Une journée à mobilité réduite… Couché sur le dos (au lit, je ne

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Une journée à mobilité réduite… Couché sur le dos (au lit, je ne
Une journée à mobilité réduite…
Couché sur le dos (au lit, je ne peux rester ni sur le côté, ni sur le ventre), je somnole
depuis longtemps. Six heures quinze, je me lève avant la sonnerie du radio réveil
(habitude prise lors de mon précédent emploi dans l’agriculture). Depuis combien de
temps suis-je hémiplégique gauche ? Déjà plus de quinze années… Avant, alors que
je n’avais pas terminé le deuil de ma vie active, je comptais les jours, les semaines,
les mois et les années qui me séparaient de la date de ma chute. Aujourd’hui, après
huit années de colères, je vis l’esprit serein, je n’accepte pas mon handicap mais je
le tolère…
Sans aide particulière, je déjeune seul (après mon accident du travail, ma femme m’a
materné durant trois ans, s’est lassée et m'a finalement quitté. Je ne lui en veux pas.
Comment aurais-je réagi si j’avais été confronté à pareille situation ?)
Pour ma toilette, je préfère les douches aux bains (même avec un antidérapant et
une barre d’appui, j’ai des difficultés pour sortir de la baignoire). Lorsque je peine
dans la salle de bains, je pense souvent à un de mes cousins qui m’avait dit : "Je te
comprends… " Il n’avait rien compris du tout. Quand il vivra toute une journée le bras
gauche immobile, il découvrira mes problèmes, mais une partie seulement car il
possèdera toujours la rapidité et l’équilibre.
Ensuite vient le moment le plus astreignant : l’habillage. En rééducation,
l’ergothérapeute m’avait appris à enfiler tous les vêtements. C’est possible mais très
long. Il me faut une demi-heure pour être correctement vêtu… Un exemple :
Comment enfiler des chaussettes avec une seule main ? Utiliser les dents…
Je sors de mon appartement situé au rez-de-chaussée et rencontre un voisin. Il me
parle, je lui réponds. A ses yeux écarquillés, je réalise qu’il ne m’a pas compris.
Pourtant, j’essaie d’articuler comme me l’apprend mon orthophoniste. Parfois les
discussions avec des non-initiés sont comiques, j’évoque un sujet et mon
interlocuteur bafouille ou débat sur un point différent.
Ce matin, je rends visite à mon rayon de soleil, ma petite-fille. Avec ma voiture
équipée d’une boîte de vitesse automatique et de l’aménagement nécessaire pour la
conduite d’un hémiplégique gauche, je me rends sans problème devant l’immeuble
de ma fille. Sur la voie publique, la place de stationnement, réservée aux personnes
à mobilité réduite, est occupée. Curieux, je vais vers l’automobile et m’aperçois
qu’elle ne possède pas le macaron délivré par la M.D.P.H. Alors à défaut de lui
crever les pneus, je grogne : "Si tu prends ma place, prends aussi mon handicap".
Avant d’atteindre l’ascenseur qui me montera chez ma fille, je dois gravir sept
marches d’escalier. Ce serait si simple s’il y avait une rampe à droite…
En début d’après-midi, j’ai rendez-vous à la délégation de l’ APF qui se situe à cinq
cents mètres de mon domicile. J’y vais à pied pour entretenir ma "forme physique" la
marche est excellente. Avec mes deux kilomètres à l’heure, je ne suis pas encore
prêt pour le marathon de Paris. Mais, après avoir connu les affres d’un fauteuil
roulant durant douze mois, je suis content de me déplacer seul. A l'intersection
j'aperçois une jolie fille. Je force l’allure et quelques défauts réapparaissent : Tête
penchée, bras crispé et déséquilibre permanent. Arrivé au carrefour, elle a disparu.
Dommage... Certains valides me croient impuissant. Je veux bien leur prouver le
contraire à ces ignorants. Sur le trottoir, je dois supporter les regards indiscrets des
autres (qui sont certainement handicapés du cœur). Je clopine et alors, je ne dois
pas être le seul sur Besançon.
En début de soirée, je m’installe devant mon ordinateur, communique avec mes amis
(qui sont peu nombreux mais fidèles et prévenants), surfe sur Internet ou écris…
Avant le coucher, je réfléchis à mon parcours atypique et affirme avec conviction
que, depuis mon accident, j’ai eu plusieurs fois de la chance :
- Chance d’être arrivé vivant à l’hôpital.
- Chance d’être opéré avec succès par un neurochirurgien.
- Chance d’être très bien entouré pendant ma rééducation.
- Chance d’avoir un but : voir grandir mes filles.
- Chance de retrouver une relative autonomie…
E.N.

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