Commentaire de texte de Nietzsche

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Commentaire de texte de Nietzsche
Augustin Aguilar TS2
« La conscience n'est qu'un réseau de communications entre hommes; c'est en cette seule
qualité qu'elle a été forcée de se développer : l'homme qui vivait solitaire, en bête de
proie, aurait pu s'en passer. Si nos actions, pensées, sentiments et mouvements
parviennent - du moins en partie - à la surface de notre conscience, c'est le résultat d'une
terrible nécessité qui a longtemps dominé l'homme, le plus menacé des animaux : il avait
besoin de secours et de protection, il avait besoin de son semblable, il était obligé de
savoir dire ce besoin, de savoir se rendre intelligible; et pour tout cela, en premier lieu, il
fallait qu'il eût une " conscience ", qu'il " sût " lui-même ce qui lui manquait, qu'il "sût "
ce qu'il sentait, qu'il "sût " ce qu'il pensait. Car comme toute créature vivante, l'homme
pense constamment, mais il l'ignore. La pensée qui devient consciente ne représente que
la partie la plus intime, disons la plus superficielle, la plus mauvaise, de tout ce qu'il
pense : car il n'y a que cette pensée qui s'exprime en paroles, c'est-à-dire en signes
d'échanges, ce qui révèle l'origine même de la conscience.» Nietzsche
Augustin Aguilar TS2
Commentaire de texte de Nietzsche
Ce texte de Nietzsche a pour thème la conscience. Dans cet extrait du Gai Savoir
Nietzsche va être amené à contredire la philosophie classique de la conscience qui
estime que celle-ci est la manifestation de l’âme et le lieu de la pensée. Le cogito
de Descartes “Je pense donc je suis” est l’affirmation que je suis en toute certitude
une chose qui pense, un sujet doué de conscience. La conscience serait alors, en
ce sens, une faculté que possède notre esprit de saisir ce qui se passe en nous ou
hors nous, la conscience psychologique serait le paroxysme de l’activité
psychologique. D’ailleurs la conscience psychologique peut se prolonger en une
conscience morale qui, selon Rousseau, permet à l’homme de se rendre
“semblable à Dieu”. Mais l’activité psychologique est-elle vraiment un privilège
inné à l’homme? Est-ce que toute pensée consciente est vraiment le tout de la
psychique? Nietzsche va s’intéresser à savoir ce qu’est la conscience mais aussi à
l’origine de celle-ci, à sa genèse. La conscience est-elle naturelle chez l’homme?
La question sur la généalogie de la conscience va guider Nietzsche à élaborer sa
thèse: La conscience n’est pas innée à l’homme, il s’agirait plutôt d’une nécessité
à sa survie. Nietzsche va être amené à affirmer l’existence d’une pensée
inconsciente antérieure à la pensée consciente. Le texte se déploie en trois parties.
La première partie, allant de “la conscience n’est qu’un réseau” jusqu’à “aurait pu
s’en passer”, établit les caractéristiques de la conscience. La deuxième partie, “si
nos actions, pensées, sentiments… l’homme pense constamment, mais il
l’ignore.”, examine l’origine de la conscience, c’est à dire sa genèse. Finalement
Nietzsche conclue dans sa troisième partie en évoquant implicitement l’existence
d’un “inconscient”.
Dans le premier mouvement du texte Nietzsche présente la conscience comme
un élément extérieur à l’homme, elle n’a rien d’intérieur puisqu’elle ne présente
aucun aspect d’une réflexion intérieure comme l’explique le cogito de Descartes.
“La conscience n’est qu’un réseau de communication entre les hommes”. On a ici
une définition minimaliste ou plutôt restrictive puisque la conscience “n’est
qu’un” réseau de communication. Il ne s’agit plus d’une réflexion solitaire; pour
Nietzsche la communication doit se faire à plusieurs individus. En ce sens que la
conscience n’est qu’un lien qui unit plusieurs individus. La conscience serait donc
par essence collective puisqu’elle unit les membres d’une même société, toute
conscience nous permet de nous projeter vers l’extérieur. Pour Nietzsche, cette
communication doit être un langage par lequel on exprime une pensée, la
conscience prend alors un aspect expressif et non réflexif. “C’est en cette seule
qualité qu’elle à été forcée à se développer” on peut déduire de cette phrase que la
conscience n’est pas un don de la nature humaine mais le fruit d’une qualité
propre à l’être humain: la parole, le pouvoir de discuter. La conscience est utile à
l’homme car elle lui permet de vivre en société, il a donc dû acquérir cette
Augustin Aguilar TS2
conscience, la conscience “a été forcée à se développer” afin que les hommes
puissent vivre en société. On peut alors considérer la conscience comme une
volonté de vouloir s’affirmer dans une collectivité et ainsi pouvoir coexister ainsi
qu’exister. La conscience n’est donc pas inné, il ne s’agit pas d’une conscience
immédiate en ce sens qu’elle fait pas partie de l’essence de l’homme dans ce qu’il
a de singulier. La conscience ne serait alors le fruit de la culture, un produit social.
C’est ce que Nietzsche va illustrer dans la phrase suivante: “l’homme qui vivait
en solitaire, en bête de proie, aurait pu s’en passer”. L’être humain qui vivait dan
un isolement totale, c’est à dire à l’état sauvage, à l’état de nature, privé
d’environnement humain, n’aurait aucune nécessité d’une conscience puisqu’il est
une bête féroce qui chasse et se suffit à elle même grâce à sa force. Il ne dépend
pas des autres pour survivre. Il n’a pas besoin d’exprimer sa pensée et on se
demande même s’il en a puisque biologiquement c’est un homme mais ce n’est
pas un humain, c’est une “bête”. Ainsi cet homme en puissance ce passer de la
conscience comme on se passe de quelque chose inutile.
Ensuite Nietzsche va définir ce qui constitue la conscience, son contenu. “ Si
nos actions, pensées, sentiments et mouvements proviennent” Il énumère tout ce
qui appartient à la conscience. Nos actions et nos pensées sont directement liées à
notre conscience mais on peut en dire autant de nos émotions et nos sentiments.
L’amour n’est pas quelque chose de purement intérieur, il s’agit d’une certaine
façon de me diriger vers l’autre, vers autrui. Par exemple on ne voit pas les
personnes qu’on aime de la même façon que les personnes qui me sont
indifférentes. Finalement Nietzsche fait référence au corps de l’être humain
lorsqu’il introduit le terme “mouvements”. La conscience serait le reflet du corps
puisque c’est le corps qu’il faut soigner pour survivre. Tous ces éléments
apparaissent dans notre conscience, ou plutôt “du moins en partie” puisque l’être
humain n’arrive pas à la maitriser, il maitrise ces éléments en partie. On a
conscience, j’ai conscience de ce que je fais, mais je ne sais pas toujours pourquoi
je le fais. Revenons sur l’amour et prenons l’exemple de Descartes qui avait un
penchant pour les femmes louches. Certes il aime les femmes qui louchent, il en a
conscience mais il ne connait pas la raison pour laquelle il les aime. En outre il
faut remarquer que Nietzsche considère que ces éléments apparaissent “ à la
surface de notre conscience”. Le terme “surface” implique que Nietzsche pense
qu’il existe une profondeur dans notre conscience, il s’agirait alors d’un
“inconscient”.
Nietzsche va ensuite repartir sur l’origine de la conscience. La conscience résulte
d’une “terrible nécessité qui a longtemps dominé l’homme” ce côté dramatique
fait référence à la nudité de l’homme et au mythe de Prométhée. L’homme étant
un anima inachevé, indéterminé, il était vulnérable à l’origine. Il était bien “le
plus menacé des animaux”, la pauvreté de son hérédité l’a contraint à développer
une “conscience” afin de se faire aider par les autres, de se regrouper et créer une
société. Cela amène Nietzsche à employer le concept de “besoin”, force est de
constater qu’il y insiste beaucoup “besoin de secours et de protection”, “besoin de
son semblable”, “de ce besoin”. Ce besoin fait de l’homme un animal social et
Nietzsche insiste sur cela afin de montrer un aspect imparfait de l’homme:
l’homme a eu besoin de se “rendre intelligible”. C’est dans le cadre de la
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communication que la conscience s’est développée, la parole est là pour que
chaque homme puisse comprendre son congénère, la conscience est là pour que
les hommes se comprennent entre eux. La conscience est donc apparue
tardivement chez l’homme car “il fallait qu’il eut une conscience, qu’il sût lui
même ce qui lui manquait, qu’il sût ce qu’il sentait, qu’il sût ce qu’il pensait.”
Sans conscience il n’y a pas de savoir et donc aucune expression n’est possible,
de même qu’aucune relation est possible. Afin d’acquérir une connaissance de soi
il a fallu que l’être humain développe une conscience car c’est sur elle même
qu’on peut construire nos connaissances. C’est ainsi qu’on sait si on a faim, soif
ou sommeil. C’est ainsi grâce à la conscience que ces états son devenus une
pensée. Néanmoins ce savoir n’est il pas qu’une simple illusion? C’est sur cette
question que s’articule la troisième partie de ce texte.
“Comme toute créature vivante, l’homme pense constamment” Nietzsche montre
tout d’abord que la pensée n’est pas ce qui est spécifique à l’homme puisque toute
créature vivante pense. Et, bien que l’homme “pense constamment, il l’ignore”.
Mais qu’est qu’il ignore? Il ignore l’origine et la cause de ses pensées. Bien
évidemment nous possédons trop d’éléments perceptifs ou sensitifs il semble donc
impossible que l’homme ne puisse penser à rien. Cependant nous avons des
automatismes, par exemple lorsque nous conduisons. Tout ce qui constitue la
conscience ne s’accompagne pas d’une pensée consciente puisque le fait de
conduire est devenu automatique. Nietzsche considère la conscience comme la
partie “la plus intime, disons la plus superficielle, la plus mauvaise de tout ce qu’il
pense.” La conscience n’est donc pas tout l’activité humaine, seule une partie
superficielle nous apparait. Pour Nietzsche la pensée inconsciente est originelle,
elle surgit avant la pensée consciente donc elle beaucoup plus riche. La pensée
inconsciente ne présente pas qu’une partie limitée de notre personnalité à
différence de la pensée consciente que représente que ce qui est “intelligible” par
le langage. De plus elle est “la plus mauvaise” car elle est la plus lacunaire, elle
est imparfaite car, comme on a vu au début, “ nos actions, pensées, sentiments et
mouvements parviennent du moins en partie” nous avons des automatismes. Ceci
est la notion de mauvaise conscience. Finalement Nietzsche revient à sa thèse,
c’est à dire à la genèse de la conscience. “Il n’y a que cette pensée qui s’exprimer
en paroles, c’est à dire en signes d’échanges.” Cette phrase montre que le langage
et la conscience sont fortement liés entre eux puisque la conscience n’est apparue
que grâce à l’échange, au fait que l’être humain peur communiquer. La parole
permet à la conscience d’exister car elle lui donne la capacité d’exprimer sa
pensée. En effet l’origine de la parole révèle de même “l’origine même de la
conscience”.
Dans cet extrait Nietzsche va critiquer la philosophie classique de la conscience.
Dans la philosophie classique il s’agit d’une conscience réflexive, c’est-à-dire que
c’est le retour de l’esprit sur ses propres contenus afin d’organiser et trier les
données qui s’y trouvent. Ce retour de l’esprit est ce qui définit la réflexivité de la
conscience. L’être humain est un être conscient et un être dont l’esprit réfléchit et
se réfléchit puisqu’il se regarde lui même comme dans un miroir. C’est d’ailleurs
Augustin Aguilar TS2
ce que Descartes va expliquer dans son cogito. Descartes explique que la
conscience est une introspection de nous même. Il s’agit de l’effet d’une
résolution, c’est la résolution de douter selon un cheminement méthodique. Ainsi
l’être humain parviens à une connaissance de soi même et de sa nature d’être
pensant. C’est une conscience qui, loin d’être naturelle, est accessible par une
méditation “métaphysique”. Le cogito de Descartes est tout simplement
l’affirmation quelle suis une chose qui pense. Quoi que je pense, je ne peux pas
nier que je pense. L’homme doute et douter c’est penser. Au moment où l’on
doute je pense et donc si je doute je suis. Je peux douter de tout mais je ne peux
pas douter de l’acte de douter. Or Nietzsche montre dans ce texte que la
conscience n’est pas l’expression d’une substance pensante, c’est la partie la plus
superficielle, il ne s’agit pas de toute vie psychique en tant qu’acte même de la
pensée. Elle est intimement liée au corps de l’homme ainsi qu’au langage, la
conscience n’est que la partie intime en nous qui est intelligible afin de pouvoir
vivre en société. Nietzsche fait donc une critique de la conscience. Nietzsche,
dans ce texte, introduit la notion d’inconscient lorsqu’il parle de “la surface de
notre conscience”. Il rejoint Freud sur le fait qu’il y a seulement une partie
superficielle de notre pensée qui apparait à notre conscience. Cependant
l’inconscience désigne, au sens Freudien, une entité psychique autonome et
dynamique dont la fonction est de refouler. Cette instance de refoulement va
s’appeler la censure et elle va venir s’opposer à la mise à jour de certains
souvenirs. Freud va attribuer une représentation topographique de l’appareil
psychique de l’homme, il le divise en trois parties: le surmoi, le moi et le ça. Le ça
étant l’inconscient. Il est le siège de pulsions qui se trouvent en dessous de l’eau.
C’est la comparaison avec l’iceberg. Ce sont ces pulsions qui vont se transformer
en désirs refoulés, en actes manqués et instincts profonds dont la conscience
ignore leur existence. Du point de vue de Freud nous surestimons la partie
consciente de notre être. On a une nouvelle conception de l’homme puisque
l’essence de l’homme réside dans l’inconscient. La conscience perd le privilège
qu’elle avait acquis avec le cogito de Descartes. Cependant Nietzsche fait
référence à une pensée inconscient et non à l’inconscient. La découverte
freudienne d’un inconscient psychique pose problème dans la mesure ou elle
donne à penser que nous sommes manipulés par des forces obscures et que nous
ne pourrions pas être maîtres de nos actes, de nos choix, de nous-mêmes. Le fait
de renoncer à notre responsabilité, c’est-à-dire à notre liberté, est la conséquence
de l’existence de l’inconscient. C’est pour cela que la théorie de Freud est
critiquable. Néanmoins Nietzsche ne parle d’inconscient en tant que entité
psychique mais comme une pensée antérieur et plus profonde que la conscience.
Selon Alain et Nietzsche le mot inconscient reviendrait au corps, à un simple
mécanisme corporel de survie comme la respiration ou la digestion. Certes
Nietzsche affirme que la conscience est lacunaire et que l’homme n’est pas
conscient de tous ses actes puisqu’il a acquis des automatismes mais il ne faut pas
transformer l’inconscient en un monstre qui habiterait chaque être humain. Cela
est une grave erreur étant donné que dans cette optique personne ne serait
responsable de ses actes et tous les crimes pourraient être excusés par l’existence
de l’inconscient des criminels. D’autre part, Sartre parle de mauvaise foi. Il dit
Augustin Aguilar TS2
que l’inconscient c’est de faire semblant d’être ce que je ne suis pas. Or la
mauvaise foi est un acte conscient puisqu’on se ment à soi-même. On se ment car
on a peut de la liberté, la liberté est angoissante car c’est un acte de responsabilité.
Donc par l’inconscient je masque na responsabilité et je réduis mon existence à
une essence mais “il n’y a pas de déterminisme, l’homme est libre, l’homme est
liberté.” dit Sartre. L’hypothèse d’un inconscient premier à une conscience
originelle de la culture de Nietzsche semble alors dépasser autant le cogito de
Descartes que l’inconscient Freudien.
En conclusion Nietzsche va mettre en valeur l’apparition tardive de la conscience
qui est le fruit du langage et de la pauvreté de l’hérédité naturelle de l’homme.
Ainsi Nietzsche remet en cause la philosophie du sujet. La conscience reste
intimement liée à la parole puisqu’à travers elle l’homme communique sa pensée
aux autres de façon intelligible. C’est par cela qu’il met en place l’existence d’un
inconscient beaucoup plus riche en contenu, sans pour autant voir un monstre qui
nous manipule et qui nous fait renoncer à notre liberté. La conscience se
développe mais elle n’est pas parfaire. Elle ne réalise pas tout notre être.