Mamie Marthe : un témoignage de « prendre soin » sur la maladie d

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Mamie Marthe : un témoignage de « prendre soin » sur la maladie d
Mamie Marthe : un témoignage de « prendre soin » sur la
maladie d'Alzheimer.
Proposé par Anne-Marie Rivière
On parle beaucoup de la maladie d’Alzheimer. Cette maladie nous apprend
la patience et nous amène à faire preuve d'inventivité.
Ainsi, Mamie Marthe était dans son monde. Parfois elle était près de la
fenêtre, le regard dans le vague. Soudain, elle repartait cinquante ans en
arrière, voyait des personnes disparues et leur parlait comme si elles
existaient vraiment.
Il ne fallait pas la contrarier, non ! Cela l’aurait perturbée. Il fallait jouer le
jeu : alors, je parlais à mon père décédé en 1976.
Car Mamie me demandait de servir le café à mon papa comme s'il était là !
Ce qui me fait dire que notre cerveau est une sorte de caisse
d'enregistrement. C'est incroyable toutes ces interactions alors que la
mémoire du jour se répand comme du sable. Et nous voilà repartis en
arrière, autrefois !
Cette maladie déstabilise l’entourage. Elle nous secoue et nous enlève une
part de nous-même. Elle est toujours là. Mamie faisait des chutes de plus en
plus fréquentes. Si on le lui faisait remarquer, c’était pour s’attirer la réponse
invariable suivante : "ce n'est pas la peine de s'en faire, ça passera"
répondait-elle... .
Puis un jour advint un oubli plus grave. Désorientée, elle se perdit dans sa
propre ville. Des symptômes, ces petits cailloux qui tracent un autre chemin
de vie.
Une nuit, elle se mit à parler sans cesse. Une autre, elle s'habilla pour partir
au marché. Encore une autre qu'elle prit pour le jour. A ce moment-là, elle
était encore chez elle. Mais un jour, son fils la trouva près du gaz en train de
préparer le diner... rien dans les marmites. Mamie soutint le contraire avec
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agacement.
Une visite chez le neurologue, des tests de mémoires avec chiffres et phrases.
Le verdict fut sans appel : la maladie avancera très vite.
Mamie, ne voulant gêner personne, nous dit alors : «trouvez-moi une
maison de retraite !"
Après en avoir listé une bonne dizaine, nous en conclûmes que Mamie
Marthe serait mieux chez nous. Alors qu'elle avait habité le même lieu
pendant 75 ans, dans sa maison, avec ses amies, près de la petite chapelle ou
elle aimait prier au monastère des Clarisses à Lavaur dans le sud de la
France. Un pan de son histoire s’était tourné. Il ne resterait que des
souvenirs.
Nous habitions une maison en pleine campagne, au beau milieu des champs
de maïs et de tournesol.
Dans la grande cuisine, Mamie s’asseyait près de la fenêtre comme elle le
faisait chez elle. Dans une boite, il y avait tous ses trésors. Parfois, comme
elle avait était couturière, elle se plaisait à coudre comme dans son temps et
dans son univers. Au début elle tenait à plier le linge. Comme me le fit
remarquer une infirmière, cela permettait de freiner l’évolution vers une
plus grande dépendance.
Comme Mamie ne pouvait plus marcher avec une canne, le docteur lui
prescrivit un déambulateur.
Ce fut difficile à accepter, et je la comprends. Un jour je lui ai dit : « Mamie,
on va vous mettre une sonnette de vélo sur le déambulateur ». Elle me
répondit alors en souriant : "arrête de dire des bêtises". Mamie Marthe était
toujours disponible. Pour ne pas couper le fil spirituel, je faisais venir un
prêtre ouvrier pour lui porter la communion à domicile. Le respect de sa foi,
toujours le respect !
Nous entrâmes dans la troisième année de la maladie. Mamie souffrit alors
aussi de la maladie de Parkinson. Sa démarche était désormais saccadée.
Heureusement, des infirmières vinrent à la maison, maillons indispensables
du maintien à domicile.
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Je regrette cependant qu'un ergothérapeute n'ait pas pu venir à domicile car
le neurologue m'avait ainsi conseillée : "faites enfiler des perles à votre
mamie". Quand je dis cela à Mamie Marthe, elle me répondit : "tu veux que
j'enfile des perles alors que je sais coudre de tout depuis quarante ans. Ce
docteur n'a plus sa tête".
Parfois le kinésithérapeute venait à la maison, pour lui apprendre à marcher
avec le déambulateur. J'avais une voiture sans permis, ce qui nous
permettait d’aller dans sa ville natale Lavaur, souvent au Plô qui est un
éperon dominant la rivière Agoût. Nous nous rendions ensuite au monastère
Sainte Claire, devant la chapelle. Mamie y priait simplement. Nous allions
aussi au cimetière pour nous recueillir sur la sépulture de son mari. Grâce à
la gentillesse d'un gardien du lieu, je pouvais entrer avec mon petit véhicule,
ce qui permettait à Mamie Marthe d’y venir prier.
De retour à la maison, elle était contente. Parfois elle s'agitait. Dans ce cas, je
trouvais opportun de lui faire regarder une cassette de Lourdes retraçant la
vie de Bernadette. Alors, tout se passait comme si la maladie s’interrompait
comme par miracle. Elle me disait; "tu vois là, j'y suis allée", en me
commentant les images sans se tromper.
La quatrième année, Mamie Marthe ne pouvait plus mettre un pas devant
l’autre. Devant l’aggravation de la dépendance, il fallut encore espérer car il
reste toujours un bout de ciel bleu ! Elle avait beaucoup de difficulté à
manger toute seule, la maladie court-circuitant le cerveau. Quand je lui
donnais son repas, elle me disait dans un éclair : "ça y est, je suis une
enfant".
Parfois elle fermait la bouche mais je ne crois pas que c’était par opposition.
Tout ce qui est évident pour nous ne l'est pas dans cette maladie. Alors, je lui
faisais écouter de la musique douce ; elle se détendait, et quand je lui
présentais à nouveau les aliments, elle les acceptait, bien que ceci pût
prendre une heure. Cette maladie nous rend inventif et humble face au
handicap. Parfois, la nuit, elle ne dormait pas et m’appelait : « Anne Marie,
Anne Marie !». Je lui prenais la main et lui parlais doucement en mettant
une musique relaxante.
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La dernière année fut ponctuée par une suite d'hospitalisations. Mamie ne
pouvant plus manger des aliments naturels, la perfusion prit le relais.
Mamie continuait son chemin de vie. Quand l'infirmière vint me dire de
préparer ses affaires, ce fut un choc énorme. Je ne pouvais pas y croire.
Cependant, il fallut rester droite. Je fis venir le prêtre à l'hôpital pour la
messe des malades qu’elle suivit de pleine conscience. Elle eut droit à un
demi-centimètre d’hostie pour la communion. Dans la chambre de l'hôpital
se trouvait le prêtre ouvrier et une dame qui œuvre à l'hôpital pour visiter les
malades. Quand je parvins sur le seuil de sa chambre, Mamie Marthe
m’adressa cette instruction : « va a En Calcat prier et mettre un cierge
! » En Calcat est un monastère bénédictin en pleine campagne, situé près de
Durfort dans le département du Tarn, tout comme Lavaur. C’est un havre de
paix et les chants grégoriens s'y élèvent vers le ciel.
Mamie était très croyante, elle allait à la messe tous les jours quand elle fut à
la retraite.
Elle est partie de l'autre côté de la rive. C’était le 3 Février 2001. Je m’en
souviens comme si c'était hier.
A la suite de cela ce fut le "burn-out". Nous les aidants, nous sommes là
24h/24. J’aimerais qu'il y ait des lieux de repos, comme au Canada, où les
aidants se reposent.
C'est une maladie qui nous prend une part importante de nous-même. Nous
sommes dans la parenthèse de la vie. Quand nous aidons, cela nous amène à
des questionnements.
Pour ma part, j'ai eu la chance de croiser une petite chapelle dans la
campagne : St Pierre du Puy près de Giroussens. Là il y a chêne immense qui
déploie ses branches. Il y règne la quiétude. Il est bon de se ressourcer dans
la nature. Cette chapelle est cette part de mystère spirituel qui nous
transcende vers l'infini. Croyants ou non croyants, ce que nous devons
préserver, c'est le bien vivre ensemble.
Nous sommes les locataires provisoires de notre planète. Préservons des
lieux spirituels.
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Comme ces petites chapelles qui nous mènent vers l'invisible.
Dieu se promène incognito, et humblement ouvre les pages de l'Évangile en
semant la paix.
Nous les aidants essayons de recréer un fil invisible vers la vie.
Anne Marie RIVIERE
St Pierre du Puy
http://stpierredupuy.blogspot.fr/
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