LE CHANGEMENT D`ÉCHELLE François Régnier

LE CHANGEMENT D’ÉCHELLE
François Régnier
« C’est le changement d’échelle qui crée le phénomène ». Cette affirmation pertinente est
d’un Physicien suisse, Charles-Eugène Guye.
Nous retrouvons la question du changement d’échelle à de multiples niveaux dans la vie
quotidienne. Chez le chirurgien qui confie à l’anatomopathologiste la pièce opératoire qu’il vient
de prélever : l’examen immédiat décidera de la suite de l’intervention, voire de la stratégie médicale
ultérieure. Nous sommes passés de l’échelle macroscopique (l’œil du chirurgien) à l’échelle
microscopique, celle de l’anatomopathologiste.
L’écrivain Julien Gracq (Le Rivage des Syrtes), de son vrai nom Louis Poirier, était aussi un
Professeur de géographie. Dans un de ses quelques entretiens publiés, il a eu cette parole éclairante :
« De mon temps, la géographie était fixe ». Dans l’avant-guerre et dans l’immédiat après-seconde
guerre mondiale, les relevés terrestres et/ ou maritimes ne permettaient guère le changement d’échelle
de l’observation. Aujourd’hui, avec les satellites, la dérive des continents devient perceptible et
mesurable, tout comme celle de la fonte de la calotte glacière. Nous avons accès à l’image et à
l’évolution de l’image quand le temps se déroule. L’ensemble du renseignement militaire est concerné
par un tel changement d’échelle de l’observation du théâtre des opérations. Le Géographe, Yves
Lacoste l’a résumé avec adéquation : « La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre ».
Dans le développement d’un médicament (en tout 10 à 12 années), le dossier de l’évaluation
chez l’homme de l’efficacité et de la sécurité (6 à 7 années) comprend en moyenne quelque 4 à
5.000 patients. Soit 4 à 5 103.. Lors de la mise sur le marché, les patients vont passer de 4 à 5 103 à
105, voir 106 ou davantage, lors d’un développement international. Ce changement d’échelle est
l’occasion d’une pharmacovigilance sérieuse, car, dans certains cas, des évènements inattendus
apparaissent qui sont dus précisément à ce changement d’échelle. L’industrie du médicament est ici
confrontée - comme toutes les industries - à ce changement d’échelle, le scale up des Anglo-Saxons.
L’industrie automobile en a fait les frais à plusieurs occasions. Le passage d’un présérie à une
grande série nous rappelle que « C’est le changement d’échelle qui crée le phénomène ».
Les méthodes de créativité appliquées sont le fait d’une attitude positive vis-à-vis de
l’innovation. Parmi celles-ci : combiner, inverser, agrandir, adapter, réduire, substituer, changer
de point de vue, réarranger, utiliser autrement, etc. Nous pouvons voir combien le changement
d’échelle est inscrit en filigrane de ces méthodes !
La projection de l’excellent documentaire Puissance des Dix (Powers of Ten, Charles &
Ray Eames, 1977) est fondé sur un changement d’échelle programmé et spectaculaire. La
première image est un carré de 1 mètre de côté (100), puis, toutes les dix secondes, nous
changeons de puissance de dix, pour aller jusqu’à 1024, au-delà de la galaxie ! Au retour de ce
voyage virtuel, nous traversons la peau du personnage endormi. Et nous passons,
progressivement de 10-1 à 10-16, de la biologie cellulaire à la biologie moléculaire (l’ADN), puis
à la structure atomique et enfin subatomique, car nous « atterrissons » dans les quarks d’un
atome de carbone ! Nous avons changé 40 fois d’échelle entre le début et la fin du film qui dure
9 minutes !
« C’est le changement d’échelle qui crée le phénomène ». Le changement d’échelle est au
cœur de notre vision postmoderne de l’univers, de la biologie et du phénomène industriel.
18 Mai 2008