Prédication pour le dimanche Invocavit 10 février 2008

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Prédication pour le dimanche Invocavit 10 février 2008
Prédication pour le dimanche Invocavit 10 février 2008 – Geispolsheim et Graffenstaden Thème : la Tentation ‐Texte : Exode 32/1‐6, 15‐20 Jouons à la devinette, si vous le voulez bien. J'adore les mots croisés et je sais que je ne suis pas le seul. Alors la petite devinette sera facile. Nous recherchons un mot de trois lettres qui répond à la définition suivante, un mot d'origine anglaise : un ensemble de pièces non assemblées d'un objet. Si vous avez trouvé, ne le criez pas tout de suite sur les toits, laissez deviner les autres. Allez, je vous donne un deuxième indice. Dans le domaine du bricolage, il s'agit de l'ensemble des pièces constitutives d'un objet manufacturé (par exemple, objet de menuiserie ou de mécanique) fournies de façon groupée avec une notice permettant à l'acquéreur de procéder lui‐même à l'assemblage et à la finition de l'objet. Voilà, je pense que vous avez trouvé. C'était facile, avouez‐le. Ces définitions correspondent bien au mot "kit". Je me suis fait la réflexion que si j'achetais mon ordinateur en kit, je saurai exactement ce qu'il y a à l'intérieur, je saurai le faire fonctionner, le faire tourner, l'améliorer, et changer les pièces qui seraient défectueuses ou qui ne me conviendraient plus. D'une certaine manière, j'au créé mon ordinateur. Et c'est moi qui serais le maître. Et hop ! Alors me direz‐vous, pourquoi cette entrée en matière ? Où veut‐il nous emmener cette fois‐ci ? Écoutez l'histoire qui suit, et vous allez comprendre… Le peuple voit que Moïse met du temps avant de descendre de la montagne. Alors les Israélites se réunissent près d’Aaron et lui disent : "Allez, fabrique–nous un dieu qui marche devant nous. En effet, nous ne savons pas ce qui est arrivé à Moïse, l’homme qui nous a fait sortir d’Égypte." Aaron leur répond : "Prenez les anneaux en or qui sont aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles. Apportez–les moi !" Tous les Israélites enlèvent les anneaux en or qui sont à leurs oreilles et ils les apportent à Aaron. Celui–ci les prend. Il les fait fondre dans un moule et il fabrique une statue de veau. Alors les Israélites disent : "Voici notre Dieu qui nous a fait sortir d’Égypte !" Quand Aaron voit cela, il bâtit un autel devant la statue et il dit : "Demain, nous ferons une fête pour le Seigneur." Le jour suivant, tôt le matin, le peuple offre des sacrifices complets et ils apportent des sacrifices de communion. Les Israélites s’assoient pour manger et pour boire. Puis ils se lèvent pour s’amuser… Je pense que vous avez trouvé le lien entre le texte biblique, qui est un extrait du livre de l'Exode, un épisode connu de la sortie d'Égypte, le lien donc entre ce texte et la définition de l'introduction. Le récit de la Bible raconte l'histoire du peuple qui a décidé de se construire un dieu en kit, un dieu en pièces détachées, un dieu de bric et de broc. La suite du texte est éloquente parce que Moïse va se mettre dans une colère noire, lorsqu'il redescend de sa montagne. Suite du texte donc… Moïse descend de la montagne. Il tient les deux tablettes de pierre, gravées de chaque côté, où les paroles de l’alliance sont écrites. Ces tablettes sont le travail de Dieu. Dieu lui–même a écrit ses commandements sur elles. Josué entend les cris poussés par le peuple. Il dit à Moïse : "Il y a des bruits de guerre dans le camp." Mais Moïse répond : "Non, ce ne sont pas des cris de victoire, ni des cris de défaite. Moi, j’entends des chants de fête." En arrivant près du camp, Moïse voit le veau et le peuple qui danse. Il est rempli de colère. Il jette les tablettes de pierre qu’il tient dans ses mains et il les casse au bas de la montagne. Il prend la statue de veau que les Israélites ont faite et il la jette dans le feu. Puis il la réduit en poudre fine. Il met cette poudre dans de l’eau et il donne l’eau à boire aux Israélites. Première question donc : Pourquoi le peuple a‐t‐il construit le veau d'or ? Imaginons un peu la situation. Moïse entraîne son peuple dans les profondeurs du désert, dans les abîmes de la solitude, dans les abysses de l'angoisse et de la peur. Avec, en tout et pour tout, un peu d'eau à boire et, pendant des années, le même repas, certainement très bon, mais très lassant aussi, la manne céleste. Moïse entraîne son peuple dans le désert pendant des années et des années, avec l'espoir de la Terre promise qui diminue de jour en jour, alors qu'augmente presque mathématiquement la nostalgie du temps de l'Égypte, de ses fastes même en période d'esclavage, nostalgie du temps où le peuple mangeait à sa fin, et vivait dans la sécurité toute relative de l'asservissement. Voilà ce peuple seul dans les rochers brûlants du Sinaï. Moïse s'en est allé discuter avec son Dieu. Et le peuple se sent abandonné. Abandonné par ses chefs, abandonné par son Dieu, un Dieu sur lequel il n'avait aucune prise, aucun pouvoir. Quoi de plus naturel donc que ce peuple se donne de nouveaux repaires, de nouvelles raisons de vivre, de nouvelles espérances, de nouveaux rêves. Il va donc construire un dieu en or, à l'image des dieux rencontrés dans la vieille Égypte, à l'image de ces dieux côtoyés dans les nombreux temples. Et aussitôt dit, aussitôt fait… Deuxième question : qu'y a‐t‐il derrière cette envie de construire son propre dieu ? Ce dieu, ce veau d'or, sera fait de bric et de broc, de tous les bijoux aussi divers, aussi variés, de tous les bijoux que les uns et les autres apporteront. Chacun apporte donc dans le creuset ce qu'il a de plus précieux, ce à quoi il tient le plus. Une manière que dire que ce nouveau dieu est un peu la somme de tout le peuple, et une manière de dire aussi que chacun d'entre eux se retrouve dans ce dieu. Ceci dit, rappelez‐vous l'histoire de l'ordinateur en kit. C'est la même chose pour ce dieu coulé dans l'or. Le peuple en est devenu le créateur, le peuple se l'est façonné à sa manière, comme il le désirait, avec toutes ses projections personnelles, avec toutes ses attentes, mais aussi toutes ses exigences. Et comme pour l'ordinateur, lorsque ce dieu ne fera plus l'affaire, rien de plus simple que de le fondre à nouveau pour lui donner une autre forme, un autre visage. Le veau d'or, c'est dieu en kit… En coulant l'idole, le peuple dit à son Dieu, mais aussi à son chef Moïse, que c'est lui qui reprend la main, qu'il en a assez d'être balloté dans les sables et les pierres du désert et qu'il veut être le maître de sa destinée et de son histoire. Troisième question : dans quel piège, le peuple est‐il tombé ? Le peuple est tombé dans le piège, dans le piège de la tentation, une tentation pareille à celle que Jésus a vécu dans son désert à lui. Le peuple s'est fait avoir… La tentation de la sécurité matérielle. Les Hébreux dans le désert ont besoin d'être rassurés parce que leur foi a faibli, parce que leur confiance s'est ramollie. Besoin d'être sûr de son guide, sûr d'être sur la bonne voie, sûr d'avoir à manger et à boire tous les jours, sûr d'être en de bonnes mains, même si en l'occurrence ce sont des cornes. C'est la tentation des pierres transformées en pain que le diable propose à Jésus, qui met en avant la parole de Dieu, la promesse de Dieu. La tentation de la provocation de Dieu. S'assurer de la présence de l'autre en le mettant à l'épreuve. S'assurer de l'amour de l'autre en le rendant jaloux. Jouer le jeu dangereux de la séduction. Voilà ce que le peuple est en train de faire. Tenter Dieu et le soumettre à l'épreuve. C'est la tentation de la chute vertigineuse du sommet du temple, à laquelle Jésus oppose la foi, la confiance en un Dieu qui n'a besoin d'être mis à l'épreuve pour prouver son amour. Et puis la tentation du pouvoir. Car c'est de pouvoir dont le peuple a besoin. Non pas de pouvoir sur les autres, ce n'est pas encore à l'ordre du jour, mais du pouvoir sur Dieu lui‐même. Pouvoir le faire réagir comme on veut, lui faire faire, ou dire ce que l'on veut. Se mettre à la place de Dieu en inversant les rôles, le Créateur qui devient créature et la créature qui devient créateur. C'est la tentation de l'adoration, à laquelle Jésus répond par le commandement suprême. Il n'y a pas d'autre Dieu. Il n'y a pas d'autre Dieu possible à côté de Dieu. Quatrième question : Qu'est‐ce que cela veut dire pour moi aujourd'hui ? Peut‐être avez‐vous l'impression que cette histoire du veau d'or, cette histoire du dieu en kit ne vous concerne pas ? C'est votre droit. Je dois avouer que, dans tous les milieux que j'ai fréquentés, dans toutes les Églises que j'ai connues, dans toutes les paroisses que je connaisse, la tentation existe. Que cela soit dans les Églises dites libres, ou celles qui sont concordataires, que ce soit chez les luthériens ou chez les réformés, chez les évangéliques ou chez les pentecôtistes, dans le Renouveau ou les autres mouvements du réveil, la tentation est grande de se construire un dieu en kit, un dieu sur mesure, un dieu qui convient aux aspirations des uns, pas forcément aux aspirations des autres. Que ce soit dans les milieux libéraux, ou les milieux traditionnels, les milieux évangéliques ou les milieux charismatiques, la tentation est grande de concevoir un dieu selon sa propre foi, ses propres convictions, ses propres espérances. Que ce soit à Graffenstaden, à Illkirch ou à Ostwald, à Malanville ou à Parakou, la tentation est présente de faire de Dieu un instrument de foi, un instrument de pouvoir, un outil dans la main du paroissien ou des pasteurs. Et même dans notre vie privée, celle que je vis entre les quatre murs de ma maison ou de mon appartement, celle que je ne mets pas au grand jour, celle que je garde bien cachée, même dans notre vie privée, nous ne pouvons pas nous empêcher de créer notre propre dieu, de la façonner à notre image, et de l'adorer à notre propre manière. C'est Voltaire qui écrivait : "Dieu a créé l'Homme à son image et celui‐ci le lui a bien rendu!" Ce dimanche ouvre le temps de Carême, ce temps destiné à nous amener progressivement dans la chambre haute du dernier repas, sur le rocher du Golgotha et dans le jardin de la tombe vide. Ce dimanche m'invite à aller chercher, durant ces quarante jours – tiens quarante – autant que les années dans le désert, autant que les jours dans le désert, ce dimanche m'invite à aller chercher le vrai Dieu. Ou plutôt, ce dimanche m'invite à me laisser rencontrer par le vrai Dieu, celui qui est devenu homme en Christ au point d'en mourir…