journee regards croises

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journee regards croises
JOURNÉE REGARDS
CROISÉS 2013
Addiction sans substance :
populations, territoires
et accès au soin en addictologie,
quelles panoplies ?
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
Rédaction des actes : Redaq - www.redaq.fr
Sommaire
Ouverture
Madame Christine TELLIER, Directrice Générale de l’Apléat, Déléguée Régionale de la Fédération Addiction ......... 2
Monsieur Denis RÉCAMIER, Responsable de l'Union Régionale de la Fédération Addiction ....................................... 2
Monsieur Denis GELEZ, Département de la Prévention et de la Promotion de la Santé,
Agence Régionale de Santé du Centre .................................................................................................................................. 3
Madame Saadika HARCHI, Conseillère Régionale du Centre et Présidente de la commission "Apprentissage,
insertion, formation professionnelle et formation tout au long de la vie, formations sanitaires et sociales et santé" ..... 4
Santé et justice : entre liens et articulations des acteurs .............................................................................................. 6
Monsieur Jean-Jacques SANTUCCI, Directeur de l'AMPTA, Marseille.............................................................................. 6
CSAPA et Maison d'Arrêt, quelles collaborations ? .....................................................................................................11
Madame Roselyne TESTARD, Éducatrice spécialisée, VRS de Blois ............................................................................11
Madame Delphine CAUCHY, Éducatrice spécialisée, CICAT de Chartres .....................................................................12
Madame Véronique COUSIN, Psychologue, CSAPA du CHRU de Lille .........................................................................13
Santé territoires et addiction ..............................................................................................................................................22
Docteur Emmanuel RUSCH, Président de la FRAPS.........................................................................................................22
Monsieur Pedro NIETO, Directeur de la Maison de santé de Lorris ..................................................................................25
Monsieur Alain HAMARD, Délégué National Vie Libre .......................................................................................................27
Table Ronde animée par Madame Catherine Delorme, Directrice de Sauvegarde 71..................................................31
Clôture par Madame Christine TELLIER, Directrice Générale de l’Apléat,
Déléguée Régionale de la Fédération Addiction ................................................................................................................ 35
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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Ouverture
Madame Christine TELLIER
Directrice Générale de l’Apléat
Déléguée Régionale de la Fédération Addiction
Bonjour à tous et bienvenue à cette quinzième édition "Regards Croisés". Avant de vous présenter les sujets de cette journée,
je souhaitais donner quelques précisions sur les participants invités : Madame TOURAINE s'est excusée de ne pouvoir être
parmi nous, monsieur Philippe DAMIE, Directeur Général de l'ARS de la région Centre est représenté par Monsieur Denis
GELEZ, chef du Département Promotion de la Santé, et Monsieur François BONNEAU, par Madame Saadika HARCHI, élue
au Conseil Régional et auteur d'un plan santé jeunes.
Avant de passer la parole à Monsieur GELEZ, je voulais préciser que les journées Regards Croisés de l'Apléat se sont
mutualisées avec l'Union Régionale de la Fédération Addictions, dont j'ai été Déléguée Régionale pendant plusieurs
années. Désormais trésorière au bureau de la Fédération, j'ai passé le flambeau à un nouveau Délégué Régional, Denis
RÉCAMIER. Les journées Regards Croisés de l'Apléat et d'AddictoCentre
se poursuivront tandis que Monsieur
RÉCAMIER aura pour tâche de poursuivre et de développer la dynamique en région Centre.
Monsieur Denis RÉCAMIER
Délégué Régional de la Fédération Addiction
Bonjour à toutes et tous. Directeur de l'association "Vers un réseau de soins" à Blois, je viens d'être élu Responsable de
l'Union Régionale de la Fédération Addiction à la suite de Madame TELLIER. Les chantiers et enjeux de 2014 seront très
importants dans le secteur de l'addictologie. Nous nous mobiliserons sur des secteurs fondamentaux, notamment dans le
cadre du plan MILDT (Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie) et de la SNS (Stratégie
Nationale de Santé). Mme TELLIER vous apportera davantage d'informations sur ces projets au cours de la journée.
Sachez que dès janvier, nous avons l'intention de mobiliser l'ensemble des acteurs et des adhérents de la Fédération de
l'Union Régionale pour préparer ces enjeux et échéances sur la région Centre. Je vous souhaite une bonne journée et
laisse la parole à Monsieur GELEZ.
Monsieur Denis GELEZ
Département de la Prévention et de la Promotion de la Santé, Agence Régionale de Santé du Centre
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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Bonjour à tous. Je remercie les invitants de cette journée à laquelle l'ARS participe volontiers, puisqu'elle favorise de
nouveaux échanges avec les acteurs de la Fédération. En effet, concertation et discussion sur les objectifs et modalités de
mise en œuvre des actions restent pour nous un objectif fondamental, car nous nous heurtons parfois, nous en tant que
cadres structurants et vous en tant qu'acteurs sur le terrain, au sujet des actions à développer.
Concernant la thématique Addictologie, l'aspect de la transversalité nous paraît primordial. L'Agence Régionale de Santé a
initié une démarche à ce sujet dans le cadre de la loi HPST (Hôpital, Patients, Santé, Territoires). C'est l'une des
thématiques sur lesquelles il est urgent d'avoir une vision globale et transversale englobant la prévention, l'intervention
précoce, la réduction des risques, le soin. Nous devons avoir une vision linéaire en termes d'approche de cette thématique.
L'ARS souhaite agir dans le même sens sur d'autres thématiques, telles que la santé mentale, les maladies chroniques, la
prévention primaire et l'action sur les déterminants de santé, ainsi que la prise en charge en cas de problèmes spécifiques.
Nous insistons sur cette notion de transversalité et de prise en charge globale, qui n'est pas nouvelle dans le domaine de la
santé publique, puisqu'on y retrouve l'image de la triangulation entre les approches populationnelle, territoriale et
thématique. Je vous invite à garder ce triangle en mémoire : c'est la démarche simple de santé publique, qui ouvre la
question sur le centre de gravité : sommes-nous sur la bonne population et sur le bon territoire ?
Passons de la sémantique au concret. Comme vous le savez, l'ANS (Agence Nationale de Santé) a développé différents
schémas dont nous abordons maintenant l'application pratique tant au niveau régional que départemental. Nous
envisageons la mise en place, au premier trimestre 2014, de l'instance régionale "addictologie". Au niveau départemental,
l'ANS développe actuellement des programmes territoriaux de santé basés sur les orientations régionales et leur
appropriation élargie sur les six départements régionaux. Il s'agit de traiter les priorités régionales exposées par Orléans
pour les adapter aux différents départements en fonction des besoins repérés pour la thématique de l'addiction. Dans ces
schémas départementaux trois chantiers ont déjà été développés l'an dernier : les soins de premier secours, la filière
gériatrique et l'accès à la prévention et au soin des personnes en situation précaire. Nous ouvrons actuellement d'autres
feuilles de route sur la santé mentale et l'urgence mais aussi l'addictologie au sens large. Celles-ci permettront de travailler
avec chaque département pour adapter les priorités régionales aux situations locales des territoires. L'objectif consiste à
travailler avec les acteurs et partenaires sur le terrain de façon transversale, ce qui entraînera un diagnostic factuel. Ces
concertations en interne, sous la houlette de l'ARS, devront être productives, en d'autres termes chacun des partenaires
devra avoir une représentation claire des actions des autres. Cette interaction entre acteurs aboutira à un diagnostic
"partagé", avec un consensus a minima sur la distribution des tâches. Tels sont les projets que je souhaitais présenter ici
sur l'aspect populationnel et territorial avec l'adaptation que cela impliquera.
Le but de l'ARS est aussi d'œuvrer en faveur de la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé. Pour cela il faut
définir les domaines d'intervention dans un objectif d'efficacité maximale. Le "aller vers" pose un certain nombre de
questions, dont l'aspect financier n'est pas absent, sur l'adéquation optimale aux besoins des populations. À titre d'exemple,
nous développons actuellement des travaux en lien avec le Rectorat et le Conseil Régional sur la première cigarette auprès
des lycéens. Tout ceci résume mon propos à la fois sur la structuration en termes de déclinaison mais aussi sur le fait que
le travail ne se fera pas sans les acteurs que vous êtes.
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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Enfin, en tant que représentant du Directeur Général de l'ARS, je me dois d'évoquer la stratégie nationale de santé établie
par le Ministère de la Santé sous l'égide de Marisol TOURAINE, qui intéresse à plus d'un titre la filière addictologie. Vous
constaterez que la prévention figure en objectif n° 1 et que cette thématique s'applique notamment dans le domaine des
interventions auprès des jeunes. Cette cible est donc une priorité globale des Pouvoirs Publics et L'ARS a l'intention de
prendre toute sa part dans cette stratégie avec vous.
Christine TELLIER : Je vous remercie de ces précisions. Nous avions justement prévu de développer aujourd'hui les
actions menées dans le cadre ministériel, celui de la santé et du plan MILDT. En ce qui concerne le territoire, nous avons
ici des acteurs d'importance, dont le Conseil Régional.
Madame Saadika HARCHI
Conseillère Régionale du Centre et Présidente de la Commission "Apprentissage, insertion, formation professionnelle et
formation tout au long de la vie, formations sanitaires et sociales et santé"
Même si la santé n'entre pas à proprement parler dans le champ des compétences du Conseil Régional, nous sommes
appelés à assurer la gestion des lycées, les formations sanitaires et sociales, et avons financé plusieurs maisons
pluridisciplinaires de santé. C'est Monsieur François BONNEAU, Président du Conseil Régional du Centre, qui a décidé de
mettre en place une Délégation Prévention Santé qu'il m'a confiée en mars 2010, dans le but de développer des actions de
prévention, une approche de promotion de la santé avec une convergence d'actions de manière concomitante : mise en
place d'un soutien aux projets de prévention auprès des lycéens, de journées d'information aux professionnels, offre d'outils
d'éducation à la santé aux acteurs des établissements, financement de points-écoute et installation de points-station dans
le Loiret et dans d'autres départements. À ce jour, cinq de nos départements sur six sont couverts.
L'objectif de notre action est de faire un maillage territorial au plus près des jeunes dans leur lieu de vie. Ce diagnostic de
territoire a été confié à l'Observatoire Régional de la Santé qui a interrogé 3 000 lycéens sur les raisons qui les poussent à
fumer et les personnes auxquelles ils s'adressent en cas de problème. Un lycéen sur dix a avoué être consommateur
régulier en polyconsommation et cette étude a notamment révélé des troubles dépressifs sévères plus fréquents dans cette
population de polyconsommation régulière.
L'étude de l'ORS a également démontré qu'en cas de problème de santé, les jeunes s'adressent à plus de 80 % à d'autres
jeunes et à moins de 10 % à des professionnels. Nous en avons déduit l'importance de mettre en place une démarche de
prévention par les pairs au sein des établissements, et aujourd'hui, 73 lycées sont porteurs de projets de prévention en termes
d'approche globale de la santé, qui couvre à la fois les addictions, la vie sexuelle et affective, l'alimentation et la santé
environnementale. Cette approche très positive bénéficie d'un appui méthodologique de la FRAPS. L'accompagnement que
nous offrons aux établissements crée une dynamique importante, et si les jeunes hors lycées et hors CFA ne sont pas ciblés
pour l'instant, nous avons l'intention d'élargir notre action. Notre but est de créer un territoire sensibilisé aux questions de santé
et de citoyenneté (formations premiers secours, etc.). Je suis certaine que les interventions et les échanges de cette journée
seront très riches d'apports et d'expériences.
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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Christine TELLIER : Je tiens à remercier particulièrement Saadika HARCHI qui sort d'une longue immobilisation et nous
gratifie aujourd'hui de sa présence malgré ses difficultés à marcher.
Cette première intervention illustre ce continuum entre prévention, approche globale, intervention précoce auprès des jeunes
dès leur première consommation et leurs expériences de conduite addictive. La question de l'accès à la prévention et aux
soins pour des populations en situation précaire doit être modulée dans le temps : en effet peuvent se trouver en situation
précaire temporaire toutes personnes vulnérables à un moment de leur vie – femmes seules avec enfant, adolescents,
personnes incarcérées ou à leur sortie de détention, etc. En d'autres termes, dans la mesure où des moments de précarité de
ces populations peuvent augmenter les facteurs de risques d'une dépendance, nous devons tenter d'apporter des réponses
adaptées là où en est la personne dans son parcours de vie. C'est pourquoi cette notion de continuum est importante.
Cette volonté qui est la nôtre de mieux cibler ces populations à certains moments de leur vie explique l'intitulé du programme de
cette journée : "Quelles panoplies pour mieux répondre aux besoins selon les populations, les territoires et accès au soin en
addictologie". Quelles méthodes pour répondre au plus près à la stratégie nationale de santé qui vise des populations
spécifiques, tout en réduisant l'inégalité en matière d'accès aux soins dans un maillage territorial ? Le plan MILDT – qui est notre
planification nationale – reprend les mêmes sujets : "aller vers", "tricoter nos savoir-faire", dans les lieux où se trouvent les jeunes,
les délinquants, les personnes en situation précaire. C'est ainsi que nous serons des partenaires efficaces.
Avant de passer la parole à Jean-Jacques SANTUCCI qui développera le sujet "Santé et Justice", je souhaite remercier
Monsieur PESME, Substitut du Procureur en charge des affaires de stupéfiants. Sont également réunis aujourd'hui des
professionnels de l'addictologie de toute la région mais aussi de Nantes, de l'ARS, d'associations de soins, de CAARUD,
de CSAPA, de CCAS, de CHRS et autres établissements de l'AIDAPHI et AHU (Association d'hébergements d'urgence),
de lycées, d'ITEP, de la FRAPS, de la Direction de la Cohésion Sociale, d'un CSAPA en maison d'arrêt, de l'UCSA, de
membres d'une association néphaliste, de la Mutualité Française, de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, de relais
parents-enfants, de services de prévention, du SPIP, d'une association de gens du voyage, et du Conseil Général,
représenté ici par Madame BEAUVALLET.
Santé et justice : entre liens et articulations des acteurs
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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Monsieur Jean-Jacques SANTUCCI
Directeur de l'AMPTA, Association Méditerranéenne de Prévention et de Traitement des Addictions -
Christine Tellier et Nicolas Baujard ont pensé que j’avais quelque chose à dire de cet objet si particulier que sont : les liens
entre « santé et justice », et plus particulièrement « des liens et des articulations des acteurs »…et ce, dans le champ des
addictions…excusez du peu ;-)
Christine et Nicolas, en êtes-vous sûrs ?
Je me console et me rassure en me disant que les champs désespérés sont souvent les plus beaux et du coup, plutôt que
de vous en vouloir, je vous remercie de m’avoir mis dans cette situation, pour le moins, périlleuse.
Il y a écrit, sur le programme : « Entre liens et articulations des acteurs »…tout au pluriel. Déjà qu’au singulier c’est
compliqué, vous imaginez, au pluriel : plusieurs liens, plusieurs articulations, plusieurs acteurs.
Alors, je me suis interrogé sur les mots, forcément, je suis psychologue, et les mots/maux, quelle qu’en soit l’orthographe,
ça me parle, parfois même, ça me crie, ça me crie très fort. Et je me suis demandé ce qu’il pouvait bien y avoir entre un ou
des lien(s) et une ou des articulation(s) ? Ou bien, pour le dire autrement : que peut-on glisser entre un lien et une
articulation ?
Mais alors, ai-je continué en moi-même, quelle est la différence entre un lien et une articulation ?
Une articulation, c’est forcément un lien… un lien entre deux pièces. Mais parfois, cette articulation, elle se grippe, elle se
coince. Il y a donc toujours un lien, mais ça ne bouge pas, c’est coincé, figé.
On peut donc voir, là, qu’un lien peut être fort et pour autant ne pas remplir son office, ne pas « fonctionner ». En
l’occurrence, pour que le lien « fonctionne », il faut qu’il y ait du mouvement, du jeu.
Mais, parce que forcément, il y a toujours un « mais », parfois, il ne faut pas qu’il y ait de jeu dans le lien : Exemple, quand
on tracte un véhicule avec un autre véhicule. S’il y a trop de jeu dans le lien, si c’est trop mou, ça ne fonctionne pas…c’est
pour ça qu’il vaut mieux une barre qu’une corde, parce qu’une barre, c’est rigide.
Or, nous sommes ici dans un domaine où les liens et les articulations doivent être, à la fois solides et adaptées, donc
adaptables, à chaque situation ; c’est pour cela qu’on parlera plutôt de rigueur que de rigidité, plutôt de souplesse que de
mollesse.
Nous en arrivons donc à la conclusion que ce qu’il doit y avoir entre les acteurs, c’est un lien articulé souple et rigoureux.
Passons donc à la troisième case, celle des choses sérieuses, celle du contenu.
Après avoir testé la solidité et la souplesse des liens et des articulations, tachons de voir à quoi ils servent ?
L’idée, c’est qu’ils devraient permettre, appelons ça :
une meilleure circulation de ceux qui nous préoccupent et dont nous nous occupons, à savoir, cette catégorie particulière
(mais est-ce vraiment une catégorie ?) d’usagers de SPA, « d’addicts », qui ont maille à partir avec la justice, et, les
politiques pénales étant ce qu’elles sont, ils sont de plus en plus nombreux.
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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Avancer dans la réponse à cette question est complexe. Ça n’est pas pour rien, que j’ai commencé (point n°1 de ma
check-list) par me demander si je devais remercier Christine et Nicolas s’ils étaient sûrs que j’avais quelque chose à dire
sur le sujet ?
En effet, cette question est au centre de plusieurs paradoxes, et il n’est pas étonnant qu’on interroge la rigidité ou la
mollesse…du lien, ainsi que la souplesse …des articulations.
Les addictions constituent une épine dans le pied des cerveaux qui se laisseraient volontiers tenter par la recherche de
réponses et de solutions simples….et ces cerveaux, hélas, ne manquent pas.
Paradoxes, disais-je, à tout le moins questions.
Pour commencer, qu’est-ce qu’une addiction ? Quand est-ce que ça commence ? Quand est-on sûr que c’est bien à ça
qu’on a à faire ?
Doit-on parler d’addiction en cas d’usage simple, d’expérimentation, d’usage abusif, nocif ou problématique ?
Doit-on attendre qu’il y ait dépendance ? Dépendance et souffrance ? Dépendance, souffrance et conscience du problème
que ça pose ?
Doit-on attendre qu’il y ait dépendance, souffrance, conscience du problème et demande d’aide, de changement, de soin ?
Parle-t-on d’addiction quel que soit l’objet en question ?
Substances légale ou illégales, activité, comportement, habitude sociale, façon d’être à soi, aux autres, au monde ?
Qui décide, qui définit, qui dit ? La médecine, la loi, la société, l’époque, le regard d’autrui, l’usager/le sujet lui-même ? Tout
ça à la fois ?
Et même, à l’intérieur de « tout ça », si tant est que l’on soit d’accord, une fois que c’est « nommé » qu’on a dit : il y a
addiction, qui qualifie, qui nuance, qui dit aussi subtilement que nécessaire, sans enfermer, sans scléroser, sans
rigidifier…qui ? Pour laisser sa chance à une vie qui s’écoule et qui ne s’arrête pas à une définition qui devient une étiquette
qu’on ne peut plus décoller.
Qui, pour qu’un sujet ne devienne pas un objet, coincé, réifié, chosifié, dans ce qu’on fait de lui…parfois, et c’est bien là une
des difficultés, un des paradoxes dont je vais parler, avec son aide, quand il va, lui-même, jusqu’à dire : je suis toxicomane,
alcoolique ou ex alcoolique ou fumeur abstinent… et qu’il s’étonne voire s’énerve quand on lui demande de nous en dire
plus, au risque de faire vaciller une identité qui se découvre bien fragile.
Parler d’addiction, aujourd’hui confronte à un ensemble de questions et de paradoxes qui rend vaines toutes tentatives de
simplification.
Parcourir les termes de quelques-uns de ces paradoxes me semble important afin d’avancer dans la recherche des
moyens d’améliorer les liens et les articulations entre les acteurs, dans la mesure où je pense qu’en identifiant les
« nœuds », il est plus facile de repérer ce qui freine la communication ou, en tous les cas, ce qui la rend moins fluide.
Le premier paradoxe, je vous en ai déjà dit quelques mots, c’est la difficulté de définir ce qu’est l’addiction, mais surtout, ce
sera une façon d’aller plus loin dans cet exercice de déconstruction de ce que pourrait être l’évidence de l’addiction, de
constater que, si tant est que l’on arrive à se mettre d’accord sur une définition de l’addiction, on va très vite constater que,
selon que l’on se trouve du côté du soin ou du côté de la loi, ça ne va pas faire consensus.
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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En schématisant à l’extrême, ce qu’il ne faut, bien sûr pas faire, mais je m’y résous, contraint que je suis par l’exercice que
m’a proposé Christine Tellier ; pour les uns, l’addicté est un malade, pour les autres, c’est un délinquant… qui doit être puni.
Bien sûr, cela doit être nuancé à l’infini, en tenant compte des personnes, des contextes, des situations…et ça l’est
surement dans nos réalités de travail, mais au bout du compte, et c’est en partie pour ça que nous sommes ici pour
discuter de l’articulation des acteurs ; il y a d’un côté ceux qui soignent et de l’autre, ceux qui punissent et répriment ?
Déconstruire, c’est aussi aller, autant que possible, au fond des choses, ne pas s’arrêter à une convenance.
Passons un moment sur les deux termes de ce paradoxe : d’un côté, un malade, de l’autre, un délinquant.
En quelques phrases, tout à l’heure, j’ai évoqué plusieurs degrés possibles de ce que pourrait être l’addiction : de
l’expérimentation à la dépendance.
Si maladie il y a, y est-elle à tous les degrés de l’usage, est-on déjà « malade » si l’on est un simple usager simple ?
Je pourrais pousser le trait un peu plus loin et complexifier le propos en ajoutant les comorbidités, notamment
psychiatriques dans lesquelles l’addiction, cause ou conséquence, joue un grand rôle et qui, bien évidemment, renforce
cette idée que c’est une maladie.
Mais à y regarder de plus près, si maladie il y a, est-ce l’addiction ou est-ce la pathologie psychiatrique, que l’addiction
masque, tempère…?
Et voilà que, si vous me faites confiance, vous êtes d’accord avec moi pour penser que :
- du côté des soignants, juste à partir de ces deux situations : expérimentation et comorbidités psychiatriques, on ne peut
pas affirmer que l’addiction est une maladie, même si c’est un problème
- du coté de « la loi » : Quelle commune mesure y a-t-il entre un jeune expérimentateur de cannabis et un usager régulier,
quotidien voire pluriquotidien d’opiacés ou de crack ; ils enfreignent tous les deux la loi, certes, mais cette transgression a-telle le même impact sur le sujet lui-même et sur le groupe et la société ?
Est-ce exactement la même chose de punir quelqu’un pour son usage ou pour les conséquences de son usage…je pense
là aux délits routiers commis avec un taux d’alcoolémie supérieur à la norme admise ?
Ainsi, comme il y a plusieurs définitions de « la maladie addiction », il y a aussi plusieurs définitions de ce qu’est la
« délinquance addiction » et il y a parfois, souvent, un risque à trop catégoriser, à enfermer quelqu’un, au nom d’un
comportement, alors qu’en cherchant un peu, en nuançant un peu, il relèverait d’une autre catégorie, moins stigmatisante,
moins handicapante.
Comme il y a un risque à trop pathologiser, voire à psychopathologiser l’addiction, il y a aussi un risque à trop criminaliser
l’addiction.
Cette confrontation délinquance/maladie nous conduit à un autre paradoxe, une autre tension ; le fait que si l’addiction est
une conduite individuelle, privée, qui pourrait ne regarder et ne concerner que le seul sujet, ses répercutions sont-elles
sociales, publiques et que, de ce fait, elle appelle un traitement social.
Les conséquences de l’addiction et ses répercussions sur le « social » conduisent à ce que quelqu’un d’autre que le sujet
lui-même, un tiers, dirons-nous, s’en occupe pour en limiter les effets, pour les réguler, les contenir, voire les interdire, ce
dernier terme constituant une solution plus radicale que les autres, mais également plus « économique ». En effet elle évite
de se poser la question des causes, du pourquoi, du : comment se fait-il que certaines personnes fassent un usage de
l’addiction à ce point délétère, qu’elles se font du mal à elles-mêmes et à leur entourage…alors que (dans la plupart des
cas), elles voudraient bien faire autrement ?
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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Interdire purement et simplement, c’est tenter de croire et de faire croire qu’il suffit de décréter qu’une chose n’est pas
bonne pour l’interdire et que cette interdiction suffit pour y apporter une solution, mais aussi et c’est là, pour nous, que se
situe la tension, que la sanction devient un acte protecteur, voire thérapeutique. On interdit une conduite en pensant que
cette interdiction peut protéger le sujet de ses propres envies et/ou besoins.
On interdit quelque chose en pensant que c’est le seul message qu’il soit possible de transmettre, au risque d’être accusé
d’un coupable laxisme et ce au mépris d’une réalité qui nous dit chaque jour un peu plus, à quel point les pratiques
addictives se développent et s’intensifient.
Cela complique le dialogue, le lien et l’articulation entre les acteurs, parce que ça met aux prises, deux catégories de
professionnels dont les fonctions sont à priori diamétralement opposées puisque les uns ont pour missions et fonctions
sociales de libérer le sujet de ce qui l’aliène et que les autres doivent le punir et parfois l’enfermer pour les mêmes raisons
(mais nous allons y revenir puisque l’objectif de cette journée est justement de voir, comment, malgré cet à priori complexe,
il est non seulement souhaitable, mais aussi possible d’établir ce dialogue et de dépasser cette tension).
En réfléchissant à cette intervention, il m’est apparu un autre paradoxe susceptible de complexifier notre tâche : c’est le fait
que là où la société voit un problème qu’il faudrait résoudre, le sujet, lui, y voit une solution.
Les addictions sont un problème, social, mais aussi de santé publique. Tout le monde le sait et tout le monde est d’accord
la dessus : plusieurs dizaines de milliers de morts, plusieurs centaines de millions d’euros dépensés, les chiffres de l’OFDT
le montrent régulièrement, notamment dans les travaux de Pierre Kopp : les addictions sont un problème important qui
coute très cher…et nous venons de le voir, une des tentations est de penser qu’une (parfois la seule) des réponses à ce
problème, c’est l’interdit.
Or, si les addictions constituent un problème pour le « social », ils sont une solution pour le sujet qui s’y réfère.
L’une des complexités auxquelles nous confrontent les addictions, c’est bien ce double statut : à la fois problème et
solution, poison et remède.
Depuis Freud (et surement avant d’ailleurs), nous savons que « le briseur de soucis » est le meilleur moyen que l’Homme
ait trouvé pour échapper à sa condition et aux souffrances inhérentes à celle-ci.
Le stupéfiant est une des solutions que l’Homme a à sa disposition, la plus efficace, la plus économique et la plus rapide
aussi, puisqu’elle agit vite et évite au sujet d’avoir à chercher en lui, par l’introspection voire la psychothérapie, comment
résoudre ses difficultés.
De fait on ne peut pas échapper à cette tension qui est alimentée par le fait que l’addiction est à la fois un problème et une
solution et que, quand on tente de résoudre le problème social, on amplifie le problème individuel.
En effet, mettre fin, éradiquer (c’est un terme qu’on entend souvent) les addictions et leur objet (drogues, substances,
pratiques…), c’est enlever à des millions (en France) de personnes ce qu’ils ont trouvé comme solution pour supporter leur
vie, leurs conditions d’existence, les douleurs que leur inflige leur subjectivité, mais aussi, celles d’une réalité socioéconomico-culturelle de plus en plus difficilement supportable, du fait de ce qu’elle fait peser comme pressions et comme
contraintes, différentes, bien sûr, en fonction de la CSP à laquelle nous appartenons, et qui sont plus ou moins lourdes en
fonction de notre aisance financière, de notre degré d’insertion, d’appartenance, de notre identité sociale….(je ne parle pas
de notre équilibre psychologique).
En tout état de cause, qu’on appelle ça ; pressions, contraintes, exigences, notre société demande et impose beaucoup,
parfois trop, aux individus que nous sommes, ce qui en conduit certains, dans l’impossibilité qu’ils sont d’y répondre, à
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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chercher et trouver des solutions de rechange, l’addiction pouvant en être une….C’est en ceci que notre société est, ce que
certains ont nommé : une société addictogène.
On le voit bien, (en tout cas apparemment) une antinomie, une tension, existent entre la satisfaction, le bénéfice, que tire
une personne de son usage, de sa pratique addictive et ce quel que soit le moment sur lequel on s’arrête et qui peut être
associé au plaisir, au sentiment d’appartenance, à un processus de socialisation, aux sensations de l’expérience
psychotrope, à l’apaisement d’une tension, aux effets antalgiques de la substance, à la résolution d’un problème, à
l’apaisement d’un sentiment de mal être, à l’auto médication d’une pathologie…..c’est à dire tout ce qu’on peut ranger au
rang des effets positifs de l’addiction… et les souffrances qu’elle peut aussi causer.
Ces souffrances, on peut les voir chez la même personne à d’autres moments ou dans d’autres circonstances de l’usage.
Elles peuvent se voir chez une autre catégorie de personnes addicts, celles qui sont dépendantes et pâtissent de leur
consommation ou de leur conduite, celles qui demandent de l’aide comme celles qui n’en demandent pas.
Là encore le tableau n’est pas tout noir, ou tout blanc, la complexité est la règle. Les effets positifs pouvant chez la même
personne céder la place aux effets négatifs, à certains moments de sa vie et ce, du fait de la fonction qu’occupe l’addiction
dans son économie.
Parfois, il n’y a pas d’effets négatifs, et seuls apparaissent aux yeux du sujet, ce qu’il y a de bon dans la conduite addictive,
ce qu’elle procure…et parfois, il faut, en effet, y regarder à deux fois avant de voir quels en sont les inconvénients.
Parfois, cela saute aux yeux, parfois non.
Pour le corps social, le tiers social, il n’est pas si facile que ça d’imaginer que l’addiction peut avoir du « bon », que ça n’est
pas toujours néfaste ou négatif, ou en tout cas, ça n’est pas QUE ça.
Une fois de plus se fait jour un paradoxe entre ce qu’il en serait de ce à quoi tend la personne, l’individu, le sujet, et ce à
quoi tend le collectif, le groupe, le social et qui apparaît comme une opposition, une façon radicalement opposée de
considérer le même objet : nous l’avons dit plus haut, un poison ou un remède, un problème ou une solution…alors que ça
n’est pas « ou », c’est « et », c’est les deux à la fois, et il n’est pas possible de se confronter à la question des addictions si
on n’a pas en tête ces deux aspects.
Se mettre en position d’établir un dialogue à propos des addictions oblige à n’en oublier ni l’un ni l’autre.
Le fait que d’un côté, celui du sujet, l’addiction soit ressentie, pendant un certain temps du parcours, comme motif de
satisfaction, comme répondant à un besoin, soit vécue comme une solution, y compris quand les problèmes deviennent de
plus en plus importants, au moment où se fait jour une certaine ambivalence, qui voit le sujet « hésiter » et ne pas choisir
entre : « cette conduite me nuit, je devrais y mettre un terme et cette conduite m’apporte quelque chose, un soulagement et
malgré tous ses inconvénients, je ne peux m’empêcher de continuer » et de l’autre côté, celui du tiers, qui peut être incarné
par un membre de la famille, un proche, un mari, une femme, pouvant être un tiers social : enseignant, employeur,
médecin, médecin du travail, ou une institution, qui peut être la justice ; l’addiction est considérée comme source de
problèmes, conduit à un autre paradoxe, une autre tension : l’un veut continuer, ou bien ne peut pas arrêter, l’autre veut
qu’il arrête.
Ce sont donc deux envies, deux besoins, deux nécessités, deux désirs qui s’opposent. L’un veut quelque chose, l’autre
veut son contraire. Le problème étant que ces deux volontés n’interviennent jamais au même moment de la trajectoire.
Il est rare que le sujet veuille interroger son addiction et la remettre en question, voire y mettre un terme en même temps
que « l’autre ».
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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Il y a toujours un temps, plus ou moins long, qui s’écoule pour que les deux volontés se croisent, se rencontrent. Parfois ça
arrive, parfois, ça n’arrive pas.
Mais il me semble, c’est en tout cas, ce que m’a appris mon expérience, qu’il est rarissime que le moment où le sujet addict
admet que c’est un problème (quand c’en est un) coïncide avec celui où le tiers le ressent lui aussi et agit, pèse, met une
pression, demande, exige, avec plus ou moins de force, de pertinence, que le sujet règle son problème.
Il y a toujours une distorsion entre ces deux temps, distorsion plus ou moins longue, plus ou moins grande, au cours de
laquelle les problèmes et les difficultés sont plus ou moins importantes.
Cette opposition entre deux volontés, deux nécessités, deux désirs est source de difficultés, d’incompréhension, dans le
dialogue entre le sujet « addict » et « l’autre », celui qui se met en travers de cette addiction dans laquelle le sujet a trouvé
une solution, celui-ci pouvant être un proche, un autre social, on l’a vu, mais aussi un soignant, un travailleur social
Il peut aussi être un professionnel du champ de la justice, qui incarne l’empêchement, qui symbolise le : j’ai trouvé une
solution à mes problèmes mais ON me signifie que cette solution n’est pas bonne, ne doit pas être, ne peut pas être.
De ce fait, au-delà de la rugosité que nous connaissons tous, du dialogue entre le sujet qui ne veut ou ne peut mettre un
terme à son addiction et nous, qui tentons de l’y aider, apparaît aussi la complexité du dialogue entre les acteurs qui
incarnent cet obstacle entre le sujet addict et sa solution, et plus l’obstacle est grand, plus le sujet croit, à tort ou à raison,
qu’on l’empêche d’aller bien, plus le dialogue est difficile voire impossible.
Plus les acteurs que nous sommes se figent dans cette posture, plus le dialogue sera difficile voire impossible entre nous.
Nous avons, je crois, à trouver entre nous, cette capacité à penser d’une même façon, en tout cas d’une façon pas trop
éloignée, ce que peut être la « guérison » d’une addiction, penser ce que peut être le temps dont un sujet a besoin pour
prendre la conscience de ses difficultés et le souhait de les résoudre. Ça n’est qu’au prix de ce travail consenti que nous
pouvons travailler ensemble sans nous opposer.
En conclusion de cette intervention et après avoir soulevé ces quelques paradoxes, qui à mon avis, sont sources de
tensions, de difficultés et parfois d’impossibilités dans les liens et articulations entre les sujets addicts et ceux qui les
entourent et s’en occupent
Entre les professionnels qui constituent l’entourage, je voudrais vous proposer deux pistes de réflexion qui doivent
permettre de fluidifier ce dialogue, ces relations, ces liens et ces articulations.
Je ne pensais pas y venir, mais comme certains auteurs, je me suis laissé envahir par les personnages qui peuplent
l’histoire que je suis en train de vous raconter.
Il en est un qui s’est imposé, sans que j’aie imaginé au début de ce travail, la place qu’il allait occuper ; c’est le statut légal
de la pratique addictive, l’interdit. Viennent immédiatement à l’esprit, bien sûr, les drogues, les stupéfiants, mais on voit bien
que cet interdit frappe aussi les substances licites que sont le tabac et l’alcool :
interdiction de fumer dans les lieux publics
interdiction de boire plus que…
interdiction d’acheter si on a moins que…
interdiction de boire quand on a moins que….
interdiction de conduire si…
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Si je ne conteste pas l’intérêt de certaines mesures, je voudrais juste insister sur le fait qu’elles ne sont pas suffisantes et
qu’il est plus que temps, notamment en ce qui concerne les drogues illicites, de réfléchir à l’efficacité d’une politique des
drogues qui fait de l’interdit sa pierre angulaire et dont on sait bien à quel point elle est inefficace.
Se pencher sur cette question pour lui trouver, une ou plutôt des réponses satisfaisantes, suffisamment bonnes dirait
Winnicott, me paraît une urgence.
Sortir de l’interdit me paraît une urgence d’autant plus grande qu’on sait aujourd’hui que, non seulement, il ne sert pas à
grand-chose, mais qu’en plus,
- ça punit des gens qui ne le méritent pas
- que dans certaines situations, la sanction est disproportionnée par rapport au dommage causé par le « délit », que ce soit
au sujet lui-même ou au corps social
- que l’universalité de cette mesure n’a pas fait la preuve de son efficacité
- que cela crée une généralité là où il devrait y avoir de la nuance
- que dans nombres de situations, ça crée plus de problèmes que ça n’en résout
- que ça nous contraint, nous soignants et travailleurs sociaux, nous professionnels « justice » à nous contorsionner pour
trouver des justifications à certaines pratiques. Ex : les stages « stups ».
Pour toutes ces raisons, et pour d’autres encore, je pense ici à ce que dit Thémis Apostolidis de l’identification à certaines
figures, qui dans certains quartiers, suscitent tellement d’admiration qu’ils en deviennent des modèles, des personnes à qui
on a envie de ressembler, celles que l’on a envie d’être, et que cette réussite apparente, drapée de tous les attributs que
sont l’argent, les fringues, les voitures et les créatures qui vont avec, le mode de vie en somme, ne manquent pas d’avoir
un impact important sur les plus jeunes, à tel point que se développent aujourd’hui au-delà des actions de prévention des
usages de drogues, des actions de prévention de l’attrait du trafic !!!
Redébattre de l’interdit soit, mais ne pas s’arrêter au fait qu’il pourrait ne pas être interdit de consommer. Il faudra, par la
suite, penser aussi aux modalités d’approvisionnement. En effet, il serait hypocrite de ne voir qu’un aspect de la question et
d’en occulter un autre. Consommer, oui, mais comment se fournit on ? On le cultive, on l’achète ? A qui, où…?
Il conviendra de regarder cette question en face.
Enfin et ce sera ma deuxième piste et ma conclusion :
Réfléchir au statut légal des substances psycho actives est une question qui se pose depuis que la loi de 70 existe. C’est
nécessaire et urgent depuis plus de 40 ans. Mais, c’est très compliqué, très politique, très idéologique…alors, en attendant,
que faisons-nous ?
Devons-nous attendre que cette étape soit franchie, pour penser qu’un travail est possible ?
Bien sûr que non.
Je vous l’ai dit en introduction. Je suis psychologue et à ce titre, mon outil de travail, c’est la parole, la mienne et celle de
ceux que j’écoute.
Parler est un acte. Parler, se parler, c’est agir.
Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup utilisé le mot « dialogue », pour la simple et bonne raison qu’il me semble être la clé de
beaucoup de nos interrogations.
Comme cette parole est souvent, pour nos patients, dans le processus thérapeutique, le passage obligé d’un état à un
autre, le moyen de changer, pas exclusif, non, pas le seul, surement pas, mais avec d’autres vecteurs de changement que
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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sont les traitements médicaux, les accompagnements sociaux et éducatifs….cette parole est aussi le passage obligé de
nos collaborations, de nos liens, de nos articulations. Sans elle, pas de travail en commun possible.
Il nous faut accepter de parler ensemble, en commençant par déconstruire nos représentations, accepter que l’autre est
une partie de la réponse et pas, comme nous avons la faiblesse de le penser, une partie du problème. Avouons-le,
combien de fois nous sommes nous entendus dire que c’est l’autre qui faisait du mauvais boulot, qui ne comprenait pas,
qu’il n’était pas aidant. Je l’entends moi-même régulièrement dans ma propre institution.
Commencer par respecter la fonction de l’autre, ses missions, même si ce ne sont pas les nôtres est un préalable.
Continuer par être persuadés que nous ne pouvons répondre seuls à la question complexe des addictions, que si ses
causes sont multifactorielles, comme ses conséquences, alors le trajet de soin et d’insertion devra l’être aussi, nécessitant
une pluralité d’acteurs, dont il faudra accepter qu’ils soient différents et s’attacher à ce qu’ils ne s’opposent pas mais au
contraire s’additionnent, c’est le moins que nous devions à ceux qui sollicitent notre aide.
Si comme je le pense, l’addiction, dans son expression la plus extrême, est en même temps qu’« une pathologie du lien »
une tentative pour se guérir de cette « pathologie », si comme nous le suggère Freud, la relation à l’autre est (aussi) source
de souffrance, (l’homme est un loup pour l’homme) alors, le moins que nous puissions proposer et offrir à ceux qui
sollicitent notre aide, c’est de leur construire un contenant suffisamment bon, pour qu’il n’aient pas peur de nous y
rencontrer.
Et pour qu’ils aient suffisamment confiance en nous pour accepter et risquer de nous rencontrer, (rencontrer l’autre dans
une vraie rencontre est toujours un risque), pour accepter et risquer de changer, pour accepter et risquer de renoncer à la
solution qu’ils ont trouvé, alors, il faut d’abord que nous, professionnels, ayons tout mis en œuvre pour créer les conditions
de cette rencontre.
C’est, me semble-t-il, l’objectif de cette journée et je vous remercie, à nouveau, de l’honneur qui m’a été fait d’en être l’un
des acteurs.
Merci de votre attention.
Échange avec la salle
Q : Je retiens de votre intervention le double aspect de l'addiction : problème pour la société et solution pour le sujet. Dans
notre mission de répression, nous constatons au quotidien ce décalage entre la prise de conscience des professionnels que
nous sommes, tant dans le domaine juridique que social, et l'usager au sens large. Ce n'est pas la consommation de
substances en elle-même qui nous concerne, mais les violences ou délits qui en ont résulté. En tant que tribunal, nous devons
faire comprendre à l'usager que les violences résultent de sa consommation et que nous devons lui imposer une obligation de
soin. Puis nous intervenons, dans le processus d'exécution de peine, au niveau de l'addiction. C'est ce décalage dans le
temps, que vous avez évoqué, qui constitue le problème majeur de l'addiction. Sans lui, nous aurions moins de récidives.
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Jean-Jacques SANTUCCI : En l'absence de Madame Florence SOULÉ, ma collaboratrice à l'AMPTA, j'évoquerai notre
expérience et l'ensemble de nos réflexions élaborées au cours de vingt années de travail commun. Lorsque nous avons
ouvert cette permanence, notre objectif était avant tout de proposer aux toxicomanes une solution alternative à la sanction.
Mais notre autre objectif était d'instaurer un dialogue avec nos partenaires de la justice, car il nous a paru indispensable de
partager quelque chose avec eux. Ce n'est qu'au prix de ce dialogue que nous avons pu modifier notre regard sur les
professionnels de la justice, tout en leur permettant de mieux connaître le monde des professionnels du soin. Si cela n'a
pas été facile, nous travaillons aujourd'hui en parfaite intelligence au profit des usagers.
Q : Votre intervention me suggère quelques réflexions. La définition de l'addiction par Monsieur Olivenstein était "la
rencontre d'un produit, de l'histoire de vie et de l'environnement". Il est évident que l'environnement pousse une certaine
jeunesse en désespérance vers un comportement addictif. Par ailleurs, un sujet sous influence n'a plus de volonté ; c'est le
produit qui dirige. Enfin, nous sommes à votre disposition sur l'ensemble de la France puisque nous avons l'habitude
d'accompagner ces sujets dans leur démarche.
Christine TELLIER : Dans un CSAPA, nous parlons de motivation plutôt que de volonté.
Jean-Jacques SANTUCCI : Pour ma part, j'ai parlé à deux reprises de "vouloir" et de "pouvoir" sans utiliser le terme de
volonté. Il m'est difficile de rebondir sur votre intervention, car pour moi la motivation n'est pas identifiable, et même
accompagnée, elle sera toujours susceptible de faiblir à certaines périodes. Que l'on parle de déclic, de volonté, de
motivation, le processus est extrêmement long et variable, comme nous l'avons évoqué précédemment en parlant de
continuum. Pour moi, la motivation est un processus évolutif.
Christine TELLIER : Je souhaitais revenir sur l'injonction de soin et l'alliance thérapeutique entre le patient et son
thérapeute. Pouvez-vous nous apporter un éclairage sur leur évaluation et leur prise en charge ?
Jean-Jacques SANTUCCI : Leur évaluation est complexe en termes d'efficacité directe. Par ailleurs, les injonctions de
soin ordonnées par la justice le sont en tant que mesure coercitive, dans un cadre contraint et dans un délai imposé. Quoi
qu'il arrive, à la fin du délai, l'obligation judiciaire s'arrête. Ce délai est très souvent fixé à deux ans. Pour offrir une
alternative aux poursuites du soin, nous réalisons beaucoup d'actions sanitaires et sociales avec l'Apléat, pour permettre au
sujet d'initier lui-même une démarche.
Q : Ancien alcoolique, j'interviens dans les maisons d'arrêt. Pour moi, si l'injonction de soin est un fait auquel la personne s'attache
uniquement dans un cadre judiciaire, il est encore plus important de l'amener à penser à elle-même avant de penser aux
incidences judiciaires ; et si aucun suivi n'est assuré pendant l'injonction, la rechute est pratiquement certaine.
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Jean-Jacques SANTUCCI : Je suis d'accord avec vous. Le problème est que la démarche peut largement dépasser le
délai de l'exécution de l'obligation de soin.
Q : Je suis conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation sur le SPIP de Blois. Il faut distinguer l'injonction de soin de
l'obligation de soin. Concernant l'obligation de soin, j'émets des réserves sur votre affirmation d'un délai imposé. Parfois,
l'obligation peut se transformer en réelle volonté d'aller au-delà et de sortir du produit nocif ayant entraîné des actes
délictueux. Le soin ne s'arrête pas nécessairement au bout de 18 mois ou 2 ans, car pour beaucoup, l'obligation n'a été
qu'une étape nécessaire pour se prendre en charge.
Jean-Jacques SANTUCCI : Pour vous, est-ce l'obligation qui génère le mouvement ou la rencontre avec un intervenant
qui entraîne la décision de se prendre en charge ?
Q : Les deux, certainement. Mais à la base, en tant que professionnels de justice, nous sommes contraints de faire
comprendre à l'usager qu'il doit se soumettre à l'obligation de soin qui fait partie du cadre judiciaire, faute de quoi il retourne
en prison.
Q : Je suis éducatrice dans un CSAPA à Blois. J'abonde dans votre sens tant au sujet de l'accueil de l'usager par le
professionnel que de la gestion de l'obligation. Il nous est arrivé de recevoir des usagers ayant mis fin à leur addiction et
demandeurs d'un soutien pour poursuivre leur soin au-delà du délai de deux ans
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CSAPA et Maison d'Arrêt, quelles collaborations ?
Madame Roselyne TESTARD
Éducatrice spécialisée, VRS - BLOIS
Bonjour à tous. Éducatrice spécialisée au CSAPA, j'interviens à la maison d'arrêt de Blois. Je vais vous expliquer en
quelques mots mon rôle et ma fonction dans le cadre du partenariat au sein de la maison d'arrêt autour du projet de soin
des personnes incarcérées ayant des problématiques addictives.
Le CSAPA géré par l'association "Vers un réseau de soins" a été doté par L'ARS, fin février 2012, d'un poste d'éducatrice
spécialisée à mi-temps. Sa mission, définie dans le cadre gouvernemental Santé-Justice 2010-2014, consiste prioritairement à
maintenir la continuité entre l'intérieur et l'extérieur de la maison d'arrêt auprès d'un public addictif. La convention signée entre le
Président de VRS et les directeurs du service pénitentiaire d'insertion et de probation de la maison d'arrêt fixe les modalités de
mise en œuvre de mon poste d'éducatrice avec celles de l'unité de soins ambulatoires et celle des conseillers d'insertion et de
probation du SPIP. Mes trois missions principales sont de rencontrer les personnes et d'évaluer leur conduite addictive pour un
projet de soin et d'insertion en vue de leur sortie, de maintenir la cohérence des projets, d'entreprendre le cas échéant des
démarches pour une sortie facilité et des hébergements, et enfin d'organiser les relais avec les dispositifs extérieurs concernés,
CMPP, CSAPA, centres d'hébergement et de cure.
Dans le cadre de ce partenariat, la première instance de régulation et de coordination est la Commission pluridisciplinaire unie
(CPU). Elle réunit chaque semaine tous les acteurs de la maison d'arrêt pour étudier la situation des détenus entrants et sortants.
C'est une instance d'évaluation composée d'une infirmière de l'UCSA, d'un moniteur d'atelier, d'un responsable du service du
secteur de détention, d'un enseignant, d'un conseiller d'insertion et de prévention du SPIP et de deux surveillants de secteurs
différents. Grâce à ma participation à cette commission pluridisciplinaire, je maintiens un lien avec chacun des acteurs et
m'inscris de manière cohérente dans le dispositif de soin et d'insertion existant.
• Avec le SPIP
Le SPIP est le maître d'œuvre de l'exécution des peines, joue un rôle essentiel dans l'aide à la décision judiciaire, est
garant de la cohérence, de la prise en charge des personnes placées sous main de justice, agit dans le cadre de leur
réinsertion sociale et dans la prévention de la récidive. Il s'appuie sur un réseau de partenaires institutionnels et associatifs.
Seuls les CIP sont habilités à organiser et concrétiser les projets de soin à la sortie des détenus en mettant en œuvre les
modalités d'un cadre juridique réalisable. Les CIP m'adressent les détenus suite à leur entretien d'entrée en détention. Pour
mener à bien mes interventions, j'échange régulièrement des informations avec chaque CIP sur les projets de soin et la
situation judiciaire, sociale et administrative de la personne sortant de détention. J'ai mis en place à cet effet un cahier de
liaison pour rendre compte de mes actions auprès des bénéficiaires rencontrés.
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• Avec l'Unité de Consultation de Soins Ambulatoires (UCSA)
C'est l'UCSA qui assure la prise en charge de la santé des détenus au sein de la maison d'arrêt, prodiguant les soins
somatiques et psychosomatiques, dont la prévention et l'éducation de la santé. Je collabore avec les pôles somatique et
psychiatrique et rencontre régulièrement les infirmières pour faire le point. Les professionnels de santé m'indiquent les
personnes sous traitement de substitution désireuses de bénéficier d'un suivi. Je suis informée chaque semaine des difficultés
spécifiques des détenus en grande précarité sociale ou fragiles psychiquement. Là aussi le cahier de liaison sert à assurer un
suivi de soin et un accompagnement socio-éducatif.
• Avec les agents pénitentiaires
Ils constituent un maillon essentiel pour assurer les rencontres entre les détenus et moi. Après 18 mois d'exercice avec mes
partenaires, trois axes prioritaires d'amélioration se sont dégagés : mieux informer les détenus à leur entrée sur les dispositifs
existants et la prise en charge des addictions, optimiser les orientations par une efficience accrue du partenariat avec les
professionnels du SPIP et de l'UCSA, et favoriser la précocité des contacts extérieurs en lien avec les conseillers d'insertion et de
probation du SPIP pour garantir les conditions de la continuité effective des soins à la sortie.
Madame Delphine CAUCHY
Éducatrice spécialisée, CICAT de Chartres
Je suis éducatrice spécialisée au Centre d'Information, de Consultation en Alcoologie et en Toxicomanie (CICAT), CSAPA
situé au Coudray, près de Chartres. J'interviens à ce titre au centre de détention de Châteaudun qui accueille 600 détenus
hommes de la région Centre et de la région parisienne. Le centre de détention accueille des moyennes peines et des fins de
longue peine. Mes missions sont identiques à celles de Mme TESTARD, à ceci près que dans la mesure où la date de sortie
est connue, nous avons une période plus longue devant nous pour envisager une approche différente. Lorsque je rencontre la
personne, il m'est important de cibler son projet, de veiller à une forme de cohérence en lien avec ses attentes, et surtout de
créer une alliance pour obtenir sa confiance en vue de la réalisation de son projet.
L'usager est souvent englué dans des problèmes liés à l'incarcération et mon travail consiste donc à l'accompagner dans le
processus de changement, en lien avec l'équipe des psychologues du centre hospitalier, en utilisant des outils propres à
une meilleure cohérence avec les partenaires. Parmi ces outils, je citerai la création prochaine d'une pièce de théâtre
participative dans le cadre d'un COPIL, et l'animation d'ateliers de sensibilisation sur les addictions avec ou sans produit au
centre de détention. J'ai également tissé des liens primordiaux avec les partenaires internes, tels que les services
pénitentiaires, le SPIP, l'UCSA, les psychologues, le point d'accès au droit, les aumôniers. De ce fait je suis confrontée à la
difficulté de bien définir le rôle et la place de chacun. La mise en place d'une convention quadripartite – le CICAT, le SPIP,
l'administration pénitentiaire et l'UCSA – permet de faire avancer les choses, l'objectif étant d'acquérir un langage commun
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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pour aider le détenu à sa sortie : l'aider dans une démarche de sevrage et de changement, intervenir sur la réduction des
risques avec l'évaluation des consommations et l'orientation vers un CAARUD à sa sortie, parce que tous ne sont pas dans
une démarche de sevrage. Il faut savoir aussi que la détention est l'endroit où les personnes font connaissance pour la
première fois avec des produits, pour mieux supporter leur enfermement, etc.
Alain Morel dit : "Il faut opérer quelques aménagements tout en accompagnant un processus complet de changement pour
obtenir une meilleure qualité de vie et moins souffrir." Pour ce faire, j'essaie de rencontrer la personne au moins 5 à 6 mois avant
sa libération afin qu'elle s'imprègne de son projet, et de mettre en lien les partenaires du centre de détention. Cela passe par la
mise en place d'outils visant à une meilleure cohérence, de fiches navette, de réunions communes et d'un dialogue. Le dialogue
avant tout. Nous devons aussi connaître le territoire et le lieu d'habitation, ce qui s'avère difficile en région parisienne, où la prise
de rendez-vous pose problème. En région Centre, en revanche, pour mettre en place un traitement de substitution, notre travail
est facilité par le lien entre le CICAT, AddictoCentre, l'Apléat, le VRS et le CAET. Maintenir le lien avec le détenu avant, pendant
et après l'incarcération est essentiel car il y a une demande en interne. Ajouter de l'humanité à notre intervention lui permet de se
sentir une personne plutôt qu'un numéro d'écrou. L'accompagnement après la détention permet de faire glisser la prise en charge
et d'éviter un sentiment d'abandon, souvent présent chez les anciens détenus.
La préparation à la sortie est essentielle à la prise en charge des détenus sous traitement de substitution. Elle doit
permettre de prolonger à l'extérieur la dynamique engagée autour du projet thérapeutique. La prise de contact de la
personne avec l'équipe relais doit être engagée dès l'initiation du traitement et effectuée pendant l'incarcération, de même
que le relais de la prescription de la délivrance doit être envisagé pour éviter toute rupture de soins après la sortie.
Il reste beaucoup à faire au niveau de la création de ces postes en milieu fermé et il est donc important que nous allions
vers les partenaires, afin de tisser des liens privilégiés pour favoriser le dialogue et avoir un langage commun. J'organise
par exemple des permissions pour les détenus qui souhaitent se rendre dans des centres de soin à l'extérieur, en les y
accompagnant, pour les rassurer et tisser un lien de confiance avec eux, tout en m'offrant l'occasion de rencontrer les
partenaires et d'expliquer mes missions. Enfin, une prise en charge globale est indispensable du fait de la précarité sociale
souvent présente chez des sujets présentant des conduites addictives en détention.
Madame Véronique COUSIN
Psychologue, CSAPA du CHRU de Lille
Bonjour à tous et merci pour cette invitation. Je travaille depuis 18 ans au CSAPA intramuros à la maison d'arrêt de
Sequedin près de Lille. Vice-présidente de l'APAC, je travaille depuis peu avec la Fédération Addiction dans un groupe
Santé-Justice. À mes débuts en centre de détention, j'ai eu du mal à accepter la notion de soins contraints, jusqu'à ce que
le Professeur Contencin, avec lequel je travaille en TSB (Thérapie Systémique Brève) me permette de comprendre l'intérêt
de ces soins. Si les détenus sont "contraints" à me rencontrer, j'élimine cette contrainte dès la première rencontre en leur
expliquant qu'ils ont le choix de refuser.
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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• Les soins contraints
J’élimine d'emblée cette contrainte lorsqu'un patient vient me voir en m'annonçant que c'est à la demande du juge qu'il se
présente. En faisant comme si cette contrainte n'existait pas, je l'incite à parler de ce qui l'amène, lui. Bien souvent ses
problèmes concernent les difficultés afférentes à la détention. Il n'y a aucune obligation de soin en milieu carcéral, mais les
détenus savent qu'en s'y prêtant, ils peuvent obtenir une RPS (remise de peine supplémentaire). En milieu carcéral, il y a
des contraintes au niveau du temps et de l'espace : espace réduit pour les patients comme pour nous, puisque nous
partageons deux bureaux et demi entre six intervenants.
Outre ces difficultés, il nous faut trouver un langage commun entre la justice, le pénitentiaire et la santé. Les vocables
diffèrent pour désigner les personnes auprès desquelles nous intervenons : "détenus" pour la justice, "patients" pour les
professionnels de la santé. Il est intéressant mais très difficile de travailler avec des institutions dont les missions sont
différentes, voire parfois opposées. Cependant, nous avons adapté notre mode de fonctionnement en harmonie malgré les
tensions, bien que ne parlant pas le même langage.
Nous avons énormément de personnes qui consomment des substances psychoactives et présentent des problèmes
sérieux avec l'alcool. Tous les acteurs du domaine de l'addiction ont eu, dans leur "clientèle", des personnes vouées à se
heurter à la justice, voire, parfois, à l'incarcération. Il est donc important de coordonner nos actions. Nous avons la chance
de posséder des dispositifs très différents, mais qu'il nous faut coordonner : un CSAPA, un SMPR (Service médicopsychiatrique régional), des UCSA, une unité de prévention.
• Les CSAPA intramuros
Anciennement appelées Antennes Toxicomanie, les CSAPA intramuros, qui remontent à 1987, poursuivent leur action face
aux troubles addictifs, s'adaptant avec le temps à l'arrivée des traitements de substitution, à la création des UPS (Unités de
préparation à la sortie) et aux relations avec les CSAPA extérieurs. Au départ nous avions 16 Antennes Toxicomanie en
France. Puis avec les mutations, les Antennes Toxicomanie ne sont pas toutes devenues des CSAPA, et les CSAPA n'ont
pas tous été rattachés ou inscrits dans les mêmes institutions, certains travaillant en étroite collaboration avec les SMPR,
d'autres se rattachant à des centres d'addictologie à l'extérieur tout en continuant à intervenir en prison, d'autres, enfin,
disparaissant, ce qui fait que nous ne sommes plus que moins d'une dizaine. Nous avons affaire à une population
spécifique souvent assez jeune et moins bien insérée socialement, sous traitement de substitution et consommant
davantage de produits, dont les benzodiazépines.
• Les troubles psychiatriques et les traitements de substitution
L'état de santé de la population carcérale est très inquiétant. Les chiffres sont significatifs, notamment dans le Nord où de
nombreux détenus ont des conduites addictives, des comorbidités et de gros troubles psychiatriques. Nous entamons en
janvier une recherche avec la Fédération Santé Mentale en vue de trouver un outil efficace et spécifique à cette population,
bien souvent dans une grande précarité sociale.
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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En termes de traitements de substitution (7,9 % de la population carcérale, 31 % des TS, etc.), je précise qu'à Sequedin
toutes les personnes qui se déclarent dépendantes sont reçues dès le lendemain de leur arrivée. Il est à noter que
beaucoup de détenus alcooliques ne se déclarent pas en tant que tels.
Nous avons scindé dans cette population entrante ceux qui ont un problème spécifique avec l'alcool (10 %) et le cannabis (9 %).
36 % bénéficient d'un traitement, soit 1/3 de la population qui se déclare dépendante. Par rapport à la population totale
incarcérée, le taux est de 15 % à Sequedin. C'est le double de ce qui est préconisé sur le plan national. La méthadone est
donnée tous les matins et la buprénorfine dispensée partiellement en entretien et partiellement avec les autres médicaments.
• Addictions et criminalité
La population carcérale représente une grande part des personnes addictives. En 2010, 14 % des personnes condamnées
l'étaient pour infraction à la législation sur les stupéfiants. Notre intervention auprès des détenus incarcérés pour violence routière
est compliquée du fait qu'ils comprennent mal la raison qui les a amenés en prison, même s'ils ont transgressé la loi à plusieurs
reprises sous l'emprise de l'alcool, voire occasionné la mort d'un tiers dans un accident. Pour ma part, je constate que je reçois
bien davantage de ces contrevenants condamnés au titre de la surconsommation d'alcool qu'auparavant.
Les personnes qui souffrent de troubles addictifs, auparavant considérés comme des malades, sont désormais traités par
la justice comme des éléments dangereux. Il y a donc introduction d'un facteur aggravant. Le statut de "toxico" dans la
microsociété qu'est la prison est très stigmatisant de la part des surveillants et des codétenus.
• La consommation en prison
Il est indéniable qu'elle existe et certains, d'ailleurs, comme je l'ai déjà signalé, ont commencé à consommer en prison,
notamment pour tenter d'améliorer leurs conditions de détention.
• Le parcours type d'un arrivant
Il sort de garde à vue et est rencontré le lendemain par les intervenants médicaux de l'UCSA, puis le psychologue du
SNPR, entretiens qu'il convient d'humaniser au maximum. Le dépistage est fait immédiatement. Il s'agit donc d'informer,
orienter et rassurer, en nous présentant comme des aidants hors justice, et protégés par le secret médical. Notre priorité va
vers les addictions et les risques suicidaires (10 fois plus importants qu'en population générale). Mon souhait est de mettre
en place un accueil spécifique CSAPA quelques jours après les premiers entretiens. Le traitement de substitution à l'arrivée
est difficile à mettre en place et doit être en lien avec le traitement éventuel entamé à l'extérieur.
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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• Constitution de l'équipe
Elle est formée d'un ETP (Éducation Thérapeutique du Patient) de psychologue, un ETP d'AS, un ETP d'éducateur spécialisé et
une secrétaire. Il y a un avant, un pendant et un après. C'est cet "après" qui est le plus important pour nous. Notre point faible
réside dans la préparation à la sortie, compliquée par les RPS (remise de peine supplémentaire) qui interviennent de façon
aléatoire. Bien que travaillant en étroite collaboration avec les intervenants en insertion-probation, notre tâche reste extrêmement
compliquée.
En conclusion, notre population est un peu "échouée" ; certains diront qu'elle relève de la psychiatrie, d'autres de la
toxicomanie. Par quelle porte la faire entrer ? Pour nous, par la grande porte. Nos services étant étroitement liés, notre
travail s'en trouve facilité. Néanmoins la coordination reste problématique, chacun ayant sa mission et le trouble addictif
étant en liaison très étroite avec le trouble somatique.
Échange avec la salle
Q : Je fais partie de la Délégation Territoriale du Loiret pour l'Agence Régionale de Santé. Pour suivre le parcours des
personnes dans le temps, avez-vous réfléchi à un système d'éducation partagé entre acteurs, avec les moyens modernes
de communication et d'échange permettant un suivi assez performant ?
Véronique COUSIN : Nous réalisons actuellement un gros travail avec les intervenants malgré des moyens parfois
extrêmement réduits. Le travail de fond pour changer les esprits existe, mais le problème de la confidentialité sur les
patients demeure. Toutefois en tant que UCSA, je peux aller dans les fichiers du CHRU si la personne est hospitalisée en
neurologie. Toutefois, sur le territoire national, nous nous heurtons souvent au manque d'ordinateurs.
Q : Je ne me référais pas à une question à l'échelle nationale, mais bien à la relation entre acteurs d'une zone territoriale.
Peut-on imaginer que les interconnections se fassent entre systèmes d'information d'un secteur à un autre, ce qui
permettrait une fluidité entre acteurs ?
Véronique COUSIN : Là où l'informatique existe, ce sera sans doute possible, mais tout ceci prend très longtemps. Nous
avons déjà trouvé des solutions pour échanger, mais entre l'UCSA et les SNPR, les connections sont difficiles.
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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Q : Je suis d'accord que tout n'est pas destiné à être diffusé dans un système d'information partagée. En revanche, des
éléments importants sur le suivi des personnes peuvent être mis à disposition, ainsi qu'un volet de synthèse accessible à
plusieurs acteurs.
Q : Je suis médecin généraliste à la prison d'Orléans et addictologue. C'est pour moi une affaire de personnes, de
rencontres, d'une démarche pas à pas. Petit à petit la confiance s'installe et nous construisons chacun nos propres outils.
Attendre une solution des instances supérieures ne mène à rien. Nous avons un papier de transmission entre les CSAPA
et les UCSA et nous nous rencontrons régulièrement. C'est grâce à cette meilleure connaissance entre nous que nous
construisons le projet autour du détenu.
Q : C'est le cas pour d'autres parcours de santé comme celui des personnes handicapées ou âgées. Sans être dans le
domaine des délits, il y a un lien à faire entre le social et le sanitaire, le médecin de ville et l'hôpital. L'idéal est de parvenir à
mettre en place un système d'information partagée entre professionnels.
Q : Il ressort des différents exemples partagés ici que chacun a mis en place une organisation, avec les outils mis à sa
disposition.
Véronique COUSIN : Personnellement, en arrivant au centre de détention, je ne disposais que de l'outil papier. Ce qui me
semble important, c'est que nous fassions de l'information. La confiance est parfois difficile à instaurer : il m'est arrivé de me
confronter à des détenus qui refusaient que le SPIP et sa CIP sachent qu'ils avaient des échanges avec moi.
Q : Effectivement, tout dépend des moyens mis à disposition pour la rencontre.
Jean-Jacques SANTUCCI : J'ai deux remarques à faire. La première est que ces questions sont forcément sensibles
lorsque nous parlons de personnes se livrant à une activité interdite, qui répugnent donc à laisser révéler cette activité à
des tiers. Le second élément qui complexifie la question est que la loi nous invite à garantir l'anonymat des personnes. Il y
a une culture qui fait que les professionnels, depuis longtemps, protègent leurs patients. Donc la question que vous ouvrez
là nous invite à nous re-questionner sur cette dimension de notre travail, lorsque nos "patients" nous demandent de les
protéger de l'image qui est la leur à l'extérieur et de les aider à en acquérir une autre. Si nous nous abritons derrière le
secret médical, cela n'empêche pas de nous rapprocher de personnes avec lesquelles nous avons des éléments à
partager. Mais la question est : jusqu'où devons-nous aller dans ce partage ?
Deuxième question : Disons-nous à la personne que nous traitons que nous partageons des informations à son propos ?
Cette question est difficile à résoudre. Et que pouvons-nous nous permettre de partager des éléments confiés à une entité
médicale, auprès de nos équipes, et a fortiori auprès d'équipes que nous ne connaissons pas ? Votre question est
pertinente, mais j'estime qu'il y a encore un certain nombre d'étapes à franchir avant de lui apporter une réponse
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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structurelle. Il faut d'abord avoir confiance dans l'autre pour pouvoir lui révéler certaines choses et avoir acquis la confiance
de l'usager pour qu'il accepte cette révélation des actes le concernant. Comment décréter la mise en place d'un système
de partage de l'information sans tenir compte de cette relation très particulière avec une personne ayant commis un délit ?
Véronique COUSIN : Au sujet de ce partage d'information, je me dois de préciser que le cadre pénitentiaire est
extrêmement contraignant, même pour les intervenants. L'ordinateur contenant les informations n'est pas toujours mis à
notre disposition. La réalité du terrain entrave donc nos actions. Je pense qu'avant d'évoquer des moyens technologiques
pour échanger, il faut déjà développer l'échange informel entre professionnels.
Q : Je suis travailleur social pour l'Apléat et interviens à la maison d'arrêt d'Orléans. Travaillant spécifiquement à la
préparation de sortie des détenus, je confirme que la coordination avec les partenaires est essentielle pour élaborer avec le
détenu un projet de sortie approprié. Un autre élément à prendre en compte est la différence de niveau de la trajectoire de
consommation et des stades de changement de consommation des détenus : certains s'initient à la consommation, alors
que d'autres sont sevrés. Leur préparation à la sortie ne peut donc être envisagée de la même façon. Je souhaitais
également préciser qu'en détention, les personnes nous informent non seulement sur ce qu'elles consomment, mais aussi
sur ce qu'elles trafiquent. Nous devons donc prendre aussi cet élément en considération.
Q : Je suis médecin à l'Agence Régionale de Santé. Que peut-on faire en termes de réduction des risques au sein des
établissements pénitentiaires ? D'un côté, il est inconcevable que des produits circulent dans l'établissement, de l'autre, la
réalité est qu'ils continuent de circuler. Dès lors il conviendrait d'améliorer la réduction des risques. Quel est votre avis, à
vous, professionnels, sur ces questions-là ?
Véronique COUSIN : Nous ne prétendons plus qu'il n'y a ni consommation ni risque. Mais effectivement il reste beaucoup
à faire ; il faut se faire confiance, et même entre soignants, il faut décider qui fait quoi. En ce qui nous concerne, nous allons
faire intervenir un CAARUD, dont c'est la mission à l'intérieur des murs. Concernant la circulation des produits en milieu
carcéral, je pense qu'il est concevable aujourd'hui de mettre en place un kit de sniff.
Jean-Jacques SANTUCCI : Pour ma part, je souhaite que soit acceptée la nécessité de la réduction des risques en prison.
Nous professons l'idée que les détenus doivent bénéficier des mêmes réponses que s'ils étaient à l'extérieur. Il faut donc se poser
la question de l'utilisation de seringues en milieu carcéral, même si cela semble très compliqué en termes d'organisation et
d'idéologie. Théoriquement, la prison est un endroit où les drogues ne devraient pas circuler. Accepter qu'il n'en soit pas ainsi est
déjà difficile, mais franchir le pas supplémentaire de donner du matériel pour les injections de drogues est une étape encore plus
difficile à accepter. Malgré tout il est temps d'affronter la question et d'y répondre, parce que des personnes rencontrent l'addiction
en prison alors qu'elles devraient en être protégées. D'autres rencontrent la pathologie infectieuse en prison, ce qui rend
impérative la décision de prendre les mesures nécessaires pour éviter la contamination. À la Fédération Addiction, un groupe
travaille sur ces questions, ainsi que d'autres acteurs de la réduction des risques. Des propositions surgissent, mais se
heurtent parfois à des réalités effectives et idéologiques.
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Véronique COUSIN : En matière de dépistage des hépatites à l'entrée, le taux de contamination est déjà de 4 à 5 fois
supérieur à celui de l'extérieur. Peut-être conviendrait-il de refaire ce dépistage à la sortie.
Q : Je suis psychologue au CSAPA de Bourges et j'interviens à la maison d'arrêt. Nous avons un dispositif satisfaisant, mis
en place depuis 2008, avec une bonne articulation entre les professionnels de l'UCSA, les SPIP et deux CSAPA. En
revanche, j'ai été confrontée à une difficulté face au discours de certains juges auprès d'usagers au sujet des traitements
de substitution. Les juges les incitent à les diminuer très rapidement car pour eux, cette diminution apporte la preuve de leur
bonne volonté. De ce fait cela peut favoriser le trafic ou la demande de benzodiazépines, d'où des risques de rechute. Je
voulais réfléchir avec mes collègues à la façon dont nous pourrions rencontrer les juges afin de leur expliquer ce qu'est le
soin en addictologie. Avez-vous déjà été confrontés à cette problématique ?
Véronique COUSIN : Votre intervention me ramène à la question de l'information évoquée précédemment. C'est non
seulement l'information mais l'interprétation de l'information qu'il faut prendre en compte. Que signifie être à 100 mg de
méthadone ? Vaut-il mieux être à 100, ou 20, ou 40 ? Des patients m'ont confié que le juge les avait considérés encore très
malades s'ils étaient à 100 mg. Je pense donc que nous avons tout intérêt à aller à la rencontre des juges, mais j'ignore à
quelle étape de leur parcours. Il convient de leur expliquer que le taux de méthadone prescrit correspond à un besoin au
cas par cas.
En revanche, nous avons été confrontés au problème des attestations faites pour remises de peine supplémentaires, que
nous avions tendance à distribuer naïvement au début, en donnant la date d'entrée et les dates des entretiens, pour nous
apercevoir que certains bénéficiaient de beaucoup de RPS en fonction du nombre d'actes. Ceci amenait les détenus les
plus atteints à cumuler une vingtaine de consultations. Nous nous sommes alors inquiétés de l'interprétation de ces
attestations et de l'information selon laquelle dix entretiens seraient mieux que trois, ce qui n'est pas le cas. Nous avons
donc décidé de rencontrer des juges d'application des peines pour leur expliquer que nous limiterions dorénavant
l'information pour éviter les mauvaises interprétations. Nous n'indiquerions plus la personne consultée (psychiatre ou
éducateur) et nous nous contenterions de mentionner la date du début du suivi. Cette rencontre nous a permis de nous
expliquer sur cette erreur d'interprétation de l'information.
Q : Personnellement, je souhaite aller prochainement à la rencontre des juges qui s'occupent du centre de détention de
Châteaudun, justement pour éviter ces erreurs de compréhension. Une expérience récente avec une personne qui, très impliquée
dans son projet de sortie et de soin, a essuyé un refus de permission de la part du juge, ce qui a entraîné une grosse déception pour
le détenu et pour moi-même, m'a marquée. Cet échec était dû au fait que je n'avais pas consulté le juge pour lui expliquer mon travail
avant ce verdict négatif. À mon sens, il convient donc d''essayer d'avoir cette démarche auprès des juges.
Jean-Jacques SANTUCCI : Pour être régulièrement en contact avec les juges, je pense qu'il faut faire simple, notamment
avec les juges d'application des peines qui accordent des RPS et des permissions de sortie. La première solution est de
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prendre un rendez-vous pour leur expliquer notamment l'interprétation d'un traitement de substitution. On peut aussi
transmettre des éléments d'information au service pénitentiaire d'insertion et de probation qui préside aux commissions
d'application des peines. Il faut distinguer l'obligation de soin en prison prise en compte par le JAP pour octroyer les
permissions de sortie ou les RPS, de la connaissance de la dangerosité par les juges. C'est par l'expertise qu'ils
détermineront avec l'aide d'un psychiatre cette dangerosité. L'interprétation d'une quantité de Subutex ou de Méthadone
sur un certificat médical pour octroyer une permission de sortie me paraît relever de l'impossible. Aussi le plus simple est-il
de prendre rendez-vous avec le juge d'application des peines pour lui exposer le problème.
Q : Pour apporter un complément d'information sur cette question, nous avons fait cette de démarche à Blois, en
rencontrant Mme LAURENSON avec le directeur du SPIP du Loir et Cher. Les entretiens se déroulent dans un respect
mutuel, permettant que les approches de chacun puissent se mettre en œuvre. Ceci peut se formaliser dans le cadre de
conventions, ce vers quoi nous tendons actuellement dans le département. Les ouvertures se font naturellement s'il n'y a
pas de blocage, idéologique ou autre.
Jean-Jacques SANTUCCI : Pour revenir sur les permissions de sortie, il faut tenir compte que les problèmes de délais qui
s'imposent aux juges font que les permissions de sortie ne sont pas toujours possibles juridiquement. Le refus auquel s'est
heurté Mme GONOT peut s'expliquer par ce délai incontournable. Et c'est pour cela que le dialogue avec le SPIP ou le
juge doit être instauré.
Christine TELLIER : Pour ma part, je reviendrai sur la question des articulations soulevée par Véronique COUSIN, et de la
préparation à la sortie impliquant le rôle du CSAPA référent. Véronique regrettait que le CSAPA intramuros de Lille ait été
désigné comme tel. Peux-tu nous en dire un peu plus à ce sujet, Véronique ?
Véronique COUSIN : Étant à l'intérieur des murs, notre situation est très particulière : il faut être à l'intérieur pour
comprendre et être réceptifs. Notre fonction à l'intérieur exige une mise en relation avec l'extérieur. En tant que CSAPA
référent, il est intéressant, mais difficile de coordonner les différents services. Vers 2001, une circulaire interministérielle
demandait la coordination des actions en faveur des personnes addicts. Le SPIP, le CSAPA, etc. doivent coordonner leurs
actions. Mais qui doit gérer cette coordination ? l'UCSA ? Pour accéder à une unité sanitaire, il faut du temps ; or en prison,
tout est ralenti. Les CSAPA référents qui viennent d'arriver de l'extérieur doivent affronter ce travail en milieu fermé, et ce
n'est pas tâche facile. À l'intérieur, nous sommes complètement débordés entre les entrants qui arrivent au quotidien, les
urgences, etc. Nous allons donc sans doute pouvoir faire cette économie de temps avec l'arrivée des CSAPA extérieurs.
Jean-Jacques SANTUCCI : J'aurais voulu demander à Mme TESTARD, en tant que représentatrice d'un CSAPA
référent, s'il lui avait été facile de trouver sa place au sein du centre de détention. Le fait d'arriver de l'extérieur a-t-il été un
bénéfice ou un inconvénient ?
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Roselyne TESTARD : Je laisserai ma collègue aborder ce sujet dans la mesure où c'est elle qui a occupé ce poste. Selon
moi, les débuts ont été difficiles puisqu'il il a fallu qu'elle explique ses missions et soit identifiée par chaque partenaire. Je
vais donc lui laisser la parole.
Q : Effectivement, je suis l'éducatrice de la maison d'arrêt. Nous avons mis en place une convention avec le SPIP et avons
eu la chance qu'il soit très ouvert à notre entrée à la maison d'arrêt. Nous avons donc commencé par rencontrer l'équipe du
SPIP, puis celle de l'UCSA, la première s'avérant plus facile que la seconde. Il nous a été un peu difficile de trouver notre
place entre ces deux entités. Au début de mon intervention, il m'a fallu partager des temps avec les conseils d'insertion et
les médecins, notamment les psychologues et infirmières psychologues. Il m'a donc fallu faire attention à ce que je disais à
chacune des entités. Quoi qu'il en soit, chacun semblait avoir compris que la finalité concernait le détenu et que mon poste
était important. En termes de communication, notamment sur la préparation à la sortie, nous ne sommes pas sur les
mêmes missions, donc pas sur les mêmes envies. Il faut veiller à ce que les trois entités soient informées de cette sortie et
en discutent en vue d'une meilleure cohérence.
Christine TELLIER : Il ressort de cette mise en route entre CSAPA référents, SPIP et unités de soins que la coordination
interministérielle doit encore être mise en place. Nous avons des textes qui nous donnent des missions et nous mettent en
difficulté d'articulations car il semble que la même chose soit demandée aux trois entités. Même si le mot coordination
figure dans les trois textes règlementaires, il ne s'agit pas forcément de la même coordination ; il y a celle du soin, celle des
soins en addictologie, la prévention en général, celle de la rechute ou de la réduction des risques, ce qui est différent. Pour
autant, sur le plan régional, cela signifie que la coordination entre les différents départements et les différents référents des
acteurs de terrain puisse s'exercer autour d'une table. Il faut qu'en matière de soin-détenus dans le programme régional de
santé, tous les acteurs concernés soient réunis. De la même façon, il faut qu'en matière de préparation à la sortie, tous les
acteurs concernés, dont le SPIP et l'établissement pénitentiaire, puissent faire référence à tous. Le problème est que
lorsqu'une organisation non formalisée est mise en place, une articulation est nécessaire entre la théorie et la pratique, et il
convient qu'il y ait des références cadre permettant d'élaborer, de décliner et d'adapter les actions à la situation locale, et
que ces cadres se nourrissent de nos propositions tout au long du travail.
Ceci éclairerait beaucoup la question des représentations réciproques, voire les questions d'affinités personnelles, tout en
nous permettant de nous mettre en position professionnelle et en capacité d'aider l'usager au-delà de la complicité, la
connivence ou au contraire de la défiance.
Jean-Jacques SANTUCCI : Merci à tous les intervenants de nous avoir exposé leurs expériences propres, merci aux
participants de nous avoir questionnés.
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Santé, territoire et addictions
Madame Christine TELLIER
Directrice Générale de l’Apléat
Déléguée Régionale de la Fédération Addiction
Pour replacer cette journée dans le contexte, nous avons tenté cette année de choisir une thématique assez large, que
nous déclinerons probablement sur plusieurs années : "Populations, territoires et accès au soin en addictologie, quelles
panoplies ?". La stratégie nationale de santé, notre plan MILDT et les autres contextes dont nous avons traité ce matin sur
le thème santé-justice constituent une bonne structure pour aborder ce thème.
Après l'approche théorique et intellectuelle de notre thème par Jean-Jacques SANTUCCI, Emmanuel RUSCH va nous
présenter ses vues sur la santé, le territoire et les addictions, ces deux derniers points ayant souvent fait l'objet d'échanges
entre nous.
Avant de lui passer la parole, je souhaitais parler en deux mots du rôle des CSAPA, dont la spécificité des missions se
résume en trois mots : durée, proximité et rôle ressource, pivot de coordination. Comment mieux illustrer le rôle d'un
CSAPA que par la participation à cette journée régionale qui réunit des professionnels de la santé, des CCAS, de
l'éducation nationale, des CAARUD, des maisons de santé, du secteur des personnes âgées ? C'est notre travail commun
avec tous ces réseaux qui nous permet une transversalité réelle. J'ai demandé à Pedro NIETO – en l'absence de Nathalie
LATOUR, Déléguée générale de la Fédération Addiction – comment pourrait se faire l'articulation avec l'addictologie dans
les lieux de travail. Pedro travaille avec moi sur la délégation de l'URIOPSS (Union Nationale des œuvres et organismes
privés sanitaires et sociaux) et a participé à la création de la maison de santé de Lorris. J'ai convié également Alain
HAMARD, Délégué National de Vie Libre, pour nous dire comment il travaille sur le terrain, dans le cadre du sujet
"Questions d'Alcool, comment aller vers ?", enfin Catherine DELORME, directrice de Sauvegarde 71 nous éclairera sur
l'articulation des acteurs sur les territoires.
Docteur Emmanuel RUSCH
Président de la FRAPS
Fédération Régionale des Acteurs en Promotion de la Santé
Bonjour à toutes et à tous. Je suis médecin de santé publique, enseignant chercheur à l'Université de Tours et Président de
la Fédération Régionale des Acteurs en Promotion de la Santé. Je vais surtout évoquer l'aspect santé et territoire, car cette
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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thématique nous interpelle au niveau de la prévention au quotidien et dans nos discussions avec les tutelles régionales,
notamment l'Agence Régionale de Santé.
• Les territoires
La notion de territoire est toujours compliquée à cerner. Il convient avant tout d'établir une première distinction entre les
territoires d'observation et les territoires d'action. Les premiers sont ceux où peuvent être recueillies des informations sur les
comportements des individus, les besoins de santé, les acteurs et professionnels en exercice, les travaux de certains
organismes, comme l'Observatoire Régional de la Santé. La difficulté d'articulation entre les territoires d'observation et les
territoires d'action apparaît clairement. Lorsqu'on évoque le thème "santé, territoire et addictions", la notion de territoire
s'entend en termes d'action ; toutefois il est difficile d'agir sans les possibilités d'observation. Dans les territoires d'action, je
laisserai de côté le territoire "politique", qui appartient au niveau national. La plupart d'entre nous travaillons sur des espaces
plus opérationnels et sans doute plus limités. La région est découpée dans un premier temps en territoires de santé, les
départements, puis en territoires plus restreints, les agglomérations, etc., où se fait l'articulation des acteurs entre eux.
J'observe en premier lieu l'absence de cohésion entre territoires d'observation et territoires d'action. Concernant les
territoires d'observation, nous avons bien sûr des informations, comme l'atteste l'atlas des usagers de substances psychoactives que vous avez sous les yeux, où figure, sur le plan régional, le pourcentage des personnes présentant un taux
d'alcoolisation ponctuel mensuel important. Vous constatez que la région Centre passe du rouge au gris, la couleur
indiquant simplement le positionnement de la région par rapport à la moyenne nationale. Alors qu'en 2005, nous étions
supérieurs à la moyenne, nous sommes maintenant dans la moyenne nationale. D'autres travaux d'observation plus
pointus affichent un certain nombre d'indicateurs autour de la consommation d'alcool en 2010. La présentation de ces
tableaux vise à illustrer la nécessité d'une observation sur un certain nombre de thématiques, dont celle des addictions.
Lorsqu'on parle de territoires, on ne peut faire abstraction des populations. Souvent diverses, celles-ci peuvent parfois avoir
une certaine homogénéité sociale. Il y a aussi des populations sans territoire qui nous intéressent de la même façon. La
notion de territoire parle beaucoup à ceux qui conçoivent des politiques, dans la mesure où il est plus facile de cerner un
territoire géographique que des territoires virtuels avec des populations présentant des flux non maîtrisables. Sur cette
carte de l'Observatoire Régional de la Santé, vous constatez que certains cantons du sud de la région font apparaître des
problèmes sur le plan social et sanitaire.
En m'appuyant sur les données de cette carte, mon intention est de prouver qu'en travaillant sur les territoires, nous avons
pour but de relever le défi des inégalités sociales de santé. Si j'ai insisté sur le sujet des territoires d'observation, c'est parce
qu'il est difficile de mettre en réseau des acteurs et de travailler sur des politiques de santé sans cette observation. Au
niveau des addictions, il est compliqué d'obtenir des données actualisées, et surtout des données précises sur les
territoires tels que les départements ou les cantons. Nous avons également du mal à réunir des données plurielles et
transversales. Or vous savez comme moi qu'il est bon, face à une population à risque, d'avoir une vision globale de
l'ensemble de ses difficultés.
Si votre thématique aujourd'hui est celle des addictions, elle peut s'élargir à toutes sortes d'autres problèmes de santé ou
facteurs de risque. Notre observation sur certains produits plus que sur d'autres entrave la pertinence pour la mise en place de
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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démarches territoriales d'action. Lorsque nous avons construit le Projet Régional de Santé de la région Centre, notamment en
termes de prévention, nous nous sommes heurtés à ces difficultés d'observation.
Les tutelles, les décideurs, les financeurs aiment la notion de territoire qui renvoie au concept de la planification. Planifier
consiste à mettre en parallèle les besoins de santé d'une population et les moyens mis à disposition, dans un souci d'efficacité
maximum. Le paramètre besoins-moyens, à la base de toute planification en matière de problèmes de santé, révèle une
première distinction entre l'état de santé déficient tel qu'il est ressenti par l'individu, par le professionnel de santé et par la
collectivité. Cela renvoie au terme anglo-saxon disease-illness-sickness. Le besoin est l'écart entre une situation désirée et la
situation actuelle. Sur le tableau, le besoin de santé est représenté par l'écart à combler entre le problème constaté au jour J et
l'état de santé désiré pour le futur. La planification consiste à résoudre cet écart et peut s'envisager au niveau des services
offerts par les CSAPA aujourd'hui et ceux souhaités pour demain, avec une politique de déploiement d'un certain nombre de
professionnels ou de structures autour de cette thématique.
• Les besoins
La notion de besoin est également difficile à cerner. En effet, que convient-il d'envisager : les besoins, la demande ou l'offre
de service et de professionnels sur un territoire ? Une fois ressenti, le besoin peut éventuellement s'exprimer et entraîner
alors une demande, laquelle est confrontée à une offre. Il convient parfois d'essayer d'anticiper la demande de la population
pour se rapprocher des besoins. Certains besoins ne sont jamais exprimés, certaines demandes ne rencontrent pas une
offre en termes de professionnels ou de structures, et il y a parfois des offres qui ne répondent à aucune demande ou
besoin. À partir du moment où sont cernés des besoins de santé sur un territoire, il convient de déterminer les moyens
nécessaires pour y répondre. Il y a actuellement une réflexion au niveau national autour d'un "panier" de biens et de
services, vis-à-vis des addictions, par exemple, qu'il faudrait déployer sur un territoire donné. Les Pouvoirs Publics se
démènent pour résoudre cette question. On peut avoir un panier de services aujourd'hui, défini sur des logiques de types
de produits, qui évoluera avec le temps. Sur ce sujet l'historique démontre que nous avons eu parfois un fonctionnement en
tuyau d'orgue selon les produits addictifs. La difficulté consiste à définir un panier couvrant l'ensemble du parcours d'un
usager, qui va de la prévention au soin.
. La prévention
Il est difficile de l'appréhender en termes de prévention primaire, secondaire ou tertiaire sur un territoire donné. Nous avons une
première ligne de biens et de services à proposer à une population sur un territoire donné, mais parfois nous devons sortir du
territoire pour pouvoir accéder à des interventions plus spécialisées. Par exemple, nous pourrions citer les sevrages simples, les
sevrages complexes, etc. Comment imaginer la possibilité d'accès à la population vis-à-vis de ces éléments-là ?
Pour conclure, en termes de panier de biens et de services, surgissent d'autres interrogations que son contenu. J'ai repris sur
ce tableau les cinq domaines d'action de la Promotion de la Santé. Dans le domaine de l'addiction, le panier de biens et de
services implique sans doute l'intervention sur des comportements individuels. Ce travail autour du panier sur un territoire
donné doit obligatoirement s'inscrire dans l'élaboration d'une politique de santé cohérente. Dans le domaine de la prévention,
nous sommes dans l'intersectorialité permanente : prévention, social, médicosocial, soin. Mais nous devons prendre en
Jeudi 12 Décembre 2013, Orléans, Centre Régional de Documentation Pédagogique
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compte également la diversité de responsabilités réparties entre l'ARS, l'assurance maladie, les collectivités territoriales, etc.,
et il ne peut être fait abstraction de cette articulation des responsabilités. Cela reste compliqué dans notre système français.
Pour créer les conditions favorables à cette articulation de panier de biens et de services, qui met en jeu et en concurrence
de nombreux opérateurs, peut-être est-il nécessaire d'inclure également les usagers et leurs représentants. Dans la
mobilisation de l'action communautaire, je pense qu'il faut inciter les Pouvoirs Publics à les insérer systématiquement dans
la réflexion de la territorialisation de ce panier de biens et de services. Enfin, il convient que nos collègues soignants soient
sensibilisés à la prévention et au repérage individuel, ainsi qu'à un certain nombre de dispositifs en amont du soin, dont le
développement reste indispensable.
Dernier point : notre politique et notre organisation sur les territoires répondent-elles à un principe d'égalité ou d'équité ?
L'étude de la répartition dans la région Centre des enveloppes de prévention de l'Agence Régionale de Santé révèle que
toutes les populations et tous les territoires peuvent bénéficier du même panier : c'est le droit d'accès qui prime. Ne
conviendrait-il pas de porter davantage nos efforts sur les populations le plus en demande ? Plutôt que de répartir les
ressources au prorata des populations du département ou du canton, ne faudrait-il pas ajouter un surplus de moyens sur
les territoires aujourd'hui le plus en difficulté ? Je terminerai sur cette interrogation de territorialisation et de moyens à
répartir sur ces territoires. Je vous remercie de votre attention.
Christine TELLIER : Merci beaucoup, monsieur RUSCH, pour l'exposé de ces questions, que nous développerons dans
notre Table Ronde. Je retiens un élément important au sujet de la notion de territoire. Nous avons en effet tendance à
privilégier les acteurs qui y interviennent plutôt que le périmètre géographique, et parlons bien davantage d'enjeux en
termes de santé, de couverture, d'accès à la prévention et au soin.
Monsieur Pedro NIETO
Directeur de la Maison de santé de Lorris
Bonjour à toutes et à tous et merci à l'Apléat et à Christine TELLIER de m'avoir invité à participer à cette journée.
L'établissement que je dirige est un foyer de vie situé à Lorris, qui accueille des personnes handicapées sur le plan
intellectuel et psychique. Je parlerai pour ma part du territoire et des acteurs, car c'est un duo indissociable dans le projet
d'une future maison de santé à Lorris. Dans cette dimension binaire de coopération et de territoire, se pose la question des
acteurs. Pour planter le décor, nous sommes en milieu rural, sur un canton de 10 000 habitants répartis en treize
communes, et sur ce territoire, nous avons la particularité de posséder deux autres établissements à Lorris : l'EPAD –
maison de retraite – et une MAS (maison d'accueil spécialisée) pour les polyhandicapés. Nous avons souhaité, depuis
quelques années, travailler davantage en partenariat, ce qui ne s'est pas passé sans mal, compte tenu des différentes
populations visées. Cette coopération entre les trois établissements du secteur social et médico-social nous ramène aux
politiques catégorielles existantes.
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En termes de besoins, la question de la santé s'est obligatoirement posée. N'étant pas un établissement médicalisé, nous
sommes appelés à externaliser les soins ; or dans notre canton de 10 000 habitants n'interviennent que 4 médecins, pour une
moyenne de 8,5 dans la région Centre et 10,5 pour l'ensemble de la France. Ce problème de santé s'applique donc non
seulement à notre maison d'accueil spécialisée mais aussi à l'EPAD, qui a besoin de s'appuyer sur des professionnels de santé
implantés sur le territoire de Lorris. Nous devons parfois nous déplacer jusqu'à Montargis ou Orléans pour des rendez-vous
psychiatriques que nous ne pouvons trouver à proximité. Pour remédier à cette carence, nous avons fait une démarche auprès
des représentants politiques locaux, dont le Conseiller Général du Canton. Nous avions une légitimité à intervenir par rapport aux
personnes que nous accueillons, tant au niveau de la sphère médico-sociale que de la sphère politique et de celle des
professionnels de santé libéraux. Nous avons reçu un accueil favorable de la part des élus : l'ARS, le Conseil Général, l'État, le
Conseil Régional, lequel finance une cinquantaine de maisons de santé sur la région Centre. Le fait que nous nous soyons
coordonnés et articulés sur un territoire de vie a emporté leur décision.
Lorsque nous avons rencontré les professionnels de santé de l'ensemble du Canton pour leur présenter notre projet de
maison de santé pluridisciplinaire, ils ont très bien perçu notre démarche. Nous avons donc créé un groupement de
coopération – social et médico-social – pour porter le projet. Nous sommes devenus l'interface entre les professionnels de
santé et le porteur de la maison de santé pluridisciplinaire, ce qui a créé un ensemble permettant de co-construire ce projet,
qui devrait voir le jour en mars 2015.
Quel plus apporte notre maison de santé ? Elle va représenter un changement dans l'exercice de la profession. Le
décloisonnement des pratiques professionnelles signifie aussi le début de l'évolution d'un travail en réseau, ainsi qu'une
évolution des acteurs provenant d'horizons différents. Grâce à une réunion mensuelle avec les élus, notre groupement de
coopération nous permet de mieux répondre aux besoins. Nous bénéficions, avec les différents intervenants de santé,
d'une équipe pluridisciplinaire. Nous aurons des temps de concertation, d'échange, de réunion, débouchant sur une
continuité des soins. Nous aurons aussi un accueil approprié de la population, dont celle des handicapés, peu connue en
général des professionnels de la santé. Nous avons donc créé des passerelles, et ce changement de culture, théorique
pour l'instant, ne demande qu'à se construire dans le temps pour devenir effectif. La municipalité a mis à notre disposition
un terrain pour un euro symbolique, terrain qui accueillera également un relogement pour les personnes âgées et une
résidence pour les personnes handicapées vieillissantes. Nous avons en outre bénéficié d'un diagnostic santé par l'ORS
qui nous a apporté des éléments essentiels au niveau régional.
La prévention passera par la création d'ateliers thérapeutiques dans les domaines de la nutrition, de l'équilibre et de la
mémoire, ainsi que de la prévention du diabète. Pour l'instant, aucun intervenant n'est encore prévu pour assurer un atelier
addictologie, mais il est tout à fait envisageable de mettre en place des permanences ou des mini-conférences pour
sensibiliser les acteurs locaux. Nous avons l'intention d'élargir, avec le temps, cette interaction avec les établissements du
secteur médico-social. Telle est donc la photographie de la coopération pouvant exister sur un territoire particulier ; cela
vaut donc la peine de "croiser nos regards" dans cette prise en compte coopération et territoire.
Christine TELLIER : Merci. Effectivement, nous pouvons retenir de cette formule tryptique "besoin-demande-réponse" que la
réponse se décline sur un territoire où interviennent plusieurs acteurs dont l'articulation reste à améliorer. La prévention telle que
vous l'avez présentée dans le panorama global a plusieurs aspects. J'ai apprécié l'idée qu'elle pourrait faire l'objet de trois niveaux
d'intervention, de la même façon qu'en matière d'addictologie, la réforme a créé pour le secteur sanitaire des niveaux
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d'intervention au nombre de trois, qui correspondent à des niveaux de prise en charge et d'équipement. C'est ainsi que l'on
détermine les acteurs et les compétences nécessaires en termes cliniques, pratiques et matériels. Je retiens aussi de votre
intervention une proposition de l'ordre de l'éducation thérapeutique, qui pourrait réunir autour de la prévention les secteurs
médicalisé et médico-social.
Monsieur Alain HAMARD
Délégué National Vie Libre
Je suis bénévole au mouvement Vie Libre et ancien alcoolique. Je demanderai donc votre indulgence, après les
interventions des professionnels qui se sont exprimés avant moi. Mon propos est de vous informer des activités de notre
association.
Sur le plan historique, le mouvement a été créé en 1953, constitué essentiellement d'anciens alcooliques, d'abstinents
volontaires et de conjoints, dans le but d'accompagner les malades alcooliques et leurs familles. Nous travaillons avant,
pendant et après les soins.
Avant : Nous devons amener la personne à accepter sa problématique avec l'alcool, ensuite à reconnaître qu'elle est
malade alcoolique, et enfin, que c'est à elle de trouver la solution à son problème, qui est de partir en soin.
Pendant : Le malade est en milieu médical, mais la famille, elle, nécessite un accompagnement pour être préparée au
retour du malade alcoolique. Il nous incombe donc de l'accompagner durant cette période.
Après : C'est une phase très importante puisqu'il faut accompagner le malade dans l'abstinence, avec toutes les difficultés
que cela comporte. Réapprendre à côtoyer l'alcool sans le consommer, réapprendre l'estime de soi, retrouver ses propres
valeurs. Nous nous devons aussi de diriger les personnes vers les structures correspondant à leurs besoins et aider la
famille à retrouver sa place.
Avant toutes ces étapes, il faut créer un contact avec le malade alcoolique. Pour cela Vie Libre doit se faire connaître, créer des
permanences et des groupes de parole, à l'intention des malades et des personnes intéressées par notre action. Nous allons
souvent vers le malade alcoolique en nous rendant à son domicile, parfois à la demande de la famille, du médecin, des services
sociaux, ou du malade lui-même. À ce niveau, nous n'apportons que de l'écoute, des conseils, mais surtout pas de solution, car à
Vie Libre, personne n'a de solution ; elle appartient au malade lui-même, avec du temps, de la compréhension, et surtout de
l'acceptation. On dit toujours "On est arrivés à l'alcool par des chemins différents, on en sortira par des chemins différents."
Il faut savoir que le malade doit faire un immense effort pour nous contacter ; il nous appartient donc de ne pas le décevoir.
Nous n'avons pas de discours tout prêt ni de solution toute faite. Nous l'écoutons sans jugement. La relation de confiance que
nous établissons avec lui nous permet de l'amener à venir à nos groupes de parole où il pourra écouter et/ou parler. Notre but
est de soulager le malade, ne serait-ce qu'un court instant, et de l'inciter à revenir pour faire un travail sur lui même. La
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souffrance qu'exprime le malade révèle souvent que sans l'alcool, son chemin de vie aurait été beaucoup plus difficile. Nous
devons donc préparer le malade alcoolique à une démarche de soin, pour qu'il devienne libre de l'esclavage de l'alcoolisme.
Parfois des malades veulent partir en cure dans le but de récupérer leur permis, de se soustraire à une incarcération ou
pour éviter une menace de divorce ou de licenciement. Dans ces cas-là il y a beaucoup de rechutes, la cure n'ayant eu
qu'un but matériel et non humain. C'est pourquoi la préparation du malade au soin ou à la rencontre d'un médecin est
importante dans une démarche d'abstinence, car elle facilite la prise en charge médicale et psychologique : "Je vais en
cure pour moi, pour ce que je suis".
Nous travaillons avec une carte de relations dont le malade est le point central, autour duquel gravitent le conjoint, les
enfants, les parents, les amis, les médecins et services sociaux, etc. Nous nous devons d'être en relation avec les
médecins pour l'accompagnement médical, ainsi qu'avec les services sociaux et associations diverses. Le malade
alcoolique a besoin de tout cet entourage pour retrouver le chemin de l'abstinence. Vie Libre les accompagne dans ce
cheminement.
Le maître mot est la communication avec le malade alcoolique, ce qui passe par l'adéquation à son environnement. C'est
pourquoi nous rencontrons les personnes là où elles se trouvent : chez elles, en milieu carcéral, dans les centres
d'hébergement, etc. C'est à nous d'adapter notre attitude sans brusquer les choses et de décider comment on peut les
sortir de là. C'est pourquoi nous avons besoin de travailler en commun avec les autres intervenants de santé ou du social,
avec leurs connaissances propres.
Nous devons les écouter sans préjugé, sans rejet, dans un climat de confiance. L'accompagnement de l'abstinence reste
juste et dénué de mépris. Il ne faut surtout pas rejeter le produit alcool, laisser au malade une certaine liberté qui nous
aidera à l'amener doucement sur le chemin que nous souhaitons pour lui et son bien-être. La personne en situation
douloureuse de son passé méprise l'individu dépendant qu'il est devenu. Il est souvent dans le déni par rapport aux autres,
mais nullement par rapport à lui-même. Je vous remercie.
Échange avec la salle
Q : Comment rencontrez-vous ces personnes ? Comment font-elles appel à vous, notamment lorsqu'elles sont en prison ?
Comment se crée le lien ?
Alain HAMARD : Dans le milieu carcéral, nous travaillons avec le médecin psychologue intervenant, et également avec le
SPIP (Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation). C'est souvent le détenu qui fait une demande par écrit pour
rencontrer Vie Libre, en passant par le SPIP, ce qui prend malheureusement beaucoup de temps.
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Q : Pour vous contacter, ils sont obligés de passer par le SPIP ?
Alain HAMARD : Oui. Ils ne peuvent pas nous téléphoner directement de la prison. Ils doivent passer par la hiérarchie.
Q : Cela dépend, car en ce qui concerne la maison d'arrêt de Blois, des intervenants possèdent une boîte de réception par
laquelle peuvent passer les détenus. Il n'y a donc pas obligation de passer par le SPIP.
Alain HAMARD : Oui. Je sais qu'il y a d'autres solutions, mais en ce qui me concerne, en fonction de mon temps
disponible, je ne peux aller à la prison qu'une fois par semaine.
Q : Je suis médecin généraliste. Les thématiques abordées par Monsieur RUSCH existent depuis une vingtaine d'années. Il
est une chose qui me semble ne pas évoluer : la place de l'usager dans ces démarches. Ne faudrait-il pas intégrer un peu de
démocratie sanitaire, en prenant exemple sur certains pays étrangers ? Comment comprendre les besoins des personnes ?
Je trouve très intéressant que, pour son projet, monsieur Pedro NIETO, ait fait appel d'emblée à l'ORS pour un bilan de santé
du territoire. En revanche je crains que la formation des professionnels pour une insertion en maison de santé
pluridisciplinaires reste encore ciblée sur un travail solitaire plutôt que sur un travail d'équipe. Il faudra donc du temps pour que
cette formation initiale, basée sur l'individualisme, s'ouvre à une formation élargie. Quoi qu'il en soit, en faisant entrer l'usager
dans ces réseaux, des éléments très intéressants apparaissent. Je pense donc qu'il y a des blocages dans nos systèmes au
niveau de nos administrations et ne suis pas sûr que nous ayons fait de gros progrès avec les ARS.
Emmanuel RUSCH : Je reste persuadé en effet qu'il faut intégrer les usagers et les représentants d'usagers dans la
délibération de toute politique de santé, locale, régionale et nationale. L'intervention de monsieur VERKELLE est révélatrice de
l'intérêt d'avoir des usagers ou représentants qui exposent leur point de vue et leur façon d'appréhender les choses. Je ne
peux que plaider pour cette démarche et rappeler régulièrement à l'ARS l'intérêt et l'efficience de ce système. L'avant-dernier
rapport de la Conférence Nationale de Santé a rappelé qu'elle souhaitait une démultiplication de la participation des
représentants des usagers dans les politiques de santé. Nous avons constaté qu'il est parfois compliqué de faciliter cette
participation des usagers et il y a beaucoup de progrès à faire en France sur la reconnaissance de ce statut de représentant
des usagers, sur des choses très basiques, comme le remboursement des frais de déplacement par exemple.
Q : Je suis médecin de l'Agence Régionale de Santé, plus particulièrement en charge de l'addictologie. J'ai également travaillé
sur l'éducation thérapeutique du patient. Pour répondre à la question de la place des usagers dans le système de santé, je pense
qu'en effet nous sommes en retard par rapport à certains pays, sans qu'il y ait pour autant blocage des administrations contre
l'intégration des usagers dans les systèmes de santé. En revanche, il y a certainement des passerelles à créer pour en assurer la
faisabilité. 132 programmes d'éducation thérapeutique du patient sont actuellement autorisés en région Centre. J'ai participé
directement à leur autorisation depuis 2010. La place de l'usager est fortement recommandée. Aujourd'hui, seuls deux
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programmes sur 132 ont été co-construits avec des usagers. Concernant les associations consacrées à l'addictologie, l'ARS de
la région Centre a souhaité depuis sa création promouvoir les associations néphalistes. En conséquence, je félicite monsieur
HAMARD de sa présentation, car pour ce qui nous concerne, Vie Libre est une association très professionnelle, bien que
bénévole, car elle a une connaissance que nous, professionnels de la santé, n'avons pas. Nous avons donc besoin de vous.
Au sujet de la multiplicité des intervenants, il est essentiel aujourd'hui de décloisonner les pratiques pour une adaptation
optimale au terrain, en éliminant ces scissions entre le domaine médico-social, la prévention et le sanitaire. Il arrive que des
patients toxicomanes des milieux ruraux qui s'adressent à l'hôpital de leur sous-préfecture s'entendent dire : "nous, on ne
sait pas faire, on ne s'occupe que d'alcool. Allez donc à la Préfecture." Il est évident que le malade ne s'y rendra jamais.
Cela signifie qu'au niveau des établissements de santé, il faudrait rapprocher le CSAPA des hospitaliers. Ceci signifie aussi
que demain, vous, professionnels de santé, acceptiez de travailler les uns à côté des autres, voire ensemble. Cela signifie
encore que dans tout établissement de santé, nous devrions mettre en place une permanence d'accueil ouverte du lundi
au vendredi, où interviendraient alternativement un médecin traitant, un médecin du CSAPA ou un infirmier. Le patient a
besoin d'être accueilli et nous nous devons de lui offrir ce service. Nous essaierons de travailler sur ce point dans les six
mois qui viennent, en concertation avec un grand nombre d'acteurs du secteur de l'addictologie.
Q : J'espère pour ma part que vos propos ne resteront pas des paroles en l'air, car si votre proposition est de très bon aloi,
nous aimerions que tout le monde y participe. En effet, beaucoup de nos militants – buveurs guéris – sont membres des
CRUQ sur la région Centre et participent à plusieurs instances. Nous aimerions que soient mises en application les
recommandations de la SFA (Société Française d'Alcoologie), en vue d'associer des moments d'entraide pour les
candidats au sevrage. C'est tout ce que nous demandons aux services hospitaliers. Mais tous ne jouent pas le jeu, ni les
CSAPA, ni les UCSA, ni les autres. Merci.
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Table ronde
Addictions et territoires : articulation des acteurs de soin
Animée par Madame Catherine DELORME
Directrice de Sauvegarde 71
Bonjour à tous. Je dirige pour ma part un CSAPA et un CAARUD (Centre d'accueil, d'accompagnement à la réduction des
risques pour les usagers de drogues). Je gère également un accueil de jour pour personnes en situation de précarité
sociale. Je suis basée en région Bourgogne et c'est avec plaisir que je viens croiser mon regard avec le vôtre à l'invitation
de Christine TELLIER.
Je vous parlerai surtout, en tant que directrice d'un CSAPA, de la prévention et de l'intervention précoce, deux domaines
extrêmement liés qui se renforcent l'un l'autre si on arrive à les articuler et à les mettre en œuvre en cohérence.
La complexité de la prévention des addictions tient notamment dans les réalités qu'elle recouvre et la diversité des acteurs
qui la mettent en œuvre. Il y a deux sortes de prévention : celle de l'offre – qui relève davantage des services de police et
de la justice – qui consiste à intervenir sur les circuits de production et de vente et vise à interdire et/ou à limiter l'accès aux
produits et leur utilisation dans certaines circonstances, telles que la conduite automobile. La prévention de la demande
revient, elle, aux professionnels de santé et de l'éducation. Elle s'intéresse à tous les consommateurs potentiels et vise à
informer des effets et des risques, dans le but de dissuader l'usage, de le circonscrire et de permettre aux personnes
d’effectuer leur choix en pleine conscience.
Comme l'a rappelé Monsieur RUSCH, la santé publique propose une graduation de préventions en trois niveaux : primaire
– éviter la survenue du problème –, secondaire – intervenir dès l'apparition du symptôme pour éviter la propagation et
l'aggravation –, et tertiaire – prévenir la rechute. En matière de conduites addictives, il est proposé un autre modèle que
nous, CSAPA, trouvons plus adapté à notre contexte.
Au premier niveau, on parle de prévention universelle : c'est celle qui s'adresse à des groupes de population générale sans
identification des risques individuels relatifs à un problème donné. Elle repose sur les grandes campagnes d'information
relayées par les médias et vise à mettre en évidence les risques afférents à l'alcool.
Au deuxième niveau, c'est la prévention sélective, qui est dirigée vers des groupes plus vulnérables face à un phénomène
donné. Cette vulnérabilité étant souvent liée à leurs caractéristiques sociodémographiques ou psychosociales, ces groupes
sont identifiés comme groupes à risque (on y trouve entre autres les adolescents).
Au troisième niveau, c'est la prévention indiquée. Généralement, elle s'adresse plutôt de façon individuelle à des personnes
qui manifestent les premiers signes ou les facteurs de risques liés à la problématique. C'est le bout de chaîne de la
prévention, qui s'exerce en individuel.
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En ce qui concerne la question du "choix responsable" ou "choix éclairé", le soin relève moins d'une attente ou d'une
demande de la part de l'individu que d'une revendication de l'entourage. L'exigence d'accès à la prévention et aux soins
pourrait être portée par les politiques publiques si elles considéraient que cet accès est de même importance que le soin,
ce qui pourrait viser à le rendre obligatoire.
Dans le cadre d'un CSAPA, de quelle prévention parlons-nous ? Il s'agit d'une prévention graduée intégrant plusieurs
niveaux de réponses, de la prévention au soin et du collectif à l'individuel. Notre objectif est de développer des
compétences psychosociales de l'individu pour augmenter son estime de soi et lui permettre d'effectuer des choix
favorables à sa santé et à sa socialisation. L'expertise des CSAPA en matière de prévention s'appuie sur des pratiques
professionnelles propres à construire la prévention sélective et la prévention indiquée, en privilégiant pour cette dernière
des approches et des techniques adaptées. Parmi celles-ci je dois mentionner l'intégration de la prévention par les pairs,
dont les CSAPA reconnaissent le discours et l'approche, complémentaires de ceux des professionnels.
Les CSAPA interviennent également dans la réduction des risques en étudiant au plus près les publics concernés, le mode
d'administration des substances et le danger de contamination infectieuse. Des professionnels ont travaillé avec des
associations communautaires pour une mise en place commune d'une intervention au croisement des expertises. Pour
illustrer mon propos, sur le schéma présenté, qui aurait pu s'intituler "Du préventif au curatif et du collectif à l'individuel",
vous retrouvez les trois niveaux de prévention évoqués : de la prévention universelle, nous mettons en place une éducation
préventive utilisant des méthodologies évaluées et expérimentées.
Sur mon schéma vous constatez aussi que nous passons par l'intervention précoce. L'outil favori de cette intervention
précoce demeure la consultation jeunes consommateurs. C'est avec l'intervention précoce et cette consultation jeunes
consommateurs que nous pouvons travailler avec tous les acteurs et développer une intervention adaptée pour arriver à
une prévention indiquée et, le cas échéant, au soin. Qu'est-ce que l'intervention précoce ? C'est une stratégie d'action qui
s'inscrit entre la prévention et le soin, avec plusieurs objectifs : favoriser la rencontre avec le public visé et les
professionnels ou les membres de l'entourage. Elle nous permet d'améliorer, avec les autres acteurs, le repérage qui nous
permet d'intervenir au plus près et au plus tôt tout en acquérant une expertise commune. Cette stratégie s'inscrit dans
l'articulation entre les acteurs dont l'objectif commun consiste à augmenter la réceptivité de l'entourage des jeunes et à
développer la capacité d'attention aux comportements à risques. C'est la définition même du repérage précoce.
Toutefois il serait également utile de le définir par ce qu'il n'est pas. Ce n'est pas une volonté de spécialiser certains
professionnels à exercer des missions qui ne sont pas les leurs, ni une volonté de déplacer le lieu du soin et de la prise en
charge des addictions. Quelle pourrait alors en être la définition ? "Le repérage précoce permet d'interroger les
représentations de chacun sur les comportements addictifs et la façon dont ces comportements doivent être pris en compte
dans une situation et par une communauté." Il permet de préciser l'objet du partenariat pour déterminer les contours de
l'action, tant communautaire qu'individuelle. En définissant ensemble des modalités d'intervention précoce, nous visons à
formaliser des liens entre le CSAPA et les professionnels de l'institution.
À titre d'exemple, le CSAPA de la région Bourgogne a formalisé un réseau addiction d'intervenants sociaux sur chacune
des agglomérations. Nous organisons une rencontre trimestrielle entre les acteurs-relais formés au repérage précoce, en
lien avec le CSAPA et sa consultation jeunes consommateurs. Ces professionnels-relais sont en lien avec les
professionnels ressources. Malheureusement l'intervention précoce n'est pas financée à la hauteur de ses besoins, et nous
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ne sommes pas certains de pouvoir pérenniser un réseau pourtant en place depuis une quinzaine d'années et ayant
prouvé son efficacité.
Je laisse place à la discussion et vous propose de partager vos réflexions avec vos interlocuteurs de cette Table Ronde.
Q : Je pense pour ma part que le terme de territorialisation sous-entend la déresponsabilisation des professionnels, et peutêtre des usagers sur une responsabilité populationnelle. Je fais notamment référence à l'intervention de Monsieur NIETO
concernant sa maison de santé : celle-ci se trouvant sur un canton de 10 000 habitants fait l'objet d'une demande de prise
en charge ; on passe donc d'une approche "éclatée" entre professionnels vers un objectif où l'on partage une responsabilité
vis-à-vis d'une population. Peut-être le fait de se créer des territoires correspond-il aussi à cette démarche. Les sociologues
disent souvent que pour faire coopérer les gens il faut qu'ils partagent une valeur ou un objectif commun. Cette façon de
responsabiliser face à une population est peut-être une façon de nous amener à coopérer.
Q : L'essentiel sur un territoire est que la personne soit acteur de son projet de vie, dans quelque cadre que ce soit, la
solution ne passant que par la personne. Bien sûr, elle peut être aidée par la coopération entre les acteurs, qu'elle soit
issue d'une politique officielle ou d'origine associative. Plus les acteurs connaissent le parcours de vie de la personne, plus
ils sont en mesure de l'accompagner, en lien avec les autres intervenants du territoire. Ce sont deux éléments essentiels à
une réponse plus pertinente et plus cohérente. Il y a donc dans la dimension de la prévention indiquée une finesse à
trouver et c'est dans ce sens que la coordination des acteurs sera essentielle.
R : Je souhaite ajouter un élément concernant les besoins, l'offre et la demande. Je pense que nous sommes passés d'un
système exclusivement ascendant, insatisfaisant, générateur d'inégalités, à un système exclusivement descendant, guère
plus satisfaisant, qui nous pousse paradoxalement à coopérer et à articuler nos actions, alors même que nous sommes
mis dans une concurrence parfois très violente. En ajoutant les expériences positives, nous sommes confrontés à trois
parties qu'il faudrait arriver à équilibrer. Cet équilibre est difficile à trouver dans le système français où il y a ceux qui
agissent et ceux qui ne font rien. Or c'est en confrontant les propositions et les erreurs de chacun que nous parviendrons à
nous départir de nos premières images pour trouver des solutions plus constructives.
J'aimerais aussi que nous inscrivions nos questions d'addictologie dans un contexte plus général. En effet, elles se retrouvent
dans d'autres domaines, comme ceux des personnes âgées, du handicap, du social, etc. Il nous faut donc profiter de ces
correspondances pour tenter d'en tirer du positif. Pour autant, en écoutant les usagers, si certaines solutions paraissent très
simples, leur mise en œuvre s'avère très difficile, comme l'accès au traitement de substitution de proximité pour les dépendants
aux opiacées. Parfois l'équipe pluridisciplinaire d'un CSAPA peut aider certains usagers à recouvrer une estime de soi. Mais ceci
ne peut s'appliquer qu'aux usagers demandeurs, car il en est qui souhaitent qu'on les laisse tranquilles.
Quand on parle population-territoire-accès au soin en addictologie, on pense d'emblée à l'accès à la prévention, l'intervention
précoce de proximité et l'accès à des traitements. Pour ce qui me concerne, le CSAPA a un rôle et une mission s'il veut
s'occuper de la population de son territoire d'intervention, mais pas toujours et pas partout. Cela dépend de nombreux critères. Je
voulais le redire ici car je pense qu'il s'agit d'un axe de travail et d'un objectif sur lequel nous pourrions réfléchir tous ensemble, non
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seulement les intervenants en addictologie, mais tous ceux qui sont concernés par la santé dans un territoire de vie pour
déterminer de quelle façon on pourrait intelligemment travailler ensemble dans les plans territoriaux de santé.
Q : Lorsqu'on parle de proximité, on pense avant tout à la proximité géographique. Or il faut surtout construire la proximité
des points de vue, et pour ce faire avoir une idée assez précise de ce qui se fait ailleurs, ce qui participe au
décloisonnement. On assiste à une transformation de l'exercice de la médecine via les exercices regroupés, qui devient
plus favorable à la transversalité. Du côté des CSAPA, la réflexion à mener porte sur le type d'approche à avoir dans cet
exercice regroupé de la médecine qui facilite le lien entre les acteurs de premier recours et le dispositif spécialisé.
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Clôture
Madame Christine TELLIER
Directrice Générale de l’Apléat
Déléguée Régionale de la Fédération Addiction
Ces deux dernières interventions tiendront lieu de conclusion. Je vous remercie d'être restés dans le cadre de ce sujet
difficile qui vous a entraînés dans notre monde et le vôtre, tout en nous ouvrant à d'autres problèmes. C'est tout l'intérêt de
ces regards croisés. Nous avons constaté que si nous avions des intérêts à croiser nos regards, nous avions aussi une
conviction commune tout en venant d'horizons très différents.
Merci beaucoup aux intervenants et à vous tous. Nous nous retrouverons l'année prochaine pour une nouvelle journée
Regards Croisés.
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