Quand le loup dévorait les enfants ».
Transcription
Quand le loup dévorait les enfants ».
Quand le loup dévorait les enfants ! Il ne se passe pas une semaine sans que soit relatée, dans notre région, une attaque de loups contre de paisibles troupeaux. Les habitants du Pays de Romans ont certainement raison de penser qu'ils ne verront jamais le noble prédateur errer dans leur jardin mais, voici encore 200 ans, c'était une éventualité que personne ne prenait à la légère. è Jusqu'au XVI s, la forêt de Chambaran est encore le territoire des loups. Le notaire de SaintAntoine-l’abbaye, Eustache Piémont, nous a laissé, dans ses mémoires, le témoignage sur la férocité des loups, reflet de peurs ancestrales : « les loups garous dévoraient les enfants et en ce lieu de Saint Antoine, le dimanche 7 septembre 1597, peu après soleil couché, le loup alla prendre à la porte de la maison, un enfant de la fille de Bon Jassoud qui se promenait sous la treille et jamais n'en fut trouvé autre chose que sa robe. Quelque temps auparavant, le loup ayant pris un enfant l'emporta et le mangea. revenant encore, le loup chercha une autre proie, la mère étant dans le chemin près de la maison, s'écria : au loup , au loup, au loup ! Le loup lui saute au gosier et la mange. Cela a été de mauvais présage à ladite ville, de ce que les loups y entraient de nuit et y mangeaient les chiens ». Au début du règne de Louis XV, le loup rôde encore dans les collines au nord de Romans,. Les registres paroissiaux en ont conservé la trace sanglante à travers les actes de décès. Le 8 juillet 1717, le petit Jean Roux, de Peyrins, âgé de deux ans est retrouvé égorgé par un loup. Une semaine plus tard, le curé de Saint-Bardoux note : « j’ai fait mettre dans le cimetière de cette paroisse le pied d’une fille appelée Anne Bonnet, le loup ayant dévoré et mangé le reste du corps le soir précédant l’entrée de la nuit, à la porte de sa maison ». En janvier 1718, c’est Jeanne Bonneton, une petit fille de 10 ans qui est dévorée par les loups dans le bois de Roulet, à Mours, le curé note qu’on a trouvé « que ses habits, la jambe droite, les os des cuisses et le râteau de l'échine que j'ai inhumé dans le cimetière de cette paroisse ». è En ce début du XVIII siècle, le loup s’aventure également dans la plaine de Valence. Lors l’hiver 1716, à Alixan, une fillette de dix ans est enlevée à proximité de sa maison. Quinze enfants sont également tués dans les environs. L’année suivante, toujours à Alixan, une petite bergère, Isabeau Dépi, six ans et Marie Badot, deux ans, sont étranglées par le loup, au soleil couchant. La ville de Romans reste elle-même menacée par le loup jusqu’à la fin du règne de Charles X ou, du moins par la peur du loup, qui hante encore les esprits comme nous le montre cette étrange histoire de l’hiver 1829. Le 21 janvier 1829, le maire de Romans, ProsperLouis Degros de Conflant, adresse en effet au préfet un rapport alarmiste : « il résulte de divers rapports oraux qui m’ont été faits ce matin que deux loups seraient venus roder cette nuit jusques aux portes de la ville. On n’a trouvé les débris apparents d’un enfant qui auraient été dévoré par ces animaux féroces. J’ai ordonné au commissaire de police de se transporter sur les lieux et même si besoin est, de se faire assister d’un officier de santé. Quant à la présence des loups, ne pouvant la révoquer en doute par les traces empreintes sur la neige de ces animaux carnivores, j’ai cru devoir prescrire aujourd’hui une battue, j’ai invité tous les bons citoyens également connus par leur prudence sagesse et adresse à se rendre sur la place de l’hôtel de ville avec armes et munitions, une autre section de citoyens armés de bâtons et de fourches formera la troupe. J’ai confié le soin du commandement de cette battue à messieurs Félix de Chaptal, conseiller municipal, Charles aîné et Maurice Charles son frère, l’un et l’autre fils de monsieur le président du tribunal de commerce Charles Chevalier fils et monsieur Voguer, commisssaire-priseur, tous étant notoirement connus par leur prudence et moralité, comme incapable d’abuser des armes qui leur sont confiées, ni de souffrir qu’en leur présence on n’en abuse ». Le surlendemain, le maire adresse un nouveau rapport sur le résultat de son enquête. « Par le procèsverbal de monsieur le commissaire de police et par le rapport qu’est venu me faire monsieur le docteur Péronnier, médecin en second des hospices de cette ville, il résulte fort heureusement que les ossements que l’on croyait appartenir à l’espèce humaine et qui avait été trouvés ne sont autres que des ossements d’un singe, animal qui effectivement il y a peu de jours était mort, et appartenant à un de nos concitoyens qui lui avait coupé la tête et l’avait écorché, et jeté à la voirie hors la ville ; quant aux loups, je persiste à croire qu’il en a plusieurs dans les parages mais la grande quantité de neige qui est tombée hier a empêché que la battue ordonnée ait lieu ». La suite de l’histoire, nous l’ignorons, les archives sont muettes, mais il s’agit du dernier document officiel relatif à la présence du loups aux portes de la ville de Romans. Laurent Jacquot professeur d’histoire (lycée du Dauphiné) octobre 2012