Le grand bluff américain sur « la Bicyclette bleue

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Le grand bluff américain sur « la Bicyclette bleue
Le grand bluff américain sur « la Bicyclette bleue
MOrgaret...M#heit con
Les héritiers d'« Autant
en emporte le vent)'
empocheront-ils les
royalties d'un
best-sellerfrançais né
d'un pari impossible ?
u commencement, il n'y avait que
du papier. Ensuite, sur la feuille
blanche, la main a écrit : « La
Bicyclette bleue ». Ce n'était pas
grand-chose. Un titre, à la rigueur. Seulement un vélo et une
couleur. Sans doute, à cet instant, Régine
Deforges a regardé dehors le temps qu'il faisait,
la lumière qui passait. Elle s'est demandé si,
dans le fond, il était souhaitable de donner
suite. Si, après tout, il. n'était pas plus raisonnable d'en rester là. Et puis, parce qu'il le fallait
bien et que c'était convenu, elle s'est mise au
travail : « Le premier levé, Pierre Delmas,
prenait un mauvais café, tenu au chaud par la
servante sur un coin de l'antique cuisinière. »
En cet hiver de l'année 1980, c'est ainsi que
sont écrites les premières lignes d'un livre à
grand succès.
Six ans plus tard, « la Bicyclette bleue »
'continue de tenir la route. Elle a même fait le
tour de la Terre. Jamais un deux-roues n'était
allé aussi loin. Trois millions d'exemplaires
vendus, rien que pour la version en langue
française. Et maintenant les Américains qui, à
leur tour, viennent d'acheter les droits.
Nous sommes au mois de juin dernier, dans
l'Etat du New Jersey, et l'éditeur Lyle Stuart
est un homme satisfait. C'est lui qui a enlevé
l'affaire. Cela ne s'est pas fait sans mal. Sur son
bureau, il a un exemplaire de « The Blue Bicycle » qui sera en vente dans quelques jours dans
toutes les librairies de New York. Des publicités dans la presse annoncent déjà l'événement. Stuart veut matraquer. Premier tirage :
100 000 exemplaires. Un soir, le téléphone
sonne. Lyle décroche. Au bout du fil il entend
une voix lointaine. Une voix qui vient de l'autre côté des Etats-Unis. Le type qui parle dit
qu'il s'appelle Concoss, Gary Concoss, et qu'il
est avocat. Il ajoute : «Je représente les ayants
droit de Margaret Mitchell. Ils estiment que
"la Bicyclette bleue" est un plagiat d'Autant
en emporte le vent" et réclament des royalties.
Je vous conseille de payer. » Stuart ne se démonte pas répond : « Pas question, je ne donnerai pas un sou. » « O.K., dit Concoss, Je
transmets, mais réfléchissez. »
A
60 LE NOUVEL OBSERVATEUR [LIVRES
RégineDeforges
Aujourd'hui, la situation n'a guère évolué.
On navigue toujours à mi-chemin entre l'arrangement et le procès. La « Bicyclette », elle,
n'a jamais été aussi bleue. Un bleu merveilleusement scandaleux. Décidément, ce vélo est
increvable. Il faut pourtant le mettre à plat
pour comprendre l'affaire du plagiat.
Début 1980. Jean-Pierre Ramsay contacte
Régine Deforges et lui fait cette proposition
« Ecoute, j'ai une idée. -Poirot-Delpech vient
de finir son remake de "la Dame aux camélias".
Pourquoi n'essaierais-tu pas de refaire "Autant en emporte le vent"? » Régine Deforges
se souvient parfaitement de l'évolution de ses
sentiments de l'époque : «J'ai d'abord trouvé
ça franchement ridicule. Puis J'ai réfléchi.
Finalement j'ai accepté ce jeu littéraire comme
un pari. Au bout de cent pages j'ai téléphoné à
Jean-Pierre pour lui dire que je ne pouvais pas
aller plus loin, que les personnages de Margaret Mitchell ne collaient plus à mon histoire. fi
m'a dit: "Continue ça ne fait rien." A partir de
ce moment-là, pour moi le gag était fini. Au
bout de cent pages je commençais vraiment
"mon" livre. Je ne savais pas encore que j'étais
partie pour mille feuillets, trois tomes, trois ans
de travail, d'enquête et de documentation sur la
période 39-45. Je suis étonnée que les Américains réagissent ainsi aujourd'hui. Il est évident que le premier tiers de "la Bicyclette"
relève du jeu littéraire. Il est truffé de références. A Margaret Mitchell, bien sûr, mais aussi à
Maurice Sachs. Un clin d'oeil à Céline, avec le
bombardement d'Orléans inspiré de "Guignol's Band". Un autre, à Marcel Aymé, etc. Je
vous assure que je méprise profondément le
plagiat. Mais il me semble dans cette affaire que
nous avions annoncé la couleur. Peut-être
l'éditeur aurait-il dû s'entourer de davantage
de précautions. Pour moi cet "incident" vient
du succès du livre. Cinq ans après sa sortie il
s'en vend encore de 5 000 à 6 000 par mois.
Quand je pense qu'au départ Ramsay ne voulait même pas tirer à 20 000 ! C'est son service
de fabrication qui l'a convaincu. »
Paul Fournel, successeur de Jean-Pierre
Ramsay à la tête des éditions du même nom,
avoue à ce jour avoir vendu plus de 3 millions
d'exemplaires dans quinze pays et négocié les
droits d'adaptation cinématographique avec
Gaumont International. Mais ce dernier marché est en attente du règlement définitif du
contentieux américain. Au départ, le scénario
était confié à Danielle Thomson, fille de Gérard Oury, et Claude Pinoteau devait tourner
deux films, plus une série de télévision. « Un
très, très gros projet, explique Alain Poiré,
responsable de Gaumont International. Pour
l'instant, rien n'est changé. Simplement nous
attendons, en suivant de très près ce qui se passe
aux Etats-Unis. Et l'issue n'est pas évidente. »
Contacté par Philippe Romon, notre envoyé spécial permanent à New York, l'avocat
Gary Concoss a déclaré : « La situation est au
point mort. MacMillan, l'éditeur d' "Autant
en emporte le vent", a d'abord décidé d'attaquer Lyle Stuart qui a acheté les droits de "la
Bicyclette", puis s'est retiré au profit des
ayants droit de Margaret Mitchell que je représente. Désormais je négocie avec Stuart. » En
fait le face-à-face MacMillan -Stuart dont nous

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