Des perroquets en boîte
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Des perroquets en boîte
Des perroquets en boîte En matière de protection des espèces, certains pays ont beaucoup de « nez » : à l’aéroport de Vienne, les autrichiens se font aider par des limiers. Au cours de l’année dernière, 74 ŒUFS DE PERROQUET ont été confisqués. Pour les couver et permettre à la plupart des oiseaux de survivre, un certain don d’improvisation fut nécessaire, avec la participation active du zoo de Schönbrunn et d’un incubateur Dräger. L a douane a tout gâché, encore une fois. Et pourtant, tout était si bien préparé : au mois d’avril de l’année dernière, deux Européens ont tenté d’importer illégalement 74 œufs fécondés de perroquet de Jamaïque, cachés dans des boîtes de biscuits et une noix de coco. Mais les douaniers autrichiens furent pris de sérieux doutes quant à l’emballage, à son contenu et surtout quant aux voyageurs. « Si l’on veut être bon dans ce métier, il faut avoir du nez et des années d’expérience », déclare Robert Geschina, chef d’équipe à la douane de l’aéroport viennois de Schwechat. Sur la radio, ces petits souvenirs des Caraïbes ressemblaient à des œufs en chocolat. « Cela nous a paru bizarre, car c’est quelque chose que l’on achèterait plutôt chez nous ! » PHOTOS : DANIEL ZUPANC Trafic de drogue ou d’animaux 18 Il connaît toutes les combines des trafiquants d’animaux. Pour une touche d’exotisme chez soi, les contrebandiers inventent des cachettes de plus en plus professionnelles. Des serpents dans les boîtiers DVD, de petites tortues fourrées dans des trousses de toilette ou des ours noirs cachés dans des containers. Aujourd’hui, le trafic d’animaux ressemble au trafic de drogue. « La professionnalisation croissante nous inquiète », confirme M. Geschina. Selon l’organisation de protection de la nature World Wide Fund For Nature (WWF), le commerce international des animaux et plantes protégés est même l’une des branches les plus porteuses du commerce illégal. « Après les armes et la drogue, le trafic des espèces est l’ac- tivité la plus lucrative dans le monde, et elle menace la survie de nombreuses espèces dans la nature », explique la spécialiste perte du WWF Birgit Braun. Marges élevées, peines minimes Une criminalité organisée qui brasse beaucoup d’argent. Interpol parle de 10 à 20 milliards de dollars US par an. Et les marges sont élevées : certaines tortues rapportent 30.000 euros, les chimpanzés jusqu’à 60.000 euros. Plus l’espèce est rare et la demande forte, plus le prix grimpe. Non seulement les professionnels, mais aussi les touristes menacent la survie des espèces en ramassant des graines, en achetant certains souvenirs, ainsi que des médicaments, surtout en Asie. Ils deviennent ainsi volontairement (ou non) des trafiquants d’espèces. Ce qui peut avoir des Une beauté menacée : Le perroquet amazone de la Jamaïque fait partie des 682 espèces d’oiseaux menacées dans le monde, selon la liste rouge de l’Union Mondiale de la Protection de la Nature (IUCN). conséquences désagréables au retour de vacances. Sur le marché noir, les 54 perroquets de Jamaïque sortis des 74 œufs au zoo de Vienne, auraient pu rapporter jusqu’à 15.000 euros, par animal. Le principal suspect, un grossiste en perroquets, encourt une amende. Lors d’une perquisition dans un pays voisin, de fausses attestations d’origine pour les animaux interceptés à Vienne furent découvertes. La peine maximale pour le trafic commercial d’animaux en Autriche est de 35.000 euros. C’est peu, par rapport au profit éventuel. Le travail des douaniers autrichiens ne s’est cependant pas limité à la découverte et à la saisie des œufs de perroquet. T R A F I C D ’A N I M AUX PROT EC T I ON DES ESP È C ES Adam ou Ève ? Le sexe et même l’espèce ne se voient qu’une fois que l’oiseau a son plumage. En effet, la protection des espèces ne s’arrêtent pas à la douane. Ils remirent donc leur précieuse trouvaille au plus ancien zoo du monde, à Schönbrunn. Au zoo, il a fallu s’adapter rapidement : « Dans ces cas-là, il faut improviser », dit Simone Haderthauer, biologiste diplômée et chef de service du zoo. Depuis début 2011, elle s’occupe d’une partie des animaux de Schönbrunn du point de vue administratif, elle coordonne des programmes d’échange et est en contact régulier avec d’autres zoologues et vétérinaires. « Nous pensions que ces œufs de 3,2 à 3,5 cm étaient des œufs de perroquet, mais l’on ne peut jamais être sûr à 100% », dit la biologiste âgée de 33 ans. Le plan fut rapide- ment au point : couver les œufs, élever les poussins, sauver la nature. En un temps record, une équipe de soigneurs expérimentés fut formée, une salle aménagée, des couveuses et de la nourriture furent achetées. Mais pour commencer, les œufs âgés de quelques jours à 3 semaines furent déballés, pesés, mesurés, photographiés, puis placés dans une étuveuse. Les perroquets sont exigeants À l’éclosion, les oiseaux furent placés dans des « couveuses », dont un incubateur Dräger. Normalement, ces unités thérapeutiques thermiques se trouvent dans les maternités et les services de soins intensifs néonatologiques. Ils maintiennent non seulement une température réglée avec précision, mais également une humidité de l’air constante, un apport d’oxygène exactement défini et protègent le prématuré d’éventuelles infections. « Les perroquets sont, eux aussi, très exigeants », explique Petra Stefan, soigneuse au zoo de Schönbrunn. Elle travaille depuis 18 ans à la volière. Au début, la température dans l’incubateur Dräger était de 35 degrés et l’humidité de l’air entre 60 et 65%. « Plus le plumage des jeunes perroquets se développait, plus nous devions réguler ces valeurs. » Pour protéger les animaux contre les infections, les couveuses étaient nettoyées et désinfectées chaque jour. Après deux semaines, il a fallu quitter la chaleur du nid. Les perroquets finissaient par avoir trop chaud dans l’incubateur. Cette tâche occupa jusqu’à 10 soigneurs. Au début, les > 19 Prot ec t ion d e s e sPèc e s T R af ic D’an im aux Une fois le dernier perroquet rassasié, le premier avait de nouveau faim > oiseaux étaient nourris toutes les 2h, 24h sur 24. « Une fois le dernier perroquet rassasié, le premier avait de nouveau faim », se souvient Mme Stefan. Les équipes se succédaient pour une durée de 6h. Des registres précisant exactement le poids, les aliments absorbés et l’état général de chaque oiseau étaient tenus. Aujourd’hui, ces documents font plus de 1.500 pages. 45 animaux survivent Le premier perroquet, « Toni », sortit de l’œuf au bout de 2 jours. 53 de ses congénères suivirent au cours des 3 semaines suivantes. Finalement, 45 oiseaux survécurent. C’est un grand succès d’élevage, auquel même la soigneuse Mme Stefan ne s’attendait pas : « En raison des mauvaises conditions de transport, je pensais qu’à peine 10 à 20% des animaux verraient le jour. » Il est impossible de déterminer l’espèce et le sexe des oiseaux nus, tout juste sortis de l’œuf. Ce n’est que quelques semaines plus tard, une fois le plumage développé, que l’on put constater qu’il s’agissait bien de deux espèces d’amazones de Jamaïque. Le zoo put envoyer des prélèvements de plumes à deux instituts pour faire constater le sexe des oiseaux. Résultat : le zoo abritait 22 amazones à bec noir et 23 amazones à bec jaune de la Jamaïque. Pour poursuivre l’élevage, la diversité génétique est essentielle. On fit donc établir les liens de parenté. « Nous voulions savoir combien d’animaux provenaient des mêmes nids », précise la biologue Mme Haderthauer. Combien d’animaux faut-il pour préserver une espèce ? « Plus la base est importante, mieux c’est. Du 20 La chaleur du nid : des petits perroquets de 10 g grandissent dans l’incubateur dräger engagées : la biologiste Mme Haderthauer (à gauche), et la soigneuse d’animaux Mme stefan : « dans ces cas-là, il faut improviser » Revue DRägeR 5 | 2 / 2012 PhoToS : DAnIeL ZuPAnC (1), DouAne De L’AÉRoPoRT De vIenne (1) ; DRägeRWeRk Ag & Co. kgAA (3) Un odorat développé : Lord, le braque allemand à poil court et la technique moderne démasquent les trafiquants. Le douanier Robert Geschina (à gauche) et ses collègues de l’aéroport de Vienne ont eu la surprise de découvrir 74 œufs de perroquet au lieu du chocolat supposé d’après les radios. point de vue génétique et sur 100 ans, on doit obtenir une variabilité de 90%. » La base des amazones ayant atterri à Vienne, ajoutées aux congénères vivant déjà dans d’autres zoo, pourrait suffire, selon elle. L’élevage de ces jeunes oiseaux sensibles nécessite expérience, savoir et doigté. Lorsque le petit perroquet vert Toni avala ses premiers 0,35 millilitres de bouillie injectés par une seringue, il pesait à peine 9,3 g. La bouillie fut additionnée de bactéries intestinales spécifiques aux oiseaux. Dans la nature, la flore intestinale, protégeant contre les infections, est transmise aux jeunes oiseaux via la salive des parents. Un mois et demi plus tard, Toni avait multiplié son poids par 13 et il avalait 13 millilitres de nourriture liquide. Aujourd’hui, le menu est surtout composé de graines germées, de fruits et de légumes. Comme si elles obéissaient à un calendrier interne, les amazones de Jamaique quittent presque toujours leur nid après 55 jours. Elles vivent alors en nuées, jusqu’à ce qu’elles trouvent un partenaire avec lequel elles resteront. Fureter pour la protection des espèces Depuis un an, à Vienne, la douanière Regina Eitel et son chien Lord font équipe. Lord suit actuellement une formation de chien spécialisé dans la protection des espèces. Après son service, Mme Eitel emmène le braque allemand à la maison et même en vacances. Le chien est intégré dans la famille. « J’ai postulé exprès à ce poste de maître-chien à la douane », dit la jeune femme de 29 ans. Revue DRägeR 5 | 2 / 2012 En principe, tous les chiens peuvent être spécialisés dans la protection des espèces. Pendant la formation, ils sont récompensés par de petites friandises ou des jouets, lorsqu’ils détectent de la marchandise de contrebande. La découvrir est un travail d’équipe et les tâches sont bien réparties : Le maître-chien guide le limier et doit savoir comment il se comporte, lorsqu’il a fini d’inspecter les valises ou a repéré quelque-chose. Pour la recherche, Lord ne se fie qu’à son nez. « Un bon limier est rapide et fiable », dit Mme Eitel. Les limiers accomplissent un travail étonnant. Lorsqu’ils flairent, ils inspirent plus de 100 fois avant d’expirer à nouveau, et détectent des quantités infirmes. En une journée, ils peuvent inspecter plusieurs centaines de valises. Tous les animaux ou produits animaliers ont une odeur que les limiers perçoivent et signalent, comme lors de la recherche de drogues, d’explosifs ou de grandes quantités d’argent liquide. Le zoo de Schönbrunn contribue, par exemple en mettant à disposition des reptiles ou leurs déjections pour la formation de l’odorat des chiens. La formation d’un chien spécialisé dans la protection des espèces coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros. Cela en vaut-il le prix ? « Absolument, lorsque l’on fait d’aussi belles prises que les œufs de perroquet », confirme la douanière. Björn Wölke Informations sur les incubateurs Dräger : www.draeger.com/5/premature Convention de protection des espèces de Washington (WA) La convention signée en 1973 (« Convention on International Trade in endangered Species of Wild Fauna and Flora », Cites) est l’une des premières en matière de protection de l’environnement et des espèces. elle régit le commerce d’espèces animales et végétales sauvages menacées et est entrée en vigueur en 1975. Les États membres sont aujourd’hui au nombre de 175. Leurs représentants se réunissent environ tous les 2 ans, par exemple pour décider quelles sont les espèces menacées au point de devoir être ajoutées à la liste. À l’heure actuelle, la liste inclut plus de 5.000 espèces d’animaux et 28.000 espèces végétales. La WA est composée d’un contrat et de trois annexes. L’annexe I indique toutes les espèces directement menacées d’extinction, pour lesquelles tout commerce est strictement interdit : les tortues de mer ou certains perroquets, entre autres. L’annexe II répertorie les animaux et plantes menacés, pour lesquels des autorisations d’exporter sont nécessaires pour le commerce : singes, ours ou orchidées, qui ne sont pas protégés au titre de l’annexe I. L’annexe III indique les espèces pour lesquelles la protecion commerciale ne concerne que certains pays. www.cites.org 21