Portraits - TV5Monde

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Portraits
Alexeï Marinichev
Informaticien
L'informaticien qui débranche
Alexeï est encore un peu sous le coup du décalage horaire. «
Excusez-moi, dit-il en reprenant un café, mais il me faut à chaque
fois au moins deux semaines pour me remettre quand je reviens en
Russie. » Il est arrivé récemment de Californie où il a passé trois
années, dans la Silicon Valley. Mais cette fois, il n'y retournera pas.
« En décembre 2002, l'entreprise dans laquelle je travaillais a
licencié 80% du personnel. C'est vraiment la crise. J'ai fait partie de
la charrette mais je suis content d'avoir ainsi l'occasion de rentrer à
Saint-Pétersbourg. Si on ne m'y avait pas forcé, je serais sans doute
encore là-bas à engranger des dollars… et à m'ennuyer ! » avoue
t-il.
Après le lycée, le jeune homme entre à la prestigieuse faculté de
mathématiques de l'université de Leningrad, sa ville natale. Il sort
diplômé de l'université de Saint-Pétersbourg… chute de l'URSS
oblige. En 1994, la situation n'est pas facile en Russie. Et lorsqu'on
lui propose de compléter sa formation aux Etats-Unis et en Suède, il
n'hésite pas. En 1999, une nouvelle occasion apparaît : un poste
dans une entreprise spécialisée en téléphonie mobile, basée à
Scotts Valley, en Californie. Il repart. Si elle ne s'avère pas très
enrichissante sur le plan professionnel, l'expérience est
financièrement une bonne affaire. « J'ai été assez déçu par la
manière dont on travaille là bas. Le niveau d'exigence est n'est pas
très élevé », regrette t-il.
De retour à Saint-Pétersbourg dans son appartement familial de l'ïle
Vassilievski, il n'a aucune envie de repartir travailler à l'étranger. Il
envisage même sérieusement de faire l'acquisition d'un logement
avec ses économies. « La situation a changé ici, raconte t-il. Les
Américains travaillent de plus en plus avec des pays comme la
Russie ou l'Inde, où la main d'oeuvre est très qualifiée et reste bon
marché. Mais surtout, les entreprises russes décollent et ont elles
aussi besoin de compétences ». Ira t-il dans la « Silicon Taïga », qui
s'est développée dans la région de Novossibirsk, au coeur de la
Sibérie, ou encore à Moscou, où les opportunités sont les plus
nombreuses ? « Certainement pas. J'aime trop la vie à
Saint-Pétersbourg. Mais je suis bien conscient que la capitale
concentre une grande partie des richesses du pays, et je le regrette
», lance t-il, exprimant une opinion répandue parmi les
Pétersbourgeois. Content d'avoir retrouvé son pays, un pays où l'on
peut apprécier le rythme des saisons, ce qui lui a manqué plus qu'il
ne l'avait imaginé en Californie, cet amateur de musique qui joue
déjà du piano et du bandonéon a aussi une nouvelle ambition : se
mettre à la flûte baroque !
Nina Martinova
Professeur de français et ses élèves
Cours de français à l'Alliance française, pout l'amour de la langue.
Dynamique et enthousiaste, Nina est intarissable lorsqu'il s'agit de
ses élèves. « Chacune est venue avec une motivation particulière,
raconte t-elle, mais toutes ont un point commun : le français a
changé leur vie ! » Après avoir enseigné de longues années la
langue de Molière à la faculté de philologie de l'université de
Leningrad où elle fut elle même élève, Nina est aujourd'hui
professeur à l'Alliance française. Fermée après la Révolution, la
prestigieuse institution a rouvert ses portes en 1991 avec peu de
moyens et beaucoup de bonnes volontés. Les cinquante élèves du
début sont désormais plus de mille, tous âges et tous niveaux
confondus, à suivre les cours de français général ou spécialisé,
comme la langue des affaires ou du tourisme.
« Nous avons en quelque sorte le monopole de l'apprentissage du
français, dit fièrement le professeur. Et de nombreux outils à notre
disposition : l'Alliance bénéficie de l'excellente médiathèque de
l'Institut français où les élèves peuvent emprunter livres et cassettes,
un service que ne proposent ni le British Council ni le Goethe
Institut. » Elle se souvient en riant de l'époque où étudiante, elle
n'avait à sa disposition que L'Humanité, la littérature communiste, et
les grands classiques. Les temps ont bien changé, et les goûts des
élèves aussi. A l'école, ils apprennent l'anglais en priorité, puis
l'allemand. Le français n'arrive qu'en troisième position. « C'est
dommage, regrette t-elle. Mais vous les Français, vous hésitez trop.
Vous êtes des investisseurs timorés sur le marché russe. » Cela
n'empêche pas un certain nombre de Russes d'avoir envie
d'apprendre notre langue.
Les élèves de Nina, en grande majorité des femmes, sont motivées
et douées. « C'est grâce à notre professeur ! » répondent-elles d'une
seule voix. Il y a par exemple Génia, une physicienne qui a
commencé à étudier le français voilà cinq ans. Aujourd'hui, elle
travaille dans une agence immobilière pour gagner sa vie –crise de
la science oblige- mais elle est aussi devenue traductrice. Et pas
des moindres, puisqu'elle contribue à faire connaître des auteurs
comme Paul Valéry ou Jean Cocteau au public russe ! Irina, sa
voisine, est diplômée de l'institut de pharmacologie. Elle a décidé
d'apprendre le français pour pouvoir aider son fils lorsqu'il serait à
l'école. Coup de foudre pour la langue et la culture : aujourd'hui, elle
s'apprête à travailler dans le tourisme et à faire découvrir sa ville aux
visiteurs francophones. Non loin, voici Natacha, toute jeune chef de
choeur. Hébergée dans une famille lors d'un voyage en France, elle
se sent frustrée de ne pouvoir communiquer qu'en anglais… et
décide d'apprendre cette langue qu'elle trouve si mélodieuse. Le
hasard fait bien les choses : au cours d'un deuxième séjour dans
l'Hexagone, on lui propose d'être chef de choeur à Metz pour une
durée de 6 mois. Coup double : elle se perfectionne dans sa matière
et revient à Saint-Pétersbourg parfaitement bilingue.
Pour elles comme pour les autres, les cours de Nina sont un
rendez-vous qu'elles ne manqueraient pour rien au monde. Il faut
dire que leur professeur sait entretenir la flamme et éviter la
monotonie : ensembles, elles ont organisé un voyage à Paris,
assistent régulièrement à des conférences et effectuent des visites à
travers les si riches collections de peinture française de l'Ermitage ;
leur guide est bien souvent Maria Ozérova, une ancienne élève de
Nina ! Le mot de la fin revient au professeur : « Ici, c'est un peu
comme une deuxième famille pour nous toutes ». Personne ne la
contredira.
Alexeï Juravlev
Architecte
Du neuf avec du vieux.
Enfant doué pour le dessin, Alexeï Juravlev s'est toujours imaginé
exerçant une profession artistique. Les circonstances le conduisent
à étudier le génie civil ; il en développe un vrai goût pour la
construction… C'est décidé : il sera architecte ! Frais émoulu de
l'institut d'architecture de Leningrad, il se voit confier en 1988 le
poste d'architecte principal de Schlüsselbourg. Cette petite ville sur
la rive sud du lac Ladoga est surtout connue pour sa forteresse,
ancienne prison tsariste, située sur un îlot à quelques centaines de
mètres du rivage. Alexeï y préside à d'importants travaux de
restauration.
Dans l'effervescence qui suit la disparition de l'URSS en 1991, il se
lance et ouvre son propre bureau d'architectes. Ils sont aujourd'hui
huit à travailler avec lui à différents projets. « L'exercice de notre
profession dans cette ville est loin d'être simple… », dit-il. C'est un
euphémisme ! Pierre le Grand, fondateur de la cité, a
scrupuleusement veillé au moindre détail ; tout a été pensé, calculé,
fixé par décret : la taille et l'alignement des édifices, la hauteur des
fenêtres… Le coeur historique a été miraculeusement préservé au
cours des siècles, ce qui donne à Saint-Pétersbourg une unité
architecturale exceptionnelle… et pas mal de fil à retordre à tous
ceux qui travaillent sur son aspect physique, comme les architectes.
Dans le centre-ville, les nouvelles constructions sont rares ; le travail
consiste surtout à restaurer les bâtiments qui ont souffert des
outrages du temps, parfois à les réaménager mais en conservant
fidèlement leur façade. Il existe cependant quelques espaces libres,
laissés vides, par exemple, par la destruction d'un immeuble que la
municipalité n'a pas eu le temps de reconstruire.
Notre architecte arpente souvent la ville à leur recherche. C'est le
point de départ de tout nouveau projet. « Une fois que j'ai repéré un
espace, je conçois un projet, raconte t-il. Je cherche ensuite des
investisseurs qui pourraient être intéressés. Quand je les ai trouvé,
je m'occupe de faire passer le dossier devant le Comité pour la
construction de la ville et le Comité pour la protection des
monuments qui doivent donner leur aval. » Des procédures
contraignantes et souvent longues. La plupart de ces nouveaux
bâtiments s'inscrivent dans un cadre particulier qu'il faut respecter.
Pas question de laisser libre cours à une fantaisie débridée… Dans
ces conditions, le travail est parfois frustrant. Alexeï a encore peu de
clients qui lui donnent carte blanche.
Il a récemment construit, dans les environs de Saint-Pétersbourg,
une maison pour un particulier. « Il voulait quelque chose d'imposant
», commente t-il en montrant la maquette d'une résidence
patricienne. Son « trop plein » de créativité, il le met au service d'un
hobby : la construction de meubles et d'objets étonnants constitués
d'un minutieux assemblage de pièces de bois de différentes
essences. C'est ainsi qu'il occupe son temps libre, sous le regard
placide de ses deux chats.
Aztec
Groupe rock
Tous les chemins mènent au rock.
Andreï et Oleg ont tous deux 25 ans. Ils se sont connus il y a
quelques années sur les bancs de l'école de relations internationales
de l'université de Saint-Pétersbourg. Une passion les rapproche :
celle de la musique qu'ils pratiquent chacun de leur côté. Le premier,
autodidacte, a appris seul à jouer de la guitare. Le second a suivi
des cours de guitare classique dans l'une des nombreuses écoles
de musique de cette ville où il a grandi. « Mais j'ai arrêté assez
rapidement. Après le renvoi de mon professeur, en fait », raconte t-il.
Remercié pour avoir initié ses élèves au rock, l'enseignant a tout de
même eu le temps d'en influencer certains…
En 1998, les deux amis commencent à jouer ensemble, puis à écrire
des chansons. Leur premier concert a lieu l'année suivante. « La
presse locale a tout de suite parlé de nous » s'étonnent-ils encore.
Aujourd'hui, ils sont trois : Andreï, voix et guitare, Oleg, voix et
basse, et le tout jeune Ian, batteur… qui s'apprête à entrer à l'école
hôtelière. Sous la houlette de leur manager Macha (22 ans), ils se
retrouvent le plus souvent possible à Gorelovo, un petit village au
sud-ouest de Saint-Pétersbourg, dans la maison des parents d'Oleg
où ils ont aménagé un studio de répétition. Leur style ? Un mélange
avant-gardiste de funk et de rock, évoluant vers le « métal ». Leurs
influences ? Red Hot Chili Peppers, Led Zeppelin, Jamiroquai, King
Crimson mais aussi Nirvana. Le succès est vite au rendez-vous.
Aztec s'est déjà produit dans plusieurs boites pétersbourgeoises à la
mode, comme Moloko ou Front, mais surtout le groupe fait partie
des 15 formations sélectionnées (sur 1500 candidats) par le Comité
d'organisation du festival musical qui se déroulera en mai prochain,
à l'occasion du 300e anniversaire de la ville.
Les amis gardent cependant la tête froide. « Il est difficile
d'enregistrer un album en Russie, déplorent-ils. La location d'un
studio revient à 40 $ par heure, ce qui est assez cher, mais surtout,
nous avons des problèmes « techniques » : ici, les ingénieurs du
son ne sont ni inventifs, ni bien équipés… ». Pour l'heure, ils
peaufinent inlassablement leurs nouveaux arrangements. Oleg, lui,
est encore plus occupé. Depuis septembre 2002, il travaille avec
Macha sur leur site internet « Radio zéro » www.radio0.ru
, qui s'est donné pour mission de faire connaître les groupes russes
indépendants. On y trouve des nouvelles du milieu musical
underground, un calendrier des manifestations, des morceaux à
écouter. « Une bonne manière pour nous de rester en contact avec
ce qui se fait » commente Oleg. Nul doute que le groupe Aztec fera
encore parler de lui. Mais au fait, pourquoi ce nom ? « Nous
n'arrivions pas à nous décider, raconte Andreï. Alors pour finir, j'ai
proposé « Aztec », le nom d'un parfum que j'aime bien… Et tout le
monde est tombé d'accord ! »
Tatiana Sidorova
Chanteuse populaire
Une femme « bardée » de talent.
Tatiana Sidorova est une femme occupée. Cette jolie blonde mène
en parallèle une triple carrière d'actrice, de réalisatrice-metteur en
scène et de chanteuse. Pour l'heure, c'est surtout cette dernière
facette de ses talents qui est à l'honneur. La promotion du groupe «
Entracte » qu'elle a contribué à fonder en mars 2003 occupe une
grande partie de son temps. Avec ses quatre compagnons, elle se
produit fréquemment dans différentes villes de Russie, et bien sûr,
chez elle, à Saint-Pétersbourg ; au cabaret « Le chien errant », par
exemple.
Lectures de poésies et spectacles de chansonniers s'y succèdent
presque chaque soir pour le bonheur d'un public connaisseur où
sont mélangées toutes les générations. « Entracte » s'inscrit dans la
lignée des « bardes », ces artistes qui mettent en musique des
poèmes, qui chantent souvent sur un mode satyrique leurs joies et
leurs peines, toujours en s'accompagnant d'une guitare. Les maîtres
du genre sont Vladimir Vyssotski, Boulat Oukoudjava, Alexandre
Galitch ou encore Tatiana et Sergueï Nikitine. La relève est assurée
par des artistes comme Iouri Koukine, Mikhaïl Chtcherbakov, Anna
Tchaïka, Victor Popov…
Bientôt, Tatiana et ses amis animeront d'ailleurs « Le petit Entracte
», une école artistique pour enfants financée par un groupe
d'hommes d'affaires russes. Les élèves, qui y viendront après leurs
cours, apprendront la musique, la poésie, le jeu d'acteur… « Cette
tradition se transmet de génération en génération, explique t-elle.
Voyez notre public : les grands-mères viennent en compagnie de
leurs petits-enfants. D'ailleurs, les bardes constituent bien plus
qu'une tradition : ils sont une part de l'âme russe. » Et lorsqu'on lui
demande si elle ne redoute pas que l'omniprésente musique venue
d'outre-atlantique et ses succédanés russes contemporains
n'envahissent les oreilles de la jeunesse, elle répond avec un sourire
confiant : « Pouchkine, lui, sera toujours là ; Ricky Martin, on
l'oubliera ».
Kim Bourkov
Chercheur en chimie
Recherche chercheurs.
Le professeur Bourkov habite seulement à deux stations de métro
de la perspective Nevski. Pourtant, en arrivant dans son quartier, on
pénètre dans un univers de grands ensembles, très éloigné de celui
des palais baroques du centre-ville. Sa tour de 11 étages, qui
ressemble comme deux gouttes d'eau à ses voisines, est plantée en
bordure du golfe de Finlande, à l'extrémité occidentale de l'île
Vassilievski, dans un paysage presque exotique.
Né en 1933, Kim a passé son enfance à Arkhanguelsk, le grand port
russe sur la mer Blanche, au nord du pays. Son prénom, acronyme
de « Jeunesses Communistes Internationales », évoque une époque
désormais révolue. Il est arrivé à Leningrad en 1951 pour poursuivre
ses études à la faculté de chimie, dont il dirige aujourd'hui le
laboratoire de chimie des solutions, au sein du département de
chimie inorganique. L'université est en contact avec une trentaine
d'établissements d'enseignement supérieur à travers le monde. Kim
se souvient avec émotion de son premier voyage à l'étranger. C'était
en 1963, à Stockholm où travaillait un des grands maîtres de sa
discipline. Depuis, il eu l'occasion de se rendre dans de nombreux
pays : les « pays frères », bien sûr, comme Cuba ou l'Allemagne de
l'Est, mais aussi le Japon, l'Espagne…
Jamais pourtant il n'a eu la tentation de ne pas rentrer en Russie. Si
la chute de l'URSS a ouvert de nouvelles perspectives pour de
nombreux Russes, elle n'a pas été une bonne affaire pour les
scientifiques. Manque de crédits, matériel obsolète :les temps sont
durs, c'est indéniable. Les étudiants ne se pressent plus aux portes
du prestigieux institut comme par le passé. Il faut dire que les
bourses et les salaires sont peu attractifs : les doctorants ont droit à
600 roubles (18 euros) par mois… Pour eux, le professeur fait le
maximum, trouve des « jobs » dans le cadre d'échanges avec des
universités étrangères où les salaires sont décents. Bref, ici comme
ailleurs, on se débrouille avec les moyens du bord. Mais Kim a
confiance ; ce bon vivant, passionné de badminton, est un
incorrigible optimiste… contrairement à Ludmilla, son épouse, elle
aussi chimiste, qui se montre de manière générale plus sceptique.
Et notamment en ce qui concerne la manière dont le tricentenaire de
la ville est préparé. Elle exprime une opinion répandue parmi les
Pétersbourgeois : poudre aux yeux, réparations de façade, argent
jeté par les fenêtres alors qu'il y a tant à faire… Lui estime que ce
qui sera fait ne sera plus à faire et que même si les réparations sont
infimes, elles contribueront toujours à embellir la cité…Mais ils sont
d'accord sur un point : leur ville sera bientôt sous les feux des
projecteurs, et c'est bien ce qu'elle mérite.
Ludmilla Ivanova
Restauratrice
Business et bonnes oeuvres
Blonde, la soixantaine épanouie, Ludmilla est une vraie femme
d'affaires. Elle est née en Chine, d'une mère polonaise, descendante
en ligne directe du grand poète Adam Mickiewicz, et d'un père
russe, a grandi à Tallinn (Estonie), s'est mariée à
Saint-Pétersbourg… La cité de Pierre le Grand l'a toujours fait rêver
et a répondu au-delà de toutes ses attentes à ce qu'elle avait
imaginé. « Aujourd'hui encore, dit-elle, j'ai les larmes aux yeux
lorsque je regarde la Neva depuis le palais d'Hiver. Les façades, les
ponts et les canaux, tout cela suscite en moi toujours la même
émotion… ».
De son travail à l'Intourist de Leningrad (l'agence chargée de la
gestion des affaires touristiques à l'époque soviétique), Ludmilla a
gardé une connaissance parfaite de la ville et un sens indéniable
des contacts. A l'époque, elle accueillait dans la deuxième ville
d'URSS des groupes de femmes des pays frères venues rencontrer
leurs homologues du « Comité des femmes soviétiques contre la
guerre » et découvrir les trésors de Leningrad. C'est son esprit
critique et son sens de la convivialité qui ont décidé de sa carrière
actuelle. Un jour, peu avant la chute de l'Union soviétique, elle
s'installa dans un café pour prendre un verre et fut tellement
choquée par le mauvais accueil qu'on lui fit qu'elle se jura d'ouvrir un
jour un lieu où les gens se sentiraient comme chez eux… Elle a
aujourd'hui relevé son défi.
Créé en 1990, son restaurant « Soudarinia » fut l'un des premiers
établissements privés de la ville. Ce lieu chaleureux, dont les murs
sont ornés de reproductions d'oeuvres du grand peintre russe
Mikhaïl Vroubel (1856-1910), et de tableaux d'amis, n'ouvre ses
portes que sur réservation : soirées privées de sociétés ou de
consulats, repas pour les groupes de touristes, « Soudarinia » s'est
taillé une belle réputation grâce au bouche à oreille… et à la
délicieuse cuisine authentique que l'on peut y déguster, souvent
dans une ambiance musicale traditionnelle, balalaïkas et jupons
tsiganes compris ! Business women accomplie, Ludmilla est aussi
une vraie philanthrope. Trois fois par mois, elle ouvre les portes du
restaurant à ses « protégés » : retraités sans le sou (leur pension
s'élève à une vingtaine de dollars…), orphelins, enfants malades,
tous viennent à ses frais passer une bonne soirée, se régaler, se
retrouver, chanter, en un mot, échapper à un quotidien pas très
rose. Pour elle, il est primordial de maintenir les liens entre les
citadins, trop isolés dans la « grande ville ». « Le plus important,
c'est de pouvoir s'entraider, et d'apporter quelque chose aux autres,
n'est-ce pas ? ».
Maria Ozérova
Conférencière à l'Ermitage
L'Ermitage pour deuxième foyer
Maria Ozérova évolue à l'Ermitage comme un poisson dans l'eau.
Cette jeune femme élégante et distinguée travaille depuis bientôt 14
ans dans le grand musée, un lieu qui pour beaucoup justifie à lui
seul le voyage à Saint-Pétersbourg. Les dédales de couloirs et les
milliers d'oeuvres exposées, qu'il s'agisse des antiquités scythes ou
des impressionnistes français, n'ont pas secret pour elle.
Cette linguiste de formation, auteur d'une thèse portant sur l'oeuvre
de Racine, s'exprime dans un français soigné, qui révèle sa grande
érudition et tout son amour pour la culture du pays qui est devenu
pour elle comme une seconde patrie. Maria est l'un des 85
guides-conférenciers qui font partie des quelques 2000 personnes
employées par l'Ermitage, toutes catégories confondues. A ce poste
envié, n'est pas admis qui veut. Il lui a fallu passer un concours pour
entrer à l'école du musée, puis à l'issue d'une année de formation,
une deuxième épreuve pour intégrer le corps des guides. Et pas
question de dormir sur ses lauriers !
Si elle avoue avoir une nette préférence pour la peinture française,
notre conférencière doit préparer chaque année deux nouveaux
thèmes. Actuellement, elle planche sur l'histoire du portrait dans l'art
occidental, rien de moins ! Erudite mais pas blasée, Maria est
encore sous le coup d'un événement qui a mis récemment le musée
en émoi : les conservateurs ont extrait des réserves – elles abritent
les 4/5e des quelques 3 millions de pièces que possèdent l'Ermitage
- un Greco jusqu'alors inconnu de tous, ou presque. « Ce Saint
Bernard fait partie des oeuvres rapportées d'Allemagne par l'Armée
rouge à la fin de la Seconde Guerre mondiale, explique t-elle. Pour
des raisons politiques, elles n'ont pas été montrées plus tôt. » Dans
un autre genre, La place de la Concorde, de Degas, Baigneurs en
plein air, de Cézanne ou encore La maison blanche de nuit, de Van
Gogh, des oeuvres que l'on croyait à jamais disparues, ou que l'on
ne connaissait qu'à travers des catalogues antérieurs à 1939, ont
resurgi lors d'une exposition-événement organisée en 1995. Pour le
plus grand bonheur de Maria qui parcourt avec un plaisir sans cesse
renouvelé les salles qui recèlent les toiles de Poussin, Le Nain,
Watteau, Ingres, Delacroix, Sisley, Boudin, Monnet, Cézanne, Van
Gogh et les autres, tous ces peintres français dont les oeuvres
forment la plus grande collection de peinture française hors de
France.
Pour l'heure, elle prépare comme tout le monde le tricentenaire de la
ville, pour lequel on attend à l'Ermitage encore plus de visiteurs que
d'habitude, mais aussi son prochain voyage en France. Insatiable «
dévoreuse d'art », Maria ne manque pas de passer au Louvre au
moins une fois par an !
Alexandre Menchikov
Développeur multimédia
Le rêve à portée de clic
Les avions ont toujours fait rêver Sacha… A tel point que le jeune
homme s'est engagé dans l'armée pour devenir pilote. « J'ai craqué
au bout de deux ans, raconte t-il. La discipline, les horaires… ce
n'était vraiment pas pour moi ! » Aujourd'hui, il a radicalement
changé d'orientation professionnelle : il est
programmeur-développeur mutimédia, et travaille chez lui, à son
rythme, ce qui lui convient parfaitement.
Diplômé de l'université de télécommunications d'Odessa, il a
commencé sa carrière en travaillant pour des chaînes de télévisions
locales comme preneur de son et assistant réalisateur. De son
enfance en Ukraine, il a gardé le goût du soleil et de la mer. « J'ai
souffert du climat en arrivant à Saint-Pétersbourg, se souvient-il.
Bien sûr, il y a la mer… mais elle est si souvent gelée ! ». En 1994,
le voilà donc dans la Venise du Nord. L'époque n'est pas facile mais
la période est propice au développement du secteur multimédia. «
Beaucoup d'ingénieurs se sont retrouvés sans travail après 1991,
explique t-il. Ils se sont tout naturellement tournés vers ce genre
d'activité. » Il faut dire que la ville, réputée pour la qualité de son
enseignement scientifique, est aussi célèbre pour son savoir-faire en
matière de réalisation audio-visuelle : c'est ici que se trouvent les
fameux studios cinématographiques Lenfilm, les plus anciens du
pays.
Sacha se lance dans l'aventure : d'abord, au sein d'une petite
société locale, Baltic Company, aujourd'hui pour une entreprise
basée à Moscou, ABC Line, et toujours un peu pour lui, en free
lance. Car en Russie, tout les cas de figure sont possibles. « Je
travaille beaucoup avec internet. C'est d'ailleurs comme ça que j'ai
trouvé mon dernier emploi », dit-il. Beaucoup de compagnies russes
mais aussi étrangères nouent des relations professionnelles avec
Saint-Pétersbourg. « Dans ce pays, réaliser un site internet coûte à
peu près deux fois moins cher que n'importe où ailleurs en Europe,
et le faire dans cette ville, encore deux fois moins cher qu'à Moscou
, résume Sacha. Nous ne sommes pas prêts de manquer de travail.
Il faut savoir trouver les clients, faire des propositions intéressantes.
Avoir des idées, quoi ! » Un peu la loi du Far Est, en somme.
Des idées, Sacha n'en manque pas. A ses moments perdus, il
développe des jeux interactifs, qu'il proposerait volontiers à des
développeurs étrangers. Il a déjà à son actif plusieurs sites et
Cdroms, réalisés pour des clients aussi différents que le prestigieux
hôtel Astoria ou la ville de Kazan, capitale de la république du
Tatarstan. N'a t-il jamais eu la tentation de partir travailler à
l'étranger, comme tant d'autres ? « Pas vraiment, répond-il. En tout
cas, pas aux Etats-Unis : leur café est trop mauvais ! » Plus
sérieusement, il avoue avoir traversé des périodes difficiles,
notamment après la crise financière de 1998. « Dans ces
moments-là, on fait le dos rond et on attend que l'orage passe. J'ai
de la chance : nous formons une famille unie, nous nous serrons les
coudes » confie t-il. Il peut aussi compter sur le salaire de sa femme
Natacha qui travaille pour une entreprise britannique installée à
Saint-Pétersbourg et gagne plutôt bien sa vie. « Je gagne entre 300
et 1200 $ par mois, selon les périodes. J'ai réussi à acheter un
appartement, une maison à la campagne, une voiture. C'est
maintenant ou jamais que ça se passe en Russie ; il y a tellement
d'opportunités aujourd'hui. Franchement, qu'est-ce que j'irai faire
ailleurs ? » demande t-il en montrant une photo où on le voit
naviguer en famille sur le lac Ladoga. Franchement, on se le
demande aussi.
Viatcheslav Pobojenski
Peintre
L'artiste inspiré
Slava, comme l'appelle ses amis, habite un très bel immeuble Art
nouveau sur l'île Vassilievski. Lorsqu'il a acheté son immense
appartement il y a six ans, le lieu était occupé par six familles. «
Nous avons fait beaucoup de travaux », raconte sa femme Léra,
autrefois médecin. Les moulures et les planchers ont été restaurés,
les cheminées et les poêles remis en état de marche. Très
confortable, l'ensemble exhale un parfum de réussite.
Né en 1943, Slava a eu un parcours sinueux. Après avoir étudié les
mathématiques, il décide de devenir architecte. Depuis toujours, il
aime dessiner et peindre. Collectionneur d'icônes anciennes, il
apprend la technique traditionnelle du tempera, un procédé de
peinture à la détrempe qui emploie le jaune d'oeuf pour lier les
pigments, et commence à remettre en état les oeuvres qu'il
possède. Le bouche à oreille fait son travail : on lui apporte des
icônes à rénover, on lui propose de restaurer des fresques dans des
églises. Des icônes à la peinture, il n'y a qu'un pas qu'il franchit avec
d'autant plus d'aisance que l'architecture assure sa subsistance. «
J'ai toujours peint ce que j'ai voulu, dit-il avec une pointe de fierté.
Tant pis si je n'étais pas exposé. Cela ne m'a pas empêché de me
faire connaître. » Très éclectique dans le choix de ses sujets, il est
particulièrement inspirés par la Bible et la mythologie. Mais il ne
s'interdit pas de peindre aussi des natures mortes, des paysages,
des nus… « Mais pour moi, il y a vraiment des thèmes éternels : la
beauté des femmes, ou encore saint Georges et saint Michel,
symboles de la joie et du triomphe… Je ne me lasserai jamais de les
représenter » avoue t-il. Nombre de ses toiles lui ont d'ailleurs été
inspirées par son épouse, et quelques unes de ses blondes amies,
comme Ludmilla, aujourd'hui présentatrice d'une émission de
télévision populaire, qui a également été son agent à l'étranger.
Question technique, il est tout aussi versatile, même s'il peut se
vanter d'avoir mis au point un procédé particulier d'émail à froid.
Quant à son style… Il faudrait plutôt évoquer sa variété. Le Bénézit,
« dictionnaire critique et documentaire de tous les temps et de tous
les pays des peintres, graveurs, dessinateurs et sculpteurs », bref,
une vraie bible, le qualifie de « baroque abstrait » ; d'autres parlent
de « réalisme transcendantal »… Une chose est sure : cet artiste,
qui se dit influencé par Giotto et Roublev, Vastnetsov et Dali, a su
trouver son public. Slava a beaucoup exposé à l'étranger,
notamment en Allemagne, en Suède, en Angleterre et en Pologne ;
pour le 2000e anniversaire du Christ, la ville de Cracovie lui a ainsi
passé commande d'une série de toiles exposées à l'occasion de la
visite du pape. Ses oeuvres figurent dans de nombreuses collections
privées, celles de la ballerine Maïa Plissetskaïa ou du violoncelliste
Mstislav Rostropovich, par exemple. Pour l'heure, il vient d'achever
une série d'illustrations pour un ouvrage sur la vie des saints. Son
prochain défi : la sculpture !

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