble des designers de tous les pays du
monde dont leurs fondements sont le respect de l’homme et de l’environnement sur
toute la chaîne de fabrication du vêtement.
Nous devons tirer des leçons du drame de
l’effondrement en 2013 du Rana Plaza au
Bangladesh qui a fait plus de 1 000 morts.
Aujourd’hui, ce n’est pas possible de porter des vêtements fabriqués à l’autre bout
du monde par des gens en souffrance pour
produire un vêtement censé rendre les gens
plus beaux.
Photos D.R.
Sauver les techniques
traditionnelles
Aujourd’hui, on constate cette idée du
« made in local » où tout d’un coup, on
reprend conscience que l’on a des savoirfaire à protéger et qu’il faut leur trouver des
débouchés. Les personnes vieillissent sans
qu’elles puissent former les nouvelles générations. On le constate en France et partout
dans le monde. Le rachat de notre concept
Etical Fashion Show par l’organisateur
d’événements internationaux Messe Francfurt a renforcé notre démarche. Les choses
évoluent, mais l’éthique dans la mode a
été longtemps associée à une mode écolo-
16 | L’Information Agricole - N° 900 Septembre 2016
gique babacool. Les designers comprennent
que pour que les gens viennent vers eux,
la mode passe avant l’éthique qui est la
cerise sur le gâteau. En France, on regarde
le style et la mode contrairement à l’Allemagne où le confort et l’écologie priment.
A l’occasion de la Cop 21, nous avons organisé le colloque « Changer la mode pour le
climat » et lancé une charte d’engagement
en 8 points. Cette charte a reçu le soutien
de l’union des industries textiles. Nous
attendons que chaque producteur, chaque
designer soit responsable de toute la chaîne
de fabrication de son vêtement pour que
la situation du Rana plaza ne se reproduise
pas. Il existe de telles demandes de livraisons rapides et de volumes que certaines
chaînes étranglent tellement les prix qu’à
un moment, ils passent commande à une
usine qui va sous-traiter faisant ainsi perdre
la traçabilité. De toute évidence, une petite
marque saura plus facilement prouver son
origine.
Réduire l’impact
écologique
L’Afnor travaille sur une norme européenne pour permettre au consommateur
de connaître l’impact écologique des vêtements qu’il achète. Sur le cycle de vie d’un
vêtement, nous devons tout analyser et
penser à un produit biodégradable comme
cela existe déjà avec des vêtements en
lin. Un designer anglais a imaginé un jean
micro-ondable pour extraire les rivets afin
de recycler les fibres. Les comportements
d’acheteurs évoluent aussi vers des classiques indémodables et des vêtements de
meilleure qualité. Q
Propos recueillis
par Jean-Noël Ribéry
Du champ à la fibre | Dossier
QChanvre
Une fibre naturelle et résistante
Principalement cultivé pour sa tige, ses fibres et ses graines, le chanvre est vendu, une fois transformé, dans le monde
entier. Sa production en France a repris depuis les années 1970 pour faire de la France le premier producteur européen en
termes de tonnage et de surfaces cultivées, devant l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Photos D.R.
L
ongtemps considéré comme un des
atouts industriels et économiques de
la France, le chanvre a été largement
cultivé jusque dans les années 1930, sur près
de 176 000 hectares. Aujourd’hui, l’ordre de
grandeur est plutôt de 12 500 ha de chanvre
cultivés en France, ce qui représente plus
de la moitié de la production européenne.
Néanmoins l’Europe n’occupe qu’une place
marginale au plan mondial avec moins de
10 % des surfaces cultivées. C’est en Chine
que sont cultivées près de la moitié des surfaces mondiales de chanvre.
En France, sa culture a subi un long déclin
entre les années 1930 et 1970 à cause
notamment de la concurrence des matériaux de synthèse, issus du pétrole. Depuis
les années 1970, la production a repris, en
particulier dans la Sarthe et les départements
limitrophes ainsi que dans certains départements de Bretagne et de ChampagneArdenne.
Le chanvre trouve plusieurs débouchés : le
textile, la construction ou encore l’alimentation. Pendant longtemps, le chanvre a
été utilisé pour confectionner divers tissus,
vêtements, linge de maison, grâce aux multiples avantages qu’il possède tels que ses
fibres plus longues, plus fortes et plus résistantes. Cependant en Europe de l’Ouest,
l’utilisation du chanvre pour fabriquer du
textile n’est plus viable économiquement.
Seuls des programmes de recherche sont en
cours afin de développer un fil de chanvre
suffisamment fin pour la confection de
vêtements. La marque Lacoste ambitionne
de fabriquer un polo en fil de chanvre, mettant en avant sa capacité à protéger des UV
et à absorber l’humidité. Ce projet appelé
« Chamaille » (chanvre à application maille)
est développé en région Grand-Est autour
de plusieurs acteurs de la recherche.
Dans l’alimentation, les graines de chanvre
sont utilisées pour leur richesse en
Oméga 6 et Oméga 3 et les protéines de
chanvre pour certains régimes spéciaux. Le
chanvre sert également dans la papeterie à
la fabrication de papiers fins et spéciaux.
Dans le domaine de la construction, la laine
et les bétons de chanvre sont de plus en
plus reconnus comme des matériaux extrêmement isolants. La chènevotte, issue de la
tige, sert comme litières pour les chevaux et
d’autres petits animaux grâce à une qualité
d’absorption supérieure (voir page région
pour découvrir la démarche d’un agriculteur
en Seine-et-Marne).
Depuis quelques années, l’augmentation
des surfaces cultivées en France à laquelle
nous assistons nécessite une consolidation,
voire un développement de ces débouchés.
En effet, vantée pour ses vertus agronomiques, la culture du chanvre séduit car
elle s’intègre bien dans la rotation des sols
et représente un réservoir de biodiversité
pour des espèces, régulateurs des ravageurs
de cultures. Elle est, par exemple, idéale
comme préparateur de sol pour une culture
céréalière. Q
Benjamin Guillaumé
L’Information Agricole - N° 900 Septembre 2016 | 17
Dossier | Du champ à la fibre
Q Développement
La filière coton, quelles perspectives ?
Le coton, parfois dénommé « or blanc », représente un poids économique important pour les états exportateurs, notamment
pour les pays en voie de développement ou émergents. Il reste toutefois soumis à une concurrence importante sur le marché
international et plus récemment aux exigences environnementales liées aux conditions de sa culture.
Photos D.R.
L
e coton est produit dans près de
100 pays sur environ 2,5 % des terres
cultivées dans le monde. Ce qui
représente 25,5 millions de tonnes par an
de 2010 à 2012. En 2001, le commerce des
articles à valeur ajoutée dans le secteur de
l’habillement a atteint 19,5 milliards de dollars EU, tandis que le commerce du coton
brut a représenté 6,3 milliards de dollars
EU1. La plus grande partie de la production est réalisée dans les pays en voie de
développement. 99 % des cultivateurs de
coton y vivent et y travaillent. Cela représente entre 30 et 50 millions de personnes
impliquées dans la culture du coton. A ce
titre, il reste un contributeur essentiel dans
l’économie de ces pays dans la mesure où
il est pourvoyeur d’emplois, et a des effets
directs importants sur la sécurité alimentaire de ces pays grâce à son intégration
dans les systèmes de production agricoles
traditionnels2. Avec 800 millions de tonnes
de fibres de coton exportées en 2006, les
exportations de coton contribuent significativement au PIB national (de 5 % à
10 % pour le Bénin, le Burkina Faso, le
Mali, le Tchad et le Togo)3. Au Sénégal
par exemple, c’est près de 500 000 personnes qui bénéficient de la production
et du commerce du coton4. Au Mali, il fait
vivre 2,5 millions de personnes et constitue la 2e ressource de recettes d’exportation du pays5. Au niveau européen, la
Grèce en tête avec 80 % de la superficie
européenne exploitée, puis l’Espagne
avec 20 % et dans une moindre mesure
la Bulgarie sont les trois états membres
producteurs de coton. Entre 2002 et 2012,
les importations européennes de coton
sont passées de 870 000 tonnes à 132 000
tonnes6.
La notion
de coton équitable
La majorité des produits en coton est vendue dans les pays développés (l’Amérique
du nord consomme 25 % des produits et
l’Europe 20 %). De plus, le prix mondial
de la fibre de coton est fixé par les marchés d’exportation et les pays exportateurs
souffrent de la distorsion de concurrence
de producteurs bénéficiant largement de
subventions nationales versées par des
pays comme les Etats-Unis, leader sur le
marché avec 40 % des exportations, mais
aussi la Chine ou l’Union européenne
(47 milliards de dollars depuis 20017),
abaissant ainsi le cours du coton au niveau
mondial de près de 60 % entre 1981 et 2001.
Enfin, les millions de petits producteurs
issus des pays en développement doivent
18 | L’Information Agricole - N° 900 Septembre 2016
par ailleurs faire face à la concurrence de
la fibre synthétique qui représente 60 %
des parts de marché. Face à la crise des
marchés et à cette menace, a émergé au
Mali dès 2003, la filière « coton équitable ».
Elle s’est ensuite étendue dans d’autres
pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre
(Burkina Faso, Cameroun, Sénégal, Inde),
mais aussi à des organisations de producteurs en Egypte, au Brésil et au Kirghizstan
pour représenter près de 55 000 producteurs pour 19 000 tonnes de coton fibre8.
Cette filière a pour ambition de garantir
la visibilité mondiale des cotonculteurs
de ces pays, et de leur assurer un « prix
minimum garanti » fixé selon les régions
de production et les variétés cultivées afin
qu’ils puissent améliorer leurs revenus et
faire face à la pauvreté et aux coûts de production.
Du champ à la fibre | Dossier
L’émergence
du coton biologique
Parallèlement à la concurrence mondiale à
laquelle doivent faire face les producteurs
de la filière classique du coton, celle-ci
doit également répondre aux exigences
environnementales afférentes aux systèmes de production et de culture. Aussi,
certains pays commencent à se tourner,
à partir des années 1990, vers la culture
du coton certifié biologique. Cette filière
représente 0,1 % de la production totale
de coton en 2006 sur 22 pays, avec en
tête la Turquie et l’Inde, la Chine et les
Etats-Unis10. La demande est issue principalement des consommateurs européens
et nord-américains.
La certification biologique est cumulable
avec celle de « commerce équitable ». Elle
se veut moins polluante, sans colorants,
avec moins de produits toxiques pour les
producteurs et de consommation d’eau.
Elle est assurée par des organismes indépendants tels que BioRe, Ecolabel, Max
Havelaar, etc. Q
Théo Gning
1
Source FAO.org
CTB (Trade for Development), cité in « Commerce équitable
du coton et du textile au Sénégal ».
3
Sources : FAO et www.planetscope.com, agriculture et alimentation.
4
Idem.
5
Source Maxhavelaarfrance.org
6
Source planetscope, op. cit.
7
Source Maxhavelaarfrance.org, op. cit.
8
Idem.
9
www.futura-sciences.com cité in « D’où vient le coton biologique », août 2013.
10
Idem.
2
Q Marque drômoise 1083
Le concept 100 % made in France
Créée en 2013, la marque drômoise 1083 vend des vêtements et des chaussures éco-conçus et entièrement fabriqués en
France, avec des matières premières françaises dès lors que c’est possible. Une belle réussite d’un jeune entrepreneur aux
valeurs ancrées.
Une économie locale
dynamisée
A contre-courant du mouvement de délocalisation des industries, 1083 relocalise.
Photos D.R.
En 2013, Thomas Huriez, qui tenait depuis
2007 une boutique, « Modetic », à Romanssur-Isère (Drôme), met en place une campagne de financement participatif, sur
Ulule, afin de lancer la fabrication d’un jean
éco-conçu et 100 % fabriqué en France.
Ce fut un succès (110 000 € récoltés) : la
marque 1083 était née. Pourquoi 1083 ? Il
s’agit de la distance entre les deux villes les
plus éloignées en France, Menton (AlpesMaritimes) et Porspoder (Finistère), soit la
limite symbolique pour la fabrication des
jeans. La jeune entreprise a ensuite étendu
sa gamme aux tee-shirts, jupes, bermudas,
veste, chaussures et ceintures, avec toujours
la même démarche éthique. Tous leurs produits bénéficient ainsi de la certification
« Origine France Garantie ».
Ainsi, les jeans sont entièrement teints,
tissés et confectionnés en France ; les
tee-shirts sont tricotés dans la Drôme et
confectionnés dans la Loire ; les chaus-
sures sont fabriquées à Romans, capitale
de la chaussure, et labellisées « Véritable
Chaussure de Romans ». Globalement, les
matières premières viennent pour moitié
L’Information Agricole - N° 900 Septembre 2016 | 19
Dossier | Du champ à la fibre
de France, et pour l’autre de pays étrangers, voisins dans la mesure du possible,
lorsqu’il n’y a pas de fournisseurs locaux.
Ainsi, le lin est français, le cuir provient
de veaux français. Quant au coton, bio, il
vient de Turquie ou d’Afrique, puisqu’il n’y
a pas de production de coton en France, et
très peu ailleurs en Europe.
La démarche de 1083 a ainsi permis
de redynamiser des unités de fabrica-
tion (plus de 20 partenaires français et
locaux) et de réexploiter des savoir-faire
ancestraux, qui dépérissaient depuis des
décennies avec la déprise industrielle.
30 emplois ont été créés en 3 ans. De
plus, c’est bien l’économie locale qui
profite de l’activité de 1083, puisqu’elle
recueille près de 86 € sur le prix de vente
du jean à 89 €. Bref, une entreprise qui
donne du sens à la notion, souvent gal-
vaudée, de développement durable, avec
une démarche réellement responsable
et transparente. Preuve que le concept
séduit les Français, et de plus en plus, les
commandes de jeans progressent et se
chiffrent à plus de 1 000 par mois. Q
Claire Courreau
INTERVIEW DE THOMAS HURIEZ, FONDATEUR DE 1083
Pour Thomas Huriez, fondateur de
1083, il est indispensable de récupérer une partie de la marge commerciale réalisée par les distributeurs.
Un parallèle qui pourrait ressembler
aux préoccupations de l’agriculture.
Quelles ont été les principales difficultés
vécues dans la mise en œuvre du projet
1083 et comment les avez-vous surmontées ?
Avant, personne ne croyait vraiment au
« made in France », à cause de la problématique du coût du travail élevé dans notre
pays. Or, coût du travail et niveau de vie
évoluent dans le même sens... Le vrai problème est celui de la marge commerciale
réalisée par le distributeur : aujourd’hui,
il existe un coefficient de 1 pour 10 entre
le prix à la fabrication et celui à la vente.
Avant, ce coefficient était de 1 pour 3 :
nous avons repris ce modèle économique
qui fonctionnait bien, en intégrant sous la
D.R.
marque à la fois la fabrication et la distribution.
Peut-on faire un parallèle entre l’évolution des filières textiles et
amenés à innover pour des procédés toujours plus vertueux,
agricoles en France ?
comme avec cette machine de délavage écologique.
Oui, réintégrer la fonction de distribution pour récupérer la valeur
Le « Made in France », mode ou tendance lourde selon vous ?
ajoutée serait une solution pour les agriculteurs pour surmonter
Une tendance lourde ! Mais la notion de proximité a encore plus
leurs difficultés et éviter de suivre l’évolution passée des industries
de sens pour les Français, elle les rassure.
textiles françaises.
Quid de la question du coton importé ?
Quelles prochaines évolutions de votre projet souhaitez-vous
Il n’y a plus en France de filière textile 100 % intégrée : nous sou-
désormais mettre en œuvre ?
haitons relocaliser l’ensemble de la filière coton, en développant
La croissance des demandes nécessite que nous poursuivions la
le recyclage de cette fibre. Cela permettra de limiter les appro-
réindustrialisation : nouvelles unités de fabrication, création d’em-
visionnements éloignés, mais aussi d’éviter de participer à l’aug-
plois, savoir-faire traditionnels à pérenniser... Pour rester concur-
mentation de la pression foncière dans les pays producteurs et
rentiels, nous devons élargir notre offre : de nouvelles coupes de
au remplacement des cultures vivrières par celle du coton pro-
jeans seront ainsi disponibles à l’automne. Nous sommes aussi
duit pour l’export.
20 | L’Information Agricole - N° 900 Septembre 2016
Du champ à la fibre | Dossier
QLe mohair des fermes de France
Un marché porteur
L
a chèvre Angora, également connue
sous le nom de chèvre du Tibet, est une
race caprine originaire du Cachemire
et du Tibet, dont la robe est entièrement
blanche, aux mèches longues, soyeuses et
lustrées. Le mohair, laine fabriquée à partir
de la toison de la chèvre Angora, est utilisé
pour la fabrication de tissus de très haute
qualité reconnus à travers le monde.
L’Angora est une race ancienne dont
les premiers témoignages datent de
2000 avant J.C., bien avant le mythe de
Jason et la toison d’or issu de la mythologie grecque. Ce n’est qu’au XIe siècle
après J.C. que la race arrive en Turquie
et s’installe dans la province d’Angora
(aujourd’hui province d’Ankara) qui lui a
par la suite donné son nom.
C’est également à cette époque que l’artisanat du mohair se développe, cette fibre
ayant séduit les sultans de l’époque par sa
brillance, son élasticité, son confort et la
beauté de ses couleurs.
« Le Mohair des fermes
de France »
En France, la race Angora s’est installée au début des années 80, à l’initiative
d’une poignée d’éleveurs passionnés.
Dès 1982, ces derniers décident de fonder l’ASCAUM (l’Association Nationale
des Eleveurs de Chèvres Angora et Utilisateurs de Poil Mohair), qui évoluera
en Association Interprofessionnelle du
Mohair Français en 1994. L’interprofession rassemble l’Association Nationale des
Eleveurs de Chèvres Angora (collège des
producteurs), le SICA Mohair, principale
structure de la transformation (collège des
transformateurs), CAPGENES France (col-
lège génétique) et les éleveurs et groupements de commercialisation (collège
commercialisation).
Les missions de l’interprofession sont
multiples : fédérer l’ensemble des composants de la filière, assurer la promotion
de toute l’activité du mohair, proposer
aux éleveurs de multiples outils de communication… L’Association Interprofessionnelle du Mohair Français assure également le respect de la certification « Le
Mohair des fermes de France » qui s’est
mise en place dès 1994 dans l’objectif de
garantir au consommateur un certain standard de qualité, ainsi que l’origine France
du mohair utilisé pour la confection des
produits (écharpes, plaids, chaussettes,
fils à tricoter…). Cette démarche de certification de la qualité s’appuie sur un
cahier des charges bien spécifique qui
permet aux commerçants, la plupart du
temps les éleveurs eux-mêmes, d’apposer le logo « Le Mohair des fermes de
France ». La filière réfléchit aujourd’hui
à la mise en place d’une charte, dans
une optique de progression en matière
de vente, d’élevage, d’environnement ou
encore de gestion.
Perspectives d’avenir
D.R.
Grande importatrice de mohair brut, somptueuse laine de chèvres Angora, la France est également devenue productrice de
mohair dans les années 80, à l’initiative d’une poignée d’éleveurs qui ont su structurer la filière, et mettre en valeur la qualité
et l’origine France de leur production. Dans cette filière, l’enjeu d’avenir est le renouvellement des générations.
de mohair brut (soit 10 % de la production mondiale), tandis que la production de mohair des fermes de France ne
s’élève qu’à 16 tonnes par an. Les quantités produites en France peuvent donc largement progresser, notamment dans un
contexte ou l’Origine France et la qualité
ont le vent en poupe. L’enjeu est donc
d’attirer les jeunes dans cette production,
afin de pérenniser la filière. Par ailleurs,
30 ans après l’installation des premiers
producteurs de mohair, nombres de ces
pionniers de l’Angora « made in France »
partiront à la retraite. Le renouvellement
des générations représente donc la priorité pour cette filière dont l’avenir semble
tout tracé. Q
Le marché du mohair est porteur. La
France importe chaque année 2000 tonnes
Quentin Dupetit
1986
2010
Nombre d’éleveurs de chèvres Angora en France
30
140
Production de mohair brut (en tonnes)
1
16
Cheptel France
-
7 000
L’Information Agricole - N° 900 Septembre 2016 | 21
Dossier | Du champ à la fibre
QOpportunités
Le lin, fibre du passé, fibre d’avenir
Synonyme de ressource locale et renouvelable, la fibre de lin bouscule en permanence ses territoires d’expression. Le plus
ancien tissu de l’humanité peut aujourd’hui être utilisé comme textile technique à même de séduire l’imaginaire des designers. Mis à l’honneur à Paris en mai dernier, le lin est loin d’avoir dit son dernier mot !
O
n ne peut pas ouvrir un
magazine féminin, sans qu’il
soit question du lin », sourit
Marie-Emmanuelle Belzung, la dynamique
secrétaire générale de la CELC (encadré).
C’est avec une énergie sans pareille que
cette entrepreneuse issue du milieu de la
mode, a contribué dernièrement à la réussite de l’exposition Ultralin qui s’est tenue
à Paris (voir p. 23). « Tout le monde s’est
impliqué, des commerçants aux filateurs,
jusqu’aux teilleurs. Ceux qu’on a appelés
les « tabliers bleus » se sont relayés pour
expliquer les métiers de la filière lin. MarieEmmanuelle Belzung qui a « semé les cailloux » dans la filière est fière de la réussite
de cette exposition place des Vosges à Paris
qui a attiré plus de 35 000 visiteurs. « Nous
étions aussi présents au BHV le Marais »
ajoute, très satisfaite la responsable.
Une stratégie
commune
« Notre organisation CELC a été créée avec
la volonté de mutualiser nos moyens et
avoir une stratégie commune. Nous avons
aujourd’hui une vraie expertise dans la
filière et sommes très proches de nos
adhérents. Nous avons d’ailleurs à cœur
de participer aux assemblées générales de
nos coopératives. Les teilleurs privés sont
aussi également très impliqués dans la stratégie industrielle de la filière ». Une filière
qui évolue, main dans la main, pour valoriser cette fibre si étonnante. En dehors
de ses propriétés de thermorégulation, de
résistance, d’absorption de l’humidité, ses
qualités environnementales ont déjà été
démontrées puisqu’ « une chemise en lin
économise l’équivalent de 13 bouteilles
d’1,5 l d’eau par rapport à une chemise
Photos D.R. et C.E.L.C.
«
classique ». Rappelons aussi que La France
est le premier producteur européen de
lin textile. Producteurs liniers, chanvriers
et transformateurs secondaires sont les
acteurs d’une filière créatrice d’emplois en
zone rurale. Aujourd’hui, 8 000 entreprises
agricoles cultivent le lin en France, ce qui
représente 15 000 emplois directs et 10 000
emplois indirects.
S’appuyer
sur la recherche
et l’innovation
Même si les utilisations restent à 60 %
l’habillement, les nouveaux débouchés
explosent avec un développement technique incroyable. Au sein du Pôle Technique et de son Comité Scientifique européen, la CELC engage ses industriels vers
l’avenir et les nouveaux débouchés techniques comme l’éco-construction et les
produits composites à haute performance.
22 | L’Information Agricole - N° 900 Septembre 2016
UNE ORGANISATION
EUROPÉENNE
La Confédération Européenne du Lin et du
Chanvre (CELC) est l’unique organisation
européenne agro-industrielle regroupant
et fédérant tous les stades de production
et de transformation du lin & du chanvre.
Créée en 1951, et composée de 10 000
entreprises adhérentes de 14 pays, la CELC
crée un environnement favorable à la
compétitivité des entreprises industrielles
dans un contexte international en stimulant l’innovation et en s’appuyant sur ses
valeurs inscrites dans le développement
durable.
La CECL a mis en place la signature EUROPEAN FLAX® est une caution auprès du
grand public, d’un lin fibre européen de
qualité premium. Zéro OGM, zéro irrigation, zéro déchet, EUROPEAN FLAX® certifie
un lin cultivé en Europe, dans toutes ses
applications jusqu’aux produits finis, Mode,
Maison, Design et Composites. Une traçabilité qui, lorsqu’elle intègre le 100 % Made
in Europe, se labellise MASTERS OF LINEN®.
Du champ à la fibre | Dossier
« Il est indispensable que la filière appuie
son développement sur la R&D. L’innovation passe par la créativité et le design »,
insiste Marie-Emmanuelle Belzung. L’avenir
est entre les mains des jeunes générations.
D’ailleurs, les jeunes agriculteurs qui ont
contribué à la réalisation des bacs de lin
pour l’exposition Ultralin participeront au
3e Congrès International de la CELC qui a
lieu à Madrid du 18 au 21 octobre prochain.
Une vraie traçabilité
« Nous souhaitons que notre marque de traçabilité – elle a moins de 10 ans – soit mieux
diffusée, jusqu’au produit fini. Elle manque
encore de visibilité et les professionnels ne
se la sont pas assez appropriée », regrette
la dirigeante qui insiste encore : « Nous
sommes arrivés avec le bon produit au bon
moment. Il faut continuer à diffuser tout ce
savoir-faire et sans cesse innover ! » Q
Claire Nioncel
Le Comité interprofessionnel de la production
agricole du lin (Cipalin) a recommandé fin août
de limiter les prochains emblavements à hauteur
des surfaces de 2015. « Nous recommandons à
chaque producteur de limiter l’emblavement
2017 au niveau de 2015. En aucun cas, le lin ne
peut être une culture de remplacement », a indiqué l’interprofession fin août en ajoutant : il n’y a
« pas de place pour de nouveaux producteurs ».
La récolte 2016 est dite « satisfaisante » en volume.
« Alors que certaines cultures sont moins rémunératrices cette année, la valorisation actuelle du
lin paraît attractive ». Mais comme pour freiner
d’éventuels candidats à la production, le Cipalin
insiste : « la culture du lin est une culture de spécialistes ». Et d’expliquer que l’activité est « très
exigeante et à risques ». Le lin fibre constitue « un
marché très spécifique qui est presque dans une
situation d’équilibre, après des années compliquées et incertaines ».
Un champ de lin, en plein Paris, au printemps dernier.
EXPOSITION #ULTRALIN, À PARIS
Un champ de lin cultivé pour l’occasion par des Jeunes agriculteurs de La Linière de Ressault et de la coopérative de teillage du plateau de Neubourg, dans l’Eure a fleuri au
moment de l’exposition. Ils avaient travaillé en amont en cultivant 350 bacs
afin de reconstituer le champ de lin.
« Une gageure technique pour les
agriculteurs », puisque le lin fleurit habituellement fin juin-début juillet. « La
culture du lin en bacs a été une première pour nous », explique Joris Soenen, qui cultive du lin bio pour la coopérative
de Neubourg. « Nous avons été une dizaine à nous déplacer sur Paris. Nous étions
fiers de présenter notre travail qui aboutit à une fibre naturelle et de haute qualité ».
Le jeune agriculteur, sur son exploitation de polyculture-élevage explique que la
culture est difficile et ne peut revenir que tous les 7 ans sur une même parcelle. Ce
qui limite, ente autres, son extension sur les exploitations.
L’Information Agricole - N° 900 Septembre 2016 | 23
C.E.L.C.
Ultra lin s’est déployée du 26 mai au 5 juin 2016 pour mettre en lumière les multiples applications, notamment textiles. Plus de 40 marques et 150 boutiques ont mis la matière en valeur
sous le slogan « J’aime le lin », et une exposition Place des Vosges à Paris pour découvrir
le produit, à toutes les étapes, de la plante au produit fini. 120 000 sachets de lin ont été
distribués aux Parisiens.
Dossier | Du champ à la fibre
QFranck Boehly, président du Conseil national du cuir
Le cuir est un co-produit
de l’élevage
Le président du Conseil national du cuir (CNC), Franck Boehly rappelle les bons chiffres de la filière, qui place la France au
niveau du 3e exportateur mondial de cuirs et peaux bruts. Il insiste sur le rôle des éleveurs en amont.
’
L
I. A. – Pourquoi avez-vous décidé de réintégrer le salon de l’agriculture cette
année ?
F. B. Q Il est naturel que la filière cuir soit présente au salon de l’agriculture, cela correspond à la volonté des professionnels de faire
rayonner les savoir-faire de leurs entreprises.
Le Syndicat Général des Cuirs et Peaux représentait la filière, sur son stand L’Atelier du
Cuir, rattaché au pavillon d’Interbev. Nous
avons saisi cette opportunité pour toucher
deux cibles : le grand public et les professionnels. C’était l’occasion de rappeler que le
cuir est un co-produit de l’élevage et l’intérêt
des éleveurs à suivre les bonnes pratiques.
Le thème étant porté sur les métiers de nos
secteurs, nous avons prévu des ateliers de
démonstration pour sensibiliser les visiteurs
à venir se former au cuir.
pact des bonnes pratiques (voir encadré,
ndlr). S’il n’est pas possible aujourd’hui
d’augmenter la production, il est en
revanche possible d’accroître de façon
spectaculaire le pourcentage de peaux de
premier choix en appliquant ces mesures.
D. R.
Information Agricole – Comment
se porte la filière cuir en France ?
F. B. Q La filière est composée d’artisans, de PME-PMI, et de grandes entreprises
au nom prestigieux, reconnus mondialement
pour leur savoir-faire traditionnel, la qualité
de leurs produits et leur capacité d’innovation et de création à la française. D’un point
de vue général, la filière portée par le luxe
présente de bons résultats à l’export : la
France est l’un des leaders mondiaux des
cuirs de veau et de cuirs exotiques, 3e exportateur mondial de cuirs et peaux bruts ainsi
que d’articles de maroquinerie. Nous exportons pour une valeur globale de 9,3 milliards
d’euros en 2015 pour un chiffre d’affaires
total de la Filière de 15 Mds.
Néanmoins, elle connaît en 2016 un léger
ralentissement sur certains pays étrangers
comme en Chine, notamment à Hong Kong,
et au Japon.
I. A. – Seulement 20 % de peaux achetées aux éleveurs français peuvent être
transformées en cuir de qualité. Comment expliquer cette difficulté d’approvisionnement ?
F. B. Q La filière du cuir portée par le luxe se
retrouve aujourd’hui dans une situation où
la matière première est devenue insuffisante
pour faire face à la demande des grandes
maisons.
Si la France est reconnue pour ses cuirs
de veau, matière la plus recherchée dans
le secteur de la maroquinerie, les peaux
se font rares puisque le nombre de bêtes
abattues est en diminution, avec la baisse
de consommation de viande. D’autre part,
nous faisons face au problème de la teigne
et aux blessures d’origine mécanique (barbelés) qui ont tendance à dégrader fortement la qualité de la peau et la rendre
impropre à la fabrication d’articles de luxe.
Une commission transversale a été mise en
place en 2009-2010 réunissant l’ensemble
des acteurs de la filière pour mesurer l’im-
24 | L’Information Agricole - N° 900 Septembre 2016
I. A. – Etes-vous optimiste quant à l’avenir économique de la filière ?
F. B. Q Oui, nous sommes résolument optimistes. Il s’agit en effet d’une filière qui
continue de créer des emplois. Les entreprises recherchent continuellement des
candidats au poste de piqueur, monteur,
ingénieur tannerie, maroquinier, podoorthésiste… Pour maintenir et transmettre
ces savoir-faire, le CNC communique beaucoup auprès des jeunes afin de les attirer
dans notre filière… Nous avons lancé des
projets pour renforcer les synergies entre
les différents acteurs de la filière : mise
en place de clusters pour mutualiser les
moyens entre professionnels d’une même
région, soutien accordé à la création d’entreprises dans le secteur du cuir à travers le
dispositif ADC au-delà du cuir lancé à l’initiative du CNC et la Fédération Française de
la Chaussure avec la participation du CTC,
projet de création d’un fonds de garantie
pour la reprises d’entreprises…
La filière a connu et surmonté des moments
difficiles, notamment à l’époque de la
désindustrialisation mais elle a su s’adapter aux contraintes environnementales avec
une modernisation exemplaire des sites
industriels, notamment pour les tanneries/
mégisseries. Elle a su également renforcer
son exigence pour des produits de haute
qualité et entretenir sa créativité et sa capacité d’innovation.
Propos recueillis par Claire Nioncel
Du champ à la fibre | Dossier
QUALITÉ DU CUIR
SENSIBILISATION DES ÉLEVEURS
A côté du tannage chimique, en existe un autre réalisé à partir d’écorces, de fruits, de
racines, ou de feuilles. Il donne un cuir très ferme, sans élasticité mais plus respectueux de
l’environnement au regard de son processus de fabrication. Le cuir à tannage végétal
est généralement utilisé dans la fabrication de semelles de chaussures et des courroies
industrielles.
* Regroupées au sein du Conseil National du Cuir, hors partie élevage.
LA PLACE DE LA FRANCE SUR LE MARCHÉ MONDIAL
La filière représente 8 000 entreprises*, artisans, PME-PMI, grandes entreprises au nom
prestigieux, qui emploient 70 000 salariés
et réalisent 15 Mds € de chiffre d’affaires.
Elles exportent pour une valeur globale de
9,3 Mds € en 2015. Pour la filière cuir, la France
est le 8e importateur mondial : les importations françaises en 2015 sont estimées à
10,7 Mds€, dont 50 % proviennent de l’Asie
et de l’Océanie et 45 % de l’Europe, avec
comme principaux fournisseurs la Chine et
l’Italie. Cela représente 10 % de plus par rapport à 2014. Au regard des exportations, elle
se place au 3e rang (9,3 Mds€, soit + 11 % par rapport à 2014), dont 60 % dans le seul
domaine de la maroquinerie et 30 % pour les chaussures. La principale clientèle française
est européenne, avec l’Italie en tête (14 % du marché en 2015). Concernant la filière
cuirs et peaux bruts, les importations sont de l’ordre de 153,1 M€ dont 2/3 concernent les
peaux brutes exotiques, largement utilisées dans l’industrie du luxe et les exportations de
l’ordre de 369 M€, majoritairement du cuir bovin. La France est le 3e exportateur mondial
dans ce secteur. Enfin concernant les filières maroquinerie et chaussures, la France est
placée respectivement en 3e (9,2 % des exportations) et 12e (1,7 %) exportateur mondial.
Au niveau des importations, elle est classée 3e dans le domaine des chaussures (6,2 %) et
4e dans la maroquinerie (6,5 %)*.
Photos D.R.
La majorité du cuir produit provient des animaux d’élevage (veau, chèvre, agneau,
vachette, etc.). Le tannage désigne l’opération par laquelle on transforme la peau en
cuir selon des procédés chimiques. Cela demande la mise en place d’une logistique
considérable pour aboutir au produit fini mis sur le marché en l’état (cuir et peaux bruts)
ou transformé. Cela exige aussi des animaux d’élevage bien entretenus ; ce qui conditionnera la qualité du produit final. Voilà pourquoi, le cuir est à l’origine d’une forte collaboration entre l’agriculture, les abattoirs et l’artisanat ainsi que dans la mise en place de
métiers variés connexes tels que les tanneurs, les classeurs de cuir (selon la couleur ou la
qualité), les modélistes, etc. Par ailleurs, il touche différents secteurs qui vont de la mode
(vêtements, maroquinerie, chaussures, ganterie, etc.) à l’ameublement en passant par
d’autres domaines tels que la sellerie.
La sensibilisation et la vaccination sont au
cœur des actions menées régulièrement
par le Syndicat Général des Cuirs et Peaux
(SGCP), ainsi que par la Fédération de la
Tannerie Mégisserie, pour améliorer la qualité des peaux françaises. Dans le but de
réduire les défauts mécaniques, les professionnels prônent plusieurs recommandations, parmi lesquelles le remplacement des
barbelés qui griffent la peau, le traitement
des animaux contre les maladies et bien sûr
le vaccin systématique du cheptel contre
la teigne. Depuis 2010, 3 260 000 doses de
vaccin ont été utilisées et on estime à plus
de 750 000, le nombre de doses retenues
pour 2016. Un animal sain décuple les
chances non seulement de produire une
peau de qualité mais aussi de dégager
un bénéfice économique pour l’éleveur.
L’investissement global entre 2010 et 2014
pour l’amélioration de la qualité des peaux
en France est estimé à 12 millions d’euros,
financés par l’ensemble de la filière et
notamment par la taxe affectée prélevée
sur les entreprises industrielles. Un guide de
bonnes pratiques est distribué aux éleveurs
et aux autres acteurs en amont : adaptation des élevages pour réduire l’apparition de défauts sur les peaux, hygiène des
locaux, vaccination, traitement contre les
parasites, contrôle des conditions de transport et de l’abattage dans la chaine de
production des peaux de veaux, de jeunes
bovins et d’ovins. Le SGCP le distribue systématiquement dans les salons et congrès
mais aussi sur le terrain, dans les lycées agricoles, les abattoirs et bien sûr auprès des
éleveurs. C’est le credo du syndicat, aussi
actif dans les sections élevage des lycées
agricoles que les élevages eux-mêmes.
Plus de 500 exploitations ont ainsi été visitées depuis 2013 et 300 environ, en 2015.
L’Information Agricole - N° 900 Septembre 2016 | 25

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