« Partir à tout prix ?» La résistance du désir de vacances des

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« Partir à tout prix ?» La résistance du désir de vacances des
Gilles CAIRE
Université de Poitiers – CRIEF EA 2249
« Partir à tout prix ?»
La résistance du désir de vacances des Français face à la crise
Depuis 2008 et le déclenchement de la crise mondialisée des subprimes, les Français font face à des
difficultés croissantes de pouvoir d'achat et à une détérioration prolongée de la situation de l’emploi.
Fin 2013, le niveau de vie moyen reste inférieur de 1,5% à ce qu’il était en 2007 (données INSEE),
recul inédit en France depuis 1945. Et lorsque l’on raisonne en termes de pouvoir d’achat arbitrable,
indicateur qui permet de connaître ce qui reste une fois les factures récurrentes incompressibles
réglées (loyer, énergie, assurance, forfaits bancaire et de communication…)1, le recul sur la même
période atteint 3,3%. Au-delà de ces évolutions moyennes, les inégalités se creusent : entre 2008 et
2012, les 10% des Français au niveau de vie le plus faible ont perdu annuellement 300€ de pouvoir
d’achat alors que les 10% les plus riches gagnaient, eux, 500€.
Conjointement, le taux de chômage a augmenté de 7% début 2008 à 10,5% fin 2014, et le nombre de
demandeurs d’emploi, toutes catégories confondues (A à E), a littéralement explosé, passant de 3,7
millions début 2008 à 6,2 millions fin 2014, soit +68% en 6 ans (données DARES). Les embauches en
contrats temporaires (CDD et missions d’intérim), pour des durées de plus en plus courtes,
continuent d’augmenter : la part des CDD de moins d’un mois dans le total des embauches a
progressé de 32 à 39% entre 2007 et 2012 et la durée moyenne des missions d’intérim a diminué de
2 semaines à 1,7 semaine. Cet accroissement de l’ultraprécarité de l’emploi place les personnes
concernées dans une situation d’incertitude totale sur leurs ressources futures, y compris sur le mois
en cours.
En tant que bien économiquement supérieur, c’est-à-dire particulièrement sensible, à la hausse et à
la baisse, aux évolutions des ressources des ménages, et qu’activité nécessitant un niveau minimal de
planification temporelle, le tourisme devrait être particulièrement affecté par ce double contexte
économique et de l’emploi plus que morose. Or les indicateurs clés des pratiques touristiques des
Français s’avèrent résister plutôt étonnement bien. Le désir de vacances et de voyages semble intact,
nécessitant pourtant des efforts budgétaires considérables pour maintenir coûte que coûte la
possibilité de partir.
Dans le texte qui suit, nous nous proposons de quantifier et de mettre en perspective ce constat sur
la période 2007-2013 autour de trois dimensions : les taux de départ, le nombre de séjours et de
nuitées, les dépenses touristiques. Le raisonnement économique sera en conclusion rapproché
d’enquêtes portant sur la valeur sociale et les motivations des vacances pour les Français.
1
Les définitions de l’ensemble des concepts et indicateurs utilisés dans cet article figurent dans l’encadré page
2.
1
Encadré sur les indicateurs utilisés
Revenu disponible brut (RDB) : revenu à la disposition des ménages pour consommer et épargner. Il
comprend l'ensemble des revenus d'activité, des revenus du patrimoine et les prestations sociales,
auxquels sont soustraits les impôts directs et les cotisations sociales.
Pouvoir d’achat : pour le calculer, on rapporte l'évolution du revenu disponible brut à celle de
l’indice général des prix à la consommation.
Pouvoir d’achat arbitrable : c’est le pouvoir d’achat restant une fois que l’on a déduit les dépenses
dites « pré-engagées », prenant la forme d'un contrat ou d'un abonnement difficilement
renégociable à court terme (loyer, chauffage, services financiers, assurances, téléphonie, internet...).
Vacances : séjour pour motif personnel (non professionnel) d’au moins 4 nuitées consécutives hors
de son domicile.
Dépenses touristiques : dépenses d’hébergements touristiques marchands (hôtels, campings, gîtes
ruraux, locations saisonnières, résidences de tourisme, villages vacances, auberges de jeunesse…) ;
de restaurants et cafés (hors environnement habituel) ; de transport non urbain (par avion, par
train, par autocar, fluvial et maritime) ; de location de courte durée de véhicules de tourisme et
d'articles de sports et loisirs ; de services des voyagistes et agences de voyages ; de services culturels,
sportifs et de loisirs (musées, spectacles, parcs d'attraction, casinos, remontées mécaniques…) ; et
autres postes de dépenses liés aux voyages (carburants, péages, aliments et boissons, achats de
biens de consommation durables spécifiques, taxis et autres services de transport urbain…)
Elasticités prix et revenu de la demande : l’élasticité mesure le % de variation de la demande d’un
produit suite à une variation de 1% du prix du produit ou du revenu du consommateur.
Résident/Français : en comptabilité nationale, le critère de prise en compte est la résidence sur le
territoire, et non la nationalité. En conséquence dans tout l’article le vocable Français doit être
entendu au sens personne ayant sa résidence principale en France.
1. Le taux de départ : où en est-on ? Deux réponses possibles : cela ne baisse plus / cela
remonte
De 1964 à 2004, à intervalles réguliers, l'INSEE a conduit des enquêtes vacances auprès des ménages
français. La régularité des intitulés et des types de questions posées, et la procédure adoptée,
entretien en face à face entre l'enquêteur et l'interviewé, ont permis de construire une série de
données sur les taux de départ en vacances des Français, solide, homogène et détaillée. Ces
enquêtes ont mis en valeur la lente démocratisation des vacances sur 40 ans (Figure 1). Au début des
Trente glorieuses, le taux de départ se situe autour de 40%2. Il franchit paradoxalement la barre des
50 % au moment même où la crise pétrolière débute fin 1973. Il poursuit néanmoins assez
régulièrement sa progression jusqu'à la dernière enquête de 2004 pour atteindre 64,5 %. (Caire,
2011).
Pour des raisons essentiellement budgétaires - le financement d'une enquête spécifique au domicile
sur 6000 ménages et 14000 individus devenant difficile, même à intervalle de cinq ans - et n'étant
plus considérées comme prioritaires, ces enquêtes INSEE ont été définitivement abandonnées.
Depuis 2004, l'État, et en son sein les services ministériels s'intéressant au tourisme, utilisent deux
2
Trois enquêtes publiques ponctuelles, beaucoup moins solides que les enquêtes INSEE citées, permettent
néanmoins d'estimer que le taux de départ se situait autour de 10% en 1935 avant l’instauration des congés
payés, de 20% en 1951 et de 30% en 1958.
2
sources de données pour suivre l'évolution des vacances des Français : l’enquête SDT (Suivi de la
Demande Touristique) menée par TNS-Sofres, par voie postale auprès d’un échantillon de 20 000
Français de 15 ans et plus, et la partie Vacances de l’enquête « Conditions de vie et aspirations des
Français » du CREDOC, sur un échantillon de 2000 personnes de 18 ans et plus, enquêtées en face à
face.
Figure 1 : Evolution du Taux de départ en vacances
Cette rupture de série occasionne tout d’abord un problème de raccord entre les données INSEE
Vacances pour 2004 et les deux nouvelles séries pour 2005, écart positif de cinq points pour les
données SDT et écart négatif de sept points pour les données Credoc. Second problème, l'écart entre
les deux séries de données est fluctuant d'une année à l'autre3.
Mais surtout, pour la période qui nous intéresse débutant en 2008, les enseignements que l'on peut
tirer des deux séries sont contradictoires. Pour les données SDT, le taux de départ a continué à
régresser jusqu'en 2012 et semble atteindre depuis un plancher autour de 65 %. Par contre pour le
Credoc, et de manière étonnante, le taux de départ est en progression quasi constante, remontant
de 52 à 60 %, de 2008 à 2014. Il est donc difficile aujourd'hui d'avoir une vision claire des évolutions
récentes sur cet indicateur phare qu’est le taux de départ. Le « plus petit dénominateur commun »
qui puisse être dégagé des deux séries est qu'à partir de 2010 il semble, au minimum, se constituer
un certain seuil de résistance4.
Par ailleurs, alors que le CREDOC titrait en 2012 une note de synthèse « Les catégories défavorisées,
de plus en plus sur le bord de la route des vacances », le même CREDOC (2015) constatait fin 2014 :
« Les groupes les plus modestes commencent à retrouver le chemin des vacances, alors qu’ils étaient
ceux qui avaient le plus dû renoncer à partir ces dernières années » (p11). Et en effet les données
Credoc les plus récentes par catégories socioprofessionnelles et de revenus sont particulièrement
3
Pour le CREDOC, les écarts récurrents entre les deux sources s’expliqueraient surtout par « la formulation
différente des questions pouvant induire une réponse différente des enquêtés. Plus précisément, dans l’enquête
«Conditions de vie et aspirations des Français» la question comporte explicitement le terme «vacances».
L’enquêté peut alors, en considérant par exemple que son voyage ne relève pas des vacances, ne pas
mentionner un voyage pourtant réalisé pour motif personnel. » (CREDOC, 2014)
4
Concernant les vacances à l’étranger et dans les DOM-TOM, après une perte de 2 points entre 2005 et 2010,
le taux de départ s’est en partie redressé et les vacances à l’étranger concernent en 2013 comme en 2007 25%
des Français.
3
surprenantes5. Quelles que soient les catégories, tous les taux de départ progressent sur cette
période de crise (tableau 1).
Tableau 1 : Taux de départ par catégories de revenu et par PCS (CREDOC)
Taux de départ
Bas revenus
Classes moyennes inférieures
Classes moyennes supérieures
Hauts revenus
Restent au foyer
Ouvriers
Employés
Professions intermédiaires
Retraités
Etudiants
Cadres, PIS
Indépendants
Total
Rappel INSEE
2004
46% (Q1)
61% (Q2)
69% (Q3)
84% (Q4)
Moyenne
2008/2009
32,5%
41,5%
61,5%
82,5%
Moyenne
2013/2014
39,0%
47,5%
68,0%
83,0%
Ecart en
points
+6,5
+6,0
+6,5
+0,5
nd
48%
63%
78%
53%
72%
90%
57%
65%
35,5%
43,0%
52,0%
72,0%
45,0%
67,0%
81,0%
52,5%
53,0%
45,5%
46,0%
56,0%
73,0%
52,0%
66,5%
86,0%
54,5%
58,5%
+10,0
+3,0
+4,0
+1,0
+7,0
-0,5
+5
+2,0
+5,5
Le taux de départ progresse de 6 points pour les bas revenus et les classes moyennes inférieures, de
10 points pour les personnes au foyer, de 3 points pour les ouvriers, de 4 points pour les employés.
La seule catégorie où il y a baisse est celle des étudiants, -0,5 point. On peut certes considérer que
ces évolutions sont la conséquence d’un certain succès de la politique d’aides au départ puisque dans
la même étude, il est relevé que la part des Français ayant bénéficié d’une aide financière pour les
vacances est passée de 19% en 2008 à 23% en 2014 (Tableau 2).
Tableau 2 : Part des Français ayant bénéficié d’une aide financière aux vacances (CREDOC)
Types d'aides
Chèques-vacances
Aide de l'employeur ou du comité d'entreprise
Aide de la CAF
Aide de la mairie
Aide d'un autre organisme
Au moins une aide
2008
12%
9%
4%
1%
1%
19%
2014
14%
10%
5%
1%
1%
23%
Mais c’est aussi le signe au sein des catégories populaires, d’une véritable volonté de préserver les
vacances. Et nous allons voir que ce constat est confirmé lorsque l'on se penche sur les données
quantitatives de nombre de séjours et de nuitées.
5
Le Ministère ne communique pas les résultats SDT sur les taux de départ en fonction des caractéristiques
sociodémographiques traditionnelles (âge, revenu, PCS, diplôme…), sauf très ponctuellement et uniquement
sur les taux de départ globaux (courts et longs séjours confondus).
4
2. Nombre de séjours et nuitées par partant : stabilisé
Les enquêtes SDT permettent en effet d’en savoir plus sur les pratiques vacancières des Français.
Tant en termes de nombre de séjours qu’en termes de nuitées par partant, après un recul entre 2007
et 2009, les deux éléments repartent à la hausse. Par rapport à l’avant-crise, le nombre total de
nuitées de vacances ne s’est finalement réduit que de 30 à 29 nuits par partant6.
Figure 2 : Nombre de séjours de vacances par partant (long voyages au moins 4 nuitées) (SDT) et
Nombre de nuitées de vacances par partant (long voyages au moins 4 nuitées) (SDT)
31
3
30
2,9
29
2,8
28
2,7
27
Par ailleurs, il est aussi notable que la proportion de nuitées non marchandes (chez des parents, des
amis et en résidences secondaires) après avoir légèrement progressée au début de la période de
crise, s’est ensuite stabilisée à un niveau à peine supérieur à l’avant-crise. Il est là encore étonnant
que cette forme de tourisme « économe » ne se soit pas développée. Mais il est vrai qu’il faut
pouvoir disposer d’un cercle de connaissances disposant d’hébergements attrayants : proximité d’un
littoral ou d’une station de ski, présence d’une piscine, d’un jardin, mise à disposition d’une chambre
d’ami… (Caire, Nivoix, Le Masne, 2007).
Figure 3 : Part des nuitées non marchandes en France parmi le total des nuitées (SDT)
68%
67%
66%
65%
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
Ces données complémentaires confirment donc le constat de résistance précédent sur les taux de
départ. Mais qu’en est-il du côté budgétaire ?
6
Ces mouvements sur le nombre de séjours et de nuitées pourraient provenir d’un effet de composition : ceux
qui ne partent plus sur la période étaient ceux qui partaient le moins, faisant automatiquement remonter la
moyenne sans que personne ne parte plus qu’auparavant. Ce phénomène, plausible, ne vaut pas ici pour la
phase de remontée depuis 2011, le taux de départ SDT étant resté quasi identique entre 2010 et 2013 (65.8%
contre 66%).
5
3. Les dépenses touristiques résistent
Sur la figure 4 ci-dessous, nous avons superposé l’évolution du Revenu Disponible Brut, des dépenses
totales de consommation et des dépenses touristiques des Français en France7, avec base 100 en
2007. En dehors du « trou d’air » des dépenses de tourisme en 2009 et 2010, le parallélisme des trois
courbes est frappant. En conséquence le poids des dépenses de tourisme dans le budget de
consommation des ménages est resté absolument identique (7,7%) à ce qu’il était avant la crise.
Figure 4 : Revenu, Consommation et dépense touristique en France (INSEE et SDT)
RDB
113,0
Consommation
108,0
Dépense touristique des Français en
France
103,0
98,0
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
Mais ce premier constat de stabilité est à préciser. Il cache de fait des effets prix, populations et
volumes très différenciés. Commençons par l’étude de l’évolution des prix. Depuis près de 40 ans en
France, les prix du tourisme progressent à un rythme deux fois plus élevé que la moyenne des prix de
l’ensemble des biens et services de consommation. Or cette tendance structurelle est encore vérifiée
sur la période récente. Sur une base en 2007, l’indice général des prix est à 106,5 en 2013 et celui des
prix du tourisme à 112,9. Il y a donc une dégradation du pouvoir d’achat touristique relativement au
pouvoir d’achat général.
Figure 5 : Evolution de l’ensemble des prix et des prix du tourisme (INSEE et SDT)
114,0
112,0
110,0
Indice général des prix
Prix touristiques en France
108,0
106,0
104,0
102,0
100,0
98,0
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
Par ailleurs, il faut également prendre en compte l’augmentation de la population française. Entre
2007 et 2013, elle a progressé de près de 3%. En prenant en compte cette évolution démographique,
7
Les Comptes satellites du tourisme n’enregistrent pas les dépenses touristiques des Français à l’étranger.
6
ainsi que le différentiel d’évolution de prix entre prix généraux et prix touristiques, le constat de
stabilité de la Figure 4 est sensiblement à nuancer. Dans un contexte économique général morose
comme souligné dans l’introduction, le pouvoir d’achat et la consommation en volume par habitant
se situent très légèrement en dessous de leur niveau est de 2007 (-0,3 et -0,4 point respectivement,
Figure 6). Le pouvoir d’achat arbitrable a diminué de 3 points et la dépense touristique en volume
par habitant a quant à elle régressé de 5%. Autrement dit, s’il y a bien volonté pour les ménages
français de sauvegarder au maximum leur budget touristique en valeur, y compris malgré la hausse
des dépenses pré-engagées, du fait de la hausse plus forte des prix touristiques que la moyenne, il y
a bien une baisse du « niveau de vie touristique ».
Figure 6 : Pouvoir d’achat, consommation, dépense touristique par habitant (INSEE et SDT)
102,0
100,0
Pouvoir d'achat (RDB)
98,0
Pouvoir d'achat arbitrable
96,0
Consommation
94,0
Dépense touristique des Français en France
92,0
90,0
2007
Modèle théorique
2008
2009
2010
2011
2012
2013
Mais même cette baisse est encore un signe de résistance, car cela aurait dû être pire. La théorie
microéconomique standard de la consommation enseigne que les dépenses de loisirs et de culture,
non prioritaires, sont supposées être les premiers postes d’ajustement en cas de difficultés, afin de
préserver les dépenses répondant aux besoins essentiels, comme l’alimentation ou le logement. En
utilisant les calculs d’élasticité-prix et revenu d’une étude de l’INSEE (Faure 2012)8, la baisse en
volume des dépenses touristiques par habitant aurait dû ainsi être de 9% (courbe en pointillé sur la
figure 6). Autrement dit, près de deux fois plus forte que celle effectivement réalisée. Il y a donc bien
résistance du désir de vacances des Français face à la crise. Reste à en comprendre les raisons.
Conclusion : Pourquoi les Français tiennent aux vacances ? Quelques indices sur des effets
positifs des vacances trop souvent négligés
La résistance des Français en matière de préservation des vacances, déjà constatée 10 ans plus tôt au
plan européen (Caire, 2009), est en fait compréhensible lorsque l’on regarde quelques éléments
statistiques tirés d’enquêtes récentes.
8
L’Hébergement-Restauration est le seul poste sur la période 1993-2011 où les deux élasticités sont
significativement supérieures à 1. L’élasticité revenu est de 1,177 (4e poste derrière Informationer
Communication, Biens d’équipement, Services financiers). L’élasticité prix relatifs est de -1,414 (1 poste). Une
hausse de revenu de 1% entraine une hausse des dépenses d’hébergement-restauration de 1,17% et une
hausse de prix de 1% entraine une baisse des dépenses de 1,4%.
7
Suite aux réflexions de la commission Sen-Stiglitz-Fitoussi sur « la mesure des performances
économiques et du progrès social » (2009), l’INSEE a mené en 2010 une enquête dans une
perspective d’indicateurs subjectifs de qualité de vie, demandant aux personnes de noter leur niveau
de satisfaction dans la vie. En moyenne, elles s’attribuent 7,3 sur 10 (Amiel, 2013). Sans surprise, la
satisfaction augmente systématiquement avec le niveau de vie. Et les conditions de vie matérielles
jouent fortement sur le bien-être ressenti. Or, « toutes choses égales par ailleurs », parmi les
privations affectant négativement la note de qualité de vie, juste derrière le fait d’être endetté, ne
pas pouvoir se payer une semaine de vacances apparaît en seconde position, devant la température
trop basse du logement, les difficultés de loyers et de charges, un logement trop petit, ou le fait de
ne pas pouvoir recevoir parents ou amis. Pourtant ces difficultés sont vécues toute l’année. Autre fait
stylisé particulièrement surprenant de l’enquête : la privation de vacances a le même effet théorique
négatif qu’un divorce ou une séparation dans l’année.
Dans le même esprit, l’enquête CREDOC (2015) montre que les Français qui partent en vacances sont
plus souvent heureux que les non partants : 70% des personnes qui se sentent très souvent
heureuses sont parties en vacances contre seulement 43% de celles qui n’éprouvent le sentiment
d’être heureux qu’occasionnellement.9
Figure 7 : Taux de départ en vacances selon le sentiment d’être heureux (CREDOC)
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
Ne se sent jamais
heureux
Se sent
occasionnellement
heureux
Se sent assez
Se sent très souvent
souvent heureux
heureux
Cet « effet bonheur » des vacances confirme des résultats précédents du CREDOC (2010a, 2010b)
relatifs aux effets des vacances sur l’estime de soi10 et la satisfaction par rapport à son cadre de vie
quotidien11.
Autre exemple d’effet positif post-séjour des vacances, l’enquête menée en 2013 par l’ANCV, auprès
de 3000 seniors partis en groupe avec le programme Seniors en vacances, révèle que 86% des
personnes ont gardé postérieurement des contacts avec d’autres participants et que 68% se sentent
ensuite en meilleure forme physique.
9
Un sondage Expedia de 2014 relève également que pour 50% des Français, les vacances sont « leur petit
moment de bonheur préféré » et que pour 47 % « les vacances sont plus importantes que l’argent ».
10
« On se sent plus riche si l’on part en vacances » : 90% des personnes « pauvres et modestes » qui ne sont
parties se placent eux-mêmes en bas de l’échelle sociale contre 75% de celles qui sont parties. 83% des
personnes des classes moyennes se reconnaissent comme appartenant aux classes moyennes si elles sont
parties contre 70% des non partantes.
11
Toutes choses égales par ailleurs, il y a 30% de chances de plus d’être très satisfait de son cadre de vie
quotidien si l’on est parti en vacances (pourtant le quartier n’a pas changé entre temps…)
8
Décrire statistiquement les désirs de vacances et leurs effets, nous semble ainsi conforter le rôle des
associations de tourisme, à la fois dans l’accompagnement de l’accès aux vacances mais aussi dans le
portage de parole de résistance contre la délégitimation du temps libre, des vacances, et du tourisme
domestique, qui représente pourtant les 2/3 des recettes touristiques en France.
Références bibliographiques
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Première, n°1428, janvier
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Entre désir de convivialité et recherche d’économie, Espaces, n°249, juin
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MAMONTOFF, Tourisme & sociétés, E.M.E.
CAIRE G. (2011), Les vacances des français : une analyse socioéconomique, in L. Greffier (dir.), Les
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mars
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arbitrages, Rapport n°262, octobre
CREDOC (2015), Hoibian S., Müller J., Vacances 2014 : l’éclaircie, Rapport n°320, janvier
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n°40, décembre
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conjoncture INSEE, juin
SEN A., STIGLITZ J., FITOUSSI J.-P. (2009), Rapport de la Commission sur la mesure des performances
économiques et du progrès social, septembre
9